Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

JOHN STEVENSON

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ

l'intimé

MOTIFS DE LA DÉCISION

D.T. 16/01

2001/12/05

MEMBRE INSTRUCTEUR : GUY A. CHICOINE, président

TRADUCTION

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. PREUVE

A. Antécédents de travail de M. Stevenson

B. Apparition des problèmes

C. Mutation à Ottawa

D. Contestation de la mutation

i) Demande d'avantages de départ

ii) Demande de report de deux ans

iii) Report à septembre

iv) Demande d'indemnité pour occupation temporaire de deux résidences

v) Demande de congé pour stress

vi) Annulation de la mutation pour des raisons humanitaires

E. Congé de maladie et évaluation de santé

F. La décision de le renvoyer pour des raisons médicales

i) Recommandation du chef, Services de santé

ii) Décision du sous-directeur

iii) Réaction de M. Stevenson à son renvoi

iv) Procédure de règlement des griefs

III. PRINCIPES JURIDIQUES

IV. ANALYSE

A. Existe-t-il une preuve prima facie de discrimination?

B. Existe-t-il un moyen de défense fondé sur l'exigence professionnelle justifiée (EPJ)?

i) La norme appliquée à M. Stevenson

ii) La mobilité constitue-t-elle un aspect de la norme?

C. Application de la méthode Meiorin en l'espèce

i) Premier élément de l'analyse proposée relativement à l'EPJ

ii) Deuxième élément de l'analyse proposée relativement à l'EPJ

iii) Troisième élément de l'analyse proposée relativement à l'EPJ

iv) Le congé de maladie en tant qu'élément d'accommodement

V. MESURES DE REDRESSEMENT

A. Pertes de revenu

B. Dépenses réellement engagées

C. Intérêts

D. Indemnité pour préjudice moral

E. Indemnité spéciale accordée en vertu du paragraphe 53(3)

F. Lettre d'excuses

G. Révision des politiques

H. Conservation de la compétence

VI. AUTRES QUESTIONS

VII. ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] Le 1er août 1997, le plaignant, John Stevenson, employé du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) travaillant au bureau régional à Vancouver, a fourni à son employeur un certificat médical de son propre médecin par lequel il demandait un congé de maladie de trois mois. M. Stevenson devait se présenter à un nouveau poste à l'Administration centrale du SCRS à Ottawa le 1er septembre 1997.

[2] Le certificat médical ne précisait pas la nature de la maladie. Cependant, les surveillants de M. Stevenson savaient qu'il s'agissait d'une demande de congé pour stress. Ils ont aussitôt demandé une évaluation de santé pour déterminer dans quelle mesure M. Stevenson était apte à exercer ses fonctions au sein du Service. La présidente du comité d'évaluation de santé a présenté à l'employeur trois rapports écrits; dans le dernier, en date du 17 décembre 1997, elle a indiqué que M. Stevenson n'était pas apte à travailler pour l'instant à Ottawa.

[3] Le 14 janvier 1998, une lettre a été envoyée à M. Stevenson pour l'informer de son renvoi pour raisons médicales à compter du 14 février 1998. À cette date-là, M. Stevenson était au service du SCRS et de son prédécesseur, le Service de sécurité de la Gendarmerie royale du Canada, depuis plus de 26 ans.

[4] Le 15 juillet 1998, M. Stevenson a déposé devant la Commission canadienne des droits de la personne une plainte dans laquelle il alléguait que son employeur avait exercé une discrimination à son endroit en mettant fin à son emploi en raison de sa déficience mentale, contrevenant ainsi à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP).

II. PREUVE

A. Antécédents de travail de M. Stevenson

[5] Né à Perth, en Écosse, en 1944, M. Stevenson a émigré au Canada en 1967. Il était alors titulaire d'un diplôme avec spécialisation en géographie et d'un certificat d'études supérieures en sciences de l'éducation. Avant d'entrer au service de la GRC en 1971, il a enseigné en Saskatchewan pendant quatre ans. Son véritable domaine d'intérêt était le renseignement de sécurité. En mars 1974, il est devenu membre du Service de sécurité de la GRC. Il a travaillé à Vancouver jusqu'en 1984, année où le service de sécurité est passé sous la responsabilité d'un service du renseignement civil appelé le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). M. Stevenson a alors opté pour une mutation au SCRS afin de poursuivre son travail de renseignement. Il a occupé divers postes d'agent du renseignement et a agi parfois en qualité de superviseur, mais non de gestionnaire. M. Stevenson savait que pour accéder à un poste de gestion, il lui faudrait acquérir de l'expérience à l'Administration centrale à Ottawa. Il a refusé toutes les offres de participation aux programmes de formation des cadres du Service. Il a passé toute sa carrière dans la région de la Colombie-Britannique.

[6] M. Stevenson était sur tous les plans un employé modèle. Les évaluations de rendement présentées à l'audience, qui portaient sur la période allant du 1er novembre 1992 au 15 octobre 1996, indiquent qu'il a obtenu la cote Entièrement satisfaisant ou Supérieur pour les divers aspects de son travail et qu'il faisait montre d'une très grande intégrité. En 1977, on lui a décerné la médaille du Jubilé de la Reine pour son travail de renseignement. En 1992, il a été récipiendaire de la Médaille commémorative de Canada 125 pour son travail lié au renseignement.

[7] Le 26 juillet 1996, M. Stevenson a écrit dans son évaluation de rendement qu'il était satisfait de son affectation à l'Administration des sources humaines dans la Région de la C.-B., où il travaillait depuis juin 1996. Il a ajouté ce qui suit :

[Traduction]

Le soussigné quittera sans doute le Service d'ici deux ans. Il est évident que M. Stevenson commençait à croire que sa longue et éminente carrière au SCRS tirait à sa fin. M. Stevenson éprouvait depuis quelque temps avec son surveillant certaines difficultés qui se répercutaient sur sa santé et son attitude au travail. J'ai l'intention de passer en revue les événements survenus au cours des deux dernières années de la carrière de M. Stevenson afin de mettre en perspective le présumé acte discriminatoire, à savoir son renvoi pour raisons médicales.

B. Apparition des problèmes

[8] M. Stevenson a affirmé qu'en octobre 1995, alors qu'il était chef, Sécurité interne, il avait mené une enquête très délicate portant sur une allégation contre un collègue. Il a dit avoir travaillé très fort pour protéger les renseignements relatifs à cette affaire mais qu'il s'était rendu compte qu'une partie de l'information, qu'on lui avait communiquée à titre confidentiel, était d'une façon ou d'une autre venue à la connaissance de collègues. Après trois jours d'essais infructueux, M. Stevenson a finalement réussi à rencontrer le directeur général de la Région de la C.-B., Mervyn Grierson, le 11 octobre 1995, afin de lui faire part de ses préoccupations. M. Stevenson a déclaré :

[Traduction]

Il a alors fait la sourde oreille et m'a dit : Oui, l'information a filtré, et c'est vous qui l'avez divulguée.» M. Grierson a alors nommé les deux personnes auxquelles M. Stevenson avait présumément donné les renseignements.

[9] Selon M. Stevenson, M. Grierson aurait alors ajouté que du fait qu'il avait laissé filtrer l'information, ce manquement serait signalé à la "Coordinated Law Enforcement Unit" et que la haute direction du Service avait été informée de la fuite et du fait que c'était lui qui en était le responsable. Il lui a également indiqué que le directeur et le sous-directeur du SCRS avaient été mis au courant. Il prévoyait également que la chose serait portée à la connaissance de la critique de l'opposition à la Chambre des communes et que celle-ci adresserait des reproches au directeur du Service lors des réunions sur la justice à Ottawa.

[10] M. Stevenson a affirmé qu'il avait catégoriquement nié avoir joué un rôle dans la fuite des renseignements et qu'il avait prié M. Grierson de demander à un des collègues auxquels il avait présumément fourni l'information de venir les retrouver pour confirmer que l'allégation n'était pas fondée. M. Grierson a refusé de le faire et a plutôt demandé à M. Stevenson s'il était disposé à subir un test polygraphique à l'Administration centrale du SCRS à Ottawa. M. Stevenson a accepté de se soumettre à un tel test et des dispositions ont été prises pour qu'il puisse se rendre à Ottawa le lendemain.

[11] Interrogé au sujet des effets de l'allégation, M. Stevenson a indiqué que c'était la pire allégation qu'on pouvait porter à l'endroit de quelqu'un qui travaille dans le domaine du renseignement. À son avis, on l'accusait d'être un traître. Non seulement on ne l'avait pas cru lorsqu'il avait nié l'allégation, mais on lui demandait de se soumettre à un test polygraphique. Il a affirmé qu'il était en état de choc lorsqu'il est retourné à son bureau ce soir-là, qu'il ne pouvait croire ce qui s'était produit et qu'il avait demandé à sa femme de venir le chercher. Le 13 octobre 1995, il s'est présenté au test polygraphique et a été absous à la suite d'une enquête interne. M. Stevenson a déclaré :

[Traduction]

J'étais exonéré, mais dévasté.

[12] Conscient qu'il lui faudrait l'aide d'un psychologue pour surmonter son anxiété et son état dépressif, M. Stevenson a aussitôt communiqué avec M. Russell King, un psychologue agréé, par l'entremise du Programme d'aide aux employés. Il a affirmé dans son témoignage qu'il était devenu essentiellement un reclus au sein du Service. Il avait rompu ses liens avec tous ses collègues parce qu'il avait honte de ce qui lui était arrivé. Il se rendait seul aux pauses-café, prenait seul ses repas à la bibliothèque du centre-ville et rentrait directement à la maison après le travail. Il n'agissait plus comme mentor auprès de nouveaux agents du renseignement, ainsi qu'il avait l'habitude de le faire.

[13] Les rapports de M. Stevenson avec le directeur général de la Région de la C.-B. se sont à nouveau détériorés en avril 1996. Profitant alors d'une rencontre aléatoire, M. Stevenson a parlé à une des personnes qu'il soupçonnait d'avoir fait la fausse allégation en octobre. Cette femme s'est plainte à M. Grierson qui a ensuite convoqué M. Stevenson pour le réprimander pendant une heure devant son superviseur, Doug Switzer. Il a accusé M. Stevenson d'avoir violé son serment professionnel et de ne pas prendre l'affaire au sérieux, puis il l'a informé qu'il porterait l'affaire en haut lieu à Ottawa. Quelques jours plus tard, M. Stevenson a été muté de son poste à la Sécurité interne à un poste à l'Administration des sources humaines. Même s'il s'agissait d'une mutation latérale, M. Stevenson a dit à M. Grierson qu'il craignait que la mutation ne soit interprétée par les autres comme une punition infligée à la suite de la présumée fuite d'information. M. Grierson a alors dit à M. Stevenson d'[Traduction] «avaler la pilule, car il avait bel et bien décidé qu'il le mutait.

C. Mutation à Ottawa

[14] Le 6 juin 1996, le directeur général, Services du personnel, Douglas Outhwaite, a fait parvenir aux directeurs généraux de tous les bureaux régionaux une note pour leur rappeler que l'exercice annuel de réinstallation se tiendrait en octobre. Il leur a alors demandé de fournir les noms des employés de leur direction ou région qui devraient selon eux être réinstallés, compte tenu des objectifs de l'exercice de réinstallation, à savoir : 1) libérer au sein des bureaux régionaux des postes à l'intention des agents du renseignement en formation; 2) identifier au sein des bureaux régionaux des agents chevronnés qui n'avaient jamais travaillé à l'Administration centrale et qui pourraient y faire un apport au niveau des opérations; 3) donner à d'autres agents du renseignement l'occasion de travailler dans d'autres domaines ou régions; 4) offrir aux employés de nouvelles possibilités de carrière, particulièrement à ceux intéressés à devenir gestionnaires.

[15] Dans sa note, M. Outhwaite mentionnait également qu'on avait envoyé un message demandant aux employés intéressés à obtenir une mutation à l'Administration centrale de manifester leur intérêt. On rappelait aux employés dans ce message qu'ils devaient faire part de leur intérêt à leur directeur général respectif et mettre à jour leur curriculum vitæ en n'oubliant pas de décrire leurs aspirations.

[16] Le 30 juillet 1996, M. Grierson a fait parvenir à M. Outhwaite une note indiquant qu'on songeait à muter M. Stevenson à l'Administration centrale. La note précisait [Traduction] : M. Stevenson est un excellent employé qui possède une expérience diversifiée sur le terrain [Région de la Colombie-Britannique], mais qui n'a jamais eu l'occasion de servir à [l'Administration centrale].

[17] Le nom de M. Stevenson figure dans un document de travail préparé en vue de l'exercice annuel de réinstallation d'octobre. On le décrit de la façon suivante :

[Traduction]

Sérieux, bon esprit d'initiative et très intègre. Mène ses enquêtes avec diligence et ingéniosité. Il est très professionnel et est reconnu pour sa discrétion. Il rédige très bien et accepte volontiers des tâches supplémentaires, ce qui ne l'empêche pas de demeurer tout aussi efficace. Le document précise également qu'on devrait songer à le nommer à la Direction des exigences, de l'analyse et de la production (DEAP), une des unités opérationnelles à l'Administration centrale à Ottawa.

[18] Le 18 octobre 1996, M. Outhwaite a recommandé à ses supérieurs 35 opérations de dotation, dont la mutation de M. Stevenson à la DEAP à compter du printemps de 1997. Le 25 octobre 1996, les divers directeurs généraux ont été priés de bien vouloir informer les employés des diverses mutations.

[19] Le 23 octobre 1996, alors qu'il était en congé, M. Stevenson a été prié de rappeler M. Grierson. Ce dernier l'a alors informé de sa mutation à Ottawa. M. Stevenson a affirmé lors de son témoignage que M. Grierson gloussait et disait regretter de ne pas être présent pour observer son langage corporel. Lorsqu'il est allé rencontrer M. Grierson, M. Stevenson lui a dit qu'il aurait apprécié d'être informé qu'on songeait à le muter, compte tenu du fait que sa femme travaillait à temps partiel et que ses deux enfants fréquentaient l'université à temps plein. Il a dit être déçu de ne pas avoir été consulté. M. Grierson a répondu à M. Stevenson qu'étant donné qu'il n'avait pas inscrit son nom sur la liste des candidats à une mutation latérale, il n'était pas nécessaire de le consulter. C'est lors de cette rencontre que M. Stevenson a appris qu'il était muté à la DEAP à Ottawa, à compter du 30 juin 1997.

D. Contestation de la mutation

i) Demande d'avantages de départ

[20] À la maison, la mutation imminente de M. Stevenson était loin de faire l'unanimité. Il a décidé de demander au SCRS un ensemble d'avantages de départ par l'entremise du bureau de M. Grierson. Dans sa note du 13 janvier 1997, il a écrit :

[Traduction]

Ainsi que je l'ai mentionné dans mon évaluation de rendement de l'an dernier, j'avais l'intention de prendre ma retraite d'ici deux ans et j'ai fait ma planification financière en conséquence. Comme vous pouvez l'imaginer, l'ordre imprévu de mutation a énormément bouleversé cette planification, car mes enfants fréquentent l'Université de la Colombie-Britannique. L'obtention d'avantages de départ me permettra de prendre ma retraite du Service cet automne dans la dignité tout en me procurant une certaine protection au plan financier, compte tenu du fait que j'ai 52 ans.

[21] Lorsqu'il est allé porter la note à M. Grierson afin de lui demander de l'acheminer à l'Administration centrale, ce dernier lui a dit :

[Traduction]

Il ne sera pas dit qu'on va profiter d'une foutue mutation pour s'enrichir. Le 31 janvier 1997, M. Outhwaite a indiqué à M. Stevenson que sa demande d'avantages de départ était rejetée, étant donné que le Service ne le mettait pas à pied et qu'il lui offrait un poste à l'Administration centrale. Il a affirmé, en outre, que l'Administration centrale avait besoin d'agents du renseignement aguerris, que sa vaste expérience sur le terrain serait là-bas un atout et qu'on avait hâte de l'accueillir.

ii) Demande de report de deux ans

[22] Entre-temps, le 27 janvier 1997, M. Stevenson a écrit à M. Peter Bulatovic, le sous-directeur des Ressources humaines à l'Administration centrale, à Ottawa, pour demander que sa mutation soit reportée de deux ans. M. Stevenson a indiqué à M. Bulatovic que son fils allait obtenir son diplôme en mai et désirait poursuivre des études supérieures à l'Université de la Colombie-Britannique. Sa fille était étudiante de première année à cette même université. Sa femme travaillait à temps partiel dans un cabinet de médecins. Aucun membre de sa famille ne voulait venir à Ottawa. Il a également précisé à M. Bulatovic qu'il avait lui-même songé à déménager à Ottawa, mais qu'une séparation familiale n'était pas financièrement possible. Il a également indiqué qu'il n'avait jamais aspiré au cours de ses 25 ans de carrière à autre chose qu'à un poste d'agent du renseignement et qu'il n'avait jamais participé à quelque programme d'avancement de carrière que ce soit au sein du Service. Il a également fait état de sa loyauté et de son dévouement, même lorsqu'on lui a demandé de se soumettre à un test polygraphique alors qu'il travaillait à la Sécurité interne. Il a conclu en disant qu'une fois que ses enfants auraient terminé leurs études universitaires, il déménagerait à Ottawa avec sa femme afin de continuer de servir le SCRS.

[23] Le 3 février 1997, M. Bulatovic a rejeté sa demande de report de deux ans et l'a informé qu'il devait aller travailler à l'Administration centrale, conformément à l'ordre reçu.

iii) Report à septembre

[24] M. Stevenson a ensuite demandé qu'on lui permette d'entrer en fonction à Ottawa au début de septembre. Le 28 février 1997, son nouveau surveillant à la DEAP, à Ottawa, a acquiescé à sa demande.

iv) Demande d'indemnité pour occupation temporaire de deux résidences

[25] Le 17 mars 1997, M. Stevenson a écrit à M. Outhwaite pour demander une indemnité pour occupation temporaire de deux résidences visant à lui permettre de déménager lui-même à Ottawa au début de septembre et de laisser sa famille à Vancouver afin que son fils puisse terminer ses études à l'Université de la Colombie-Britannique. Le 10 avril 1997, M. Outhwaite a répondu qu'on avait fait droit à sa demande afin de permettre à son fils d'obtenir les crédits qui lui manquaient.

v) Demande de congé pour stress

[26] Le 21 avril 1997, M. Stevenson a envoyé à un ami et collègue de longue date au Service, M. Emil Spilchak, un courriel pour lui demander son avis au sujet de la possibilité de prendre un congé pour stress. M. Spilchak était chef, Ressources humaines (Région des Prairies), au SCRS. Il avait fait la connaissance de M. Stevenson en 1974 alors qu'ils étaient tous les deux dans la GRC et il était très au fait des questions touchant l'administration du personnel. M. Stevenson et M. Spilchak avaient également eu un certain nombre d'entretiens au sujet de la mutation de M. Stevenson à Ottawa, et M. Spilchak était au courant des difficultés que l'ordre de mutation causait à M. Stevenson et à sa famille. Après avoir reçu le courriel, M. Spilchak a conversé avec M. Stevenson au téléphone. Il lui a indiqué qu'il lui faudrait obtenir de son médecin un certificat médical. Il l'a également informé que le Service accepterait probablement de lui accorder un congé de trois mois, après quoi il lui faudrait se soumettre à une évaluation de santé s'il ne se présentait pas au travail.

vi) Annulation de la mutation pour des raisons humanitaires

[27] Au cours de son témoignage, M. Stevenson a affirmé qu'il avait l'impression au fur et à mesure du déroulement des événements en 1997 que sa santé psychologique n'était pas à son mieux. Son médecin de famille avait également exprimé des préoccupations au sujet de sa santé mentale. M. Stevenson a demandé à rencontrer Chantal Plante, une psychologue rattachée aux Services de santé du SCRS à Ottawa. Mme Plante a rencontré M. Stevenson le 2 juin 1997 à Vancouver. Ils ont discuté de la possibilité de présenter une demande visant à différer sa mutation pour des raisons humanitaires. Le 18 juin 1997, Mme Plante a envoyé à M. Stevenson un courriel pour l'informer qu'il devait écrire une lettre pour demander un congé pour raisons humanitaires et elle a offert de rédiger elle-même une lettre formulant ses propres observations au sujet de l'état psychologique de M. Stevenson à la lumière de sa rencontre avec lui. Mme Plante a dit également qu'elle y inclurait les renseignements reçus de deux psychologues que M. Stevenson avait consultés.

[28] Vers la fin de juin ou au début de juillet, M. Stevenson a passé cinq jours à Ottawa. Il était venu y chercher un logement. N'ayant rien trouvé de convenable, il a décidé d'attendre son entrée en fonction avant de reprendre ses recherches. Il résiderait à l'hôtel entre-temps.

[29] Le 17 juillet 1997, M. Stevenson a envoyé à M. Outhwaite une demande d'annulation de l'ordre de mutation. Il a joint à sa demande la note rédigée par Mme Plante. M. Stevenson a donné à M. Outhwaite la permission de prendre connaissance des rapports psychologiques établis par M. Russell King et M. Paul James. Dans sa note, Mme Plante décrivait les effets marqués que les divers événements avaient eus sur le bien-être affectif et psychologique de M. Stevenson au cours des deux dernières années et le fait qu'il percevait la mutation comme une punition. Elle mentionnait que son estime de soi et sa confiance en soi avaient été considérablement minées et qu'il avait même eu des idées suicidaires. Elle précisait également que M. James lui avait diagnostiqué un trouble dépressif majeur de gravité moyenne. Mme Plante a également décrit les effets que la détérioration de l'état de santé de M. Stevenson et le stress lié à sa mutation imminente avaient eus sur sa famille. Elle terminait en disant que la mutation ne serait à l'avantage ni de M. Stevenson ni du Service, car elle risquerait de détériorer davantage son moral, de nuire à son rendement et d'aggraver ses problèmes familiaux et conjugaux.

[30] Le rapport de M. Paul James, psychologue agréé, était daté du 23 juin 1997. S'il avait pris la peine de lire ces rapports, M. Outhwaite aurait appris que M. Stevenson consultait M. James depuis septembre 1996. Selon M. James, M. Stevenson souffrait d'un trouble dépressif majeur de gravité moyenne. À son avis, l'état de M. Stevenson était attribuable à sa mutation imminente et à la réaction de sa famille face à celle-ci. Il était d'avis que la dépression de M. Stevenson serait exacerbée s'il devait se rendre à Ottawa avant que ses problèmes familiaux aient été réglés. Il recommandait que la mutation soit reportée d'au moins neuf mois afin de permettre à M. Stevenson de suivre la thérapie nécessaire.

[31] Le rapport de M. Russell King, C.M., R.C.C., est daté du 31 mai 1997. Dans son témoignage, M. Outhwaite a indiqué qu'il n'avait pas lu ce rapport parce qu'il ne se sentait pas en mesure d'interpréter des rapports de médecins ou des diagnostics médicaux. S'il avait pris connaissance du rapport, il aurait appris que les troubles psychologiques de M. Stevenson étaient liés à l'incident d'octobre 1995, où son intégrité en tant qu'agent du renseignement avait été mise en doute par suite de l'allégation voulant qu'il ait laissé filtrer certains renseignements. Cet événement a influé sur les rapports avec sa famille, ses amis et ses collègues. Il a mentionné le fait que sa réaffectation au sein de la région au printemps de 1996 avait eu d'autres conséquences négatives. Il a ajouté que la mutation de M. Stevenson à Ottawa nuirait grandement à l'éducation de son fils et mettrait son mariage à rude épreuve.

[32] Le 28 juillet 1997, M. Outhwaite a envoyé à M. Stevenson un courriel indiquant qu'il avait examiné sa demande avec Chantal Plante, Linda Dodd (chef, Services de santé), Jean-Claude Bernais (directeur adjoint, Opérations) et Peter Bulatovic (sous-directeur, Ressources humaines). M. Outhwaite rejetait la demande d'annulation de la mutation à l'Administration centrale, tout en précisant dans son courriel qu'il était conscient du fait que les mutations étaient une source de stress mais qu'il y avait à Ottawa des ressources médicales pouvant lui venir en aide ainsi qu'à sa famille. Il indiquait à M. Stevenson que son poste au sein du Service se trouvait à Ottawa et que des dispositions avaient été prises afin qu'il déménage là-bas avec sa famille. Il ajoutait que la décision de laisser sa famille à Vancouver était un choix personnel.

E. Congé de maladie et évaluation de santé

[33] Le 31 juillet 1997, M. Stevenson a obtenu de son médecin de famille, le Dr John Hathorn, un certificat médical informant le nouveau directeur général de la Région de la C.-B., M. William Van't Slot, qu'il serait en congé durant trois mois à compter du 5 août 1997 pour cause de maladie. Le Dr Hathorn indiquait que l'état de M. Stevenson serait stabilisé grâce à des médicaments et évalué par des spécialistes.

[34] Le 1er août 1997, soit le jour où il a reçu le certificat médical, M. Van't Slot a envoyé à M. Outhwaite un courriel l'informant que M. Stevenson était en congé de maladie. Il a écrit :

[Traduction]

Compte tenu de ce que j'ai appris au sujet de la situation de John, j'ai l'intention de demander au début de la semaine prochaine à [nom supprimé] une évaluation de santé pour déterminer si John est capable d'exercer ses fonctions de façon régulière et soutenue.

[35] Le 5 août 1997, M. Bulatovic a transmis à M. Outhwaite un courriel :

[Traduction]

Il y a, de toute évidence, trois options : la retraite, la retraite pour raisons médicales, la mutation à Ottawa. J'ai informé [M. Van't Slot] qu'on déterminera au moyen d'une évaluation de santé s'il est capable de retourner travailler à Ottawa et qu'il n'y a pas d'emploi pour lui à Vancouver.

[36] Tel qu'il l'avait indiqué, M. Van't Slot a rempli une demande d'évaluation de santé qu'il a fait parvenir à M. Outhwaite le 5 août 1997. La demande lie le refus de réexaminer la demande de mutation à l'Administration centrale à la présentation du certificat médical. Sous la rubrique [Traduction] Mesures d'accommodement prises, M. Van't Slot a écrit que M. Stevenson l'avait assuré qu'il comptait revenir au travail une fois qu'il aurait été jugé médicalement apte à le faire. Il a également indiqué que M. Stevenson n'était pas intéressé à [Traduction] demander une pension d'invalidité s'il était possible d'en obtenir une. Il a ajouté :

[Traduction]

Compte tenu du fait que M. Stevenson prétend que sa maladie dure depuis deux ans et des efforts considérables qu'il a déployés pour obtenir une évaluation de la part de ses psychologues antérieurs ou actuels, j'aimerais qu'on procède à une évaluation de santé le plus tôt possible.

[37] Le chef, Services de santé, Mme Linda Dodd, était la personne chargée de la coordination générale des évaluations de santé conformément à la politique sur les ressources humaines HUM-604 du SCRS. C'est aussi elle qui était responsable d'évaluer les conclusions et recommandations des évaluations de santé et de rédiger les rapports présentés au sous-directeur, Ressources humaines (M. Bulatovic), par l'entremise du directeur général, Service du personnel (M. Outhwaite). Ces rapports renfermaient une des recommandations suivantes : apte, inapte ou apte sous réserve de certaines restrictions à continuer d'exercer ses fonctions au sein du Service. Une lettre a été expédiée à M. Stevenson le 13 août 1997 pour lui demander de collaborer à l'évaluation de santé.

[38] Le SCRS a confié au Dr H. Patricia Fibiger, de Vancouver, le soin d'effectuer l'évaluation de santé et de présider le comité. Il s'agissait de sa première évaluation de santé. Elle a été choisie à partir d'une liste de médecins ayant déjà obtenu une habilitation sécuritaire en raison de la nature délicate du travail de renseignement.

[39] Le 18 novembre 1997, le Dr Fibiger a fait parvenir à Mme Dodd une lettre de quatre pages qu'elle a qualifiée de rapport provisoire sur l'évaluation de santé de M. Stevenson. Dans son rapport, elle disait avoir examiné M. Stevenson à deux reprises en octobre et avoir eu l'avantage d'examiner son dossier médical. Elle a confirmé que M. Stevenson souffrait d'un trouble dépressif majeur ainsi que d'un trouble anxieux. Elle a décrit certains symptômes de ces deux problèmes psychiatriques de M. Stevenson. Elle a précisé que M. Stevenson était un perfectionniste et que ses normes de rendement professionnel étaient élevées. Elle a mentionné que M. Stevenson s'efforçait de résoudre ses problèmes de dépression et d'anxiété par la psychothérapie et les médicaments. Elle a ajouté qu'il ne voulait pas déménager de Vancouver parce qu'il voyait la mutation comme une punition par suite de sa présumée inconduite et en raison des effets que cela aurait sur son fils.

[40] Le Dr Fibiger a affirmé que ces conflits ne pourraient être résolus rapidement. Toutefois, elle estimait que le temps améliorerait les choses et que les antidépresseurs atténueraient son état dépressif. Elle a écrit :

[Traduction]

Pour l'instant, M. Stevenson semble tout à fait inapte à remplir ses fonctions professionnelles. (…) On peut espérer que M. Stevenson sera en mesure de réintégrer ses fonctions actuelles après quelques mois de thérapie intensive. La solution la plus appropriée en ce qui a trait à sa réintégration au travail est une affectation à Vancouver. (…) La réintégration au travail du patient dans un milieu nouveau et différent comme Ottawa ajouterait du stress. Cela retarderait sa réintégration professionnelle tout en compromettant davantage ses chances de succès. Après avoir passé un certain temps dans son poste actuel, M. Stevenson devrait être suffisamment confiant pour supporter une mutation à l'extérieur de Vancouver. Dans son rapport provisoire, elle concluait que M. Stevenson serait dirigé vers un psychiatre pour obtenir un deuxième avis.

[41] Le 10 décembre 1997, le Dr Fibiger a fait parvenir à Mme Dodd une deuxième lettre l'informant que M. Stevenson n'avait pas été en mesure de se rendre à son rendez-vous avec le psychiatre vers lequel elle l'avait dirigé pour obtenir un deuxième avis. Le Dr Fibiger a écrit :

[Traduction]

Ma meilleure appréciation du point de vue médical, en l'absence de cet avis, est que M. Stevenson est pour l'instant tout à fait inapte à réintégrer ses fonctions habituelles. Il ne semble pas suffisamment bien sur le plan psychologique pour supporter une mutation à l'extérieur de Vancouver.

[42] Le Dr Fibiger a également formulé le pronostic suivant :

[Traduction]

À mon avis, M. Stevenson devra suivre une psychothérapie intensive et prendre des médicaments psychoactifs au cours des six prochains mois afin d'améliorer son état mental. Une fois qu'il aura suivi une telle thérapie durant six mois, on devrait réévaluer son état pour déterminer s'il est apte à exercer pleinement un emploi sans restrictions.

[43] Bien que la deuxième lettre du Dr Fibiger semble suffisamment claire, Mme Dodd lui a écrit le 17 décembre 1997 pour lui poser la question suivante :

[Traduction]

Compte tenu de votre appréciation médicale, M. Stevenson est-il apte à aller travailler à Ottawa actuellement? Le Dr Fibiger lui a adressé le même jour la réponse suivante : [Traduction] Selon mon appréciation médicale, M. John Stevenson n'est pas apte pour l'instant à aller travailler à Ottawa.

F. La décision de le renvoyer pour raisons médicales

i) Recommandation du chef, Services de santé

[44] À l'audience, Mme Dodd a affirmé que personne d'autre qu'elle n'avait pris connaissance du rapport provisoire rédigé par le Dr Fibiger le 18 novembre 1997. Elle a prétendu que le rapport des Services de santé qu'elle devait rédiger ne devait renfermer aucun diagnostic médical ou psychologique. Comme le Dr Fibiger avait inclus dans son rapport provisoire des éléments de diagnostic, elle a décidé que personne d'autre ne devrait en prendre connaissance, étant donné que personne n'est médecin et en mesure d'interpréter cette information; par conséquent, personne ne devrait en prendre connaissance, bien évidemment. Elle a ajouté lors de son témoignage qu'elle avait retourné le rapport provisoire au Dr Fibiger.

[45] Après avoir reçu le rapport du Dr Fibiger en date du 10 décembre 1997 et la précision du 17 décembre 1997, Mme Dodd a consulté M. Outhwaite au sujet du rapport définitif du Dr Fibiger. Après que M. Outhwaite l'eut informée que le poste de M. Stevenson se trouvait à Ottawa et qu'il n'y avait pas pour lui de poste à Vancouver, elle a rédigé un rapport à son intention le 7 janvier 1998. Le rapport précisait ce qui suit :

[Traduction]

De l'avis du [Dr Fibiger], M. Stevenson est tout à fait inapte à réintégrer ses fonctions habituelles et à occuper un poste à [l'Administration centrale]. Il est possible que son état de santé s'améliore avec le temps; toutefois, le Dr Fibiger a indiqué qu'il faudrait que M. Stevenson suive une thérapie intensive pendant six mois et qu'on réévalue ensuite son état de santé.

[46] Le fait que le directeur général, Services du personnel (M. Outhwaite), a eu une grande influence sur les recommandations formulées par Mme Dodd au sous-directeur, Ressources humaines (M. Bulatovic), ressort clairement du paragraphe suivant de l'évaluation de santé :

[Traduction]

Suite à nos entretiens récents subséquents à l'évaluation du Dr Fibiger, vous (M. Outhwaite) avez confirmé que le poste de M. Stevenson à la DEAP est déjà vacant depuis plus de six mois et que les exigences du service empêchent le directeur adjoint, Opérations, de conserver un poste pour M. Stevenson. Compte tenu de l'évaluation de santé et des exigences du service, il n'est plus possible de composer avec M. Stevenson et il est recommandé de le congédier pour raisons médicales.

ii) Décision du sous-directeur

[47] L'évaluation de santé de Mme Dodd a été transmise à M. Bulatovic. Elle comportait la mention suivante de M. Outhwaite :

[Traduction]

J'appuie la recommandation, compte tenu de la durée du congé de maladie de M. Stevenson et du fait qu'il faut doter le poste en raison des exigences du service.

[48] Le 14 janvier 1997, M. Bulatovic a écrit à M. Stevenson une lettre l'informant que le Dr Fibiger avait rendu une décision à son sujet et que, d'après son appréciation du point de vue médical, il était incapable pour l'instant de réintégrer ses fonctions habituelles et d'occuper un poste à l'Administration centrale. M. Bulatovic a informé M. Stevenson que son poste à la DEAP avait été laissé vacant durant six mois afin de tenir compte de ses besoins et que les exigences du service empêchaient le directeur adjoint, Opérations, de continuer de conserver un poste pour lui. Il a ensuite indiqué à M. Stevenson qu'il était renvoyé pour raisons médicales à compter du 14 février 1998.

iii) Réaction de M. Stevenson à son renvoi

[49] M. Stevenson a reçu le 19 janvier 1998 l'avis lui signifiant son renvoi pour raisons médicales. Dans son témoignage, il a indiqué que la nouvelle l'avait bouleversé et qu'il avait aussitôt téléphoné à Mme Dodd pour lui demander de lui faire parvenir des copies de tous les documents sur lesquels elle avait fondé sa décision de recommander le renvoi. Mme Dodd a informé M. Stevenson qu'il lui fallait présenter une demande d'accès à l'information et de protection des renseignements personnels, procédure qui, bien sûr, implique un long délai.

[50] La lettre de renvoi ne fait nullement mention d'un droit d'appel. M. Van't Slot et M. Outhwaite ont tous deux indiqué d'abord à M. Stevenson qu'il ne pouvait recourir à la procédure de règlement des griefs pour contester le renvoi. Ils se sont ensuite tous deux ravisés et ont dit à M. Stevenson qu'il avait le droit de déposer un grief. Le 25 janvier 1998, M. Stevenson a écrit à M. Bulatovic pour demander que la date de son renvoi soit reportée au 3 avril 1998 afin de lui permettre d'obtenir, grâce à la procédure officielle d'AIPRP, des copies des documents sur lesquels la recommandation de le renvoyer était fondée et de consulter un avocat au sujet de la présentation d'un grief en bonne et due forme. M. Stevenson s'inquiétait particulièrement des effets que pourrait avoir la signature des formulaires qu'il avait reçus au sujet de la cessation d'emploi et des prestations de pension. Le 2 février 1998, M. Bulatovic a informé M. Stevenson qu'il avait réexaminé la question et que sa décision de le renvoyer pour raisons médicales à compter du 14 février 1998 ne serait pas reportée.

iv) Procédure de règlement des griefs

[51] Le 25 janvier 1998, M. Stevenson a présenté au directeur du SCRS un grief en bonne et due forme, conformément à la politique HUM-604 2.3 sur les ressources humaines et à la politique HUM-502 sur les griefs. La lettre de quatre pages de M. Stevenson décrivait en détail les événements qui s'étaient déroulés depuis la fuite d'information d'octobre 1995. M. Stevenson y alléguait notamment que M. Grierson avait fait preuve de mauvaise foi en le retirant de la Sécurité interne et en le mutant par la suite à Ottawa. M. Stevenson mentionnait le fait que le personnel de l'Administration centrale avait refusé de reporter sa mutation à Ottawa en dépit de la recommandation de son médecin, de deux psychologues et de la psychologue du Service (Mme Plante). Il signalait ensuite des erreurs de fait dans la lettre de M. Bulatovic l'avisant de son renvoi pour raisons médicales, erreurs qui avaient trait à sa présumée omission de se présenter à deux rendez-vous organisés par le Dr Fibiger avec un spécialiste. Il mentionnait le fait que le Dr Fibiger lui avait dit qu'elle recommanderait un autre congé de six mois mais qu'elle prévoyait par ailleurs qu'il serait éventuellement apte à retourner au travail. Il niait que Dr Fibiger ait décidé qu'il était inapte, comme l'affirmait M. Bulatovic. M. Stevenson faisait état de l'obligation d'accommodement qui incombe à l'employeur en vertu de la législation canadienne sur les droits de la personne. Il faisait ensuite au directeur la remarque suivante :

[Traduction]

En ce qui concerne l'argument voulant qu'un poste ne puisse être conservé pendant plus de six mois, je ferai respectueusement remarquer que certains d'entre nous savent d'expérience que des postes sont conservés au sein du Service pendant plus de six mois afin de composer avec des employés susceptibles de réintégrer éventuellement leurs fonctions.

[52] Le directeur du SCRS, M. W.P.D. Elcock, a informé M. Stevenson dans une lettre en date du 16 février 1998 que son grief avait été rejeté. Il a fait état du fait qu'au moment où son évaluation de santé avait été effectuée, son poste au sein du Service avait été gardé vacant pendant plus de six mois pour tenir compte de ses besoins. Il a affirmé que suite à l'évaluation de santé, et compte tenu des exigences du Service, on avait recommandé son renvoi pour raisons médicales. L'examen du dossier l'avait amené à conclure que son renvoi pour raisons médicales, fondé sur son inaptitude sur le plan médical, demeurait valide.

[53] M. Stevenson demande maintenant à ce Tribunal de conclure qu'en mettant fin à son emploi, on a exercé à son endroit une discrimination fondée sur la déficience mentale, en contravention des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

III. PRINCIPES JURIDIQUES

[54] La plainte de M. Stevenson est fondée sur l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (1), qui dispose que le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite. Selon l'article 3 de la Loi, la déficience constitue un motif de distinction illicite. L'interprétation qu'on donne au mot déficience englobe diverses affections médicales, dont la déficience mentale (2).

[55] Selon le paragraphe 15a) de la Loi, les refus, exclusions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées ne constituent pas des actes discriminatoires.

[56] La Cour suprême du Canada a récemment rendu deux arrêts Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (3) (l'arrêt Meiorin) et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights) (4) (l'arrêt Grismer) dans lesquels elle redéfinit la méthode à adopter pour déterminer s'il existe une exigence professionnelle justifiée et un motif valable. La distinction historique entre la discrimination directe et la discrimination indirecte fait place désormais à une méthode unifiée de traitement des plaintes relatives aux droits de la personne. Selon cette méthode, il incombe d'abord à la partie plaignante d'établir une preuve prima facie de discrimination. La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée (5).

[57] Une fois qu'une preuve prima facie de discrimination a été établie, il revient à la partie intimée de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que la politique ou norme discriminatoire comporte un motif justifiable. Dans cette optique, la partie intimée doit désormais prouver :

  1. qu'elle a adopté la norme dans un but qui est rationnellement lié à la fonction exécutée;
  2. qu'elle a adopté la norme en question en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
  3. que la norme contestée est raisonnablement nécessaire pour atteindre le but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, l'employeur doit démontrer qu'il ne pouvait composer avec les employés présentant les mêmes caractéristiques que le demandeur sans subir une contrainte excessive.

[58] L'expression contrainte excessive n'est pas définie dans la Loi. Toutefois, la Cour suprême a fourni beaucoup de paramètres permettant de déterminer si une défense fondée sur la contrainte excessive a été établie. Dans l'arrêt Meiorin, la Cour suprême a fait observer que l'utilisation du mot excessive laisse supposer qu'une certaine contrainte est acceptable; toutefois, il faut absolument, pour satisfaire à la norme, que la contrainte imposée soit excessive (6). La Cour suprême a également fait remarquer que le défendeur, afin de prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, a toujours la charge de démontrer qu'elle inclut toute possibilité d'accommodement sans qu'il en résulte une contrainte excessive (7). Il incombe au défendeur d'établir qu'il a examiné et raisonnablement rejeté toutes les formes d'accommodement possibles. Le défendeur doit démontrer qu'il était impossible d'incorporer dans la norme des aspects d'accommodement individuels sans qu'il en résulte une contrainte excessive (8). Afin d'évaluer le caractère adéquat des efforts du défendeur en matière d'accommodement, il faut tenir compte de la perspective d'atteinte réelle aux droits d'autres employés (9). L'adoption de la norme du défendeur doit être étayée par des éléments de preuve convaincants. La preuve, constituée d'impressions, d'une augmentation des dépenses ne suffit pas généralement (10). Enfin, les facteurs tels que le coût des méthodes d'accommodement possibles devraient être appliqués d'une manière souple et conforme au bon sens, en fonction des faits de chaque cas.

IV. ANALYSE

A. Existe-t-il une preuve prima facie de discrimination?

[59] M. Stevenson allègue que le Service canadien du renseignement de sécurité, en mettant fin à son emploi pour un motif de distinction illicite, à savoir la déficience mentale, a exercé à son endroit une discrimination et ainsi contrevenu à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je suis persuadé que le plaignant a établi, en fait, une forte preuve prima facie de discrimination.

[60] Cette conclusion repose sur ma conviction qu'après avoir été informé du fait que M. Stevenson avait demandé un congé pour stress, ses supérieurs ont entrepris dans les jours qui ont suivi de trouver un moyen de mettre fin à son emploi. Fait important, M. Peter Bulatovic, le sous-directeur, Ressources humaines, en était venu dès le 5 août 1997 à la conclusion qu'il n'y avait que trois options possibles suite à la demande de M. Stevenson visant à obtenir un congé de trois mois pour raisons médicales, à savoir la retraite, la retraite pour raisons médicales et la mutation à Ottawa. En outre, M. Bulatovic précise dans son courriel du 5 août 1997 à M. Outhwaite que M. Stevenson devra être jugé apte à réintégrer ses fonctions à Ottawa, étant donné qu'il n'y a pas d'emploi pour lui à Vancouver.

[61] La vitesse à laquelle l'évaluation de santé a été demandée dénote par ailleurs une certaine mauvaise foi de la part des supérieurs de M. Stevenson. Rien n'indique que M. Stevenson avait abusé de ses privilèges de congé de maladie avant sa demande en date du 1er août 1997. En fait, la demande d'évaluation de santé que M. Van't Slot a transmise à M. Outhwaite le 5 août 1997 indique que M. Stevenson avait utilisé 7,5 jours de congé de maladie en 1995-1996, 10 jours en 1996-1997 et 5 jours entre avril et juillet 1997. On peut donc se demander pourquoi M. Outhwaite a indiqué que l'évaluation de santé devrait être effectuée le plus tôt possible [Traduction] compte tenu du fait que M. Stevenson prétend que sa maladie dure depuis deux ans et des efforts considérables qu'il a déployés pour obtenir une évaluation de la part de ses psychologues antérieurs ou actuels.

[62] Je suis également persuadé que la condition préalable voulant que M. Stevenson doive être jugé apte à occuper le poste qu'on lui avait attribué à Ottawa était artificielle. La politique HUM-604 sur les ressources humaines précise que le chef, Services de santé, au sein des Services du personnel, doit évaluer les conclusions et recommandations de l'évaluation de santé et rédiger un rapport renfermant l'une des recommandations suivantes : apte, inapte ou apte sous réserve de certaines restrictions à continuer d'exercer ses fonctions au sein du Service. Le Dr Fibiger avait expressément recommandé dans son rapport initial du 18 novembre 1997 qu'on permette à M. Stevenson de réintégrer ses fonctions à Vancouver, ce qui constituait selon elle la solution la plus appropriée. Elle avait également précisé qu'il serait en mesure après un certain temps de supporter une mutation à l'extérieur de Vancouver. Elle a répété cela dans son rapport du 10 décembre 1997 à Mme Dodd, dans lequel elle a également indiqué qu'on devrait réévaluer après six mois l'aptitude de M. Stevenson à occuper pleinement un emploi sans restrictions.

[63] Par ailleurs, la note de Mme Dodd à M. Outhwaite donne l'impression que le Dr Fibiger avait conclu que l'état de santé de M. Stevenson devrait être réévalué après six mois de thérapie intensive pour déterminer s'il y avait amélioration. Mme Dodd minimise la possibilité, voire la probabilité, que M. Stevenson soit en mesure de réintégrer pleinement ses fonctions sans restrictions après avoir six mois de thérapie intensive. On aurait dû à ce moment-là se demander si on devrait accorder à M. Stevenson un autre congé de maladie de six mois à compter du 10 décembre 1997 afin de lui permettre de réintégrer subséquemment ses fonctions au sein du Service. Mme Dodd et M. Outhwaite en sont plutôt venus le 7 janvier 1998 à la conclusion que M. Stevenson était tout à fait inapte à réintégrer ses fonctions habituelles et à occuper un poste à l'Administration centrale, et qu'il devrait, par conséquent, être renvoyé pour raisons médicales.

[64] Compte tenu de la façon dont l'évaluation de santé a été faite et subséquemment interprétée, on semble avoir fait preuve de partialité à l'endroit de M. Stevenson en raison de sa déficience mentale. On n'a pas tenu compte du pronostic de plein rétablissement dans un délai raisonnable. On peut se demander si le chef, Services de santé, aurait fait la même recommandation si l'on avait diagnostiqué à M. Stevenson une affection médicale n'ayant rien à voir avec ses aptitudes mentales.

[65] En l'espèce, je suis persuadé que M. Stevenson a établi une preuve prima facie de renvoi fondé sur sa déficience mentale. La prochaine question qu'il faut se poser est la suivante : son employeur a-t-il prouvé que la cessation d'emploi était fondée sur une exigence professionnelle justifiée.

B. Existe-t-il un moyen de défense fondé sur l'exigence professionnelle justifiée (EPJ)?

i) La norme appliquée à M. Stevenson

[66] La politique HUM-604 régissant les évaluations de santé précise (section 1.4) qu'une évaluation de santé vise à évaluer l'aptitude physique d'un employé à exercer ses fonctions de façon régulière et soutenue. Les principales tâches de l'agent du renseignement consistent à effectuer des enquêtes ou analyses en recueillant ou évaluant des renseignements portant sur certains groupes ou personnes conformément aux politiques du SCRS; à représenter le Service à diverses tribunes; à rédiger de la correspondance et des rapports; à fournir à d'autres des avis et recommandations; à agir comme mentor auprès de nouveaux agents du renseignement. Les agents du renseignement doivent être capables d'évaluer des risques et la fiabilité de diverses sources. Ces fonctions supposent forcément une certaine aptitude physique et mentale, bien qu'aucune norme ne soit énoncée dans la politique. En fait, la politique régissant les évaluations de santé précise que les gestionnaires qui ont des raisons de croire que des employés ne sont plus en mesure d'exercer leurs fonctions actuelles pour des raisons de santé ou de déficience doivent, dans les cas où le pronostic de rétablissement soutenu est inconnu ou douteux, demander, par l'entremise de leur directeur général ou de leur chef autonome respectif, qu'une évaluation de santé soit effectuée.

[67] En outre, la politique sur les évaluations de santé décrit la composition du comité de médecins chargé de rédiger le rapport d'évaluation de santé; toutefois, aucune exigence minimale n'y est énoncée. En fait, on se contente de préciser qu'il faut examiner tous les renseignements médicaux ou autres qui sont pertinents pour évaluer l'aptitude au travail. On précise ensuite que le rapport d'évaluation de santé doit être présenté au chef, Services de santé, qui doit évaluer les conclusions et recommandations, puis décider si l'intéressé est apte, inapte ou apte sous réserve de certaines restrictions. Il est nécessaire de faire des recommandations quant aux mesures d'accommodement possibles uniquement si le rapport des Services de santé indique que l'employé est apte sous réserve de certaines restrictions.

[68] Lors du plaidoyer, l'avocat de l'intimé a semblé indiquer que si l'on a dressé une liste de professionnels de la santé titulaires d'une autorisation de sécurité tels que le Dr Fibiger, c'est notamment parce que ces personnes ont accès à des renseignements classifiés portant sur les tâches que l'employé est censé accomplir et ses principales responsabilités professionnelles ainsi que sur la nature des exigences professionnelles justifiées qui s'appliquent à tel ou tel employé. Autrement dit, il semble que les exigences professionnelles propres à chacun ne soient connues que des médecins dont le SCRS retient les services pour effectuer les évaluations de santé. Par conséquent, la norme semble capricieuse et vague. Il est impossible de déterminer quelle norme a été appliquée dans le cas de M. Stevenson, étant donné que le Dr Fibiger n'a pas été en mesure, pour des raisons de santé, de venir témoigner à l'audience.

ii) La mobilité constitue-t-elle un aspect de la norme?

[69] La Politique HUM-412 sur les ressources humaines précise qu'elle a pour objet d'assurer que les ressources humaines sont réaffectées aux moments et endroits où on en a le plus besoin, afin que le Service puisse remplir son mandat national, répondre aux exigences opérationnelles et demeurer efficace. À cet égard, la politique précise également que le directeur ou son remplaçant a pleinement le pouvoir de réaffecter tout employé du SCRS afin de répondre aux exigences organisationnelles.

[70] La Commission et l'intimé ont tous deux laissé entendre que la mobilité faisait partie intégrante de la description de poste de l'agent du renseignement. Je ne doute nullement que M. Stevenson était conscient, dès le moment où il a été recruté par le Service de sécurité de la GRC, qu'il serait tenu de se déplacer aux endroits où ses services seraient requis. En outre, il semble que ce soit l'employé qui, souvent, prenne l'initiative de demander une réinstallation; dans la plupart des cas, il serait probablement dans le meilleur intérêt des deux parties qu'il y ait entente mutuelle. Cependant, il est entendu dans une organisation comme le SCRS que l'employeur peut exiger que l'employé aille travailler dans une autre ville contre son gré. En l'espèce, je suis convaincu que la capacité de M. Stevenson d'aller travailler à l'Administration centrale est devenue partie intégrante de l'évaluation de santé. Je suis disposé à admettre que l'exigence de mobilité faisait partie intégrante de la norme en fonction de laquelle la capacité de M. Stevenson d'exercer ses fonctions à titre d'agent du renseignement a été évaluée. Le moment est venu de déterminer si le Service canadien du renseignement de sécurité a établi un moyen de défense fondé sur l'exigence professionnelle justifiée en fonction d'une norme comportant les éléments suivants : 1) l'aptitude à exercer les fonctions prévues, 2) le pronostic de guérison, 3) l'exigence de la mobilité.

C. Application de la méthode Meiorin en l'espèce

i) Premier élément de l'analyse proposée relativement à l'EPJ

[71] Le premier élément du moyen de défense fondé sur l'EPJ qu'il faut prouver est que l'employeur a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution de la tâche. Dans la Politique HUM-604 sur les ressources humaines, on précise d'abord que le Service reconnaît qu'il existe un lien important entre la santé et les aptitudes des employés, d'une part, et l'exécution de leurs fonctions, d'autre part. On peut demander une évaluation de santé pour évaluer si l'aptitude de l'employé à continuer d'occuper son emploi dans les cas où il n'est plus en mesure d'exécuter les tâches nécessaires de façon régulière et soutenue en raison de sa piètre santé ou d'une déficience.

[72] Bien qu'il soit difficile de déterminer exactement la norme à appliquer à un agent du renseignement, nous pouvons supposer que l'individu doit être suffisamment en bonne santé pour accomplir ses tâches de façon sûre et efficace. Il faudrait également prévoir que l'exigence relative à l'exécution des fonctions de façon régulière et soutenue implique d'évaluer la durée raisonnable du congé de maladie ou d'invalidité, ainsi que le pronostic de réintégration intégrale des fonctions dans un délai raisonnable. Le troisième élément, à savoir la capacité de l'employé de supporter une réaffectation géographique pour répondre aux exigences du Service, implique de relever la barre d'un cran pour ainsi dire. Toutefois, comme le but général de la norme, tel qu'énoncé, est d'assurer l'exécution des fonctions de façon sûre et efficace -- éléments essentiels de toute activité professionnelle --, il n'est pas nécessaire de l'évaluer du point de vue de son caractère légitime. Je suis disposé à admettre qu'il existe un lien rationnel entre l'objet général de la norme et les tâches que l'agent du renseignement est censé exécuter.

ii) Deuxième élément de l'analyse proposée relativement à l'EPJ

[73] Selon la méthode Meiorin, il faut que l'employeur, une fois établi le caractère légitime de son but général, s'engage dans la deuxième étape, qui consiste à prouver qu'il a adopté la norme en question en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire à l'atteinte de son but et qu'il n'avait nullement l'intention d'exercer une discrimination à l'endroit du demandeur. J'ai ici aussi la conviction que la politique de l'intimé régissant les évaluations de santé, même si elle n'énonce aucun critère d'évaluation des normes de santé physique ou mentale, a été adoptée de bonne foi, tout comme d'ailleurs l'exigence voulant qu'un employé puisse être muté à une autre région géographique pour répondre aux besoins du Service.

[74] En l'espèce, le plaignant et la Commission ont laissé entendre que la mutation proposée de M. Stevenson à Ottawa visait un autre but que répondre aux besoins légitimes du Service, soit compter sur les services d'agents du renseignement chevronnés à la Direction des exigences, de l'analyse et de la production de l'Administration centrale. Toutefois, même si je conviens qu'il existait un élément de mauvaise foi dans la mutation de M. Stevenson à l'Administration centrale, je ne suis pas persuadé qu'il s'agissait en l'occurrence d'une discrimination fondée sur un des motifs de discrimination reconnus. L'application du troisième critère -- norme raisonnablement nécessaire à l'atteinte du but légitime lié au travail -- impliquera en tout état de cause de s'interroger sur la présence d'un élément de bonne foi.

iii) Troisième élément de l'analyse proposée relativement à l'EPJ

[75] En vertu du troisième critère de la méthode unifiée décrite dans Meiorin, l'employeur doit prouver que la norme est raisonnablement nécessaire à l'atteinte du but légitime lié au travail. Madame la juge McLachlin (titre qu'elle portait à l'époque) précise au paragraphe 72 :

Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu'il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l'employeur subisse une contrainte excessive.

L'intimé a la charge de démontrer qu'il lui était impossible, dans la poursuite de ce but, de composer avec les différences individuelles ou collectives sans subir une contrainte excessive. Tel qu'indiqué plus haut, l'emploi du mot excessive implique qu'une certaine contrainte est acceptable; toutefois, pour satisfaire au critère, il faut absolument que la contrainte soit excessive.

[76] Au paragraphe 62 de l'arrêt Meiorin, madame la juge McLachlin ajoute :

Il peut être idéal, du point de vue de l'employeur, de choisir une norme d'une rigidité absolue. Encore est-il que, pour être justifiée en vertu de la législation sur les droits de la personne, cette norme doit tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes de chaque personne, dans la mesure où cela n'impose aucune contrainte excessive.

Elle fait ensuite état de certains facteurs mentionnés dans l'arrêt Central Alberta Dairy Pool (11), notamment le coût de la méthode d'accommodement possible, l'interchangeabilité relative des employés et des installations, de même que la perspective d'atteinte réelle aux droits d'autres employés. Elle réitère également l'exigence voulant que ces facteurs soient appliqués d'une manière souple et conforme au bon sens, en fonction des faits de chaque cas (12)

[77] Selon la juge McLachlin, les cours de justice et les tribunaux administratifs devraient également tenir compte des diverses manières dont il est possible de composer avec les capacités d'un individu. Au paragraphe 64, elle précise :

Les aptitudes, les capacités et l'apport potentiel du demandeur et de ceux qui sont dans la même situation que lui doivent être respectés autant qu'il est possible de le faire. Les employeurs, les cours de justice et les tribunaux administratifs devraient être innovateurs tout en étant pratiques lorsqu'ils étudient la meilleure façon de le faire dans les circonstances en cause.

Elle fournit ensuite des exemples de questions importantes qu'on peut poser dans le cadre de l'analyse : l'employeur a-t-il cherché à trouver des méthodes de rechange qui n'ont pas d'effet discriminatoire? Si des normes différentes ont été étudiées et jugées susceptibles de réaliser l'objet visé par l'employeur, pourquoi n'ont-elles pas été appliquées? Cependant, la question qui est sans doute la plus pertinente en l'espèce est la suivante : Est-il nécessaire que tous les employés satisfassent à la norme unique pour que l'employeur puisse réaliser l'objet légitime qu'il vise, ou est-il possible d'établir des normes qui reflètent les différences et les capacités collectives ouindividuelles (13)?

[78] L'application de cette méthode d'analyse au cas qui nous occupe nous amène à conclure que le SCRS n'a pas fait l'effort nécessaire pour composer avec M. Stevenson après avoir appris qu'il était atteint d'une déficience mentale.

[79] La preuve révèle que les problèmes de santé mentale de M. Stevenson remontent à octobre 1995, moment où son intégrité a été mise en doute à la suite d'une fuite de renseignements de nature délicate. M. Stevenson a été prié de se soumettre à un test polygraphique, qu'il a réussi. Quelques mois plus tard, il a été muté à un autre service -- mesure qu'il a perçue comme une punition. En octobre 1996, M. Stevenson a été informé qu'il était muté à Ottawa. La façon dont la nouvelle lui a été transmise par M. Grierson ne laisse planer aucun doute quant à l'élément de mauvaise foi que comportait sa mutation.

[80] En janvier 1997, M. Stevenson s'est enquis de la possibilité de prendre sa retraite en bénéficiant d'un ensemble d'avantages. On l'a informé de façon non équivoque qu'il ne ferait pas d'argent à la faveur d'une mutation. Il a alors demandé qu'on reporte de deux ans sa mutation afin de permettre que ses enfants puissent terminer leurs études universitaires, demande qui a été rejetée. On a toutefois accepté de reporter la mutation à septembre 1997, de même qu'une demande d'indemnité pour occupation temporaire de deux résidences en attendant que son fils termine ses études universitaires à Vancouver.

[81] M. Stevenson a continué d'exercer ses fonctions à Vancouver tout en faisant des préparatifs en vue de sa mutation à Ottawa. En avril 1997, il a fait ce qu'il croyait être une démarche privée en s'enquérant auprès d'un vieil ami de la possibilité de prendre un congé pour stress. En juin, il a consulté une psychologue des Services de santé du SCRS, qui lui a conseillé de demander l'annulation de sa mutation pour des raisons humanitaires. La psychologue a appuyé sa demande. M. Stevenson a produit deux autres rapports psychologiques établis par ses propres psychologues. Le 28 juillet 1997, on l'a informé du rejet de sa demande d'annulation de la mutation tout en lui indiquant que des ressources médicales seraient à sa disposition à Ottawa. On lui a précisé que son poste se trouvait à Ottawa et qu'il devait aller travailler là-bas, avec ou sans sa famille.

[82] La correspondance que M. Stevenson a échangée avec ses supérieurs indique clairement qu'en juillet 1997, le plaignant était en proie à beaucoup de stress et suivait une thérapie intensive pour dépression. Il est difficile de comprendre pourquoi ses superviseurs n'ont pas accepté de déroger à la règle de la mobilité dans le cas d'un employé qui avait alors accumulé 26 années d'excellents services au sein du Service de sécurité de la GRC et du SCRS. Le report de la mutation de juin à septembre et l'indemnité pour occupation temporaire de deux résidences peuvent difficilement être qualifiés de mesures d'accommodement à l'égard de M. Stevenson. L'idée voulant que des ressources médicales soient à sa disposition de même qu'à celle de sa famille à Ottawa était pour le moins gratuite. Il ne s'agissait nullement de mesures d'accommodement.

[83] La réaction de MM. Van't Slot, Outhwaite et Bulatovic à la demande d'août 1997 visant l'obtention d'un congé de trois mois a été excessivement rapide et négative. Il est très évident que les superviseurs de M. Stevenson percevaient cette demande comme une tentative pour se soustraire à l'ordre de mutation à l'Administration centrale. M. Bulatovic s'était déjà fait une idée avant que l'évaluation de santé soit établie : ou M. Stevenson prenait sa retraite, ou on l'obligeait à prendre sa retraite pour des raisons médicales, ou on l'obligeait à aller travailler à Ottawa. Il avait déjà décidé qu'il n'y avait pas d'emploi pour lui à Vancouver.

[84] La manière dont l'évaluation de santé a été réalisée soulève également des doutes quant à l'absence de bonne foi. Le rapport provisoire du 18 novembre 1997 du Dr Fibiger à Mme Dodd portait sur tous les aspects d'une bonne évaluation de santé, notamment la capacité de remplir les fonctions du poste occupé, le pronostic de rétablissement complet dans un délai raisonnable et l'opportunité de reporter la mutation afin d'assurer un rétablissement complet dans un laps de temps plus court. Le rapport du 10 décembre 1997 a confirmé que M. Stevenson était à l'époque inapte à réintégrer ses fonctions habituelles et qu'il serait peut-être apte à reprendre pleinement le travail sans restrictions, six mois plus tard. Elle a également confirmé qu'il n'était pas en mesure à ce moment-là de supporter une mutation de Vancouver. Il est difficile de comprendre pourquoi Mme Dodd a demandé de plus amples précisions le 17 décembre 1997 quant aux raisons pour lesquelles M. Stevenson n'était pas en mesure alors de venir travailler à Ottawa. L'explication fournie à l'audience, à savoir qu'elle a entrepris cette démarche parce qu'il n'y avait pas de poste pour lui à Vancouver, indique qu'on n'avait pas l'intention de tenter de composer avec M. Stevenson par rapport à l'ordre de mutation à l'Administration centrale, et ce en dépit de la recommandation de la présidente du Comité d'évaluation de santé.

[85] On a demandé à Mme Dodd en contre-interrogatoire si elle avait eu des entretiens avec la direction quant à la possibilité de composer avec M. Stevenson. Elle a répondu qu'elle n'avait pas eu d'entretiens du genre. Son explication voulant qu'elle n'ait pas participé au processus visant à déterminer si des mesures d'accommodement étaient possibles va à l'encontre de la politique HUM-604 sur les ressources humaines, qui précise que le chef, Services de santé, doit évaluer les conclusions et recommandations énoncées dans l'évaluation de santé et présenter au sous-directeur, Ressources humaines, un rapport final indiquant que l'employé est apte, inapte ou apte sous réserve de certaines restrictions à continuer d'exercer ses fonctions au sein du Service. La politique précise également que, dans les cas où l'employé est jugé apte sous réserve de certaines restrictions, le rapport du chef, Services de santé, doit comporter un avis à la direction quant aux mesures d'accommodement possibles à l'égard de l'employé. Il est difficile de croire qu'une personne occupant un poste comme celui de Mme Dodd ne puisse comprendre son rôle dans le processus d'évaluation de la santé et omette, par conséquent, de présenter à la direction des recommandations quant aux mesures d'accommodement possibles.

[86] La preuve révèle que Mme Dodd ne comprenait nullement le rôle du chef, Services de santé, dans le processus d'évaluation de la santé. Voici quelques-uns des commentaires qu'elle a émis lors du contre-interrogatoire :

[Traduction]

Je n'interviens pas dans le processus d'évaluation de la santé. J'assure la liaison avec l'employé en ce sens que c'est moi qui amorce le processus, qui explique en quoi consiste celui-ci, qui répond aux questions à son sujet ou à propos de la politique et qui demande à l'employé de fournir les noms de médecins. Je ne joue aucun rôle à quelque étape que ce soit du processus. Dès qu'un avis m'est transmis, je l'achemine par la filière (14).

Dès que je reçois l'avis et les renseignements médicaux, je n'interviens pas dans la décision portant sur la capacité fonctionnelle de l'intéressé (sic), ses restrictions ou les possibilités d'accommodement. Je ne suis pas mêlée au processus de consultation visant à déterminer s'il y a lieu de prendre des mesures d'accommodement; c'est une question qui relève de la direction, c'est-à-dire de mon directeur général et des autres gestionnaires (15).

[87] Mme Dodd a fait une autre révélation plutôt étonnante en indiquant qu'elle n'avait nullement tenu compte du rapport initial de quatre pages établi par le Dr Fibiger le 18 novembre 1997. Elle a invoqué comme raison qu'il s'agissait d'un rapport provisoire et non d'un rapport définitif. Elle ne tient compte que des rapports définitifs. Interrogée au sujet de l'observation du Dr Fibiger dans son rapport provisoire selon laquelle il était possible que M. Stevenson puisse réintégrer ses fonctions et éventuellement supporter une mutation à l'extérieur de Vancouver, elle a répondu que le rapport définitif ne fournissait pas cette information. L'eut-il fourni, elle aurait fait état de ce fait dans sa conclusion. En fait, Mme Dodd a affirmé dans son témoignage qu'elle avait été la seule à lire le rapport du 18 novembre 1997 du Dr Fibiger. Personne d'autre au sein de la direction n'en a pris connaissance. Son explication : il ne s'agissait que d'un rapport provisoire, qu'elle a d'ailleurs retourné au Dr Fibiger parce qu'on ne versait pas de rapports provisoires aux dossiers. Elle a également déclaré que le rapport comportait des éléments de diagnostic et que personne n'est médecin et en mesure d'interpréter cette information; par conséquent, personne ne devrait en prendre connaissance, bien évidemment.

[88] On a agi de façon irresponsable et injustifiée en omettant d'utiliser ou de prendre en compte l'information que renfermait le rapport du Dr Fibiger en date du 18 novembre 1997 relativement à la nature de la maladie de M. Stevenson, au pronostic de rétablissement complet dans six mois à peine et à la suggestion voulant qu'on compose avec lui au moment de son retour en lui permettant de travailler à Vancouver pendant un certain temps. Il importe peu à ce moment-ci de se demander si cette façon d'agir était attribuable à de l'incompétence ou à de la mauvaise foi, compte tenu du fait que l'évaluation de santé a eu pour effet de mettre fin prématurément à une éminente carrière. Cela dit, je ne blâme nullement le Dr Fibiger de ce résultat. C'était la première fois que le SCRS faisait appel à ses services, et je doute qu'elle s'attendait à ce que son rapport du 10 décembre 1997 et la précision subséquente du 17 décembre 1997 représenteraient la somme de son travail d'évaluation relativement à la situation de M. Stevenson.

iv) Le congé de maladie en tant qu'élément d'accommodement

[89] J'ai déjà mentionné le fait que la politique sur les évaluations de santé adoptée par l'intimé, qui définit la norme que l'agent du renseignement doit respecter en matière de santé pour continuer d'exercer ses fonctions, ne comportait aucun critère d'évaluation pertinent ou transparent. Il y avait également un manque de transparence en ce qui concerne les congés de maladie auxquels les employés du SCRS avaient droit. M. Stevenson a affirmé dans son témoignage qu'à titre d'ancien membre de la GRC muté au SCRS, il avait droit aux mêmes congés de maladie que les membres de la GRC. Il a précisé qu'il n'y avait pas de limite aux congés de maladie. Il a également affirmé dans son témoignage que lors de ses conversations avec M. Spilchak, l'un et l'autre avait fait état du fait qu'à titre d'ex-membres de la GRC, on leur avait promis qu'il leur serait toujours possible de revenir au travail dans la mesure où une guérison était possible. M. Spilchak avait prévenu M. Stevenson que le SCRS avait commencé à limiter la durée des congés pour stress, en raison de l'abus du régime de congés de maladie illimités. M. Spilchak avait indiqué que la durée d'un congé pour stress ne pouvait dépasser six mois.

[90] La politique écrite de l'intimé sur les congés de maladie ne nous éclaire pas davantage. Cette politique (HUM-718) précise que les employés ont droit à 1,25 jour de congé de maladie par mois, avec la possibilité d'une prolongation de 25 jours en cas de congé d'accident du travail. L'annexe 2 de la politique HUM-718 précise également que les ex-membres de la GRC qui bénéficient d'une clause de droits acquis ne sont pas assujettis au système de crédits de congé de maladie. Lorsqu'ils ne sont pas en mesure de travailler pour cause de maladie ou d'accident de travail, des congés de maladie peuvent leur être accordés. La politique ne prévoit aucune limite. Il semble que la seule exigence est que les demandes de congé de maladie de plus de 20 jours consécutifs soient approuvées par le directeur général de l'employé.

[91] À l'audience, M. Spilchak a été prié d'expliquer son interprétation de la politique sur les congés de maladie, telle qu'elle s'applique aux ex-membres de la GRC. Il a répondu :

[Traduction]

Bien, nous avons ce qu'ils appellent des congés de maladie illimités, ce qu'on perçoit comme une police d'assurance. Par conséquent, si vous êtes malade, vous bénéficiez du nombre de jours dont vous avez besoin pour vous rétablir, mais vous ne pouvez reporter les congés de maladie comme le font les autres employés. M. Spilchak a ajouté qu'un de ses collègues qui est dans la GRC à Edmonton a le cancer et est en congé de maladie depuis presque deux ans. Comme le pronostic veut qu'il prendra du mieux et sera en mesure de revenir au travail, il bénéficie d'un congé de maladie avec pleine rémunération. Par ailleurs, selon M. Spilchak, cet employé n'aura pas une pleine charge de travail lorsqu'il réintégrera ses fonctions.

[92] Le témoignage de M. Spilchak donne à croire que nous sommes en présence d'une double norme. D'une part, l'employé atteint d'une maladie physique comme le cancer bénéficie de congés de maladie presque illimités dans la mesure où un retour au travail est possible. D'autre part, celui qui demande un congé pour stress, ce qui implique un élément de déficience mentale, ne peut bénéficier d'un congé de plus de six mois. Bien que la preuve en ce qui touche le membre de la GRC soit anecdotique, le fait que la politique HUM-718 fasse mention de la clause de droits acquis dont bénéficient les ex-membres de la GRC donne à croire que les dispositions relatives aux congés de maladie qui s'appliquent aux ex-membres de la GRC faisant partie du SCRS devaient être plus avantageuses que celles qui s'appliquent aux nouveaux employés de l'organisme. Par conséquent, il est difficile de comprendre pourquoi M. Stevenson n'a pas bénéficié des mêmes mesures d'accommodement que celles auxquelles il aurait eu droit si on lui avait diagnostiqué une autre maladie.

[93] L'omission de définir congés de maladie illimités à l'annexe 2 de la politique HUM-718 peut en soi représenter une raison de mettre en doute le caractère adéquat de la norme relative à la santé des employés du SCRS. Madame la juge McLachlin a déclaré dans Meiorin :

La norme qui fait inutilement abstraction des différences entre les personnes va à l'encontre des interdictions contenues dans les diverses lois sur les droits de la personne et doit être remplacée. La norme elle-même doit permettre de tenir compte de la situation de chacun, lorsqu'il est raisonnablement possible de le faire. Il se peut que la norme qui permet un tel accommodement ne soit que légèrement différente de la norme existante, mais il est reste qu'elle constitue une norme différente (16).

[94] M. Douglas Outhwaite, directeur général, Services du personnel, a témoigné en faveur de l'intimé à l'audience. Il a déclaré que si le rapport d'évaluation de santé du Dr Fibiger avait indiqué que M. Stevenson aurait été en mesure de revenir au travail après un certain délai, ils auraient fait tout en leur pouvoir pour lui trouver un poste et garder quelque chose pour lui durant cette période. Il a indiqué qu'on se serait d'autant plus efforcé de le faire que M. Stevenson était un agent du renseignement chevronné. Même s'il a tenté à un moment donné de prétendre que le fait que M. Stevenson n'ait pas comblé le poste à l'Administration centrale avait empêché le Service de remplir le mandat prescrit par la loi, il a avoué que le poste de M. Stevenson a été occupé par un autre agent du renseignement aguerri. Le SCRS est un organisme qui compte environ 2 000 employés, dont le tiers sont des agents du renseignement. Il est donc difficile d'imaginer que la perte d'un agent du renseignement aguerri pendant une certaine période puisse avoir de lourdes conséquences sur le Service. À mon avis, l'intimé n'a pas réussi à prouver que le maintien d'un poste pour M. Stevenson lui aurait causé un préjudice, voire un préjudice indu.L'intimé n'a pas tenté

[95] d'invoquer l'excuse du préjudice économique indu comme motif du non-accommodement de M. Stevenson. De toute façon, comme le budget annuel de l'organisation se chiffrait à quelque 171 millions de dollars en 1998, un tel argument n'aurait pas été digne de foi.

[96] Par conséquent, je suis d'avis que la politique du SCRS ne tient pas suffisamment compte des mesures d'accommodement possibles lorsqu'un employé est atteint d'une déficience liée à la santé. La politique sur les congés de maladie, telle qu'elle s'applique particulièrement aux ex-membres de la GRC, est vague et prête à des abus de la part de la direction. Je suis persuadé que dans le cas de M. Stevenson, on n'a pas vraiment tenté de tenir compte de sa déficience. L'intimé n'a pas réussi à prouver qu'il lui aurait été impossible de composer avec M. Stevenson sans subir une contrainte excessive. Je suis persuadé que M. Stevenson a été défavorisé en cours d'emploi en raison de sa déficience mentale, ce qui va à l'encontre des dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

V. MESURES DE REDRESSEMENT

[97] Le Tribunal ayant conclu que M. Stevenson a été défavorisé en cours d'emploi par l'intimé, le SCRS, pour un motif de distinction illicite, à savoir la déficience mentale, il lui incombe maintenant de déterminer les mesures de redressement appropriées. À cet égard, je dois m'en remettre à l'article 53 de la Loi, ainsi qu'à la jurisprudence qui a établi que dans les cas de discrimination, l'indemnisation a pour objet de remettre la victime dans la position où elle aurait été, n'eut été de l'acte discriminatoire, sous réserve des principes de la prévisibilité raisonnable et du caractère lointain du dommage (17).

[98] Le plaignant et la Commission demandent les mesures de redressement suivantes :

  1. le versement de dommages-intérêts pour compenser les pertes de revenu antérieures et futures, y compris le rajustement de la pension, le paiement des congés annuels, l'indemnité de tenue civile et la prime d'ancienneté;
  2. les dépenses effectivement engagées, y compris les dépenses liées aux soins de santé et les frais juridiques, sans s'y limiter;
  3. le versement d'intérêts à l'égard des dommages-intérêts spéciaux;
  4. l'octroi d'une indemnité de 20 000 $ pour préjudice moral;
  5. l'octroi d'une indemnité spéciale de 20 000 $, conformément au paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (version modifiée, 1998);
  6. la présentation d'une lettre d'excuses dont la teneur aura été approuvée par le plaignant et la Commission;
  7. l'établissement d'un énoncé de principe voulant que l'intimé se dote de politiques et pratiques pour éviter que l'acte discriminatoire se reproduise à l'avenir et assurer que les mesures correctives prises de concert avec la Commission soient diffusées et appliquées à l'échelle de l'organisme et que la formation nécessaire soit donnée pour renseigner la direction au sujet de l'obligation de prendre des mesures d'accommodement en milieu de travail à l'égard des personnes atteintes d'une déficience.

A. Pertes de revenu

[99] L'alinéa 53(2)c) de la Loi prévoit que s'il juge la plainte fondée à l'issue de son enquête, le Tribunal peut ordonner à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l'acte.

[100] Je suis persuadé que M. Stevenson devrait être indemnisé de toute perte de revenu résultant de sa cessation d'emploi prématurée à titre d'agent du renseignement. Les avocats de la Commission et l'intimé ont indiqué à ce Tribunal durant l'audience que le calcul des pertes de revenu antérieures ou futures serait fait par un actuaire choisi par accord mutuel entre les parties. Je suis disposé à donner aux parties l'occasion de nommer un actuaire et de s'entendre sur le total des pertes de revenu, y compris les avantages sociaux, sous réserve des paramètres définis dans la présente.

[101] Tel qu'indiqué plus haut, M. Stevenson a été congédié pour raisons médicales à compter du 14 février 1998. À ce moment-là, il aurait justifié de 26 années et demie de service. Il convient maintenant de se demander combien d'années supplémentaires M. Stevenson aurait accumulées avant de prendre sa retraite de son plein gré. M. Stevenson a indiqué dès juillet 1996, dans son évaluation de rendement, qu'il quitterait probablement le Service dans les deux années à venir. Son congé pour raisons médicales a débuté en août 1997. On peut raisonnablement présumer que M. Stevenson n'aurait pas pris volontairement sa retraite alors qu'il était en congé de maladie avec pleine rémunération. À l'audience, M. Stevenson a indiqué qu'il aurait probablement pris sa retraite dans deux ans, mais qu'il n'avait pas eu le loisir de continuer d'exercer ses fonctions après ce délai, compte tenu particulièrement du fait que six mois après son renvoi, tous les agents du renseignement, quel que soit leur niveau, ont bénéficié d'une augmentation de salaire à la faveur d'un reclassement. À son avis, cela aurait pu influencer sa décision quant au moment de quitter. La durée maximale de service pour qu'il ait droit au maximum comme pension était de 34 ans et un jour.

[102] Je suis persuadé que M. Stevenson ne serait pas demeuré en poste jusqu'à ce qu'il ait accumulé 34 ans et un jour de service; toutefois, je suis convaincu qu'il serait injuste de le limiter à deux autres années, compte tenu de l'évolution possible de la situation, notamment de l'augmentation de la rémunération versée aux agents du renseignement et de son retour probable en bonne santé. J'ai donc décidé que M. Stevenson devrait être indemnisé comme s'il avait accumulé au total 30 ans et un jour de service, ce qui représente environ un an et demi de plus que les deux années prévues par M. Stevenson.

[103] En ce qui concerne l'indemnisation des pertes salariales, le Tribunal doit examiner si le plaignant a tenté d'atténuer ces pertes en cherchant à obtenir d'autres emplois rémunérés. M. Stevenson a indiqué qu'il avait occupé de temps à autre un autre emploi. Bien que peu d'éléments de preuve aient été présentés quant aux efforts qu'il a déployés pour trouver un autre emploi après son renvoi, je suis conscient qu'il incombe au défendeur, dans une affaire de renvoi injuste, de démontrer au tribunal que le demandeur a négligé de prendre des mesures raisonnables pour atténuer ses pertes (18). Quoi qu'il en soit, je suis persuadé que M. Stevenson a fait des efforts raisonnables à cet égard. Par conséquent, on ne déduira du total des pertes salariales que les sommes vraiment gagnées par M. Stevenson au cours de la période jusqu'au moment où il aurait accumulé 30 années et un jour de service.

[104] En ce qui concerne ses pertes de revenu, et compte tenu du principe voulant que le plaignant soit entièrement indemnisé des pertes de revenu subies, j'estime que M. Stevenson a droit à tout rajustement nécessaire pour qu'il soit dans la position où il aurait été, en ce qui touche sa pension, la pension du Canada, l'assurance-emploi, l'assurance-maladie collective complémentaire et tout autre avantage, remboursement ou rémunération dont il aurait bénéficié, s'il avait travaillé 30 années et un jour avant de prendre sa retraite de son plein gré.

[105] Le plaignant a également droit à un montant majoré afin de tenir compte des conséquences fiscales du versement d'une somme forfaitaire au cours d'une année donnée (19).

[106] Les coûts liés au recours à un actuaire pour calculer les pertes de revenu antérieures ou futures devraient être assumés par l'intimé. Les parties doivent s'entrendre sur le choix de l'actuaire dans les 21 jours suivant la date de cette décision, et l'actuaire choisi doit terminer le calcul des pertes de revenu, y compris les avantages sociaux, dans les 60 jours suivant sa nomination.

B. Dépenses réellement engages

[107] Le plaignant a présenté une liste de dépenses qui, prétend-il, sont directement attribuables à l'acte discriminatoire commis par l'intimé et qu'il désire se faire rembourser (pièce HR-3). L'une des dépenses figurant sur la liste a trait à des frais dentaires engagés après la cessation d'emploi. Ces sommes sont recouvrables à titre de pertes de revenu (voir la rubrique Pertes de revenu ci-dessus), car il s'agissait d'un avantage auquel M. Stevenson avait droit à titre d'employé du SCRS. La perte de salaire correspondant à la durée de l'audience de ce Tribunal constitue un élément distinct. Étant donné que la période indemnisable au titre des pertes de salaire va au-delà de la date de l'audience et que seuls les salaires vraiment gagnés seront déduits de la somme totale à payer, le plaignant se trouve à être indemnisé pour le salaire perdu durant l'audience. Il n'a donc pas droit à une indemnisation supplémentaire pour sa participation à l'audience.

[108] Les autres postes de réclamation ont trait aux frais juridiques, d'affranchissement, de photocopie, de télécopie et de messagerie. Le montant réclamé au titre des frais juridiques s'élève à 3 994,64 $. Il convient de noter au départ que M. Stevenson n'a pas été représenté par un avocat à l'audience. Il s'en est remis à l'avocat de la Commission, qui a représenté ses intérêts de même que l'intérêt public. Il n'est pas rare que le Tribunal canadien des droits de la personne adjuge des dépens lorsque le plaignant est représenté par son propre avocat (20). J'estime que l'adjudication de dépens en l'espèce est justifiée, mais qu'il n'y a pas lieu d'accorder la totalité du montant réclamé. Selon les copies des relevés d'honoraires des avocats du plaignant, M. Stevenson a consulté un avocat au moment de son renvoi avant de présenter une plainte relative aux droits de la personne; on constate également que certains des services rendus avaient trait aux exposés écrits présentés à la Commission canadienne des droits de la personne. Je suis conscient également du fait que le plaignant avait pris des dispositions en vue de déposer un grief devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique et qu'il a subséquemment renoncé à cette démarche. Ce Tribunal estime qu'il n'a pas le pouvoir d'adjuger des dépens ayant rapport à la revendication de droits devant une tribune différente. Je suis toutefois convaincu que le plaignant avait le droit de consulter un avocat relativement à la possibilité de porter plainte à la Commission canadienne des droits de la personne et que l'aide juridique dont il a bénéficié pour la préparation des exposés soumis à la Commission était nécessaire. Ces dépenses étaient un résultat raisonnablement prévisible de l'acte discriminatoire. Je suis donc disposé à adjuger au plaignant certains dépens, dont je fixe le montant à 2 000 $, y compris les frais d'affranchissement, de photocopie, de télécopie et de messagerie.

C. Intérêts

[109] Les tribunaux des droits de la personne adjugent des intérêts afin d'indemniser suffisamment la victime (21). À mon avis, M. Stevenson a droit à des intérêts simples sur la perte de salaire nette à compter du moment de son renvoi jusqu'à la date de la présente décision. Le taux d'intérêt applicable sera celui des Obligations d'épargne du Canada.

D. Indemnité pour préjudice moral

[110] L'avocat de la Commission a proposé que ce Tribunal accorde une indemnité pouvant atteindre 20 000 $ pour compenser le préjudice moral dont a souffert la victime par suite de l'acte discriminatoire, conformément à l'alinéa 53(2)e) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, tel que modifié en juin 1998. Avant d'être modifié, le paragraphe 53(3) prévoyait qu'un Tribunal pouvait accorder à la victime une indemnité d'au plus 5 000 $ s'il estimait que l'acte était délibéré ou inconsidéré ou que la victime en avait souffert un préjudice moral. Selon l'avocat de l'intimé, l'indemnité spéciale accordée par ce Tribunal ne peut dépasser la limite que prévoyait la Loi au moment où l'acte discriminatoire a été commis.

[111] Eu égard aux motifs énoncés par la présidente du Tribunal (Mactavish) dans Nkwazi c. Service correctionnel du Canada (22), j'estime également que les modifications apportées à la Loi canadienne sur les droits de la personne à compter du 30 juin 1998 ne s'appliquent pas rétroactivement aux actes discriminatoires commis en janvier ou février 1998. Il s'agit de modifications de fond et non de modifications d'ordre strictement procédural. Même si j'estime que la limite de 5 000 $ prescrite au paragraphe 53(3) de la Loi avant qu'elle soit modifiée est tout à fait insuffisante en l'espèce, je ne puis envisager l'octroi d'une somme supérieure. Cela dit, je suis d'avis que M. Stevenson devrait recevoir la somme de 5 000 $ à titre d'indemnité pour préjudice moral. Je suis convaincu que l'acte discriminatoire commis par l'intimé a aggravé les troubles mentaux de M. Stevenson. M. Stevenson est une personne fière qui a rendu d'excellents services à son employeur au fil des années. Les actes posés par l'intimé ont infligé de grandes souffrances à M. Stevenson, y compris un énorme préjudice moral. L'indemnité maximale est pleinement justifiée en l'espèce.

[112] Bien que la somme accordée à titre d'indemnité spéciale puisse être majorée des intérêts, le versement d'intérêts ne peut faire en sorte que l'indemnité dépasse la limite de 5 000 $ prescrite par la Loi (23). Comme j'ai déjà accordé à M. Stevenson l'indemnité maximale, je ne puis ordonné le versement d'intérêts à l'égard de l'indemnité spéciale.

E. Indemnité spéciale accordée en vertu du paragraphe 53(3)

[113] Le paragraphe 53(3) de la Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit le versement d'une indemnité spéciale ne dépassant pas 20 000 $ lorsque le Tribunal juge que l'acte discriminatoire a été délibéré ou inconsidéré. Cette disposition a été adoptée dans la foulée des modifications du 30 juin 1998. Eu égard aux mêmes motifs que ceux énoncés ci-dessus en ce qui concerne l'indemnité pour préjudice moral pouvant être versée en vertu de l'alinéa 53(2)e), je ne puis accorder quelque indemnité que ce soit en vertu de cette disposition. L'indemnité pouvant être accordée dans le cas d'un acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré était visée antérieurement par l'alinéa 53(3)a) et assujettie à la même limite monétaire de 5 000 $. Si le nouveau paragraphe 53(3) avait été en vigueur à la date où l'acte discriminatoire a été commis en l'espèce, j'aurais été enclin à accorder une somme appréciable à ce chapitre également.

F. Lettre d'excuses

[114] M. Stevenson demande que le Tribunal ordonne au SCRS de lui présenter une lettre d'excuses. Dans les cas où la conduite de l'intimé a été empreinte d'insensibilité, les tribunaux des droits de la personne ont ordonné la présentation d'excuses (24). J'ai conclu que la conduite du personnel et des membres de la direction qui ont participé à l'évaluation de santé et au renvoi de M. Stevenson a été irresponsable et injustifiée et qu'on a mis fin prématurément à une carrière éminente par incompétence ou mauvaise foi. J'ordonne donc que le directeur du SCRS présente à M. Stevenson une lettre d'excuses officielle dans les 30 jours suivant la présente décision. Le directeur consultera la Commission quant à la forme et la teneur de cette lettre d'excuses et il la soumettra à son approbation.

G. Révision des politiques

[115] L'avocat de la Commission demande que ce Tribunal ordonne à l'intimé de modifier ses politiques en matière de ressources humaines afin que l'acte discriminatoire commis en l'espèce ne puisse se reproduire. En outre, la Commission propose que ces politiques soient modifiées de concert avec la Commission et que les modifications apportées soient diffusées et appliquées dans l'ensemble de l'organisation. La Commission propose également que l'on renseigne la direction au sujet de l'obligation de composer avec les personnes atteintes d'une déficience. Je souscris à ces suggestions; par conséquent j'ordonne à l'intimé de se concerter avec la Commission afin d'améliorer ses politiques dans ces domaines et d'appliquer comme il se doit les nouvelles politiques.

H. Conservation de la compétence

[116] Je conserve ma compétence pour le cas où les parties ne seraient pas en mesure de s'entendre sur la mise en application de toute mesure de redressement ordonnée en vertu de cette décision ou au sujet des sommes à accorder à titre d'indemnités en vertu de la présente.

VI. AUTRES QUESTIONS

[117] Le premier jour de l'audience en l'espèce, les avocats de la Commission et de l'intimé ont été priés de commenter l'application, le cas échéant, de l'arrêt rendu par madame la juge Tremblay-Lamer, de la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, dans l'affaire Bell Canada c. ACET, Femmes Action et Commission canadienne des droits de la personne (25), qui avait été prononcé quatre jours auparavant. Cet arrêt précisait que le Tribunal canadien des droits de la personne n'était pas autonome et impartial en tant qu'institution. Par conséquent, la cour a ordonné une suspension des procédures dans l'affaire Bell Canada jusqu'à ce que la loi créant le Tribunal canadien des droits de la personne soit modifiée. L'avocat de la Commission a fait valoir que l'arrêt Bell Canada ne s'appliquait pas en l'espèce. L'avocat de l'intimé, pour sa part, a soutenu très énergiquement que l'audience de ce Tribunal devait être ajournée pour les raisons énoncées par la juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Bell Canada. J'ai statué que l'arrêt Bell Canada n'influait pas sur la compétence de ce Tribunal et que cette audience devait se poursuivre en dépit des objections de l'avocat de l'intimé.

[118] Le prononcé de la décision du 24 mai 2001 de la Cour d'appel fédérale a eu pour effet de rendre cette question sans objet puisque le pourvoi de la Commission canadienne des droits de la personne a été accueilli et que la décision de la juge Tremblay-Lamer a été infirmée (26). Ce Tribunal avait le pouvoir et continue d'avoir le pouvoir d'instruire et de trancher la plainte de M. Stevenson.

VII. ORDONNANCE

[119] Eu égard aux motifs que j'ai énoncés, je déclare que l'intimé a enfreint les droits accordés à M. Stevenson par la Loi canadienne sur les droits de la personne et j'ordonne :

  1. que le SCRS indemnise M. Stevenson de toute perte de revenu résultant de la cessation prématurée de son emploi à titre d'agent du renseignement. Cette perte devra être calculée avec l'aide d'un actuaire choisi par les parties d'un commun accord dans les 21 jours suivant cette décision; de plus, ce calcul devra être terminé dans les 60 jours suivant la nomination de l'actuaire. La perte de revenu devra tenir compte de tous les rajustements nécessaires (pension, assurance-emploi, assurance-maladie collective complémentaire) et de tout autre remboursement ou rémunération auquel M. Stevenson aurait eu droit s'il avait travaillé pendant 30 ans et un jour et avait pris sa retraite de son plein gré. Seules les sommes vraiment reçues par M. Stevenson à titre de rémunération durant la période en question avant qu'il ait accumulé 30 ans et un jour de service seront défalquées du résultat obtenu. Une somme suffisante pour couvrir l'impôt supplémentaire à payer du fait du versement d'une somme forfaitaire visant à compenser la perte de revenu mentionnée ci-dessus sera incluse dans le calcul;
  2. que le SCRS verse à M. Stevenson une somme de 2 000 $ pour compenser les dépenses qu'il a réellement engagées;
  3. que des intérêts simples, calculés au taux des Obligations d'épargne du Canada, soient versés à l'égard de la perte de salaire nette;
  4. que le SCRS verse à M. Stevenson une indemnité de 5 000 $ pour compenser le préjudice moral qu'il a subi;
  5. que le directeur du SCRS présente à M. Stevenson, dans les 30 jours suivant cette décision, une lettre d'excuses dont la teneur aura été approuvée par la Commission;
  6. que le SCRS se concerte avec la Commission pour améliorer ses politiques et ainsi empêcher qu'un tel acte discriminatoire puisse se reproduire, et qu'il renseigne ses cadres de direction à propos de l'obligation de composer avec les personnes atteintes d'une déficience;
  7. que ce Tribunal conserve sa compétence pour le cas où les parties ne pourraient s'entendre sur la mise en application d'une des mesures de redressement ordonnées ou sur le calcul des indemnités à verser.

Originale signée par


Guy A. Chicoine, président

OTTAWA (Ontario)

Le 5 décembre 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T568/2600

INTITULÉ DE LA CAUSE : John Stevenson c. Service canadien du renseignement de sécurité

LIEU DE L'AUDIENCE : Vancouver (Colombie-Britannique)

(du 6 au 10 novembre et le 13 novembre 2000)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 5 décembre 2001

ONT COMPARU :

John Stevenson en son propre nom

Daniel Pagowski au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

James Mathieson au nom du Service canadien du renseignement de sécurité

1. 1 La plainte de M. Stevenson porte sur des événements survenus avant l'entrée en vigueur des modifications contenues dans le projet de loi S-5, qui a reçu la sanction royale le 12 mai 1998. Par conséquent, pour ce qui est des questions de droit substantiel, je me fonderai sur la version de la Loi qui existait avant l'adoption des modifications en 1998.

2. 2 Voir Bernard c. Conseil scolaire de Waycobah [1999] T.C.D.P. no 2, D.T. no 2/99, p. 12.

3. 3 [1999]3 R.C.S. 3.

4. 4 [1999] 3 R.C.S. 868.

5. 5 Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson Sears Limited, [1985] 2 R.C.S. 536, p. 558.

6. 6 À cet égard, l'arrêt Meiorin est conforme à la décision rendue dans Central Okanagan School District c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 984.

7. 7 Grismer, précitée, par. 32.

8. 8 Grismer, précitée, par. 42.

9. 9 Meiorin, précitée, par. 63.

10. 10 Grismer, précitée, par. 41 et 42.

11. 11 Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), 1990 2 R.C.S. 489, pp. 520 et 521.

12. 12 Meiorin, précitée, par. 63.

13. 13 Meiorin, précitée, par. 65.

14. 14 Transcription, pp. 432 et 433.

15. 15 Transcription, pp. 433 et 434.

16. 16 Meiorin, précitée, par. 68.

17. 17 Canada (Procureur général) c. McAlpine,[1989] C.F. 530 (C.A.).

18. 18 Levitt, dans The Law of Dismissal in Canada (Aurora: Canada Law Book, 1985), p. 234 : [Traduction] Il incombe à l'employeur de prouver dans un premier temps que l'employé n'a pas atténué ses pertes et dans un deuxième temps qu'il aurait pu trouver un autre emploi similaire s'il en avait cherché un.

19. 19 Singh c. Canada (Statistique Canada), (1999) 34 T.C.D.P D/203.

20. 20 Grover c. Canada (Conseil national de recherches), (1992) 18 C.H.R.R. D/1; Bernard c. Conseil scolaire de Waycobah, (2000) 36 T.C.D.P. D/51.

21. 21 Canada (Forces armées) c. Morgan (1991) 21 C.H.R.R. D/87 (C.A.F.); Bernard c. Conseil scolaire de Waycobah, précitée, note 20.

22. 22 Beryl Nkwazi c. Service correctionnel du Canada, (2001) D.T. 1/01, par. 257 à 270.

23. 23 Hébert c. Canada (Forces armées canadiennes), (1993) 23 C.H.R.R. D/107.

24. 24 Canada(Procureur général) c. Uzoaba, (1995) 2 C.F. 5f69 (D.T.); Hinds c. Canada (Emploi et Immigration), (1998), 24 C.C.E.L. 65, 10 C.H.R.R. D/5935 (T.C.D.P.); Grover v. Canada (Conseil national de recherches) (1992) 18 C.H.R.R. D/1, confirmée (1994) 80 F.T.R. 256.

25. 25 Bell Canada c. Canada (Commission des droits de la personne) (D.T), [2001] 2 C.F. 392; [2000] A.C.F. no 1747.

26. 26 Bell Canada c. Canada (Commission des droits de la personne) (C.A.), [2001] 3 C.F. 481; [2001] A.C.F. no 776; 2001 CAF 161.

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