Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

MUKULU CIZUNGU

Le Plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

La Commission

- et -

DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA

L'Intimée

MOTIFS DE LA DÉCISION

D.T. 9/01

2001/07/31

MEMBRE INSTRUCTEUR : Me Roger Doyon, président

TABLE DES MATIÈRES

I. INTRODUCTION

II. LA PREUVE

III. ANALYSE

A. Obligation légale d'offrir un nouveau contrat à M. Mukulu Cizungu

B. Acte discriminatoire commis par DRHC à l'endroit de M. Mukulu Cizungu

IV. DÉCISION

V. CONCLUSION

I. INTRODUCTION

[ 1 ] Le plaignant, M. Mukulu Cizungu, est un citoyen canadien de race noire et originaire du Zaïre. Il a été embauché par le Ministère de développement des ressources humaines Canada (DRHC) à titre d'agent de prestation de service. Son emploi a débuté le 5 janvier 1998 pour se terminer le 10 juin 1998.

[ 2 ] Le plaignant allègue avoir été traité de façon discriminatoire par DRHC qui a refusé de continuer de l'employer en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique. Ainsi, DRHC a violé les dispositions de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

II. LA PREUVE

[ 3 ] Le témoignage de M. Michel Marchand a permis de connaître le fonctionnement d'un centre d'appels téléphoniques.

[ 4 ] DRHC opère des centres d'appels téléphoniques offrant aux citoyens les services d'information relatifs aux programmes de la Sécurité du revenu et de l'assurance-emploi.

[ 5 ] Un centre d'appel régional établi à Montréal (CARM), dessert la région du Québec avec deux (2) points de service : l'un est situé au 715, rue Peel à Montréal et offre les services d'information visant les deux (2) programmes, alors que l'autre, à Shawinigan, ne dispense les services d'information que pour le programme sur l'assurance-emploi.

[ 6 ] Le CARM dispose d'un personnel occupant le poste d'agents de prestations de service dont la tâche consiste à fournir par téléphone, aux citoyens, les informations requises sur les programmes de la Sécurité du revenu et de l'assurance-emploi. Les services d'information pour le programme de la Sécurité du revenu s'adressent généralement aux aînés bénéficiant ou désirant bénéficier de ce programme.

[ 7 ] Ces agents de prestations de service sont formés et spécialisés pour fournir les services d'information pour un seul de ces deux (2) programmes.

[ 8 ] Le CARM utilise une main-d'oeuvre de 186 employés dont 28 % à temps plein (37 ½ heures / semaine) avec contrat de travail à durée indéterminée, 39.8 % à temps partiel avec contrat de travail à durée indéterminée et 32.4 % à temps partiel avec contrat de travail à durée déterminée de plus ou moins trois (3) mois.

[ 9 ] Les contraintes de la tâche et les volumes d'appels très élevés lors des périodes de pointe les lundis et au cours de la période intensive expliquent la nécessité d'une forte concentration de main-d'oeuvre à temps partiel.

[ 10 ] La période dite < intensive > est celle au cours de laquelle les bénéficiaires de la pension de sécurité de la vieillesse peuvent devenir admissibles à un supplément de revenu ou voir ce supplément modifié dépendamment de leurs revenus annuels au cours de l'année précédente.

[ 11 ] La période intensive était de la mi-janvier à la mi-juin lors des événements entourant la plainte. Depuis l'année 2000, elle se situe de juillet à décembre.

[ 12 ] Au cours de la période intensive, des formulaires sont acheminés aux bénéficiaires de la pension de sécurité de la vieillesse pour être complétés afin de déterminer l'admissibilité au supplément de revenu. À titre d'exemple, en 1998, 400 000 exemplaires de ce formulaire ont été transmis aux bénéficiaires. Conséquemment, le CARM est inondé d'appels téléphoniques de bénéficiaires désirant obtenir les informations ou l'assistance pour remplir leurs formulaires.

[ 13 ] Le CARM s'est donné comme mission la satisfaction de la clientèle et il s'est fixé une norme de qualité des services à 95 %. Pour maintenir cette norme de qualité des services, le CARM doit augmenter de façon significative le nombre de ses agents de prestations de service au cours de la période intensive.

[ 14 ] On a donc prévu l'embauche d'une trentaine d'agents de prestations de service unilingues français pour la période intensive de 1998. En raison d'un manque d'espace au 715, rue Peel, les effectifs additionnels ont été localisés au 620, boul. René-Lévesque, pour la durée de cette période.

[ 15 ] Les agents de prestations de service sont embauchés à temps partiel (25 heures / semaine) par contrat de travail à durée déterminée et leur emploi prend normalement fin au terme de la période intensive.

[ 16 ] Toutefois, au printemps 1998, comme les budgets d'opération le permettaient et par souci du maintien de l'efficacité du service à la clientèle, il fut décidé d'offrir un nouveau contrat de travail à 13 employés localisés au 620, boul. René-Lévesque, et de les rapatrier au siège social du 715, rue Peel.

[ 17 ] Il s'agissait d'un contrat de travail à temps partiel (5 heures / semaine) et à durée déterminée pour la période du 11 juin 1998 au 4 septembre 1998. Dans les faits, le déménagement des opérations du 620, boul. René-Lévesque au 715, rue Peel a fait en sorte que le travail n'a débuté que le 25 juin 1998. De nouveaux contrats de même nature et aux mêmes conditions ont été offerts aux employés qui étaient encore au travail pour les périodes du 4 septembre 1998 au 8 janvier 1999. Puis, dans le cadre de la période intensive de 1999, le même processus qu'en 1998 a été mis en place. Les employés qui avaient terminé leur contrat de travail à raison de 5 heures / semaine pouvaient se prévaloir d'un contrat de travail à 25 heures / semaine.

[ 18 ] L'embauche du personnel dans un ministère s'effectue par le biais de la Commission de la fonction publique suivant les postes que ce ministère entend combler. La priorité est d'abord accordée aux fonctionnaires qui ont un statut prioritaire d'emploi. À défaut, la Commission de la fonction publique délègue au ministère concerné le pouvoir de créer un concours, d'établir un énoncé de qualité, d'afficher le concours, de fixer les délais, de recevoir les candidatures, de constituer un jury de sélection et de dresser une liste d'admissibilité. En dernière instance, la Commission de la fonction publique procède aux nominations et le candidat qui se croit lésé jouit d'un droit d'appel auprès de la Commission de la fonction publique.

[ 19 ] Avant que sa candidature soit soumise au ministère concerné, le candidat doit réussir un examen écrit émanant de la Commission de la fonction publique sauf si son dossier académique peut l'en dispenser comme ce fut le cas pour M. Cizungu.

[ 20 ] À l'automne 1997, DRHC a ouvert un concours pour l'embauche d'agents de prestations de service, unilingue français, poste du groupe C.R. de niveau 5.

[ 21 ] M. Cizungu a posé sa candidature (Pièce I-2) et, le 18 novembre 1997, il était convoqué pour une entrevue orale avec le jury de sélection composé de trois (3) membres. Mme Diane Vallée, directrice du service à la clientèle au CARM présidait ce jury de sélection. Elle était assistée de MM. Camille Basineau et Luc Béliveau.

[ 22 ] Cette entrevue visait à évaluer à partir d'une grille d'évaluation (Pièce I-7) les capacités du candidat, soit la communication orale, les éléments essentiels d'une information par le vocabulaire, l'écoute, la clarté, la précision ainsi que l'analyse et l'interprétation de l'information. De plus, le jury de sélection analysait les qualités personnelles, soit les relations interpersonnelles, le jugement et la fiabilité.

[ 23 ] Le jury de sélection a noté, comme l'a indiqué Mme Vallée, que M. Cizungu avait une bonne logique, un bon vocabulaire et démontrait un vif intérêt pour le poste qu'il convoitait. Par contre, il manquait de clarté et répétait fréquemment les mêmes idées. Globalement, le plaignant a obtenu la note de 194/300 et il s'est classé 18e sur une liste de 33 candidats retenus pour remplir le poste (Pièce C-4). Actuellement, six (6) de ces candidats sont encore à l'emploi de DRCH à temps partiel avec un contrat de travail à durée indéterminée.

[ 24 ] Le 8 décembre 1997, DRHC informait M. Cizungu qu'il s'était qualifié sur la liste d'admissibilité (Pièce C-3). Le 5 janvier 1998, il recevait une offre d'emploi à temps partiel à titre d'agent de prestations de service pour une période déterminée du 5 janvier 1998 au 31 mars 1998 inclusivement à raison de 25 heures / semaine, cinq (5) heures par jour, du lundi au vendredi inclusivement. Il a accepté cette offre d'emploi (Pièce C-5).

[ 25 ] Le plaignant a débuté une période de formation d'une durée initialement prévue d'un (1) mois mais qui a été écourtée d'une semaine en raison du verglas de janvier 1998. La formation s'est dispensée au 715, rue Peel et elle visait à initier les agents de prestations de service aux procédures et aux lois régissant la Sécurité du revenu. Les opérations ont été transférées ensuite au 620, boul. René-Lévesque et le personnel a débuté le travail le 26 janvier 1998.

[ 26 ] À cet endroit, l'équipe de travail se composait du directeur du service de prestations, M. Luc Lévesque, qui assumait la supervision des opérations et à l'occasion le support technique. Il était assisté d'une consultante, Mme Lise Blais, et, après le 31 mars 1998, Mme Hélène Leclerc, dont le rôle consistait à s'assurer de la qualité du service fourni à la clientèle par les agents de prestations de service, de vérifier la qualité de leur travail et de leur transmettre les nouvelles directives qui pouvaient être apportées ainsi que faire l'évaluation de leurs connaissances.

[ 27 ] Deux (2) agents experts, MM. Michel Robitaille et Jacques Cadieux, secondaient les agents de prestations de service dans l'exécution de leur travail. Enfin, 22 agents de prestations de service répondaient aux appels téléphoniques de la clientèle. Ils disposaient d'un bureau, d'un appareil téléphonique et d'un ordinateur. Leur travail consiste à conseiller les clients au sujet des programmes de prestations de sécurité du revenu. Ils doivent être en mesure de comprendre et interpréter les besoins des clients et expliquer, s'il y a lieu, les critères d'admissibilité aux prestations de sécurité du revenu, déterminer leur admissibilité en tenant compte de leur situation financière et préparer une estimation du montant des prestations (Pièce I-8). Enfin, ils doivent être en mesure d'entrer les données au système informatique et faire les corrections qui s'imposent au dossier des clients.

[ 28 ] Au cours de la période du 5 janvier 1998 au 31 mars 1998, M. Cizungu déclare qu'il n'a reçu aucune évaluation, ni blâme, ni reproche de la part de ses supérieurs sur la qualité de son travail. En février 1998, M. Lévesque lui a remis les relevés des statistiques d'appels indiquant le nombre d'appels qu'il recevait quotidiennement et leur durée ainsi que le temps où il était branché au téléphone. Il ignore si ses supérieurs ont procédé, au cours de son emploi, à l'écoute téléphonique.

[ 29 ] M. Cizungu affirme également n'avoir reçu ces statistiques d'appels qu'à une seule reprise. De leur côté, M. Lévesque, de même que Mme Antonietta DiMarco et Mme Christine Kozak, entendues à la demande de la Commission, affirment que ces statistiques d'appels étaient remises régulièrement aux agents de prestations de service. Ces derniers étaient également informés que l'écoute téléphonique était pratiquée.

[ 30 ] Le plaignant affirme, et M. Lévesque le reconnaît, que ces statistiques ne constituaient pas un facteur déterminant pour juger de sa performance. Elles servaient à démontrer à chaque agent de prestations de service l'efficacité de son travail ou permettre d'apporter les améliorations requises.

[ 31 ] Le 20 mars 1998, DRHC offrait à M. Cizungu un nouveau contrat de travail aux mêmes conditions que le précédent (Pièce C-5) à compter du 31 mars 1998 jusqu'au 10 juin 1998 et ce dernier l'a accepté (Pièce C-7).

[ 32 ] Au printemps de 1998, le plaignant a appris que de nouveaux contrats de travail à temps partiel (25 heures / mois) et à durée déterminée (11 juin 1998 au 4 septembre 1998) seraient offerts aux agents de prestations de service travaillant au 620, boul. René-Lévesque et qu'ils seraient transférés au CARM, 715, rue Peel.

[ 33 ] Il était intéressé à obtenir un nouveau contrat de travail, convaincu qu'il était capable de fournir un rendement adéquat, d'autant plus qu'il n'avait jamais reçu de remarques verbales ou écrites sur sa performance de travail.

[ 34 ] Toutefois, en contre-interrogatoire, le plaignant a admis que la consultante lui avait fait remarquer qu'il avait commis des erreurs qu'elle corrigeait (Volume 2, p. 215).

[ 35 ] M. Cizungu raconte que, le 25 mai 1998, M. Lévesque lui a demandé de quitter son travail et de le suivre dans une salle de réunion où il lui a dit qu'il avait deux (2) nouvelles à lui annoncer, soit une bonne et une mauvaise nouvelle. La bonne nouvelle était qu'il aurait à effectuer cinq (5) heures supplémentaires par semaine jusqu'à l'expiration de son contrat. La mauvaise nouvelle était qu'il avait pris la décision de ne pas lui offrir un nouveau contrat de travail pour la période du 11 juin 1998 au 4 septembre 1998 au motif qu'il avait un problème d'accent. Le plaignant dit avoir été très étonné parce que c'était la première fois qu'on lui parlait d'un problème d'accent. (Pièce C-1) Toutefois, dans sa plainte, M. Cizungu précise que M. Lévesque, lors de la rencontre du 25 mai 1998, ne lui a donné aucune raison pour expliquer sa décision.

[ 36 ] Le 27 mai 1998, le plaignant a rencontré M. Raymond Martineau, agent de liaison entre les bureaux du 715, rue Peel et ceux du 620, boul. René-Lévesque, et il lui a fait part de la décision prise à son endroit. M. Martineau lui a appris qu'il avait le droit de connaître les critères d'évaluation de son travail. Le 28 mai 1998, M. Lévesque a remis à chaque employé les critères d'évaluation (Pièce C-9).

[ 37 ] Lors de la réunion hebdomadaire du personnel, le 29 mai 1998, M. Cizungu a demandé à M. Lévesque de dévoiler les noms des personnes retenues sur la liste d'admissibilité pour un nouveau contrat. Il a donné seulement les noms des trois (3) personnes qui n'avaient pas été retenues, soit M. Solon Kennedy, d'origine haïtienne, M. Ali Gaham, d'origine algérienne et le plaignant. Toutefois, Mme Karine Tius a obtenu un nouveau contrat et elle est d'origine haïtienne.

[ 38 ] M. Cizungu a continué son travail jusqu'à la fin de son contrat en juin 1998.

[ 39 ] M. Lévesque a été appelé à donner sa version des faits. Vers la mi-mai 1998, il a été informé qu'il devait dresser une liste d'admissibilité de 13 agents de prestations de services qui seraient transférés au CARM. Il a décidé de procéder à une évaluation des 16 agents de prestation de services qu'il supervisait et qui étaient encore en poste car certains avaient déjà quitté pour un autre emploi.

[ 40 ] M. Lévesque explique ainsi sa décision (Volume 3, pages 474-475) :

< Alors, à ce moment-là, c'est sûr que c'était devenu plus important de faire des évaluations de chacun des candidats pour voir s'ils étaient suffisamment autonomes pour aller travailler avec le groupe du 715, Peel où le support est incomparable disons puisqu'il y a un consultant ou deux, en tout cas deux consultants peut-être à l'époque pour peut-être 80 employés. Alors, c'est complètement différent comme contexte, il fallait vraiment que les employés soient capables d'être autonomes à ce niveau-là. Donc, ça devenait important de faire une évaluation pour être sûr qu'on envoie les bons agents ou qu'on offre les contrats aux agents qui sont les plus susceptibles de fonctionner.

Q. Au 715, c'était des employés plus expérimentés ?

R. Oui. Au 715, c'est des employés de longue date qui maîtrisent la loi et les procédures. C'est sûr qu'il y a quand même un support au niveau technique, au niveau légal qui est fait par le consultant, mais c'est qu'avec les années, les questions deviennent beaucoup plus complexes. Quand on va faire des... on a des requêtes plus spécifiques de nos clients comme, par exemple, ça pourrait être une demande internationale, par exemple, où ça prend peut-être plus de connaissances ou plus d'expérience pour interpréter ou vérifier l'admissibilité d'un client, mais à ce moment-là on va se référer au consultant en lui téléphonant et lui va nous donner du support, sauf que ce consultant-là, lui, il fait la vérification de tout le bureau.

Alors, si on compare en pourcentage, ça fait deux consultants pour à peu près 80 employés au 715 alors qu'au 620, il y avait trois pour 22 employés. Alors, c'est sûr qu'aussitôt que quelqu'un se levait la main, il y avait un agent, un coach qui allait le voir pour l'aider. Alors que ça, ce n'est pas réaliste de penser pouvoir faire ça au 620 (sic) parce que de toute façon, les agents sont déjà plus connaissants et connaissent le travail, c'est juste lorsque c'est plus compliqué disons que ça peut arriver qu'il y a des interventions auprès du consultant. >

[ 41 ] Il a demandé à la consultante, Mme Hélène Leclerc, et aux deux (2) agents experts, MM. Robitaille et Cadieux, de procéder à une évaluation du personnel. Ils ont procédé à cette évaluation à partir des critères suivants : maîtrise des lois et procédures, capacité à régler les problèmes, autonomie et ponctualité, rendement et respect du client.

[ 42 ] Mme Leclerc est arrivée le 1er avril 1998 au 620, boul. René-Lévesque à titre de consultante. Elle vérifiait le travail des agents de prestations de service. Chacun d'eux était identifié à l'ordinateur par un code qui permettait d'examiner leur travail journalier. Cette vérification se réalisait également par l'aide ponctuelle qu'elle accordait à ceux qui lui en faisaient la demande et par l'écoute téléphonique de leurs appels.

[ 43 ] Au cours de la 2e semaine de mai 1998, elle a fait l'écoute téléphonique des appels que recevait le plaignant à raison de 2 à 3 fois par jour, pendant 4 à 5 jours. Elle s'est aperçue que la durée des appels reçus par M. Cizungu était beaucoup trop longue par rapport à celle des autres agents de prestations de service.

[ 44 ] Elle a également constaté que : (Volume 4, page 586)

< Les gens lui faisaient souvent répéter les informations qu'il donnait. Le problème c'est qu'il les refaisait toujours dans les mêmes mots ; il ne modifiait pas sa façon de formuler sa réponse. Alors, les gens le faisaient répéter souvent. >

[ 45 ] Vers la mi-mai 1998, à la demande de M. Lévesque, elle a préparé un résumé de l'évaluation écrite du travail de l'ensemble des agents de prestations de service (Pièce C-9). Dans cette évaluation, elle estime que le plaignant a une bonne connaissance de la loi et des procédures, qu'il est autonome. Toutefois, il éprouve une < difficulté marquée de communication écrite. >

[ 46 ] En contre-interrogatoire, elle précise que M. Cizungu avait de la difficulté avec la tournure de ses phrases et qu'il répétait les mots, ce qui créait cette difficulté de communication.

[ 47 ] M. Cadieux était agent expert pour les agents de prestations de service au 620, boul. René-Lévesque. À la demande de M. Lévesque, il a procédé à une évaluation du personnel à partir de l'aide ponctuelle qu'il avait apportée au cours de l'exécution du travail. Dans le cas de M. Cizungu, il n'a constaté aucune lacune au point de vue des connaissances de la loi et des procédures. Lors de ses interventions auprès du plaignant, il s'est rendu compte que ses durées d'appels étaient beaucoup trop longues parce qu'il répétait l'information qu'il donnait au client, toujours les mêmes mots et les mêmes phrases. Il avait recommandé à M. Cizungu d'employer des termes ou une tournure de phrases différents lorsqu'il répétait l'information pour une seconde ou une troisième fois. Malgré cette suggestion, M. Cadieux n'a constaté aucune amélioration. Lors de l'évaluation du rendement du plaignant, c'est la principale lacune qu'il a exposée. Il a précisé également qu'il n'avait jamais eu de difficultés à comprendre le langage de M. Cizungu.

[ 48 ] De son côté, M. Lévesque a analysé la performance du personnel à partir de données statistiques. Par l'entremise de la compagnie Centrex, il recevait chaque matin, par fax, les don-nées statistiques de la journée précédente. Ces données illustraient pour chaque agent de prestations de service le nombre d'appels reçus, la durée moyenne par appel et le temps branché.

[ 49 ] Avec un logiciel Excel, il a créé un fichier informatique lui permettant d'obtenir des graphiques démontrant la performance individuelle de chaque agent de prestations de service et celle de l'ensemble du personnel.

[ 50 ] Les graphiques, dans le cas de M. Cizungu, démontraient que la durée des appels était de beaucoup trop longue par rapport à la moyenne du groupe et que la quantité d'appels traités était inférieure à la moyenne du groupe (Pièce I-10). Cette lacune avait été constante pendant toute la durée d'emploi de M. Cizungu.

[ 51 ] M. Lévesque, Mme Leclerc et M. Cadieux se sont rencontrés pour échanger leurs observations et émettre leurs opinions. Par décision unanime, ils ont dressé la liste d'admissibilité pour les 13 postes d'agents de prestations de service à combler et M. Cizungu s'est classé au 14e rang. Conséquemment, aucun nouveau contrat ne lui a été offert.

[ 52 ] Mme Claire Gélinas-Chebat, qui a été entendue comme témoin expert, est professeur au département de linguistique et de didactique des langues à l'Université du Québec à Montréal.Elle a une formation en orthophonie-audiologie et elle possède un doctorat en phonétique. Les parties ont reconnu la qualité de témoin expert de Mme Chebat en orthophonie et audiologie de même qu'en phonétique.

[ 53 ] À la demande de DRHC et suivant les informations qui lui ont été transmises, elle a préparé une expertise (Pièce I-12) visant à déterminer les causes du rendement de M. Cizungu jugé insuffisant par son employeur.

[ 54 ] Madame Chebat a été informée que (Pièce I-12, page 2) :

< La fonction consistait à informer et à servir le public, essentiellement des personnes âgées, pour évaluer l'admissibilité au programme de la sécurité du revenu ou le paiement à des prestations versées par les divers programmes de la sécurité du revenu. Les statistiques de l'employeur, quant aux courbes de rendement, démontrent que les variables du < temps branché >, du < nombre d'appels > et de < la durée moyenne par appel > sont inférieures aux moyennes du groupe et de façon constante et importante. >

[ 55 ] À l'aide de ces informations et de ses connaissances et par l'analyse des facteurs de réussite et d'échec dans un processus de communication, sans toutefois avoir rencontré le plaignant, elle tire la conclusion suivante (Pièce I-12, page 11) :

< Les personnes âgées ont généralement plus de mal à entendre et plus de mal à comprendre mais M. Cizungu aurait dû trouver le moyen de faire passer son message. Nous avons un doute raisonnable que M. Cizungu n'est pas arrivé à se faire comprendre facilement dans le contexte de son emploi. >

III. ANALYSE

[ 56 ] Deux (2) questions découlent de l'ensemble de la preuve. Est-ce que le DRHC avait une quelconque obligation légale d'offrir un nouveau contrat de travail à M. Cizungu à l'expiration de son contrat de travail le 10 juin 1998 ? Est-ce que le DRHC a commis un acte discriminatoire à l'endroit de M. Cizungu, acte discriminatoire fondé sur sa race, sa couleur, son origine nationale ou ethnique en refusant de lui offrir un nouveau contrat de travail ?

A. Obligation légale d'offrir un nouveau contrat à M. Mukulu Cizungu.

[ 57 ] La loi concernant l'emploi dans la fonction publique du Canada (S.R., chapitre P-33) définit le terme < fonctionnaire > comme suit (article 2 (1)) :

< Personne employée dans la fonction publique et dont la nomination à celle-ci relève exclusivement de la Commission. >

[ 58 ] L'article 25 de cette loi stipule que < le fonctionnaire nommé pour une période déterminée perd sa qualité de fonctionnaire à l'expiration de cette période. >

[ 59 ] A la fin de sa période d'emploi, soit le 10 mars 1998, M. Cizungu perdait sa qualité de fonctionnaire et DRHC n'avait plus d'obligation à son endroit.

[ 60 ] Toutefois, en vertu des dispositions de l'article 23 de cette loi, si l'employeur justifie de besoins additionnels pour un certain temps et qu'il dispose des ressources financières requises il peut, après évaluation au mérite, consentir un nouveau contrat pour une période déterminée ou procéder par concours.

[ 61 ] À la fin du contrat à durée déterminée de M. Cizungu, soit le 31 mars 1998, DRHC avait des besoins additionnels de personnel et les ressources financières requises. Il a opté pour le mécanisme de l'évaluation au mérite et offert à M. Cizungu un nouveau contrat de travail à durée déterminée, soit du 31 mars 1998 au 10 juin 1998.

[ 62 ] A la fin de cette seconde période d'emploi, M. Cizungu perdait à nouveau sa qualité de fonctionnaire et DRHC n'avait aucune obligation de continuer à l'employer car la relation contractuelle avait cessé d'exister.

[ 63 ] Par contre, des besoins additionnels étaient toujours existants ainsi que les ressources financières nécessaires. Cependant, la nature des besoins était modifiée. Des agents de prestations de service étaient requis pour la période du 11 juin 1998 au 4 septembre 1998 à raison de 5 heures / semaine au lieu de 25 heures / semaine comme c'était alors le cas pour le plaignant.

[ 64 ] Par ailleurs, la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (S.R. chapitre P-35) définit le terme fonctionnaire (article 2 (1)) :

< Personne employée dans la fonction publique, même si elle a cessé d'y travailler par suite d'une grève ou par suite d'un licenciement contraire à la présente loi ou à une autre loi fédérale, mais à l'exclusion des personnes :

  1. ...
  2. ...
  3. ...
  4. ... qui ne sont pas ordinairement astreintes à travailler plus du tiers du temps normalement exigé des personnes exécutant des tâches semblables. >

[ 65 ] Les besoins additionnels d'agents de prestations de service étaient de 5 heures / semaine, soit moins du tiers du nombre d'heures (25 heures) de travail alors effectué par les agents de prestations de service alors en poste.

[ 67 ] Par conséquent, DRHC n'avait pas l'obligation légale de maintenir l'emploi du plaignant, ce qui tranche la première question.

B. Acte discriminatoire commis par DRHC à l'endroit de M. Mukulu Cizungu

[ 68 ] En mai 1998, DRHC a identifié un besoin d'embaucher 13 agents de prestations de service à temps partiel (5 heures / semaine) pour une période déterminée, soit du 10 juin 1998 au 4 septembre 1998. Il a été décidé d'établir une liste d'admissibilité parmi les agents de prestations de service travaillant au 620, boul. René-Lévesque. Pour ce faire, on a procédé par une évaluation au mérite basée sur l'efficience et l'efficacité du travail.

[ 68 ] Au moment où l'employeur opte pour le processus d'évaluation au mérite, il a l'obligation de le faire en toute équité et justice et surtout sans discrimination. M. Cizungu estime, que lors de l'évaluation de son rendement, il a été victime de discrimination et il lui incombe d'en faire la preuve, ce qui n'est pas une tâche facile.

[ 69 ] Dans l'affaire Basi (9, CHRR, D 5029) aux paragraphes 38481 et 38482, on peut lire :

38481 - < Pour faire cette démonstration [la discrimination 41], le plaignant doit établir, à l'aide de preuves directes que la discrimination est ce qui a motivé la décision de l'employeur, ce qui n'est pas une mince tâche. La discrimination n'est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare, en effet, qu'on puisse prouver par des preuves directes qu'un acte discriminatoire a été commis intentionnellement. >

38482 - < La discrimination fondée sur la race ou la couleur se pratique souvent de manière subtile. Rares sont les cas de discrimination pratiquée ouvertement. Dans les cas où il n'existe pas de preuves directes, il revient alors à la Commission de conclure à la discrimination à partir de la conduite présumée discriminatoire de la ou des personnes en cause. Ce n'est pas toujours une tâche facile. Il faut analyser soigneusement la conduite présumée discriminatoire dans le contexte dans lequel elle a pris naissance. > (Kennedy c. Mohawk College (1973) (Ont. Bd, inq. ) (Borons) [non publié].

[ 70 ] Dans sa plainte déposée auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (Commission) (Pièce C-1), le 18 février 1998, soit près de huit (8) mois après la fin de son emploi, M. Cizungu précise que Luc Lévesque ne lui a donné aucune raison pour expliquer son refus de lui offrir un nouveau contrat pour la période du 10 juin 1998 au 4 septembre 1998.

[ 71 ] À l'audition, plus de trois (3) ans après la terminaison de son emploi, M. Cizungu affirme que le motif invoqué par M. Lévesque était son accent africain. De son côté, M. Lévesque ne se souvient pas d'avoir invoqué cette lacune et soutient plutôt que le plaignant éprouvait des difficultés de communication orale.

[ 72 ] J'ai eu l'occasion d'entendre le plaignant pendant les quelques heures qu'a duré son témoignage et je n'ai éprouvé aucune difficulté de compréhension. Sa diction était très acceptable et son léger accent ne n'empêchait nullement de comprendre aisément son langage. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il m'est apparu pertinent de savoir s'il avait suivi des cours de diction après la perte de son emploi. M. Cizungu a répondu par la négative.

[ 73 ] De plus, tant Mme Leclerc que M. Robitaille ont maintenu que le problème de communication du plaignant avec la clientèle ne résultait pas de son accent.

[ 74 ] J'en conclus donc que l'accent du plaignant n'a pas joué un rôle déterminant dans l'évaluation de son rendement par ses supérieurs.

[ 75 ] La preuve a révélé que les critères d'évaluation adoptés par l'employeur ont été les mêmes pour tout le personnel (Pièce I-9).

[ 76] Le procureur de la Commission soutient que, dans l'évaluation du rendement de M. Cizungu, l'employeur a accordé une trop grande importance aux statistiques d'appels démontrant le nombre d'appels traités, la durée moyenne des appels et le temps branché. Selon lui, ces statistiques n'ont aucune valeur scientifique et constituent une contradiction avec l'objectif premier du CARM, soit le souci constant de la satisfaction de la clientèle.

[ 77 ] Je ne partage pas cette opinion. Premièrement, ces statistiques avaient été élaborées pour tous les agents de prestations de service. Bien que M. Cizungu prétende qu'il ait été peu souvent mis en courant de ces statistiques, la prépondérance de la preuve, tant par le témoignage de M. Lévesque que celui de Mme DiMarco et de Mme Kozak, assignées par la Commission, révèlent que ces statistiques étaient remises régulièrement au personnel.

[ 78 ] Deuxièmement, la preuve a démontré, sans équivoque, que l'évaluation du rendement de M. Cizungu n'a pas reposé uniquement sur ces statistiques d'appels. La consultante, Mme Leclerc, a fait de l'écoute téléphonique pour tout le personnel, y compris le plaignant. Cette écoute téléphonique lui a permis de constater que M. Cizungu répétait fréquemment les informations qu'il fournissait parce que la clientèle ne le comprenait pas. Au lieu de répéter les informations en modifiant soit les mots, soit la tournure de phrases pour faciliter la compréhension, il répétait le même discours sans y apporter de changement.

[ 79 ] Cette façon de faire créait une difficulté de communication qui a été aussi constatée par l'agent expert M. Robitaille.

[ 80 ] Mme Leclerc a demandé d'étudier les statistiques d'appels pour confirmer le bien-fondé de ce que lui avait révélé l'écoute téléphonique. D'ailleurs, dans le résumé écrit de son évaluation du rendement du plaignant, elle indique une difficulté marquée de communication orale.

[ 81 ] Troisièmement, je ne crois pas que les statistiques soient une entrave à la volonté de bien satisfaire la clientèle. Elles fournissent des éléments permettant d'analyser le rendement de chaque agent de prestations de service par rapport à l'ensemble du groupe, en découvrir les lacunes et y apporter les remèdes appropriés. À titre d'exemple, si un agent de prestations de service ne maîtrise pas la loi et les procédures, les statistiques seront peu utiles pour permettre de le déceler. Par contre, l'écoute téléphonique et les échanges avec l'agent expert ou la consultante permettront de le constater.

[ 82 ] La preuve soumise ne m'a pas permis de constater que DRHC a posé un acte discriminatoire fondé sur l'origine nationale ou ethnique de M. Cizungu en refusant de le garder à son emploi.

[ 83 ] Il est vrai que seuls le plaignant d'origine zaïroise, M. Solon Kennedy d'origine haïtienne et M. Ali Gaham d'origine algérienne n'ont pas été gardés à l'emploi. Cependant, Karine Tius, d'origine haïtienne, s'est vue offrir un nouveau contrat par DRHC.

[ 84 ] La preuve a aussi démontré que DRHC utilise un personnel de différentes nationalités et représentant des minorités visibles. Au CARM, la représentativité des employés est de 7.6 % par des minorités visibles (Pièce I-3).

IV. DÉCISION

[ 85 ] En me basant sur les éléments de preuve requis tels que déterminés dans l'affaire Basi pour conclure à la discrimination, j'arrive à la conclusion que la preuve n'a pas démontré que DRHC a posé un acte discriminatoire fondé sur la race, la couleur, l'origine nationale ou ethnique de M. Cizungu en refusant de continuer de l'employer.

[ 86 ] À mon avis, l'évaluation du rendement de M. Cizungu par DRHC n'a pas été faite de façon discriminatoire à son endroit. De plus, la difficulté de communication orale de M. Cizungu avec la clientèle constituait un motif justifié pour DRHC de ne plus lui fournir un emploi.

V. CONCLUSION

[ 87 ] En conséquence, la plainte est rejetée.

Me Roger Doyon, président

Le 31 juillet 2001

OTTAWA (Ontario)

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DU TRIBUNAL : T635/2301

INTITULÉ DE LA CAUSE : Mukulu Cizungu c. Commission canadienne des droits de la personne Développement des ressources humaines Canada

DÉCISION DU TRIBUNAL EN DATE DU : Le 31 juillet 2001

LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)

Les 18, 19, 20, 21 et 22 juin 2001.

COMPARUTIONS :

Me Grégoire M. Bijimine Pour le plaignant

Me Giacomo Vigna Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Me Carole Bureau et Me Suzon Létourneau Pour Développement des ressources humaines Canada

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