Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

KINDRA WOIDEN, LISA FALK,

JOAN YEARY ET

SHARLA CURLE (ANCIENNEMENT SPEIGHT)

les plaignantes

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

DAN LYNN

l'intimé

MOTIFS DE LA DÉCISION

D.T. 09/02

2002/06/17

MEMBRE INSTRUCTEUR : Athanasios D. Hadjis

[TRADUCTION]

TABLE DES MATIÈRES

I. ABSENCE DE L'INTIMÉ

II. DIVULGATION

III. LES FAITS

A. Environnement de travail

B. Joan Yeary

C. Sharla Curle (anciennement Speight)

D. Kindra Woiden

(i) L'incident du chalet

(ii) L'incident de Winnipeg

(iii) Départ de Mme Woiden de Skycable

E. Lisa Falk

F. Autres employés de Skycable

G. Crédibilité de la preuve

IV. LE DROIT

A. Analyse de l'allégation de discrimination fondée sur le sexe

B. Analyse de l'allégation de discrimination fondée sur la situation de famille de Mme Yeary

V. REDRESSEMENT

A. Salaires perdus

B. Majoration

C. Dépenses

D. Dommages-intérêts non pécuniaires

(i) Préjudice moral

(ii) Indemnité spéciale pour un acte délibéré ou inconsidéré

(iii) L'ancienne version des dispositions de la Loi relatives au redressement s'applique-t-elle en l'occurrence

E. Intérêts

F. Formation et counseling

G. Lettre d'excuses

H. Perte de revenu découlant de la participation à l'audience

I. Réserve de compétence

[1] La présente affaire découle de quatre plaintes initialement déposées en décembre 1998. Les plaintes ont été subséquemment modifiées à la suite d'une décision du présent Tribunal (1). Les quatre plaignantes allèguent dans leur plainte que l'intimé, leur gestionnaire dans leur ancien lieu d'emploi à Brandon (Manitoba) :

  1. les a harcelées sexuellement, en violation de l'article 14 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (Loi); et
  2. a commis à leur endroit un acte discriminatoire fondé sur le sexe, en violation de l'article 7 de la Loi.

Une des plaignantes, Mme Joan Yeary, allègue également que l'intimé l'a harcelée au sujet de sa situation de famille et qu'il a commis à son endroit un acte discriminatoire fondé sur le même motif, en violation des articles 14 et 7 de la Loi, respectivement.

[2] Les plaignantes avaient semble-t-il également déposé des plaintes contre leur employeur, SkyCable Inc. (SkyCable), mais un règlement a été conclu à l'égard de ces plaintes avant le renvoi de l'affaire devant le présent Tribunal. Même si les formulaires de plainte désignent l'intimé sous le nom de Dan Lynn, selon les pièces déposées en preuve, il est manifeste qu'il est également connu sous ce qui serait vraisemblablement son nom au complet Daniel Lynn.

I. ABSENCE DE L'INTIMÉ

[3] À l'ouverture de l'audience, le Tribunal a demandé aux parties de se présenter. La Commission canadienne des droits de la personne (Commission) était représentée par avocat, et les quatre plaignantes, non représentées, étaient présentes dans la salle d'audience également. Le Tribunal a demandé si l'intimé ou quelqu'un désigné pour le représenter était présent. Le Tribunal n'a obtenu aucune réponse à cette question. Le Tribunal a ordonné un ajournement de 15 minutes. Au moment de la reprise, le Tribunal a demandé de nouveau si l'intimé ou son représentant était présent et n'a obtenu aucune réponse.

[4] Le dossier des activités du greffe du Tribunal dans cette cause montre que l'intimé a été pleinement informé de ces procédures et qu'il avait néanmoins décidé de ne pas y participer. Le 26 juillet 2001, le greffe du Tribunal a transmis à l'intimé par messager une première lettre pour l'informer que la Commission avait renvoyé les plaintes au Tribunal. À la lettre était joint un questionnaire type que l'on envoie préalablement à l'instruction, que l'intimé devait remplir et retourner au Tribunal. Le questionnaire n'a jamais été renvoyé.

[5] Au cours des mois qui ont suivi, le greffe du Tribunal a transmis d'autres documents à l'intimé, à la fois par courrier ordinaire et par courrier recommandé. Les lettres sous pli recommandé ont été retournées par le bureau de poste avec la mention non réclamé. Le registraire du Tribunal et son personnel ont réussi à parler à l'intimé au téléphone à plusieurs occasions. Ils lui ont suggéré d'accepter la documentation qui lui était envoyée, de l'examiner et, si possible, de consulter un avocat. Le 13 décembre 2001, un huissier a signifié personnellement à l'intimé à Brandon (Manitoba), des copies de toute la correspondance que lui avait adressée précédemment le greffe du Tribunal, y compris les avis concernant la date et le lieu de l'audience. Le 25 janvier 2002, un huissier a signifié personnellement à l'intimé la décision du Tribunal sur requête concernant les modifications des plaintes. Le greffe du Tribunal n'a reçu de l'intimé aucune demande d'ajournement de l'audience ni indication selon laquelle il ne pourrait assister pour quelque raison que ce soit.

[6] À la lumière de cette preuve et du défaut de l'intimé de comparaître à l'ouverture de la cause, j'ai décidé de procéder en son absence. Il importe de signaler que l'audience s'est déroulée pendant quatre jours dans la ville de Brandon (Manitoba), et que l'affaire a reçu une importante couverture dans le quotidien local. Quoi qu'il en soit, l'intimé ne s'est présenté en aucun moment pendant la durée de l'audience. Il n'a fourni au Tribunal aucun commentaire ou autre document ni avant ni après l'audience. Par conséquent, le récit des faits dans cette décision repose uniquement sur la preuve présentée par la Commission et par les plaignantes.

II. DIVULGATION

[7] L'absence de l'intimé à l'audience et sa non-participation à l'ensemble du processus a entraîné certaines difficultés sur le plan des règles du Tribunal relatives à la divulgation des documents. Le problème le plus manifeste venait du fait que l'intimé ne s'est acquitté d'aucune de ses obligations de divulgation à l'égard de la Commission et des plaignantes. Par ailleurs, le défaut de la Commission de se conformer à certaines de ses propres obligations en matière de divulgation a soulevé une difficulté supplémentaire.

[8] Plus particulièrement, bon nombre des pièces que la Commission a cherché à déposer n'ont pas été divulguées à l'intimé en même temps que les autres documents qui lui ont été livrés le 21 novembre 2001. L'avocat de la Commission a expliqué qu'il a appris l'existence de la plupart de ces documents non divulgués lorsqu'il a rencontré les plaignantes lors de la préparation de l'audience quelques jours avant qu'elle ne commence. D'autres documents ont été obtenus ou préparés pendant l'audience.

[9] Eu égard à la décision de l'intimé de ne pas participer à l'audience, personne n'était présent pour s'opposer à la présentation de documents qui n'avaient pas été antérieurement divulgués. Dans ces circonstances, j'ai décidé de permettre le dépôt de ces documents. L'intimé doit subir les conséquences et les risques afférents à son absence manifeste d'intérêt à l'égard de la cause instruite contre lui et de son mépris à l'endroit de l'ensemble du processus.

III. LES FAITS

[10] Les quatre plaignantes allèguent avoir fait de l'objet de discrimination pendant qu'elles travaillaient au bureau de Brandon de SkyCable, division de Craig Broadcasting Systems Inc. (Craig Broadcasting). Craig Broadcasting est une entreprise de médias électroniques d'envergure exploitée dans l'ouest du Manitoba. Au cours de la période d'emploi des plaignantes, Craig Broadcasting était propriétaire de stations de télévision et de radio dans la ville de Brandon. Elle possédait également d'autres stations dans d'autres villes de l'Ouest canadien.

[11] La commercialisation d'un système de télévision digitale sans fil au Manitoba constituait la principale activité de la division SkyCable de Craig Broadcasting. Cette technologie offrait aux clients un vaste choix de programmes télévisés de qualité digitale qu'ils recevaient par l'entremise d'antennes spéciales installées à l'extérieur de leur maison. Le signal digital reçu était décodé au moyen de décodeurs branchés aux téléviseurs des clients. SkyCable transmettait le signal à ses clients à partir de grandes tours de transmission situées dans toutes les régions de la province. La compagnie était exploitée depuis le milieu de l'année 1996.

[12] Le bureau de SkyCable était initialement situé dans l'édifice principal de Craig Broadcasting, à Brandon, où se trouvaient également les stations locales de télévision et de radio. En avril 1997, SkyCable a déménagé ses opérations dans un édifice distinct, adjacent à l'édifice de Craig Broadcasting. La plupart des employés travaillant au bureau de SkyCable étaient employés à titre de représentants du service à la clientèle ce qui signifie, comme leur titre l'indique, qu'ils traitaient avec les clients de SkyCable, surtout par téléphone. D'autres personnes exécutaient des tâches administratives comme la comptabilité et la gestion de la fourniture des décodeurs à la clientèle. SkyCable avait aussi à son service plusieurs techniciens et installateurs (tous, semble-t-il, de sexe masculin), mais à l'exception d'une infime minorité, ils travaillaient généralement, sur la route, à l'extérieur du bureau et ne passaient au bureau qu'occasionnellement pour ramasser du matériel. La plupart des employés travaillant exclusivement dans le bureau de SkyCable étaient des femmes. Certains témoins ont affirmé que 70 % du personnel était de sexe féminin, tandis que, selon d'autres, la proportion pouvait atteindre 90 %.

[13] Trois des plaignantes (Mme Woiden, Mme Falk et Mme Yeary) travaillaient principalement à titre de représentantes du service à la clientèle ou de représentantes des comptes commerciaux étant affectées aux clients commerciaux plus importants. Cependant, Mme Yeary a été, en fin de compte, mutée au service de la comptabilité. La dernière plaignante, Mme Curle, a surtout travaillé comme réceptionniste du bureau pendant son emploi à SkyCable.

[14] L'intimé, Daniel (Dan) Lynn, gestionnaire des opérations occupait le poste le plus important au bureau de SkyCable. La gestionnaire du bureau, Jennifer Houlihan, relevait directement de l'intimé. Le personnel du bureau, y compris les quatre plaignantes, relevait habituellement de Mme Houlihan, mais l'intimé était constamment présent parmi les employés du bureau et il lui arrivait souvent de superviser directement leurs activités. Ainsi, le personnel était supervisé à la fois par Mme Houlihan et par l'intimé. Toutefois, l'autorité exclusive d'embaucher et de congédier les employés de bureau appartenait à l'intimé.

A. Environnement de travail

[15] Tous les témoins entendus dans cette affaire ont travaillé à un certain moment au bureau de SkyCable à Brandon. Ils ont tous convenu que le moral dans le bureau était très bas, et que cette situation était principalement attribuable à l'attitude de l'intimé. Chaque témoin a confirmé que l'intimé était un individu grossier à caractère extrêmement changeant qui ne traitait pas ses employés avec dignité ni respect.

[16] Les locaux du bureau, plus particulièrement dans le deuxième emplacement adjacent à l'édifice de Craig Broadcasting, étaient aménagés en espace fonctionnel de sorte que les bureaux des employés n'étaient séparés que par des partitions à hauteur d'épaule. Ainsi, la plupart des employés pouvaient entendre les commentaires formulés dans les portions centrales du bureau. Chaque ancien employé qui a témoigné a signalé que l'intimé utilisait régulièrement à l'égard des membres du personnel des expressions comme fucking bitches (maudites putains), fucking idiots (maudites idiotes), sluts (salopes), cunts (guidounes), fags (fifines) et autres épithètes tout aussi offensantes.

[17] Un employé de sexe masculin, Darrell Grant, a témoigné que l'atmosphère était toujours tendue. Il s'est souvenu d'une fois où il avait été accablé d'injures à cause de la façon dont il avait inscrit la lettre F sur un document. Tous les témoins ont confirmé que Mme Houlihan était également dure à l'égard des employés lorsqu'elle supervisait leur travail. Toutefois, elle n'utilisait pas le langage injurieux et obscène qui était reproché à l'intimé et elle ne se fâchait pas autant que lui. Bon nombre des témoins ont attribué le taux élevé de roulement à SkyCable (selon certains, jusqu'à 150 % par année) directement aux attitudes de l'intimé et de Mme Houlihan.

B. Joan Yeary

[18] Mme Yeary, une des quatre plaignantes, a été la première à travailler à SkyCable. Elle a été embauchée à titre de représentante du service à la clientèle le 9 septembre 1996 au moment où la société a lancé ses opérations. Ses tâches principales consistaient à contacter les gens dans toutes les régions rurales du Manitoba et de leur offrir le produit SkyCable. Après qu'un client avait accepté le service, elle effectuait des appels de suivi afin d'informer le client du moment où le service serait activé et de prendre des dispositions pour l'installation du décodeur. Après un certain temps, elle a exécuté d'autres fonctions également, y compris la formation d'autres membres du personnel et l'établissement d'un système pour le suivi des divers décodeurs.

[19] Dès ses premières journées de travail à SkyCable, Mme Yeary a été témoin des obscénités régulièrement formulées par l'intimé. Par exemple, il parlait de la gestionnaire du bureau qui occupait ce poste avant Mme Houlihan comme de la maudite vache qui n'avait aucune maudite idée de ce qu'elle faisait. Selon Mme Yeary, cette femme était souvent en larmes à la suite de ces insultes. Une situation semblable s'est soulevée à l'égard d'une autre employée (Mme T.) que l'intimé n'aimait vraisemblablement pas. Par conséquent, il a dit au personnel de bureau de la désigner par le même terme qu'il utilisait lui-même, cette maudite putain.

[20] L'intimé appelait souvent les femmes bébé et il désignait habituellement Mme Yeary par le surnom de Joanie bébé. À une occasion, Mme Yeary se trouvait dans le coin repas en même temps que l'intimé qui était manifestement perturbé au sujet de certaines défaillances dans les opérations de la société. Il s'est tourné vers elle et a déclaré Joanie bébé, tout le maudit personnel est stupide; c'est toute une bande de maudites guidounes.

[21] À un autre moment, l'intimé a fait remarquer à Mme Yeary à quel point le merveilleux petit corps de son adjointe, Bobbi Gerrard était ferme. L'intimé passait régulièrement des commentaires à Mme Yeary au sujet du corps mignon des autres employées.

[22] Mme Yeary n'était pas à l'abri de commentaires au sujet de son apparence physique non plus. Un jour, pendant qu'elle travaillait dans la salle de photocopie du bureau, l'intimé est entré et lui a dit Oh, Joanie bébé, il me semble que tes seins ont grossi. Selon Mme Yeary, il lui arrivait souvent de s'approcher derrière elle et derrière d'autres membres féminins du personnel et d'enlacer leur taille ou leurs épaules en leur disant qu'elles paraissaient bien ou qu'elles sentaient bon.

[23] Mme Yeary se souvient que l'intimé disait souvent de la coplaignante, Kindra Woiden, qu'elle avait un joli corps et qu'à une occasion, alors qu'elle portait des jeans au travail, il a dit d'une voix assez forte pour que Mme Yeary puisse l'entendre beau cul. L'intimé a également mentionné à Mme Yeary qu'il aimait les gros seins d'une autre employée, ajoutant à une autre occasion que son mari devait bien s'amuser avec eux. L'intimé fixait les seins de cette employée lorsqu'il a formulé cette assertion. Des commentaires semblables ont été faits au sujet d'une autre femme qui avait travaillé dans le bureau pendant une courte période. Un jour qu'elle s'est présentée au travail vêtue d'une jupe plus courte, il lui a demandé de classer des documents dans les classeurs situés dans la partie centrale du bureau. Pendant qu'elle travaillait en position penchée, l'intimé debout derrière elle a dit, N'est-ce pas que c'est joli, manifestement peu préoccupé par le fait que presque tout le monde dans le bureau pouvait l'entendre. Il a ri puis il est parti.

[24] Selon Mme Yeary, ces commentaires au sujet des femmes étaient rarement provoqués par un événement particulier. Il laissait simplement échapper les remarques sans raison particulière.

[25] En plus des remarques au sujet de l'apparence physique des femmes, l'intimé parlait souvent à Mme Yeary de sa vie personnelle. Cette dernière est mère monoparentale de trois enfants, et l'intimé laissait souvent entendre qu'elle devrait commencer à fréquenter un membre de la famille Craig, propriétaire de Craig Broadcasting. L'intimé lui a souvent conseillé : couche avec l'un d'eux [les Craig], ainsi tu seras casée pour la vie; ils ont beaucoup d'argent.

[26] Les assertions de l'intimé au sujet de la vie personnelle de Mme Yeary portaient même sur les activités commerciales de SkyCable. Mme Yeary prévoyait visiter des membres de sa famille à Winnipeg au moment où la société avait besoin d'installateurs supplémentaires. L'intimé lui a suggéré fais la tournée des bars pour ramasser suffisamment d'hommes que tu pourras ramener ici parce que nous avons besoin de nouveaux installateurs.

[27] Dans son témoignage, Mme Yeary a confirmé les déclarations d'autres témoins selon lesquelles l'intimé jurait contre le personnel en général et avait un sale caractère. Toutefois, jusqu'au début de 1998, elle n'était généralement pas directement visée par ses excès de colère. En décembre 1997, l'intimé a rencontré le frère de Mme Yeary et a appris qu'il travaillait pour un concurrent de SkyCable. Quelque temps après, deux membres masculins du personnel ont informé Mme Yeary que l'intimé cherchait à l'attraper parce qu'il la soupçonnait d'espionner pour le compte de l'employeur de son frère. Mme Yeary se rappelle que, à partir de ce moment, l'intimé s'est mis à la maltraiter. L'intimé et Mme Houlihan ont commencé à effectuer sans raison des contre-vérifications de son travail.

[28] À titre d'exemple de l'aggravation de la situation, elle a mentionné un épisode qui est survenu lorsque l'intimé lui a donné l'ordre de préparer plusieurs rapports dans ce qu'elle estime être des délais impossibles. Lorsque les rapports n'ont pas été achevés à temps, l'intimé, très en colère, lui a crié si t'es pas capable de faire le putain de travail, peut-être que tu ne devrais pas être ici et d'un grand coup de bras, il a envoyé au plancher tous les papiers se trouvant sur son pupitre. De même, au début de mai 1998, l'intimé a dit à une autre employée qui avait exécuté un certain travail en conformité avec les directives de Mme Yeary que Joan [Yeary] ne connaît rien et tu n'es pas obligée de l'écouter. Il a formulé cette remarque alors qu'il se trouvait à deux pieds seulement de Mme Yeary.

[29] La relation de Mme Yeary avec l'intimé s'est aggravée lorsque cette dernière a été témoin d'une violente altercation entre l'intimé et son épouse dans un restaurant-bar local. Le jour ouvrable suivant, l'intimé, avec colère, a convoqué tout le personnel dans la salle de conférence du bureau et, tout en marchant furieusement de long en large, a déclaré que sa vie personnelle c'était son affaire et que personne ne devait répandre des rumeurs à son sujet. Il a adressé la plupart de ses commentaires directement à Mme Yeary. Pourtant elle affirme qu'elle n'a jamais raconté à qui que ce soit l'incident, mais que l'affaire s'était vraisemblablement propagée à cause de la présence au bar d'autres employés de Craig Broadcasting et de SkyCable.

[30] Ces incidents de colère, de grossièretés et d'injures rendaient déjà la vie de Mme Yeary très difficile lorsqu'un nouveau conflit s'est déclaré entre elle et l'intimé au sujet de ses heures de travail. Lorsqu'elle a été embauchée en 1996, on l'a informée que les heures de travail étaient du lundi au vendredi, de 8 h à 17 h et que toute modification éventuelle des heures de travail ne s'appliquerait qu'aux représentants du service à la clientèle. En mai 1998, Mme Yeary avait été transférée au service de la comptabilité dans lequel elle n'avait que peu ou pas de contact avec le grand public. Le 12 mai 1998, l'intimé a distribué une lettre aux employés de bureau les informant qu'une plus grande priorité accordée au service à la clientèle exigeait que du personnel d'expérience et à plein temps soit disponible pendant des heures prolongées pour traiter avec les clients de SkyCable. Mme Yeary a déclaré dans son témoignage qu'elle n'a jamais reçu une copie de cette lettre.

[31] Environ une semaine plus tard, l'intimé a rencontré Mme Yeary et l'a informée qu'elle devrait également effectuer des heures prolongées. Dans une note en date du 22 mai 1998, Mme Yeary a répondu à l'intimé qu'elle ne pouvait effectuer des heures prolongées à cause de sa situation familiale. Elle est mère de famille monoparentale et a trois enfants âgés de 15, 12 et 8 ans respectivement. Leur père vit aux États-Unis et la mère de Mme Yeary qui travaillait à plein temps elle-même ne pouvait prendre soin des enfants plus d'un samedi par mois. L'aîné des enfants occupait déjà un emploi à temps partiel les soirées et ne pouvait surveiller les autres enfants. Le salaire annuel de 22 000 $ de Mme Yeary est demeuré inchangé depuis la date de son embauche, et elle ne pouvait se permettre de payer des frais de garde après les heures d'école normales. Mme Yeary a déclaré dans sa note qu'elle ne remettrait pas sa démission comme le lui avait demandé, semble-t-il, Mme Houlihan.

[32] Quoi qu'il en soit, le 26 mai 1998, Mme Yeary a reçu une lettre signée par l'intimé l'informant que, à compter du 8 juin 1998, ses heures de travail normales comprendraient des postes de roulement les soirées et les fins de semaine. On lui accordait deux semaines de plus qu'aux autres employés pour lui permettre de prendre les dispositions personnelles nécessaires afin d'être en mesure de respecter l'horaire de travail qui lui était imposé. Au cours d'une conversation survenue quelque temps après cette lettre, Mme Houlihan a conseillé à Mme Yeary de consulter un avocat. Par conséquent, Mme Yeary a contacté la Commission qui lui a conseillé de tenter d'en venir à une entente avec son employeur. Donc, le 3 juin 1998, Mme Yeary a écrit à l'intimé une lettre dans laquelle elle a fait état de sa situation familiale particulière et a demandé que ses besoins soient pris en compte en limitant ses heures prolongées à un samedi par mois et peut-être à une soirée par semaine.

[33] Tout au long du déroulement de ces événements, Mme Yeary était intriguée par la raison qui justifiait le changement de ses heures de travail. N'étant pas une représentante du service à la clientèle, elle n'avait que peu ou pas de contact avec le public. De plus, l'employeur avait la possibilité de faire appel à une autre employée dans ce service, Bobbi Gerrard, pour effectuer les heures prolongées. Mme Gerrard était célibataire sans enfants et, selon Mme Yeary, elle n'avait aucune objection à travailler les soirées et les fins de semaine.

[34] À un moment donné, l'intimé a fait venir Mme Yeary et Mme Gerrard dans son bureau pour discuter de l'affaire. Au lieu de cela, pendant toute la réunion qui, selon Mme Yeary, a duré une heure et demie, l'intimé a crié continuellement ou, selon son expression, a tempêté, fulminé et juré. Chaque fois qu'une des employées tentait de placer un mot, il lui coupait la parole. La réunion a pris fin sans que la question ait été résolue et, selon Mme Yeary, l'intimé a refusé de discuter de la question de nouveau par la suite. Bien que l'horaire de Mme Yeary n'ait pas été substantiellement modifié pendant le mois de juin 1998, Mme Houlihan a soutenu que les modifications seraient mises en vigueur à compter du mois de juillet 1998 et que Mme Yeary devrait travailler quatre soirées par semaine jusqu'à 20 h ainsi qu'un samedi sur deux.

[35] Mme Yeary soutient qu'au moment où cette réunion a eu lieu, elle était déjà dans un état déplorable. Depuis un certain temps, elle pleurait souvent et elle souffrait de maux de tête intenses, d'insomnie et de tremblements en conséquence de son exposition à la colère, à la vulgarité et aux injures de l'intimé. C'est à ce moment que, quelque temps en juin 1998, est survenu l'incident final qui l'a, en définitive, incitée à mettre fin à son emploi à SkyCable. C'était, comme elle l'a décrit, la goutte d'eau qui a fait déborder le vase. Son ordinateur avait cessé de fonctionner pendant qu'elle travaillait. Le lendemain, pendant que son ordinateur était en réparation, l'intimé l'a abordée et a crié qu'elle avait causé la panne en entrant des renseignements personnels dans l'ordinateur. Elle a nié cette allégation et a demandé des excuses. Une fois que l'ordinateur a été réparé, le technicien lui a dit que les défaillances se produisent souvent avec ce genre d'équipement et que cela n'a rien à voir avec l'entrée de données personnelles. L'intimé ne s'est néanmoins jamais excusé.

[36] Le 26 juin 1998, Mme Yeary a consulté son médecin de famille qui, après avoir constaté l'état dans lequel elle était, plus particulièrement ses crises de larmes et son insomnie, lui a ordonné de ne pas retourner au travail et lui a délivré un certificat de maladie en conséquence. Mme Yeary a respecté les consignes de son médecin. Le 2 juillet 1998, après l'avoir examinée, R.A. Richert, Ph. D., psychologue, a écrit à Craig Broadcasting, responsable de la gestion de la paie de SkyCable, pour l'informer que Mme Yeary avait demandé un congé de maladie pour une période prolongée parce qu'elle souffrait de stress lié au travail qui nécessitait un arrêt de travail qui lui permettrait de recouvrer la santé.

[37] Mme Yeary avait droit à une prestation d'invalidité à court terme correspondant aux deux tiers de son salaire normal, mais elle a témoigné que ce montant était insuffisant pour satisfaire aux besoins de sa famille et que, par conséquent, elle ne pouvait se permettre de rester sans travailler pendant une période prolongée. En outre, Craig Broadcasting et l'assureur ne s'entendaient pas sur la question de savoir si son invalidité était liée au travail et, par conséquent, devrait être couverte par le régime provincial d'indemnisation des accidents du travail. Le conflit risquait d'influer sur son indemnisation ou de la retarder.

[38] À la lumière de toutes ces circonstances, Mme Yeary a décidé qu'il serait préférable pour elle et pour sa famille qu'elle cherche un nouvel emploi à plein temps ailleurs. Elle s'est présentée à plusieurs entrevues et, le 10 août 1998 elle occupait un autre emploi à un salaire annuel supérieur de quelques milliers de dollars à celui qu'elle touchait à SkyCable. Par conséquent, aux environs de la même date, soit le 10 août 1998, Mme Yeary a remis sa lettre de démission à SkyCable. Depuis ce jour, elle travaille toujours pour le même nouvel employeur.

C. Sharla Curle (anciennement Speight)

[39] Cette plaignante a déposé sa plainte le 1er décembre 1998 sous le nom de Sharla Speight. À l'audience, elle a demandé à être désignée dans les présentes procédures sous son nom actuel de femme mariée, Mme Sharla Curle.

[40] Mme Curle était sans emploi lorsqu'elle a été embauchée par SkyCable le 8 septembre 1997. Son amie la coplaignante, Joan Yeary, savait que Mme Curle cherchait du travail à l'époque. SkyCable cherchait à combler le poste de réceptionniste et, par conséquent, Mme Yeary a recommandé Mme Curle à l'intimé, en l'assurant que cette dernière possédait les qualifications nécessaires pour ce poste. L'intimé a convenu d'interviewer Mme Curle. Dans son témoignage, Mme Yeary a signalé à quel point elle avait trouvé étrange que l'intimé, avant l'entrevue, semblait très intéressé à savoir si Mme Curle était blonde, si elle était bien faite et si elle était mariée. L'intimé a interviewé seul Mme Curle qui a été embauchée immédiatement après la rencontre. Mme Curle se rappelle que, tout au long de l'entrevue, il examinait sans cesse ses vêtements et son apparence générale.

[41] Comme ce fut le cas pour Mme Yeary, peu de temps après son embauche, Mme Curle a été témoin des remarques grossières formulées par l'intimé au sujet des autres employés. Une semaine après son entrée en fonction, Mme Curle a appris que l'employée désignée précédemment dans la présente décision comme étant Mme T. était congédiée par l'intimé. Au moment où Mme T. a quitté le bureau, l'intimé s'est approché de l'espace de travail de Mme Curle et lui a dit qu'il était heureux de voir partir cette maudite putain. Quelques mois plus tard, l'intimé a dit à Mme Curle qu'il aurait aimé voir ces maudites putains partir, faisant référence à trois autres employées dont Mme Yeary. À d'autres occasions, elle a entendu l'intimé dire que la coplaignante, Mme Woiden, avait un beau cul et qu'elle paraissait bien. À une occasion, lorsque l'intimé a remarqué qu'une employée portait une robe fabriquée d'un matériel léger, il a dit, d'une voix assez forte pour que Mme Curle puisse l'entendre, qu'il pouvait voir ce que la femme portait sous sa robe.

[42] L'intimé a fait des remarques semblables au sujet de Mme Curle également. Un ou deux mois après son embauche, elle a commencé à classer des documents dans le tiroir inférieur du classeur situé dans l'aire ouverte du bureau. Alors qu'elle était penchée vers l'avant, l'intimé s'est approché derrière elle à une distance d'environ six pieds, s'est penché de côté en essayant de regarder sous sa jupe et a déclaré beau cul, excellente perspective d'ici. Dégoûtée par le commentaire, Mme Curle a fermé violemment le classeur et est retournée à son pupitre.

[43] Mme Curle a également fait l'objet de certains commentaires de la part de l'intimé au sujet d'un comptoir situé dans le mur qui séparait la réception où elle travaillait du reste du bureau derrière. Dans le cadre de ses fonctions, elle devait souvent regarder par l'ouverture afin de parler aux autres employés. Le comptoir lui arrivait à la hauteur de la poitrine. À une occasion, alors qu'elle se trouvait devant cette ouverture, l'intimé lui a dit de ne pas s'appuyer sur le comptoir car elle pourrait le bosseler, avec ses seins, semble-t-il. À une autre occasion, alors qu'elle se trouvait devant cette fenêtre, l'intimé a fait remarquer que le découpage se trouvait à la hauteur parfaite.

[44] L'intimé a également fait des commentaires au sujet de la vie personnelle de Mme Curle. Peu après le début de son emploi à SkyCable, l'intimé aurait appris qu'elle avait un petit ami. Les autres employées avaient présenté leurs petits amis à l'intimé, mais Mme Curle ne l'avait pas fait. Un jour, en présence de Mme Curle, l'intimé a dit à l'un des techniciens de sexe masculin qu'il pensait que le petit ami était seulement une poupée gonflable imaginaire puisque lui n'avait jamais rencontré la personne.

[45] Mme Curle a travaillé comme réceptionniste jusqu'à la deuxième semaine d'août 1998 lorsqu'elle a accepté un poste d'adjointe de l'intimé. Elle a témoigné qu'elle ne voulait pas l'emploi et qu'elle l'avait déjà refusé. Toutefois, elle a été incitée à l'accepter lorsqu'on lui a offert l'occasion d'exécuter certaines tâches de supervision.

[46] À cette période, bon nombre des employés se plaignaient du mode de gestion de Mme Houlihan. Mme Curle ayant assumé certaines responsabilités de gestion, plusieurs de ces employés mécontents lui ont demandé d'intervenir. Elle a accepté et a préparé en conséquence une lettre adressée à l'intimé, en date du 18 août 1998, qu'ont signée 11 membres du personnel de bureau (un homme, dix femmes), y compris Mme Curle et les coplaignantes, Mme Woiden et Mme Falk.

[47] La lettre, qui énonçait en détail 11 problèmes auxquels le personnel était confronté de la part de Mme Houlihan se terminait de la façon suivante :

[Traduction]

Veuillez noter que nous voulons tous travailler en équipe, mais nous estimons que cela ne se produira pas si cette atmosphère doit subsister. Nous estimons que nos emplois sont suffisamment exigeants sans que nous devions subir des pressions supplémentaires de la part de Jennifer [Houlihan]. Nous vous avons déjà fait part de ces problèmes, mais sans résultat. Nous espérons pouvoir constater un changement dans l'attitude de Jennifer et dans sa façon de traiter ses collègues de travail.

Nous avons écrit cette lettre en désespoir de cause. Nous avons consenti tous les efforts possibles pour que les choses fonctionnent entre Jennifer et le reste du personnel. Nous ne sommes pas disposés à démissionner car nous pensons que ce bureau pourrait être un milieu de travail très stimulant si cette question pouvait être abordée et résolue. Chacun aimerait éprouver du plaisir à venir travailler, mais ce n'est pas la situation qui prévaut actuellement. Vous constateriez une augmentation de la productivité si le moral du personnel remontait. Nous vous demandons votre aide dans cette affaire et espérons que vous y donnerez suite.

La première réaction de l'intimé à l'égard de la lettre a été de faire venir Mme Curle dans son bureau pour discuter de l'affaire. Il a parlé de la lettre comme étant de la merde syndicale. Il lui a dit qu'il examinerait la question, mais rien ne s'est produit au cours des jours suivants. Mme Curle a par la suite signalé à un autre employé de la gestion que si les problèmes n'étaient pas résolus, les employés présenteraient leur plainte aux propriétaires de SkyCable, la famille Craig.

[48] L'intimé doit avoir eu connaissance des commentaires de Mme Curle parce que, le 24 août 1998, il a convoqué une réunion spéciale du personnel dans la salle de conférence. Il a convoqué les employés de sa façon habituelle, c'est-à-dire en parcourant l'aire centrale du bureau, en pointant le doigt vers les gens et en criant Dans la salle de conférence, tout de suite! Toutes les personnes ainsi convoquées étaient toutes des femmes à l'exception du seul homme qui avait également signé la lettre. Mme Curle, Mme Woiden et Mme Falk étaient présentes.

[49] L'intimé a fermé la porte avec fracas derrière lui après son entrée dans la salle de conférence. Il a hurlé pendant toute la réunion qui a duré environ une demi-heure. Il tenait la lettre dans ses mains et a crié, Qu'est-ce que cette putain de lettre? Il a lancé des documents partout sur la table de façon théâtrale et marchait de long en large. Il traitait les personnes présentes de maudits idiots et, à un moment donné, a dit aux employés, Si certains d'entre vous veulent partir, vous savez où est la porte; je vous donnerai vos deux semaines de paie. Il a déclaré que c'était lui le patron ici, non pas la famille Craig. Il a accusé Mme Curle d'avoir organisé la manifestation et d'avoir négligé d'informer les autres travailleurs de son intention de régler la question. Elle a tenté de répliquer qu'il lui avait demandé de ne pas ébruiter son engagement. Toutefois, il était difficile pour quiconque de réussir à placer un mot. Avant longtemps, Mme Curle, Mme Woiden et d'autres membres du personnel étaient en larmes à la suite de cette confrontation. Selon Mme Falk, l'intimé a fait en sorte que toutes les personnes présentes dans la salle se sentent comme des ordures. Lorsque l'intimé a finalement cessé de parler, il a ouvert la porte et est sorti en trombe. Les employés sont demeurés silencieux, sous le choc, pendant quelques instants, puis sont retournés à leur poste de travail.

[50] Un peu plus tard dans la journée, Mme Curle a demandé à un membre du personnel d'aller donner un coup de main à la nouvelle réceptionniste. L'intimé s'est opposé et a réagi en colère en criant de nouveau que c'était lui le patron ici. Mme Curle a témoigné qu'elle avait alors réalisé qu'elle ne pouvait plus travailler dans ce bureau. Sa première réaction a été d'appeler une amie qui travaillait dans un cabinet d'avocats à Brandon et de prendre rendez-vous avec un avocat pour le lendemain. Selon Mme Curle, elle ne savait pas exactement pourquoi elle ressentait le besoin de voir un avocat, si ce n'est pour obtenir un peu d'aide.

[51] Elle a terminé son quart de travail, a placé ses affaires personnelles dans une boîte et a quitté le bureau. Elle avait ravalé tous ces conflits au travail, n'en ayant même pas parlé à son petit ami. Émotivement, elle se sentait comme si elle était en dépression de sorte que, sur son chemin du retour, elle a fait un arrêt à une clinique médicale. Après l'avoir examinée, le médecin lui a délivré un certificat médical et lui a déclaré qu'elle n'était pas tenue de retourner travailler avant le 8 septembre 1998. D'autres certificats médicaux ont été par la suite délivrés par son médecin et par le psychiatre qui l'a également traitée. Par conséquent, elle a touché des prestations d'invalidité de courte durée jusqu'en novembre 1998, mais toute prestation d'assurance-invalidité à long terme supplémentaire lui a été refusée par la suite.

[52] Lorsqu'elle est retournée chez elle, Mme Curle a téléphoné à Mme Woiden et à Mme Falk ainsi qu'à son amie et ancienne collègue de travail, Mme Yeary. Elle a appris pour la première fois que les deux premières femmes avaient également décidé qu'elles ne pouvaient plus retourner au lieu de travail et qu'elles avaient également consulté leur médecin qui leur avait conseillé de prendre un congé de maladie. À la suite de leur discussion, les quatre femmes ont convenu de se rendre ensemble chez l'avocat le lendemain. Cette réunion ne s'est pas révélée très utile. Elles ont par la suite consulté un autre avocat. En définitive, à la suite de ces réunions, les femmes ont conclu que leurs droits de la personne avaient été violés. Elles ont par conséquent contacté la Commission et déposé leurs plaintes.

[53] Mme Curle n'a jamais officiellement démissionné de SkyCable. Elle avait continué d'espérer qu'elle pourrait retourner au lieu de travail si jamais SkyCable congédiait l'intimé. Toutefois, à l'automne 1998, l'intimé n'ayant été ni congédié ni transféré, elle a commencé à se chercher un nouvel emploi à partir du 22 octobre 1998. Le 4 janvier 1999, elle a trouvé un nouvel emploi à un salaire plus élevé que celui qu'elle touchait à SkyCable.

D. Kindra Woiden

[54] Mme Woiden a commencé à travailler à SkyCable le 16 février 1998. Elle a initialement été embauchée à titre de représentante du service à la clientèle. Plusieurs mois plus tard, elle était affectée au poste de représentante des comptes commerciaux et elle traitait avec les plus importantes sociétés clientes.

[55] Comme dans le cas des autres témoins entendus par le Tribunal, Mme Woiden se rappelle que l'intimé utilisait constamment des propos vulgaires et des insultes lorsqu'il s'adressait aux employés du bureau. Elle atteste également du caractère changeant de l'intimé, affirmant qu'elle craignait parfois qu'il manifeste sa colère physiquement en frappant quelqu'un ou quelque chose. Elle a témoigné qu'il devenait très perturbé lorsqu'il déterminait que le nombre de nouveaux clients d'un représentant au cours d'une période donnée était trop faible. Dans son cas, elle se rappelle qu'à de nombreuses occasions, il a exprimé sa désapprobation en hurlant des remarques comme Maudite putain, tu ne sais pas ce que tu fais.

[56] Dans l'ensemble, son attitude était grossière et avilissante, plus particulièrement à l'égard des employés de sexe féminin. Mme Woiden affirme qu'elle aimait son travail, surtout parce qu'elle était devenue très bonne. Toutefois, elle se contentait d'effectuer ses heures de travail et de retourner chez elle par la suite afin de minimiser ses contacts avec l'intimé. Chaque semaine, elle espérait que l'intimé travaillerait à l'extérieur du bureau parce qu'elle craignait sa réaction s'il se trouvait dans le bureau et qu'il remarquait que quelque chose ne fonctionnait pas convenablement.

[57] Mme Woiden a été témoin des commentaires de nature sexuelle formulés par l'intimé au sujet de ses collègues féminines de travail. Par exemple, à l'été 1998, après que la coplaignante, Mme Falk, soit devenue enceinte, elle et Mme Woiden discutaient de grossesse dans la salle des repas en présence de l'intimé. Il est intervenu dans leur conversation en disant à Mme Falk, Bon, maintenant au moins tu auras des seins.

[58] Mme Woiden se rappelle également avoir vu l'intimé regarder Mme Curle par derrière tandis que cette dernière travaillait près des classeurs et d'avoir dit assez fort pour que Mme Woiden et les autres l'entendent, Regarde les jambes de celle-là. En outre, Mme Woiden était l'une des personnes qui a entendu l'intimé faire les commentaires dont il a été question plus tôt dans cette décision concernant son conseil à Mme Curle de ne pas s'appuyer sur le comptoir de la réception par crainte de l'endommager.

[59] L'intimé a formulé des assertions au sujet de l'apparence de Mme Woiden. Par exemple, plusieurs semaines après avoir été embauchée alors qu'elle portait un chandail au travail, il lui a demandé s'il n'était pas un peu trop serré. Elle se rappelle qu'à une autre occasion, l'intimé l'a regardée de haut en bas et lui a dit Oh, tu parais bien aujourd'hui. Il a également fait des commentaires sur la belle apparence de ses jambes. Comme je l'ai indiqué précédemment dans cette décision, Mme Yeary et Mme Curle ont également témoigné avoir entendu l'intimé faire des remarques semblables au sujet de l'apparence de Mme Woiden

[60] L'intimé discutait également de questions personnelles avec Mme Woiden. Quelques semaines après le début de son emploi à SkyCable, l'intimé a fait un commentaire au sujet de son petit ami. Il lui a demandé ce qu'elle faisait avec un fucking loser (maudit perdant) comme lui. Un ou deux mois plus tard, l'intimé a abordé Mme Woiden dans la salle des repas pendant qu'elle était en pause et lui a dit qu'il gagnait beaucoup d'argent ce qui lui permettait de donner de l'argent de poche à son épouse. Il a ensuite demandé à Mme Woiden combien elle coûterait. Il a formulé ce commentaire d'un ton tranquille. Elle a interprété cette question comme signifiant ce qu'il lui en coûterait pour l'entretenir. Elle considère ces deux remarques comme une incitation à se livrer à des activités sexuelles avec lui. Elle a témoigné que, à chaque fois, elle n'a pas répondu à ses commentaires et qu'elle s'est simplement éloignée.

[61] Les actions de l'intimé à l'égard de Mme Woiden n'étaient pas limitées à des commentaires verbaux mais comprenaient également des incidents de contacts physiques. Elle se souvient qu'à deux ou trois occasions, il s'est approché derrière elle pendant qu'elle était assise à son bureau et qu'il lui a frotté les épaules pendant 10 à 15 secondes. De même, elle se rappelle qu'une fois qu'elle était debout à son pupitre, l'intimé s'est approché et a mis ses bras autour de sa taille tout en lui posant des questions ordinaires concernant le travail. Ces occurrences de contact physique se sont déroulées au cours de ses premiers mois d'emploi à SkyCable alors qu'elle occupait le poste de représentante du service à la clientèle.

[62] En outre, Mme Woiden a témoigné longuement au sujet de deux incidents importants concernant l'intimé.

(i) L'incident du chalet

[63] Mme Woiden travaillait à SkyCable depuis moins de deux mois lorsque l'intimé est passé devant son pupitre le 2 avril 1998 et lui a laissé un document. Il lui a dit de s'en occuper et s'est éloigné. Il s'agissait d'une lettre d'un cabinet d'avocats de Winnipeg représentant les propriétaires d'un lot situé à proximité d'une tour de transmission que construisait SkyCable. Les propriétaires du lot demandaient que toute construction cesse. Cet arrêt aurait une répercussion majeure sur SkyCable car cette antenne devait desservir plus de 300 nouveaux clients.

[64] Mme Woiden ne comprenait pas pourquoi on lui avait confié cette affaire. Il s'agissait de questions juridiques importantes, et elle n'était qu'une représentante du service à la clientèle à l'époque. Normalement, elle se serait attendue à ce que Mme Houlihan s'occupe de telles questions. Mme Woiden pouvait seulement conclure que l'intimé en lui confiant ce dossier lui montrait qu'il avait confiance en ses capacités.

[65] Elle a fait des recherches au sujet des faits allégués dans la lettre et a découvert une preuve indiquant que certaines des assertions étaient non fondées. Elle a présenté cette preuve à l'intimé le 7 avril 1998. Ce dernier a répondu à Mme Woiden que, pour vérifier certains des renseignements qu'elle avait recueillis, il était nécessaire d'effectuer une visite au site de la tour. L'antenne était construite sur Riding Mountain dans la municipalité rurale de Rosedale, à une heure de route environ de Brandon. Le site de construction n'était accessible que par des chemins de terre, et l'emplacement de la tour elle-même était éloigné. De fait, un des arguments présentés par Mme Woiden en réponse aux allégations des propriétaires du lot portait sur le fait qu'il n'y avait aucune unité résidentielle sur leur propriété.

[66] L'intimé a demandé à Mme Woiden de l'accompagner lors de la visite du site qu'il avait prévue pour le lendemain après le travail. Ils sont partis aux environs de 18 h 30 dans le véhicule utilitaire sport de l'intimé. Il était au volant. Ils sont arrivés au site à la brunante. Ils ont examiné le secteur et ont pris des notes et des photographies pour les aider à préparer la réponse de SkyCable aux allégations des voisins. Après la visite du site, l'intimé a commencé à refaire, en sens inverse, le chemin emprunté précédemment. Après avoir conduit sur une courte distance, l'intimé a dit qu'il prendrait un autre chemin de terre pour déterminer s'il existait un accès secondaire à la tour. Mme Woiden n'avait pas d'objection puisque une des questions soulevées par les propriétaires de l'autre lot portait sur le fait que la route d'accès principal passait trop près de leur propriété. L'existence d'une autre route éliminerait cette source de conflit avec les voisins.

[67] L'intimé a conduit pendant environ 45 minutes, passant d'un chemin de terre à un autre. Mme Woiden a présumé qu'il essayait de trouver une façon de se rendre au site de la tour. Tout à coup, ils sont arrivés à un panneau indiquant la direction de Otter Lake, et l'intimé s'est engagé sur ce chemin. C'est alors que l'intimé a informé Mme Woiden qu'il possédait un chalet à Otter Lake. Il a dit qu'il avait récemment installé une nouvelle pompe et qu'il voulait effectuer une vérification.

[68] Ils arrivèrent bientôt au chalet et, quoique Mme Woiden soit d'abord restée à l'intérieur du véhicule, il l'a invitée à venir constater l'état de réception du signal de SkyCable. Par conséquent, elle est sortie du véhicule et l'a suivi dans la maison. Il l'a menée au salon et a allumé le téléviseur. Il lui a suggéré d'enlever son parka pendant qu'ils attendaient que l'appareil se réchauffe. C'est ce qu'elle fit. Il lui a ensuite fait visiter les diverses pièces de la maison, lui montrant éventuellement la nouvelle pompe dont il lui avait parlé précédemment.

[69] Ils sont retournés dans le salon. L'intimé s'est assis à une extrémité du divan et a commencé à changer les postes au moyen de la télécommande. Elle est restée debout au milieu de la pièce. Elle a témoigné qu'elle commençait alors à se sentir très inconfortable. Le séjour dans le chalet était plus long qu'elle ne l'avait prévu, et il lui était venue à l'esprit que si elle voulait partir, elle n'avait nulle part où aller : l'intimé avait verrouillé le véhicule et elle ne savait pas s'il y avait d'autres maisons dans les environs.

[70] L'intimé lui a demandé de s'asseoir et d'examiner la programmation de la télévision. Elle s'est rendue à l'autre extrémité du divan et s'est assise. Quelques secondes plus tard, il a changé de place et s'est assis juste à côté de Mme Woiden à sa droite. Sa jambe était appuyée contre les siennes. Elle a témoigné qu'elle voulait s'éloigner, mais elle se sentait gelée, incapable de bouger. Elle se souvient avoir tenté de se convaincre ce n'est pas en train de m'arriver, cela ne m'arrivera pas. L'intimé a mis son bras autour de ses épaules tout en lui frottant la jambe avec son autre bras. Elle a commencé à pleurer et se souvient qu'elle s'est sentie tellement stupide et naïve.

[71] L'intimé s'est ensuite penché et a approché son visage très près du sien, mais elle continuait de regarder droit devant elle et loin de lui. Mme Woiden a alors déclaré, Dan, je pense qu'il est temps de partir. Il a répondu qu'il voulait rester. Elle a répété qu'elle voulait partir. Il a dit, Je pensais que c'était ce que tu voulais. Elle a répété encore et encore, tout en pleurant, qu'elle voulait partir. Il s'est enfin reculé et s'est levé. Il a dit C'est bon d'un ton fâché. Ils ont mis leur parka, il a éteint le téléviseur et les lumières, et ils ont quitté le chalet.

[72] Ils sont montés dans le véhicule, et il a conduit jusqu'à Brandon. L'intimé n'a fait aucun commentaire quel qu'il soit concernant l'incident du chalet. Craignant qu'il ne tente d'entrer dans la maison lorsqu'il la laisserait chez elle, Mme Woiden ne lui a pas donné son adresse mais plutôt celle de son petit ami. Il l'a conduite à cet endroit. Elle a ouvert la porte du véhicule et s'est rendue directement dans la maison de son petit ami. Elle n'a pas parlé à son petit ami de l'incident du chalet.

[73] Mme Woiden a témoigné que le lendemain matin, elle n'avait pas envie de retourner travailler mais qu'elle n'avait pas le choix. Si elle démissionnait et perdait son revenu, elle ne pourrait plus payer son loyer et ses autres dépenses. Elle a donc décidé de se rendre au travail en espérant que l'intimé ne serait peut-être pas dans le bureau ce jour-là. Il s'est néanmoins présenté au travail mais, tout au long de la journée, ils n'ont eu aucune interaction. Il n'a jamais fait allusion à l'incident. Il n'a jamais rediscuté de la question de la tour de transmission de Riding Mountain avec elle. Il a, semble-t-il, réglé lui-même le conflit avec les propriétaires du lot avoisinant.

(ii) L'incident de Winnipeg

[74] À la fin mai ou au début juin 1998, l'intimé a informé Mme Woiden qu'une réunion de deux jours devait avoir lieu à Winnipeg avec quelques consultants de Toronto. Ces derniers devaient les conseiller au sujet de la vente du produit SkyCable à des sociétés clientes comme celles dont elle était responsable. Ayant toujours à l'esprit l'incident du chalet, elle était réticente à se rendre à la réunion avec l'intimé, mais elle estimait qu'elle devait y assister pour ne pas mettre son emploi en péril. Pour aggraver ses craintes, l'intimé lui a demandé s'il devrait réserver une chambre ou deux à l'hôtel où ils resteraient. Elle n'a pas répondu. À la place, elle a ricané, haussé les épaules et est sortie de son bureau. Elle a témoigné qu'elle était tellement inquiète au sujet de la façon dont l'intimé agirait qu'elle a finalement raconté à sa sœur l'incident du chalet. Jusqu'à ce moment-là, Mme Woiden n'avait discuté de ces incidents avec personne. Sa sœur est devenue tellement inquiète du bien-être de Mme Woiden qu'elle a décidé de quitter Brandon et d'aller rester chez leur grand-mère à Winnipeg la même nuit où Mme Woiden y serait. Sa sœur était prête à se précipiter et à venir en aide à Mme Woiden si quelque chose de fâcheux devait se produire.

[75] Le jour de la réunion, l'intimé et Mme Woiden se sont rendus à Winnipeg dans une voiture appartenant à la société. La réunion s'est déroulée dans les bureaux de Craig Broadcasting et a pris fin aux environs de 17 h 30. Ils se sont ensuite rendus dans un restaurant où ils ont dîné avec un membre de la famille Craig qui avait organisé la rencontre. Après avoir quitté le restaurant, ils sont remontés dans la voiture de la société, Mme Woiden étant au volant. L'intimé a commencé à demander à Mme Woiden si elle pensait qu'ils devraient ou non rester jusqu'au lendemain. Elle a trouvé cette question étrange puisqu'il lui avait dit que la réunion devait durer deux jours. Elle lui a seulement répondu que la décision lui appartenait. Comme elle conduisait le long du boulevard qui mène à la sortie de la ville, il lui a finalement dit qu'ils resteraient et lui a demandé de s'engager dans le terrain de stationnement d'un hôtel devant lequel ils passaient au même moment.

[76] Elle a attendu dans l'auto pendant qu'il s'est rendu à la réception. Il est revenu et lui a dit de trouver un emplacement pour stationner l'auto. En montant dans l'ascenseur de l'hôtel, l'intimé a affirmé qu'il voulait discuter certaines des questions relatives à la réunion avec les consultants. Par conséquent, elle l'a suivi dans sa chambre. C'était une suite : cuisine, salon et chambre à coucher fermée à côté. Elle a immédiatement sorti ses notes de la réunion et a commencé à les placer sur la table de la cuisine. Elle a témoigné qu'elle a commencé à parler des affaires de la journée, mais que l'intimé, qui avait enlevé sa veste et qui était assis dans le salon, semblait désintéressé. À un moment, il a dit que la chambre d'hôtel était bien. Il lui a ensuite dit, Tu peux dormir dans le lit et je dormirai sur le canapé. Elle soutient qu'elle a alors compris que, si elle ne quittait pas la chambre, elle se retrouverait dans la même situation que lors de l'incident du chalet. Elle n'a pas répondu à son commentaire mais le téléphone a sonné au même moment et il a répondu. D'après ce que Mme Woiden a compris, l'intimé parlait à son épouse. À un moment, son ton est devenu un peu furieux. Après avoir raccroché le récepteur, il s'est levé et a dit à Mme Woiden, Non, je pense que nous ne resterons pas ce soir. Elle n'a pas demandé pourquoi car elle était heureuse de pouvoir quitter la chambre d'hôtel.

[77] Ils sont descendus, et il s'est rendu à la réception. Ils sont montés dans l'auto et ils ont roulé directement jusqu'à Brandon. Mme Woiden a conduit l'intimé chez lui. Elle est rentrée sans incident chez elle et a téléphoné à sa sœur qui était encore à Winnipeg pour l'informer qu'elle était de retour.

[78] Mme Woiden est retournée au bureau le lendemain matin. Quoique l'intimé s'y trouvait, il ne lui a pas parlé de la réunion avec les consultants ni de l'incident à l'hôtel.

(iii) Départ de Mme Woiden de SkyCable

[79] À l'instar du départ des autres coplaignantes, celui de Mme Woiden a été, en définitive, provoqué par la réaction de l'intimé le 24 août 1998 à la lettre du personnel concernant Mme Houlihan. Mme Woiden avait signé la lettre et elle figurait parmi les personnes convoquées dans la salle de conférence par l'intimé. Elle a témoigné qu'après l'avoir entendu la traiter elle et les autres employés de maudits idiots à répétition, elle en a eu assez et s'est mise à pleurer. Après qu'il eut quitté la salle, elle est restée assise pendant quelques minutes parce qu'elle était perturbée et qu'elle tentait de se calmer. Elle est ensuite retournée à son bureau. Elle a terminé son travail et a quitté à la fin de son quart. Elle n'est jamais retournée travailler à SkyCable.

[80] Sur son chemin du retour, Mme Woiden s'est arrêtée à une clinique de consultation sans rendez-vous afin d'être examinée par un médecin. Elle a témoigné que, au cours des mois précédents, et plus particulièrement après l'incident du chalet, elle était souvent en larmes, tremblante et nerveuse. Il lui arrivait souvent de se lever le matin et de ne pas vouloir se rendre au travail par crainte de devoir traiter avec l'intimé. Elle a par conséquent décidé de consulter un médecin en pensant qu'il pourrait peut-être lui donner quelques conseils ou des médicaments pour la calmer. Après l'avoir examinée, le médecin lui a délivré un certificat de maladie valide jusqu'au 8 septembre 1998. Son médecin de famille a par la suite prolongé cette période jusqu'au 30 septembre 1998. Mme Woiden reconnaît que seule la présence continue de l'intimé l'empêchait de travailler à SkyCable. Elle aurait pu travailler au cours de cette période s'il n'avait pas été là.

[81] Mme Woiden soutient qu'elle avait espéré que les conseils du médecin ou autre facteur quelconque lui auraient permis de reprendre son travail à SkyCable. Cependant, au 25 septembre 1998, elle avait conclu qu'elle ne pourrait y retourner et, par conséquent, elle a remis sa démission à Craig Broadcasting, valide à compter du 30 septembre 1998, soit le jour même où ses prestations d'invalidité prenaient fin. Elle a présenté une demande de prestations d'assurance-emploi par la suite, mais elle n'a commencé à les toucher qu'au début de novembre 1998. Elle les a reçues jusqu'au 24 avril 1999, date à laquelle elle a obtenu un nouvel emploi.

[82] Le 2 février 2001, elle a démissionné de ce nouvel emploi afin de rejoindre son mari qui travaillait dans un village d'une région rurale du Manitoba, à bon nombre d'heures de route de Brandon. Elle touchait des prestations de maternité au moment de l'audience (11-14 février 2002).

E. Lisa Falk

[83] Mme Falk a travaillé pour SkyCable du 27 mars 1998 au 24 août 1998. Elle a présenté sa candidature à la suggestion de son amie, Kindra Woiden, qui a organisé une entrevue avec l'intimé. Elle était seule avec l'intimé pendant l'entrevue. Ce dernier ne lui a posé aucune question au sujet de ses compétences ou de son curriculum vitæ. Il a passé tout le temps à lui parler de la société et de son potentiel. Elle a témoigné qu'elle a eu l'impression d'avoir décroché instantanément le poste de représentante du service à la clientèle. L'intimé l'a informée que son salaire annuel débuterait à 17 900 $ mais qu'il augmenterait peu après à 22 000 $. Elle a commencé à travailler le lendemain.

[84] Au cours de sa première semaine de travail, elle a été témoin de la colère et des grossièretés de l'intimé. Pendant une réunion du personnel, il a agité une pile de documents devant chacun et a crié, Ce sont les maudits débranchements. Vous n'avez aucune idée de ce que vous faites. Il faisait état des nombreux clients qui avaient récemment cessé de faire affaire avec SkyCable. Après cette réunion, deux représentants du service à la clientèle étaient tellement perturbés qu'ils ont démissionné.

[85] Mme Falk a régulièrement entendu l'intimé parler des membres du personnel comme étant des idiotes, des putains et des salopes. À quelques occasions, il l'a spécifiquement appelée putain et idiote. Elle l'a également entendu faire des remarques à son sujet et au sujet d'autres femmes lorsqu'elles passaient, comme Oooh! et Mmm! Elle se rappelle qu'une journée, tandis qu'elle était penchée au-dessus d'un classeur, l'intimé a dit Oh, cette jupe paraît bien. Lorsqu'il est devenu connu au bureau qu'elle était enceinte, il lui a dit qu'au moins elle aurait maintenant des boules, que sa jupe paraissait bien et qu'elle avait un beau cul.

[86] L'intimé a formulé un commentaire sexuel plus direct à Mme Falk au moment d'un rodéo de la société qui a eu lieu en juin 1998. À un moment donné pendant l'événement, l'intimé s'est penché près de l'oreille de Mme Falk et lui a demandé, Lisa veux-tu coucher avec moi? Elle a répondu non et lui a signalé que son épouse se tenait tout près. Pendant tout le temps que Mme Falk était là, il s'est à maintes reprises penché vers elle et formulé la même demande. Elle a continué de refuser. Cependant, à un moment donné il a répété sa question mais a ajouté que Mme Falk devrait venir le voir dans son bureau le lendemain et qu'il lui donnerait une augmentation. Après ce commentaire, Mme Falk voulait seulement s'éloigner de sorte qu'elle a quitté le rodéo cinq minutes plus tard, bien avant la fin de l'activité.

[87] Le lendemain, elle s'est rendue au travail normalement. S'appuyant sur la promesse qui lui avait été faite pendant son entrevue d'emploi initial, elle estimait qu'elle avait déjà droit à une augmentation depuis au moins plusieurs mois. Elle a toutefois décidé de ne pas soulever la question maintenant avec l'intimé de crainte qu'il n'interprète sa démarche comme une acceptation de sa demande de coucher avec lui. Elle a témoigné que, pour cette raison, elle a reporté jusqu'en août 1998 sa demande d'augmentation.

[88] Mme Falk a également déclaré que l'intimé se livrait avec elle à des contacts physiques inopportuns. Un jour, deux installateurs de Winnipeg sont venus à Brandon rendre visite au personnel du bureau. Mme Falk s'est jointe à eux et à l'intimé pour le déjeuner. Lorsqu'il a présenté Mme Falk aux installateurs, il a placé son bras autour d'elle. Plus tard, il l'a serrée dans ses bras et a placé son visage près du sien. En outre, au cours des premiers mois de sa grossesse, et bien avant qu'il devienne physiquement apparent qu'elle portait un enfant, il arrivait souvent à l'intimé de l'aborder, de lui frotter l'abdomen et de lui demander comment elle allait.

[89] L'intimé ne s'est pas abstenu de formuler des commentaires au sujet des affaires personnelles de Mme Falk. En mai, après que l'intimé eut rencontré le petit ami de Mme Falk et appris qu'il était un culturiste, l'intimé parlait de lui constamment comme son ami stripteaseur. Il lui a dit une fois, pendant qu'ils se tenaient tous deux dans l'embrasure de la porte en train de fumer, Je pense que tu as besoin d'un homme riche pour s'occuper de toi. Ce commentaire était inattendu et sans aucun lien avec leur conversation. Quelque temps plus tard, lorsqu'il est devenu notoire au sein du bureau que la relation de Mme Falk avec son petit ami avait pris fin, il lui a dit, Tu devrais pas avoir de difficulté à trouver quelqu'un pour baiser.

[90] Mme Falk, à l'instar de ses deux coplaignantes, a décidé de partir après la réunion dans la salle de conférence convoquée par l'intimé le 24 août 1998. Elle estimait que la façon de l'intimé de traiter le personnel était humiliante. Après la réunion, elle est retournée à son pupitre. Tout au long de la journée, elle a senti que l'intimé la regardait avec dégoût. Elle s'est rendue dans la salle de toilette et a pleuré. Elle a témoigné qu'elle se sentait fatiguée d'être traitée comme une ordure et gênée de lui avoir permis de la traiter de la sorte. Par conséquent, elle a décidé de se rendre chez elle à la fin de son quart et de ne pas revenir.

[91] Le lendemain, elle s'est rendue dans une clinique médicale, se plaignant de stress et d'anxiété. Le médecin lui a délivré un certificat la déclarant inapte au travail jusqu'au 5 septembre 1998. Son médecin de famille a prolongé ensuite la période au 13 octobre 1998. Elle espérait que Craig Broadcasting congédierait ou muterait l'intimé. Toutefois, après plusieurs semaines, elle a constaté que l'intimé demeurerait là indéfiniment. Par conséquent, elle a remis sa démission le 25 septembre 1998, prenant effet le 30 septembre, même si elle avait droit à des prestations d'invalidité jusqu'au 13 octobre.

[92] Elle a commencé à toucher ses prestations d'assurance-emploi le 15 octobre 1998 qu'elle a remplacées à la fin de décembre par des prestations de maternité. Lorsqu'elle eut épuisé ses prestations de maternité, elle a tenté en vain de trouver un emploi à Brandon. Par conséquent, elle est déménagée à Vancouver en juin 1999. Elle y a trouvé un emploi, mais le coût de la vie était élevé. Par conséquent, quatre ou cinq mois plus tard, elle a déménagé à Edmonton où elle vit toujours. Elle travaille maintenant dans un restaurant. Depuis son départ de Brandon, elle n'a jamais touché un revenu équivalent au salaire qu'elle gagnait à SkyCable.

F. Autres employés de SkyCable

[93] En plus des quatre plaignantes, plusieurs autres anciens employés de SkyCable ont témoigné à l'audience. M. Darrell Grant a réitéré le témoignage des autres selon lequel l'intimé utilisait régulièrement un langage grossier à l'endroit du personnel. Il a également fait état de certaines des remarques à connotation sexuelle prononcées par l'intimé à l'endroit des employées. Par exemple, après qu'une femme eut été embauchée au bureau, l'intimé a dit à M. Grant, Je te gage qu'elle baise comme un vison.

[94] M. Grant a fait état de certains des gestes de l'intimé. Il marchait derrière les femmes les bras tendus en faisant un mouvement avec ses mains comme s'il serrait leurs fesses. À d'autres moments, il prétendait saisir ses organes génitaux. M. Grant se souvient qu'à au moins une occasion lorsque l'intimé marchait derrière une employée du bureau, il a partiellement défait la fermeture éclair de son pantalon comme s'il s'apprêtait à l'enlever.

[95] M. Grant a été embauché à SkyCable en janvier 1997 et licencié en octobre 1999. Il travaillait à l'entrepôt de la société à ce moment-là. Il a signalé, toutefois, que le bureau de SkyCable où travaillaient les plaignantes avait été fermé en août 1999 et que toutes les opérations qui y étaient exécutées avaient été transférées à un bureau de Winnipeg. M. Grant a également confirmé que SkyCable a congédié l'intimé en avril 1999.

[96] Barbara Wilson a travaillé pour SkyCable d'août 1996 à janvier 1997 à titre de représentante du service à la clientèle. Elle se souvient de l'utilisation constante de grossièretés par l'intimé et décrit son attitude comme étant dégradante. Il parlait souvent du personnel comme d'une bande de guidounes ou de maudites putains. Un des incidents qui l'a frappée est lorsque l'intimé lui a dit que Mme Yeary avait de gros seins et qu'il pensait que ceux-ci avaient grossi. Mme Wilson s'estime chanceuse d'avoir été congédiée de SkyCable aussi tôt après son embauche.

[97] Timothy Melnyck a travaillé au bureau de SkyCable de novembre 1996 à avril 1998. Il a témoigné qu'il a souvent entendu l'intimé formuler des commentaires de nature sexuelle au sujet des employées. À une occasion, l'intimé a pointé du doigt une employée et a dit à M. Melnyck, Je te gage qu'elle suce divinement. M. Melnyck était étonné que l'intimé ait parlé aussi fort. En ce qui a trait à Mme Woiden, l'intimé a dit une fois à M. Melnyck, Je la baiserais à l'instant si mon vieux cœur pouvait le supporter. M. Melnyck se rappelle également qu'il arrivait souvent à l'intimé de jeter à terre intentionnellement des papiers se trouvant sur le bureau de réception de Mme Curle. Lorsqu'elle se penchait pour ramasser les papiers, l'intimé essayait de regarder sous sa jupe.

[98] Bobbi Gerrard a travaillé au service de la comptabilité de janvier à juin 1998. Elle a témoigné au sujet de l'utilisation constante de langage grossier par l'intimé et s'est rappelée comment, à une occasion, lorsque l'autre employée s'était penchée, l'intimé s'était approché derrière elle et avait mis ses mains autour de sa taille. Il mentionnait souvent aux autres à quel point il trouvait cette employée belle et sexée.

G. Crédibilité de la preuve

[99] Les quatre plaignantes sont demeurées dans la salle d'audience tout au long de l'audition. Toutefois, en dépit de ce fait, j'estime tout de même crédible le témoignage des plaignantes et des autres témoins. Il importe de signaler qu'aucun des autres témoins n'était présent dans la salle avant d'être appelé à témoigner. Les plaignantes et les autres témoins ont témoigné de façon franche et cohérente. Le témoignage de chaque témoin a souvent été corroboré par le témoignage des autres témoins.

IV. LE DROIT

[100] Aux termes de l'article 7 de la Loi, constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects de défavoriser un employé en cours d'emploi. Le paragraphe 14(1) prévoit que le fait de harceler un individu constitue un acte discriminatoire s'il est fondé sur un motif de distinction illicite. Les motifs de discrimination incluent ceux qui sont fondés sur le sexe et la situation de famille (paragraphe 3(1)). De plus, le paragraphe 14(2) précise que le harcèlement sexuel est réputé constituer un harcèlement fondé sur un motif de distinction illicite.

A. Analyse de l'allégation de discrimination fondée sur le sexe

[101] Le harcèlement sexuel peut prendre de nombreuses formes. Il ne se produit pas uniquement dans des situations où une personne demande une faveur sexuelle à un employé en échange d'un certain avantage ou, inversement, sous la menace de conséquences négatives à l'égard de l'emploi si la requête est refusée (la forme de harcèlement dite quid pro quo). Comme l'a signalé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Janzen c. Platy Enterprises Inc., (2) cette forme constitue uniquement une manifestation du harcèlement sexuel.

[102] Le harcèlement sexuel englobe également les situations dans lesquelles les employés doivent subir du tripotage, des propositions et des commentaires sexuels inappropriés, même lorsqu'aucune récompense économique tangible n'est liée à la participation à un tel comportement. Ainsi, selon la Cour, le harcèlement sexuel est largement défini comme une conduite de nature sexuelle non sollicitée qui a un effet défavorable sur le milieu de travail ou qui a des conséquences préjudiciables en matière d'emploi pour les victimes de harcèlement. La Cour a ajouté que le harcèlement sexuel dans le milieu de travail menace la dignité et l'estime de soi de la victime à la fois à titre d'employé et de personne humaine (3). Il n'est pas nécessaire que le harcèlement soit la seule raison invoquée pour que la plainte soit maintenue, et il n'est pas nécessaire que le harcèlement soit intentionnel de la part de son auteur (4).

[103] Dans l'arrêt Canada (CDP) c. Canada (Forces armées canadiennes) et Franke (5), Madame la juge Tremblay-Lamer a donné des précisions sur les critères qui doivent être appliqués dans l'évaluation du harcèlement sexuel :

  1. Les actes qui font l'objet de la plainte doivent avoir été non sollicités. Le Tribunal doit par conséquent examiner la réaction d'une plaignante au moment de l'incident et évaluer si elle a expressément ou par son comportement montré que la conduite était non sollicitée. La Cour reconnaît qu'un refus verbal n'est pas exigé dans tous les cas, et l'omission à maintes reprises de répondre aux commentaires suggestifs signale à l'auteur du harcèlement que sa conduite était importune. La crainte de perdre son emploi, par exemple, peut inciter une employée à supporter un comportement importun. La norme appropriée qui doit servir à évaluer la conduite d'une plaignante est celle d'une personne raisonnable.
  2. Le comportement doit être de nature sexuelle. Cela comprend une vaste gamme de comportements. Les demandes de faveurs sexuelles et les propositions appartiennent à la catégorie des actes de nature sexuelle qui constituent une forme de harcèlement sexuel psychologique. Le harcèlement sexuel verbal comprend les insultes associés au sexe, les remarques sexistes, les commentaires au sujet de l'apparence d'une personne, de son habillement ou de ses habitudes sexuelles. Les formes de harcèlement sexuel physique comprennent le fait de pincer, d'empoigner, d'enlacer, d'embrasser et de jeter des regards concupiscents. Il a été décidé que les questions persistantes au sujet de la vie sexuelle personnelle d'une employée constitue du harcèlement sexuel (6). Le Tribunal devrait déterminer ce qui est de nature sexuelle en se demandant ce que ferait une personne raisonnable dans les circonstances de l'espèce, en conservant à l'esprit les normes sociales de l'époque.
  3. Habituellement, le harcèlement nécessite un élément de persistance ou de répétition, mais dans certaines circonstances, un seul incident peut être suffisamment grave pour créer un environnement hostile. La norme objective de la personne raisonnable sert à évaluer ce facteur également.
  4. Le dernier facteur est envisagé lorsqu'une plainte est déposée contre un employeur au sujet du comportement de l'un de ses employés. L'équité exige que, dans de tels cas, la victime du harcèlement, dans la mesure du possible, informe l'employeur du présumé comportement offensant. Ce facteur n'est guère pertinent en l'occurrence, compte tenu du règlement que les plaignantes ont conclu avec l'employeur avant que l'affaire soit renvoyée au présent Tribunal.

[104] Dans Stadnyk c. Canada (Comm. Emploi et Immigration) (7), la Cour d'appel fédérale a déclaré que dans les cas de harcèlement sexuel où la présumée victime est une femme, la norme de la personne raisonnable devrait être adaptée à celle d'une femme raisonnable. Cette adaptation reconnaît que l'interaction entre un homme et une femme peut être perçue différemment par les hommes et par les femmes. Toutefois, même lorsque j'applique la norme de la personne raisonnable, sans prendre en compte le sexe des plaignantes, je suis toujours d'avis que l'intimé a commis à l'encontre des plaignantes des actes discriminatoires fondés sur le sexe lorsqu'il les a harcelées. Sa conduite était de nature sexuelle, était non désirée par les plaignantes et était non seulement persistante et répétitive mais, à l'occasion, grave. Les événements donnant lieu à cette conclusion comprennent les suivants :

  1. Sa suggestion à Mme Falk qu'elle lui parle d'une augmentation de salaire, dans la foulée de ses demandes persistantes pour qu'elle couche avec lui, constitue un cas typique de harcèlement sexuel de forme quid pro quo. De fait, il se peut que cette proposition ait fait subir à Mme Falk une véritable perte économique. Elle a décidé de ne pas demander l'augmentation de salaire qu'elle méritait de crainte que cette demande soit considérée comme une acceptation implicite des propositions sexuelles de l'intimé.
  2. Le comportement de l'intimé à l'égard de Mme Woiden au cours des incidents du chalet et de Winnipeg permet également de conclure à l'existence d'un harcèlement sexuel. Ses actions au chalet étaient indubitablement de nature sexuelle. En ce qui a trait à leur visite à Winnipeg, même si l'intimé n'a pas physiquement touché Mme Woiden ni explicitement suggéré qu'elle se livre à des activités sexuelles, je trouve que son comportement, plus particulièrement dans le contexte de l'incident précédent du chalet, était certainement de nature sexuelle et inapproprié. Je n'ai aucun doute que les actions de l'intimé dans les deux cas n'étaient pas sollicitées par Mme Woiden. De fait, elle n'avait d'autre choix que d'accepter la décision de l'intimé de se rendre à son chalet au cours de ce qui devait être une activité liée aux affaires. Elle n'avait aucune raison d'éprouver des soupçons à l'égard de la conduite de l'intimé lorsqu'il l'a invitée à entrer dans le chalet pendant qu'il vérifiait les lieux. L'acceptation de son invitation à entrer dans le chalet ne peut raisonnablement être interprétée comme une indication que les propositions sexuelles subséquentes seraient bienvenues. De même, je ne considère pas que son ricanement ou le fait d'ignorer sa question avant le voyage à Winnipeg, à savoir s'il devrait réserver une seule chambre d'hôtel, était de quelque façon que ce soit indicatif de son acceptation de partager une chambre avec lui. Sa réaction était plutôt une réaction raisonnable à une autre des innombrables remarques offensantes de l'intimé. Elle aurait risqué de mettre son emploi en péril si elle avait répondu à son employeur de façon plus explicite.
  3. Mme Woiden et les autres plaignantes ont signalé d'autres incidents de contact physique comme les enlacements et les frictions d'épaules. Les plaignantes ont fait état de nombreux incidents de regards concupiscents, tant à leur endroit qu'à l'égard d'autres employées. On pourrait soutenir que le fait de toucher à l'occasion les épaules d'une employée n'est pas de nature sexuelle. Toutefois, dans le contexte du témoignage clair et crédible des plaignantes et des autres témoins (hommes et femmes) au sujet des tentatives fréquentes et délibérées de l'intimé de regarder sous les vêtements des femmes, de poser des gestes offensants et de commettre d'autres actes semblables, je conclus que toute personne raisonnable conclurait que même un attouchement fortuit des femmes était de nature sexuelle. Les plaignantes ont témoigné que lorsqu'il se livrait à ce comportement, leur réaction était soit de s'éloigner soit de le supporter jusqu'à ce qu'il cesse. Il n'y a aucune preuve selon laquelle aucune de ces femmes n'a jamais montré qu'elle appréciait ses actions. Toute personne raisonnable aurait réagi de la même façon, gardant à l'esprit que le comportement était le fait d'un cadre supérieur qui avait le pouvoir de les congédier.
  4. La forme la plus courante et la plus répétitive de harcèlement sexuel exercée par l'intimé était de nature verbale. Il a questionné toutes les plaignantes et formulé des commentaires au sujet de leur vie personnelle. Il a également fait des commentaires de nature sexuelle au sujet de l'apparence de ces femmes. Les plaignantes ont à la fois fait l'objet et ont été témoins des innombrables grossièretés verbales de l'intimé dont la plupart étaient de nature sexuelle. Même si l'utilisation de termes tel fucking ne renferme pas toujours une connotation sexuelle (8), le vocabulaire de l'intimé allait beaucoup plus loin. On ne peut dissocier la nature sexuelle de termes comme salope, putain et guidoune lorsqu'ils sont utilisés par un cadre supérieur de sexe masculin dans un bureau constitué presque entièrement de femmes. Les plaignantes ont réagi à ces remarques de nombreuses façons. Parfois elles les ignoraient et, lorsque c'était possible, elles s'éloignaient. À d'autres moments, les plaignantes haussaient les épaules et essayaient de rire ou de faire fi de ses commentaires. Dans certains cas, les réactions étaient plus expressives, comme la fois où Mme Curle a fermé avec fracas le classeur après que l'intimé eut tenté de regarder sous sa jupe. Je conclus que leur réaction ne constituait pas un signe d'acceptation de son comportement. Les réactions des plaignantes étaient entièrement raisonnables dans les circonstances. De telles réactions sont à prévoir dans un milieu où les remarques sont formulées par le gestionnaire de rang le plus élevé dans le milieu de travail. Il importe de signaler que la plupart des femmes qui travaillaient au bureau de SkyCable étaient jeunes (trois des plaignantes étaient dans la vingtaine à l'époque). L'intimé était au moins dans la quarantaine bien avancée. Dans ces circonstances, il est raisonnable pour une jeune femme de ne pas protester énergiquement contre les actions de son superviseur de sexe masculin beaucoup plus âgé. Si elle l'avait fait, elle aurait mis son emploi en péril, ce qui l'aurait privée de l'expérience de travail dont elle a besoin à ce stade de sa carrière (9). Je conclus en l'occurrence que les réactions des plaignantes n'étaient pas inappropriées et qu'elles n'ont pas signalé une acceptation des commentaires de l'intimé.

Les actions de l'intimé étaient clairement persistantes, répétitives et suffisamment graves pour créer un environnement de travail hostile pour toutes les plaignantes. Pour toutes les raisons susmentionnées, je conclus que l'intimé a harcelé sexuellement les plaignantes.

[105] Le harcèlement des plaignantes par l'intimé fondé sur un motif de distinction illicite constitue une violation de l'article 14 de la Loi. Les plaignantes ont allégué dans leurs plaintes modifiées que l'intimé avait également violé l'article 7. Compte tenu de mes conclusions concernant leurs plaintes de harcèlement sexuel, je ne vois pas la nécessité d'examiner cette allégation secondaire.

B. Analyse de l'allégation de discrimination fondée sur la situation de famille de Mme Yeary

[106] Mme Yeary allègue que l'intimé a commis à son encontre un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille lorsqu'il a exigé qu'elle modifie ses heures de travail d'une façon qui était incompatible avec ses obligations de mère de famille monoparentale de trois enfants.

[107] La Cour d'appel de l'Ontario, dans l'affaire Commission des droits de la personne de l'Ontario c. M. A (10), s'appuyant largement sur la définition du harcèlement énoncée dans Janzen, a déclaré que la discrimination fondée sur la situation de famille peut être définie comme les pratiques ou attitudes fondées sur une caractéristique liée à la famille qui ont pour effet de limiter les conditions d'emploi des employés ou les occasions d'emploi qui leur sont offertes.

[108] Eu égard à la preuve présentée par Mme Yeary et la Commission, il est manifeste que la pratique établie par l'intimé exigeant que Mme Yeary travaille des heures prolongées a limité sa capacité de travailler en raison des besoins fondamentaux liés à sa situation de famille particulière. On lui a indiqué clairement que si elle ne se conformait pas au nouvel horaire, elle serait congédiée. Normalement, après une telle conclusion, le Tribunal analyse l'explication de l'intimé relativement à l'imposition de la règle. Cette explication peut reposer sur l'exception établie à l'article 15 de la Loi selon laquelle la règle contestée découle d'exigences professionnelles justifiées et que la prise en compte des besoins de la plaignante imposerait à l'intimé une contrainte excessive.

[109] La décision de l'intimé dans cette affaire d'ignorer le processus devant le présent Tribunal et son défaut de présenter toute défense, m'empêche de procéder à cette phase de l'analyse. Certaines lettres signées par l'intimé semblent indiquer que la décision d'imposer à Mme Yeary un nouvel horaire était nécessaire pour satisfaire à des exigences opérationnelles légitimes de SkyCable. Toutefois, en l'absence de toute précision concernant ces soi-disant exigences, je dois rejeter cette explication possible.

[110] L'absence délibérée de l'intimé pose un problème supplémentaire pour ce dernier. S'il avait participé, il aurait probablement fait valoir qu'il avait établi cette règle et qu'il l'avait imposée à Mme Yeary uniquement en sa qualité d'employé, de gestionnaire ou de mandataire de SkyCable et que toute responsabilité en découlant incombait uniquement à SkyCable et non à lui personnellement. Comme cet argument ne m'a jamais été présenté, je ne l'aborderai autrement que pour souligner, en pesant bien mes mots, que cette question n'a pas été débattue de quelque façon que ce soit dans la présente affaire.

[111] Bien que j'ai décidé que l'allégation de discrimination fondée sur la situation de famille prévue à l'article 7 de Mme Yeary était bien fondée, je n'en suis pas venu à la même conclusion concernant son allégation de harcèlement basée sur le même motif. Les principes qui sous-tendent la définition du harcèlement sexuel établis dans Janzen peuvent également être appliqués à d'autres cas de harcèlement, y compris ceux qui sont fondés sur la race et l'origine nationale ou ethnique (11).

[112] Lorsque j'applique ces principes, je conclus qu'une personne raisonnable ne jugerait pas que la conduite de l'intimé à l'égard de Mme Yeary au sujet de ses heures de travail (consistant surtout en plusieurs lettres et au moins une rencontre) a été suffisamment persistante ou répétitive pour justifier une allégation de harcèlement. Je ne trouve pas non plus que les incidents ayant donné lieu à sa plainte sont suffisamment graves pour constituer du harcèlement. Autrement dit, le milieu de travail hostile et offensant créé par le harcèlement sexuel exercé par l'intimé ne peut être attribué, même en partie, à son comportement concernant les heures de travail de Mme Yeary. Par conséquent, je rejette son allégation de harcèlement fondé sur la situation de famille basée sur l'article 14 de la Loi.

V. REDRESSEMENT

[113] Ayant conclu que l'intimé est responsable à l'égard des plaignantes, il reste à déterminer les mesures de redressement, s'il en est, qu'il serait indiqué de prendre. La compétence du Tribunal en matière de redressement est régie par l'article 53 de la Loi qui prévoit l'imposition de mesures de redressement destinées à prévenir d'autres actes de discrimination ainsi qu'à indemniser individuellement les plaignants. L'indemnisation vise à dédommager la victime de l'acte discriminatoire, en tenant compte des principes de la limitation du préjudice, et de la prévisibilité raisonnable des dommages (12).

A. Salaires perdus

[114] Les quatre plaignantes ont allégué que le comportement discriminatoire de l'intimé ne leur a donné d'autre choix que d'abandonner leur emploi à SkyCable. Ayant décidé de quitter leur emploi plutôt que de subir le harcèlement sexuel, les plaignantes sont réputées avoir été congédiées pour des motifs de distinction illicite, ce qui constitue une forme de congédiement déguisé (13). Toutefois, les dommages-intérêts pour perte de salaire dans ces cas ne peuvent être attribués que lorsqu'un lien réel et causal a été établi entre le harcèlement sexuel et la perte de l'emploi (14).

[115] Aucune des plaignantes n'a quitté à l'occasion des incidents plus graves de harcèlement sexuel comme la conversation de Mme Falk avec l'intimé à l'occasion du rodéo de la société ou de l'incident du chalet avec Mme Woiden. Les deux femmes ont continué à travailler par la suite. Toutefois, les actes de harcèlement sexuel qui ont créé un milieu de travail hostile étaient interreliés avec l'ensemble de la gestion de style agressif et colérique de l'intimé. Même si les esclandres du 24 août 1998 (dans les cas de Mme Woiden, Mme Curle et Mme Falk) et de juin 1998, (dans le cas de Mme Yeary) n'étaient pas de nature sexuelle manifeste (mis à part ses propos vulgaires habituels), ces événements constituaient néanmoins la culmination de toute une série d'actes discriminatoires. Ces femmes ne pouvaient plus continuer à travailler avec l'intimé sans mettre en danger leur santé psychologique et même physique. Je suis convaincu que leur démission ou départ de SkyCable constitue un congédiement déguisé causé par le harcèlement sexuel de l'intimé. Dans le cas de Mme Yeary, cette situation a été aggravée par la discrimination fondée sur sa situation de famille exercée à son endroit.

[117] Je conclus par conséquent que les plaignantes ont droit à une indemnité pour leur perte de salaire. Toutefois, dans le calcul de cette perte, j'ai pris en compte le fait que SkyCable a fermé son bureau à Brandon en août 1999. Les plaignantes ne sont donc pas admissibles à aucune perte de salaire après cette date puisqu'il est certain qu'elles n'auraient pas conservé leur emploi au-delà de cette date. J'ordonne à l'intimé de verser aux plaignantes les montants suivants au titre de leurs pertes salariales :

  • Mme Yeary a touché une portion de son salaire après son départ sous la forme d'une prestation d'invalidité. La portion restante, jusqu'à sa démission le 10 août 1998, aurait totalisé 698,08 $. Elle a été embauchée à un salaire plus élevé immédiatement après. Sa perte salariale est par conséquent limitée à la somme de 698,08 $.
  • Mme Curle a touché une prestation d'invalidité jusqu'au 23 novembre 1998. La différence entre cette indemnité et son salaire normal à SkyCable s'élevait à 1 591,59 $. Elle n'a touché aucun revenu jusqu'au 4 janvier 1999 date de son embauche à un salaire plus élevé. Au cours de cette période, elle aurait touché un salaire de 2 140,60 $. Le témoignage de Mme Curle m'a convaincu qu'elle a consenti des efforts raisonnables pour trouver un autre emploi convenable et qu'elle a, par conséquent, limité sa perte. Sa perte salariale pour cette période s'élève par conséquent à 1 591,59 $ + 2 140,60 $ = 3 732,19 $.
  • La preuve de Mme Woiden, telle qu'elle a été présentée par la Commission, n'était pas claire en ce qui a trait au calcul de sa perte salariale. J'ai tenté de calculer la perte à partir des détails disponibles. L'écart entre les prestations d'invalidité qu'elle a touchées jusqu'au 30 septembre 1998 et son salaire normal était de 504,68 $. Entre le 1er octobre 1998 et le 24 avril 1999, date où elle a commencé un nouvel emploi, son revenu à SkyCable aurait été de 13 475,05 $. Toutefois, au cours de cette période, Mme Woiden aurait, semble-t-il, touché 7 691 $ en prestations d'assurance-emploi. L'article 45 de la Loi sur l'assurance-emploi (15) exige qu'un employé rembourse au Receveur général toutes les prestations d'assurance-emploi reçues lorsqu'il se voit accorder des dommages-intérêts accordés au regard de la même période que celle pour lesquelles les prestations ont été touchées (16). J'ai décidé d'accorder à Mme Woiden le plein montant de sa perte de salaire et de lui laisser le soin de rembourser le Receveur général après l'exécution fructueuse de cette décision. Je suis convaincu que Mme Woiden a consenti des efforts raisonnables pour trouver un autre emploi convenable et qu'elle a, par conséquent, limité sa perte. Eu égard à l'information limitée qui m'a été présentée, il semble que le revenu du nouvel emploi de Mme Woiden était supérieur à son salaire chez SkyCable. Elle a quitté ce nouvel emploi en février 2001, mais, quoi qu'il en soit, puisque le bureau de SkyCable à Brandon avait cessé ses opérations à ce moment-là, elle n'a droit à aucune autre indemnité pour perte salariale. En résumé, Mme Woiden a droit au montant suivant au titre de la perte salariale : 504, 68 $ + 13 475,05 $ = 13 979,73 $.
  • Mme Falk a touché des prestations d'invalidité jusqu'au 30 septembre 1998. L'écart entre ces prestations et son salaire régulier à SkyCable s'établissait à 499,68 $. Pendant la période de 13 semaines du 1er octobre 1998 au 28 décembre 1998, date à laquelle elle a commencé à toucher des prestations de maternité, Mme Falk aurait gagné 5 958,36 $. Au cours de cette période, elle a touché des prestations d'assurance-emploi de 2 050 $. Mme Falk devra rembourser ce montant au Receveur général si elle réussit à collecter le montant de son indemnité pour perte salariale, selon les mêmes modalités que celles dont il a été question précédemment dans le cas de Mme Woiden. Mme Falk a cessé de toucher des prestations de maternité en mai 1999 et, jusqu'en juin 1999, elle était sans emploi. On ne m'a pas fourni de dates exactes, de sorte que je supposerai que la période de chômage a duré quatre semaines, période au cours de laquelle elle aurait gagné 916,67 $ si elle était restée au service de SkyCable. À partir de juin 1999, son salaire afférent à son nouvel emploi à Vancouver était inférieur à celui qu'elle touchait à SkyCable, mais je n'ai aucune preuve directe concernant l'écart. Tenant pour acquis que tout son revenu d'emploi, tel qu'il figure sur sa déclaration de revenu de 1999, a été gagné dans son emploi à Vancouver, de juin à décembre 1999, elle semble avoir touché à toutes les deux semaines un salaire d'environ 360 $. L'écart entre ce montant et ce qu'elle aurait gagné à SkyCable est de 556,67 $ par période de deux semaines. De juin à la fin août 1999, moment de la fermeture du bureau de SkyCable à Brandon, il n'y a que six périodes et demie de deux semaines. L'écart salarial au cours de cette période est par conséquent de 3 618,36 $. En résumé, la perte salariale totale est de 499,68 $ + 5 958,36 $ + 3 618,36 $ = 10 076,40 $.

[117] L'intimé doit par conséquent payer à chacune des plaignantes les montants susmentionnés pour compenser leurs pertes salariales respectives. Je n'éprouve aucune difficulté à lui ordonner de payer ces montants même si SkyCable, et non lui, était légalement leur employeur. Les collègues de travail des plaignants dans des cas de harcèlement sexuel ont souvent été condamnés à rembourser les pertes salariales consécutives, quoiqu'il s'agisse habituellement d'une ordonnance solidaire délivrée contre le collègue de travail et l'employeur.

[118] L'alinéa 53(2)c) de la Loi prévoit que si un membre du Tribunal conclut qu'une plainte est fondée, il peut prononcer une ordonnance contre la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire et inclure dans l'ordonnance l'obligation pour cette personne d'indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction qu'il juge indiquée, des pertes de salaire et de dépenses entraînées par l'acte discriminatoire. Cette disposition ne précise pas que ce type de redressement peut être utilisé uniquement contre l'employeur. L'objet des dispositions de la Loi relatives à l'indemnité consiste à dédommager la victime de l'acte discriminatoire. Je ne vois pas pourquoi l'auteur de la pratique discriminatoire ne devrait pas être tenu d'indemniser une victime de la perte réelle subie en conséquence directe de cet acte lorsque le résultat serait, de fait, de dédommager la victime.

B. Majoration

[119] Les montants forfaitaires accordés aux plaignantes à l'égard de leur perte de salaire pourraient leur imposer une responsabilité fiscale accrue. Cela les pénaliserait injustement. Par conséquent, j'ordonne à l'intimé de payer à chacune des plaignantes un montant supplémentaire suffisant pour couvrir les obligations fiscales supplémentaires découlant de la réception d'un tel paiement.

C. Dépenses

[120] Les plaignantes ont engagé les dépenses suivantes en conséquence de la pratique discriminatoire de l'intimé à leur égard. Ces frais consistent soit en des honoraires exigés pour leur certificat médical ou pour les conseils juridiques qu'elles ont demandés après leur départ de SkyCable. L'intimé est ordonné à payer ces frais aux plaignantes :

  • Mme Woiden : Certificat médical 15,00 $

Honoraires d'avocat 344,66 $

Total 359,66 $

  • Mme Curle : Certificats médicaux 30,00 $

Honoraires d'avocat 416,86 $

Total 446,86 $

  • Mme Yeary : Honoraires d'avocat 342,75 $
  • Mme Falk : Certificats médicaux 35,00 $

Honoraires d'avocat 281,51 $

Total 316,51 $

D. Dommages-intérêts non pécuniaires

(i) Préjudice moral

[121] L'alinéa 53(2)e) de la Loi prévoit que le Tribunal peut ordonner à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire d'indemniser jusqu'à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

[122] L'évaluation du préjudice moral doit également prendre en compte un facteur particulier en l'occurrence. Les plaignantes ont également déposé des plaintes contre SkyCable, vraisemblablement en invoquant la responsabilité de l'employeur pour les actes de son employé, l'intimé, aux termes de l'article 65 de la Loi. Ces plaintes ont été réglées il y a quelque temps. SkyCable a convenu de payer un montant précis à chacune des plaignantes, mais a également précisé que le règlement était conclu sans préjudice et sans admission de responsabilité de sa part.

[123] Les montants payés aux plaignantes par SkyCable étaient, semble-t-il, destinés à compenser le préjudice moral. À ce titre, l'avocat de la Commission, avec le consentement des plaignantes, a fait valoir au Tribunal que ces montants devraient être défalqués de tout montant accordé au titre du préjudice moral dans la présente affaire. Pour veiller à ce que les montants des règlements demeurent confidentiels, chaque plaignante a inscrit le montant qu'elle a reçu de SkyCable et a transmis cette note au Tribunal dans des enveloppes distinctes cachetées.

[124] En ce qui a trait aux présentes plaintes des plaignantes contre l'intimé, je suis convaincu que le milieu de travail empoisonné, généré par son comportement, a eu des répercussions sur la santé psychologique et physique de ces dernières et leur a causé un préjudice moral important. Les médecins des plaignantes étaient tellement préoccupés de l'état de leurs patientes qu'ils leur ont ordonné de cesser de travailler. Ce fait est indicatif de la mesure dans laquelle le comportement de l'intimé avait des répercussions négatives sur leur vie. Les plaignantes ont témoigné que leurs symptômes, comme les maux de tête, l'insomnie et l'anxiété, se sont accumulés avec le temps et se sont aggravés juste avant leur départ. C'est cette aggravation de leur état qui a provoqué leur décision de partir.

[125] Leur souffrance n'a pas cessé avec leur départ. Mme Yeary et Mme Curle, qui demeurent encore à Brandon, ont parlé de la peur constante de rencontrer l'intimé. Elles ont toutes deux signalé l'avoir vu pendant qu'elles magasinaient ou mangeaient dans des restaurants locaux, et leur malaise était tel qu'elles ont dû partir. Mme Woiden se souvient d'une occasion où elle a dû refuser une tâche que lui avait assignée son employeur subséquent parce qu'il s'agissait de traiter avec une société exploitée par l'intimé. L'incapacité de Mme Falk de trouver un emploi à Brandon après son congédiement déguisé de SkyCable est à l'origine, à tout le moins en partie, de sa décision de déménager dans une autre ville pour trouver un emploi.

[126] Compte tenu de tous ces facteurs, y compris le niveau de compensation déjà reçu par les plaignantes de la part de SkyCable, j'ordonne à l'intimé de payer aux plaignantes les montants suivants au titre du préjudice moral :

  • Mme Woiden 8 000 $
  • Mme Curle 8 000 $
  • Mme Falk 8 000 $
  • Mme Yeary 6 000 $

(ii) Indemnité spéciale pour un acte délibéré ou inconsidéré

[127] Aux termes du paragraphe 53(3) de la Loi, le Tribunal peut ordonner à l'auteur d'un acte discriminatoire de verser à la victime une indemnité maximale de 20 000 $ s'il en vient à la conclusion que l'acte a été délibéré ou inconsidéré.

[128] Il ne fait aucun doute que le comportement de l'intimé peut être décrit comme étant délibéré en ce qui a trait aux droits des autres personnes. Il prodiguait, dans tout le bureau sans retenue ni égards, ses commentaires et ses gestes vulgaires et offensants. Bon nombre de témoins ont signalé qu'ils étaient étonnés de constater à quel point l'intimé se livrait ouvertement à ces actes. De plus, il ne fait aucun doute que ses propositions à Mme Falk et à Mme Woiden étaient inconsidérées de sa part. Lorsque Mme Yeary a demandé à l'intimé de tenir compte de ses besoins personnels au regard de sa famille, il a refusé de prendre en considération les droits de cette dernière. Il lui a dit de faire ce qu'elle devait faire pour respecter son horaire de travail sinon elle serait congédiée.

[129] Eu égard à ces circonstances, j'ordonne à l'intimé de payer à chacune des plaignantes la somme de 10 000 $ à titre d'indemnité spéciale pour ses actes de discrimination délibérés et inconsidérés, conformément au paragraphe 53(3) de la Loi.

(iii) L'ancienne version des dispositions de la Loi relatives à la réparation s'applique-t-elle en l'occurrence

[130] Avant les modifications à la Loi qui sont entrées en vigueur le 30 juin 1998 (17), les dommages-intérêts non pécuniaires étaient limités à 5 000 $ (paragraphe 53(3)). Dans l'affaire Nkwazi c. Canada (Services correctionnels) (No 3) (18), le Tribunal canadien des droits de la personne a conclu que lorsque l'acte discriminatoire survient avant le 30 juin 1998, les anciennes limites continuent de s'appliquer. En l'occurrence, même si le comportement discriminatoire de l'intimé a commencé avant cette date, il s'est poursuivi après.

[131] En ce qui a trait à Mme Yeary, bien qu'elle n'ait pas travaillé à SkyCable après le 26 juin 1998, elle n'a démissionné que le 10 août 1998. Elle aurait pu retourner au travail n'eut été de la présence continue de l'intimé dans le milieu de travail. À ce titre, elle a continué d'être directement affectée par la conduite discriminatoire de l'intimé, même si elle était en congé de maladie à l'extérieur du bureau, situation qui découlait du comportement de l'intimé.

[132] Je conclus par conséquent que le comportement discriminatoire de l'intimé à l'endroit de Mme Yeary et des autres plaignantes s'est prolongé après le 30 juin 1998 et que, par conséquent, les modifications à la Loi concernant les dommages-intérêts non pécuniaires s'appliquent.

E. Intérêts

[133] J'ordonne à l'intimé de payer aux plaignantes un intérêt simple sur tous les montants susmentionnés (pertes de salaire, dépenses, préjudice moral, indemnité spéciale). L'intérêt sera calculé au taux de cinq pour cent (5 %) par année à compter de la date originale du dépôt de chaque plainte jusqu'au paiement intégral des montants accordés.

F. Formation et counseling

[134] J'accepte les observations de la Commission et de certaines des plaignantes selon lesquelles l'intimé pourrait tirer profit d'une certaine formation et d'un counseling. J'ordonne par conséquent à l'intimé de participer à au moins un programme conçu dans le but de le sensibiliser aux questions de harcèlement dans le lieu de travail et de lui apprendre à gérer sa colère. La durée totale des programmes ne doit pas dépasser trois jours et ceux-ci doivent se dérouler à Brandon ou à tout autre endroit au Canada où l'intimé peut résider. Le ou les programmes seront choisis en consultation avec la Commission. L'intimé participera au programme, à ses propres frais, dans les six mois de la date de la présente décision. Si un programme n'est pas disponible au cours de cette période, il devra participer à un programme dans les délais fixés en consultation avec la Commission.

G. Lettre d'excuses

[135] Mme Woiden, Mme Yeary et Mme Curle ont demandé que l'intimé soit tenu de fournir à chacune d'elles une lettre d'excuses signée. Mme Falk a déclaré que la réception d'un tel document ne présentait aucun intérêt pour elle. Je trouve cette demande appropriée et, par conséquent, j'ordonne à l'intimé de préparer et de signer une lettre d'excuses distincte pour chacune des plaignantes à l'exclusion de Mme Falk. L'intimé devra transmettre les lettres à la Commission qui, de son côté, les fera parvenir aux plaignantes. L'intimé doit se conformer à cette ordonnance dans les quarante-cinq (45) jours de la date de la présente décision.

H. Perte de revenu découlant de la participation à l'audience

[136] Mme Yeary a demandé à être remboursée pour la perte de salaire encourue pendant qu'elle assistait à l'audience de sa plainte. L'indemnisation pour perte de salaire par un plaignant qui assiste à l'audience peut être accordée dans les circonstances exceptionnelles (19). Aucune preuve de telles circonstances exceptionnelles n'a été présentée dans le cas de Mme Yeary.

I. Réserve de compétence

[137] Je demeure saisi de la présente affaire dans l'éventualité où les parties seraient incapables de s'entendre sur l'évaluation quantitative ou sur la mise en œuvre des mesures de redressement accordées dans la présente décision.

« Originale signée par »

Athanasios D. Hadjis

OTTAWA (Ontario)

17 juin 2002

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER DU TRIBUNAL : T657/4501

INTITULÉ DE LA CAUSE : Kindra Woiden, Lisa Falk, Joan Yeary et Sharla Curle (anciennement Speight) c. Dan Lynn

LIEU DE L'AUDIENCE : Brandon (Manitoba)

11-14 février 2002

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : 17 juin 2002

ONT COMPARU :

Kindra Woiden, Lisa Falk, Joan Yeary et Sharla Curle Pour elles-mêmes

Giacomo Vigna Pour la Commission canadienne des droits de la personne

1. 1 Woiden et autres c. Lynn (Décision no 1) (23 janvier 2002), T657/4501, (T.C.D.P.).

2. 2 [1989] 1 R.C.S. 1252 à la page 1282.

3. 3 Ibid à la page 1284.

4. 4 Swan c. Canada (Forces armées) (1994), 25 C.H.R.R. D/312 au paragraphe 73 (T.C.D.P.).

5. 5 (1999), 34 C.H.R.R. D/140 aux paragraphes 29-50 (C.F. 1re inst.).

6. 6 Noffke c. McClaskin Hot House (1989), 11 C.H.R.R. D/407 (Commission d'enquête de l'Ontario).

7. 7 (2000), 38 C.H.R.R. D/290 au paragraphe 25 (C.A.F.)

8. 8 Marinaki c. Canada (Développement des ressources humaines), [2000] C.H.R.D. no 2 au paragraphe 200 (T.C.D.P.) (Q.L.).

9. 9 Bouvier c. Metro Express (1992), 17 C.H.R.R., D/313 au paragraphe 65 (T.C.D.P.), confirmé par [1993] A.C.F. no 218 (C.F. 1re inst.).

10. 10 [2000] O.J. no 4275 au paragraphe 54 (C.A. de l'Ontario) (Q.L.), permission d'appeler à la C.S.C. accordée.

11. 11 Marinaki, supra, note 7, aux paragraphes 187 et 188.

12. 12 Canada (Procureur général) c. Morgan (1991), 21 C.H.R.R. D/87 aux paragraphes 9 à 12 (C.A.F.).

13. 13 Miller c. Sam's Pizza House (1992), 23 C.H.R.R. D/433 au paragraphe 158 (Commission d'enquête de la Nouvelle-Écosse).

14. 14 Ibid au paragraphe 224.

15. 15 L.C. 1996, chapitre 23.

16. 16 Cette question a été élaborée en détail dans Bernard c. Waycobah Board of Education (1999), 36 C.H.R.R. D/51 (T.C.D.P.).

17. 17 Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, L.C. 1998, chapitre 9, article 29.

18. 18 (2001), 39 C.H.R.R. D/237 aux paragraphes 257-270 (T.C.D.P.).

19. 19 Goyette c. Syndicat des employé(es) de terminus de Voyageur Colonial, [2000] C.H.R.D. no 37 aux paragraphes 75-77 (T.C.D.P.); Canada (Procureur général) c. Lambie [1996] A.C.F. no 1695 aux paragraphes 40-42 (C.F. 1re inst.).

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