Tribunal canadien des droits de la personne

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D.T. 9/92 Décision rendue le 31 juillet 1992

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. (1985), chap. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE:

STANLEY DWYER le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE la Commission

- et -

SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

l'intimée DÉCISION DU TRIBUNAL TRIBUNAL: Marilyn L. Pilkington Ruth S. Goldhar Ronald W. McInnes

ONT COMPARU:

R.F. Lee Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Zygmunt Machelak Avocat de la Société canadienne des postes

DATES ET LIEU DE L'AUDIENCE: 14 février, 27 et 28 mars, 8 et 9 avril, 11, 12 et 13 juin 1991 Toronto (Ontario) TRADUCTION

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I. LA PLAINTE

Le 5 janvier 1988, Stanley Dwyer a déposé devant la Commission canadienne des droits de la personne une plainte dans laquelle il a allégué que son employeur à l'époque, à savoir la Société canadienne des postes, avait exercé contre lui une discrimination fondée sur la race en contravention de l'art. 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il a invoqué deux incidents au soutien de l'affirmation selon laquelle il avait été traité différemment parce qu'il est de race noire. Premièrement, il a allégué qu'en janvier 1987, un gardien de sécurité lui avait refusé l'accès sans laissez-passer à l'Établissement de traitement des lettres jusqu'à ce que son superviseur autorise son entrée, alors que le même gardien de sécurité avait, cette fois-là, laissé entrer un employé de race blanche sans laissez-passer et sans autorisation. Deuxièmement, il a allégué que le 27 mai 1987, une employée de race blanche, Mme Guhl, à qui il apportait son aide en tant que délégué syndical, et lui-même avaient tous deux été accusés d'avoir quitté leur zone de travail respective sans permission et de s'être trouvés dans une zone où le port de chaussures de sécurité était requis sans être chaussés en conséquence, et qu'il avait été suspendu pendant cinq jours, tandis que Mme Guhl n'avait fait l'objet d'aucune mesure disciplinaire.

Au début de l'audience, il a été convenu d'ajourner la présentation de la preuve ayant trait aux mesures correctives jusqu'à ce que le Tribunal ait déterminé si la plainte était fondée. D'entrée de jeu, l'avocat de la Commission, M. Lee, a dit que la plainte portait sur [TRADUCTION] deux incidents bien définis et isolés. Il a indiqué qu'il allait citer plusieurs témoins qui viendraient raconter ce qu'ils avaient vu à propos des deux incidents et décrire l'atmosphère qui régnait à l'Établissement de traitement des lettres (ETL) du Centre principal d'acheminement (CPA) sur le plan des relations raciales (Tr., p. 11). Dans sa plaidoirie, il a longuement insisté sur le fait que cette affaire avait trait à [TRADUCTION] un milieu de travail malsain (Tr., p. 1152). Pour sa part, M. Dwyer a clos la présentation de ses arguments en nous demandant [TRADUCTION] de sauver des vies, d'empêcher que la santé des travailleurs de l'Établissement ne se détériore davantage, de protéger certaines travailleuses enceintes de l'Établissement qui ont été harcelées quotidiennement par la direction de la Société canadienne des postes à l'Établissement du CPA (Tr., p. 1178).

L'avocat de l'intimée, M. Machelak, a fait valoir que l'enquête se limitait aux incidents décrits dans la plainte et n'était pas une enquête générale sur les relations raciales ou sur d'autres conditions d'emploi à la Société canadienne des postes. Nous partageons le point de vue de M. Machelak et nous rappelons qu'une plainte déposée en vertu de l'article 7 de la Loi se rapporte à des actes précis commis à l'égard d'un employé en particulier. L'article 7 dispose en effet que :

Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

...

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

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Les motifs de distinction illicite, qui sont énumérés au paragraphe 3(1) de la Loi, comprennent la race et la couleur. Par opposition, l'article 10 de la Loi s'applique aux actes discriminatoires plus généralisés commis par un employeur. Nous avons donné à la Commission et au plaignant une certaine liberté d'action quant à la présentation de la preuve concernant les relations raciales à l'Établissement du CPA, mais nous constatons que cette preuve, dont il sera abondamment question ci-après, n'est pas d'une grande utilité pour instruire les sujets de plainte.

II. REPRÉSENTATION DU PLAIGNANT

Le premier jour d'audience, M. Dwyer était représenté par Mme A. Pietrantoni-Hardy, qui a cependant fait savoir au Tribunal dans une lettre qu'elle lui a fait parvenir avant le deuxième jour d'audience qu'elle se retirait du dossier pour des motifs pécuniaires et que M. Dwyer [TRADUCTION] serait désormais représenté par M. Lee, avocat de la Commission (Pièce T-1). Au début, on ne savait pas trop si l'avocat de la Commission représentait M. Dwyer en de telles circonstances. Aux termes de l'article 51 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le rôle de l'avocat de la Commission consiste à agir dans l'intérêt public, compte tenu de la nature de la plainte. Dans le cas qui nous occupe, les positions défendues par la Commission et le plaignant coïncidaient, et M. Lee a prêté main-forte à M. Dwyer pendant toute la durée de l'audience. M. Dwyer a lui- même pris une part active à l'instruction.

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III. LA PREUVE

Nous examinerons d'abord la preuve se rapportant aux incidents visés par la plainte, puis nous présenterons des observations sur la preuve se rapportant au climat racial à l'Établissement du CPA de la Société canadienne des postes.

1. Traitement différentiel présumé des employés sans laissez-passer

Dans sa plainte, M. Dwyer a allégué qu'en janvier 1987, un gardien de sécurité lui avait interdit l'accès sans laissez-passer à l'Établissement jusqu'à ce que son superviseur autorise son entrée, alors que le même gardien de sécurité avait, cette fois-là, laissé entrer un employé de race blanche sans laissez-passer et sans autorisation.

Il est reconnu que les employés qui se présentaient à l'Établissement du CPA de la Société canadienne des postes pour commencer leur quart devaient montrer leur laissez-passer aux gardiens de sécurité. Lorsqu'un employé n'avait pas son laissez-passer, le gardien de sécurité devait téléphoner à un superviseur pour qu'il autorise l'entrée de l'employé. M. Gus Raffai, qui était un surveillant de sécurité en 1987, a témoigné pour l'intimée que cette consigne s'appliquait à tous les employés sans distinction de race (Tr., p. 938). Il a indiqué qu'en 1987, six ou sept des vingt-quatre gardiens de sécurité et l'un des quatre surveillants étaient des membres de minorités visibles (Tr., p. 931).

Un ancien gardien de sécurité cité par l'intimée, M. Joseph Rizzutti, a témoigné que de cinq à dix employés oubliaient leur laissez-passer durant son quart au cours d'une semaine donnée, et qu'il leur refusait toujours l'accès à l'Établissement jusqu'à ce qu'un superviseur autorise leur entrée (Tr., p. 959).

Le témoin de la Commission, M. Edgar Cowie, qui a déjà travaillé comme gardien de sécurité à la Société canadienne des postes, a témoigné que la consigne relative à la présentation d'un laissez-passer [TRADUCTION] n'était pas du tout respectée (Tr., p. 111). D'après ses calculs, environ vingt-cinq employés oubliaient leur laissez-passer chaque semaine. Il a dit que les gardiens de sécurité de race blanche laissaient entrer certains employés de race blanche sans laissez-passer, mais obligeaient les employés de race noire à obtenir une autorisation (Tr., p. 112 et 113). Il a aussi mentionné que les gardiens de race blanche regardaient à peine le laissez-passer des employés de race blanche ou d'origine chinoise, mais examinaient attentivement celui des employés de race noire (Tr., p. 137). Lorsque M. Cowie s'est plaint que des employés entraient sans laissez-passer ou utilisaient un autre laissez-passer que le leur, il s'est fait dire que c'était O.K. (Tr., p. 134). M. Cowie a nié avoir lui-même fait l'objet d'une mesure disciplinaire pour avoir fait entrer un employé sans laissez-passer (Tr., p. 126), mais son superviseur, M. Raffai, a témoigné qu'il avait pris une mesure disciplinaire contre M. Cowie pour cette raison, et que M. Cowie avait présenté un grief contre la mesure disciplinaire (Tr., p. 939). M. Cowie a mentionné qu'il avait été congédié par la Société canadienne des

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postes à cause d'une déficience et qu'il s'était plaint à la Commission des droits de la personne qu'on n'avait pas tenu compte de sa déficience de la manière dont on le faisait dans le cas des déficiences des employés de race blanche (Tr., p. 119).

Dans la mesure où les dépositions de MM. Cowie et Raffai au sujet des directives ne concordent pas, nous jugeons que la déposition de M. Raffai est plus vraisemblable. Le fait qu'une mesure disciplinaire a été prise contre M. Cowie après qu'il eut fait entrer un employé sans laissez-passer appuie la conclusion selon laquelle les directives étaient effectivement appliquées. La seule autre déclaration voulant que les directives régissant l'accès à l'Établissement n'aient pas été appliquées de façon uniforme est celle de M. Dwyer, qui a rapporté ce que des employés qu'il n'a pas nommés lui avaient dit (Tr., p. 336 et 337). Nous n'accordons guère d'importance à ce oui-dire.

De toute façon, la question en litige dans le cas qui nous occupe est de savoir si les directives ont été appliquées de façon uniforme lors de l'incident qui est relaté dans la plainte.

M. Dwyer a témoigné qu'en arrivant à l'Établissement juste avant son quart un certain jour de janvier 1987, il s'est aperçu qu'il avait oublié le portefeuille dans lequel il mettait son laissez-passer. Selon M. Dwyer, un employé de race blanche nommé Gerry Sacher, qui était juste devant lui, a dit au gardien de sécurité qu'il avait oublié son laissez-passer et a pu entrer dans l'Établissement (Tr., p. 190). Le même gardien de sécurité a dit à M. Dwyer qu'il devait attendre qu'un superviseur le fasse entrer (Tr., p. 192 à 194). M. Dwyer a déclaré qu'il avait signalé le traitement différentiel dont il avait fait l'objet à son superviseur, M. Delmon Allan, ainsi qu'au directeur de l'Établissement, M. Roy Nias, mais qu'on n'avait rien fait (Tr., p. 194 à 198).

Les autres témoins ont démenti le récit de M. Dwyer. Le gardien de sécurité Joe Rizzutti a nié avoir fait entrer un employé sans laissez-passer (Tr., p. 956). Il a déclaré qu'il ne connaissait ni M. Sacher ni M. Dwyer en 1987 (Tr., p. 960). Il a dit qu'il n'avait pas réussi à mettre la main sur le registre de 1987 après qu'on eut dissous le service de sécurité et donné le travail à l'entreprise privé, mais qu'il avait consulté son calepin et n'y avait trouvé aucune mention d'un incident semblable à celui dont parlait M. Dwyer (Tr., p. 943, 988).

M. Gerry Sacher a témoigné qu'il ne se souvenait pas d'avoir oublié son laissez-passer en janvier 1987 et d'avoir été autorisé à entrer par le gardien de sécurité (Tr., p. 922). D'après son expérience, lorsqu'il oublie son laissez-passer, l'accès à l'Établissement lui est refusé et un superviseur le fait entrer (Tr., p. 922). Il a aussi mentionné qu'en janvier 1987, il ne connaissait pas M. Rizzutti (Tr., p. 924).

M. Nias a nié que M. Dwyer lui ait parlé de l'incident du laissez-passer, et il a dit que si M. Dwyer l'avait fait, il n'aurait pas manqué d'examiner le problème, en tant que directeur de l'Établissement de

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race noire soucieux du moral du personnel et d'équité (Tr., p. 833, 855). M. Dwyer a tenté de prouver que M. Nias avait un parti pris contre lui et sa famille en s'appuyant notamment sur le fait que M. Nias avait à quelques reprises refusé d'approuver les changements d'horaire demandés par sa femme (Tr., p. 188 et 189, 860 à 867). L'un de ces incidents a fait l'objet d'une autre plainte relative aux droits de la personne qui, à ce qu'on nous a dit, n'a pas abouti (Tr., p. 866).

Le superviseur qui a autorisé l'entrée de M. Dwyer dans l'Établissement, M. Delmon Allan, n'a pas comparu comme témoin. Après que M. Dwyer eut laissé entendre que M. Allan avait discuté de l'incident avec M. Sacher, ce dernier a déclaré qu'il ne gardait aucun souvenir de cet entretien (Tr., p. 929).

L'intimée a soutenu que la Commission et M. Dwyer n'avaient pas réussi à prouver que MM. Dwyer et Sacher avaient été traités différemment comme on l'a allégué. En plus de s'appuyer sur les dépositions de MM. Raffai, Rizzutti, Sacher et Nias, l'intimée s'est fondée sur le fait que M. Dwyer n'avait pas présenté de grief au sujet de l'incident. M. Machelak a soutenu que la conduite passée de M. Dwyer en tant que délégué syndical, employé et syndiqué d'un tempérament chicaneur attestait qu'il connaissait très bien ses droits et les faisait énergiquement valoir au moyen de la procédure de règlement des griefs et autrement. Il a invité le Tribunal à conclure que l'omission de M. Dwyer de faire valoir ses droits à la suite de l'incident présumé du laissez-passer appuie la conclusion selon laquelle l'incident ne s'est pas vraiment produit (Tr., p. 388, 404).

A l'évidence, M. Dwyer est un plaignant invétéré et un plaideur chevronné. En tant que délégué syndical, M. Dwyer connaissait bien la procédure de règlement des griefs. Selon l'imprimé d'ordinateur que l'intimée a produit, et dont M. Dwyer conteste la validité, S. Dwyer est l'auteur de 164 griefs qui ont été déposés entre 1983 et 1990 (Tr., p. 1049 à 1054, Pièce R-26). M. Dwyer a aussi été partie à des procédures découlant de l'emploi qu'il a occupé dans le passé chez Chrysler Canada (Tr., p. 402). Il a répondu évasivement aux questions qui lui ont été posées sur son expérience comme justiciable. M. Machelak l'a interrogé au sujet des procédures auxquelles on fait allusion dans un compte rendu de procédures judiciaires qui figure dans la décision rendue par le vice-président de la Commission des relations de travail de l'Ontario, R.O. MacDowell, dans l'affaire Stanley Dwyer v. United Automobile, Aerospace & Agricultural Implement Workers of America U.A.W., [1982] O.L.R.B. Rep. 1417. Cette décision fait état des différentes procédures judiciaires auxquelles M. Dwyer a été partie relativement à son emploi chez Chrysler, à savoir des arbitrages, des demandes de contrôle judiciaire, des demandes d'autorisation de pourvoi, des plaintes déposées devant une commission des droits de la personne, des plaintes présentées à des commissions des relations de travail contre son syndicat, une poursuite civile et un appel devant l'ombudsman. M. Dwyer a confirmé qu'il avait participé à des arbitrages, qu'il avait fait une demande

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de contrôle judiciaire et qu'il avait présenté des demandes à la commission des relations de travail (Tr., p. 406 à 414), mais il est ensuite devenu nerveux, a laissé entendre que ce compte rendu pourrait bien avoir été forgé et a fréquemment répondu :

[TRADUCTION]

«Je ne me souviens pas» aux questions se rapportant aux autres procédures (Tr., p. 415 à 417). Nous sommes sceptiques sur l'authenticité de cette perte de mémoire. Quoi qu'il en soit, les procédures auxquelles M. Dwyer reconnaît avoir été partie montrent que celui-ci a une longue expérience de la procédure de règlement des griefs et des procédures judiciaires, et qu'il ne s'est pas privé d'y avoir recours contre son ancien employeur et son ancien syndicat. Comme nous l'avions décidé durant l'audience, la décision de la Commission des relations de travail de l'Ontario a été évoquée uniquement dans le but de rafraîchir la mémoire de M. Dwyer au sujet des procédures auxquelles il a été partie dans le passé, afin de prouver qu'il connaissait ses droits et qu'il n'hésitait pas à les faire valoir, et c'est là toute l'importance que nous y accordons (Tr., p. 390, 392, 395, 397, 403, 415).

M. Dwyer a déclaré qu'il n'a pas présenté de grief au sujet de l'incident du laissez-passer parce que le syndicat n'est pas favorable à la présentation de griefs contre d'autres employés (Tr., p. 539). Il a aussi prétendu que cela ne lui servait pas à grand-chose de présenter un grief vu qu'il n'obtenait pas satisfaction de la direction de cette manière et que le syndicat ne lui donnait pas tout l'appui nécessaire (Tr., p. 556 à 579, Pièce C-1, C-2). A l'évidence, M. Dwyer est mécontent de l'attitude de l'intimée dans le cadre de la procédure de règlement des griefs. Il ressort cependant de la preuve que M. Dwyer a présenté de nombreux griefs dans les délais prescrits, aussi bien avant qu'après l'incident présumé de janvier 1987. Dans sa déposition, M. James Turner, agent de relations de travail à l'emploi de la Société canadienne des postes, a dit que bon nombre des griefs présentés par M. Dwyer se sont rendus jusqu'au deuxième palier d'audience et que plusieurs d'entre eux sont censés faire l'objet d'un arbitrage (Tr., p. 1037 à 1039, 1049, Pièce 26). Certains griefs se rapportant au congédiement de M. Dwyer de la Société canadienne des postes étaient d'ailleurs arbitrés pendant que se déroulait la présente audience (Tr., p. 1045 et 1046, Pièce 25).

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Le fait que M. Dwyer n'a pas présenté de grief contre l'incident présumé du laissez-passer et n'a pas déposé de plainte dans les délais prescrits devant la Commission appuie la conclusion à laquelle nous arrivons, à savoir que vu les autres éléments de preuve, ni la Commission ni M. Dwyer n'ont acquitté le fardeau de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que M. Dwyer n'a pas été traité de la même façon que M. Sacher, comme on l'a allégué dans la plainte.

2. Traitement différentiel présumé touchant à la discipline

Le 27 mai 1987, M. Stanley Dwyer et Mme Guhl ont été accusés d'avoir quitté leur zone de travail respective sans permission pour régler une affaire syndicale et de s'être trouvés dans une zone où le port de chaussures de sécurité était requis sans être chaussés en conséquence. M. Dwyer a par la suite été suspendu pendant cinq jours, tandis que Mme Guhl, qui est une employée de race blanche, a simplement fait l'objet d'une réprimande verbale. Dans sa plainte, M. Dwyer dit que ce traitement différentiel constitue de la discrimination raciale.

Mme Guhl a témoigné qu'aucune mesure disciplinaire n'avait encore été inscrite à son dossier cette année-là (Tr., p. 1083). Le superviseur qui a enquêté sur l'incident, M. Stephen Moore, a déclaré qu'on avait réprimandé verbalement Mme Guhl le 27 mai 1987 et qu'on lui avait donné un avis d'entrevue le 28 mai 1987. M. Moore n'avait pas de copie de l'avis (Tr., p. 1128), mais il avait cru comprendre que l'information serait transmise à l'unité à laquelle Mme Guhl devait être mutée et que le personnel cadre de cette unité procéderait à l'entrevue (Tr., p. 1127). Mme Guhl a déclaré qu'on ne lui avait pas donné d'avis d'entrevue, mais qu'on l'avait réprimandée verbalement (Tr., p. 1083). Quoi qu'il en soit, il semble qu'aucune entrevue n'a eu lieu. Mme Guhl a pris des jours de congé de roulement et des jours de congé annuel du 29 mai au 8 juin 1987, date à laquelle elle a été mutée à l'Installation de traitement en vrac, et a ensuite pris un congé de maternité entre le 15 juin 1987 et le mois de novembre 1987 (Tr., p. 1087, 1127 à 1130).

Quoique l'on ait reproché les mêmes manquements à Mme Guhl et à M. Dwyer, celui-ci a été suspendu pendant cinq jours. L'intimée soutient que cette mesure disciplinaire s'inscrit dans la politique de discipline progressive en vigueur à la Société canadienne des postes. Le directeur de l'Établissement à l'époque, M. Roy Nias, ainsi qu'un agent de relations de travail, M. James Turner, ont témoigné que la première étape de la politique de discipline progressive consiste dans des réprimandes ou des avertissements verbaux, qui ne sont pas inscrits au dossier. Lorsque surviennent d'autres manquements, l'employé reçoit un avis disciplinaire et est convoqué à une entrevue dont les résultats sont consignés à son dossier pendant une période de douze mois. Lorsque la prise d'une mesure disciplinaire est justifiée, l'employé reçoit d'abord une lettre d'avertissement, puis fait l'objet de suspensions successives de un, trois et cinq jours, après quoi il est congédié (Tr., p. 812 et 813, 1008).

M. Dwyer a témoigné qu'il ne savait pas qu'une politique de discipline progressive était en vigueur à la Société canadienne des postes. Il a affirmé que les employés de race noire et les employés de race blanche

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sont traités différemment, mais quand on lui a demandé de fournir des exemples précis, il a été incapable de le faire. Il a dit qu'il pourrait se renseigner là-dessus, mais il ne l'a pas fait (Tr., p. 342 à 347, 466).

D'après les dossiers de l'intimée, M. Dwyer a été réprimandé par écrit le 2 février 1987 pour avoir lancé des propos offensants, injurieux et déplacés à un superviseur (Pièce R-8). Le 24 mars 1987, M. Dwyer a fait l'objet d'une suspension de un jour parce qu'il s'était montré grossier envers le chef de quart (Pièce R-9). Le 28 avril 1987, on a infligé à M. Dwyer une suspension de trois jours parce qu'il avait désobéi à un chef de secteur et l'avait injurié (Pièce R-10). Le 11 juin 1987, on lui a infligé la suspension de cinq jours évoquée plus haut parce qu'il avait pénétré dans une zone où le port de chaussures de sécurité était requis sans être chaussé en conséquence et qu'il avait réglé une affaire syndicale sans permission (Pièces R-11, HRC- 4).

D'autre part, trois griefs ont été présentés au nom de M. Dwyer durant cette même période, après que des superviseurs eurent insisté pour qu'il obtienne une autorisation avant d'aller voir d'autres employés à titre de délégué syndical (Pièces R-2, R-3, R-4). L'intimée a invoqué ces pièces au soutien de l'affirmation selon laquelle on avait averti M. Dwyer à plusieurs reprises qu'il devait suivre la procédure établie. M. Dwyer a indiqué qu'il n'avait aucun souvenir de ces griefs, et a prétendu que des griefs étaient présentés à son insu et qu'il ne recevait pas toujours les copies qu'on était censé lui remettre (Tr., p. 291 à 310). Il ressort des documents se rapportant à ces trois griefs qu'une des audiences a eu lieu en l'absence de M. Dwyer et de son représentant syndical, et qu'on a envoyé par la poste au domicile de M. Dwyer une copie de la réponse au grief (Pièce R-3). Selon ces documents, les autres audiences ont eu lieu en présence de M. Dwyer et d'un représentant syndical, et M. Dwyer a préféré ne pas signer pour accuser réception de la réponse aux griefs (Pièces R-2, R-4). M. Bryce a déclaré qu'on n'expédie pas toujours par la poste une copie de la réponse de la Société aux griefs comme on le devrait (Tr., p. 746). Que M. Dwyer ait ou non été au courant de ces griefs ou de leur issue, il reste qu'il savait que les superviseurs tenaient à ce qu'il obtienne une permission avant de s'occuper d'affaires syndicales, et il a confirmé qu'il n'ignorait pas qu'il devait obtenir cette permission (Tr., p. 310).

Il ressort clairement de la preuve que les mesures disciplinaires différentes dont les deux employés en question ont fait l'objet à la suite des manquements qu'ils ont commis le 27 mai 1987 n'ont pas été dictées par leur race, mais par le contenu de leurs dossiers disciplinaires respectifs. Rien ne prouve que la race a pesé dans la balance au moment d'infliger les sanctions disciplinaires.

3. Prise à partie présumée de M. Dwyer

Dans sa plaidoirie, M. Lee a cherché à faire porter le débat sur un autre point. En fait, il a donné à entendre que le simple fait qu'on ait pris une mesure disciplinaire à l'égard de M. Dwyer le 27 mai 1987 indiquait qu'il était injustement pris à partie et que cet état de choses était attribuable à la discrimination raciale. Il y a différentes versions des incidents survenus le 27 mai 1987 et nous allons maintenant les examiner.

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a) Règlement d'une affaire syndicale sans permission

M. Dwyer a prétendu que le 27 mai 1987, il a demandé à son superviseur, Mme Indra Nanda (maintenant Indra Chatrisha), de prendre rendez-vous pour lui avec Mme Guhl. Il a réitéré sa demande à Mme Nanda durant son quart. Vers la fin du quart, celle-ci a fini par lui dire de s'adresser au superviseur de Mme Guhl, Mme Sandy Nartowicz. Cette dernière a dit à M. Dwyer que si Mme Guhl voulait modifier sa demande de congé annuel, elle devait le faire par écrit, et a dit à M. Dwyer et à Mme Guhl d'aller au bureau du quai, d'y obtenir du papier et de mettre la demande par écrit. Il y avait un autre superviseur, à savoir M. Stephen Moore, dans le bureau du quai. Comme M. Moore n'avait pas de papier, M. Dwyer est allé en chercher dans son casier. Ensuite, M. Dwyer et Mme Guhl ont rédigé la demande, puis l'ont présentée à Mme Nartowicz. M. Dwyer affirme que le jour suivant, un chef de l'Établissement, M. Bourgault, ainsi que M. Moore lui ont signifié un avis d'entrevue et l'ont accusé d'avoir réglé une affaire syndicale sans permission et de s'être trouvé sur les quais sans porter de chaussures de sécurité (Tr., p. 198 à 203).

M. Stephen Moore, qui, à l'époque, venait tout juste d'être nommé superviseur à la Société canadienne des postes et qui a par la suite quitté son emploi pour se lancer en affaires, a témoigné qu'après que M. Dwyer et Mme Guhl ont quitté le bureau du quai, il a discuté avec Claude Bourgault pour savoir si, à son avis, il s'occupait de l'affaire comme il fallait. Suite à cette conversation, M. Moore s'est assuré que M. Dwyer ne portait pas de chaussures de sécurité. Il a aussi téléphoné au superviseur de M. Dwyer, Mme Nanda, qui lui a dit qu'elle n'avait pas donné à M. Dwyer la permission de régler une affaire syndicale. D'après ce que M. Bourgault lui avait dit, Mme Nartowicz ne l'avait pas fait elle non plus. Sur la foi de ces renseignements, M. Moore a envoyé un avis d'entrevue à M. Dwyer et, autant qu'il s'en souvienne, à Mme Guhl (Tr., p. 1121 à 1124). Mme Guhl a témoigné qu'elle n'avait pas reçu cet avis (Tr., p. 1083). A part cela, sa déposition coïncide avec celles de MM. Dwyer et Moore.

Mme Nartowicz n'a pas comparu comme témoin. Le superviseur de M. Dwyer, Mme Nanda (Chatrisha), a donné un récit embrouillé, inconsistant et peu fiable du rôle malfaisant qu'elle a joué dans cette affaire. Dans son témoignage en chef, elle a dit qu'elle savait que M. Dwyer voulait aller au bureau du quai pour régler une affaire syndicale et qu'elle lui avait donné la permission demandée. Toutefois, elle a dit à l'un des trois chefs de l'Établissement, M. Claude Bourgault, à qui elle aurait parlé le lendemain, qu'elle ne savait pas que M. Dwyer voulait régler une affaire syndicale lorsqu'elle lui a donné la permission d'aller voir une autre employée. La seule explication qu'elle a fournie du mensonge qu'elle prétend avoir débité à M. Bourgault est qu'elle était alors en période d'essai (Tr., p. 649). Durant son contre-interrogatoire, elle a reconnu qu'elle n'était pas en période d'essai lorsque l'incident est survenu (Tr., p. 662). Elle n'a pas expliqué pourquoi, en tant que nouveau superviseur, elle jugerait nécessaire ou opportun de nier qu'elle avait donné à M. Dwyer la permission de régler une affaire syndicale.

Mme Nanda (Chatrisha) a fait deux déclarations par écrit au sujet de l'incident, l'une à l'enquêteur des droits de la personne de l'intimée, le

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17 mars 1988 (Pièce R-14), l'autre à l'enquêteur de la Commission des droits de la personne, le 28 novembre 1988 (Pièce R-15). Lors de son interrogatoire principal, elle a répondu que Claude Bourgault lui avait dit de déclarer aux enquêteurs qu'elle n'avait pas donné à M. Dwyer la permission de régler une affaire syndicale et qu'elle avait obéi parce qu'elle était en période d'essai dans un nouveau poste (Tr., p. 660). De fait, au moment où elle a fait sa seconde déclaration, elle était chef par intérim à l'Établissement, poste de niveau équivalant à celui de M. Bourgault dans la hiérarchie. Néanmoins, elle a dit qu'elle s'était sentie intimidée et qu'elle avait été incapable de rectifier le renseignement inexact qu'elle avait donné précédemment à M. Bourgault (Tr., p. 687).

Il est révélateur que Mme Nanda (Chatrisha) ait indiqué dans sa seconde déclaration par écrit (Pièce R-15) que ce n'était pas Claude Bourgault mais Stephen Moore, lequel venait d'être nommé superviseur, qui lui avait demandé, le 28 mai 1987, si elle avait donné à M. Dwyer la permission de régler une affaire syndicale. Cela concorde avec la déposition de M. Moore et donne à penser qu'il est peu probable que Mme Nanda ait parlé à M. Bourgault ou ait été intimidée par lui.

Dans l'intervalle, selon Allan Bryce (Tr., p. 733) et M. Dwyer (Pièce R-7), Mme Nanda (Chatrisha) a indiqué à M. Dwyer, en présence de M. Bryce, qu'elle avait dit à la direction qu'elle avait autorisé M. Dwyer à rencontrer Mme Guhl pour régler une affaire syndicale.

Lorsqu'on l'a contre-interrogée pour savoir comment elle avait appris que M. Dwyer voulait rencontrer quelqu'un pour régler une affaire syndicale, elle a d'abord déclaré que [TRADUCTION] pendant un jour ou deux, c'est tout ce qu'il a fait. Pendant un jour ou deux ... il est allé au quai pour voir la même employée (Tr., p. 668). Elle a dit qu'elle se souvenait d'avoir pris seulement un rendez-vous pour M. Dwyer au quai, et avait supposé que le superviseur des quais avait donné à M. Dwyer la permission d'y retourner. Après qu'on eut insisté pour avoir des détails, elle a dit qu'elle ne se souvenait pas de ce qui s'était passé il y a trois ans et qu'il était possible, comme l'a dit M. Dwyer dans sa déposition, qu'elle n'ait pris aucun arrangement avec l'autre superviseur (Tr., p. 678 et 679).

Mme Nanda (Chatrisha) a été congédiée par la Société canadienne des postes pour avoir vendu de la pacotille. Son congédiement a été confirmé dans le cadre d'un arbitrage (Tr., p. 993). Mme Nanda a déclaré qu'elle croit encore que la Société canadienne des postes est une bonne entreprise et que pendant qu'elle y a travaillé, elle a appris à ne pas se dérober, de sorte qu'elle est maintenant capable de reconnaître qu'elle a fait une erreur en disant, ce qu'elle savait être faux, qu'elle n'avait pas donné à M. Dwyer la permission de régler une affaire syndicale (Tr., p. 688 à 692). Pendant qu'elle subissait son interrogatoire principal, elle a été en proie à une vive émotion en racontant les moments pénibles qu'elle avait vécus à la Société canadienne des postes après qu'on eut prétendu dans des graffiti qu'elle avait obtenu de l'avancement à cause des faveurs sexuelles qu'elle avait accordées. Elle a également fait allusion au fait que lorsqu'elle a été nommée chef, on lui a affecté des superviseurs de race noire et on l'a étiquetée comme Noire, alors que les chefs de race blanche travaillaient avec des superviseurs de race blanche (Tr., p. 657). Elle était aussi vexée qu'on ait

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affirmé qu'elle avait vendu de la pacotille (Tr., p. 657). Elle a attribué ces vexations et d'autres encore au fait qu'elle est originaire des Indes orientales. Elle a d'ailleurs déposé une plainte devant la Commission des droits de la personne. Elle a prétendu, d'une part, qu'elle avait porté plainte mais que rien n'avait été fait (Tr., p. 655) et, d'autre part, que personne ne pouvait parler franchement de crainte de perdre son emploi (Tr., p. 655). Les contradictions dont la déposition de Mme Chatrisha était truffée ainsi que son attitude lorsqu'elle a témoigné nous amènent à conclure qu'il serait imprudent de nous fier à sa déposition. Elle a largement démontré au cours de l'audience et des événements qui ont donné lieu à la plainte qu'elle est prête à dire tout ce qui fait son affaire dans l'immédiat sans se soucier de dire la vérité, voire d'être cohérente.

C'est parce que Mme Nanda a nié avoir autorisé M. Dwyer à régler une affaire syndicale que M. Dwyer a ensuite été suspendu. En supposant que Mme Nanda (Chatrisha) ait menti lorsqu'elle a fait cette dénégation, personne n'a laissé entendre que la discrimination raciale avait inspiré sa décision de mentir.

Le seul élément de preuve selon lequel la discrimination raciale peut avoir joué dans la décision de suspendre M. Dwyer est la déclaration que Mme Chatrisha a faite au Tribunal, à savoir qu'au moment où elle aurait dit à Claude Bourgault qu'elle n'avait pas donné à M. Dwyer la permission de régler une affaire syndicale, celui-ci aurait répondu :

[TRADUCTION]

«Très bien. Je vais régler son compte à ce salaud de Noir» (Tr., p. 649). Toutefois, Stephen Moore a dit dans sa déposition que c'était lui et non Claude Bourgault qui avait interrogé Mme Nanda au sujet de cette affaire, et que M. Bourgault avait interrogé le superviseur de Mme Guhl, Mme Nartowicz. La déposition de M. Moore, qui nous a paru franche et digne de foi, coïncide sur ce point avec la seconde déclaration par écrit de Mme Nanda (Pièce R-15) dont il a été question plus haut. M. Moore a déclaré qu'il avait relaté l'entretien qu'il avait eu avec Mme Nanda à M. Bourgault et que celui-ci lui avait dit que des avis d'entrevue étaient justifiés. Bien qu'il eût été utile d'avoir la déposition de M. Bourgault sur ce point, nous nous appuyons sur la déposition digne de foi que nous avons entendue pour dire que la décision de donner des avis d'entrevue a été prise sans que M. Bourgault parle à Mme Nanda (Chatrisha).

b) Chaussures de sécurité

Nous en venons maintenant à la question des chaussures de sécurité. En avril 1987, le directeur de l'Établissement, M. Roy Nias, a avisé les employés que dès le 30 avril 1987, le port de chaussures de sécurité deviendrait obligatoire dans la zone de quai (Pièces R-16B et 16C). Deux catégories d'employés, soit les PO-2 et les PO-5, ont dû acheter et commencer à porter des chaussures de sécurité et ont reçu une indemnité à cette fin (Pièce R-16A). D'autres employés devant accomplir des tâches nécessitant le port de chaussures de protection ont reçu la consigne de s'en procurer et de demander l'indemnité (Pièce R-16C). Le dernier avis qui a été donné par écrit avant la date limite du 30 avril 1987 précisait que [TRADUCTION] Les quais, la salle des batteries et l'atelier d'entretien sont désormais des endroits où le port de chaussures de sécurité est requis. Les employés qui y travaillent doivent porter des chaussures de protection approuvées. (Pièce R-16D).

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Les employés qui ne portaient pas de chaussures de sécurité pouvaient emprunter un couloir dans la zone de quai, délimité par des marques au sol, par où on accédait à une salle de réunion (Tr., p. 805). M. Stephen Moore a déclaré qu'autrement, les employés qui ne portaient pas de chaussures de sécurité n'étaient pas admis sur le quai. Les commis PO-4 qui apportaient le courrier au quai devaient le déposer devant l'une des ouvertures donnant sur la zone de quai, où un employé PO-2 ou PO-5 chaussé en conséquence venait le ramasser (Tr., p. 1132). M. Moore a dit que s'il apercevait un commis PO-4 sans chaussures de sécurité sur le quai, il l'en chassait aussitôt et lui donnait un avis d'entrevue pour avoir commis un acte dangereux (Tr., p. 1132). Il a ajouté qu'un délégué syndical doit porter des chaussures de sécurité dans une zone où le port de chaussures de sécurité est requis parce qu'il peut se blesser aussi facilement que n'importe qui d'autre (Tr., p. 1150). Il a admis que lorsque M. Dwyer et Mme Guhl lui ont demandé s'ils pouvaient utiliser le bureau du quai, il aurait dû vérifier s'ils portaient des chaussures de sécurité. Il a dit que c'était une [TRADUCTION] étourderie de sa part (Tr., p. 1135 à 1138).

Comme Mme Guhl était une PO-2, elle était tenue de porter des chaussures de sécurité mais ne le faisait pas parce que ses pieds avaient enflé durant sa grossesse (Tr., p. 1079). Quant à M. Dwyer, il a dit qu'il ne possédait pas de chaussures de sécurité et qu'il ignorait qu'il devait en porter dans la zone de quai (Tr., p. 206 et 207, 255 à 273). Son ignorance de ce fait paraît peu probable vu les avis officiels qui avaient été distribués et classés le mois précédent, lesquels mentionnaient que des fonds étaient disponibles pour l'achat de chaussures de sécurité. Il est probable qu'un délégué syndical aussi diligent que M. Dwyer aurait été attentif à s'assurer que les employés n'entrent pas sans protection dans une zone où le port de chaussures de sécurité était requis. Quoi qu'il en soit, il ne semble pas que l'obligation de porter des chaussures de sécurité était connue de tous ni qu'on la faisait respecter.

D'autres employés ont témoigné qu'ils n'étaient pas au courant de la directive sur le port de chaussures de sécurité (Tr., p. 26 à 34, 39 à 42, 78, 92 à 94, 100 à 104). M. Machelak a soutenu que quelques-unes de ces dépositions étaient ambiguës parce que les témoins ont dit qu'ils allaient aux quais, et non sur les quais ou dans la zone de quai. Il est cependant établi que des employés ne portant pas de chaussures de sécurité allaient sur les quais sans qu'on les en empêche. Aucun moyen n'avait été prévu pour faire respecter la directive sur le port de chaussures de sécurité. M. Moore, qui était un superviseur dans la zone de quai, a admis qu'à sa connaissance aucun autre employé n'a fait l'objet d'une mesure disciplinaire pour s'être trouvé sur les quais sans chaussures de sécurité (Tr., p. 1149). Il a fait remarquer que le quai est un endroit vaste et grouillant d'activité et que certaines chaussures de sécurité ressemblent à des chaussures ordinaires, de sorte qu'il est difficile de faire respecter la directive.

Il semble donc ressortir de la preuve en l'espèce que M. Dwyer et Mme Guhl ont été pris à partie parce qu'ils ne portaient pas de chaussures de sécurité. Cependant, aucune preuve plausible n'établit que cet état de choses est attribuable à la discrimination raciale.

c) Discrimination fondée sur la race

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Pour prouver la violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne, il suffit de démontrer que la race était l'un des motifs sur lesquels reposait la décision de l'intimée d'infliger une sanction disciplinaire à M. Dwyer : Holden et Commission canadienne des droits de la personne c. Chemins de fer nationaux du Canada, Cour d'appel fédérale, 4 mai 1990, à la p. 4; Foster Wheeler Limited v. Ontario Human Rights Commission and Scott (1987), 8 C.H.R.R. D/4179.

A notre avis, la preuve appuie la conclusion selon laquelle le personnel cadre de l'Établissement voulait forcer M. Dwyer à se conformer aux exigences strictes de son poste en tant qu'employé et que délégué syndical. M. Dwyer avait très souvent été rappelé à l'ordre par ses supérieurs et avait aussi été avisé par la Société qu'il devait suivre la procédure applicable lorsqu'il s'occupait d'affaires syndicales. Il ressort de la preuve que M. Dwyer était un plaignant actif qui défendait des points de vue axés sur la procédure et à caractère obstructionniste. Il refusait souvent de signer pour accuser réception des documents qu'on lui signifiait. Il insistait aussi pour que le personnel cadre ne s'adresse pas à lui directement, mais seulement par l'intermédiaire de son superviseur (Tr., p. 204, 473 à 483). Il avait fait l'objet de mesures disciplinaires parce qu'il s'était montré grossier et insubordonné envers la direction (Pièces R-8, R-9, R-10).

Plusieurs fois au cours de l'audience, qui s'est prolongée outre mesure parce que M. Dwyer a répondu évasivement à des question correctement formulées, M. Dwyer a démontré qu'il était incapable de se dominer. Pendant qu'il témoignait un jour, sa femme est intervenue pour le calmer. A d'autres moments, il a fallu suspendre l'audience. L'un de ses mouvements d'humeur a été provoqué par le fait qu'une copie du même document se trouvait dans deux pièces différentes contenant chacune plusieurs documents (Tr., p. 488 à 496). M. Dwyer a fait plusieurs affirmations sans fondement à propos de la conduite inconvenante de l'avocat de l'intimée et, par suite de décisions défavorables, il a accusé le Tribunal de violer les droits à l'égalité qui lui sont garantis par la Charte canadienne des droits et libertés. Il a largement démontré par son attitude qu'il est irascible, peu coopératif, grossier et manipulateur. D'après ce que nous avons observé, nous comprenons pourquoi M. Nias n'était pas d'accord avec M. Dwyer pour dire que celui-ci était [TRADUCTION] un employé modèle (Tr., p. 842) et pourquoi la direction était attentive à s'assurer qu'il ne manque pas à ses obligations. Rien ne prouve que cette attitude était inspirée par des considérations raciales.

M. Lee a reconnu que M. Dwyer est enclin à la [TRADUCTION] violence verbale, mais il a cherché à en attribuer la cause à son exaspération, notamment contre le climat racial à la Société canadienne des postes (Tr., p. 1173). Nous avons conclu que l'état général des relations raciales ainsi que l'état des relations de travail à la Société canadienne des postes ne sont pas en litige dans le cas qui nous occupe. D'autre part, nous ne sommes pas en mesure de définir les causes de la conduite de M. Dwyer, ni de déterminer si cette conduite est antérieure ou postérieure à son embauchage à la Société canadienne des postes. M. Lee s'est appuyé sur la décision rendue par E.J. Ratushny, qui siégeait comme commission d'enquête en application du Code des droits de la personne de l'Ontario, dans l'affaire Cousens v. Canadian Nurses Association (1980), 2 C.H.H.R. D/365, dans laquelle il a statué que le libellé des dispositions du Code des droits de la personne

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de l'Ontario alors en vigueur disposait qu'une commission d'enquête ne devait pas :

[TRADUCTION]

simplement se prononcer sur le motif particulier de distinction illicite qui est invoqué, mais aussi entendre les faits se rapportant à la plainte tels qu'ils sont exposés par les parties et décider si une partie a ou non contrevenu à la Loi. La plainte écrite ne tient pas, par conséquent, de la dénonciation ou de l'acte d'accusation dans une poursuite criminelle. C'est plutôt un avis général donné à une partie dans le cadre d'une audience à caractère administratif.

Cette décision ne s'applique pas à un tribunal constitué en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui autorise ce tribunal à examiner la plainte (par. 49(1) et 50(1)). Le par. 53(1) de la Loi dispose que :

A l'issue de son enquête, le tribunal rejette la plainte qu'il juge non fondée.

4. Constatations concernant la plainte

La plainte de M. Dwyer relate des faits très précis. En ce qui concerne l'incident présumé du laissez-passer, nous arrivons à la conclusion que la Commission et le plaignant n'ont pas établi selon la prépondérance des probabilités que l'incident s'est vraiment produit. En ce qui concerne la mesure disciplinaire dont M. Dwyer a fait l'objet parce qu'il ne portait pas de chaussures de sécurité et qu'il a réglé une affaire syndicale sans permission, la Commission et le plaignant n'ont pas établi que des considérations raciales sont intervenues dans la décision d'infliger des sanctions disciplinaires différentes à M. Dwyer et Mme Guhl, ou dans la décision de prendre des mesures disciplinaires relativement à ces manquements.

5. Preuve relative au climat racial à l'Établissement

Quoi qu'il en soit, il nous paraît opportun de faire état de la teneur des témoignages de nature générale que nous avons entendus au sujet du climat racial à l'Établissement. M. Nias a déclaré que 40 p. cent des travailleurs de l'Établissement (ouest) de traitement des lettres du Centre principal d'acheminement sont des membres de minorités visibles (Tr., p. 821). Certains d'entre eux ont été nommés à des postes de superviseur, de chef et de directeur (Tr., p. 53). Plusieurs témoins ont déclaré, et M. Nias l'a confirmé, que le problème des graffiti dans les toilettes est réel et que ces graffiti contiennent souvent des remarques personnelles à caractère raciste (Tr., p. 24, 49, 89, 654 et 655, 735). M. Nias a déclaré, et d'autres témoins l'ont confirmé, qu'il a pour règle de faire disparaître ces graffiti, mais que ceux-ci réapparaissent (Tr., p. 822, 62, 755, 924). Sharwan Bhasin a dit qu'à son avis, il n'y a pas grand-chose à faire pour empêcher ces graffiti (Tr., p. 62). Ali Chawdry a déclaré que [TRADUCTION] cela fait partie de la vie (Tr., p. 66). Ni l'un ni l'autre de ces témoins n'a été personnellement victime de discrimination raciale, quoiqu'ils aient parfois entendu qu'on appliquait des épithètes racistes comme Paki à d'autres employés. M.

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Chawdry a déclaré qu'en l'espace de douze ans, il n'avait eu connaissance que de deux incidents semblables à l'Établissement, mais il a ajouté qu'il existe un courant profond de racisme :

[TRADUCTION]

«L'attitude est là. Par exemple, lorsqu'ils parlent aux gens, ils parlent différemment» (Tr., p. 69). Anthony Jackson a déclaré qu'il se rappelle avoir entendu M. Bourgault dire que [TRADUCTION] Le problème avec vous, les Noirs, c'est que vous êtes tous pareils et que vous essayez toujours de créer des difficultés au travail (Tr., p. 90). Cette affirmation a fait l'objet d'une autre plainte devant la Commission des droits de la personne, mais il semble que la preuve a été jugée peu concluante (Tr., p. 920).

M. Cowie a déclaré qu'il avait entendu M. Rizzutti faire des remarques au sujet des [TRADUCTION] Pakis qui aiment venir ici pour commander, au sujet de leur [TRADUCTION] mauvaise odeur et au sujet de l'apparence des rastas jamaïcains qui [TRADUCTION] essaient tout le temps de créer des embêtements. M. Cowie a dit qu'il s'était plaint de ces remarques mais que cela n'avait rien donné.

M. Dwyer a prétendu que M. Bourgault lui a dit un jour :

[TRADUCTION]

«Je ne sais pas pourquoi vous, les Noirs, êtes si irascibles» (Tr., p. 210), et que Mme Nartowicz avait fait des remarques désobligeantes sur les Indiens et les Chinois en sa présence et lui avait conseillé de ne pas représenter certains membres de minorités visibles (Tr., p. 211). Il a dit que des Blancs et des Noirs avaient fait remarquer que les Blancs pouvaient entrer dans l'Établissement sans laissez-passer, mais pas les Noirs (Tr., p. 337).

MM. Bryce et Dwyer ont tous deux évoqué l'incident relatif au formulaire de demande rempli au nom de quelqu'un appelé Nègre. Une plainte distincte a été déposée à ce sujet. La coordonnatrice des droits de la personne pour la Division York de la Société canadienne des postes, Mme Kerr, a déclaré que le directeur de l'Établissement lui avait demandé d'enquêter là-dessus immédiatement, et qu'elle lui avait fait rapport cinq jours plus tard. La demande avait été trouvée sur le bureau d'un superviseur de race noire par un superviseur de race blanche, qui l'a montrée à un employé de race noire, qui l'a à son tour fait voir à d'autres employés de race noire. On n'a jamais su qui était l'auteur de ce document. Le superviseur de race blanche en question a été réprimandé verbalement à cause de son manque de discernement dans cette affaire. Mme Kerr a admis qu'elle n'avait parlé à aucun des employés de l'étage ayant vu le document lorsqu'elle a mené son enquête (Tr., p. 915).

Mme Kerr a décrit les programmes de sensibilisation aux droits de la personne qu'elle a élaborés à l'intention des superviseurs de l'Établissement. Toutefois, il semble que rien n'a été prévu pour que les mesures à ce chapitre soient appliquées par les superviseurs ou portées à la connaissance des employés (Tr., p. 917). M. Raffai s'est rappelé qu'il avait récemment reçu une lettre que la direction avait fait distribuer à propos des expressions et des blagues racistes mais, autant qu'il se souvienne, c'était la première fois qu'il recevait quelque chose de semblable (Tr., p. 947).

Plusieurs des incidents présumés qui nous ont été racontés font ou ont fait l'objet de plaintes distinctes devant la Commission canadienne des

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droits de la personne, et il n'appartient pas au présent Tribunal de se prononcer sur leur bien-fondé. Nous nous abstenons donc de dire quoi que ce soit à leur propos, si ce n'est de rapporter ce que nous en ont dit les témoins que nous avons entendus. Nous ne nous intéressons pas non plus, en l'espèce, aux lignes de conduite générales de la Société canadienne des postes, sauf dans la mesure où elles servent de toile de fond aux plaintes qu'on a évoquées devant nous.

Malgré ces mises en garde, nous tenons à dire que les témoignages de nature générale que nous avons entendus au sujet des graffiti à caractère raciste et des remarques faites par certains employés de l'Établissement font ressortir le besoin de prendre des mesures énergiques en matière de droits de la personne, de les faire connaître et de les appliquer vigoureusement à tous les niveaux de la Société canadienne des postes. Les graffiti, les blagues et les remarques racistes n'auraient pas dû être tolérés comme faisant [TRADUCTION] partie de la vie. Ils n'auraient certainement pas dû proliférer dans une société d'État. Il convient de déployer tous les efforts possibles, par le truchement d'une politique de conformité énergique en matière de droits de la personne, pour créer un climat de travail dans lequel les membres de tous les groupes raciaux sont traités, aussi bien par la direction que par leurs collègues de travail, avec le même respect pour leur dignité humaine. A notre avis, le programme de sensibilisation aux droits de la personne de l'Établissement, tel qu'on nous l'a décrit, ne permet pas de s'attaquer à tous les aspects de la discrimination raciale.

Ordonnance

Pour les motifs qui précèdent, la plainte en date du 5 janvier 1988 dans laquelle la Commission canadienne des droits de la personne et Stanley Dwyer ont allégué que la Société canadienne des postes avait contrevenu à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne est par les présentes rejetée.

FAIT à Toronto, ce 17e jour de juin 1992.

(s) Marilyn L. Pilkington, présidente

Ruth S. Goldhar

Ronald W. McInnes

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