Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE

BRENT V. SPURRELL

le plaignant

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

et

LES FORCES ARMÉES CANADIENNES

l'intimée

DÉCISION DU TRIBUNAL

TRIBUNAL : Hugh L. Fraser, président

ONT COMPARU :

Me René Duval Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Me Stephen B. Acker Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Me David Bertschi Avocat du plaignant

Me Alain Préfontaine Avocat de l'intimée

Me Brian Evernden Avocat de l'intimée

Le lcol. R.A. MacDonald Avocat de l'intimée

DATES ET LIEU DE 27, 28, 29 et 30 novembre 1989 L'AUDIENCE : 4 et 5 janvier 1990 20 septembre 1990 11 et 12 septembre 1991 Ottawa (Ontario)

TRADUCTION

I. LES PLAINTES

Le plaignant Brent V. Spurrell a déposé deux plaintes fondées sur l'alinéa 7a) et sur l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Dans la première plainte, il allègue ce qui suit :

[TRADUCTION]

J'ai des motifs raisonnables de croire que le ministère de la Défense nationale a fait montre de discrimination à mon égard en refusant de m'employer en raison d'une déficience dont je souffrais, violant par le fait même l'alinéa 7a) et l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

Au cours du printemps de 1985, j'ai présenté une demande d'admission au Programme de formation des aspirants-officiers (PFAO). En septembre 1985, j'ai été jugé inadmissible à la classification de navigateur aérien du PFAO en raison d'une déficience visuelle. Je souffre de myopie et de perte modérée de la vision des couleurs. Ce problème ne m'a toutefois pas empêché de respecter les exigences fixées par le ministère des Transports du gouvernement fédéral pour l'obtention d'une licence de pilote privé et d'une licence de pilote professionnel d'hélicoptère. Je suis d'avis que les normes minimales de vision qu'impose le MDN pour la classification de navigateur aérien sont démesurément élevées et que j'ai été lésé par la politique du MDN à ce sujet.

Dans la deuxième plainte, qui a aussi été déposée le 22 octobre 1985, on peut lire ce qui suit :

[TRADUCTION]

J'ai des motifs raisonnables de croire que le ministère de la Défens nationale a fait montre de discrimination à mon égard en refusant de m'employer en raison de mon âge, violant par le fait même l'alinéa 7a) et l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Au cours du printemps de 1985, j'ai présenté une demande d'admission au Programme de formation des aspirants-officiers (PFAO) pour la classification de contrôleur de la circulation aérienne. Au mois d'août, j'ai appris qu'on ne m'avait pas recommandé au quartier général du MDN aux fins d'une évaluation par le jury de sélection du personnel navigant à Toronto. Après avoir consulté un fonctionnaire du quartier général du MDN, l'agent de recrutement m'a avisé que cette mesure découlait principalement de mon âge. Je suis d'avis que le MDN a pour pratique d'exclure des personnes de la classification de contrôleur de la circulation aérienne du Programme de formation des aspirants-officiers en se fondant sur leur âge.

Le plaignant a ajouté les mots [TRADUCTION] classification de contrôleur de la circulation aérienne le 22 janvier 1986.

Avant d'entendre la preuve relative aux deux plaintes, le Tribunal a été saisi d'une requête portant sur la question de savoir s'il avait la compétence voulue pour statuer sur la plainte formulée conformément à l'article 7, qui concerne l'allégation de discrimination fondée sur une déficience.

Le 31 octobre 1986, l'enquêteuse nommée par la Commission canadienne des droits de la personne a déposé son rapport d'enquête

- 2 -

sommaire auprès de la Commission. Elle a jugé que, selon la norme d'acuité visuelle imposée par l'intimée pour le poste en question, le candidat ne devait pas souffrir de myopie à un degré supérieur à un équivalent sphérique de 2.00 dioptries dans chaque oeil. L'enquêteuse a également jugé que la vision du plaignant était inférieure à cette norme, puisqu'il souffrait de myopie à un degré de -2.75 dioptries dans les deux yeux. Dans le rapport qu'elle a déposé, l'enquêteuse a également précisé qu'en février 1986, l'intimée avait offert au plaignant de réactiver son dossier, mais celui-ci a refusé l'offre. En outre, toujours selon l'enquêteuse, cette offre était fondée sur l'avis médical que l'intimée avait subséquemment reçu et selon lequel le plaignant respectait effectivement la norme d'acuité visuelle prescrite.

Le 24 septembre 1987, le président de la Commission canadienne des droits de la personne a écrit à l'intimée pour lui faire savoir que la plainte fondée sur l'article 10 (également appelée la plainte concernant une politique) était rejetée conformément au sous-alinéa 36(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, parce que la norme d'acuité visuelle était considérée comme une exigence professionnelle justifiée. Cependant, la plainte fondée sur l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (également appelée la plainte personnelle) a été renvoyée devant un tribunal, ce qui, de l'avis de l'intimée, n'aurait pas dû être fait.

L'avocat de la Commission a proposé au Tribunal de réserver sa décision au sujet de la plainte de discrimination fondée sur une déficience, notamment à l'égard de l'objection que l'avocat de l'intimée a soulevée au sujet de la compétence du Tribunal. L'avocat de la Commission a demandé au Tribunal de réserver sa décision pour une période de trois mois ou une période qui, de l'avis du Tribunal, permettrait au plaignant de consulter un autre avocat pour déterminer s'il y a lieu d'aller plus loin avec la plainte formulée conformément à l'article 7 (plainte de discrimination fondée sur une déficience). Le Tribunal entendrait ensuite la preuve concernant la plainte de discrimination fondée sur l'âge, mais n'entendrait pas la preuve concernant la plainte de discrimination fondée sur une déficience qui a été formulée conformément à l'article 7 avant le 27 février 1990, date à laquelle le plaignant aurait avisé le Tribunal de son intention au sujet de cette plainte.

Une ordonnance a été rendue en ce sens. Le plaignant a ensuite fait savoir au Tribunal qu'il désirait aller de l'avant avec la plainte formulée conformément à l'article 7, soit la plainte de discrimination fondée sur une déficience. Entre-temps, le Tribunal a entendu la preuve relative à la plainte de discrimination fondée sur l'âge.

Le 20 septembre 1990, l'audience a repris et le Tribunal a alors entendu les arguments concernant la requête de l'intimée visant à annuler la plainte personnelle de Brent V. Spurrell, soit la plainte de discrimination fondée sur une déficience visuelle. Le Tribunal devait se demander s'il avait la compétence voulue pour entendre la plainte fondée sur l'article 7. Jugeant qu'il avait cette compétence, le Tribunal a

- 3 -

décidé qu'il entendrait la preuve relative à la plainte dès que les parties seraient en mesure de la présenter.

Les 11 et 12 septembre 1991, le Tribunal a entendu la preuve concernant la plainte formulée conformément à l'article 7, c'est-à-dire la plainte de discrimination fondée sur une déficience. La première partie de la présente décision concerne la plainte de discrimination fondée sur l'âge.

II. LES FAITS

Né le 14 février 1957, le plaignant a obtenu son diplôme d'études secondaires en Ontario ainsi que plusieurs crédits de la treizième année de scolarité.

De 1971 à 1974, il a fait partie des cadets de l'Air. C'est pendant cette période qu'il a commencé à rêver de devenir pilote pour les Forces armées canadiennes. De mai 1974 à août 1979, il a fait partie de la Force de réserve des Forces armées canadiennes au sein du Lanark and Renfrew Scottish Regiment de Pembroke, en Ontario. Un peu plus tard, il a été promu au rang de caporal-chef. Entre 1978 et 1979, il a décidé de présenter aux Forces armées canadiennes une demande en vue de devenir pilote. Cependant, comme il devait porter des verres en raison de sa déficience visuelle, il a compris qu'il ne pourrait être admis comme pilote au sein des Forces armées canadiennes. Il a alors entrepris les démarches nécessaires pour obtenir une licence de pilote professionnel et il a effectivement obtenu cette licence en 1980. En février 1981, après avoir terminé sa formation de pilote professionnel, le plaignant a tenté en vain de se trouver un emploi dans le domaine de l'aviation. Il a continué pendant de nombreuses années à rêver de devenir pilote, mais il a compris avec le temps que ses efforts ne seraient pas couronnés de succès.

Le plaignant a été encouragé à poursuivre ses démarches dans ce domaine par un ami qui était aide-contrôleur de la circulation aérienne. Le plaignant a mentionné à son ami qu'il craignait d'être trop âgé, mais il s'est fait répondre que ce n'était pas le cas. Le plaignant a fait plusieurs appels téléphoniques qui lui ont permis de savoir que la limite d'âge était bien supérieure à l'âge qu'il avait à l'époque; il s'est alors entraîné, physiquement et mentalement, pendant environ seize mois pour se préparer à présenter au centre de recrutement une demande d'admission au programme de formation des contrôleurs de la circulation aérienne.

Le plaignant a demandé au personnel du centre de recrutement s'il était trop âgé pour devenir contrôleur de la circulation aérienne. L'adjudant du centre de recrutement lui a alors répondu qu'il n'était pas trop vieux et qu'il n'y avait pas de problème concernant son âge. Le plaignant a remis les formulaires de demande d'emploi nécessaires, rempli les divers documents demandés et réussi le test d'aptitudes initial. Il a ensuite subi les examens médicaux - classe 2. On lui a alors fait passer un examen médical classe - 1, c'est-à-dire un examen médical complet fait par un médecin des Forces armées.

- 4 -

Après le dernier examen médical, le plaignant Spurrell s'est fait dire qu'il passerait devant un jury de sélection et serait alors interrogé par d'autres officiers des Forces armées canadiennes. Cette entrevue, qui a eu lieu en août 1988, a duré environ une heure. M. Spurrell a alors appris que le prochain cours du programme de formation des aspirants- officiers devait avoir lieu en septembre 1985 à Chilliwack, en Colombie- Britannique. Le plaignant devenait de plus en plus nerveux et, après avoir attendu environ deux semaines, il a décidé de se rendre au centre de recrutement pour savoir ce qui se passait. On lui a d'abord dit qu'on ne pouvait trouver son dossier. Après avoir attendu environ une demi-heure, il s'est fait dire par le lieutenant Ritcey, un des agents de recrutement alors en poste, que sa demande de sélection aux fins d'un poste de contrôleur de la circulation aérienne avait été refusée.

Le plaignant a demandé au lieutenant Ritcey de lui donner des explications précises au sujet de cette décision. Il se rappelle que le lieutenant s'est montré plutôt vague et évasif dans ses réponses et qu'il a alors téléphoné à une personne qu'il connaissait au quartier général de la Défense nationale et lui a parlé pendant environ dix minutes. Selon le plaignant, à la fin de cette conversation, le lieutenant Ritcey lui aurait dit que [TRADUCTION] la principale raison du rejet de votre demande est votre âge. Cette réponse a bien étonné et révolté le plaignant, puisqu'il s'était déjà informé à ce sujet et qu'on lui avait dit que son âge ne constituerait pas un problème. Le lieutenant Ritcey a alors proposé au plaignant de présenter une demande dans le groupe des navigateurs aériens. Le plaignant a été étonné du fait qu'on le jugeait trop âgé pour obtenir un poste de contrôleur de la circulation aérienne, mais non pour faire partie du personnel navigant comme navigateur aérien. A tout événement, le plaignant préférait faire partie du personnel navigant et il a convenu de remplir le plus tôt possible les documents relatifs à son admission dans le groupe des navigateurs aériens.

Le 9 septembre 1985, le plaignant a été informé par téléphone du fait qu'il devait se rendre au centre de recrutement le 13 septembre, à 13 h 30, en vue d'une réunion précédant la sélection des membres du personnel navigant et que la sélection du jury débuterait le 14 septembre. Le plaignant a pris les dispositions nécessaires avec son employeur pour pouvoir se rendre à cette réunion. A l'époque, il travaillait comme moniteur de conduite. Le plaignant est arrivé à 13 h 30 le 13 septembre pour la réunion. Un dénommé lieutenant Dickson lui a alors dit qu'il n'irait pas à Toronto, que des problèmes d'ordre médical avaient été décelés et que son dossier serait fermé sous peu. On lui a demandé de se rendre au centre médical de la Défense nationale pour discuter du problème qui avait été décelé au sujet de ses yeux.

Le plaignant est retourné à l'école de conduite en disant à ses employeurs qu'il n'aurait pas besoin de s'absenter après tout et il a alors été renvoyé. M. Spurrell s'est fait dire qu'en demandant un congé de deux semaines à si brève échéance, il a causé une grande tension à l'école de conduite, car il a fallu modifier les horaires; son employeur était donc

- 5 -

d'avis qu'il serait préférable, pour toutes les personnes concernées, qu'il ne revienne pas à son travail.

Le plaignant s'est senti très déprimé après avoir perdu à la fois son emploi comme moniteur de conduite ainsi que la possibilité de se joindre aux Forces armées à titre de navigateur aérien. Il a interrompu son entraînement physique pendant quelques mois et il a pris du poids. Pour se remettre d'aplomb, il a envoyé plusieurs curriculum vitae et présenté différentes demandes d'emploi, notamment comme chauffeur d'autobus pour OC Transpo. Le 5 février 1986, il a reçu de cette dernière une offre officielle qui lui permettrait de recevoir une formation en vue de devenir chauffeur d'autobus. Cette formation devait débuter à la fin de février 1986.

Le 7 février 1986, une personne des Forces armées lui a téléphoné pour lui offrir à nouveau la possibilité d'aller à Toronto afin de rencontrer le jury de sélection du personnel navigant. Cette réunion devait avoir lieu environ trois semaines plus tard, soit au cours de l'une des deux premières semaines de sa période de formation chez son nouvel employeur, OC Transpo. Le plaignant se rappelle qu'à l'époque, il avait pris trop de poids et il avait cessé son entraînement; il ne croyait donc pas qu'il pourrait être prêt en moins de trois semaines et il ne voulait pas risquer de perdre son nouvel emploi. Il a discuté avec l'enquêteur de la Commission des droits de la personne responsable de son dossier des conséquences pouvant découler de son refus de se présenter devant le jury de sélection du personnel navigant à Toronto. Le plaignant a décidé d'aviser le major Nadeau, des Forces armées canadiennes, qu'il n'était plus intéressé à poursuivre une carrière dans les Forces armées canadiennes.

III. LES QUESTIONS EN LITIGE

Les parties ont soulevé les questions suivantes à partir des faits précités :

  1. L'âge était-il un facteur dont les Forces armées canadiennes ont tenu compte pour décider de ne pas sélectionner le plaignant en vue d'un poste de contrôleur de la circulation aérienne?
  2. Si le plaignant a été victime de discrimination fondée sur son âge, a- t-il été lésé par suite de cette discrimination?
  3. Dans l'affirmative, quelle est l'étendue de ce préjudice? Y a-t-il eu perte de chances? Le Tribunal peut-il accorder une indemnité relative à la perte de chances?

IV. LE DROIT

Voici le texte de l'article 2 de la Loi canadienne sur les droits de la personne :

La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne actuelle en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : tous ont droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement,

- 6 -

indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience. Sc. 1976-77, ch. 33, art. 2; 1980-81- 82-83, ch. 143, art. 1 et 28.

Le paragraphe 3(1) de la Loi énonce que :

Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

Le libellé des articles 7 et 10 de la Loi est le suivant :

Constitue un acte discriminatoire le fait

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu, ou

b) de défavoriser un employé dans le cadre de son emploi, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite. 1976-77, ch. 33, art. 6;

Constitue un acte discriminatoire le fait pour l'employeur, l'association d'employeurs ou l'association d'employés

  1. de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite, ou
  2. de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel

pour un motif de distinction illicite, d'une manière susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus. 1976-77, ch. 33, art. 10; 1980-81- 82-83, ch. 143, art. 5.

La première cause que l'avocat de la Commission a citée est l'affaire Balbir Basi c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada 9 C.H.R.R. D/5029. Cette cause portait sur une allégation de discrimination fondée sur la race. M. Basi a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte dans laquelle il a soutenu que, comme ressortissant de l'Inde, il s'était vu refuser une possibilité d'emploi auprès de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada en raison de sa race. Lors de la démarche de sélection qu'a suivie celle-ci, la demande de M. Basi n'a pas été examinée de façon appropriée avant qu'une liste restreinte de candidats ne soit choisie parmi les seize premières demandes étudiées. M. Basi était le seul postulant dont le nom ne figurait pas sur la liste restreinte et qui a reçu une lettre l'informant du fait que le poste avait été comblé. Le Tribunal a conclu que le CN avait été incapable de fournir une explication crédible au sujet de la démarche différente qu'il avait suivie dans le cas de M. Basi et que sa conduite équivalait à de la discrimination, étant donné que la personne qui avait obtenu le poste n'était pas plus qualifiée. Le Tribunal a jugé

- 7 -

que la discrimination était l'une des raisons pour lesquelles M. Basi n'avait pas obtenu le poste, même si ce n'était pas la seule raison.

L'avocat de la Commission canadienne des droits de la personne a soutenu que, si l'on applique cette décision au cas de M. Spurrell, une des conclusions significatives est le fait qu'il n'est pas nécessaire que la discrimination soit le seul motif de rejet de la candidature d'une personne. Pour que la plainte soit accueillie, il suffit que la discrimination constitue l'un des motifs de rejet. Selon Me Duval, l'intimée devait démontrer au Tribunal que l'on n'a nullement tenu compte de l'âge dans le cas de M. Spurrell. Il a allégué que l'intimée ne pouvait faire cette preuve, parce qu'on fait directement allusion à l'âge dans l'un des documents qu'elle a déposés en preuve.

L'avocat de l'intimée a également cité l'affaire Foster Wheeler Ltd. v. The Ontario Human Rights Commission (1987) 16 C.C.E.L. 251. Dans cette affaire, la Cour divisionnaire de l'Ontario a examiné une plainte relative à un motif de discrimination prohibé selon le Code des droits de la personne de l'Ontario. Voici ce qu'elle a dit (p. 253) :

[TRADUCTION]

Il est bien reconnu que, même si l'une des raisons de ne pas proposer ou recruter une personne est un motif de distinction prohibé selon le Code, la présence de ce motif prohibé suffit à prouver que le Code a été violé, même s'il existe d'autres motifs non prohibés, pourvu que ce motif constitue une cause immédiate du refus de recruter la personne en question.

L'avocat de l'intimée a donc fait valoir que, pour que la plainte soit accueillie, le plaignant doit prouver au Tribunal que, au cours de la démarche qui a mené au rejet de sa demande d'emploi, l'âge a été la cause immédiate de cette décision des Forces armées canadiennes. L'avocat de l'intimée a également cité la cause de Bains c. Ontario Hydro 1982 C.H.R.R. D/1136.

Dans cette cause-là, Mohan Bains a allégué qu'il a été victime de discrimination fondée sur l'âge et sur la race, lorsqu'il s'est vu refuser un emploi comme soudeur chez Ontario Hydro. La commission d'enquête qui a été formée conformément au Code des droits de la personne de l'Ontario a jugé que la preuve présentée ne lui permettait pas de conclure que M. Bains s'était vu refuser un emploi en raison de son âge. Le paragraphe que l'avocat de l'intimée a cité pour dire que l'embauchage est inévitablement une démarche subjective est le paragraphe 10037 de la décision Bains.

Voici l'extrait en question :

[TRADUCTION]

Bien entendu, le simple fait qu'un candidat qui, selon un examen détaillé survenant trois ans après l'événement, semble un peu mieux qualifié et n'a pourtant pas été choisi ne prouve pas en soi qu'il a été victime de discrimination. L'embauchage est une démarche inexacte et la perfection ne peut être atteinte. Une décision en matière d'embauchage qui, après coup, semble mal fondée n'est pas nécessairement discriminatoire pour autant. Forcer un agent du personnel, trois ans après une

- 8 -

décision en matière d'embauchage, à isoler et à analyser chaque élément de cette décision comme s'il s'agissait d'une équation algébrique constitue une démarche un tant soit peu artificielle. L'embauchage est inévitablement une démarche subjective. Cependant, je m'éloigne du sujet, car ce n'est pas le cas en l'espèce, puisque la décision finale reposait sur deux autres facteurs.

V. LA PREUVE

L'avocat de la Commission a accordé beaucoup d'importance à une rencontre qui avait eu lieu entre le plaignant et le lieutenant Ritcey et au cours de laquelle le plaignant a appris que sa demande de sélection en vue d'une évaluation par le jury de sélection des contrôleurs de la circulation aérienne avait été rejetée. Dans les dossiers confidentiels du plaignant, on peut lire la note suivante en date du 15 août 1985:

[TRADUCTION]

Le candidat concerné a été avisé du fait qu'il n'avait pas été choisi pour la classification de contrôleur de la circulation aérienne; il désire tenter sa chance dans la catégorie de la navigation aérienne. Il a été avisé qu'il avait été refusé surtout à cause de son âge et qu'il se heurterait probablement au même problème s'il présentait sa demande dans la catégorie de la navigation aérienne. Il veut cependant tenter sa chance de toute façon.

Cette note a été rédigée par le lieutenant Bert Ritcey. Le plaignant a dit au cours de son témoignage que, comme il attendait toujours de savoir s'il serait choisi pour participer au concours de recrutement des contrôleurs de la circulation aérienne et qu'il était de plus en plus impatient, il a décidé de faire certaines démarches auprès du bureau de recrutement situé sur la rue Laurier, à Ottawa. C'est lui qui a communiqué avec le lieutenant Ritcey pour obtenir plus de renseignements au sujet de son dossier.

Au cours de son témoignage, le lieutenant Ritcey a dit qu'il se rappelait avoir rencontré le plaignant et lui avoir dit qu'il n'avait pas été choisi. Il appert clairement du témoignage du lieutenant Ritcey que celui-ci n'avait rien à voir avec la démarche de sélection à ce moment-là et que, lorsque le plaignant a voulu en savoir davantage, il a accepté de téléphoner à la Direction de la sélection. Il a parlé à un certain capitaine Harrison et lui a demandé d'autres renseignements au sujet du refus de la demande de sélection du plaignant. Le lieutenant Ritcey se rappelle que le capitaine Harrison lui a dit que le jury de sélection avait jugé que le plaignant n'était pas un candidat approprié et qu'il ne répondait peut-être pas aux exigences du Modèle de planification à long terme.

Le lieutenant Ritcey ne se rappelle pas avoir dit au plaignant, comme celui-ci le prétend, que [TRADUCTION] la principale raison du rejet de votre demande est votre âge. Cependant, il n'a pas nié non plus avoir dit ces mots au plaignant. Le lieutenant Ritcey a admis qu'il ne comprenait pas le Modèle de planification à long terme et ne pouvait faire

- 9 -

le lien entre ce modèle et l'âge du requérant. Il a aussi admis que, comme il ne comprenait pas tout ça, il n'a pas bien expliqué au plaignant comment ce modèle a pu avoir une influence sur la demande de sélection du requérant comme candidat à un poste de contrôleur de la circulation aérienne. En ce qui a trait à la note en date du 15 août 1985 qui apparaît au dossier du plaignant, le lieutenant Ritcey a expliqué encore une fois que la note démontrait bien qu'il ne comprenait pas les renseignements que lui avait donnés le capitaine Harrison.

Le capitaine Harrison ne se rappelait pas avoir mentionné le Modèle de planification à long terme. Il ne se souvenait pas non plus de la conversation téléphonique qu'il a eue avec le lieutenant Ritcey et il n'a donc pas pu dire s'il a vraiment été question du Modèle de planification à long terme. Il a dit au Tribunal que, lorsqu'il a fait partie de jurys de sélection et qu'il a évalué des candidats, il n'a pas tenu compte de l'âge.

Le lieutenant-colonel Moffat, une des personnes responsables de l'évaluation des candidats comme membre du jury de sélection des contrôleurs de la circulation aérienne en 1985, a dit que l'âge n'était pas un facteur dont il tenait compte pour évaluer les candidats. Ce qui lui importait davantage, c'était le rendement que le candidat avait donné lors des occupations qu'il avait exercées jusqu'au moment où le dossier parvenait à son bureau. En d'autres termes, le lieutenant-colonel Moffat accordait davantage d'importance au vécu du candidat.

Le lieutenant-colonel MacDonald a répété également que l'âge n'était pas un facteur dans le processus de sélection des candidats à un poste de contrôleur de la circulation aérienne. Il a aussi mentionné que le Modèle de planification à long terme n'était pas utilisé à l'époque de la demande de M. Spurrell. Selon ce témoin, ce modèle n'était pas très utile aux fins du recrutement, parce qu'il était plutôt arbitraire et pouvait léser des personnes qui étaient par ailleurs de très bons candidats. De l'avis de ce témoin, M. Spurrell n'a pas été évalué au regard du Modèle de planification à long terme, parce que celui-ci n'était pas utilisé au moment où il a présenté sa demande.

Selon le Tribunal, le lieutenant Ritcey a avisé le plaignant qu'il n'avait pas été choisi comme candidat à un poste de contrôleur de la circulation aérienne principalement en raison de son âge, mais ce renseignement était erroné et était fondé sur une mauvaise compréhension de la part du lieutenant Ritcey et sur le fait qu'il n'avait pas suffisamment de données au sujet du dossier du plaignant. Cette erreur s'est même répétée lorsque le lieutenant Ritcey a indiqué dans le dossier du plaignant que celui-ci se heurterait probablement au même problème s'il présentait une demande de sélection dans le groupe des navigateurs aériens.

La preuve présentée au Tribunal indique clairement que la demande d'emploi du plaignant à un poste de navigateur aérien a été rejetée initialement en raison de certains renseignements médicaux et non en raison de l'âge qu'il avait lorsqu'il a déposé sa demande. Les personnes qui ont

- 10 -

participé à la démarche de sélection proprement dite, soit le lieutenant- colonel MacDonald, le lieutenant-colonel Moffat ainsi que le capitaine Harrison, ont dit que le rejet de la demande de sélection de M. Spurrell n'était pas fondé sur l'âge. La seule preuve contradictoire à ce sujet a été présentée par le lieutenant Ritcey, qui n'avait pas participé antérieurement à la démarche de sélection dans le cas du plaignant, mais qui se trouvait au bureau lorsque celui-ci s'est informé de l'évolution de son dossier en août 1985.

Le Tribunal est d'accord avec l'intimée lorsqu'elle dit que le processus d'embauchage suivi par les Forces armées canadiennes dans le cas de M. Spurrell n'était peut-être pas sans faille, mais que c'était à tout le moins une démarche consciencieuse qui a mené à des décisions fondées sur un certain nombre de facteurs objectifs. Le plaignant a été évalué en même temps que trente-neuf autres candidats. Il a passé des tests objectifs concernant ses aptitudes générales, son rendement académique et son potentiel militaire.

Le plaignant a été classé dix-neuvième parmi les personnes qui ont présenté une demande en vue d'être sélectionnées pour l'un des quatorze postes de contrôleur de la circulation aérienne qui étaient alors disponibles. Le Tribunal n'a pas reçu de preuve indiquant que le plaignant était plus qualifié à l'époque que les quatorze postulants qui ont été choisis pour poursuivre la démarche de sélection des contrôleurs de la circulation aérienne. Comme la preuve de l'intimée l'indique, si l'on avait tenté de faire une distinction à l'encontre du plaignant en raison de son âge, cette distinction aurait eu pour effet d'éliminer plus tôt M. Spurrell du processus de sélection.

L'intimée soutient que, même si M. Spurrell avait les qualités voulues pour devenir contrôleur de la circulation aérienne, il n'était pas aussi bien qualifié que les postulants qui ont été choisis pour les postes disponibles. La preuve n'indique nullement que, si d'autres postes avaient été disponibles dans le domaine du contrôle de la circulation aérienne, le plaignant n'aurait pas été choisi pour l'un de ces postes.

L'intimée a admis qu'elle a examiné l'âge des postulants uniquement pour déterminer [TRADUCTION] ce qu'ils avaient fait dans leur vie, ce qu'ils avaient fait jusqu'à ce moment-ci. Le Tribunal ne voit là aucune violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne. L'intimée n'a pas dit que l'âge du candidat n'a jamais été examiné. Selon la preuve qu'elle a présentée, l'âge du candidat n'était pas un facteur dont on a tenu compte pour décider en dernier ressort de choisir ou de ne pas choisir ce candidat. Ce sont deux choses bien différentes. Dans un premier temps, on reconnaît que l'âge d'un postulant est un facteur dont il y a lieu de tenir compte pour des raisons qui devraient être évidentes pour quiconque se trouve dans une position d'employeur réel ou éventuel.

Cependant, si l'employeur allait plus loin et décidait de ne pas embaucher une personne pour le motif que celle-ci ne convient pas, en raison de son âge, il agirait alors de façon discriminatoire. La prépondérance de la preuve indique que l'intimée n'a pas dépassé cette limite et que la

- 11 -

décision de ne pas accepter le plaignant comme candidat à un poste de contrôleur de la circulation aérienne n'était pas fondée sur son âge.

En ce qui a trait à la plainte concernant une politique, le Tribunal tient compte du fait qu'un certain nombre de candidats n'appartenant pas au groupe d'âge privilégié ont demandé et reçu des offres de sélection pour le poste qu'ils avaient choisi. Le Tribunal a entendu le témoignage du lieutenant-colonel MacDonald, qui a dit que le Modèle de planification à long terme n'était pas utilisé à l'époque de la demande de M. Spurrell. L'avocat de la Commission a soutenu que quelques-uns des candidats qui n'appartenaient pas au groupe d'âge privilégié et qui ont été sélectionnés pour le poste de contrôleur de la circulation aérienne étaient peut-être des personnes qui s'étaient réenrôlées dans les Forces armées canadiennes. C'est possible, mais le Tribunal a également constaté que ces personnes auraient été tenues de se conformer à une démarche bien semblable à celle que doit suivre l'homme de la rue qui présente une première demande d'emploi. Qu'il s'agisse d'une nouvelle recrue ou d'une personne qui se réenrôle, les Forces armées canadiennes se demanderaient dans les deux cas s'il y a lieu d'investir dans la formation de cette personne. L'existence d'un groupe d'âge privilégié ne constitue pas en soi une politique discriminatoire selon la Loi canadienne sur les droits de la personne. Il appert de la preuve présentée devant le Tribunal que quelques candidats n'appartenant pas au groupe d'âge privilégié se sont vu offrir un emploi.

Pour tous les motifs précités, la plainte qui a été déposée conformément à l'alinéa 7a) et à l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et dans laquelle le plaignant reproche à l'intimée d'avoir fait montre de discrimination fondée sur l'âge à son égard est rejetée. J'en arrive maintenant à la plainte formulée conformément à l'alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, soit la plainte de discrimination fondée sur une déficience.

PLAINTE DE DISCRIMINATION FONDÉE SUR UNE DÉFICIENCE

Ayant déterminé qu'il avait la compétence voulue pour entendre la plainte que M. Spurrell a formulée conformément à l'alinéa 7a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, c'est-à-dire la plainte de discrimination fondée sur une déficience, le Tribunal a entendu cette plainte les 11 et 12 septembre 1991.

Le Tribunal devait déterminer s'il y avait eu discrimination fondée sur une déficience perçue chez M. Spurrell et, dans l'affirmative, quelles étaient les réparations dont le plaignant disposait. Le Tribunal devait également déterminer les conséquences découlant du fait que la Commission canadienne des droits de la personne a admis que la norme d'acuité visuelle des Forces armées canadiennes constituait une exigence professionnelle justifiée (EPJ).

Un bref examen des faits s'impose. Le plaignant a passé un examen ophtalmologique le 10 mai 1985 au centre médical de la Défense nationale (CMDN). Cet examen a eu lieu à la suite de la demande initiale de sélection relative à la classification de contrôleur de la circulation

- 12 -

aérienne qu'il a déposée le 11 mars 1985. L'ophtalmologiste du CMDN a jugé que le requérant respectait les normes de vision minimales se rapportant à la classification de contrôleur de la circulation aérienne. Cependant, le plaignant n'a pas été sélectionné pour cette classification. Lorsqu'il a été informé de cette décision en 1985, il a exprimé le désir de présenter une demande de sélection relative à la classification de navigateur aérien. Le centre de recrutement a donc examiné le profil de vision du plaignant par téléphone le 13 septembre 1985 avec un dénommé sergent Knapp, technicien ophtalmologique du service de consultations ophtalmologiques du CMDN. Le sergent Knapp a fait savoir au centre de recrutement que le plaignant ne convenait pas pour la classification de navigateur aérien en raison de sa vision. Le plaignant a été informé en ce sens le 13 septembre 1985. Dans une lettre qu'il lui a fait parvenir le 23 octobre 1985, le commandant du centre de recrutement des Forces canadiennes explique en ces termes au plaignant pourquoi sa demande de sélection relative à la classification de navigateur aérien ne pouvait être acceptée:

[TRADUCTION]

La raison pour laquelle votre demande d'emploi comme navigateur aérien ne pouvait être examinée est une raison d'ordre médical. Les exigences médicales qui s'appliquent au personnel navigant sont très strictes. Votre vue respecte la norme minimale qui s'applique aux navigateurs aériens en ce qui a trait à l'acuité visuelle. Cependant, il existe aussi d'autres normes à respecter. Malheureusement, le centre médical de la Défense nationale a jugé que votre vue ne respecte pas la norme de réfraction sous cycloplégique qui est imposée aux navigateurs aériens.

Il appert de la preuve documentaire présentée au Tribunal que le profil de vision minimum se rapportant à la classification de navigateur aérien est une classification de la qualité de vision (V) d'au plus 3 et une classification de la qualité de vision des couleurs (VC) d'au plus 2. Cependant, en plus d'avoir un profil de vision d'au plus V3 VC2, les personnes qui présentent leur candidature à un poste de navigateur aérien doivent aussi respecter une limite quant à la myopie, c'est-à-dire que leur myopie ne peut dépasser un équivalent sphérique de -2.00 dioptries dans chaque oeil. Il appert du dossier ophtalmologique du plaignant qui a été rempli au service de consultations ophtalmologiques du CMDN le 10 mai 1985 que son profil de vision était de V2 VC2, ce qui était conforme au profil de vision de V3 VC2 exigé dans le cas des navigateurs aériens. Cependant, la myopie du plaignant ne respecte pas la limite de -2.00 dioptries. Sa myopie est de -2.75 dioptries dans les deux yeux, ce qui dépasse la limite prescrite à l'égard des navigateurs aériens. La myopie du plaignant a été déterminée à partir des résultats du test de réfraction sous cycloplégique.

La Commission canadienne des droits de la personne a institué une enquête concernant la cause du plaignant. Le chef du service d'ophtalmologie du CMDN, qui n'a pas participé à l'évaluation du plaignant en 1985, a examiné avec l'enquêteur les résultats de l'examen ophtalmologique du plaignant. Il a dit que, même si elle était imparfaite, la vision des couleurs du plaignant ne comportait pas de danger et respectait la norme minimale qui s'applique au navigateur aérien. A son

- 13 -

avis, la vision du plaignant pouvait être parfaitement rectifiée. Cependant, il a souligné que la myopie du plaignant dépassait la limite prescrite pour le navigateur aérien. Il a ajouté que, en principe, le plaignant était inapte à occuper un poste au sein du personnel navigant, en raison de son vice de réfraction décelé sous cycloplégique. Il a cependant ajouté que les ophtalmologistes du service de consultations ophtalmologiques du CMDN ont un pouvoir discrétionnaire lorsque vient le moment de recommander si un candidat à un poste au sein du personnel navigant convient ou non. Un vice marginal de réfraction peut être jugé acceptable, lorsque tous les autres aspects de l'examen de la vue sont normaux. S'il avait été consulté, il aurait recommandé le plaignant comme personne apte à occuper un poste de navigateur aérien, malgré son vice de réfraction décelé sous cycloplégique.

L'intimée a ensuite indiqué que, comme ce pouvoir discrétionnaire n'avait pas été exercé en faveur du plaignant et qu'une erreur avait été ainsi commise, puisqu'on avait subséquemment jugé que le plaignant respectait la norme de vision applicable aux navigateurs aériens, celui-ci était admissible à poursuivre la démarche de sélection.

Le 7 février 1986, le plaignant a été invité à se rendre à Toronto en mars 1986 pour suivre un programme d'essai destiné au personnel navigant; d'une durée d'une semaine, ce programme représentait l'étape suivante du processus de sélection des navigateurs aériens. Le plaignant a décliné l'offre et refusé de suivre ce programme, pour plusieurs raisons. Il venait d'obtenir un poste permanent comme chauffeur d'autobus et devait commencer à travailler dans moins de trois semaines. Il craignait de mettre son nouvel emploi en jeu en demandant un congé quelques semaines avant de commencer à travailler. En outre, il a compris que l'intimée lui offrait la possibilité de passer d'autres tests; elle ne lui garantissait pas de poste comme navigateur aérien. Il était encore possible qu'il soit éliminé un peu plus tard au cours du processus de sélection. En outre, le plaignant avait cessé son entraînement physique quelques mois plus tôt et, à son avis, il avait pris au moins dix ou quinze livres.

Le 24 septembre 1987, le commissaire de la Commission canadienne des droits de la personne a avisé le coordinateur des droits de la personne du ministère de la Défense nationale qu'après avoir examiné le rapport d'enquête concernant la plainte de Brent Spurrell à l'encontre du ministère de la Défense nationale, notamment l'allégation de discrimination fondée sur une déficience,

[TRADUCTION] La Commission a décidé, conformément au sous-alinéa 36(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de rejeter la plainte, parce qu'elle est d'avis que l'intimée a établi une exigence professionnelle justifiée au sens de l'alinéa 14a) de la Loi.

LE DROIT

L'avocat de l'intimée a cité au Tribunal les articles 15 et 27 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, dont voici les dispositions pertinentes :

- 14 -

15. Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées;

e) le fait qu'un individu soit l'objet d'une distinction fondée sur un motif illicite, si celle-ci est reconnue comme raisonnable par une ordonnance de la Commission canadienne des droits de la personne rendue en vertu du paragraphe 27(2).

27(2). Dans un cas ou une catégorie de cas donnés, la Commission peut, sur demande ou de sa propre initiative, décider de préciser, par ordonnance, les limites et les modalités de l'application de la présente loi.

(3). Les ordonnances prises en vertu du paragraphe (2) lient, jusqu'à ce qu'elles soient abrogées ou modifiées, la Commission, les tribunaux des droits de la personne constitués en vertu du paragraphe 49(1) et les tribunaux d'appel constitués en vertu du paragraphe 56(1) lors du règlement des plaintes déposées conformément à la partie III.

L'avocat de l'intimée a cité l'affaire Brideau c. Air Canada 1983 4 C.H.R.R. D/1314, où le Tribunal s'est exprimé comme suit à la page D/1316:

Dans l'arrêt Foucault, il a été décidé que ce n'est pas l'handicap physique qui compte mais bien la perception qu'a l'employeur de la condition physique du futur employé. Or, dans le cas présent, le plaignant M. Valère Brideau était perçu par Air Canada comme ayant des bulles d'emphysème aux poumons. Donc, comme un handicapé physique ... bien que rien de cette condition n'existait.

A la page D/1317, le Tribunal a ajouté ce qui suit : C'est la perception qu'a l'employeur de la condition physique du futur employé qu'il faut considérer et non l'handicap physique lui-même.

L'affaire Brideau concernait une personne qui avait présenté une demande d'emploi chez Air Canada comme commis de bord. Le postulant a subi un examen médical. A la suite d'un diagnostic erroné, les médecins représentant Air Canada ont décelé la présence de bulles d'emphysème aux poumons de M. Brideau et la demande de celui-ci a été rejetée pour ce motif. Des examens médicaux subséquents ont prouvé que ce diagnostic était erroné. Modifiant sa position, Air Canada a proposé de réactiver le dossier de M. Brideau et de lui rembourser ses frais. Le Tribunal a dit qu'il avait la compétence voulue pour statuer sur la cause en raison de la perception de discrimination qui, à son avis, constituait de la discrimination tout autant que les autres formes de distinction reconnues à ce titre. Dans l'affaire Brideau, le Tribunal a cependant jugé qu'une EPJ

- 15 -

avait été établie, étant donné qu'un commis de bord ne pouvait avoir de bulles d'emphysème aux poumons, parce que cet état constituerait un danger pour sa santé. Étant d'avis que la défenderesse avait établi une EPJ, le Tribunal a rejeté la plainte.

CONCLUSION

Tout comme dans l'affaire Brideau, la présente plainte de M. Spurrell concerne une déficience perçue qui a été révisée quelque cinq mois plus tard, lorsque M. Spurrell s'est vu offrir la possibilité de poursuivre sa démarche en vue d'obtenir un poste comme navigateur aérien dans les Forces armées canadiennes. Le Tribunal est d'avis que l'intimée a le droit d'invoquer une défense d'exigence professionnelle justifiée. Dans sa lettre du 24 septembre 1987, la Commission canadienne des droits de la personne a reconnu que l'intimée avait établi une EPJ au sens de l'alinéa 14a) de la Loi qui était alors en vigueur. Même si l'avocat de la Commission a soutenu avec succès que le plaignant devrait avoir la possibilité de se faire entendre par un tribunal, le présent Tribunal est d'accord avec l'avocat de l'intimée lorsqu'il dit que les normes qui s'appliquaient à la plainte de M. Spurrell concernant une politique s'appliquent aussi à sa plainte fondée sur l'article 7. Comme la Commission le mentionne dans sa lettre du 24 septembre 1987, le plaignant a été avisé de la décision de ladite Commission en ce qui a trait à l'EPJ.

La preuve indique que la Commission n'a ni révoqué ni modifié sa position sur ce point. Conformément à l'alinéa 15a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, le Tribunal est donc lié par la conclusion relative à l'existence d'une EPJ. La plainte de M. Spurrell qui est fondée sur l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne et qui concerne la perception de déficience est rejetée.

Il appert clairement de la preuve que les Forces armées canadiennes n'ont pas traité le dossier de M. Spurrell comme elles auraient dû le faire. L'avocat de l'intimée a reconnu que le dossier de M. Spurrell avait été traité de façon inappropriée et il a même ajouté que la demande du plaignant n'a pas été étudiée comme elle aurait dû l'être. En outre, l'avocat de l'intimée a présenté à M. Spurrell les excuses des Forces armées canadiennes et de Sa Majesté la Reine en Chef du Canada pour la façon dont sa demande d'admission dans les Forces armées canadiennes avait été traitée. Le Tribunal convient que ces excuses s'imposent. Les Forces armées ont modifié leur conclusion concernant la perception de déficience dans un délai raisonnable, ce qui est fort louable de leur part. Le plaignant n'a pu se prévaloir de l'offre qui lui a été présentée pour des motifs qui étaient tout à fait compréhensibles. Même si le plaignant est victime de circonstances malheureuses, le Tribunal est d'avis que ces circonstances ne créent pas pour l'intimée l'obligation d'indemniser le plaignant à l'égard de la façon dont son dossier a été traité. Pour les motifs précités, toutes les plaintes entendues par le Tribunal en l'espèce sont rejetées.

Fait à Ottawa, le 15 mai 1992

- 16 -

Hugh L. Fraser Tribunal

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.