Tribunal canadien des droits de la personne

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LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE L.R.C. 1985, ch. H-6 (version modifiée)

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE

ENTRE

DOUGLAS H. MARTIN, ERNEST H. GROSSEK, ROBERT JAMES SLAVIK, DAVID E. KILMARTIN, RONALD McISAAC, J. JACQUES LEMIEUX, RAYMOND BLANCHET, GERALD ROBICHEAU, ROLAND LAVIGNE et PETER McCULLOUGH

les plaignants et

MINISTERE DE LA DÉFENSE NATIONALE et FORCES ARMÉES CANADIENNES

les intimés

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

DÉCISION DU TRIBUNAL

LE TRIBUNAL: Me Sidney N. Lederman, c.r., président Me J. Grant Sinclair, c.r., membre Me Daniel Proulx, membre

ONT COMPARU: Me René Duval Avocat de la Commission canadienne des droits de la personne

Me Barbara A. McIsaac, c.r. Me Meg Kinnear Avocates des intimés

DATES ET LIEU DE les 9 février, 22, 23 et 24 mai, 4, 5 et L'AUDIENCE 6 juin et 24, 25 et 26 septembre 1990; les 8, 9, 10 et 11 avril, 22, 23 et 24 mai et 30 et 31 juillet 1991 Ottawa (Ontario)

I. LA NATURE DES PLAINTES

La présente cause concerne dix plaignants. Neuf d'entre eux sont d'anciens membres des Forces armées canadiennes (FAC) qui sont maintenant à la retraite; un des plaignants, Douglas Martin, est actuellement officier en service actif au sein des FAC, tandis que David Kilmartin et Robert Slavik sont des officiers à la retraite. Les autres plaignants, en l'occurrence, Raymond Blanchet, Ernest Grossek, Jacques Lemieux, Roland Lavigne, Ronald MacIsaac, Peter McCullough et Gerald Robicheau avaient atteint divers grades de militaires du rang à leur retraite. A l'exception du capitaine Martin, tous les plaignants ont été forcés de prendre leur retraite.

Tous les plaignants allèguent dans leurs plaintes que les FAC et le ministère de la Défense nationale, en appliquant une politique sur l'âge obligatoire de la retraite (AOR), ont fait montre de discrimination à leur endroit ou les ont privés de possibilités d'emploi, contrairement aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Dans le cas de Martin, sa plainte repose sur une légère modification de cette allégation. Martin devait prendre sa retraite en 1986, mais il a obtenu une prolongation de deux ans. Selon les conditions de cette prolongation, il ne pouvait obtenir de promotion et était limité à des postes dans une région géographique précise. Au cours de cette période de prolongation, son engagement a été converti en un engagement de durée indéterminée pour lequel l'AOR était de 55 ans et l'année de retraite, l'an 2002. Il soutient qu'il ne devrait pas faire l'objet d'une retraite obligatoire et que ses possibilités de carrière ont été amoindries par les événements qui sont survenus avant la conversion de son engagement et qui étaient dictés par les politiques concernant l'AOR.

II. LES POLITIQUES DES FAC CONCERNANT L'AGE OBLIGATOIRE DE LA RETRAITE

Les conditions d'enrôlement actuellement en vigueur des FAC au sujet de l'âge obligatoire de la retraite des officiers et des militaires du rang (MR) sont énoncées dans les Ordonnances et Règlements royaux (ORR), plus précisément à l'article 15.17 et ses modifications, au tableau G, dans le cas des officiers, et à l'article 15.31 et ses modifications, au tableau D, dans le cas des MR. L'AOR est le même pour les officiers et pour les MR, soit 55 ans. Ces conditions sont entrées en vigueur le 1er avril 1976 pour les officiers du service général, le 1er juillet 1988 pour les officiers spécialisés et le 1er avril 1978 pour les MR. Le nouveau régime couvre tous les officiers qui sont entrés en fonctions après le 1er avril 1976 (1978 dans le cas des MR) ainsi que les officiers et les MR qui sont entrés en fonctions avant cette date, mais dont l'engagement a été converti en engagement visé par les nouvelles conditions.

Cependant, les conditions entourant l'AOR ne sont pas aussi simples, comme l'indiquent le nombre élevé de pièces présentées par les parties et le nombre de témoins appelés à expliquer ces politiques. Chacun des plaignants a été forcé de prendre sa retraite et de quitter les FAC dès qu'il atteignait son AOR. Seul Grossek avait atteint l'âge de 55 ans. Martin sera mis à la retraite à l'âge de 55 ans. Les autres plaignants ont dû prendre leur retraite à différents âges, mais tous avaient moins de 55 ans. Pour comprendre pourquoi, il est nécessaire d'examiner l'évolution de la politique AOR.

a) Les anciennes conditions d'enrôlement

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La principale preuve concernant les conditions d'enrôlement actuellement et précédemment en vigueur a été présentée par le major Shirley Pare et le major Edward Razzell, qui font tous deux partie de la Direction - administration des carrières. Voici un résumé de leur témoignage.

Selon le régime antérieur, l'AOR de l'officier en service actif au sein des FAC était déterminé par les conditions d'enrôlement qui prévalaient avant 1968 ou avant l'unification ou par les conditions qui sont entrées en vigueur après 1968 ou après l'unification. Les membres qui s'étaient joints aux FAC avant 1968 étaient régis par les conditions relatives à un seul service, chaque direction des FAC ayant alors ses propres politiques concernant l'AOR. Lors de l'unification des FAC le 1er février 1968, de nouvelles conditions d'enrôlement applicables aux personnes qui se joignaient aux FAC après cette date sont entrées en vigueur. Cependant, en tout temps avant le 31 janvier 1969, l'officier en service actif pouvait choisir de demeurer assujetti aux conditions relatives à un seul service (en vigueur avant 1968) ou d'être régi par les conditions en vigueur après 1968. Une fois que ce choix était fait, la décision était irrévocable.

b) Les nouvelles conditions d'enrôlement

Les nouvelles conditions d'enrôlement qui ont été adoptées et selon lesquelles l'AOR est de 55 ans faisaient partie du Programme d'orientation des carrières - officiers (POCO) et du Programme d'orientation des carrières - personnel non officier (POCPNO). Ces programmes visaient à solutionner différents problèmes au sein des FAC, notamment un certain déséquilibre dans la répartition des âges et des grades, la stagnation dans un grade et la lenteur du processus de promotion, un taux élevé d'attrition non prévue chez les officiers et une baisse marquée des pensions en raison du fait que la retraite était prise avant l'âge normal de la retraite. Dans le cas des MR, on était également préoccupé par le nombre élevé de membres qui, à la fin de leur engagement, prenaient leur retraite en même temps sans que l'on puisse les remplacer par des personnes ayant atteint le grade voulu.

c) Le POCO

Le POCO est un régime à trois paliers, soit l'engagement de courte durée (ESCD/ECD), l'engagement de durée intermédiaire (ED INT) et l'engagement de durée indéterminée (ED IND), le membre ayant parfois la possibilité de passer d'un type d'engagement au type d'engagement immédiatement suivant. L'engagement des cadets est un ESCD qui devient un engagement de courte durée une fois que les cadets sont membres. L'ECD prend fin après neuf ans de service ininterrompu à titre d'officier. Avant la fin de l'ECD, l'officier peut être choisi en vue de la conversion de son engagement en engagement de durée intermédiaire; s'il reçoit cette offre et qu'il l'accepte, l'officier exercera ses fonctions dans le cadre d'un ED INT pendant une période de 20 ans de service continu.

Les officiers peuvent être admissibles à une conversion à l'ED IND généralement après 15 ans de service et leur cas est examiné en vue de la sélection au cours des cinq années suivantes. S'ils sont choisis, ils serviront dans les FAC jusqu'à l'âge de 55 ans. S'ils ne le sont pas, ils

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serviront dans les Forces jusqu'à la fin de l'ED INT. Cependant, selon la pratique actuelle, l'officier qui ne reçoit pas d'offre bénéficie d'une prolongation de statut pour un emploi non visé par le système de gestion des carrières pour une période de deux ans suivant l'ED INT; après cette période, l'officier est libéré des FAC.

Lorsque ces programmes ont été instaurés, certains critères servaient à déterminer si un ED IND serait offert, soit le grade, le mérite et le quota. Pour être admissible à la conversion de son ED INT en ED IND, le membre devait avoir atteint au moins le grade de major (sauf dans le cas de deux occupations spécialisées); aucune offre n'était faite aux officiers qui n'avaient pas atteint le grade de base. A ce grade, un quota était imposé selon l'occupation militaire, ce qui avait pour effet de restreindre le nombre d'officiers qui se verraient offrir un ED IND. Lorsque le quota était en vigueur, des offres en ce sens étaient faites selon le principe du mérite jusqu'à ce qu'un nombre suffisant d'officiers aient été acceptés pour combler les besoins en effectifs.

A l'heure actuelle, en raison des besoins, le grade de base est celui de capitaine et il n'y a pas de quota. De façon générale, les officiers qui sont assujettis aux conditions d'enrôlement du POCO et qui ont atteint le grade de base pour la conversion se verront automatiquement offrir un ED IND.

d) Le POCPNO

Le POCPNO est également un régime à trois paliers, soit l'engagement initial (EI), l'engagement de durée intermédiaire (ED INT) et l'engagement de durée indéterminée (ED IND). L'EI est un engagement de trois ans et peut être renouvelé pour une autre période de trois ans. Au cours de la quatrième année, selon les besoins en effectifs, les membres jugés aptes se verront offrir un ED INT qui sera en vigueur pendant une période de 20 ans de service continu. Ceux qui ne reçoivent pas d'offre en ce sens seront libérés après six ans de service.

Dès la treizième année de service et pendant les cinq années qui suivent, l'individu est évalué chaque année selon le principe du mérite et cette cote s'accumule au cours de cette période. Pour déterminer si le membre se verra offrir un ED IND jusqu'à l'âge de 55 ans, on se fonde sur des facteurs semblables à ceux qui sont en vigueur pour le POCO, en l'occurrence, le grade, le mérite et le groupe professionnel militaire. Ceux à qui l'on n'offre pas un ED IND sont libérés après 20 ans de service continu, à moins qu'on ne leur propose un engagement pour une période fixe maximale de cinq ans à la fin de laquelle ils sont libérés. A l'heure actuelle, pour être admissible à un ED IND, il faut avoir atteint au moins le grade de sergent ou d'adjudant, selon l'occupation militaire.

e) Les dispositions transitoires

Malgré l'adoption du POCO et du POCPNO, les officiers en service actif ne devenaient pas tous automatiquement assujettis aux nouvelles conditions d'enrôlement. Si tel avait été le cas, les problèmes que vivaient les FAC à l'époque se seraient perpétués. Par ailleurs, on estimait qu'il convenait, tant dans l'intérêt des FAC que dans celui des officiers en service actif, d'accorder à ceux-ci la possibilité, à tout le moins, de faire examiner leur cas en vue d'une conversion au nouveau

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régime. On a donc adopté des dispositions transitoires qui représentaient un compromis entre le fait de proposer les nouvelles conditions aux nouveaux membres seulement et celui de les offrir à tous les membres des FAC.

Selon les dispositions transitoires applicables aux officiers, on offrait à tous les officiers en service actif comptant moins de neuf années de service la possibilité d'être régis par les nouvelles conditions. Des offres sélectives étaient faites à ceux qui approchaient du point de décision, le point de décision pertinent en ce cas étant la conversion à l'ED IND.

Une zone de conversion de trois ans a été créée pour les officiers qui, le 1er avril 1976, comptaient 17 ans de service ou étaient âgés de 37 ans, jusqu'à ce qu'ils atteignent le point 20/40 (c'est-à-dire 20 années de service ou l'âge de 40 ans). Au cours de cette période, on évaluait les officiers en ce qui a trait à la possibilité de leur offrir un ED IND en fonction du grade, du mérite, du quota et du groupe professionnel militaire. Ceux à qui cette offre était faite serviraient dans les FAC jusqu'à l'âge de 55 ans. Ceux qui ne recevaient pas d'offre en ce sens pendant cette période de trois ans serviraient dans les Forces conformément aux conditions d'enrôlement auxquelles ils étaient précédemment assujettis. Ainsi, l'officier qui s'est enrôlé dans les FAC en 1970, alors que l'AOR était de 50 ans, atteindrait la zone de conversion à un ED IND après 17 ans de service ou à l'âge de 37 ans, selon la plus tardive des deux dates. Si l'officier recevait une offre en ce sens et qu'il l'acceptait, il servirait dans l'armée jusqu'à l'âge de 55 ans. Dans le cas contraire, il prendrait sa retraite à l'âge de 50 ans, mais il pourrait bénéficier d'une prolongation de statut pour un emploi non visé par le système de gestion des carrières.

Le POCPNO comportait des dispositions transitoires similaires. A l'origine, de 1978 à 1986, les membres ayant atteint le point 17/37 (17 années de service ou l'âge de 37 ans) pouvaient se voir offrir un ED IND et leur cas était examiné en fonction du grade, du mérite et du groupe professionnel militaire. En outre, le membre ne recevrait pas d'offre en ce sens si cette offre avait pour effet de réduire la pension de plus de 20 % au cours de l'année pendant laquelle le membre devait normalement prendre sa retraite. En 1986, les critères ont été modifiés, de sorte que deux grades seulement, soit ceux d'adjudant ou de sergent, selon le groupe professionnel militaire, étaient désormais admissibles en vue de la sélection à un ED IND. Si aucune offre n'était faite pendant la période de conversion, le membre devait prendre sa retraite dès qu'il atteignait l'AOR précédemment en vigueur.

Les dispositions transitoires prévoient que les officiers en service actif et les MR peuvent être sélectionnés en vue d'un ED IND, ce qui augmenterait leur AOR à 55 ans, soit, dans la plupart des cas, un âge supérieur à celui qui était en vigueur selon les anciennes conditions d'enrôlement. Le membre en service actif qui ne reçoit pas d'offre en ce sens doit prendre sa retraite à l'AOR précédemment en vigueur. Dans la plupart des cas, sinon la totalité, le membre aura donc accumulé plus de 20 ans de service, ce qui est le maximum pour ceux qui s'enrôlent dans les FAC après 1976 et 1978 et qui ne se voient pas offrir un ED IND.

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f) Les plaignants et les politiques concernant l'AOR

Des dix plaignants seuls Grossek et Martin ont reçu et accepté une offre d'ED IND, dont l'AOR est 55 ans. Grossek a été libéré lorsqu'il a atteint son AOR, soit 55 ans. Comme nous l'avons déjà mentionné, Martin doit prendre sa retraite lorsqu'il atteindra l'âge de 55 ans.

Slavik, qui était médecin militaire (spécialiste), n'était pas admissible à être sélectionné en vue d'un ED IND, parce qu'il a atteint son AOR en 1987, avant l'entrée en vigueur du POCO pour les officiers spécialistes.

Les autres plaignants n'ont pas reçu d'offre d'ED IND, soit parce qu'ils n'avaient pas atteint le grade de base ou parce qu'ils ne respectaient pas les autres critères d'admissibilité aux fins de la sélection. Tous ont été mis à la retraite lorsqu'ils ont atteint leur AOR applicable.

Les plaignants allèguent essentiellement qu'ils ont été forcés de prendre leur retraite pour le seul motif qu'ils avaient atteint un certain âge prescrit. Les intimés ne contestent pas vraiment le fait que cette politique constitue une pratique discriminatoire selon les articles 7 et 10 de la LCDP. Ils ont plutôt soutenu que les politiques relatives à l'AOR constituaient une exigence professionnelle justifiée (EPJ) au sens de l'alinéa 15a) de la LCDP ou un règlement visé par l'alinéa 15b) de cette même Loi.

La Commission a contesté la validité constitutionnelle des articles 15.17 et 15.31 des ORR ainsi que de l'alinéa 15b) de la LCDP, soutenant que ces dispositions constituaient de la discrimination fondée sur l'âge et allaient à l'encontre de l'article 15 de la Charte des droits et libertés et qu'elles n'étaient pas protégées par l'article premier de celle-ci. A notre avis, nous devons examiner la question liée à la Charte uniquement si nous en venons à la conclusion que les articles 15.17 et 15.31 des ORR sont visés par l'alinéa 15b) de la LCDP. Ce n'est qu'à ce moment qu'il faudra statuer sur la validité constitutionnelle de cette dernière disposition.

III. L'ALINÉA 15b) DE LA LCDP : AGE MAXIMAL PRÉVU PAR LES REGLEMENTS

Voici le libellé de l'alinéa 15b) de la LCDP :

Ne constituent pas des actes discriminatoires :

b) le fait de refuser ou de cesser d'employer un individu... qui a atteint l'âge maximal prévu... pour l'emploi en question par la loi ou les règlements que peut prendre le gouverneur en conseil pour l'application du présent alinéa.

La Commission allègue que, pour être visé par l'alinéa 15b), une loi ou un règlement doit avoir été adopté expressément pour l'application du présent alinéa. Les intimés ne sont pas d'accord. Ils se fondent sur la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans L'Administration de pilotage du Pacifique c. Arnison, [1981] 2 C.F. 206 (C.A.F.). Ils invoquent également le sens ordinaire des mots ainsi que l'objectif du législateur.

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L'arrêt Pilotage du Pacifique portait sur l'alinéa 4(1)a) du Règlement général sur le pilotage adopté sous l'autorité de la Loi sur le pilotage, selon lequel tout candidat à un brevet de pilote devait être âgé d'au moins 23 ans et d'au plus 50 ans. Le requérant, qui était âgé de 50 ans, a été jugé inadmissible à demander un brevet et a déposé une plainte fondée sur les articles 7 et 10 de la LCDP. Il a également soutenu que l'alinéa 4(1)a) n'a pas été valablement adopté sous l'autorité de la Loi sur le pilotage et était inconstitutionnel. Pour sa part, l'Administration du pilotage a fait valoir qu'elle était tenue par la loi de prendre cette mesure conformément à l'alinéa 4(1)a) et s'est fondée sur l'alinéa 14b) [aujourd'hui l'alinéa 15b)] de la LCDP.

Jugeant que le règlement était valide, le juge LeDain a conclu (à la page 210) que ... le refus d'employer qui nous intéresse était clairement autorisé par l'article 14b) de la Loi, et que, en conséquence, il ne pouvait constituer une pratique discriminatoire.

Pour en arriver à cette conclusion, le juge LeDain n'a pas examiné les conditions relatives à l'application de l'alinéa 15b) et, d'après la décision, il ne semble même pas que cette question ait été débattue. Nous sommes donc réticents à dire que cet arrêt constitue un jugement décisif permettant d'affirmer que les articles 15.17 et 15.31 des ORR sont protégés par l'alinéa 15b) de la LCDP.

Lorsqu'elle a formulé l'argument relatif à l'alinéa 15b), l'avocate des intimés a eu du mal à attribuer un sens aux mots pour l'application du présent alinéa, que l'on trouve à la fin de cette disposition. L'avocate a admis que ces mots sont superflus et a dit que la disposition avait tout simplement été rédigée de façon maladroite. A son avis, le but évident du législateur est d'exempter les lois et règlements fédéraux concernant la retraite obligatoire de l'application de la LCDP. Selon elle, l'alinéa devrait être interprété comme s'il était rédigé de la façon suivante :

le fait... de cesser d'employer un individu... qui a atteint l'âge maximal prévu... pour l'emploi en question par la loi ou les règlements ... que, pour l'application du présent alinéa, peut prendre le gouverneur en conseil.

Cela signifierait que les derniers mots ont pour but d'indiquer qui peut prendre les règlements, seuls les règlements adoptés par le gouverneur en conseil étant visés par l'alinéa.

Nous ne sommes pas d'accord. Cette interprétation pourrait être faite même en l'absence des derniers mots de l'alinéa 15b), comme l'avocate l'a d'ailleurs admis. Pour que ces mots aient un sens dans le contexte de l'alinéa, ils doivent signifier qu'une loi ou un règlement doit être adopté de façon claire et sans équivoque aux fins dudit alinéa pour être exempté de l'application de la LCDP.

Les articles 15.17 et 15.31 des ORR ne comportent aucun renvoi à la LCDP. Ce n'est pas étonnant, étant donné qu'ils ont été adoptés avant l'entrée en vigueur de celle-ci. En conséquence, même en l'absence de mots explicites, il est difficile de croire qu'il s'agit d'un règlement pris pour l'application de l'alinéa 15b) de la LCDP.

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En outre, nous devons tenir compte des principes d'interprétation que la Cour suprême du Canada a énoncés dans quelques récentes décisions au sujet de l'interprétation de la législation sur les droits de la personne. Des lois comme la LCDP sont des textes législatifs de nature spéciale, voire fondamentale ou quasi constitutionnelle. Il faut donc les interpréter de façon large et libérale, afin de favoriser la réalisation de leur objet, soit l'élimination des pratiques discriminatoires : Winnipeg School Division No. 1 c. Craton, [1985] 2 R.C.S. 150, p. 156; O'Malley c. Simpson-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, p. 547; C.N. c. Canada, [1987] 1 R.C.S. 1114, pages 1134 à 1136; Robichaud c. Canada, [1987] 2 R.C.S. 84, p. 92 et R. c. Mercure, [1988] 1 R.C.S. 234, p. 268.

Selon le corollaire de ce principe, il faut nécessairement interpréter de façon restrictive les exceptions énoncées dans les lois antidiscrimination. Une interprétation restrictive de l'alinéa 15b) de la LCDP nous incite à conclure que, si le législateur ou l'exécutif désire se soustraire à l'application de la LCDP en adoptant une disposition prescrivant un âge obligatoire de la retraite, il doit respecter les conditions suivantes :

  1. il doit agir au moyen d'un règlement pris par le gouverneur en conseil ou d'une loi adoptée par le Parlement;
  2. il doit indiquer clairement qu'il a adopté ce règlement ou cette loi pour l'application de l'alinéa 15b) de la LCDP.

Cette interprétation de l'alinéa 15b) est celle qui est la plus conforme à la jurisprudence. Dans l'affaire Craton, précitée, la Cour suprême du Canada a décidé qu'en raison de la nature d'une loi sur les droits de la personne, seule une déclaration claire du législateur permet de modifier, de réviser ou d'abroger cette loi ou de créer des exceptions à l'égard de ses dispositions (précitée, p. 156). Il convient de souligner, en ce qui a trait à cette cause, qu'aucune disposition du Human Rights Act du Manitoba n'indiquait que l'assemblée législative devait avoir recours à une clause dérogatoire explicite pour soustraire une autre loi à l'application de ce texte législatif. En conséquence, si, pour garantir le statut fondamental de la législation sur les droits de la personne, la Cour suprême a jugé nécessaire d'exiger l'adoption d'une clause dérogatoire explicite de la part de l'assemblée législative dans le cas d'une loi sur les droits de la personne qui ne contenait aucune disposition en ce sens, cette interprétation s'impose encore davantage lorsque la loi renferme ce type de disposition explicite.

Nous sommes donc d'avis que les articles 15.17 et 15.31 des ORR ne sont pas exemptés de l'application de la LCDP.

IV. L'ALINÉA 15a) DE LA LCDP : LA DÉFENSE D'EPJ

a) Pourquoi 55 ans?

Pour retenir l'âge de 55 ans comme âge limite plutôt que 50 ou 60 ans, les FAC ont invoqué trois grandes raisons :

  1. c'est l'âge maximal auquel les membres des FAC ont pris leur retraite dans le passé;
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  3. du point de vue de l'âge moyen d'enrôlement, c'est le moment approximatif auquel le membre maximisera sa rente de retraite;
  4. c'est l'âge minimal auquel le membre qui prend sa retraite et qui compte alors au moins 30 années de service devient admissible à l'indexation du coût annuel de la vie selon la Loi sur les prestations de retraite supplémentaires.

Un examen de l'AOR adopté par des forces militaires oeuvrant dans d'autres pays indique que certains critères communs servent de fondement. Ainsi, aux États-Unis, l'âge de la retraite pour les officiers est de 60 ans, 62 ans ou 64 ans, selon le grade, et après 30 ans de service pour les personnes enrôlées. Aucune personne ne peut s'enrôler dans les forces armées américaines si elle est âgée de plus de 30 ans. Les militaires américains peuvent prendre leur retraite après 30 ans de service et recevoir 75 % du salaire qui leur est alors versé. L'âge de la retraite pour les officiers est plus ou moins académique, étant donné que la majorité décident de prendre leur retraite après 30 ans de service. Dans d'autres pays, l'âge de la retraite varie de 45 à 60 ans et dépend souvent du grade et du nombre d'années de service. Il semblerait que, si un AOR est justifiable, l'âge qui est apparemment choisi dans un pays donné dépendra en bonne partie de la date à laquelle le membre est admissible à recevoir sa rente de retraite et du moment le plus favorable pour lui à cette fin. En d'autres termes, l'AOR est choisi de façon qu'à son départ, la personne bénéficie des conditions de retraite les plus avantageuses qui soient. Cela peut expliquer pourquoi un âge donné est choisi comme AOR; cependant, pour déterminer si un AOR est justifié, il faut savoir s'il est nécessaire, du point de vue social ou médical ou du point de vue du rendement, de mettre fin à l'emploi des personnes seulement parce qu'elles ont atteint un certain âge.

b) Principes juridiques généraux

L'arrêt-clé concernant l'exigence professionnelle justifiée (EPJ) est l'affaire Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202. La plupart des tribunaux des droits de la personne et autres tribunaux invoquent cet arrêt comme point de départ de leur analyse dans les causes portant sur les droits de la personne. Dans cette cause- là, la Cour suprême du Canada a décidé que l'établissement d'une EPJ doit reposer sur une preuve indiquant que l'intimé a adopté sa politique de façon honnête et de bonne foi (c'est-à-dire l'aspect subjectif du test) et, ce qui est encore plus important, que sa politique se rapporte

objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général. (Ibid, p. 208)

Le litige en l'espèce ne porte aucunement sur l'aspect subjectif du test. Ce qu'il faut déterminer, c'est si la politique de la retraite obligatoire à un certain âge se rapporte objectivement au rendement du militaire.

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Nous devons donc nous demander si les motifs sociaux et médicaux et les motifs liés au rendement que les FAC ont invoqués pour justifier leur politique au sujet de la retraite respectent ce critère objectif, que l'on peut appeler de façon abrégée le critère de la nécessité raisonnable.

c) Exigences sociales et organisationnelles

L'effectif des FAC est déterminé par le gouvernement et est très fortement structuré. Comme les FAC doivent former elles-mêmes leurs membres, il doit y avoir un roulement constant de personnel depuis les grades inférieurs jusqu'aux grades supérieurs et il doit aussi y avoir des règles relatives à la libération du personnel, lorsque c'est nécessaire, pour éviter la stagnation dans un grade, promouvoir le perfectionnement professionnel et rehausser le moral. Dans le cadre du POCO et du POCPNO, les FAC ont adopté des mesures qui leur permettent, à certains moments précis de la carrière du membre, de maintenir un équilibre approprié entre la jeunesse et l'expérience à tous les grades. Il existe des règles prévoyant le départ à la fin de l'engagement de courte durée (habituellement neuf ans de service pour les officiers et un peu moins pour les MR) ainsi qu'une règle sur le départ à la fin de l'engagement de durée intermédiaire (20 ans de service). Ce sont là les principaux moyens dont les FAC disposent pour modifier la structure de leur personnel afin qu'elle réponde à leurs besoins. En outre, lorsqu'un officier ou un membre continue à servir dans les FAC après la période de l'engagement de durée intermédiaire, il est tenu de prendre sa retraite à l'AOR, soit à 55 ans, ce qui accroît la faculté d'adaptation organisationnelle. Les FAC soutiennent que l'adoption d'un âge obligatoire de la retraite (55 ans) est une mesure de contrôle nécessaire pour assurer le bien-être de l'organisation.

A l'heure actuelle, en raison de l'application de ces règles, peu de lieutenants sont âgés de plus de 28 ans, peu de capitaines sont âgés de plus de 38 ans et peu de majors ont plus de 48 ans. Les FAC appliquent donc un système de sélection et de promotion fortement contrôlé par l'âge. Il s'agit en effet d'un système de nature pyramidale dans lequel on retrouve la plupart des membres plus jeunes, qui ont moins d'expérience, dans les grades inférieurs et un petit nombre de membres plus âgés, qui comptent plus d'expérience, dans les grades supérieurs.

Lorne Tepperman, professeur de sociologie à l'Université de Toronto, a témoigné en faveur d'un AOR et a dit qu'à son avis, l'âge de 55 ans était un âge approprié, pour les quatre raisons suivantes :

  1. toutes les personnes sont ainsi traitées de façon égale quant au moment auquel elles cessent de faire partie de la population active;
  2. les travailleurs moins compétents ou moins motivés ne sont pas tenus de se soumettre à des tests de compétence;
  3. la retraite obligatoire a tendance à promouvoir la mobilité;
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  5. l'adoption d'un AOR assure une certaine stabilité du système de retraite, parce qu'il est ainsi possible de prévoir la demande avec plus de précision.

Selon le professeur Tepperman, l'imposition d'une retraite obligatoire donne lieu à des règles qui protègent les personnes de décisions arbitraires, paternalistes, imprévisibles et peut-être même injustes. L'employé est en effet assuré qu'il peut rester là jusqu'à ce qu'il atteigne un certain âge. Le professeur Tepperman a également fait allusion au facteur de l'humiliation. Lorsqu'il n'existe pas d'AOR, une personne doit nécessairement se soumettre à des tests de compétence; inévitablement, certaines personnes sont alors jugées incompétentes et, par le fait même, elles sont humiliées. En troisième lieu, dans le cas d'une organisation dont l'effectif n'augmente pas, la seule chose qui réglemente l'âge à l'intérieur de la structure, c'est le taux de retraite. Bien que l'expérience soit valable, l'organisation a aussi besoin d'idées nouvelles et de personnes ayant une formation plus récente au sujet des nouvelles technologies.

En ce qui a trait au recrutement et au réenrôlement, le professeur Tepperman a dit que l'adoption d'un AOR indique à une recrue qu'il existe des possibilités de promotion et de perfectionnement. Ce sont ces genres de facteurs pratiques bien plus que des idées liées au devoir et au patriotisme qui incitent les personnes à joindre les rangs de l'armée aujourd'hui. En conséquence, les organisations qui veulent attirer et conserver à leur emploi des personnes qui ont du potentiel doivent offrir une structure de carrière intéressante.

Le professeur Tepperman a conclu en disant que l'adoption d'un AOR est une mesure nécessaire sur le plan organisationnel, humaine et justifiable. On peut peut-être se demander s'il y a lieu d'abaisser ou d'augmenter cet âge (55 ans); cependant, selon lui, l'AOR devrait se situer dans la cinquantaine. Avant cet âge, les personnes élèvent leur famille et s'intéressent beaucoup à leur carrière. Lorsqu'elles atteignent l'âge de 50 ans, leurs obligations familiales diminuent, tout comme leurs ambitions sur le plan du travail. Elles peuvent donc davantage songer, du point de vue financier, à avoir plus de loisirs ou à modifier leur orientation de carrière.

Même si les préoccupations du professeur Tepperman sont légitimes de façon générale, elles ne sont pas nécessairement justifiées dans le contexte de l'armée canadienne. D'abord, comme un membre peut être libéré après l'engagement de courte durée et l'engagement de durée intermédiaire, la personne qui est recrutée sait qu'elle ne restera pas nécessairement dans les FAC après ces deux engagements et ignore évidemment si elle demeurera dans les FAC jusqu'à l'âge de 55 ans. La recrue ne se demandera certainement pas s'il y a des garanties de promotion et de perfectionnement après ces deux périodes d'engagement lorsqu'elle n'est même pas certaine de se rendre jusqu'à ce niveau.

Il est vrai que, si l'AOR est aboli, il faudra se tourner davantage du côté des tests d'aptitudes physiques et des examens médicaux (nous y reviendrons un peu plus loin). Cependant, à notre avis, contrairement à ce que soutient le professeur Tepperman, la personne qui ne réussit pas ces tests un peu plus tard pendant sa carrière ne sera pas

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forcément humiliée. Il y a une grande différence entre le fait de demander à des professeurs d'université, par exemple, de se soumettre à des tests de compétence et d'assujettir le personnel militaire à certaines exigences concernant la forme et la santé. Le principal rôle du personnel militaire est de se tenir prêt à intervenir en cas de guerre ou d'urgence et d'exécuter les directives du gouvernement lors des guerres ou troubles. En tout temps, chacun des membres des FAC doit être en mesure d'agir comme soldat et de démontrer cette capacité; c'est là le principe du soldat d'abord. La raison d'être des tests est de veiller à ce que les FAC soient en tout temps en mesure de remplir leur mandat. Compte tenu de cette exigence, qui est communiquée clairement à chaque recrue dès le départ, il est difficile de reconnaître le bien-fondé de l'argument de l'humiliation. Quoi qu'il en soit, la personne qui échoue aux tests en question n'est pas nécessairement libérée des FAC. Le cas peut être soumis au Conseil médical de révision des carrières, qui peut juger la personne apte malgré une lacune médicale. On peut également adopter un programme qui permettrait au membre de respecter les normes de réussite minimales.

Le professeur Tepperman ignorait que la retraite obligatoire avait été abolie au Québec et dans la fonction publique fédérale. Elle a été abolie au Québec pour certaines entreprises en 1982 et a été éliminée progressivement sur une période de deux ans dans tout le secteur commercial. Des études ont été menées par la suite au sujet des conséquences de l'abolition sur les entreprises et les salaires. M. Noël Boulianne, membre de la Direction de la recherche du ministère de la Main- d'oeuvre du Québec, a participé à ces études. Il a dit que le nombre total de personnes en 1987 qui ont décidé de continuer à travailler plutôt que de prendre leur retraite correspondait à moins de 4 % du nombre total de salariés. De ce nombre, la majeure partie n'avaient pas travaillé assez longtemps pour accumuler la pension maximale et ont donc décidé de continuer à travailler après l'âge de la retraite antérieurement en vigueur, soit 65 ans. Les personnes qui ont continué à travailler après cet âge sont restées en moyenne pour une période supplémentaire de 18,8 mois. En outre, d'après le Task Force Report on Mandatory Retirement que le professeur Ianni a préparé en 1988, on estime que moins de 1 % de la population active provinciale travaillerait après cet âge de 65 ans, si la retraite obligatoire était abolie. Même si ces données concernent l'âge de 65 ans et non 55 ans, elles indiquent que peu de personnes ont tendance à continuer à travailler après l'AOR habituel et que celles qui le font n'ont qu'un seul but, améliorer leurs conditions de retraite. Une fois qu'elles ont maximisé le montant de pension auquel elles ont droit, elles prennent leur retraite.

Contrairement au précepte théorique posé par le professeur Tepperman, la preuve indique qu'un AOR n'est pas obligatoire pour les besoins organisationnels des FAC. C'est ce que révèle le témoignage du brigadier général William Stephenson, directeur général de l'utilisation des effectifs, dont les responsabilités au sein des FAC consistent à prévoir et à maintenir les effectifs. Selon ce témoin, les FAC doivent avoir un roulement de personnel de 10 % chaque année pour assurer à la fois une base de personnes formées pour les grades inférieurs et de bonnes possibilités de carrière.

Le taux d'attrition dans les FAC d'une année à l'autre fait partie intégrante de la planification du personnel et la prévisibilité de

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l'attrition est donc importante. A l'intérieur des FAC, il y a de l'attrition prévue et de l'attrition non prévue.

Ceux qui ont droit à une rente immédiate ou qui ont terminé un engagement, que ce soit l'engagement initial ou l'engagement de durée fixe ou qui ont atteint l'AOR font partie de la catégorie de l'attrition prévue.

Les personnes visées par la catégorie de l'attrition non prévue sont celles qui quittent les FAC pour les raisons suivantes:

  1. elles quittent volontairement les FAC (sur demande);
  2. elles ne conviennent pas;
  3. elles ont commis une faute, sont décédées ou ont des problèmes médicaux;
  4. elles ont échoué lors de la formation.

Le brigadier Stephenson a dit que l'attrition non prévue pour tous les membres des FAC représentait 90,2 % de l'ensemble de l'attrition (prévue et non prévue) pour la période quinquennale allant de 1985 à 1990. En outre, les FAC ont pu prédire le taux d'attrition non prévue de façon assez précise en utilisant les données antérieures. Ce qui nous intéresse davantage en l'espèce, c'est le taux d'attrition attribuable à l'AOR. Le taux moyen d'attrition prévue (dont le taux d'attrition attribuable à l'AOR fait partie) pour les FAC à l'égard de la période quinquennale susmentionnée s'établissait à 9,8 %.

De ce pourcentage de 9,8 %, environ 10 % des départs correspondent à des libérations attribuables à l'AOR, ce qui donne un facteur global attribuable à l'AOR d'environ 1 % seulement. Pour replacer les choses en perspective, indiquons qu'au cours de la décennie allant de 1980 à 1990, 751 personnes en moyenne ont quitté l'armée chaque année parce qu'elles avaient atteint leur AOR, soit 321 officiers et 430 MR. Au cours de cette période, l'armée régulière comptait environ 20 000 officiers et 65 000 MR. En outre, une grande partie de ce groupe de 1 % prendraient néanmoins leur retraite à l'âge de 55 ans, qu'il existe ou non un AOR de 55 ans. Sur ce point, le brigadier général Stephenson a dit qu'il est peu probable qu'un membre comptant de 30 à 35 années de service et ayant droit à une rente de 70 % de son salaire resterait beaucoup plus longtemps. A ce moment de sa carrière militaire, cette personne serait peu incitée à rester, si ce n'est que par amour pur et simple de son travail.

Le brigadier Stephenson a mentionné que, si l'AOR était aboli, il faudrait un certain temps avant de réunir suffisamment de données afin de prévoir le taux d'attrition, mais que cela était possible. Il se peut que des personnes qui auraient quitté au cours de la période de cinq ans précédant leur AOR pour s'orienter vers une deuxième carrière ne songent pas à se réorienter maintenant et restent plus longtemps dans les FAC. Cependant, compte tenu de la preuve selon laquelle la plupart des personnes qui ont atteint la pension maximale préfèrent prendre leur retraite et que

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les FAC peuvent établir une nouvelle base de données pour prévoir l'attrition, nous ne croyons pas que l'incertitude initiale entourant la prévision constitue une raison suffisante en soi pour maintenir la politique actuellement en vigueur au sujet de l'AOR.

Le brigadier Stephenson a également mentionné que le système à trois paliers du POCO et du POCPNO permet aux FAC de contrôler l'attrition, de faire des prévisions sûres et de maintenir leurs effectifs, notamment en situation de croissance. A l'aide du POCO et du POCPNO ainsi que d'un taux d'attrition prévisible, les FAC devraient être en mesure de répondre à leurs besoins organisationnels ainsi qu'aux attentes de leurs membres sur le plan de la carrière.

Comme nous l'avons mentionné plus tôt, la Cour suprême du Canada fait allusion, dans l'arrêt Etobicoke, précité, à une exigence professionnelle qui est raisonnablement nécessaire pour assurer le rendement approprié de l'emploi. Il s'agit bien d'un critère de nécessité et non de commodité. Pour toutes les raisons précitées, nous ne pouvons conclure, d'après la preuve, que la politique concernant l'AOR est raisonnablement nécessaire pour les besoins organisationnels des FAC.

Il ne semble pas non plus que l'abolition de l'AOR aurait des conséquences graves sur le régime de retraite. Selon la législation actuellement en vigueur au sujet de la rente de retraite, le plafond en ce qui a trait au nombre d'années de service ouvrant droit à pension est de 35 ans. La pension maximale qu'un membre recevrait est donc égale à 70 % de ses six meilleures années de service. Une fois qu'ils ont maximisé le montant de pension auquel ils ont droit, les membres ont tendance à quitter les FAC. Comme l'ont dit M. David Primeau, chef de section du Quartier général de la Défense nationale, qui est responsable des questions liées à la politique sur la retraite, ainsi que d'autres personnes responsables des programmes sociaux, il pourrait devenir moins intéressant pour les membres, en ce qui a trait à leur pension, de rester dans les FAC lorsque les augmentations de salaire annuelles ne correspondent pas au taux d'inflation. Comme les pensions sont augmentées d'après l'indice des prix à la consommation, il est préférable pour le membre de quitter les FAC tôt et de bénéficier d'une hausse de pension en fonction de l'IPC plutôt que de continuer à travailler et de voir sa pension s'accroître uniquement en fonction d'une légère hausse de son salaire.

Le professeur Tepperman a soutenu que les décisions d'une personne en matière d'emploi dépendent en grande partie de la situation économique. Il a mentionné que, même si, au cours des dernières années, les personnes (ayant droit à de bonnes conditions de retraite) ont opté pour une retraite anticipée, il est fort possible que la situation économique change au cours des cinq à dix prochaines années et incite les personnes à rester plus longtemps, parce que la pension ne sera peut-être pas suffisante pour répondre à leurs besoins. Cependant, nous ne pouvons accorder beaucoup d'importance à cette hypothèse. Pour savoir si une condition constitue une EPJ, nous devons déterminer si elle est justifiée d'après la situation actuelle et l'analyse des données antérieures. Nous sommes d'avis que le rôle joué par un AOR jusqu'à maintenant n'a pas été important au point où son effet discriminatoire peut être justifié pour cette raison.

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d) Facteur sécurité

(i) Considérations d'ordre général

Les autres motifs que les FAC ont invoqués à l'appui de leur politique sur l'âge obligatoire de la retraite sont des raisons de sécurité découlant des effets néfastes causés par le processus du vieillissement et des conséquences possibles de ce processus sur le plan du rendement du soldat en situation de combat. Il incombe aux FAC de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu'il n'y a pas d'autre solution à ce problème que l'adoption d'une règle générale ayant pour effet d'exclure les personnes dès qu'elles atteignent un certain âge. Dans Robinson c. Forces armées canadiennes, (1992) 15 C.H.R.R. D/95, aux pages D/118 et D/119, dans le contexte d'une EPJ fondée sur des préoccupations liées à la sécurité dans le cas des membres épileptiques, le Tribunal canadien des droits de la personne a défini les questions qui, d'après nous, doivent être examinées :

... si l'emploi présente un risque pour la sécurité de l'employé, des collègues de travail ou pour le public, l'employeur doit le démontrer en présentant une preuve détaillée relativement aux tâches à accomplir et les conditions de travail dans son entreprise. Il se peut alors qu'il n'y ait pas d'autre solution que de reconnaître la nécessité de l'exigence professionnelle consistant en l'exclusion générale d'un groupe protégé par la loi. Mais pour y arriver, l'employeur devra en outre faire la preuve, selon la prépondérance des probabilités, (1) que le groupe de personnes exclu par sa politique d'emploi, par exemple les épileptiques, présente un risque d'erreur humaine suffisant (Etobicoke, p. 210) pour justifier son exclusion générale, (2) qu'il est impossible d'évaluer individuellement le risque que présente chaque membre d'un groupe protégé et (3) que l'exclusion générale d'une catégorie de personnes s'avère un moyen non excessif, c.-à- d. proportionné au but visé.

(ii) Effets du vieillissement sur le rendement du soldat

Peu de personnes nieraient que les opérations militaires sont foncièrement risquées. Comme l'a dit le Tribunal dans Gauthier c. FAC, (1989) 10 C.H.R.R. D/6014, à la page D/6040 :

Les FAC élaborent et évaluent leurs politiques de personnel en fonction du critère fondamental de l'efficacité opérationnelle en temps de guerre ou d'urgence nationale. L'efficacité opérationnelle, ou état de préparation et d'aptitude au combat, détermine les politiques en matière de personnel; ainsi, ces politiques doivent viser à minimiser le danger ou les risques que l'état de préparation au combat comporte en général. En bref, les témoins des FAC ont déclaré que le combat présentait des risques pour les individus, les unités et la population civile. Le but ultime de l'efficacité opérationnelle est la gestion du risque : diminuer le danger couru par ses propres forces armées et augmenter les risques pour l'armée ennemie. C'est pourquoi le risque est au coeur de la défense des FAC...

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Malgré l'évolution de la technologie, la guerre moderne n'est pas devenue entièrement une expérience automatique. Comme nous l'avons vu lors de la bataille des Falkland et de la Guerre du Golfe, elle exige encore de la force physique, de l'agilité, de la rapidité, de la résistance et de l'endurance de la part du soldat. Lorsque nous sommes allés à bord du HMCS Skeena et que nous nous sommes rendus à la Base des Forces canadiennes Petawawa, nous avons eu un bon aperçu de l'aspect physique des situations de combat et des environnements difficiles dans lesquels le militaire doit vivre et travailler. Toute faille ou lacune dans ce contexte pourrait causer des blessures, des décès et l'échec de la mission.

Les FAC imposent un AOR en partie en raison des effets du vieillissement sur les capacités du militaire. L'ensemble de la preuve indique que le phénomène du vieillissement est universel et progressif, qu'il s'accélère lorsque la personne atteint la maturité, qu'il est irréversible et qu'il nuit au rendement. Dès la fin de la vingtaine ou le début de la trentaine, l'individu perd chaque année un peu de sa capacité physiologique. Il est possible de ralentir le rythme de ce vieillissement en adoptant un mode de vie sensé et en faisant des exercices physiques appropriés, mais on ne peut inverser le phénomène.

En outre, plus la personne vieillit, plus les risques de maladie et de morbidité augmentent dans son cas (c.-à-d. que les possibilités de contracter une maladie sont plus grandes et que le rythme de récupération est plus lent).

Les FAC soutiennent que le vieillissement diminue la capacité aérobique et anaréobie d'une personne. En ce sens, la personne a moins de réserves, elle a besoin de plus de temps pour se rétablir, elle est plus vulnérable aux blessures et sa capacité de travail est affaiblie. Le phénomène du vieillissement se caractérise également par une perte de la capacité sensorielle qui touche la vitesse de réaction, les réflexes et la rapidité du mouvement. Le vieillissement provoque aussi une baisse du potentiel de force maximal, une vulnérabilité accrue à la fatigue, une perte de sensibilité thermique et une diminution du seuil de tolérance à la douleur. On note aussi une baisse du fonctionnement moteur, ce qui signifie une perte de souplesse, une perte de tissu musculaire maigre, une diminution de la puissance des muscles et une baisse de la possibilité de réparer les vieux muscles ou de faire de nouveaux muscles. Le vieillissement s'accompagne aussi d'un affaiblissement du système endocrinal, ce qui rend une personne plus vulnérable aux fractures lorsqu'elle est placée en situation de stress.

La Commission admet que ces conséquences découlent inévitablement du vieillissement, mais elle soutient que le rythme varie d'une personne à l'autre et qu'il peut être ralenti, si la personne adopte de bonnes habitudes, notamment en ce qui a trait à la forme physique, au régime alimentaire, à l'usage du tabac, au contrôle du poids, etc.

Le lieutenant-colonel Jack W. Stow, analyste des politiques sur le personnel à la Défense nationale, a exposé le problème en ces termes dans le mémoire qu'il a préparé en 1989 :

[TRADUCTION]

La politique des Forces canadiennes concernant la retraite obligatoire à un certain âge est fondée en

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partie sur la conviction que les personnes plus jeunes sont généralement davantage en mesure de répondre aux demandes et pressions extraordinaires imposées au personnel militaire sur les plans physique et moral en temps de guerre et d'urgence. A son tour, cette conviction est fondée sur l'hypothèse selon laquelle, à un certain moment de la vie, la santé et la forme commencent à décliner au fur et à mesure que le corps vieillit. Effectivement, cette hypothèse est fondée sur plusieurs études concernant le processus de vieillissement, mais ces études n'indiquent pas exactement l'âge auquel le soldat ne serait plus en mesure d'exécuter les tâches militaires nécessaires. En raison des différences entre chacun quant au mode de vie, à l'alimentation et à l'exercice ainsi que de plusieurs variables génétiques et physiologiques, il est pour ainsi dire impossible de faire des prévisions précises à ce sujet. Dans ces circonstances, l'organisation semble avoir le choix entre deux grandes options en ce qui a trait à la cessation d'emploi à la retraite, soit mettre fin à l'emploi à un certain moment imprévisible, lorsque l'évaluation physiologique ou psychologique de la personne indique qu'elle est incapable de respecter une norme préétablie, ou à un certain moment déterminé (comme à l'âge de 55 ans), avant lequel il est raisonnable de s'attendre à ce que tous les membres soient capables de faire face aux pressions psychologiques et physiologiques du service militaire et après lequel cette probabilité baisse de façon inacceptable.

Le facteur de risque découlant du processus de vieillissement dans le contexte militaire n'est aucunement contesté. Nous sommes prêts à admettre que les effets du vieillissement sur les gens soulèvent suffisamment de préoccupations au sujet du risque. Cela nous amène à nous demander si le deuxième facteur mentionné dans l'arrêt Robinson a été établi, soit l'impossibilité en pratique d'évaluer de façon individuelle le risque que présente chaque membre d'un groupe protégé.

(iii) Évaluation individuelle de l'employé

L'objet de la LCDP, qui est énoncé à l'article 2, est de garantir à chaque personne, dans certains domaines vitaux comme l'emploi, l'habitation ou l'accès aux services et aux endroits publics, le droit d'être évaluée de façon individuelle, d'après sa propre valeur et ses propres capacités, plutôt qu'en fonction de son appartenance à un groupe ou à une catégorie de personnes identifiées par une caractéristique personnelle commune : Ville de Brossard c. Québec, [1988] 2 R.C.S. 279, p. 297-298 (le juge Beetz), p. 344 (le juge Wilson); Air Canada c. Carson, [1985] 1 C.F. 209, p. 239 (C.A.).

Il découle logiquement d'un tel objet que l'exclusion générale d'un groupe de personnes d'un emploi donné ne constituera une EPJ que s'il n'est pas raisonnablement possible d'évaluer chaque employé individuellement à l'aide de tests appropriés. Cet élément devient pertinent notamment lorsque l'employeur soutient que la plupart des membres d'un groupe d'employés constituent un risque pour la sécurité. Les problèmes entourant les évaluations individuelles peuvent être imputables à

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différents facteurs, comme l'absence de tests appropriés, les coûts prohibitifs de ces tests, lorsqu'ils existent, ou les risques qu'ils comportent pour la santé ou la sécurité de l'employé. Dans tous les cas, il incombe à l'employeur d'établir que l'évaluation de chacun des individus est impossible, comme l'a clairement indiqué le juge Sopinka au nom d'une Cour unanime dans Saskatchewan Human Rights Commission c. Ville de Saskatoon, [1989] 2 R.C.S. 1297, p. 1313 :

A mon avis, cette jurisprudence indique la bonne façon d'aborder la question des tests individuels. Quoiqu'il ne soit pas absolument nécessaire de faire subir des tests à chaque employé, il se peut que l'employeur ne parvienne pas à s'acquitter de l'obligation qui lui incombe de prouver le caractère raisonnable de l'exigence s'il ne fournit pas une réponse satisfaisante à la question de savoir pourquoi il ne lui a pas été possible de traiter individuellement les employés, notamment en administrant des tests à chacun d'eux. S'il existe une solution pratique autre que l'adoption d'une règle discriminatoire, on peut conclure que l'employeur a agi d'une manière déraisonnable en n'adoptant pas cette autre solution.

Voir également Central Alberta Dairy Pool c. Alberta Human Rights Commission, [1990] 2 R.C.S. 489, à la p. 519 (la juge Wilson) et aux pages 526-527 (le juge Sopinka).

Dans l'arrêt Ville de Saskatoon, précité, la Cour suprême a décidé que la règle de la retraite obligatoire à l'âge de 60 ans pour les pompiers constituait une EPJ, parce que le Tribunal des droits de la personne avait été convaincu par la preuve présentée par l'employeur qu'il y avait un lien entre le vieillissement et la baisse des capacités et qu'il n'existait pas de tests permettant d'évaluer de façon fiable le risque que présentait une personne donnée après l'âge de 60 ans. Ayant décidé que le Tribunal n'avait pas commis d'erreur de droit, le juge Sopinka a conclu qu'il n'appartenait pas aux cours d'appel de mettre en doute les conclusions de fait tirées par le tribunal de première instance.

Nous ne nous considérons pas plus liés par les conclusions de fait que le Tribunal des droits de la personne a tirées dans l'affaire Ville de Saskatoon, précitée, que celui-ci ne l'était par les conclusions de fait tirées par le Tribunal des droits de la personne dans l'affaire Etobicoke, précitée, quelques années plus tôt.

La vraie question à trancher en l'espèce est celle de savoir s'il existe un moyen efficace d'évaluer les personnes pour déterminer si elles respectent la norme appropriée.

Ce problème soulève deux questions :

  1. Quelle est la norme appropriée?
  2. Comme solution de rechange raisonnable à une règle générale sur l'âge de la retraite, existe-t-il suffisamment de moyens peu coûteux pour évaluer les personnes et s'assurer qu'elles peuvent respecter cette norme, quel que soit leur âge?

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En ce qui a trait à la première question, nous avons été quelque peu étonnés d'apprendre, de la bouche du colonel Jack Stowe, que même si les FAC prétendent avoir pour objectifs une capacité et un état de préparation uniformes chez tous les membres de façon qu'ils soient en mesure de lutter en temps de guerre, au besoin, les niveaux de forme qu'elles exigent ne sont que légèrement supérieurs à ceux de l'ensemble de la population et que la forme a tendance à baisser au sein des FAC au même rythme que chez l'ensemble de la population. Les FAC soutiennent qu'elles doivent travailler avec la population qu'on lui donne.

Il nous semble paradoxal que, d'une part, les FAC aient pour principe de maintenir en tout temps un personnel prêt à faire la guerre et que, d'autre part, elles se contentent d'un personnel qui n'est pas beaucoup plus en forme que l'ensemble de la population. Comment les FAC peuvent-elles vraiment remplir leur mandat sans appliquer de programme de forme physique et d'autres programmes leur permettant de s'assurer que leur personnel est prêt à combattre? L'absence de programmes de cette nature justifie-t-elle l'application générale par les FAC du concept selon lequel le vieillissement provoque une baisse générale des capacités physiques et constitue donc une raison valable de libérer les personnes de l'armée à un certain âge? Il ne serait pas déraisonnable de s'attendre à ce que les FAC établissent des critères leur permettant de s'assurer que leur personnel est en bien meilleure forme que le Canadien moyen. Compte tenu de leur mandat, cette attente est tout à fait normale. En outre, comme les membres de l'armée sont assujettis à une responsabilité illimitée, les FAC doivent amoindrir le plus possible les risques de décès et de blessures.

Cela nous amène à nous demander s'il existe effectivement une méthode permettant de prévoir quel sera le rendement réel d'une personne en situation de guerre. Le Dr Robert Wiswell, professeur des sciences de l'exercice à la University of Southern California, a témoigné pour les FAC et a dit que, même s'il est possible d'évaluer les éléments de la forme et, par conséquent, la capacité d'accomplir certaines tâches liées à un emploi à un moment donné, ces tests ne nous indiquent guère comment une personne agira vraiment dans la réalité. A son avis, les tests sur la forme physique sont utiles pour les décisions liées à l'embauchage, dans la mesure où l'on peut s'en servir comme outil de sélection permettant d'éliminer les personnes qui ont des lacunes. Cependant, ces tests ne constituent pas un bon indice du rendement. Ils ne peuvent certainement pas simuler la surcharge psychologique en situation de combat et ne peuvent donc reproduire cette situation. Selon le Dr Wiswell, l'âge constitue le meilleur indice d'évaluation des fonctions cellulaires dans l'ensemble de l'organisme et est donc préférable à tout autre test pour évaluer ou prévoir l'état physiologique d'une personne.

Pour sa part, le Dr Paul Davis, spécialiste de la physiologie de l'exercice, était d'avis qu'il est possible d'évaluer les niveaux de la forme physique. Il existe un niveau de forme qui permet de dire avec confiance qu'une personne peut réagir à la nature ardue du combat lors de la plupart ou de la totalité des groupes professionnels militaires. Il est vrai qu'on ne peut arrêter ou inverser les effets du vieillissement, mais on peut les retarder par la mise en forme. A son avis, l'âge chronologique ne permet d'évaluer que de façon approximative les capacités d'une personne. Même si le vieillissement a des répercussions sur la forme physique, ces répercussions varient selon la personne et il existe de

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nombreuses différences tant entre les personnes d'un même groupe d'âge qu'entre celles qui appartiennent à des groupes d'âge différents. Ainsi, une personne âgée de 42 ans peut être plus en forme qu'une autre âgée de 25 ans. A son avis, l'utilisation de l'âge chronologique comme seul indice de la capacité de travail ne donne pas de résultat aussi objectif que les tests fonctionnels.

Selon le Dr Davis, la principale façon d'évaluer la capacité physiologique d'une personne est de déterminer son niveau VO2 Max. Le niveau VO2 Max est la norme par excellence qui permet de connaître la capacité d'une personne de faire un travail d'une durée prolongée. Cette norme est fondée sur le fait que l'oxygène est l'élément qui permet à l'organisme de fonctionner. Plus le niveau VO2 Max est élevé, plus le niveau de travail qu'une personne peut faire pendant des périodes prolongées sans se fatiguer est élevé. L'âge à lui seul semble avoir très peu d'effets négatifs sur le niveau VO2 Max. Selon une étude, l'âge était un facteur qui ne contribuait qu'à raison de 9 % à expliquer la différence entre le niveau VO2 Max des personnes âgées de 35 ans et celui des personnes de 60 ans. Les différences s'expliquent surtout par le mode de vie.

A l'heure actuelle, les FAC n'ont pas encore adopté de norme minimale sur la forme physique, bien que cette norme soit en cours d'élaboration. Chaque membre des FAC doit se soumettre tous les ans à des tests sur leur forme physique comme des extensions des bras, des redressements assis, un test de la force de préhension et une évaluation du niveau VO2 Max à l'aide du test de l'escalier ainsi qu'à une vérification du poids et de la taille. Ces tests visent uniquement à déterminer si le membre doit améliorer sa forme physique, mais il n'y a aucun lien entre eux et la forme nécessaire pour être soldat.

Il se peut que l'on ne puisse vraiment simuler les conditions de combat de façon à savoir comment un soldat travaillera et réagira dans ce genre de situation. Cependant, à l'instar du Dr Davis, nous sommes d'avis qu'il est possible, à l'aide de tests sur la forme physique et de tests d'endurance effectués régulièrement, de déterminer si une personne est physiquement prête à accomplir les tâches du soldat. Les tests qu'a proposés le Dr Davis permettent de prévoir la capacité générale d'une personne de combattre en situation de guerre, sous pression, dans des conditions environnementales néfastes. On ignore quelle sera la réaction psychologique de la personne face à la crainte et à la terreur qu'inspire la guerre, mais cela n'a rien à voir avec son âge.

Il semblerait que les tests sur la forme physique qui sont actuellement administrés au sein des FAC ne permettent pas à celles-ci de s'assurer que les soldats ont les capacités et l'endurance physiques nécessaires. Ce qu'il faut, c'est une nouvelle série de tests pour assurer le respect de la norme. Les FAC sont certainement en mesure de les élaborer. Elles travaillent là-dessus à l'heure actuelle et il n'y a pas de raison de croire que leurs nouveaux tests ne pourront être appliqués à brève échéance. Quant aux coûts, ils sembleraient être relativement peu élevés, étant donné que les tests sur la forme physique consistent généralement en des exercices ou des efforts.

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Nous ne croyons pas non plus que l'administration de ces tests comporte un risque élevé de blessures. Le Dr Wiswell a dit que ce risque existait et qu'il augmentait avec l'âge. Cependant, le Dr Davis a souligné que l'armée américaine soumet régulièrement ses membres à des tests deux fois l'an. Cela se fait dans le cadre d'un programme général sur la forme physique qui comporte une analyse des facteurs de risque des soldats de plus de 40 ans pour déterminer qui peut se soumettre en sécurité à un programme régulier d'évaluation. La marine américaine procède également à une évaluation des facteurs de risque pour déterminer qui peut subir en toute sécurité des tests sur la forme physique. Il a également mentionné que le risque dans un environnement clinique s'élevait à environ deux incidents sur 10 000 et que les risques de maladie découlant d'une activité physique sont très minces.

Nous sommes donc d'avis qu'à tous égards, la forme physique varie beaucoup d'une personne à l'autre. D'après la preuve, une personne qui suit un programme d'exercices appropriés devrait être en mesure de maintenir la forme nécessaire pour accomplir les tâches du soldat, malgré le vieillissement. Nous en sommes sommes arrivés à la conclusion qu'il est possible d'instaurer un système d'évaluation permettant de déterminer les normes appropriées de force, de rapidité, de souplesse, d'agilité, d'endurance, etc. qui seraient requises dans des conditions de stress extrême.

(iv) Facteurs d'ordre médical

Le Dr Christopher Patterson, spécialiste en gériatrie, et le Dr Arthur Leon, cardiologue et épidémiologiste, ont témoigné comme experts, le premier au nom des intimés et le second, au nom de la Commission. Le Dr Leon est colonel dans la réserve de l'armée américaine et a été médecin dans l'armée, que ce soit en service actif ou dans la réserve, pendant 32 ans. Tous deux ont énuméré un certain nombre de maladies qui sont plus répandues avec l'âge, notamment les maladies des artères coronaires, l'accident cérébro-vasculaire, le cancer, l'ostéoarthrite et la maladie vasculaire périphérique, le diabète sucré et le syndrome respiratoire obstructif chronique, et ont convenu que ces maladies peuvent avoir des répercussions sur le rendement fonctionnel, la morbidité et la mortalité. Cependant, à l'exception des maladies des artères coronaires et de l'accident cérébro-vasculaire, ces maladies sont de nature progressive et ne provoquent pas d'incapacité soudaine. Il est facile de faire des évaluations pour déceler ces maladies, les diagnostiquer et les contrôler. Les personnes atteintes de ces maladies peuvent être relevées de leurs fonctions avant que le problème ne s'aggrave ou ne touche leur rendement. Ce que l'on craint surtout, c'est une incapacité soudaine causée par une maladie des artères coronaires ou un accident cérébro-vasculaire ainsi que les conséquences pouvant en résulter pour cette personne, ses collègues et l'ensemble de la mission.

Les maladies des artères coronaires sont la première cause de décès chez les hommes adultes en Occident. Il appert d'une étude présentée au cours de la preuve que ces maladies touchent environ 5,5 % des hommes âgés de 40 à 49 ans. Entre 50 et 59 ans, ce pourcentage atteint presque le double. La conséquence la plus grave de ces maladies est un infarctus et environ 40 % des personnes qui subissent un infarctus meurent sur le coup.

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Il est souvent possible de déceler à l'avance une maladie des artères coronaires, mais on ne peut pas toujours le faire. Il existe des facteurs de risque qui sont assez bien définis et qui peuvent aider à déterminer la probabilité statistique qu'une personne souffre d'une maladie des artères coronaires. Ces facteurs de risque sont le sexe (personne de sexe masculin), le vieillissement, l'usage du tabac, les niveaux anormalement élevés de lipides, comme le cholestérol, la pression sanguine élevée et les antécédents familiaux positifs. En contrôlant ces facteurs de risque, on peut souvent prévenir l'apparition de la maladie. L'âge est un facteur qui a des effets négatifs sur le risque de contracter la maladie. Cependant, on ne peut guère se servir de l'âge pour faire des prévisions, car les personnes ne contractent pas toutes une maladie des artères coronaires au fur et à mesure qu'elles vieillissent. L'influence des facteurs d'ordre physiologique peut être modifiée. Ainsi, on peut parvenir à contrôler le taux de cholestérol par un régime alimentaire et des médicaments appropriés. On peut aussi contrôler le poids. L'exercice physique aura pour effet d'augmenter le taux de bon cholestérol dans l'organisme. Les fumeurs peuvent cesser de fumer. A l'aide d'un bon régime alimentaire, il est possible d'éviter un apport trop riche en gras, un taux de cholestérol élevé, la consommation abusive d'aliments trop riches en calories, etc. En fait, il appert de la preuve que les maladies des artères coronaires sont en voie de régression en Amérique du Nord. Elles ont baissé d'environ 40 % depuis 1960, grâce à une meilleure connaissance des facteurs de risque, et continuent de baisser au rythme de 3 % chaque année.

En plus de l'analyse des facteurs de risque, les deux médecins ont admis qu'il existe une panoplie de tests permettant de déceler les maladies des artères coronaires, dont un électrocardiogramme (ECG) au repos, un ECG à l'effort, une épreuve d'effort au thallium et une artériographie. Cependant, le Dr Patterson était réticent à se fonder sur les tests pour faire des prévisions sur les maladies des artères coronaires, surtout dans le cas des ECG, parce qu'à son avis, ils ne sont pas très efficaces chez une population dont le taux de prévalence des maladies des artères coronaires est faible. En outre, ces tests comportent des risques et des frais, notamment dans le cas des tests plus poussés.

Le Dr Leon était beaucoup plus positif au sujet des tests de dépistage. Il a dit que l'ECG, notamment l'ECG à l'effort, est très utile pour accroître la valeur prédictive des facteurs de risque traditionnels. L'effort physique fait travailler le coeur plus fort et accroît le débit coronarien de trois à quatre fois. Au repos, il n'y aura peut-être pas de baisse du débit coronarien; cependant, à l'effort, les exigences augmentent et il est alors possible de déceler le déséquilibre entre l'apport et les besoins. Le test à l'effort peut également servir à déterminer la capacité fonctionnelle de la personne, ce qui est un autre indice de prévision des maladies des artères coronaires, et à provoquer des irrégularités du rythme.

La question est celle de savoir si l'analyse des nombreux facteurs de risque ainsi que l'utilisation d'un ECG au repos et d'un ECG à l'effort permettent à elles seules de prévoir si une personne, notamment dans le cas des gens âgés de plus de 40 ans, risque de contracter une maladie des artères coronaires. D'après le Report of the Joint American College of Cardiology/American Heart Association, Guidelines for Exercise

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Testing, qui a été présenté en preuve par le Dr Leon, on s'entend généralement pour dire que, dans le cas des personnes qui sont vulnérables, les tests à l'effort sont justifiés et permettent de déterminer les risques qu'elles ont d'être atteintes de ce type de maladie, de faire des pronostics et de connaître la capacité fonctionnelle du sujet ainsi que les effets de la thérapie. Dans le cas des personnes apparemment saines qui ne présentent pas de facteurs de risque, il est mentionné dans le rapport que le test à l'effort n'a guère de valeur, s'il en a. Cependant, selon le même rapport, il convient de faire un test de dépistage auprès de certaines personnes apparemment saines, notamment auprès des hommes âgés de plus de 40 ans qui présentent au moins deux facteurs de risque anormaux ou dont certains membres de la famille ont été prématurément atteints de la maladie. On recommande également le test de l'ECG pour évaluer les hommes de plus de 40 ans dont les fonctions comportent des risques pour la santé publique, comme les pilotes, les mécaniciens de locomotive, les pompiers, les policiers et les chauffeurs de camion ou d'autobus.

L'avocate des FAC a insisté sur la faible valeur prédictive en termes de sensibilité de l'ECG à l'effort, soit 50 %. La sensibilité correspond à la possibilité de déceler un état, s'il est présent. La spécificité, pour sa part, désigne la possibilité d'éliminer l'existence de l'état, si le test est négatif; les études ont démontré que l'ECG à l'effort a une spécificité de 90 %. De toute évidence, le test idéal serait un test comportant une spécificité et une sensibilité de 100 %. La statistique qui importe le plus pour les FAC est le pourcentage de spécificité, parce qu'elles veulent s'assurer qu'aucun de leurs membres ne risque d'être frappé d'incapacité soudaine à la suite d'une maladie des artères coronaires. L'ECG à l'effort a une forte valeur prédictive à cet égard. Lorsque le résultat de ce test est normal, cela signifie qu'il s'agit d'une personne à faible risque. Il se peut que, lorsque le résultat du test est anormal ou positif, la personne n'ait que 50 % des chances de contracter une maladie des artères coronaires. Si tel est le cas, à des fins de prévention, de diagnostic et de traitement, cette personne devrait passer des tests plus approfondis pour déterminer si elle est effectivement atteinte d'une maladie des artères coronaires ou si le résultat du test était faussement positif.

La preuve indique que l'âge chronologique à lui seul ne permet pas de prévoir de façon fiable le risque de contracter une maladie des artères coronaires, sauf si une personne est extrêmement âgée. Des facteurs autres que l'âge ont une influence beaucoup plus marquée à cet égard. Ainsi, le risque qu'une personne âgée de 35 ans subisse une crise cardiaque s'élève en moyenne à 1 % ou 2 % en six ans. Dans le cas d'une personne âgée de 35 ans qui présente peu de facteurs de risque, la possibilité de subir une crise cardiaque passe à 0,3 %. Par ailleurs, il y a aussi des hommes âgés de 35 ans pour qui, en raison des facteurs de risque élevés qu'ils présentent, la probabilité de subir une crise cardiaque est de 25%. Un homme âgé de 55 ans qui ne fume pas, dont le taux de cholestérol est moyen, dont la pression sanguine et le taux de sucre dans le sang sont normaux et dont le résultat de l'ECG est normal est une personne à faible risque. Sa probabilité de contracter une maladie des artères coronaires en six ans est de 9.5%; ce taux est plus élevé que dans le cas de la personne moyenne âgée de 35 ans, mais il est beaucoup plus bas que celui d'une personne âgée de 35 ans qui présente plus de facteurs de risque.

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En ce qui a trait au risque inhérent aux tests, le Dr Leon a une grande expérience dans l'administration des tests à l'effort et il a publié un certain nombre d'études à ce sujet. Il est d'avis que le risque est infime et il n'a jamais vécu de mauvaise expérience au cours de l'administration des tests. A son avis, si les FAC se fondent sur les tests plutôt que sur l'âge, elles auront un effectif militaire plus sain et plus vigoureux.

La preuve présentée au sujet des frais des tests était assez mince. Le Dr Patterson a mentionné que les tests pouvaient être coûteux dans le cas des maladies des artères coronaires. Selon le Dr Leon, les frais des tests relatifs aux facteurs de risque, comme les tests du taux de cholestérol et de la pression sanguine, étaient peu élevés et les tests d'ECG sont relativement peu coûteux.

L'accident cérébro-vasculaire est un déficit neurologique soudain provoqué par une interruption temporaire ou permanente de l'apport sanguin à une partie du cerveau. Les effets d'un accident cérébro-vasculaire sur le rendement physique dépendent beaucoup de la quantité de tissu cérébral endommagée et de la partie du cerveau touchée.

Les deux spécialistes ont convenu que les accidents cérébro- vasculaires étaient relativement peu fréquents, sauf à un âge plus avancé. Selon le Dr Patterson, ces accidents ont tendance à se produire après l'âge de 50 ans. D'après le Dr Leon, la probabilité qu'un homme âgé de 55 ans ait un accident cérébro-vasculaire en huit à dix ans est d'environ 1%. La plupart des décès causés par un accident cérébro-vasculaire surviennent après l'âge de 75 ans et 13 % des personnes décédées des suites de cette maladie étaient âgées de moins de 65 ans.

Ce qu'il faut retenir dans le cas de l'accident cérébro- vasculaire, comme les deux médecins l'ont mentionné, c'est que le facteur de risque le plus important, soit la pression sanguine élevée, peut faire l'objet de tests et être traité par des médicaments ou par une modification du mode de vie. Les autres facteurs de risque sont l'usage du tabac, le taux de cholestérol élevé et le diabète. Même s'il n'y a peut-être pas de test permettant de prévoir quand une personne risque de subir un accident cérébro-vasculaire, le cas échéant, l'évaluation des facteurs de risque (notamment la pression sanguine élevée) peut indiquer qui sont les candidats les plus vulnérables.

En tout état de cause, les deux spécialistes ont mentionné que l'incidence des accidents cérébro-vasculaires a baissé considérablement en Amérique du Nord en raison des mesures de prévention adoptées et que, par conséquent, la situation est moins inquiétante à ce sujet.

Compte tenu de tout ce que nous avons entendu, nous sommes d'avis que, à l'aide des tests et de l'évaluation des facteurs de risque, il est possible de prévoir ou, à tout le moins, d'éliminer la possibilité qu'une personne contracte une maladie des artères coronaires ou subisse un accident cérébro-vasculaire, bien que pas nécessairement dans tous les cas. L'armée peut adopter des mesures touchant les personnes qui présentent des risques à cet égard sans se fonder dans tous les cas sur l'âge.

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En ce qui a trait à la méthodologie relative aux tests, il convient de laisser aux experts le soin d'élaborer le modèle approprié. Cependant, d'après la preuve, il semblerait qu'une méthode progressive semblable à la démarche suivante soit possible.

Les FAC pourraient concevoir un programme qui serait en vigueur depuis la date de l'enrôlement jusqu'à la retraite et qui leur permettrait de s'assurer que leurs membres ont les capacités physiques voulues pour agir en situation de combat sans devoir se fonder sur le critère de l'âge. Les FAC devraient établir des normes d'enrôlement élevées de façon à recruter uniquement les personnes qui peuvent respecter leurs exigences physiques fondamentales. Tous les membres devraient se soumettre à des tests annuels concernant les divers facteurs de risque comme le taux de sucre dans le sang, le taux de cholestérol et la pression sanguine. Tous les membres qui présentent au moins deux facteurs de risque devraient passer un ECG. On devrait également élaborer des programmes de tests réguliers qui permettraient de vérifier la résistance physique, la force et la capacité aérobique (VO2 Max) de tous les membres.

Dans le cas des personnes âgées de plus de 40 ans, on devrait appliquer un processus de dépistage séquentiel pour repérer celles qui sont susceptibles d'avoir des problèmes de santé. La première étape consisterait à évaluer les facteurs de risque lors de l'examen périodique ou annuel. Si l'examen ne révèle pas l'existence d'un facteur de risque, il n'y aurait pas de test à l'effort. A titre d'exemple de norme, on pourrait exiger que toute personne dont le risque de subir une crise cardiaque en six ans s'élève à 5% se soumette à un ECG à l'effort. Si ce test se révèle positif, il serait confirmé par une épreuve d'effort au thallium et, si le résultat de cet autre test était aussi positif, cela signifierait que la personne présente une forte possibilité d'être atteinte d'une maladie des artères coronaires. Cette personne serait alors évaluée en conséquence ou libérée des Forces.

(v) Principe de la responsabilité illimitée : contradictions à l'intérieur de l'organisation même des FAC

En plus de la Force régulière, les FAC maintiennent une Réserve qu'elles utilisent en cas d'urgence. La première Réserve se compose de soldats, marins et navigateurs aériens travaillant à temps partiel qui se tiennent constamment prêts en s'entraînant régulièrement toutes les semaines et qui font des exercices périodiques avec des unités et formations de la Force régulière. Les membres de cette Réserve peuvent être appelés à participer en cas d'urgence ou de guerre. Il y a aussi la Réserve supplémentaire, qui se compose de la Réserve supplémentaire disponible et de la Réserve supplémentaire d'attente. La première est formée d'anciens membres des Forces canadiennes qui ont des aptitudes militaires pouvant servir en période d'urgence ou de guerre. Ces personnes se présentent chaque année aux Forces pour confirmer leur disponibilité et leurs aptitudes physiques. Elles peuvent être appelées à s'engager comme volontaires dans les Forces en cas de mobilisation en vue d'une guerre. Pour sa part, la Réserve supplémentaire d'attente est composée d'anciens membres des FAC qui ont proposé que leurs noms figurent sur la liste des personnes prêtes à être appelées en temps de guerre.

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Il est intéressant de souligner que certains membres de la Réserve (dont quelques-uns des plaignants qui se sont joints à la Réserve après leur retraite de la Force régulière) pourraient être appelés à accomplir toutes sortes de tâches même s'ils ont dépassé l'AOR. Il est difficile de comprendre comment les FAC peuvent placer ces personnes dans des situations de combat et soutenir en même temps qu'un AOR de 55 ans constitue une EPJ pour la Force régulière.

En outre, certains membres du personnel des FAC sont inadmissibles à participer aux guerres en raison de leur état de santé. En 1989, le nombre de membres des FAC appartenant à la catégorie médicale 03 ou à une catégorie supérieure s'élevait à 3 115. La catégorie 03 correspond à la catégorie de personnes souffrant d'une incapacité médicale ou psychologique légère qui les empêche d'exécuter de lourdes tâches physiques ou d'agir sous pression pendant des périodes prolongées. Cependant, cette personne peut accomplir la plupart des tâches, si elle agit avec modération. Cette catégorie correspond à un degré de forme physique qui semble incompatible avec les exigences inhérentes au service dans les situations d'urgence et de guerre. Les FAC, qui comptent au total environ 85 000 membres, sont en mesure d'accommoder plus de 3 000 personnes qui sont incapables d'accomplir les tâches du soldat en temps de guerre. Cette situation va à l'encontre de leur affirmation selon laquelle chacun des membres doit être prêt à exécuter toutes sortes de tâches en tout temps. Nous ne disons pas que les personnes atteignant un AOR de 55 ans doivent être accommodées de la même façon. Nous disons simplement que, si les FAC tiennent vraiment au principe que tous leurs effectifs doivent être prêts en tout temps à faire la guerre, elles ne devraient pas appliquer ce principe quand bon leur semble.

(vi) Est-il nécessaire que tous les membres des FAC soient en mesure d'exécuter toutes les tâches?

Subsidiairement, si les FAC peuvent accommoder les personnes qui n'ont pas les aptitudes voulues pour agir en situation de combat, il se peut qu'une politique générale de mise à la retraite de toutes les personnes âgées de 55 ans aille plus loin que ce qui est nécessaire à la réalisation de l'objectif des FAC, soit celui de maintenir un effectif capable d'agir en temps de combat.

Comme le Tribunal l'a dit dans l'affaire Robinson c. FAC, précitée, même si l'employeur réussit à prouver qu'il est impossible d'évaluer de façon individuelle le risque que comporte chaque employé, il doit également prouver que l'exclusion générale qu'il a adoptée est proportionnée par rapport à ses divers objectifs (sécurité, efficacité, esprit d'équipe, possibilités appropriées de promotion, etc.). Si cette règle est trop générale, elle dépassera peut-être les limites de ce qui est nécessaire et constituera un moyen exagéré d'atteindre des objectifs légitimes, comme l'a souligné le juge Beetz dans l'arrêt Ville de Brossard, précité, à la page 312 :

Je crois qu'en l'espèce cette nécessité raisonnable peut être examinée en fonction des deux questions suivantes:

(1) [...];

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(2) La règle est-elle bien conçue de manière que l'exigence quant à l'aptitude ou à la qualité puisse être remplie sans que les personnes assujetties à la règle ne se voient imposer un fardeau excessif? Cela nous permet d'examiner le caractère raisonnable des moyens choisis par l'employeur pour vérifier si l'on satisfait à cette exigence dans le cas de l'emploi en question.

Le juge Beetz a ensuite décidé que la politique antinépotisme de la ville de Brossard allait plus loin que ce qui était nécessaire en excluant chaque candidat postulant un emploi pour la municipalité et qui était lié à un employé même si, dans certains cas, il n'y avait aucune possibilité de favoritisme.

Réinterprétant ce critère, le juge Wilson a dit ce qui suit au nom de la majorité de la Cour dans l'arrêt Central Alberta Dairy Pool, précité, à la page 518 :

Le second volet du critère établi dans l'arrêt Brossard concerne la possibilité de solutions autres que la règle de l'employeur. A mon avis, il ne s'agit pas là d'un critère distinct pour vérifier l'existence d'une EPR mais plutôt d'un facteur à prendre en compte pour savoir si la règle est raisonnablement nécessaire en vertu du premier volet. Si ce volet est mis en évidence dans l'arrêt Brossard, c'est peut-être que notre Cour n'avait pas explicitement attiré l'attention sur lui auparavant. A mon avis, le principe qui y est formulé est incontestable. S'il est possible de trouver une solution raisonnable qui évite d'imposer une règle donnée aux membres d'un groupe, cette règle ne sera pas considérée comme justifiée.

Comme nous l'avons vu, l'autre solution raisonnable pourrait être l'administration de tests individuels, lorsque c'est possible. Cela suppose cependant que tous les postes de l'entreprise sont équivalents et exigent les mêmes capacités. Toutefois, si l'on soutenait que l'exigence discriminatoire de l'employeur est inutile pour certains emplois, l'exclusion générale fondée sur l'âge des employés qui occupent ces postes pourrait constituer un moyen excessif d'atteindre les objectifs visés par la politique d'emploi. En l'absence de preuve convaincante démontrant qu'il est impossible de faire des distinctions entre les divers postes de l'entreprise et qu'ils exigent tous des capacités physiques optimales, il faut conclure que la règle n'est pas raisonnablement nécessaire et que, en conséquence, elle n'est pas justifiée.

Tout comme les FAC peuvent accommoder des personnes qui ont des problèmes de santé et leur confier des postes qui ne comportent pas de risques élevés (rôles non liés à des situations de combat), elles pourraient, de la même façon, atteindre leurs objectifs sans appliquer une règle de mise à la retraite forcée de tous leurs employés à un âge aussi bas que celui dont il est question en l'espèce. En conséquence, la politique générale de mise à la retraite que les FAC ont imposée à tous leurs membres, quel que soit leur métier, semble être exagérée et disproportionnée et ne peut, pour cette raison, être considérée comme une EPJ.

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V. INDEMNITÉ

a) Dommages-intérêts spéciaux : principes applicables

En ce qui a trait aux dommages-intérêts, nous avons appliqué les principes suivants qui découlent de la preuve et de la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans Procureur général du Canada c. Morgan (4 novembre 1991) et qui nous semblent appropriés en l'espèce:

1. Quant à la période visée par l'indemnité, selon le critère découlant implicitement de la LCDP, l'indemnité accordée doit découler de l'acte discriminatoire. Il doit y avoir un lien de cause à effet direct entre le salaire accordé et la discrimination. A l'exception du capitaine Martin, qui est encore membre des FAC, les plaignants ont tous été forcés de prendre leur retraite à des âges variant de 44 à 55 ans. Certains d'entre eux ont dit qu'ils auraient préféré demeurer dans les Forces aussi longtemps qu'ils le pourraient (Lemieux, Robicheau et McCullough) et d'autres, jusqu'à un âge allant de 55 à 65 ans (Grossek, Slavik, Kilmartin, Blanchet et Lavigne), si on le leur avait permis. Néanmoins, compte tenu des aléas de la vie, on ne peut dire avec certitude que les intentions d'une personne au cours d'une période allant de 10 à 16 ans se seraient effectivement concrétisées. L'avocate des intimés a soutenu que la période du préjudice ne peut être illimitée et a proposé, pour chaque plaignant, une période de deux ans suivant leur date de libération. Pour sa part, l'avocat de la Commission a proposé trois scénarios différents pour la période du préjudice, soit une période allant jusqu'à:

  1. la date de l'audience du présent Tribunal, soit le 1er mai 1990;
  2. la date à laquelle les plaignants atteignent l'âge de 60 ans;
  3. la date à laquelle les plaignants atteignent l'âge de 65 ans.

Nous sommes d'avis qu'une période uniforme de deux ans suivant la date de libération (date d'évaluation) est une mesure plus raisonnable de l'évaluation du préjudice, compte tenu des différentes périodes écoulées entre les dates de libération de chaque plaignant et la date du début de l'audience. En outre, cette période est davantage liée à l'acte discriminatoire en question. L'utilisation de cette période permet d'atteindre l'équilibre approprié, compte tenu, d'une part, du temps nécessaire pour se recycler et obtenir un emploi comme civil et, d'autre part, des circonstances imprévues qui peuvent forcer les plaignants à quitter les FAC avant d'atteindre l'âge de 60 ou 65 ans. Chacun des plaignants recevra donc une indemnité à l'égard du préjudice net qu'il a subi à la date d'évaluation conformément à ce qui suit.

2. L'indemnité monétaire portera des intérêts simples qui seront calculés selon le taux d'escompte de la Banque du Canada; ils courront depuis la date de calcul du préjudice (c'est-à-dire après la période susmentionnée de deux ans). C'est le taux qu'une personne obtiendrait si elle investissait de l'argent plutôt que le taux d'emprunt sur des fonds avancés sous forme de prêt. La preuve n'indique nullement que l'un des plaignants a été forcé de contracter un emprunt à la suite de

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sa libération des FAC. Si les parties ne peuvent s'entendre sur le calcul des intérêts dus, elles pourront revenir devant le Tribunal à ce sujet.

3. Sauf en ce qui a trait à la position qu'il a adoptée au sujet de la limitation du préjudice dans le cas de certains plaignants (soit MM. Slavik, McIssac, Kilmartin, Robicheau et McCullough), nous avons accepté l'analyse de M. Michael Cohen, l'actuaire qui a témoigné pour les intimés et qui a présenté une ventilation du préjudice subi par chaque plaignant en fonction de la période de deux ans susmentionnée. Pour faire ce calcul, il a accumulé les pertes subies jusqu'à la date d'évaluation en faisant la différence entre les éléments suivants :

  1. le revenu réel, soit le revenu de retraite et le revenu que le plaignant a effectivement gagné après sa libération des FAC;
  2. le revenu qu'il aurait reçu des FAC s'il en était resté membre.

Plus précisément, l'actuaire a d'abord déterminé la valeur actualisée à laquelle se serait élevé l'avoir net de la personne si elle était restée dans les FAC deux ans de plus. Ce montant net comprend ce qui suit :

  1. le salaire, c'est-à-dire la valeur actuarielle actualisée du salaire que le plaignant aurait gagné, d'après une estimation future de l'échelle de salaire pertinente, jusqu'à la date d'évaluation;
  2. l'indemnité de départ, soit la valeur future de l'indemnité de départ;
  3. la valeur de la pension, soit la valeur à laquelle la pension se serait élevée si le plaignant était demeuré dans les FAC jusqu'à la date d'évaluation.

De ces sommes, on déduit la valeur actualisée des montants réels que le plaignant a reçus pendant la période de deux ans, soit

  1. tout revenu compensateur,
  2. le revenu de pension réel accumulé ainsi que les intérêts;
  3. l'indemnité de départ qui a effectivement été payée deux ans avant la date d'évaluation;
  4. la valeur de la pension que la personne reçoit depuis la date d'évaluation.

Une fois ces montants déduits, on peut déterminer le préjudice net que la personne a subi pendant la période de deux ans en raison du fait qu'elle a été libérée prématurément des FAC.

(i) LE CAPITAINE MARTIN

Dans un sens, le capitaine Martin n'a pas encore été touché par la politique sur l'âge de retraite obligatoire des FAC, parce que ce n'est

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qu'en l'an 2002 qu'il atteindra son AOR de 55 ans. Cependant, le capitaine Martin soutient qu'il a été lésé en raison de la façon dont il a été traité lorsqu'il a atteint son âge de retraite prévu par les anciennes conditions d'engagement. Selon ce régime, il devait prendre sa retraite après 20 ans de service ou à l'âge de 40 ans, ce qui signifie que sa date de retraite était le 6 décembre 1987. A cette date, il a bénéficié d'une prolongation de deux ans; il a été muté à la BFC Wainrwright sans avoir la possibilité de changer d'endroit ou d'obtenir une promotion. Plus tard, le 26 janvier 1989, comme le grade de base a été abaissé, le capitaine Martin s'est vu offrir la possibilité de convertir son engagement en un ED IND et il a accepté. Il soutient qu'il a été lésé par les anciennes conditions d'engagement, qui l'ont empêché d'obtenir un salaire plus élevé et, par conséquent, une pension plus élevée. Il allègue que, s'il avait été promu major, son salaire mensuel se serait élevé à environ 400 $ de plus.

Comme l'a dit le juge Marceau dans Procureur général du Canada c. Morgan, précité, à la page 4 : Pour démontrer l'existence du préjudice donnant droit à l'indemnité, il n'était pas nécessaire de démontrer que, n'eût été l'acte discriminatoire, le plaignant aurait certainement obtenu le poste. Il a ajouté qu'il accepterait la preuve d'une possibilité sérieuse de l'existence de ce préjudice. Dans le même jugement, le juge MacGuigan a poursuivi en disant qu'il fallait prouver qu'il était probable que le poste n'aurait pas été obtenu. Que l'on applique l'un ou l'autre de ces critères, la preuve n'indique nullement l'existence d'une possibilité sérieuse, et encore moins d'une probabilité que le capitaine Martin aurait gagné le concours lui permettant de devenir major, s'il n'avait pas été temporairement mis à la retraite. Il n'a pu le faire même après la transition au régime de l'ED IND et la preuve ne permet pas au Tribunal de conclure qu'en raison de l'impossibilité d'obtenir cette promotion, il a été mis de côté pendant la période de prolongation de trois ans. En conséquence, nous ne pouvons conclure que l'acte discriminatoire des FAC a causé à M. Martin un préjudice précis pour lequel il devrait être dédommagé. Quoi qu'il en soit, au cours des plaidoiries, Me Duval a admis qu'aucune demande n'était formulée à titre de dommages-intérêts spéciaux dans le cas du capitaine Martin, même si, au cours de son témoignage, celui-ci a soutenu avoir subi une perte financière.

(ii) L'ADJUDANT-MAITRE GROSSEK

L 'adjudant-maître Grossek a été mis à la retraite le 20 août 1985, à l'âge de 55 ans. Il a été hospitalisé pendant 28 jours avant sa libération et, en raison du temps qu'il a passé à l'hôpital et des congés qu'il avait accumulés, il a reçu une paie militaire et n'a été libéré officiellement que le 2 avril 1986. De novembre 1985 jusqu'à la date de l'audience, l'adjudant-maître Grossek a travaillé en tant que civil comme instructeur de ski pendant deux ans, puis, comme coordinateur aux sports pour les Forces canadiennes Europe et il a tiré un revenu de cet emploi. Son préjudice net au 2 avril 1988 s'établissait à 18 470 $, d'après le calcul suivant :

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a) Membre des Forces canadiennes jusqu'au 2 avril 1988

Valeur actualisée des éléments suivants:

Salaire 82 238 $ Indemnité de départ 23 639 $ Pension 357 381 $ Total : 463 258 $

b) Départ des Forces canadiennes le 2 avril 1986

Valeur actualisée au 2 avril 1988 :

Revenu compensateur 68 862 $ Revenu de pension 35 588 Indemnité de départ 24 804 Pension future 315 534 Total : 444 788 $

c) Préjudice au 2 avril 1988

a) moins b) 18 470 $

(iii) LE COLONEL SLAVIK

Le colonel Slavik a pris sa retraite le 13 juillet 1987 à l'âge de 53 ans. En réalité, il a été libéré le 16 mars 1988, en raison des congés qu'il avait accumulés. Il a reçu sa paie militaire habituelle jusqu'à cette date.

Bien que son cas ait été examiné en vue d'une promotion en 1984, 1985 et 1986, le colonel Slavik n'a pas atteint un grade suffisamment élevé pour être promu. Lors de sa retraite, il était médecin militaire chef au sein des FAC. Au cours des 15 dernières années de sa carrière, il a exercé des fonctions administratives dans le domaine médical. Depuis qu'il a quitté les FAC, il ne s'est pas trouvé d'autre emploi. Il n'a consulté que les annonces de postes administratifs figurant dans des revues de médecine, parce qu'il n'avait pas suffisamment confiance en ses aptitudes dans le domaine clinique.

Nous ne sommes pas d'accord avec le fait que M. Cohen ait attribué un revenu compensateur à M. Slavik en fonction du salaire moyen des personnes qui, d'après le recensement canadien de 1980, travaillaient dans le domaine de l'administration hospitalière. Les intimés ne nous ont pas convaincus que M. Slavik n'a pas pris les mesures appropriées pour atténuer son préjudice, compte tenu des efforts qu'il a déployés pour se trouver un emploi convenable, de l'expérience qu'il avait acquise au sein des FAC et des possibilités qu'il avait de se trouver un emploi équivalent à son âge comme civil.

Nous avons établi à 216 197 $ le préjudice que M. Slavik a subi au 16 mars 1990, d'après le calcul suivant :

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a) Membre des Forces canadiennes jusqu'en mars 1990

Valeur actualisée des éléments suivants:

Salaire 222 438 $ Indemnité de départ 67 680 Pension 1 010 827 Total : 1 300 945 $

b) Départ des Forces canadiennes le 16 mars 1988

Valeur actualisée au 16 mars 1990 :

Revenu de pension 102 301 $ Indemnité de départ 58 775 Pension future 923 672 Total : 1 084 748 $

c) Préjudice au 16 mars 1990

a) moins b) 216 197 $

(iv) LE MAJOR KILMARTIN

En 1968, le major Kilmartin avait atteint le grade de capitaine et il a choisi de demeurer assujetti au tableau A de l'article 15.17 des ORR en ce qui a trait à l'âge de la retraite. En 1979, il a été promu au grade de major pour lequel l'âge de la retraite était de 47 ans selon l'article 15.17 des ORR. Il a pris sa retraite le 29 juillet 1987 à l'âge de 47 ans et travaillait alors comme agent des services linguistiques. Il a effectivement été libéré le 13 octobre 1987, compte tenu des congés qu'il avait accumulés.

Après son départ des FAC, il a travaillé à son compte comme agriculteur; il a ensuite fait l'acquisition d'un commerce d'armes à feu et il a conclu avec les FAC une entente (service de classe C). Il a continué à fournir des services conformément à cette entente jusqu'en juin 1989, lorsqu'il a créé une entreprise de services de consultation pour laquelle il travaille actuellement. En outre, tout au long de cette période, le major Kilmartin a été commandant d'un bataillon de la Réserve. Ses gains jusqu'au 13 octobre 1989 se sont élevés à 28 119,85 $. Son préjudice net au 13 octobre 1989 (c'est-à-dire deux années après sa date de libération) s'établit à 105 765,15 $, selon le calcul suivant :

a) Membre des Forces canadiennes jusqu'au 13 octobre 1989

Valeur actualisée des éléments suivants:

Salaire 124 261 $ Indemnité de départ 29 872 Pension 491 929 Total : 646 062 $

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b) Départ des Forces canadiennes le 13 octobre 1987

Valeur actualisée des éléments suivants au 13 octobre 1989

Revenu compensateur 28 119,85 $ Revenu de pension 54 261 Indemnité de départ 30 241 Pension future 427 675 Total : 540 296,85 $

c) Préjudice au 13 octobre 1989

a) moins b) 105 765,15 $

(v) LE SERGENT McISAAC

En 1968, le sergent McIsaac a décidé de demeurer assujetti à ses anciennes conditions d'engagement énoncées à l'article 15.31 des ORR, plus précisément au tableau C. Il a donc pris sa retraite le 17 août 1987, à l'âge de 50 ans. Il a effectivement été libéré le 24 novembre 1987. Le sergent McIsaac n'a pas travaillé depuis qu'il s'est retiré des FAC. Il avait été technicien de moteurs d'aéronef lorsqu'il était membre des FAC. Cependant, il n'a pu se trouver d'emploi dans l'industrie de l'aviation civile dans la région où il a habité après sa retraite. Le sergent McIsaac a dit que, même s'il avait recherché ce genre de travail dans un centre comme Toronto, où l'industrie est basée, il lui aurait été très difficile d'obtenir les licences requises par le ministère des Transports, étant donné qu'il aurait été tenu de passer des examens sur des matières qui ne lui ont pas été enseignées lorsqu'il faisait partie de l'armée. Il a présenté des demandes d'emploi auprès des ministères de la main-d'oeuvre des gouvernements fédéral et provincial et auprès de divers centres d'entretien locaux, mais ses efforts n'ont pas été couronnés de succès. L'avocate des intimés n'a pas contre-interrogé le sergent McIsaac à ce sujet. Son préjudice net au 24 novembre 1989 s'établissait à 71 934 $, d'après le calcul suivant :

a) Membre des Forces canadiennes jusqu'au 24 novembre 1989

Valeur actualisée des éléments suivants:

Salaire 78 990 $ Indemnité de départ 16 283 Pension 278 843 Total : 374 116 $

b) Départ des Forces canadiennes le 24 novembre 1987

Valeur actualisée des éléments suivants au 24 novembre 1989 :

Revenu de pension 35 183 $ Indemnité de départ 15 833 Pension future 251 166 Total : 302 182 $

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c) Préjudice au 24 novembre 1989

a) moins b) 71 934 $

(vi) LE SERGENT LEMIEUX

Bien qu'on lui ait proposé d'être régi par les nouvelles conditions d'engagement en 1968, le sergent Lemieux a décidé de demeurer assujetti au tableau C de l'article 15.31 des ORR. Il a donc dû prendre sa retraite en juillet 1987, à l'âge de 50 ans. Il a bénéficié de trois prolongations de service qui lui ont permis de travailler jusqu'au 3 octobre 1988 et il a pris sa retraite le 4 octobre 1988. Il a effectivement été libéré le 8 avril 1989, en raison des congés qu'il avait accumulés.

Depuis sa retraite, il a exercé divers emplois, notamment au sein de la Réserve. Il a travaillé à temps plein auprès du Corps des commissionnaires depuis le 31 janvier 1989. Son préjudice net pour la période de deux ans terminée le 8 avril 1991 s'élève à 5 932 $, d'après le calcul suivant :

a) Membre des Forces canadiennes jusqu'au 8 avril 1991

Valeur actualisée des éléments suivants:

Salaire 81 595 $ Indemnité de départ 22 855 Pension 391 340 Total : 495 790 $

b) Départ des Forces canadiennes le 8 avril 1989

Valeur actualisée des éléments suivants au 8 avril 1989:

Revenu compensateur 54 016 $ Revenu de pension 43 459 Indemnité de départ 25 225 Pension future 67 158 Total : 489 858 $

c) Préjudice au 8 avril 1991

a) moins b) 5 932 $

(vii) LE CAPORAL BLANCHET

En 1968, le caporal Blanchet a décidé d'être assujetti aux nouvelles conditions d'engagement figurant au tableau A de l'article 15.31 des ORR. Comme caporal, il devait donc prendre sa retraite à l'âge de 44 ans, soit en septembre 1986. En faisant ce choix, il a opté pour une retraite à un âge antérieur. Il a dit qu'il a fait ce choix parce qu'à l'époque, il n'était pas intéressé à rester dans les FAC.

Il a bénéficié d'une prolongation de service jusqu'au 23 août 1987 et a pris sa retraite le lendemain. Il a effectivement été libéré le 15 décembre 1987, en raison des congés qu'il avait accumulés. Il

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n'a pas travaillé depuis sa retraite. Il a dit qu'il avait suffisamment d'argent et qu'il n'avait pas besoin de travailler.

M. Blanchet n'a pas gagné de revenu depuis sa libération. Cependant, il n'a aucunement tenté d'atténuer son préjudice, puisqu'il a dit qu'il avait suffisamment de ressources et qu'il n'était pas tenu financièrement de se chercher un autre emploi. Dans ces circonstances, il convient donc d'attribuer un facteur à l'égard de l'atténuation du préjudice; le Tribunal a attribué à M. Blanchet la moitié des gains hebdomadaires moyens au niveau industriel global au Canada selon Statistique Canada. L'utilisation de ce facteur donne lieu à un montant de 27 226 $ (au 15 décembre 1989). Ce montant devrait être déduit du salaire que M. Blanchet aurait par ailleurs gagné, de sorte que le préjudice net de celui-ci s'établit à la somme de 4 978 $, d'après le calcul suivant :

a) Membre des Forces canadiennes jusqu'au 15 décembre 1989

Valeur actualisée des éléments suivants:

Salaire 66 038 $ Indemnité de départ 17 470 Pension 201 638 Total : 285 146 $

b) Départ des Forces canadiennes le 15 décembre 1987

Valeur actualisée des éléments suivants au 15 décembre 1989 :

Revenu compensateur 27 226 $ Revenu de pension 29 448 Indemnité de départ 17 225 Pension future 206 269 Total : 280 168 $

c) Préjudice au 15 décembre 1989

a) moins b) 4 978 $

(viii) LE SERGENT ROBICHEAU

En 1968, le Sergent Robicheau a décidé de demeurer assujetti au tableau C de l'article 15.31 des ORR. Comme sergent, il devait donc prendre sa retraite à l'âge de 50 ans. Il a pris sa retraite le 13 mai 1988 mais, en raison des congés qu'il avait accumulés, il a été libéré le 24 mai 1989. Lors de sa retraite, il était commis aux finances. Depuis sa retraite, il a été membre de la Réserve et il a travaillé comme courtier en immeubles. Nous avons établi son préjudice net depuis la date de libération jusqu'au 24 mai 1991 à la somme de 75 820 $, d'après le calcul suivant :

a) Membre des Forces canadiennes jusqu'au 24 mai 1991

Valeur actualisée des éléments suivants:

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Salaire 81 271 $ Indemnité de départ 22 855 Pension 345 623 Total : 449 747 $

b) Départ des Forces canadiennes le 24 mai 1989

Valeur actualisée des éléments suivants au 24 mai 1991 :

Revenu compensateur 6 119 $ Revenu de pension 38 299 Indemnité de départ 21 548 Pension future 307 963 Total : 373 929 $

c) Préjudice au 24 mai 1991

a) moins b) 75 820 $

(ix) L'ADJUDANT-MAITRE LAVIGNE

En 1968, l'adjudant-maître Lavigne a décidé de demeurer assujetti au tableau C de l'article 15.31 des ORR, parce qu'il pouvait ainsi rester plus longtemps membre des FAC. D'après le tableau, il devait prendre sa retraite le 18 août 1987, à l'âge de 52 ans. Il a été libéré le 8 décembre 1987, en raison des congés qu'il avait accumulés.

Depuis sa retraite, il a exercé divers emplois. Il a été et est encore membre de la Réserve, commissionnaire (depuis septembre 1987) et distributeur de produits. Depuis qu'il a été libéré des FAC jusqu'au 8 décembre 1989, il a gagné un revenu total de 35 062 $. Son préjudice net à cette dernière date s'établit à 28 448 $, d'après le calcul suivant :

a) Membre des Forces canadiennes jusqu'au 8 décembre 1989

Valeur actualisée des éléments suivants:

Salaire 91 473 $ Indemnité de départ 26 005 Pension 367 990 Total : 485 468 $

b) Départ des Forces canadiennes le 8 décembre 1987

Valeur actualisée des éléments suivants au 8 décembre 1989:

Revenu compensateur 35 062 $ Revenu de pension 50 922 Indemnité de départ 27 304 Pension future 343 732 Total : 457 020 $

c) Préjudice au 8 décembre 1989

a) moins b) 28 448 $

(x) LE CAPORAL McCULLOUGH

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Le caporal McCullough a été enrôlé dans les FAC de mai 1962 à 1969. Il a ensuite été enrôlé à nouveau le 2 juillet 1971 comme soldat de l'infanterie. Lors de son réenrôlement, l'âge de sa retraite était régi par le tableau A de l'article 15.31 des ORR, de sorte qu'il devait prendre sa retraite à l'âge de 44 ans ou après 25 ans de service, selon la première des deux dates. Il a obtenu une prolongation de service de six mois et a pu prendre sa retraite le 27 août 1986. Il a effectivement été libéré le 8 octobre 1986 en raison des congés qu'il avait accumulés.

Le caporal McCullough a exercé divers emplois n'exigeant pas de compétence spéciale, notamment des emplois de chauffeur civil pour l'armée et gardien de sécurité et, jusqu'au 8 octobre 1988, il a gagné un revenu de 10 286 $. Son préjudice net à cette date s'établit à la somme de 52 390 $, selon le calcul suivant :

a) Membres des Forces canadiennes jusqu'au 8 octobre 1988

Valeur actualisée des éléments suivants:

Salaire 61 449 $ Indemnité de départ 9 643 Pension 183 141 Total : 254 233 $

b) Départ des Forces canadiennes le 8 octobre 1986

Valeur actualisée des éléments suivants au 8 octobre 1988 :

Revenu compensateur 10 286 $ Revenu de pension 23 742 Indemnité de départ 9 332 Pension future 158 483 Total : 201 843 $

C) Préjudice au 8 octobre 1988

a) moins b) 52 390 $

b) Préjudice moral

En ce qui a trait au préjudice moral, à l'instar de l'avocate des intimés, nous sommes d'avis qu'il ne convient pas d'accorder d'indemnité sous ce chef, pour les raisons suivantes :

  1. dans la plupart des cas, les FAC ont fait de leur mieux pour accommoder les plaignants en leur accordant de brèves prolongations de service;
  2. dans chaque cas, le plaignant a reçu une pension et une indemnité de départ généreuses;
  3. chaque plaignant s'est vu offrir de l'aide en vue de faciliter son intégration à la vie civile par l'entremise du Service de préparation à une seconde carrière.

FAIT le 8 juin 1992

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SIDNEY N. LEDERMAN Président

J. GRANT SINCLAIR DANIEL PROULX

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