Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

SHIV CHOPRA

le plaignant

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

MINISTÈRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

l'intimé

MOTIFS DE DÉCISION

D.T. 10/01

2001/08/13

MEMBRE : Athanasios D. Hadjis

TRADUCTION

TABLE DES MATIÈRES

I. L'HISTORIQUE PROCÉDURAL DE L'AFFAIRE

II. LES DÉCISIONS PRÉLIMINAIRES OU INTÉRIMAIRES

A. Requête de l'intimé visant à surseoir à l'instance en attendant le règlement de son appel

B. Étendue de la preuve

C. Requête en irrecevabilité - Décision de ne pas présenter une preuve

D. Contre-preuve

III. LES CONCLUSIONS DE FAIT OU DE DROIT DU TRIBUNAL SOBERMAN

IV. LES FAITS

A. Expérience professionnelle du Dr Chopra : de 1957 à 1969

B. Structure administrative et méthodes de dotation en personnel de la Direction générale de la protection de la santé

C. Antécédents professionnels du Dr Chopra à Santé Canada

i) Bureau des médicaments humains prescrits, de 1969 à 1987

ii) Évaluations écrites annuelles, de 1979 à 1987

iii) Facteurs précédant la mutation du Dr Chopra au Bureau des médicaments vétérinaires

iv) Bureau des médicaments vétérinaires, de 1987 à avril 1990

v) Occasions pour le Dr Chopra d'être promu à des fonctions de gestion avant 1990

vi) Les événements survenus de 1990 à 1992

E. Autres événements -- Discrimination présumée contre le plaignant

i) Évaluations de rendement de 1991 et 1992

ii) Décembre 1993 - Concours pour doter le poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires

iii) Incident mettant en cause un délégué syndical

iv) Plainte du Dr Drennan à l'encontre du Dr Chopra

V. LA PREUVE STATISTIQUE ET LES AUTRES PREUVES D'EXPERT

A. Témoignage de Mme Boukamp-Bosch

i) Représentation des minorités visibles au sein de la population EX à Santé Canada (analyse statique)

ii) Représentation des employés issus des minorités visibles par rapport au recrutement de EX (analyse du flux)

iii) Antécédents professionnels des EX

F. Témoignage de Mme Weiner

VI. LE DROIT

VII. L'ANALYSE DE LA PREUVE STATISTIQUE DE DISCRIMINATION SYSTÉMIQUE 89

A. Conclusions relatives à la preuve présentée par Mme Boukamp-Bosch 90

i) Répartition des données entre la catégorie SP et la catégorie ASE 90

ii) Choix des groupes de relève

iii) Analyse statique et analyse du flux de candidats

iv) Conclusion concernant la preuve de Mme Boukamp-Bosch

H. Témoignage de Mme Weiner concernant la preuve statistique de discrimination

I. Effet de la décision ACNRI

VIII. L'ANALYSE DES FAITS

A. Éléments de preuve antérieurs à 1990

B. Éléments de preuve antérieurs à la période 1990-1992

C. Autres allégations de discrimination

D. Mesures de redressement

IX. L'ORDONNANCE

[1] Il s'agit en l'occurrence de la deuxième décision portant sur le fond de la plainte. La première décision, rendue par un tribunal différemment constitué, a été annulée par la Cour fédérale du Canada et l'affaire a été renvoyée à ce tribunal afin d'être tranchée en fonction du dossier, augmenté de certains éléments de preuve supplémentaires.

I. L'HISTORIQUE PROCÉDURAL DE L'AFFAIRE

[2] Le 16 septembre 1992, le Dr Shiv Chopra a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne une plainte dans laquelle il alléguait que son employeur, le ministère de la Santé nationale et du Bien-être social (Santé Canada ou le Ministère), l'avait défavorisé en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique, compte tenu de la manière dont le poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits a été doté entre septembre 1990 et le printemps de 1992, et qu'il avait ainsi contrevenu à l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP). Le Dr Chopra a également allégué que, après qu'il eut soulevé des préoccupations au sujet du processus de dotation du poste en question, il a fait l'objet d'un traitement discriminatoire de la part de l'intimé, particulièrement en ce qui touche ses évaluations de rendement, et que ce traitement était également attribuable à sa race, sa couleur et son origine nationale ou ethnique. Un tribunal des droits de la personne, composé de Daniel Soberman (président), de Linda Dionne (membre) et Gregory Pyc (membre) (le tribunal Soberman), a instruit la plainte du Dr Chopra. L'instruction s'est déroulée en septembre et octobre 1995 et a duré plusieurs jours. Dans la décision qu'il a rendue le 8 mars 1996, le tribunal Soberman a rejeté la plainte(1).

[3] La Commission et le Dr Chopra ont présenté à la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada une requête visant à faire réviser et annuler la décision du tribunal Soberman, conformément au paragraphe 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Dans un arrêt rendu le 6 avril 1998, le juge Richard a statué que le tribunal Soberman avait commis une erreur en interdisant à la Commission et au Dr Chopra de produire des éléments de preuve à caractère général d'un problème systémique comme preuve circonstancielle permettant de conclure qu'il y avait probablement eu de la discrimination dans ce cas particulier également(2). Par conséquent, la Cour fédérale a annulé la décision du tribunal Soberman et renvoyé l'affaire au tribunal initial, afin qu'elle soit tranchée en fonction du dossier, des données statistiques que cherchaient à présenter la Commission et le Dr Chopra et de tout document présenté par l'intimé en réponse à ces données.

[4] Étant donné que le mandat des membres du tribunal Soberman avait expiré et n'avait pas été renouvelé, la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne s'est chargée de la conduite de la conférence préparatoire à l'audience et de l'audition de certaines requêtes préliminaires en l'espèce. Après avoir tranché ces questions préliminaires, la présidente m'a confié le mandat d'entendre les nouveaux éléments de preuve. Les audiences ont débuté le 17 mai 1999.

II. LES DÉCISIONS PRÉLIMINAIRES OU INTÉRIMAIRES

[5] La présidente du Tribunal canadien des droits de la personne ou moi-même avons rendu en l'espèce les décisions préliminaires ou intérimaires mentionnées ci-après.

A. Requête de l'intimé visant à surseoir à l'instance en attendant le règlement de son appel

[6] Lors de la conférence préparatoire menée par la présidente le 7 octobre 1998, l'intimé a présenté une requête visant à surseoir à la nouvelle audience du Tribunal concernant la plainte en attendant le règlement de l'appel qu'il avait interjeté devant la Cour d'appel fédérale au sujet de l'ordonnance du juge Richard. La présidente du Tribunal a rejeté la requête de l'intimé, jugeant que la prépondérance des inconvénients militait en faveur de la tenue de l'audience devant le Tribunal, en dépit de l'appel en instance. Le 12 janvier 1999, la Cour d'appel fédérale a rejeté l'appel de l'intimé(3). Dans les motifs prononcés à l'audience, la Cour a affirmé :

[Traduction] Bien que nous ne souscrivions pas pleinement aux motifs invoqués par le savant juge des requêtes, nous sommes tous d'avis qu'il n'a commis, en parvenant à la conclusion qu'il a tirée, aucune erreur de fait, de droit ou de principe qui justifierait l'intervention de cette cour. Nous rejetons donc l'appel avec dépens, les dépens comprenant les frais relatifs à la requête présentée au juge McDonald en vue d'obtenir une ordonnance pour accélérer l'instruction de cet appel.

B. Étendue de la preuve

[7] Le 17 mai 1999, avant de produire ses nouveaux éléments de preuve, la Commission a soumis une requête visant à obtenir des indications et des directives quant à l'étendue de la preuve que les parties pouvaient présenter à la lumière de l'arrêt rendu par le juge Richard. Selon l'avocat de la Commission, la preuve présentée par l'intimé devrait se limiter aux faits et questions soulevés par les nouvelles données statistiques que produira la Commission et on ne devrait pas permettre que l'intimé présente des éléments de preuve relatifs aux pièces qui ont été déposées devant le tribunal Soberman en 1995. Toutefois, l'avocat de l'intimé a souligné que son client avait conclu, après la présentation de la preuve par la Commission et le plaignant au tribunal initial, qu'une preuve prima facie de discrimination n'avait pas été établie, ne serait-ce qu'à titre de preuve circonstancielle. Par conséquent, l'intimé a décidé de ne pas produire de preuve à ce moment-là. L'avocat de l'intimé m'a fait valoir que la production par la Commission de nouveaux éléments de preuve pourrait servir à corroborer et renforcer sa preuve initiale, de sorte que l'examen de l'ensemble de la preuve permettrait d'établir une preuve prima facie.

[8] J'ai reconnu le bien-fondé de l'argument de l'intimé et conclu qu'il ne serait pas équitable de nier à l'intimé le droit d'évaluer les preuves après leur présentation par le plaignant et la Commission et de déterminer s'il y a lieu de présenter une contre-preuve, et ce non seulement pour les nouvelles données statistiques, mais aussi pour l'ensemble de la preuve.

C. Requête en irrecevabilité - Décision de ne pas présenter une preuve

[9] À la clôture de la preuve de la Commission, l'intimé a fait connaître son intention de présenter une requête en irrecevabilité de la plainte pour le motif qu'une preuve prima facie n'avait pas été établie. On s'est ensuite demandé si l'intimé serait soumis à la règle exigeant que le défendeur ou l'intimé décide de ne pas présenter de preuve avant de soumettre une requête en irrecevabilité ou non-lieu.

[10] Cette règle découle de la common law et s'applique aux procédures civiles(4). Dans ma décision, j'ai conclu que, dans les instances devant le Tribunal canadien des droits de la personne, l'intimé doit aussi, en principe, décider de ne pas présenter de preuve avant de pouvoir soumettre une requête en irrecevabilité ou non-lieu. Cependant, la Commission et le plaignant peuvent renoncer à l'application de cette règle. En outre, dans les cas où les circonstances le justifient, le Tribunal peut soustraire l'intimé à l'application de cette règle. L'argument le plus probant en faveur de l'application de la règle générale dans les instances devant ce tribunal et d'autres tribunaux des droits de la personne a été énoncé dans la décision que la Commission d'enquête de l'Ontario a rendue dans l'affaire Nimako v. C.N. Hotels(5) :

À cet égard, il est important de se rappeler que ce n'est qu'après avoir terminé l'audition de toute la cause qu'un tribunal est en mesure d'évaluer la preuve et de prendre une décision, et il se peut que les témoignages présentés en faveur du défendeur (ou de l'accusé) fassent pencher la balance en sa défaveur. En ce qui concerne les difficultés que les plaignants éprouvent à obtenir tous les renseignements pertinents pour établir la discrimination, il est fort probable que des difficultés de ce genre se posent plus souvent dans le cas des audiences tenues en vertu du Code des droits de la personne que dans le cadre des actions civiles en général.

Dans ma décision écrite du 7 octobre 1999, j'ai ajouté ce qui suit :

Je trouve cet argument particulièrement probant dans le contexte d'une allégation de discrimination au travail comme c'est le cas en l'espèce. Très souvent, dans de telles affaires, le plaignant peut être victime d'un comportement discriminatoire de la part de représentants de l'employeur, comportement qu'il n'est peut-être pas en mesure de prouver directement. Dans les exposés qu'il a soumis au Tribunal, M. Chopra a décrit ce type de comportement en l'espèce comme une [Traduction] discrimination à huis clos, de la part de la direction. (boardroom discrimination). Le plaignant et la Commission doivent donc souvent dans ces cas-là recourir à une preuve circonstancielle pour prouver leurs allégations. Certains éléments de cette preuve circonstancielle peuvent en fait être établis en faisant témoigner certains témoins de l'intimé. Par conséquent, il ne conviendrait pas dans le cas d'une présumée violation de la Loi canadienne sur les droits de la personne qu'on refuse au plaignant le redressement auquel il a droit parce qu'il n'a pas été en mesure d'établir ses allégations à ce stade des procédures, alors que le tribunal n'a pas eu le loisir d'entendre toute la preuve, particulièrement lorsque la Commission ou le plaignant n'a pas eu accès à certains éléments.

[11] Comme ni le plaignant ni la Commission n'a renoncé à l'application de la règle, il ne restait qu'à déterminer si les circonstances entourant cette affaire justifiaient une exemption. J'ai décidé que ni la question des délais ni celle des dépenses ne justifiaient une dérogation au principe de base; par conséquent, j'ai statué que l'intimé pouvait présenter sa requête en irrecevabilité dans la mesure où il décidait de ne pas présenter de preuve. L'avocat de l'intimé a informé le Tribunal qu'il n'était pas disposé à faire un tel choix et n'a pas, par conséquent, présenté de requête en irrecevabilité.

D. Contre-preuve

[12] La Commission a demandé à faire témoigner quatre témoins non-experts (le Dr Dennis Awang, le Dr Arjit Das Gupta, Mme Nirmala Chopra et Mme Franka Gopaul), après que l'intimé eut présenté sa preuve. L'intimé s'est opposé à cette requête, principalement pour le motif que le témoignage prévu ne constituait pas une contre-preuve appropriée.

[13] L'avocat de la Commission a soutenu que les paramètres relatifs à la contre-preuve qui peuvent s'appliquer dans le cas des procédures civiles ou criminelles, ainsi qu'en témoigne l'arrêt que la Cour suprême du Canada a rendu dans R. c. Krause(6), ne devraient pas être applicables aux plaintes relatives aux droits de la personne, eu égard particulièrement au pouvoir du Tribunal de recevoir et d'admettre tout élément de preuve qu'il juge indiqué, indépendamment de leur admissibilité devant un tribunal judiciaire (par. 50(3) de la LCDP). Il a également fait état du déplacement du fardeau de la preuve dans les instances relatives aux droits de la personne : une fois que la Commission a établi une preuve prima facie, il incombe à l'employeur de fournir une explication raisonnable. Il appartient ensuite à la Commission de démontrer que l'explication donnée constitue simplement un prétexte. Selon l'avocat de la Commission, cette dernière devrait avoir le loisir de faire cette démonstration à l'étape de la contre-preuve et ne pas être contrainte de le faire dans le cadre de la preuve principale.

[14] Toutefois, dans une décision interimaire rendue le 13 avril 2000 dans l'affaire Marinaki c. Développement des ressources humaines Canada, le Tribunal canadien des droits de la personne a affirmé(7) :

[Traduction] La Loi canadienne sur les droits de la personne précise clairement que le Tribunal n'est pas lié par les règles de preuve strictes. Toutefois, il est lié par les principes d'équité. Ce sont ces principes d'équité envers toutes les parties qui déterminent l'étendue et l'admissibilité de la contre-preuve.

La présentation tardive d'éléments de preuve qui ne font que confirmer ou corroborer la preuve du plaignant et de la Commission ne devrait pas être préjudiciable à l'intimé. Par souci d'équité envers l'intimé, il faut que la plaignante présente les éléments de preuve sur lesquels elle entend appuyer son argumentation, lorsqu'elle présente initialement sa preuve, afin que l'intimé ait amplement l'occasion de les réfuter.

La plaignante est autorisée à produire d'autres éléments de preuve en réponse aux nouveaux points ou moyens de défense soulevés par la partie adverse que la plaignante ne pouvait raisonnablement pas prévoir.

[15] Après avoir examiné les témoignages prévus des quatre témoins que la Commission entendait citer, j'ai conclu que les témoignages de trois d'entre eux ne seraient pas pertinents en contre-preuve, car ils porteraient sur des points que la Commission aurait pu raisonnablement prévoir avant la clôture de sa preuve, et ce même s'ils avaient pour but de démontrer que l'explication de l'intimé constituait un prétexte. J'ai statué que l'autre témoin -- Mme Gopaul -- pouvait témoigner, étant donné qu'une partie du témoignage prévu aurait pu servir à contredire le témoignage d'un autre des témoins de l'intimé sur une question de fond. Toutefois, le plaignant et la Commission ne l'ont pas appelée à témoigner.

III. LES CONCLUSIONS DE FAIT OU DE DROIT DU TRIBUNAL SOBERMAN

[16] Avant de procéder à la revue des faits, il est important de se pencher sur un point qui découle des circonstances particulières de cette affaire. Le tribunal Soberman a entendu dix témoins au cours des neuf jours qu'a duré l'audience, qui s'est tenue entre le 5 septembre et le 11 octobre 1995. Après avoir examiné la preuve produite, le tribunal a rendu sa décision dans laquelle, comme on pouvait s'y attendre, il a énoncé de nombreuses conclusions de fait.

[17] Le plaignant et la Commission ont demandé une révision judiciaire de cette décision finale du tribunal Soberman. Cependant, la Cour fédérale, en annulant la décision du tribunal Soberman, n'a pas tenu compte directement de ces conclusions de fait et a plutôt conclu que le tribunal Soberman avait commis une erreur en interdisant à la Commission et au plaignant de produire des éléments de preuve à caractère général d'un problème systémique comme preuve circonstancielle permettant de conclure qu'il y avait probablement eu de la discrimination dans ce cas particulier également. Par conséquent, la Cour fédérale a rendu l'ordonnance suivante :

  1. Par conséquent, la décision du tribunal est annulée.
  2. L'affaire est renvoyée au tribunal ou, si c'est impossible, à un autre tribunal nommé par le président du Comité du tribunal des droits de la personne. Cette affaire devra être tranchée en fonction du dossier soumis à ce tribunal, des données statistiques que cherchent à présenter les requérants et de tout document présenté par l'intimé en réponse à ces données, ainsi qu'à la suite d'une occasion de présenter d'autres observations.

[18] De toute évidence, aucune difficulté ne se poserait si nous pouvions compter sur le tribunal Soberman pour entendre la nouvelle preuve, car les individus qui entendraient le deuxième ensemble d'éléments seraient précisément ceux qui auraient entendu le premier. Malheureusement, le tribunal Soberman n'était pas disponible et, conformément à l'ordonnance du juge Richard, on m'a confié le mandat de rendre une décision fondée en partie sur la preuve que j'ai entendue personnellement et en partie sur la preuve entendue par un tribunal différemment constitué. Ma connaissance de la preuve entendue par le tribunal Soberman est fondée sur le dossier, y compris la transcription de la première audience, et sur les conclusions énoncées dans la décision écrite du 8 mars 1996 du tribunal Soberman(8).

[19] Voilà qui soulève la question à savoir si je devrais laisser entièrement de côté les conclusions du tribunal Soberman, procéder à un examen de la preuve et tirer des conclusions au sujet des témoignages des dix premiers témoins, sans avoir vu aucun d'entre eux témoigner, sur la foi uniquement de la transcription de leur déposition orale. Inversement, suis-je plus ou moins lié par les conclusions du premier tribunal, auquel cas mon rôle se limite à prononcer des conclusions uniquement à l'égard des nouveaux éléments qui m'ont été présentés au cours de la deuxième audience?

[20] L'avocat de la Commission a fait valoir que les directives de la Cour fédérale m'autorisent clairement à prendre des décisions fondées sur le dossier soumis au tribunal Soberman, augmenté des nouveaux éléments de preuve. Le juge Richard aurait parfaitement pu restreindre la compétence du tribunal nouvellement constitué, mais il a décidé de ne pas imposer de restrictions.

[21] L'avocat de l'intimé a d'abord soutenu que, aux fins de ma décision à cet égard, je devrais me garder d'invoquer les motifs du juge Richard, compte tenu de la déclaration de la Cour d'appel fédérale, à savoir qu'elle [Traduction] ne souscrivait pas pleinement aux motifs de la Cour fédérale(9). Cependant, la Cour d'appel fédérale a également pris soin d'indiquer que malgré ses réserves, dont elle n'a pas précisé la nature, la décision du juge Richard ne comportait aucune erreur de fait, de droit ou de principe et elle a rejeté l'appel. Compte tenu de cette conclusion de la Cour d'appel fédérale et du fait que celle-ci n'a pas précisé les raisons qui justifiaient ses réserves, je ne vois aucun problème à invoquer les motifs énoncés par la Section de première pour trancher cette question.

[22] L'avocat de l'intimé a prétendu, comme argument secondaire, que je devais faire miennes les conclusions de fait énoncées par le premier tribunal dans la mesure où elles n'ont donné lieu à la production d'aucun élément de preuve supplémentaire. Dans les cas où des éléments supplémentaires ont été présentés sur un point particulier, je pourrais à son avis les examiner, en plus de la preuve entendue par le premier tribunal, et je pourrais, pour ces éléments-là, substituer mon interprétation des faits.

[23] Aucune partie n'a pu citer d'affaires dans lesquelles une situation similaire se serait produite. Toutefois, on a reconnu que, jusqu'à un certain point, je suis plus ou moins dans la position où se trouvaient les tribunaux d'appel constitués conformément aux articles 55 et 56 de la Loi canadienne sur les droits de la personne(10), avant leur abrogation en 1998, conformément à la Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et, en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence(11). En vertu de ces dispositions, il était possible d'en appeler à un tribunal d'appel formé de trois membres d'une décision rendue par un tribunal composé de moins de trois membres. Le paragraphe 56(4) de la LCDP prévoyait également que le tribunal d'appel devait entendre l'appel en se basant sur le dossier du tribunal dont la décision faisant l'objet de l'appel et sur les observations des parties intéressées.

[24] Toutefois, le tribunal d'appel pouvait recevoir de nouveaux éléments de preuve ou entendre de nouveaux témoignages s'il estimait que cela était indispensable à la bonne administration de la justice. Par conséquent, le tribunal d'appel pouvait se retrouver dans une situation un peu semblable à la mienne, en ce sens qu'il devait examiner à la fois la preuve qu'il avait vraiment entendue et celle dont il disposait dans le dossier. Bien sûr, la différence évidente, c'est que le tribunal d'appel, comme son nom l'indiquait, avait comme mandat de réviser la décision du premier tribunal. D'autre part, la décision du tribunal Soberman a déjà été annulée dans le cadre de la révision judiciaire effectuée par la Cour fédérale, et on m'a confié le mandat de substituer dans les faits ma propre décision à celle du premier tribunal, mais ce en me fondant sur le dossier présenté à ce tribunal. Abstraction faite de cette distinction, il est utile d'examiner certains cas de jurisprudence découlant des dispositions abrogées de la LCDP.

[25] Dans Lagacé c. Canada (Forces armées canadiennes)(12), le tribunal d'appel chargé d'entendre l'appel portant sur la décision d'un tribunal constitué d'un seul membre s'est penché sur la portée et la norme de l'examen. Citant un certain nombre de décisions publiées ayant trait aux articles 55 et 56 de la LCDP, le tribunal d'appel a conclu qu'en l'absence de preuves autres que celles qui ont été produites devant le tribunal des droits de la personne, il devait respecter les conclusions de fait auxquelles était arrivé le premier tribunal. Cependant, il incombait au tribunal d'appel d'examiner la preuve et de substituer son interprétation des faits s'il était convaincu que le tribunal inférieur avait commis une erreur palpable ou manifeste.

[26] Dans Lagacé, le tribunal d'appel a déclaré ce qui suit au sujet de circonstances analogues à celles entourant la présente instance(13) :

Lorsque des éléments de preuve additionnels sont reçus, l'audience doit être considérée comme une nouvelle audience et le tribunal d'appel doit examiner la preuve additionnelle avec celle qui a été présentée devant le tribunal des droits de la personne; de plus, il substitue son interprétation des faits s'il juge indiqué de le faire. (…)

Toutefois, il y a lieu de signaler que, en l'espèce, l'instruction de l'affaire devant le tribunal des droits de la personne a nécessité quelque 4 journées d'audience; 8 personnes ont été citées comme témoins et la transcription de l'audience représente 524 pages de texte. En revanche, la preuve additionnelle que nous avons examinée se résume à 2 affidavits totalisant 12 pages. En pareilles circonstances, il faut tout de même faire preuve d'une certaine réserve à l'égard de la décision initiale, notamment en ce qui concerne la crédibilité. Cette réserve, toutefois, devrait se limiter aux aspects non visés par la preuve additionnelle que nous avons reçue et sur laquelle nous devons jeter un regard nouveau, à la lumière des éléments connexes qui ont déjà été présentés.

[27] Cette démarche est conforme aux observations formulées par l'intimé. Dans l'affaire Bader c. Canada (Santé nationale et Bien-être social)(14), un autre tribunal d'appel en est venu à une conclusion similaire, après avoir examiné la jurisprudence et notamment une décision citée par l'avocat de la Commission au cours de la présentation de ses arguments, soit Canada (Procureur général) c. Lambie(15). Dans Bader, le tribunal d'appel en est arrivé à la conclusion suivante (par. 106) :

En ce qui concerne le principe ou les principes qui doivent guider la démarche du tribunal d'appel, il semble que :

a) Le tribunal d'appel doit accorder à l'opinion exprimée sur les faits par le tribunal des droits de la personne les égards judiciaires qui lui sont dus et cela est particulièrement vrai compte tenu de l'avantage qu'a eu ce dernier d'évaluer la crédibilité des témoins puisqu'il les a vus et entendus.

b) Le tribunal d'appel doit répondre à la question à savoir si le tribunal de première instance a commis une erreur de droit dans ses conclusions ou une erreur manifeste dans l'évaluation des faits.

c) Si de nouveaux éléments de preuve sont produits ou de nouveaux témoignages entendus devant le tribunal d'appel, celui-ci doit évaluer ces éléments de preuve ou ces témoignages en tenant compte de l'ensemble de la preuve qui englobe nécessairement des éléments de preuve qui avaient été produits devant le tribunal de première instance.

[28] Même si le contexte dans lequel ces conclusions concernant les tribunaux d'appel ont été énoncées est différent de celui qui prévaut en l'espèce, la même logique s'applique assurément. Il serait imprudent que le deuxième tribunal commence à réévaluer les éléments de preuve pour lesquels il n'y a eu aucun témoignage ou élément de preuve nouveau. Chose certaine, le premier tribunal était celui qui était le mieux placé pour tirer des conclusions au sujet de la preuve qu'il avait entendue et pour laquelle aucun nouvel élément de preuve ne m'a été présenté. D'autre part, dans les cas où j'ai été saisi de nouveaux éléments de preuve, il m'incombe de réévaluer les points connexes.

[29] De toute évidence, ce tribunal n'a pas le mandat d'un tribunal d'appel, mais le fait que la Cour fédérale ait annulé la décision du tribunal Soberman devrait m'autoriser à substituer mon opinion relativement aux questions pour lesquelles de nouveaux éléments de preuve ne m'ont peut-être pas été présentés, mais pour lesquelles j'estime que le premier tribunal a commis une erreur palpable ou manifeste dans l'évaluation des faits ou une erreur dans ses conclusions de droit.

[30] Par conséquent, j'examinerai les faits entourant cette affaire en fonction de ces principes.

IV. LES FAITS

[31] Dans sa décision, le tribunal Soberman a résumé succinctement la preuve qu'il a entendue. Comme il me serait difficile de relater différemment les faits, je citerai abondamment la décision du premier tribunal dans ma revue des faits entourant cette affaire, tout en ayant constamment à l'esprit les principes que j'ai énoncés ci-haut quant au degré de retenue dont il y a lieu de faire preuve à l'égard des conclusions de fait énoncées dans la première instance.

A. Expérience professionnelle du Dr Chopra : de 1957 à 1969

[32] Le Dr Chopra est originaire des Indes orientales. Il a obtenu un diplôme en médecine vétérinaire et en zootechnie à l'Université du Punjab en 1957. Il a ensuite travaillé pendant quelques mois comme chirurgien dans un hôpital vétérinaire gouvernemental, où il dirigeait une équipe de sept personnes, puis il a occupé un poste en recherche au Punjab Veterinary College, établissement qui produisait des vaccins, des sérums et d'autres produits biologiques employés par les vétérinaires. Plus tard, il a obtenu un diplôme d'études supérieures dans le domaine des médicaments biologiques au Central Indian Veterinary Research Institute.

[33] En 1960, il est venu au Canada pour étudier la microbiologie à l'Université McGill. Il a terminé ses études de maîtrise en 1962, puis a entrepris des études en vue du doctorat, qu'il a obtenu en 1964. Il a ensuite passé une année à faire de la recherche à titre de boursier postdoctoral à l'hôpital Royal Victoria à Montréal. En 1965, le Dr Chopra s'est rendu en Angleterre, où il a travaillé pour le compte des Miles Laboratories, une importante société pharmaceutique. Il y a dirigé une section de chercheurs en sciences biologiques chargée principalement de produire et de tester de nouveaux médicaments. La section comptait treize chercheurs travaillant dans diverses disciplines connexes; si l'on tient compte du personnel de soutien, une vingtaine de personnes relevaient du Dr Chopra.

[34] En 1969, l'intimé a embauché le Dr Chopra au Bureau de biologie/Division de la médecine et de la pharmacologie, qui a par la suite été rebaptisé Bureau des médicaments humains prescrits/Division de l'infection et immunologie, entité qui faisait partie de la Direction générale de la protection de la santé à Santé Canada.

B. Structure administrative et méthodes de dotation en personnel de la Direction générale de la protection de la santé

[35] Essentiellement, la plainte du Dr Chopra est fondée sur sa prétention que l'intimé l'a privé de la chance de concourir loyalement pour obtenir un poste de gestion. Il est donc utile de se pencher sur la structure administrative et les méthodes de dotation de la Direction générale de la protection de la santé à Santé Canada pour mieux comprendre les faits entourant la plainte.

[36] La description ci-après de la structure administrative est fondée sur les organigrammes déposés en preuve devant le premier tribunal. Bien que ces organigrammes présentent la situation telle qu'elle prévalait en septembre 1992, la même structure générale a existé pendant la majeure partie, voire la totalité, de la période où le plaignant a travaillé à Santé Canada, avant le dépôt de sa plainte. De même, le résumé ci-après des pratiques de dotation de la fonction publique du Canada est fondé sur la preuve relative aux années 1980 et au début de la décennie 1990. Je ne suis pas sûr que ces pratiques sont celles qui étaient suivies durant les premières années de la carrière du plaignant à Santé Canada, c'est-à-dire vers la fin des années 1960 et dans les années 1970; chose certaine, ce sont celles qui avaient cours durant la période visée par sa plainte, c'est-à-dire la période 1990-1992.

[37] La preuve relative à la structure administrative de Santé Canada est présentée ci-après :

  • La Direction générale (dans le cas du Dr Chopra, la Direction générale de la protection de la santé) était dirigée par un sous-ministre adjoint.
  • Elle comportait cinq directions, dont la Direction des médicaments, chacune dirigée par un directeur général qui relevait du sous-ministre adjoint(16).
  • La Direction des médicaments comptait neuf bureaux, chacun dirigé par un directeur relevant du directeur général. La Direction des médicaments comprenait le Bureau des médicaments humains prescrits, où le Dr Chopra a travaillé de 1969 à 1987, et le Bureau des médicaments vétérinaires, où il travaille depuis lors.
  • Chaque bureau est constitué d'un certain nombre de divisions, chacune dirigée par un chef qui relève du directeur du bureau. Le plaignant a d'abord travaillé à la Division de l'infection et immunologie, au sein du Bureau des médicaments humains prescrits, puis à la Division de l'innocuité pour les humains, au sein du Bureau des médicaments vétérinaires. Les chefs supervisaient un nombre variable d'employés.
  • Il semble que certaines divisions se soient dotées de sections, chacune dirigée par un chef de section. À noter toutefois que les chefs de division étaient parfois appelés eux aussi chefs. Chaque chef de section supervisait un petit groupe d'employés. Au dire de plusieurs témoins, un chef de section pouvait acquérir de l'expérience en supervision et gestion à un niveau très élémentaire.

DIRECTION GÉNÉRALE
(Sous-ministre adj.)
|
DIRECTION
(Directeur général)
|
BUREAU
(Directeur)
|
DIVISION
(Chef)
|
|
SECTIONS
(Chefs de section)

[38] En principe, le cadre intermédiaire de premier échelon, sous la surveillance duquel travaillent un certain nombre d'employés qui relèvent de lui, semble être le chef de division.

[39] Dans la fonction publique du Canada, la dotation en personnel relève de la Commission de la fonction publique (CFP). Ce pouvoir est parfois délégué aux ministères; toutefois, la CFP conserve le pouvoir de faire les nominations au niveau de la direction. Règle générale, les postes de direction à Santé Canada sont classés EX au sein d'une échelle allant de EX-01 à EX-07. Jusque vers 1991, il existait un autre groupe de cadres intermédiaires, celui des SM. Cette année-là, cette classification a été éliminée et les titulaires de postes SM ont été reclassifiés au rang de EX ou à l'échelon le plus élevé dans un autre groupe professionnel, tel que biologiste 5 (BI-05).

[40] Un grand nombre de cadres aux échelons inférieurs, notamment les chefs et chefs de section, n'occupaient pas un poste EX mais plutôt un poste classé à l'un des niveaux supérieurs au sein d'autres groupes professionnels, tel que BI-05 ou médecine vétérinaire 5 (VM-05). Par conséquent, on désignait souvent ces niveaux par le terme équivalent EX. Bien que le caractère officiel de ce terme ne fasse pas l'unanimité, il est indubitable qu'il s'agit là d'une notion courante dans le domaine de la dotation en personnel à Santé Canada. Il convient de noter qu'à ces divers échelons au sein des groupes professionnels correspondent des niveaux de salaire; par conséquent, plus le chiffre qui correspond à l'échelon est élevé, plus le niveau de salaire qui s'y rattache est haut.

[41] Une importante distinction entre le groupe EX et les groupes professionnels tels que ceux de la biologie, de la chimie ou de l'économie, est que les classifications qui se rattachent à ces derniers sont fondées sur les compétences professionnelles connexes. D'autre part, les EX sont des cadres qui ne font plus partie d'un groupe professionnel à proprement parler et qui peuvent être mutés, au niveau EX, d'un ministère à un autre même s'ils ne possèdent pas nécessairement une formation connexe à l'activité de ce ministère. L'un des témoins, Mme Erika Boukamp-Bosch, a décrit les EX comme des cadres universels itinérants dont le bagage n'est pas lié à la vocation particulière d'un ministère.

[42] Dans la fonction publique du Canada, les exercices de dotation en personnel doivent être conformes au principe du mérite. Somme toute, ce principe veut que la personne la plus compétente obtienne le poste à pourvoir. Au niveau EX, la plupart des nominations se font par voie de concours. Un concours est mis sur pied lorsqu'un poste devient vacant par suite du départ de son titulaire ou de la création d'un nouveau poste au sein d'un ministère. Le ministère, de concert avec un agent de ressourcement de la CFP, établit un énoncé de qualités décrivant les diverses exigences du poste (formation, langues, expérience, connaissances, aptitudes et qualités personnelles). À cette étape, le ministère est habituellement représenté par le gestionnaire embaucheur qui, de façon générale, est le fonctionnaire dont relèvera la personne nommée.

[43] Le ministère et l'agent de ressourcement décident ensuite de la méthode de sélection. Si, comme c'est souvent le cas, ils optent pour un concours, ils déterminent alors si celui-ci s'adressera uniquement aux fonctionnaires (concours interne) ou s'il sera ouvert aux non-fonctionnaires (concours public). Si le bassin de candidats compétents au sein de la fonction publique semble restreint, on préfère généralement tenir un concours public. La taille du bassin influe également sur la délimitation de la zone de sélection du point de vue des exigences professionnelles en matière de formation, ainsi que du choix des organismes (ministères) et régions géographiques auxquels le concours sera ouvert. Mme Catherine Black, agente de ressourcement principale à la CFP, qui possède une vaste expérience dans le recrutement de cadres à Santé Canada, a affirmé dans son témoignage qu'elle n'avait jamais limité au ministère la zone de sélection dans le cadre d'un concours pour un poste EX et que ces concours ont habituellement une portée nationale. Par contre, selon la nature et le niveau du poste vacant, certains concours sont ouverts uniquement aux candidats ayant déjà occupé un poste de niveau EX, tandis que dans d'autres cas les fonctionnaires qui sont à un ou deux niveaux au-dessous de celui de EX sont admissibles.

[44] Les décisions ayant trait au processus à suivre s'inscrivent dans ce qu'on appelle la stratégie de dotation, qui doit être approuvée par la CFP avant sa mise en œuvre. Une fois que la stratégie a été approuvée, la CFP doit publier un avis de concours. Dans les années 1980 et au début des années 1990, il incombait au ministère des Travaux publics de veiller à la parution des avis. Comme nous le verrons plus loin, le plaignant soutient que jusque vers la fin de 1993, de nombreux avis n'ont pas été affichés comme il se doit, ce qui l'aurait empêché de connaître l'existence de ces concours.

[45] Une fois que le délai fixé pour la présentation des candidatures a expiré, le jury de sélection, qui se compose d'au moins trois personnes -- habituellement le gestionnaire embaucheur, l'agent de ressourcement de la CFP et un employé d'un autre ministère à un niveau supérieur à celui du poste à pourvoir --, se réunit. Le jury de sélection a pour tâche de faire la présélection des candidats en fonction des critères retenus, qui correspondent habituellement à certaines exigences d'ordre linguistique ou en matière de formation et d'expérience. La preuve révèle que les jurys de sélection s'inspirent d'un guide de présélection, qui énonce des conditions qui peuvent différer par rapport à celles figurant dans l'énoncé de qualités initial. La présélection est basée sur les demandes et curriculum vitæ des candidats. Il est rare qu'on procède à des entrevues à ce stade. La présélection est faite en fonction de facteurs éliminatoires.

[46] Outre l'énoncé de qualités dont est assorti l'avis de concours, on rédige un guide de cotation qui sert à l'évaluation des candidats. La preuve n'indique pas clairement qui doit rédiger ce guide et quand. Le jury de sélection a pour rôle d'évaluer, en fonction des autres qualités requises, les candidats qui ont franchi l'étape de la présélection. À ce stade du processus, on a recours à la fois à des entrevues, à des vérifications des références, à des tests et même à des simulations conçues par la CFP pour évaluer les compétences en gestion des nouveaux EX. D'après l'expérience de Mme Black, même si on consulte les évaluations de rendement des candidats, on ne se fonde guère sur celles-ci pour évaluer le rendement futur à un poste plus élevé.

[47] Le jury de sélection se compose habituellement du fonctionnaire embaucheur et de l'agent de ressourcement qui faisaient partie du jury de présélection, ainsi que d'un cadre supérieur provenant d'un autre ministère. Dans certains cas, d'autres personnes dont l'expertise est jugée utile par le gestionnaire embaucheur pour l'évaluation des candidats viennent se greffer à ce noyau. Les évaluations finales du jury de sélection, qui résultent de consensus, sont soumises à l'approbation de la CFP. Il est rare que la CFP rejette la recommandation du jury de sélection. Après avoir donné son approbation, la CFP offre le poste au candidat reçu. Les autres candidats sont eux aussi informés des résultats. Ils ont le droit d'en appeler de la nomination au Comité d'appel de la Commission de la fonction publique (CACFP), s'ils estiment que le processus de sélection n'a pas été conforme au principe du mérite.

[48] De toute évidence, beaucoup de gens décident de poser leur candidature à un concours après avoir vu l'avis de concours ou appris l'existence du concours d'une autre manière. Cependant, dans les années 1980, la CFP avait également conçu un système appelé Système d'information des ressources de gestion (SIRG), qui consistait en une banque de données informatisée contenant de l'information sur la formation et les compétences des membres du groupe EX et des employés de rang inférieur intéressés à obtenir un poste EX. L'agent de ressourcement de la CFP chargé d'un concours consultait cette banque de données afin de recenser les fonctionnaires dont la formation et les compétences semblaient correspondre aux qualités recherchées. On communiquait ensuite avec ces employés pour leur demander s'ils souhaitaient poser leur candidature. Le SIRG a été éliminé en 1993. Le Dr Chopra a indiqué dans son témoignage qu'il s'était inscrit dès le départ au SIRG et qu'il n'avait jamais été invité à participer à un concours à la suite de la consultation de cette banque de données.

[49] Bien que la plupart des postes de direction dans la fonction publique soient pourvus par voie de concours, il arrive qu'un tel poste soit doté sans concours lorsqu'un candidat est visé par une priorité en dotation, ce qui à toutes fins utiles signifie qu'il bénéficie d'un statut privilégié. Selon la Loi sur l'emploi dans la fonction publique(17), il y a sept cas dans lesquels on peut nommer des candidats jugés qualifiés qui font partie de l'une des catégories désignées suivantes :

  • les employés qui reviennent au travail après un congé;
  • les membres du cabinet d'un ministre;
  • les employés qui reviennent au travail après avoir été mis en disponibilité;
  • les employés qui ont été déclarés excédentaires;
  • les employés qui ont été frappés d'incapacité;
  • les employés bénéficiant d'une priorité Réinstallation du conjoint en raison de la mutation de leur conjoint;
  • les employés ayant le statut de fonctionnaire excédentaire qui jouissent d'une priorité de réintégration qui ont été affectés à un poste de niveau inférieur en attendant une nomination leur permettant de réintégrer leur niveau antérieur.

Avant de doter un poste, la CFP consulte les données pertinentes sur les personnes ayant un droit de nomination prioritaire; si elle trouve un candidat éventuel, elle transmet son nom au ministère, qui évalue ses compétences. S'il juge qu'il s'agit d'un candidat compétent, le ministère est tenu de le nommer au poste vacant.

[50] En outre, certains postes sont dotés par voie de reclassification. Dans un tel cas, on juge, après réévaluation, qu'un poste mérite un niveau supérieur et on le reclassifie à ce niveau. Ensuite, on détermine si le titulaire a la compétence nécessaire pour occuper le poste reclassifié. Si tel est le cas, on crée dans les faits un nouveau poste qu'on dote sans concours.

[51] Il arrive également qu'un ministère comble un poste vacant en y mutant ou en y affectant un fonctionnaire qui se trouve à un niveau équivalent. Par conséquent, un ministère pourrait muter à un poste EX-01 vacant un employé au niveau EX-01; de même, un BI (biologiste) à un certain niveau pourrait être muté à un poste VM (médecine vétérinaire) à un certain niveau, dans la mesure où la mutation ne se traduit pas par une augmentation de salaire, auquel cas la mutation serait perçue comme une promotion plutôt que comme une mutation latérale. La CFP ne considère pas une telle mutation comme une atteinte au principe du mérite, étant donné qu'elle ne donne pas lieu à une promotion et qu'elle a pour effet de libérer un poste, qui sera peut-être doté grâce à un vaste concours.

[52] Enfin, il y a ce qu'on appelle les nominations ou affectations intérimaires, lesquelles ne sont pas dénuées d'intérêt dans le cas qui nous occupe. On entend par affectation intérimaire le fait d'affecter provisoirement, pour une période d'au plus quatre mois, un employé à des fonctions de niveau supérieur. Si l'affectation dure plus de quatre mois, on considère qu'il s'agit d'une nomination intérimaire susceptible d'appel. Quiconque s'estime lésé par cette nomination peut interjeter appel devant le Comité d'appel de la Commission de la fonction publique. Il n'existe aucun droit d'appel dans le cas des affectations intérimaires d'une durée de moins de quatre mois. Les affectations et nominations intérimaires sont faites par les ministères sans l'intervention de la CFP. Une nomination intérimaire peut être faite sans concours et sans créer de jury de sélection. Il semble que ce soit la façon habituelle de procéder. Ainsi, durant l'exercice 1994-1995, 24 des 25 nominations intérimaires faites au niveau EX à Santé Canada pour une durée de plus de quatre mois l'ont été sans concours. Dans son rapport annuel de 1992, la CFP a indiqué que, conformément à ses politiques, la durée d'une nomination intérimaire ne devrait pas normalement dépasser un an, car elle craignait qu'il puisse en résulter un avantage indu pour des concours ultérieurs.

C. Antécédents professionnels du Dr Chopra à Santé Canada

i) Bureau des médicaments humains prescrits, de 1969 à 1987

[53] Le premier poste occupé par le Dr Chopra était celui de conseiller scientifique 1 (SA-01). Il s'agissait d'un poste de rang supérieur dans le domaine scientifique qui ne comportait pas de fonctions de gestion. Peu de temps après l'embauche du Dr Chopra, le poste de chef de section est devenu vacant; le plaignant et le Dr Michael Davis, un autre SA-01, se sont portés candidats. Selon le témoignage du Dr Davis devant le tribunal Soberman, il s'agissait essentiellement d'un poste de chef puisque la section qu'il dirigeait est devenue ultérieurement une division à la faveur d'une restructuration du ministère au début des années 1970. Bien que le Dr Davis ait été choisi et promu au niveau SA-02, le Dr Chopra a lui aussi été promu SA-02 en même temps, étant entendu, selon lui, que la section serait divisée en deux, de sorte que le Dr Davis et lui dirigeraient chacun une des nouvelles sections. Cependant, le projet ne s'est jamais concrétisé et le Dr Chopra n'est pas devenu chef de section ou de division. Il relevait du Dr Davis, qui agissait comme son superviseur immédiat.

[54] En 1971, Santé Canada a procédé à une révision des classifications à l'échelle du ministère, exercice qui s'est soldé par la reclassification du poste du plaignant, qui est devenu un poste de biologiste 4 (BI-04). Le Dr Chopra a occupé ce poste jusqu'en 1975, sous la surveillance du Dr Davis. Tout au cours de cette période, le Dr Chopra a régulièrement agi comme chef en remplacement du Dr Davis, dont la durée des absences a varié entre un ou deux jours et cinq ou six semaines (pendant un congé de maladie). À toutes fins utiles, il remplissait alors les fonctions d'un chef de division. Toutefois, sa rémunération demeurait la même.

[55] En 1972, après certains entretiens avec le Dr Chopra, le Conseil des sciences du Canada a communiqué avec ses supérieurs à Santé Canada pour demander qu'il soit détaché pendant un an auprès de cet organisme. Ce détachement ne s'est toutefois pas matérialisé; apparemment, il y avait trop de travail de nature scientifique à l'endroit où il travaillait et, par conséquent, il n'y aurait pas eu d'avantage évident pour son employeur, ce qui, selon le Conseil, était une exigence fondamentale pour que l'affectation porte fruit.

[56] En 1974, le Dr Carolyn Scott a accédé au poste de directeur du Bureau. Selon le plaignant, le Dr Scott a recommandé qu'il soit choisi pour le Programme cours et affectations de perfectionnement (CAP), qui était administré par la CFP. En vertu de ce programme, l'employé obtenait sur une période de cinq ans différentes affectations qui lui permettaient habituellement d'acquérir les compétences nécessaires pour postuler un poste EX. Le Dr Chopra n'a pas participé à ce programme pour des raisons qu'il ne connaît pas; toutefois il a admis ne pas avoir présenté de demande en vue de participer au programme. Certains témoins appelés par l'intimé ont indiqué que, dans les années 1990, il était impossible d'être admis au programme CAP si l'on ne présentait pas soi-même une demande. Ces témoins n'ont pas été en mesure de confirmer si cette politique s'appliquait dans les années 1970.

[57] En 1975, le Conseil du Trésor a créé un comité chargé d'élaborer un régime de responsabilisation amélioré pour la Direction générale de la protection de la santé. Le Comité sur la gestion axée sur les objectifs (GAO) était sous la direction du Dr Albert Liston, qui était à l'époque directeur de la Direction des médicaments. Sur la recommandation du Dr Scott, le Dr Chopra a été nommé représentant de la Direction des médicaments. Les autres directions avaient elles aussi désigné un représentant. À ce titre, le Dr Chopra devait consulter les cadres de la direction aux divers niveaux et s'enquérir de leurs problèmes et recueillir leurs suggestions de réforme. Le Dr Chopra devait faire l'analyse de la situation, puis présenter des recommandations au Dr Liston.

[58] Un aspect important de cette affectation consiste à déterminer si elle a permis au Dr Chopra d'acquérir une certaine expérience en gestion. Le Dr Chopra décrit son rôle comme étant celui d'un conseiller en gestion du personnel, tandis que le Dr Liston a affirmé dans son témoignage qu'il était préférable de le qualifier de facilitateur du projet GAO. Quelle que soit l'appellation qui convienne, il ne fait aucun doute que le plaignant n'a rempli aucune fonction de gestion hiérarchique; autrement dit, il n'a pas géré ni supervisé d'employés et n'a exercé aucune responsabilité budgétaire. Par ailleurs, on ne conteste pas non plus qu'il ait participé activement à l'ensemble du projet GAO et qu'il ait notamment pris part aux réunions du comité de direction de la Direction des médicaments, communiqué avec les directeurs et autres cadres et conçu un programme de gestion.

[59] L'affectation de un an du Dr Chopra au projet GAO a été reconduite par le Dr Liston pour une autre année. Dans son témoignage, le Dr Liston a affirmé qu'il était satisfait du travail que le plaignant avait accompli pour le comité. Le Dr Chopra a ajouté que le Dr Liston était à l'époque très satisfait de la qualité de ses propositions; un autre membre du comité, le Dr Ian Henderson, a déclaré dans son témoignage que le plaignant avait fait de l'excellent travail et que tous les autres étaient contents de son rendement.

[60] Au début de 1977, durant la deuxième année de son affectation au projet GAO, le Dr Liston a inscrit le Dr Chopra à un programme de formation à la gestion, en internat, d'une durée de six semaines au Bureau du perfectionnement et de la formation du personnel, qu'on désigne aujourd'hui sous le nom de Centre canadien de gestion. Le Programme de perfectionnement des cadres supérieurs s'adressait aux cadres supérieurs mais aussi, semble-t-il, aux employés qui, selon la haute direction, avaient des aptitudes en gestion. D'après les souvenirs du Dr Chopra, il y avait une vingtaine de personnes dans la classe, et il était le seul représentant de son ministère. Le Dr Chopra a terminé cette formation avec succès. Dans son témoignage, il a dit que, après avoir suivi cette formation, les personnes qui n'étaient pas déjà gestionnaires allaient le devenir.

[61] Plus tard en 1977, après l'affectation du Dr Chopra au projet GAO, le Dr Liston a demandé à ce dernier d'agir comme représentant de la Direction des médicaments au sein d'un autre groupe de travail, chargé celui-là de l'étude sur l'interface de la Direction des médicaments et de la Direction des opérations régionales. Ce groupe de travail était composé du Dr Chopra et de trois autres personnes. L'étude a duré plus d'un an et le rapport du projet a été remis directement au sous-ministre adjoint.

[62] À peu près au même moment, vers la fin de 1977, le Dr Scott a pris sa retraite et a été remplacé par le Dr Henderson à la tête du Bureau. Au début de 1978, le Dr Henderson a demandé au Dr Chopra de préparer un rapport d'ensemble et un survol du programme des médicaments. Le Dr Chopra travaillait toujours au projet GAO, mais il était sur le point de revenir à la Division de la médecine et de la pharmacologie (comme elle s'appelait à l'époque). Il a annexé au rapport qu'il a présenté un résumé de sa carrière au Bureau, où il faisait état des divers éléments de perfectionnement en gestion dans son travail et sa formation. Il a demandé au Dr Henderson d'examiner la description de sa carrière et de lui dire s'il pouvait s'attendre à [Traduction] voir un changement (une promotion, peut-on présumer) dans un proche avenir mais, au dire du Dr Chopra, cela n'a rien donné.

[63] Plusieurs mois après son retour dans sa division, le Dr Henderson l'a affecté à des fonctions de chef de section de facto auprès d'un groupe qui suivait les progrès dans le domaine de l'immunologie. Dans son témoignage, le directeur a dit avoir sérieusement songé à mettre sur pied au sein de sa division une section de l'immunologie dont il aurait confié la direction au Dr Chopra. Cependant, en raison de considérations d'ordre structurel -- notamment la nécessité de réviser le régime de classification à l'échelle du Bureau pour créer le poste de chef de section -- et à cause de la compression des effectifs au Bureau vers la fin de 1978, ce projet ne s'est pas concrétisé.

[64] Après son retour dans sa division, le Dr Chopra a régulièrement agi comme chef de division, pendant les absences de son superviseur, le Dr Davis, comme il l'avait fait avant son affectation au projet GAO. Il semble que ces absences n'aient jamais été de longue durée et que le Dr Chopra n'ait jamais été affecté ou nommé à un poste intérimaire pour une durée de plus de quatre mois. Dans son témoignage, le Dr Henderson a dit n'avoir entendu aucune critique à l'égard du Dr Chopra alors que celui-ci agissait comme chef et qu'il qualifierait son rendement de bon. Lorsque le Dr Chopra a joué le rôle de chef, il a participé aux réunions de gestion à titre de membre de l'équipe de direction.

[65] En 1980, fort de l'appui du Dr Henderson, le Dr Chopra a demandé et obtenu une bourse de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui lui a permis d'étudier à l'échelle de la planète, pendant une période de trois mois, les systèmes relatifs aux programmes de gestion des médicaments, en particulier dans le domaine du contrôle et de la normalisation des allergènes. Le Dr Chopra s'est rendu dans douze pays de l'Europe de l'Est et de l'Ouest pour y rencontrer des représentants du secteur industriel et des organismes de réglementation. Il a produit un rapport à ce sujet. À son retour, le Dr Chopra a été étonné de constater que le volet technique de son principal domaine de spécialisation, l'immunologie, avait été transféré ailleurs, décision qui influait sur son travail de scientifique. Il a également été déçu du manque d'intérêt apparent du Dr Liston à l'égard du rapport qu'il avait présenté à l'OMS. Dans son témoignage, le Dr Liston a allégué qu'il ne se souvenait pas de ces incidents et qu'il avait tout au plus un [Traduction] vague souvenir du fait que le domaine des antibiotiques avait été transféré au Bureau de la biologie. Le Dr Chopra a vu dans ces incidents une preuve que la direction n'appréciait pas la qualité de son travail et son esprit d'initiative.

ii) Évaluations écrites annuelles, de 1979 à 1987

[66] En 1979, le gouvernement a institué un système d'évaluations annuelles écrites pour ses employés. Dans sa première évaluation annuelle (en date du 19 septembre 1979), le Dr Chopra a précisé qu'il aspirait à une carrière en gestion et indiqué, après avoir décrit sa formation et son expérience, qu'il avait hâte de mettre à profit cette expérience [Traduction] à une échelle beaucoup plus vaste [qu'il pouvait] le faire dans ses fonctions actuelles. Le directeur du Bureau, le Dr Henderson, a ajouté dans la section réservée aux commentaires additionnels que le Dr Chopra était [Traduction] quelque peu frustré par son incapacité à progresser au sein de la structure de gestion de la Direction générale de la protection de la santé, tandis que son superviseur immédiat, le Dr Davis, a fait observer que le Dr Chopra était [Traduction] stimulé par des responsabilités supplémentaires. Dans les évaluations subséquentes, le Dr Chopra a réitéré son désir d'être promu à des fonctions de direction et sa frustration devant le fait que ses attentes n'étaient pas comblées.

[67] Le formulaire d'évaluation de 1981 comportait un ensemble de cases récapitulatives correspondant à cinq cotes : exceptionnel, supérieur, entièrement satisfaisant, satisfaisant, insatisfaisant. Dans toutes les évaluations subséquentes produites alors qu'il travaillait au Bureau des médicaments humains prescrits, le Dr Chopra s'est vu décerner la cote entièrement satisfaisant, et ce jusqu'en 1986; toutefois, à une occasion, on a fait remarquer que l'attribution de cette cote n'impliquait pas qu'[Traduction] il n'[était] pas de calibre supérieur dans plusieurs domaines. Son superviseur, le Dr Davis, a également formulé plusieurs remarques au sujet de la vaste formation et expérience du Dr Chopra en ce qui touche les aspects tant scientifiques qu'administratifs du développement et du contrôle des médicaments mais que, [Traduction] en raison d'une absence totale d'occasions d'avancement, son plein potentiel était sous-utilisé. Le Dr Davis a affirmé dans son témoignage qu'il est possible qu'il ait décerné la cote supérieur à d'autres employés au cours de la période se terminant en 1988 mais que, selon ses souvenirs, cela était peu probable.

[68] Dans les évaluations du Dr Chopra, le Dr Davis a formulé de nombreuses observations positives à propos du comportement et des habitudes de travail de l'intéressé et notamment au sujet de sa perspicacité et de son efficacité, de sa capacité de présenter de façon lucide ses arguments [Traduction] avec tact et circonspection, de son ouverture aux suggestions et son aptitude à négocier avec les fabricants de médicaments, aspect important de l'activité de la Division. Le Dr Davis a également confirmé que le plaignant gérait [Traduction] de façon ordonnée et efficace et avait agi en [Traduction] gestionnaire compétent lorsqu'il avait assumé à titre intérimaire les fonctions de chef.

iii) Facteurs précédant la mutation du Dr Chopra au Bureau des médicaments vétérinaires

[69] Bien qu'il fût le seul au Bureau des médicaments humains prescrits à détenir un diplôme de vétérinaire, le Dr Chopra ne possédait pas de licence pour exercer sa profession en Ontario, étant donné que l'organisme de réglementation, la Ontario Veterinary Association, n'avait pas, semble-t-il, reconnu ses diplômes étrangers. En conséquence, il ne pouvait être classé au quatrième échelon dans le groupe de la médecine vétérinaire (VM-04) et devait conserver sa classification de biologiste 4 (BI-04), ce qui lui faisait perdre environ 6 000 $ en salaire annuel. Cependant, en 1985, après que les Drs Davis et Henderson eurent sensibilisé la Ontario Veterinary Association à l'utilité du Dr Chopra à Santé Canada, le plaignant s'est vu accorder une licence spéciale restreignant l'exercice de sa profession aux fonctions qu'il exerçait.

[70] Dès l'obtention de sa licence, le Dr Chopra a demandé que son poste soit reclassifié de BI-04 à VM-04. Toutefois, la Division de la classification de la Direction générale de la politique du personnel a rejeté sa demande, concluant que les fonctions qu'il exerçait n'exigeaient pas qu'il possède une licence de vétérinaire. Le Dr Chopra a trouvé douteuse cette explication car, à sa connaissance, d'autres vétérinaires formés en Inde avaient bénéficié d'une reclassification après avoir obtenu leur licence. Le refus de reclassifier le poste du plaignant a incité le Dr Henderson à lui suggérer, le 29 avril 1987, de demander une mutation au Bureau des médicaments vétérinaires, où les descriptions de poste l'assureraient d'une reclassification.

iv) Bureau des médicaments vétérinaires, de 1987 à avril 1990

[71] Le Dr Chopra a suivi le conseil du Dr Henderson. Lorsqu'un poste de VM-04 est devenu vacant à la fin de 1987 à la Division de l'innocuité pour les humains au sein du Bureau des médicaments vétérinaires, il a posé sa candidature et obtenu le poste. Même si le plaignant avait quitté le bureau où il se trouvait et ne relevait plus des Drs Henderson et Davis, le bureau où il avait été muté faisait partie lui aussi de la Direction générale de la protection de la santé de Santé Canada et, par conséquent, son superviseur immédiat et son directeur avaient eux aussi le Dr Liston comme sous-ministre adjoint.

[72] Peu de temps après que le Dr Chopra eut commencé à exercer ses nouvelles fonctions, son chef de division, le Dr R.R. MacKay, a pris sa retraite et son poste est devenu vacant. Pendant six mois, cette vacance a été comblée [Traduction] de façon intérimaire, par rotation. Le Dr Chopra a agi comme chef pendant cinq semaines au cours de cette période. Sa première évaluation de rendement depuis sa nomination à son nouveau poste a été faite vers la fin de 1988 par le directeur du Bureau des médicaments vétérinaires, le Dr Jacques Messier. Cette évaluation a encore une fois été favorable. L'évaluation suivante qui a été produite en preuve est datée de mai 1990 et signée par le Dr M.S. Yong, qui avait été nommé chef de la division au milieu de 1989. Le Dr Yong a lui aussi formulé des commentaires favorables, faisant observer que le Dr Chopra communiquait de façon efficace, qu'il avait de la facilité pour les relations interpersonnelles et qu'il faisait preuve notamment de discrétion, de tact et de courtoisie.

[73] Le Dr Chopra, par ailleurs, a contesté sa cote entièrement satisfaisant, faisant remarquer dans ses commentaires écrits qu'il avait fait plus que sa part pour réduire l'[Traduction] arriéré pernicieux de travail et qu'on aurait dû tenir compte de cela dans l'attribution de sa cote. Ayant pris connaissance de ce commentaire, le Dr Messier a précisé que l'évaluation n'était pas à son avis injuste et il a encouragé le Dr Chopra à tenter de participer au Programme d'affectations ministérielles (PAM), ce qui lui permettrait d'acquérir une expérience profitable tant pour lui que pour l'organisation. Au dire du Dr Chopra, le Dr Messier a laissé entendre, somme toute, par ce commentaire qu'il n'y avait pas au bureau de possibilités d'accéder à des fonctions de direction et qu'il devrait faire ce qu'il fallait pour être promu à un autre bureau. Incidemment, le PAM, dont la création remonte à 1987, visait à fournir des affectations permettant d'acquérir de l'expérience, de la formation et de nouvelles connaissances et compétences. L'employé désireux de participer au PAM devait remplir un formulaire. D'après les preuves non contredites présentées par l'intimé, le Dr Chopra n'a pas demandé d'être inscrit au PAM.

[74] Vers la fin de 1990, le Dr Len Ritter a été nommé directeur du Bureau des médicaments vétérinaires. Au dire du plaignant et de la Commission, cette nomination, faite sans concours, constituait une progression de deux niveaux. Ils ont également mis en doute sa compétence pour le poste, car il n'était ni médecin ni vétérinaire; en fait, il était chimiste et avait, selon le plaignant, des connaissances limitées dans le domaine des médicaments. L'intimé a contesté cette interprétation des faits entourant la nomination du Dr Ritter. Il a produit des preuves démontrant que le Dr Ritter avait été nommé à un poste SM en 1985 à la suite d'un concours et que c'est à partir de ce niveau qu'il a accédé au poste de directeur des médicaments vétérinaires (EX-02). L'intimé a muté le Dr Ritter à ce poste à partir du poste qu'il occupait; cependant, le Dr Ritter a été nommé à un niveau inférieur à celui du poste. Autrement dit, même si le poste de directeur était classifié EX-02, le Dr Ritter a conservé son niveau de classification inférieur (SM). Par conséquent, il n'a bénéficié d'aucune augmentation de salaire. Techniquement, il n'a pas obtenu de promotion, aux termes du règlement d'application de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique(18). Cependant, durant son témoignage, Mme Catherine Black, de la CFP, a admis que l'entrée dans le groupe EX sans augmentation de salaire peut néanmoins être perçue comme une promotion, vu le niveau de prestige qui s'y rattache.

[75] En ce qui concerne la compétence du Dr Ritter, l'intimé a fait remarquer que son expérience en gestion au niveau SM et l'expérience qu'il avait acquise en supervision à titre de chef de section au niveau BI-04 justifiaient sa nomination au poste de directeur.

v) Occasions pour le Dr Chopra d'être promu à des fonctions de gestion avant 1990

[76] L'intimé a fait valoir qu'il incombe à l'employé de rechercher activement des occasions d'avancement au sein du ministère, particulièrement s'il est en quête d'un poste de cadre. Selon lui, le Dr Chopra a négligé de prendre les mesures voulues pour obtenir de l'avancement. C'est pourquoi une bonne partie du contre-interrogatoire de l'intimé devant le tribunal Soberman a été consacrée à l'examen des nombreux avis de concours parus à Santé Canada pour des postes de gestionnaire de niveau intermédiaire ou inférieur.

[77] Le plaignant a reconnu qu'il ne s'était porté candidat à aucun des concours mentionnés; toutefois, il a également affirmé que, dans beaucoup de cas, il n'avait pas vu l'affiche, prétendant que, particulièrement avant 1993, il y avait beaucoup de problèmes au niveau des méthodes d'affichage (p. ex., tableaux d'affichage souvent incomplets). Le Dr Chopra a également contesté l'allégation de l'intimé voulant qu'il aurait pu se porter candidat pour tous les postes mentionnés dans les affiches, faisant valoir qu'il ne possédait pas dans la plupart des cas les connaissances spécialisées ou l'expérience nécessaires et que, somme toute, ses chances d'obtenir ces postes auraient été pratiquement nulles. Un des témoins de l'intimé, Mme Sylvia Pollack, la directrice de la Coordination des opérations nationales à Santé Canada, qui s'occupe des questions liées aux ressources humaines dans la Région de la capitale nationale, a émis l'avis que les compétences du plaignant lui auraient permis de franchir au moins l'étape de la présélection dans certains de ces concours. Toutefois, il est à noter que certains des emplois dont elle a fait mention étaient situés loin du lieu de résidence du Dr Chopra (Ottawa), dans des endroits tels que Toronto et Dartmouth, en Nouvelle-Écosse. À mon avis, il n'était pas raisonnable de s'attendre nécessairement à ce que le Dr Chopra pose sa candidature dans le cadre de ces concours.

[78] De plus, Mme Catherine Black, de la CFP, qui a été appelée à témoigner par l'intimé, a expliqué qu'elle encourageait les gens à poser leur candidature uniquement aux postes pour lesquels ils croyaient avoir les compétences voulues, mais qu'elle ne recommandait pas de se porter systématiquement candidats à chaque poste EX à combler.

[79] Cependant, comme le tribunal Soberman l'a fait remarquer à juste titre, le Dr Chopra ne s'est pas porté candidat lorsqu'il a eu connaissance que deux postes pour lesquels il était à n'en pas douter compétent sont devenus vacants à Ottawa. Le premier de ces postes était celui de chef de la Division de l'infection et immunologie au Bureau des médicaments humains prescrits. Il s'agissait du poste que le Dr Davis et lui avaient postulé en 1972. Ce poste est devenu vacant à la suite du départ à la retraite du Dr Davis en 1987. Selon le témoignage non contredit du Dr Chopra, ce poste n'a pas été annoncé et était encore occupé à titre intérimaire au moment où il a témoigné en septembre 1995. En contre-interrogatoire, le Dr Chopra a admis qu'il ne s'était toutefois pas enquis de la possibilité qu'il puisse lui-même remplir le poste vacant, demande qu'il aurait pu adresser au directeur du Bureau, de la même manière qu'il l'avait fait en 1990 lorsqu'il convoitait le poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits. Ce poste n'avait pas non plus été annoncé au moment où il s'était porté candidat.

[80] La deuxième vacance est survenue au sein de la Division de l'innocuité pour les humains, où le Dr Chopra travaillait depuis 1987. Le poste de chef a été annoncé en février 1989, un peu plus d'un an après son arrivée à la division. Le Dr Chopra était conscient que le poste était vacant puisque le Dr MacKay, qui agissait lui-même à titre de chef intérimaire par suite du départ de l'ex-chef, avait pris sa retraite. Le Dr Chopra a dit avoir refusé de poser sa candidature en raison de la révision de la classification. Le Dr MacKay, à l'instar du Dr Chopra, était vétérinaire; jusqu'au moment de son départ à la retraite, le poste était classé VM-05 (comme ceux de deux des trois chefs au sein du Bureau). Toutefois, après le départ du Dr MacKay, le poste a été reclassifié au niveau BI-05, ce qui impliquait qu'il s'agissait d'un poste de biologiste et non pas nécessairement de vétérinaire.

[81] Les vétérinaires (VM) gagnent environ 6 000 $ de plus que les biologistes (BI) de même niveau. Ainsi, lorsque son poste a été reclassifié du niveau BI-04 au niveau VM-04 au moment de sa mutation au Bureau des médicaments vétérinaires, le Dr Chopra a bénéficié de cette augmentation de salaire appréciable. Par conséquent, si le Dr Chopra, dont le poste était classifié VM-04, avait été nommé chef (poste classifié BI-05), il aurait obtenu une augmentation de salaire d'au plus 800 $. Selon le Dr Chopra, il aurait été illogique qu'il se porte candidat, car il aurait assumé un fardeau accru sans obtenir d'avantages financiers. Le seul fait d'être capable de dire qu'il était devenu un gestionnaire n'aurait pas été à ses yeux un avantage. En outre, le Dr Chopra soutient que la reclassification du poste de chef de BI-05 à VM-05 représentait une [Traduction] mesure discriminatoire et aurait signifié qu'il était un [Traduction] chef inférieur aux autres chefs.

vi) Les événements survenus de 1990 à 1992

[82] Les événements décrits ci-après, qui sont survenus durant la période 1990-1992, sont au cœur de la plainte du Dr Chopra.

[83] Début de septembre 1990 : C'était un secret de Polichinelle que le poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits, où le Dr Chopra avait travaillé pendant dix-huit ans, jusqu'en 1987, deviendrait vacant au moment du départ à la retraite de son titulaire, le Dr Gordon Johnson. Depuis de nombreuses années, ce poste était classifié MD-MOF-05, ce qui signifiait que le directeur devait être un médecin autorisé. Cependant, le Dr Johnson n'était pas médecin mais bien pharmacologue. Au moment de sa nomination plusieurs années auparavant, un nouveau poste de directeur adjoint -- Santé avait été créé en vue de l'exécution des tâches du directeur qui exigeaient une licence de médecine.

[84] 13 septembre 1990 : Ayant appris que le poste deviendrait vacant, le Dr Chopra a écrit au Dr Emmanuel Somers, directeur général de la Direction des médicaments, pour proposer sa candidature. Dans sa lettre, le Dr Chopra indiquait qu'il était prêt à occuper le poste pendant une brève période et proposait que lui et les autres candidats assurent, par voie de rotation, l'intérim pendant un certain temps, après quoi on demanderait au gestionnaire le plus efficace de continuer d'assumer les fonctions.

[85] Le même jour, le Dr Liston, qui était à l'époque le sous-ministre adjoint à la tête de la Direction générale de la protection de la santé, a recommandé dans une note destinée au sous-ministre, M. Catley-Carlson, de nommer Mme Claire A. Franklin, directrice intérimaire. Dans cette note, il affirmait que le Ministère :

[Traduction] … cherchait activement un MD-MOF-5, ce qui, selon moi, devrait prendre jusqu'à un an, si nous trouvons un candidat qualifié. Au cours de cette période, il est extrêmement important d'assurer un leadership solide au sein du Bureau des médicaments humains prescrits. Mme Claire A. Franklin a fait montre d'excellentes aptitudes à la gestion jumelées à ses compétences professionnelles, et elle serait intéressée à assumer cette fonction à titre intérimaire. Je recommanderais que Mme Franklin soit nommée directrice par intérim, Bureau des médicaments humains prescrits, au niveau EX-2, à compter du 22 octobre 1990, pour une période de un an.

… Nous préparons en ce moment une description de poste qui sera transmise au personnel en vue d'une classification de niveau EX-2.

Mme Franklin n'est pas bilingue à l'heure actuelle… [Elle] entreprend toutefois en ce moment des cours de langue et je demanderais qu'elle soit libérée de toute obligation linguistique jusqu'au moment où elle pourra incessamment y satisfaire…

[86] Mme Franklin avait déjà été chef de division pendant près de neuf ans au sein de la Direction de l'hygiène du milieu, d'abord à titre de chef de la Division des pesticides (de 1981 à 1984), puis à titre de chef de la Division des intoxications environnementales et professionnelles (de 1984 à 1990). Elle avait une vaste expérience en gestion, mais elle était physiologiste et non médecin. Le Dr Liston avait eu à se pencher de concert avec Mme Franklin sur un problème de toxicité au Canada atlantique; dans son témoignage, il a affirmé que son apport avait été [Traduction] très précieux. Quant à son commentaire voulant qu'elle possède d'excellentes aptitudes à la gestion, il était fondé sur des renseignements que le Dr Somers lui avait fournis.

[87] Comme nous le verrons plus loin, la description de poste ou l'énoncé de qualités auquel le Dr Liston fait référence dans sa note, n'a finalement été rédigé que le 25 mars 1991, avec effet rétroactif au mois d'octobre 1990; aucune exigence voulant que le directeur soit un médecin autorisé n'y était énoncée. En ce qui concerne les exigences en matière de bilinguisme, on avait inscrit la mention non impératif.

[88] 27 septembre 1990 : Dans une lettre destinée au Dr Liston, le Dr Chopra a demandé d'être nommé au poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits et il a proposé que Santé Canada nomme à ce poste une personne ayant une [Traduction] vaste expérience du travail à faire, laissant entendre que la nomination d'individus qui ne connaissaient pas les difficultés opérationnelles inhérentes à l'activité du Bureau avait produit des résultats décevants.

[89] 28 septembre 1990 : Dans sa réponse écrite à la lettre du Dr Chopra, le Dr Liston disait avoir discuté avec le Dr Somers de l'intérêt que le Dr Chopra portait au poste. Le Dr Liston a ajouté que le Dr Somers s'était dit intéressé à confier ce poste à une [Traduction] personne ayant une formation de médecin.

[90] Le même jour, le Dr Liston a fait parvenir au sous-ministre, M. Catley-Carlson, une note demandant que Mme Franklin soit nommée au poste pour une période de quatre mois.

[91] 4 octobre 1990 : Le Dr Somers a écrit au Dr Chopra une lettre précisant ce qui suit : [Traduction] nous avons pris des dispositions provisoires pour que Mme C. Franklin occupe ce poste.

[92] 10 octobre 1990 : Le Dr Chopra a répondu par écrit au Dr Somers. Dans sa lettre, il l'a remercié de l'avoir informé et a ajouté ce qui suit :

[Traduction] Toutefois, je vous saurais gré de bien vouloir m'informer, à votre convenance, des éléments pour lesquels, selon vous, je n'ai pas réussi à satisfaire aux exigences souhaitées pour ce poste. Cela m'aiderait à mieux me préparer pour l'avenir.

[93] Le Dr Somers a répondu à cette lettre par téléphone environ deux semaines plus tard. Au dire du Dr Chopra, ce fut une conversation pénible. Le Dr Somers n'aurait pas vraiment fourni le soutien escompté, empruntant plutôt un ton très cassant. Le Dr Chopra a dit se rappeler que le Dr Somers lui a d'abord dit : Pour certains ça marche, pour d'autres ça ne marche pas. Par la suite, le Dr Chopra a indiqué que lui et le Dr Somers étaient arrivés à Santé Canada en provenance de l'Angleterre à peu près au même moment, et que le Dr Somers était maintenant directeur, tandis que lui n'avait pas encore été nommé à un poste de direction. Poursuivant sur sa lancée, il a indiqué au Dr Somers qu'on avait donné la préférence aux immigrants britanniques pour l'avancement. Après cette remarque, la conversation a pris fin rapidement. Le Dr Somers n'ayant témoigné à aucune des audiences, la seule preuve que nous ayons de cette conversation est fondée sur le témoignage du Dr Chopra.

[94] 22 octobre 1990 : Dans une lettre destinée à la CFP, le Dr Chopra a soulevé la question de l'équité en matière d'emploi et celle à savoir si la dotation, sans concours, du poste de directeur, Médicaments humains prescrits, avait été discriminatoire à l'endroit des minorités visibles. Le même jour, le sous-ministre a approuvé l'affectation à titre intérimaire de Mme Franklin pour une période de quatre mois se terminant le 22 février 1991.

[95] 9 novembre 1990 : Santé Canada a répondu à une demande de renseignements du syndicat du Dr Chopra, l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada (IPFPC). Dans sa réponse, Santé Canada a expliqué que Mme Franklin n'avait pas été nommée au poste mais qu'elle y avait plutôt été affectée, sans concours en bonne et due forme, pour une période de quatre mois. Par conséquent, il n'y avait aucun droit d'appel de cette affectation. L'affectation était valable pour la durée mentionnée et devait permettre à l'intimé de faire des recherches pour trouver un médecin qui pourrait être nommé au poste pour une période indéterminée. Comme on n'avait trouvé aucun médecin qualifié pour l'affectation intérimaire de quatre mois, Mme Franklin avait été nommée pour assurer l'intérim. On l'avait jugée plus compétente que le Dr Chopra, compte tenu de ses [Traduction] excellentes aptitudes à la gestion et de sa [Traduction] plus vaste expérience.

[96] 7 décembre 1990 : Le Dr Chopra a formellement demandé à la Commission de la fonction publique de déterminer si la dotation de ce poste sans concours avait été préjudiciable à ses chances d'avancement.

[97] Janvier-février 1991 : Santé Canada a créé pour le Bureau des médicaments humains prescrits un nouveau poste de directeur EX-02 d'une durée déterminée, dont les exigences étaient les mêmes que pour le poste de directeur MD-MOF-05, si ce n'est que l'exigence voulant que le directeur soit un médecin autorisé avait été éliminée. Au dire de l'intimé, on avait pris des dispositions pour que les fonctions qui exigeaient la qualité de médecin autorisé et qui étaient assumées auparavant par le directeur soient exercées à l'extérieur du Bureau.

[98] 23 février 1991 : Le mandat de Mme Franklin à titre de directrice intérimaire avait pris fin, mais celle-ci a aussitôt été réaffectée à titre intérimaire au poste de directeur EX-02 pour quatre autres mois. Le 25 mars 1991, le sous-ministre de Santé Canada a autorisé la création de ce poste de directeur EX-02, rétroactivement au 19 octobre 1990, soit le jour précédant celui où Mme Franklin avait reçu sa première affectation à titre de directrice. Le poste vacant de MD-MOF-05 a continué d'exister jusqu'au 10 septembre 1991, date où il a officiellement été supprimé.

[99] 10 avril 1991 : En réponse à la demande du 7 décembre 1990 du Dr Chopra, la CFP lui a indiqué qu'à son avis la nomination sans concours de Mme Franklin avait été préjudiciable à ses chances d'avancement, d'autant plus que ni le Dr Chopra ni Mme Franklin n'étaient titulaires d'un permis les autorisant à exercer la médecine au Canada. La CFP a apparemment admis qu'étant donné que l'affectation de Mme Franklin avait été renouvelée après quatre mois, on devait dorénavant considérer qu'il s'agissait d'une nomination et que, par conséquent, celle-ci était susceptible d'appel, conformément à la Loi sur l'emploi dans la fonction publique(19). Fort de l'avis de la CFP, le Dr Chopra a interjeté appel de la mesure prise par l'intimé, conformément à l'article 21 de la Loi, alléguant qu'en procédant à cette affectation intérimaire, Santé Canada ne s'était pas conformé à la Loi du fait qu'il avait [Traduction] fait l'objet d'une exclusion préjudiciable et qu'on l'[avait] privé d'une chance légitime d'avancement.

[100] 22 juin 1991 : L'affectation de Mme Franklin à titre de directrice intérimaire au poste EX-02 d'une durée déterminée a été reconduite.

[101] 9 juillet 1991 : Mme Helen Barkley, du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique, a entendu l'appel du Dr Chopra. Elle a rendu sa décision le 19 juillet 1991(20). Elle a conclu que, aux termes de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, lorsque les gestionnaires compétents considèrent qu'il est dans le meilleur intérêt de la fonction publique de faire une nomination sans tenir de concours, un comité d'appel ne peut renverser cette décision, à moins que celle-ci soit si déraisonnable qu'elle ne saurait être le fait d'une personne raisonnable(21). À la page 12 de la décision, elle a également énoncé la conclusion suivante :

[Traduction] … il n'était pas déraisonnable que le Dr Somers conclue que le Dr Chopra ne satisfaisait pas… [aux exigences relatives à l'expérience en gestion]. L'appelant [le Dr Chopra] avait eu une expérience très limitée à titre de gestionnaire hiérarchique au cours de ses vingt années au sein du Ministère, et l'expérience en gestion acquise plus de vingt ans auparavant pouvait ne pas être pertinente pour ce poste. Comme il avait été établi que l'appelant ne satisfaisait pas à l'une des exigences du poste, le Ministère n'était pas tenu de pousser plus loin son évaluation.

[102] Mme Barkley a néanmoins accueilli l'appel pour le motif que le Ministère n'avait pas établi que Mme Franklin était parfaitement compétente pour le poste de directeur : d'une part, elle ne répondait pas au profil linguistique du poste et, d'autre part, elle ne satisfaisait pas à trois des quatre exigences sur le plan des connaissances(22). L'avocat de l'intimé m'a fait valoir que si l'on était parvenu à cette conclusion, c'est en partie parce que le Dr Somers avait omis de faire témoigner Mme Franklin devant Mme Barkley, croyant à tort que l'audience ne visait pas à examiner la compétence de Mme Franklin. Toutefois, cette explication a apparemment été fournie dans un affidavit du Dr Somers qui a été déposé devant la Cour fédérale lors de l'instance instituée en décembre 1991 par le Dr Chopra, qui est décrite plus en détail plus loin. Comme cette preuve ne m'a pas été présentée, pas plus d'ailleurs qu'au tribunal Soberman, je n'y accorde pas beaucoup d'importance.

[103] Néanmoins, en dépit des protestations du Dr Chopra et d'Iris Craig, présidente de l'IPFPC, Mme Franklin a continué d'agir comme directrice pendant les deux mois qui ont suivi. L'intimé a toutefois soutenu que les ministères attendent habituellement que la CFP émette une directive avant de prendre des mesures à la suite d'une décision du CACFP. En l'occurrence, la directive énonçant les mesures de redressement à prendre a été émise le 22 août 1991. Elle exigeait qu'on mette fin à la nomination à titre intérimaire de Mme Franklin à compter du 20 septembre 1991. Dans une lettre à Mme Craig, la CFP a expliqué plus tard que ces retards étaient imputables à des [Traduction] problèmes administratifs.

[104] 20 septembre 1991 : Il semble que, malgré la directive de la CFP, Mme Franklin ait continué d'agir comme directrice après cette date. L'intimé a affirmé qu'on lui avait simplement demandé de remplir les fonctions du poste en attendant qu'on termine le processus de sélection en règle en vue de la nouvelle nomination à titre intérimaire, et que sa présence était essentielle en raison de la grève déclenchée à l'époque par l'Alliance de la fonction publique du Canada qui perturbait particulièrement l'activité du Bureau des médicaments humains prescrits. En fait, le répondant a fait valoir qu'il n'y avait aucune solution de rechange réaliste et efficace en ce qui touche la dotation du poste à ce moment-là et que, de toute façon, un agent principal de dotation de la CFP avait, à peine neuf jours auparavant, conclu que Mme Franklin était tout à fait compétente pour le poste de directeur.

[105] Cette explication n'est étayée elle aussi que par des déclarations figurant dans des affidavits déposés dans le cadre de l'instance devant la Cour fédérale à laquelle nous avons fait référence ci-haut. Comme cette preuve n'a pas été entendue par ce tribunal, et en dépit du fait que l'un des auteurs des affidavits, Mme Gael McLean, a témoigné devant moi sans jamais faire état de ces points, je ne tirerai de celle-ci aucune conclusion.

[106] Le fait demeure que Mme Franklin a continué d'occuper le poste de directeur après la date mentionnée dans la directive de la CFP.

[107] 30 septembre 1991 : Comme elle continuait d'occuper le poste de directeur, le Dr Chopra a informé la CFP de son désir d'en appeler du maintien de sa nomination.

[108] 17 octobre 1991 : M. Robert Cousineau, directeur exécutif de la CFP, a répondu par écrit au Dr Chopra. Il l'a informé que la nomination de Mme Franklin avait pris fin le 20 septembre et que deux concours seraient tenus. Le premier concours viserait à nommer quelqu'un à titre intérimaire pour une période de quatre mois, tandis que le deuxième aurait pour but de nommer un titulaire pour une période indéterminée. M. Cousineau a expliqué que Mme Franklin continuerait, entre temps, d'exercer les responsabilités du poste de directeur à son [Traduction] niveau de titularisation; autrement dit, elle conservait la classification et le salaire qu'elle avait avant sa mutation au Bureau des médicaments humains prescrits, tout en comblant le poste de directeur d'une façon moins formelle que s'il s'agissait d'une affectation. Vu cet arrangement informel, il n'y avait pas, selon M. Cousineau, de nomination réelle ou proposée susceptible d'appel.

[109] 25 octobre 1991 : La CFP a annoncé la tenue d'un concours interne afin de doter, pour une période indéterminée, le poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits. Il s'agissait d'un poste bilingue à nomination impérative. Les exigences sur le plan des connaissances avaient été modifiées afin d'être moins restrictives, au dire du Dr Chopra. Le concours était ouvert exclusivement aux employés occupant un poste de niveau SM (haute direction) ou supérieur, c'est-à-dire aux personnes qui occupaient déjà un poste de cadre intermédiaire de premier échelon comme celui de chef de division. Le poste du Dr Chopra était classifié VM-04 (un niveau en-dessous du niveau SM); par conséquent, il n'était pas admissible au concours.

[110] 29 octobre 1991 : Le Dr Chopra a répondu à la lettre du 17 octobre 1991 de M. Cousineau. Il lui a dit qu'il n'était pas d'accord avec la conclusion de la CFP voulant qu'on accepte sans mot dire que Mme Franklin puisse continuer d'agir dans les faits comme directrice tout en conservant techniquement son niveau de titularisation antérieur. Il se disait frustré de constater que Mme Franklin qui, selon une constatation antérieure de la CFP, n'était [Traduction] pas parfaitement compétente, ait à nouveau été [Traduction] nommée sans qu'on tienne dûment compte de sa candidature. En terminant, le Dr Chopra exprimait l'opinion que les mesures prises par l'intimé représentaient une violation flagrante de ses droits à l'équité et déclarait ce qui suit :

Veuillez considérer cette lettre comme mon dernier plaidoyer en faveur d'un comportement impartial de la part de la Commission de la fonction publique et de Santé et Bien-être social Canada. Si on fait la sourde oreille, je n'aurai d'autre choix que d'instituer des procédures judiciaires.

[111] 25 novembre 1991 : À la suggestion de la Direction générale de l'administration du personnel de Santé Canada, le Dr Liston a fait parvenir au Dr Chopra une note faisant référence à son intérêt à acquérir de l'expérience dans des fonctions de haute direction. Fort de l'information fournie par la Direction générale de l'administration du personnel, le Dr Liston a recommandé que le Dr Chopra s'adresse au Service d'évaluation et d'orientation professionnelle (SEOP) de la CFP. Même si le SEOP s'occupait uniquement des cadres de direction, le Dr Liston disait être prêt, dans la mesure où le Dr Chopra était intéressé, à proposer sa candidature afin d'assurer son admission au programme. Le Dr Liston a joint à sa lettre une brochure décrivant le SEOP et a fourni au Dr Chopra le nom et le numéro de téléphone de la personne à contacter pour obtenir de plus amples renseignements.

[112] 28 novembre 1991 : Le Dr Chopra a répondu au Dr Liston. Il l'a remercié de sa note et a indiqué qu'il serait heureux de [Traduction] faire l'essai du SEOP. Le Dr Liston a alors fait parvenir au Dr Chopra une note expliquant que s'il avait proposé ce counseling professionnel, c'est parce qu'il avait lui-même fait récemment l'expérience de [Traduction] quelque chose de similaire et qu'il avait trouvé cela extrêmement utile.

[113] 4 décembre 1991 : Le Dr Chopra s'opposait encore au fait que la CFP maintienne Mme Franklin au poste de directeur, de même qu'à la décision d'exclure du concours visant à doter le poste pour une période indéterminée les fonctionnaires comme lui qui n'étaient pas des cadres supérieurs. La CFP et l'intimé n'ont apporté aucun changement en dépit de l'intervention du syndicat du Dr Chopra, l'IPFPC. Par conséquent, conformément aux intentions qu'il avait déclarées, le Dr Chopra a déposé devant la Cour fédérale, le 4 décembre 1991, une requête visant à faire révoquer par voie d'ordonnance la nomination de Mme Franklin.

[114] 4 février 1992 : Vers la fin de janvier 1992, la secrétaire du Dr Liston a téléphoné au Dr Chopra pour convenir d'une rencontre. À la date convenue (4 février), le Dr Liston et le Dr Chopra ont eu un entretien seul à seul; le lendemain, le Dr Chopra a rédigé un [Traduction] compte rendu de la conversation, qui a été déposé en preuve. Dans son témoignage, le Dr Liston a affirmé qu'il ne connaissait pas l'existence de ce compte rendu et qu'il ne l'avait jamais vu. Il n'avait lui-même pris aucune note et ne se souvenait pas que le Dr Chopra en ait prises.

[115] Au dire du Dr Chopra, il a surtout été question lors de la rencontre de sa compétence pour occuper un poste de direction. Le Dr Liston lui a demandé pourquoi il ne s'était pas porté candidat à de tels postes. Le Dr Chopra a répondu qu'il n'y avait pas eu de concours au sein de la Direction générale. Dans son témoignage, le plaignant a affirmé que le Dr Liston avait convenu qu'il avait la compétence nécessaire pour occuper un poste se situant quelque part entre les niveaux EX-01 et EX-02. Le Dr Chopra a dit se souvenir que le Dr Liston était [Traduction] manifestement convaincu qu'on ne lui avait peut-être pas donné une chance égale d'obtenir de l'avancement et qu'il lui avait fourni l'assurance qu'on lui donnerait à l'avenir l'occasion de concourir. Le sous-ministre adjoint a également fourni au Dr Chopra l'assurance que les procédures judiciaires ne seraient pas retenues contre lui.

[116] Le souvenir que le Dr Liston a de la rencontre est quelque peu différent. Il a affirmé dans son témoignage que la Direction générale de l'administration du personnel de Santé Canada lui avait demandé de s'enquérir des raisons pour lesquelles le plaignant ne s'était pas adressé au SEOP pour obtenir des conseils de nature professionnelle, comme le Dr Liston lui avait suggéré de le faire dans sa note du 25 novembre 1991. C'était là le seul sujet de discussion prévu. Selon le Dr Liston, c'est le Dr Chopra qui a abordé d'autres sujets que celui du counseling professionnel. Le compte rendu du Dr Chopra confirme que le Dr Liston a soulevé cette question au début de la rencontre. Le Dr Liston nie avoir dit au Dr Chopra qu'on lui avait refusé une chance égale de concourir pour le poste de directeur, Médicaments humains prescrits. Bien qu'il se souvienne d'avoir acquiescé à l'idée voulant que le Dr Chopra puisse occuper un poste se situant entre le niveau EX-01 et le niveau EX-02, il ne s'agissait selon lui que d'une [Traduction] réponse polie à une question qui l'avait pris par surprise. Le Dr Liston a affirmé que, compte tenu de l'information qu'il possédait à ce moment-là, il n'était pas en mesure de faire une évaluation aussi précise. En tout état de cause, il ne fait aucun doute que la rencontre a eu lieu et que la question de l'avancement du Dr Chopra à un poste de direction a été abordée.

[117] Dans sa plainte, le Dr Chopra a déclaré qu'il avait perçu comme une [Traduction] menace la suggestion du Dr Liston au sujet des services d'orientation professionnelle offerts par le SEOP ainsi que son assurance voulant que les procédures judiciaires en instance ne nuiraient pas à sa carrière. Dans son témoignage, le Dr Chopra a dit avoir [Traduction] perçu [les commentaires] comme une menace, en partie parce que le Dr Liston avait répété ces points à plusieurs reprises. Cependant, le compte rendu qu'il a rédigé ne fait pas état de cette menace qu'il aurait perçue.

[118] 13 février 1992 : Dans les jours qui ont suivi la rencontre avec le Dr Liston, le Dr Chopra et Santé Canada sont parvenus à s'entendre sur un règlement au sujet de la requête présentée à la Cour fédérale en vue de faire révoquer la nomination de Mme Franklin. Cette entente, qui a fait l'objet d'une ordonnance rendue par le juge Joyal le 13 février 1992, comportait essentiellement les conditions suivantes :

  • Mme Franklin serait affectée sans tarder à d'autres fonctions;
  • Santé Canada demanderait officiellement à la CFP de tenir un tout nouveau concours afin de doter, pour une période indéterminée, le poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits;
  • le Dr E. Somers ne participerait en aucune façon au processus de dotation et de sélection.

[119] En ce qui concerne la première condition, Mme Franklin a été affectée à un autre poste. Le Dr Chopra a exprimé son mécontentement à l'égard de cette affectation. Il a prétendu qu'elle avait été [Traduction] affectée à un programme tout à fait nouveau et qu'elle relevait directement du sous-ministre. Il voulait ainsi insinuer qu'il s'agissait d'un [Traduction] poste spécial et d'une preuve de favoritisme à son endroit.

[120] 16 mars 1992 : Le Dr Chopra a déposé un grief en vertu de la convention collective, alléguant que la clause de non-discrimination avait été enfreinte, étant donné que, depuis le 22 octobre 1990, il était [Traduction] victime de discrimination, de restriction, d'ingérence et de harcèlement (abus d'autorité) du fait de [son] origine ethnique.

[121] Du 6 au 20 mars 1992 : La CFP a annoncé la tenue d'un concours interne pour combler le poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits. Ce concours était ouvert aux employés occupant un poste au niveau EX moins un ou à un niveau supérieur, ce qui incluait les employés comme le Dr Chopra qui était au niveau VM-04. Il s'agissait d'un poste bilingue à nomination impérative. Les exigences sur le plan des connaissances avaient à nouveau été modifiées par rapport à celles décrites dans l'énoncé antérieur de qualités en date du 25 octobre 1991. De l'avis du Dr Chopra, la révision avait pour effet d'étendre la portée des critères applicables, ce qui facilitait la présélection de Mme Franklin.

[122] Une recherche menée à l'aide du SIRG à l'échelle de la fonction publique et la diffusion d'un bulletin annonçant la vacance ont permis de recenser dix-huit candidats à l'étape de la présélection, y compris le Dr Michele Brill-Edwards, le Dr Chopra et Mme Franklin. Le Dr Brill-Edwards avait agi comme directrice adjointe intérimaire -- Santé auprès de l'ancien directeur, le Dr Johnson, avant son départ, de même qu'auprès de Mme Franklin, durant son affectation à titre de directrice intérimaire.

[123] 31 mars 1992 : Le jury de présélection chargé d'examiner toutes les candidatures et de déterminer celles qui ne satisfaisaient pas aux exigences fondamentales du poste a rejeté la candidature du Dr Chopra parce que celui-ci ne possédait pas l'expérience en gestion nécessaire, c'est-à-dire plus précisément parce que son expérience dans ce domaine n'était pas [Traduction] récente. L'énoncé de qualités précisait uniquement qu'il fallait avoir de l'expérience en gestion et n'indiquait aucunement dans quelle mesure cette expérience devait être récente, mais le guide de présélection ajoutait le terme récent pour chacun des trois types d'expérience requis. La preuve révèle que sur les dix personnes éliminées à la présélection en raison de leur manque d'expérience en gestion, seul le Dr Chopra a été exclu du fait qu'il n'avait pas une expérience en gestion récente. Toutefois, d'autres candidatures ont été éliminées à la présélection du fait que les intéressés n'avaient pas d'expérience récente dans les deux autres catégories.

[124] Conformément au règlement hors cour intervenu en février 1992, le Dr Somers n'a pas siégé au jury de présélection et au jury de sélection dans le cadre de ce concours; il a été remplacé par le Dr Liston. Les candidatures de Mme Franklin et du Dr Brill-Edwards ont été retenues à la présélection; toutefois, on a jugé par la suite que le Dr Brill-Edwards n'avait pas la compétence voulue, mais que Mme Franklin était compétente. Le profil linguistique de Mme Franklin avait changé depuis août 1991, alors qu'elle avait réussi les tests d'aptitude linguistique et avait atteint de ce fait le niveau de bilinguisme mentionné dans l'énoncé de qualités du poste.

[125] Le Dr Chopra soutient qu'on avait renoncé à l'exigence en matière de bilinguisme dans le premier énoncé de qualités, qui était entré en vigueur en octobre 1990, afin d'aider Mme Franklin à obtenir la nomination intérimaire, et que ladite exigence avait été rétablie après qu'elle eut réussi ses tests d'aptitude linguistique. Par ailleurs, Mme Gael McLean, qui coordonne la dotation en personnel à Santé Canada, a affirmé dans son témoignage qu'il est très fréquent, dans le cas d'une nomination intérimaire, de ne pas appliquer les exigences linguistiques les plus rigoureuses du fait qu'on peut faire montre d'une plus grande souplesse, compte tenu du caractère provisoire de la mesure. En fait, Mme Helen Barkley, du CACFP, dans sa décision du 19 juillet 1991, a indiqué que les règles applicables permettent une telle exemption pour une période d'au plus quatre mois. Les nominations de Mme Franklin ont porté sur une période plus longue. En ce qui touche les deux concours tenus afin de doter, pour une période indéterminée, le poste de directeur, Médicaments humains prescrits (octobre 1991 et mars 1992), Mme McLean a allégué que l'intention de l'intimé avait toujours été de maintenir l'exigence de dotation bilingue impérative, qui constitue la norme pour les nominations à des postes de EX dans la fonction publique.

[126] En outre, le plaignant a allégué que les modifications apportées aux exigences sur le plan des connaissances visaient également à faire en sorte que les difficultés auxquelles on s'était heurté par suite de la décision du 19 juillet 1991 de Mme Barkley ne se répéteraient pas et que Mme Franklin serait jugée compétente et, par conséquent, retenue à la présélection.

[127] 21 avril 1992 : Mme Franklin étant l'unique candidat admissible, la CFP a confirmé sa nomination à titre de directrice. Les Drs Chopra et Brill-Edwards en ont appelé de la décision du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique.

[128] 27 juillet 1992 : Gaston Carbonneau, du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique, a rendu sa décision. Les deux appels ont été rejetés(23). Les conclusions de M. Carbonneau étaient les suivantes :

[Traduction]

  • il était loisible au Ministère, en raison de ses prérogatives patronales, de restructurer le Bureau des médicaments humains prescrits afin d'éliminer la nécessité d'affecter un médecin autorisé, soit au poste de directeur, soit à celui de directeur adjoint; il n'a commis aucun abus en établissant la nouvelle classification et le nouveau profil de sélection pour le poste de directeur;
  • le jury de présélection et le jury de sélection ont agi de bonne foi et sans partialité, et leurs conclusions, y compris la présélection et la sélection de Mme Franklin à titre de directrice, n'étaient pas déraisonnables;
  • le Dr Chopra n'avait pas l'expérience en gestion nécessaire au moment où sa candidature a été éliminée à la présélection.

[129] Les Drs Chopra et Brill-Edwards ont saisi la Cour fédérale d'une requête en annulation de la décision de M. Carbonneau. Le 23 novembre 1993, le juge Frederick E. Gibson, de la Cour fédérale, a rendu son jugement déboutant les requérants. Il a statué qu'il n'y avait aucune raison de modifier la décision par laquelle le Comité d'appel avait reconnu le bien-fondé de la présélection de Mme Franklin. Il a conclu que le CACFP n'avait pas commis d'erreur en ne décelant aucun accroc au principe du mérite. La Cour n'a pas soulevé la question de la compétence du Dr Chopra ni le fait qu'il ait été éliminé à la présélection(24).

[130] La Commission et le plaignant soutiennent qu'on devrait accorder peu d'importance, voire aucune, au résultat de cet appel, étant donné qu'à cette époque ni le Dr Chopra ni M. Carbonneau n'étaient conscients des commentaires formulés par le Dr Liston dans la note rédigée par Shirley Cuddihy, dont il est question ci-dessous, ainsi que de l'influence que les opinions exprimées dans cette note ont pu avoir sur les décisions du Dr Liston. Fait intéressant, M. Carbonneau a fait remarquer dans sa décision que le Dr Liston avait participé aux processus de dotation antérieurs pour le poste de même qu'au processus courant et que les exigences les plus récentes définies pour ce poste avaient été établies par le gestionnaire embaucheur, le Dr Liston(25).

[131] 1er septembre 1992 : À la suite du dépôt par le Dr Chopra de son grief le 16 mars 1992, le sous-ministre Catley-Carson a mené le 12 août 1992 une audience, qui constituait la dernière étape de la procédure de règlement des griefs au sein du Ministère, avant de s'adresser à la Commission des relations de travail dans la fonction publique. Ont assisté à l'audience plusieurs personnes, dont les Drs Liston et Somers, la représentante de l'IPFPC, Danielle Auclair, et Mme Shirley Cuddihy, chef des Relations de travail, Opérations, à la Direction des ressources humaines de Santé Canada. Durant cette audience, le Dr Chopra a affirmé qu'on lui avait refusé de l'avancement au niveau EX du fait d'une discrimination raciale. Après l'audience, le sous-ministre a demandé à la Direction des ressources humaines de s'enquérir auprès de la haute direction des raisons pour lesquelles le Dr Chopra n'avait pas été promu à des niveaux de gestion. Mme Cuddihy s'est vu confier cette tâche.

[132] Mme Cuddihy a donc rencontré les Drs Liston et Somers, chacun séparément, le 27 août 1992. Au cours des conversations, elle a pris des notes à partir desquelles elle a rédigé une note (la note Cuddihy) qu'elle a transmise par courrier électronique à son superviseur, Rod Ballantyne, le 1er septembre 1992. Sont reproduits ci-après les extraits de la note ayant trait à ces conversations.

[Traduction]

Tel que promis, voici les notes que j'ai prises lors de mes conversations avec les Drs Liston et Somers.

Le Dr Liston a émis à la fois des commentaires de nature générale et des commentaires portant particulièrement sur S. Chopra.

Généralités :

Les employés que l'on pressent uniquement pour des postes de nature technique semblent mieux s'en tirer que lorsqu'on les pressent pour des postes de gestion. Les différences culturelles sont réduites au minimum lorsqu'il est uniquement question de la démarche scientifique. Toutefois, lorsqu'on se met à examiner les compétences non techniques comme l'aptitude à communiquer, à influencer, à négocier, très souvent, leur patrimoine culturel n'a pas mis l'accent sur ces questions et ces gens sont défavorisés.

La capacité d'interagir avec divers intervenants comme les représentants de l'industrie, de même que sur le plan interne avec les collègues, les subordonnés et les supérieurs, est importante. En outre, nous faisons des affaires à la façon nord-américaine : nous appliquons le modèle consensuel, qui est très étranger à certaines cultures.

Il semble que le Dr Liston ait eu un certain nombre d'entretiens avec Ivy Williams à ce sujet. Il y a cependant un léger paradoxe dans le fait de mettre l'accent sur ce qu'il faut à notre avis changer, parce que nous courons le risque d'avoir à nous défendre contre des accusations d'assimilation. Il affirme que nous devons offrir une formation aux membres des groupes minoritaires -- nous devons leur présenter un miroir, et leur dire : à cause de votre origine culturelle, vous devez mieux communiquer pour en venir à adopter un style moins autoritaire. Ce n'est pas un problème de couleur, mais bien de culture, et ce n'est pas un problème de la direction générale ni même du Ministère, mais cela semble se produire le plus souvent dans des ministères comme le nôtre qui sont à vocation technique ou scientifique.

Détails relatifs à S. Chopra.

Il est autoritaire.

Il voyait dans [Shiv Chopra] une grande connaissance théorique et pensait qu'il avait avantage à acquérir des compétences non techniques. [Shiv Chopra] avait un style porté à l'affrontement dont les effets ne se sont manifestés que quelque temps après son affectation au poste de consultation rattaché au Dr Liston. Les gens l'évitaient après une certaine période plutôt que d'être contestés [sic] par lui.

[Shiv Chopra] n'est pas un négociateur -- il ne se fait pas d'alliés facilement.

Il ne s'est pas placé dans une situation propice pour se préparer à occuper des postes au niveau de la haute direction.

L'ENTREVUE AVEC LE Dr SOMERS

La rencontre avec le Dr Somers n'a apporté que peu de résultats concrets. L'élément d'information objectif et utile a trait à un thème indiqué par le Dr Liston et porte sur le manque d'initiative dont a fait preuve [Shiv Chopra] lorsqu'il s'est agi de postuler des postes à des niveaux de plus en plus élevés. Ils m'ont donné une liste de treize postes pour lesquels [Shiv Chopra] aurait pu poser sa candidature mais pour lesquels il s'est abstenu de le faire. Il s'agit précisément des postes mentionnés par Gael [McLean] lors de son témoignage sous serment.

Le témoignage de Gael McLean dont il est question dans la note est celui qui a été rendu dans le cadre de l'instance instruite par le juge Gibson, que j'ai qualifiée de Décision Chopra no 5.

[133] Le Dr Liston ne nie pas avoir eu cette rencontre avec Mme Cuddihy, mais il conteste son explication quant à son but. À son avis, le sujet de l'entretien avec Mme Cuddihy était le Comité consultatif sur les minorités visibles (CCMV). Le CCMV avait été créé par le sous-ministre Catley-Carlson en 1991. Il avait pour mandat de prodiguer des conseils au sujet du recrutement, du maintien en fonctions et de la promotion des membres des minorités visibles à Santé Canada, en réponse à la préoccupation voulant que ceux-ci soient sous-représentés à certains niveaux au sein du ministère. Ce comité était sous la présidence de Mme Ivy Williams, qui faisait elle-même partie d'une minorité visible. Outre Mme Williams, le comité compte des représentants de chaque direction générale. Le Dr Liston, qui faisait lui-même partie de ce comité, a désigné le Dr Chopra pour représenter la Direction générale de la protection de la santé. Mme Cuddihy était chargée de fournir un soutien administratif au CCMV. Le Dr Liston a affirmé que lorsqu'elle a demandé à le rencontrer, il a présumé que c'était pour recueillir des suggestions susceptibles d'être incorporées aux recommandations du comité. Le Dr Liston a souligné que la nature générale de la première partie de la note démontrait que les discussions avaient trait au CCMV et non au plaignant. Le Dr Liston dit avoir été pris par surprise lorsque Mme Cuddihy a finalement fait dévier la conversation sur le Dr Chopra. Il a également affirmé dans son témoignage qu'il n'avait pas vu à ce moment-là la note et qu'il n'en connaissait pas non plus l'existence.

[134] Il est important de noter que le Dr Chopra ne connaissait pas non plus l'existence de ladite note ni de son contenu lorsqu'il a déposé sa plainte devant la Commission. Ce n'est que plusieurs années plus tard qu'il a appris l'existence du document, lorsqu'il en a obtenu une copie de l'intimé à la suite de la présentation d'une demande conformément à la Loi sur l'accès à l'information(26). Il convient également de noter que l'arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique qui a par la suite entendu le grief du Dr Chopra, déposé le 16 mars 1992, a finalement statué le 9 mars 1994 qu'il n'avait pas la compétence nécessaire pour se pencher sur le grief puisque le paragraphe 91(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique(27) n'autorisait un tel recours que si aucun autre recours administratif de réparation n'était possible sous le régime d'une loi fédérale. Dans un arrêt rendu le 31 août 1995, la Cour fédérale du Canada a fait sienne la conclusion de l'arbitre voulant que, dans le cas du Dr Chopra, la LCDP offre un tel recours(28).

[135] 16 septembre 1992 : Le Dr Chopra a déposé la présente plainte devant la Commission canadienne des droits de la personne. Il a allégué que l'intimé l'avait défavorisé en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique, contrevenant ainsi à l'article 7 de la LCDP. Les détails de la plainte ont trait principalement aux événements survenus entre 1990 et 1992 par rapport au poste de directeur, Médicaments humains prescrits. Dans sa plainte, le Dr Chopra a également fait référence à la manière dont ses évaluations de rendement avaient été traitées au cours de la même période, ainsi qu'à d'autres mesures défavorables.

D. Autres événements -- Discrimination présumée contre le plaignant

[136] Dans sa plainte, le Dr Chopra a allégué qu'il avait été traité injustement en raison de la manière dont ses évaluations de rendement ont été établies durant la période 1990-1992. À son avis, ce traitement dont il a fait l'objet est attribuable à sa couleur, à race et à son origine nationale ou ethnique. Dans sa plaidoirie finale, l'avocat de la Commission a également fait état d'un autre concours tenu en 1993, ainsi que d'un incident mettant en cause un délégué syndical et d'un grief déposé contre le plaignant après le dépôt de la plainte relative aux droits de la personne, afin de démontrer le caractère permanent du traitement discriminatoire. Je ferai remarquer qu'à part la question des évaluations de rendement, ces éléments n'ont pas été abordés dans la décision du tribunal Soberman, et ce même si tous les éléments de preuve qui s'y rattachent ont été présentés dans le cadre de la première audience.

i)Évaluations de rendement de 1991 et 1992

[137] L'examen du rendement du Dr Chopra et son évaluation à titre d'employé pour l'exercice se terminant le 31 mars 1991 ont été effectués en avril 1991 par son superviseur, le Dr Yong. Sous la rubrique Compétences, capacités et aptitudes figure la description suivante :

[Traduction] Comme d'habitude, le Dr Chopra s'est avéré un bon atout pour la DIH [Division de l'innocuité pour les humains]. Sa capacité de communiquer efficacement, ses qualités interpersonnelles, sa discrétion, son tact, sa courtoisie et sa volonté de s'adapter ont contribué à la très grande harmonie et à l'efficience de la DIH. Ses communications avec les clients, plus particulièrement avec le secteur industriel, sont dignes de mention.

Sous la rubrique suivante -- Facteurs ayant une influence sur le rendement -- figurent les commentaires positifs suivants :

[Traduction]

Le Dr Chopra est un travailleur énergique et imaginatif et il exige peu de surveillance.

Le Dr Chopra est prêt à entreprendre des travaux nouveaux et pleins de défis. Il a une expérience considérable de la gestion qui, au sein de la DIH, ne pouvait pas être exploitée complètement. Apparemment, depuis sa dernière évaluation, il tente de trouver d'autres possibilités de carrière au sein du Ministère et ailleurs. Toutefois, en raison de restrictions et d'autres difficultés, aucune occasion réelle ne semble s'être présentée pour lui. Nous espérons toutefois que la situation pourra s'améliorer à l'avenir et que le Ministère pourra lui trouver une meilleure affectation, qui corresponde mieux à ses qualifications et à son potentiel. [Mis en italique par le tribunal]

Toutefois, sur la photocopie déposée en preuve devant le tribunal Soberman, les mots en italique ont été rayés au stylo. Les mots [Traduction] [le Dr Chopra] travaille avec peu de [surveillance] directe ont été rajoutés au-dessus de la première phrase. Au-dessus de la troisième phrase, les mots [Traduction] [il] a manifesté de l'intérêt à l'égard de la [gestion] mais… ont été rajoutés en remplacement de l'allusion précédente à son [Traduction] expérience considérable de la gestion. Comme l'a souligné le tribunal Soberman, ces modifications n'ont pas été expliquées dans la preuve, et bien que le Dr Chopra ait affirmé que l'auteur des notes était le Dr Ritter, directeur du Bureau des médicaments vétérinaires, ni ce dernier ni aucun autre témoin n'a été appelé à confirmer cette affirmation.

[138] L'examen du rendement du Dr Chopra et son évaluation à titre d'employé pour l'exercice suivant (1991-1992), qui ont été effectués en avril 1992, ont apparemment fait l'objet de plusieurs versions. La première version renfermait l'énoncé suivant :

[Traduction]

Le Dr Chopra travaille avec peu de surveillance directe. Même s'il a exprimé de l'intérêt à l'égard de la gestion, il n'existe aucun poste ou affectation qui lui convienne au sein du Ministère. [Mis en italique par le tribunal]

On a par la suite rédigé plusieurs nouvelles versions qui ont donné lieu à des divergences d'opinions entre le Dr Chopra et ses supérieurs. Le Dr Chopra a déclaré en preuve avoir été d'accord avec la première formulation élaborée par son chef de division, le Dr Yong, qui lui aurait toutefois dit qu'il lui faudrait d'abord consulter le directeur du Bureau, le Dr Ritter. Dans la deuxième version, les mots précités mis en italique ont été radiés et remplacés par les mots suivants :

[Traduction]

… il ne s'est pas porté candidat à un poste de chef à titre intérimaire qui s'est ouvert au sein du Bureau. Le Dr Chopra n'a pas non plus demandé de participer à des conférences ou à l'exposition du Bureau.

Le Dr Chopra s'est opposé à ce libellé et, après plusieurs révisions, il semble que le libellé original ait été repris dans la version finale.

[139] Chaque version de l'évaluation reprenait aussi le commentaire suivant du Dr Chopra :

[Traduction]

Demande a été faite au Ministère de permettre l'expérience d'un poste de haute direction, soit par nomination à titre intérimaire, soit dans le cadre du PAM. Même s'il existait de nombreux postes et que des affectations ont été accordées à d'autres, aucune occasion de ce genre ne m'a été offerte, et aucune raison n'a été avancée.

[140] Le Dr Chopra a soutenu dans sa plaidoirie finale que ces modifications réelles ou tentatives de modification à son évaluation de rendement ont été faites par l'intimé dans l'intention de préparer une défense à son allégation imminente de discrimination.

ii) Décembre 1993 -- Concours pour doter le poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires

[141] En décembre 1993, le Dr Chopra s'est porté candidat au poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires, classifié au niveau EX-02. Dans son témoignage, il a dit avoir vu l'avis annonçant ce concours avant de présenter sa candidature. Le jury de présélection a rejeté sa candidature pour le motif qu'il ne satisfaisait pas à deux des trois facteurs d'expérience mentionnés dans l'énoncé de qualités : i) expérience dans la gestion d'un organisme scientifique, médical ou vétérinaire dont les programmes sont polyvalents; et ii) expérience à titre de représentant ministériel auprès d'organismes extérieurs, y compris les médias et les organismes internationaux. En ce qui concerne le premier critère, on a jugé que son expérience n'était pas récente, comme l'exigeait le guide de présélection élaboré par le jury de présélection. Pour ce qui est du deuxième critère, on a estimé que rien ne démontrait qu'il avait eu de l'expérience sur le plan des relations avec les médias à titre de représentant de Santé Canada. On a jugé que le Dr Timothy Scott était le seul candidat parfaitement compétent, et c'est lui qui a obtenu le poste.

[142] Le Dr Chopra en a appelé de la nomination, alléguant que ses compétences et celles du Dr T. Scott n'avaient pas été bien évaluées. Le 14 novembre 1994, Mme Helen Barkley, du Comité d'appel de la Commission de la fonction publique, a rejeté l'appel(29). Dans sa décision, Mme Barkley a conclu que c'est à titre de simple citoyen et non à titre de représentant ministériel, que le Dr Chopra avait eu des rapports avec les médias, et que, de toute façon, ces rapports avec eu trait à des questions sociales. Donc, [Traduction] il ne possédait pas l'expérience de gestion qu'exigeait le poste. Elle a ajouté qu'elle n'avait décelé aucune preuve de préjugé de la part de l'un ou l'autre des membres du jury de présélection, Mme Francine Krueger, de la CFP, et le Dr Saul Gunner, directeur général de la Direction des aliments, dont faisait partie le Bureau des médicaments vétérinaires.

iii) Incident mettant en cause un délégué syndical

[143] Le Dr Chopra a soutenu que le Dr Gunner avait fait en 1993 un commentaire diffamatoire à son endroit, après qu'il eut déposé sa plainte en matière de droits de la personne; il considère cet incident comme une preuve circonstancielle supplémentaire de l'[Traduction] attitude raciste de la direction, derrière des portes closes. Apparemment, quelque temps après la décision de faire relever le Bureau des médicaments vétérinaires de la Direction des aliments, le directeur général, le Dr Gunner, a rencontré le délégué syndical de l'IPFPC, D.R. Casorso; à cette occasion, il s'est enquis de l'existence de [Traduction] problèmes syndicaux au Bureau. Durant cet entretien, le Dr Gunner a posé à M. Casorso des questions au sujet de l'affaire Chopra. Lors d'une réunion subséquente à laquelle ont participé plusieurs membres du syndicat, M. Casorso a fait état des points abordés lors de cette discussion et notamment de la référence au plaignant. Le Dr Chopra s'est offusqué du fait qu'on n'ait pas abordé directement avec lui les questions qui le concernaient; par conséquent, il a déposé un grief demandant qu'on juge [Traduction] inconvenante la conduite du Dr Gunner à son endroit. M. Casorso lui ayant présenté ses excuses, le Dr Chopra a ultérieurement retiré son grief [Traduction] en signe de bonne foi.

iv) Plainte du Dr Drennan à l'encontre du Dr Chopra

[144] Le 6 décembre 1993, le Dr Chopra a obtenu un grand nombre de documents qui le concernaient, à la suite d'une demande qu'il avait présentée en vertu de la Loi sur l'accès à l'information. Il a découvert parmi les documents une note qui avait été rédigée le 23 juillet 1990 par le Dr W. Drennan, qui travaillait lui aussi au Bureau des médicaments vétérinaires, note qui se trouvait encore dans son dossier personnel. Dans cette note prenant la forme d'une plainte adressée au Dr Yong, le Dr Drennan précisait qu'il avait confronté, le 11 juillet 1990, le Dr Chopra parce que celui-ci avait négligé de traiter promptement une demande concernant l'utilisation d'un certain médicament pour le traitement de la volaille en Saskatchewan. Il semble que le Dr Yong ait conclu à l'époque que la plainte n'était pas fondée et que le Dr Chopra n'avait pas agi de façon inconvenante. Par conséquent, il n'a pas donné suite à la note qui a malheureusement été laissée dans le dossier du Dr Chopra. Plusieurs mois après l'envoi de la note, le Dr Yong a informé le Dr Chopra de la plainte au moment de l'établissement de son évaluation de rendement pour 1990-1991; toutefois il semble que le Dr Chopra ne savait pas que la note en question s'était retrouvée dans son dossier personnel.

[145] Lorsqu'il a découvert la note, le Dr Chopra a aussitôt exprimé à l'intimé la crainte que le versement de cette note à son dossier avait peut-être terni sa réputation et qu'il n'avait jamais été informé de son existence. Il a donc présenté un grief le 28 avril 1994, demandant qu'on fasse enquête sur cette affaire et que la note soit retirée de tous ses dossiers. Le sous-ministre adjoint dont relevait à l'époque la Direction générale de la protection de la santé, le Dr Kent Foster, a créé un comité pour examiner la question. Ce comité a conclu que le Dr Chopra n'avait pas agi de façon inconvenante dans l'affaire soulevée dans la note. Il a également conclu que le Dr Yong aurait dû éliminer comme il se doit la note en question plutôt que de la laisser dans le dossier du Dr Chopra. Cependant, le comité a jugé que la présence de la note dans son dossier ne pouvait pas avoir nui à sa carrière. Comme suite au rapport de l'enquêteur, le Dr Foster a fait droit au grief et pris des mesures pour empêcher qu'une telle situation ne se reproduise.

[146] L'inquiétude du Dr Chopra à l'égard de cet incident, par rapport à la présente plainte relative aux droits de la personne, tient au fait que les conversations qu'il a eues avec le Dr Drennan le 11 juillet 1990 soient survenues seulement deux jours après qu'il eut fait parvenir au président de la CFP une lettre, avec copie au sous-ministre Catley-Carlson, dans laquelle il lui faisait part de ses préoccupations à l'égard de l'équité en matière d'emploi dans la fonction publique fédérale ainsi que de sa frustration du fait que Santé Canada et aucun autre organisme gouvernemental ne l'avaient pressenti pour un poste de cadre. En outre, au dire du Dr Chopra, la présence de cette note dans son dossier a influé sur les modifications manuscrites susmentionnées apportées à ses évaluations de rendement de 1991 et 1992.

V. LA PREUVE STATISTIQUE ET LES AUTRES PREUVES D'EXPERT

[147] Au cours de la deuxième audience, cinq témoins experts ont témoigné. La Commission a cité en preuve principale deux témoins experts, Mme Erika Boukamp-Bosch et Mme Nan Weiner. Santé Canada a répliqué en faisant témoigner à titre d'expert Mme Shirley Mills et Mme Judith Davidson-Palmer. La Commission a cité M. Alan Sunter comme témoin en contre-preuve. J'examinerai séparément le témoignage de chacun des deux experts qui ont témoigné en preuve principale tout en faisant référence en cours de route à tout élément de preuve pertinent qui a été fourni par les autres experts ou qui provient d'autres sources. J'ai reconnu les cinq témoins comme des experts dans divers domaines.

[148] Mme Boukamp-Bosch est titulaire d'une maîtrise ès arts en anthropologie de l'Université Carleton (1978). De 1988 à 1999, elle a travaillé à la Commission canadienne des droits de la personne, d'abord à titre d'analyste principale à la Direction de l'équité en matière d'emploi et, à compter de 1992, à titre de chef, Analyse statistique. Dans le cadre de ses fonctions, elle a eu à produire et à analyser des données sur l'équité en matière d'emploi concernant des entités privées ou publiques sous réglementation fédérale. Peu avant son témoignage en juin 1999, elle a cessé de travailler à la Commission et a fondé un cabinet d'experts-conseils qui prodigue des conseils à divers employeurs au sujet du respect de la Loi sur l'équité en matière d'emploi(30). Bien qu'elle ne possède pas de diplôme universitaire en statistique, elle a affirmé dans son témoignage qu'elle possédait une vaste expérience professionnelle en ce qui touche l'utilisation des statistiques et qu'elle avait suivi plusieurs cours dans le cadre de ses études en vue de l'obtention d'un doctorat en sociologie. Elle a produit pour le compte de la Commission deux manuels sur l'équité en matière d'emploi. J'ai jugé qu'elle était apte à témoigner comme experte pour ce qui est des données sur l'équité en matière d'emploi et de l'analyse de ces données.

[149] Mme Weiner a étudié à l'Université du Minnesota, où elle a obtenu un baccalauréat en administration des affaires (1969) ainsi qu'une maîtrise et un doctorat en relations industrielles (1974 et 1977). Depuis 1990, elle exploite son propre cabinet d'experts-conseils qui se spécialise en équité en milieu de travail (diversité, équité en matière d'emploi, parité salariale, harcèlement, etc.) et dans la prestation de services dans les domaines de la mise en œuvre des programmes, de la formation et de la recherche. De 1987 à 1990, elle a travaillé à titre de conseillère en évaluation des emplois auprès de la Commission de l'équité salariale de l'Ontario. Elle a été jugée apte à témoigner en l'espèce à titre d'experte en discrimination systémique, dotation en personnel et systèmes de perfectionnement du personnel.

[150] Mme Davidson-Palmer est titulaire d'un baccalauréat en psychologie et sociologie de l'Université Mount Allison ainsi que d'une maîtrise en psychologie de l'Université Queen's. Depuis 1984, elle dirige un cabinet d'experts-conseils spécialisé dans les questions relatives aux ressources humaines, notamment la classification et la rémunération, la parité salariale, l'équité en matière d'emploi et les droits de la personne. Elle a aussi été jugée apte à témoigner en l'espèce à titre d'experte en discrimination systémique, dotation en personnel et systèmes de perfectionnement du personnel.

[151] Mme Mills est titulaire d'un baccalauréat et d'une maîtrise ès sciences en mathématiques et statistique (1969 et 1970) de l'Université du Manitoba. Elle possède également un doctorat en statistique et en calcul des probabilités de l'Université de l'Alberta (1983). Elle a enseigné dans plusieurs universités; depuis 1988, elle est professeure associée au Département de mathématique et de statistique de l'Université Carleton. Elle a témoigné à titre d'experte en statistique.

[152] M. Sunter est titulaire d'un baccalauréat ès sciences en mathématiques de l'Université Carleton (1963). Pendant la majeure partie de la période 1965-1981, il a travaillé à Statistique Canada, à titre de directeur de la Division des méthodes d'enquêtes-entreprises et de conseiller principal en recherche. Depuis son départ de Statistique Canada, il agit comme expert-conseil dans le domaine de la statistique pour le compte de nombreux organismes canadiens ou étrangers. Il a témoigné à titre d'expert en statistique.

A. Témoignage de Mme Boukamp-Bosch

[153] Mme Boukamp-Bosch a étudié les données sur l'emploi, principalement pour la période 1987-1993. Elle a conclu qu'il y avait eu à Santé Canada au cours de cette période un nombre insuffisant de membres des minorités visibles au niveau EX, comparativement au bassin d'employés faisant partie de ces minorités. Elle a également conclu qu'un nombre insuffisant de membres des minorités visibles ont été nommés à des postes de niveau EX au cours de cette même période. Elle s'est fondée sur des données de la CFP, de Santé Canada et du Secrétariat du Conseil du Trésor (SCT), obtenues en grande partie à la suite de demandes présentées en vertu de la Loi sur l'accès à l'information(31). Le rapport de Mme Boukamp-Bosch qui a été déposé en preuve en l'espèce est similaire à celui qu'elle a présenté dans l'affaire Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales (ACNRI) c. Canada (Santé et Bien-être social Canada)(32), où elle est parvenue à des conclusions analogues. Son deuxième rapport est d'ailleurs fondé sur certaines données puisées dans son premier rapport.

[154] Mme Mills a critiqué le fait que Mme Boukamp-Bosch ait utilisé des données provenant de trois sources disparates (CFP, SCT et Santé Canada), et plus particulièrement son omission de comparer et concilier les trois ensembles de données. De l'avis de Mme Mills, Mme Boukamp-Bosch, à cause de cette omission, s'est trouvée à comparer [Traduction] des pommes et des oranges. M. Sunter, pour sa part, a souligné que les trois ensembles de données ne différaient pas au point qu'on puisse les qualifier de disparates, faisant remarquer qu'ils avaient une origine commune en termes de groupes d'employés visés. M. Sunter a fait observer que les différences entre les données provenant des différentes sources étaient minimes et que si l'on se fondait sur une plutôt que sur une autre pour faire les calculs de Mme Boukamp-Bosch, on obtiendrait des différences négligeables qui n'auraient pas d'impact sur les conclusions qu'elle a tirées. À mon avis, le fait que Mme Boukamp-Bosch ait eu recours à des sources de données variées ne constitue pas un problème suffisamment important pour rejeter carrément l'ensemble de son témoignage et de son rapport.

[155] Souvent, l'information relative aux minorités visibles est dérivée de données fournies par les employés qui s'identifient comme membres des minorités visibles. Mme Boukamp-Bosch a indiqué que même si certains membres des minorités visibles ont tendance à ne pas s'identifier comme tels, la sous-déclaration se limite probablement aux non-EX. Comme elle n'a pas fourni d'explication satisfaisante à cet égard, je ne suis pas fondé à conclure que le problème de la sous-déclaration est plus ou moins aigu chez les EX par rapport aux non-EX.

[156] Il est arrivé au cours du témoignage de Mme Boukamp-Bosch que l'avocat de l'intimé signale des erreurs de calcul, erreurs qui ont été reconnues par le témoin, qui a par la suite modifié son rapport en conséquence. Même si on pourrait de ce fait tirer certaines conclusions quant à la validité ou à la qualité de l'ensemble de son rapport, je ne suis pas enclin à le faire. À mon avis, le témoin admettait, parfois à contrecoeur, les erreurs portées à son attention et je ne vois pas de raison d'invalider son témoignage à cause de ces erreurs.

[157] Les conclusions de Mme Boukamp-Bosch étaient fondées sur son étude de la représentation des membres des minorités visibles au sein de l'ensemble de la population EX à Santé Canada durant une certaine période, ainsi que de leur représentation par rapport aux nominations à des postes EX faites pendant cette même période. Elles étaient également basées sur son examen des antécédents professionnels des EX.

i) Représentation des minorités visibles au sein de la population EX à Santé Canada (analyse statique)

[158] Ce volet de l'étude de Mme Boukamp-Bosch a impliqué les étapes décrites ci-après.

Première étape -- Choix des groupes professionnels pertinents et des groupes de relève

[159] Afin d'établir si un bassin d'emplois désigné (en l'occurrence les échelons supérieurs EX) compte un nombre suffisant de membres des minorités visibles, Mme Boukamp-Bosch a expliqué qu'on doit d'abord déterminer dans quels groupes professionnels et à quels niveaux on peut raisonnablement s'attendre que l'employeur fera du recrutement ou accordera des promotions au sein de ce bassin. Ces niveaux constituent les groupes de relève de la catégorie EX. Essentiellement, l'analyse de Mme Boukamp-Bosch a consisté à déterminer le pourcentage de membres des minorités visibles faisant partie des groupes de relève (c'est-à-dire leur représentation ou, si l'on préfère, la disponibilité des membres des minorités visibles aptes à être promus EX) et à comparer ce taux avec le pourcentage de membres des minorités visibles faisant vraiment partie de la catégorie EX (c'est-à-dire la représentation réelle des minorités visibles dans cette catégorie).

[160] Mme Boukamp-Bosch a choisi les groupes de relève à l'aide d'un document intitulé [Traduction] Table d'équivalences SIRG, daté du 1er septembre 1993. Apparemment, la CFP a établi cette table aux fins de la mise en œuvre du Système d'information des ressources de gestion dont nous avons fait mention plus haut. Il s'agit d'une liste de niveaux de certains groupes professionnels correspondant aux divers niveaux EX. Ainsi, la rangée Médecine vétérinaire dans le tableau indique qu'un VM-05 est considéré comme étant à un [Traduction] niveau équivalant au niveau EX-01 (ou équivalent EX); par conséquent, un employé au niveau de VM-04 est considéré comme un EX moins un et un VM-03, comme un EX moins deux. Ce tableau date de 1993; par conséquent, il n'y est pas fait mention du niveau SM qui, comme je l'ai expliqué plus haut, a été l'échelon le moins élevé au sein de la haute direction jusque vers 1991, année où ce niveau a été éliminé. Néanmoins, chaque fois qu'il sera question dans cette analyse de l'accès à la catégorie EX, on ne devrait pas oublier que le niveau SM en faisait également partie des niveaux d'entrée au cours de la période pertinente.

[161] Mme Boukamp-Bosch a déterminé que les membres des groupes professionnels pertinents aux niveaux équivalent EX, EX moins un et EX moins deux constituaient les groupes de relève de la catégorie EX. Selon elle, cette définition des groupes de relève est conforme aux pratiques courantes de dotation en personnel de la CFP. La preuve présentée en ce qui concerne les antécédents professionnels des EX en 1994 démontre comment certains employés ont accédé à ce niveau à partir du niveau EX moins un. En fait, si le Dr Chopra a pu poser sa candidature dans le cadre du deuxième concours (en mars 1992) visant à doter le poste de directeur, Médicaments humains prescrits, c'est précisément parce qu'il était un BI-04, niveau équivalant à EX moins un -- le seuil d'admissibilité fixé pour le concours.

[162] Mme Boukamp-Bosch a choisi dans la Table d'équivalences SIRG les groupes professionnels qui étaient pertinents dans le cas de Santé Canada, c'est-à-dire probablement les groupes qui étaient vraiment représentés au sein du Ministère. Elle a fait ses choix en se fondant sur les données sur l'emploi au 31 mars 1993. Dans la fonction publique fédérale, les groupes professionnels sont classés dans cinq catégories : la catégorie scientifique et professionnelle (SP), la catégorie administrative et du service extérieur (ASE), la catégorie technique, la catégorie du soutien administratif, la catégorie de l'exploitation. Les groupes professionnels choisis par Mme Boukamp-Bosch comme groupes de relève se retrouvaient uniquement dans deux de ces catégories : vingt faisaient partie de la catégorie SP et onze, de la catégorie ASE. Elle a ensuite intégré les données relatives aux trois niveaux de relève (équivalent EX, EX moins un et EX moins deux) pour les trente et un groupes de relève qu'elle avait choisis. Bien qu'il y ait moins d'employés au niveau équivalent EX qu'à l'un ou l'autre des niveaux inférieurs, ce regroupement impliquait que les employés au niveau de relève le plus bas étaient considérés comme tout aussi susceptibles d'être promus que ceux qui étaient au niveau le plus élevé. En fait, Mme Boukamp-Bosch a accordé, dans ses calculs, plus d'importance aux niveaux inférieurs afin de tenir compte des populations plus nombreuses qu'on y retrouve.

[163] L'intimé s'est opposé pour plusieurs raisons à la méthode utilisée par Mme Boukamp-Bosch pour choisir les groupes de relève :

  • Mme Boukamp-Bosch a défini les groupes de relève en se basant sur les données sur l'emploi au 31 mars 1993. L'intimé a souligné que la composition de l'effectif change constamment, que la situation en ce qui concerne la représentation des groupes professionnels à Santé Canada évolue de jour en jour et que certains groupes ne sont peut-être plus pertinents, pour reprendre le terme utilisé par Mme Boukamp-Bosch. On peut constater cette lacune en examinant le rapport que Mme Boukamp-Bosch a établi dans le cadre de l'affaire ACNRI, où elle s'est fondée sur les données sur l'emploi correspondant à une date différente en 1993 pour déterminer les groupes de relève, avec le résultat qu'elle a recensé seulement dix-sept -- et non vingt -- groupes professionnels pertinents au sein de la catégorie SP.
  • L'intimé a fait valoir qu'étant donné que les postes EX vacants sont habituellement pourvus grâce à des exercices de dotation nationaux ou interministériels, on commet une erreur en limitant le nombre de groupes de relève à ceux qu'on retrouve à Santé Canada à un moment donné. En fait, tout groupe de relève qui, selon la Table d'équivalences SIRG, est admissible aux fins des nominations à des postes EX devrait être considéré comme un groupe professionnel dans lequel on peut raisonnablement s'attendre que Santé Canada puisera pour recruter des EX ou promouvoir des employés au niveau EX.
  • D'autre part, en restreignant ses choix aux groupes professionnels pertinents, Mme Boukamp-Bosch a omis de tenir compte des données historiques relatives aux nominations au niveau EX. La preuve démontre qu'aucun membre de certains groupes de relève qu'elle a choisis n'a jamais été nommé au niveau EX à Santé Canada. Par exemple, Mme Boukamp-Bosch a inclus les avocats (groupe LA) dans sa liste de groupes de relève, même si aucun élément de preuve n'indique que le Ministère ait jamais promu un avocat au niveau EX.
  • Mme Boukamp-Bosch a inclus certains groupes professionnels dans sa liste de groupes de relève pertinents même s'il est peu probable, pour des raisons d'ordre financier, que leurs membres soient désireux d'être nommés EX, du moins aux échelons inférieurs. On a fait particulièrement mention des médecins (MD-MOF) dont les échelles de salaire sont tellement élevées qu'il est peu probable qu'ils lorgnent jamais un poste EX en deçà du niveau de EX-3.
  • Mme Boukamp-Bosch a présumé qu'on devrait raisonnablement s'attendre à ce que tous les employés nommés à des postes EX accèdent à de tels postes à partir de niveaux inférieurs à celui de EX. Toutefois, beaucoup de postes au sein de la catégorie EX sont comblés en y nommant des employés qui sont déjà à ce niveau. Parmi les 102 employés nommés au niveau EX entre 1987 et 1993, 35 étaient déjà des EX. Par conséquent, l'intimé a soutenu que Mme Boukamp-Bosch aurait dû tenir compte dans son analyse des données relatives aux membres de la catégorie EX, qui représentent eux aussi un groupe de relève.
  • De même, les concours pour les postes EX sont parfois publics; cependant, les non-fonctionnaires n'ont pas été considérés comme un groupe de relève dans le cadre de l'analyse de Mme Boukamp-Bosch. Parmi les soixante-cinq personnes nommées par voie de concours à des postes EX à Santé Canada entre 1987 et 1993, huit ne faisaient pas déjà partie de la fonction publique fédérale.
  • Aux fins de l'intégration des données relatives aux équivalents EX, EX moins un et EX moins deux, on n'a pas tenu compte de la réalité car on ne s'est pas demandé quels sont les groupes de relève les plus probables de la catégorie EX. Les données produites par Mme Boukamp-Bosch indiquent que rares sont les membres qui ont accédé à la catégorie EX directement à partir du niveau EX moins deux et que la plupart de ceux qui ont réussi à le faire ont été nommés à des postes de cadre intermédiaire de niveau SM, avant l'élimination de ce niveau vers 1991. L'intimé a ajouté qu'il aurait été plus utile d'obtenir des données au sujet des employés qui se sont vraiment portés candidats à des postes EX et d'étudier le taux de réussite des membres des minorités visibles par rapport aux autres employés. Mme Boukamp-Bosch n'a pas fait ce genre d'analyse (flux de candidats).

[164] L'expert de la Commission, M. Sunter, a rejeté les préoccupations de l'intimé au sujet du choix des groupes de relève. À son avis, un grand nombre de ces présumées lacunes n'ont guère influencé les résultats globaux, selon lesquels il existe un écart marqué entre le pourcentage de membres des minorités visibles qui font partie des groupes de relève et le pourcentage de membres des minorités visibles qui occupaient un poste EX ou qui ont été promus à un tel poste au cours de la période pertinente.

Deuxième étape -- Détermination des taux de représentation - Aptitude à être promu

[165] Mme Boukamp-Bosch a ensuite examiné les données relatives aux employés faisant partie des groupes de relève, et ce tant pour Santé Canada que pour l'ensemble de la fonction publique fédérale, y compris Santé Canada. Elle a conclu qu'en 1993, la représentation des minorités visibles aux niveaux de relève était la suivante :

Tableau 1

REPRÉSENTATION DES MINORITÉS VISIBLES AUX NIVEAUX DE RELÈVE

Au sein de Santé Canada

Ensemble de la fonction publique fédérale, y compris Santé Canada

Catégorie scientifique et professionnelle

Catégorie administrative
et du service
extérieur

Catégorie scientifique et professionnelle

Catégorie administrative
et du service
extérieur

Équivalent EX

12,5 %

0,0 %

8,6 %

2,9 %

EX moins 1 et 2

13,5 %

2,8 %

8,8 %

3,0 %

Moyenne globale pondérée

13,3 %

2,7 %

8,8 %

3,0 %

[166] Comme ces chiffres le démontrent, il est clair que les minorités visibles sont beaucoup plus fortement représentées dans la catégorie SP que dans la catégorie ASE, tant au sein de Santé Canada que dans l'ensemble de la fonction publique fédérale. En outre, elles sont plus fortement représentées aux niveaux EX moins un et EX moins deux qu'au niveau équivalant à EX, bien que l'écart ne soit pas aussi prononcé. Il y a lieu de noter que les données relatives à la catégorie SP s'appliquent au 31 mars 1993, tandis que celles ayant trait à la catégorie ASE sont applicables au 30 septembre 1993. Comme nous le verrons plus en détail plus loin, les dates revêtent une certaine importance, car une bonne partie du Ministère a été transférée à d'autres ministères entre ces deux dates, changement qui a eu des répercussions sur certaines des données.

Troisième étape -- Répartition des données entre les catégories SP et ASE

[167] Selon Mme Boukamp-Bosch, 75 % des EX à Santé Canada sont susceptibles d'être recrutés dans la catégorie SP et 25 %, dans la catégorie ASE. Elle a indiqué dans son témoignage que cette hypothèse était fondée principalement sur un document qu'une employée de Santé Canada, Mme Rose Kloppenburg, a télécopié en 1994 à une avocate de la Commission, Me Lakshani Rami. Mme Boukamp-Bosch a obtenu ultérieurement une copie de ce document auprès de Me Rami. Ni Mme Kloppenburg ni Me Rami n'a témoigné dans la présente instance.

[168] Apparemment, le document énumère les groupes professionnels dont faisaient partie plusieurs EX et les niveaux auxquels ils se trouvaient avant leur accession à des postes de direction. À la fin de la liste figure l'énoncé suivant :

[Traduction] Environ 86 des 115 postes sont de nature scientifique ou médicale, tandis que les autres s'inscrivent dans le domaine des services administratifs ou intégrés.

Mme Boukamp-Bosch a conclu de cette remarque que 86 des 115 (74,8 %) employés nommés à des postes EX étaient issus de la catégorie scientifique et professionnelle et que les autres provenaient de la catégorie administrative et du service extérieur. Cette conclusion s'appuyait sur le nombre d'employés faisant partie des groupes de relève au sein de chaque catégorie, au 31 mars 1993; selon ses calculs initiaux, dont elle fait état dans son rapport, 838 employés sur un total de 1 094 (76,6 %) faisaient partie de la catégorie SP. Après son contre-interrogatoire, elle a convenu que ces chiffres devraient être révisés à la baisse -- 648 des 904 employés faisant partie du groupe de relève (71,7 %) --, d'où un écart minime de l'ordre de 3 % par rapport au chiffre de 74,8 % tiré du document télécopié. Par suite de cette réduction, elle a admis qu'une répartition 70 SP/30 ASE serait également exacte. Mme Boukamp-Bosch a continué de soutenir qu'on devrait s'attendre à ce que la plupart des personnes nommées aient une formation scientifique, l'activité fondamentale de Santé Canada étant de nature scientifique.

[169] Cependant, la preuve présentée par l'intimé fait douter du bien-fondé de l'hypothèse de Mme Boukamp-Bosch. On n'a jamais clairement établi ce que représente la proportion 86/115, bien que la superviseure de Mme Kloppenburg, Mme Gael McLean, ait indiqué dans son témoignage que la référence dans la télécopie aux services administratifs ou intégrés et à la nature scientifique ou médicale concernait la nature des activités courantes des EX au niveau de gestion. Par conséquent, les EX dont les fonctions n'avaient pas trait aux services intégrés (sécurité, finances, marchés, ressources humaines, etc.) ont été classés parmi les titulaires de postes de nature scientifique ou médicale.

[170] On pourrait soutenir que cette interprétation de la télécopie est une tentative a posteriori pour ébranler la preuve de la Commission. Toutefois, l'intimé a présenté une analyse portant sur les 102 nominations à des postes EX durant la période 1987-1993. D'après cette analyse, 75 des personnes nommées faisaient partie de la catégorie ASE (73,5 %) avant leur accession à la catégorie EX/SM. Si on restreint le champ de l'analyse aux 65 nominations faites par voie de concours durant cette même période, on constate que 42 des personnes nommées (64,6 %) étaient issues de la catégorie ASE. Selon Mme McLean, la Direction générale de la protection de la santé est la seule composante de Santé Canada où il existe une concentration de EX provenant de la catégorie SP. Mme McLean et d'autres témoins ont indiqué qu'étant donné que les postes EX sont de nature administrative, une personne qui a acquis certaines aptitudes professionnelles à titre de membre de la catégorie administrative et du service extérieur est davantage susceptible d'être recrutée.

[171] Enfin, il y a lieu de noter qu'avant le fractionnement du Ministère au milieu de 1993, lequel s'est soldé par la disparition du volet bien-être social de Santé et Bien-être social Canada, l'intimé s'occupait également de questions qui n'avaient pas trait à la santé (p. ex., la Sécurité de la vieillesse). Ce point est particulièrement important par rapport à la conclusion de Mme Boukamp-Bosch selon laquelle les groupes de relève à Santé Canada étaient constitués dans une proportion de 71,7 % d'employés de la catégorie SP, étant donné que cette constatation est fondée sur les données relatives à la catégorie ASE en date du 30 septembre 1993 (après le fractionnement du Ministère). L'intimé a présenté des données comparatives applicables portant la même date (31 mars 1993) pour les catégories ASE et SP. Cette comparaison a produit un résultat sensiblement différent : répartition 64,2 %/35,8 % entre la catégorie SP et la catégorie ASE au sein des groupes de relève(33). Cette répartition tient compte des membres de la catégorie ASE -- plus d'une centaine -- qui avaient probablement cessé de travailler à Santé Canada au 30 septembre 1993, par suite du fractionnement du Ministère. Selon l'intimé, cela prouve qu'on commet une erreur en tenant pour acquis qu'il existait un volet scientifique ou santé partout dans le Ministère, particulièrement au cours de la période examinée par les experts, avant 1993.

[172] Comme le démontre l'analyse présentée ci-dessus au sujet de la deuxième étape, le taux de représentation des minorités visibles dans les groupes de relève de la catégorie ASE est beaucoup plus faible qu'il ne l'est dans les groupes de relève de la catégorie SP. Le choix du ratio à utiliser dans la troisième étape est donc très important. Mme Boukamp-Bosch ayant opté pour un ratio 75 % SP / 25 % ASE, les résultats qu'elle a obtenus en ce qui concerne la disponibilité de membres des minorités visibles aptes à être promus au niveau EX étaient les suivants :

Disponibilité au sein de Santé Canada :

0,75 x 13,3 % [disponibilité -- cat. SP] = 9,975 %

0,25 x 2,7 % [disponibilité -- cat. ASE] = 0,675 %

Total : 10,66 % ou 10,7 %

Disponibilité au sein de la fonction publique fédérale :

0,75 x 8,8 % [disponibilité -- cat. SP] = 6,6 %

0,25 x 3,0 % [disponibilité -- cat. ASE] = 0,75 %

Total : 7,35 % ou 7,4 %

Cependant, si on utilise le ratio préconisé par l'intimé dans sa preuve, soit 65 % ASE / 35 % SP, on obtient des résultats sensiblement différents :

Disponibilité au sein de Santé Canada :

0,35 x 13,3 % [disponibilité -- cat. SP] = 4,66 %

0,65 x 2,7 % [disponibilité -- cat. ASE] = 1,76 %

Total : 6,42 % ou 6,4 %

Disponibilité au sein de la fonction publique fédérale :

0,35 x 8,8 % [disponibilité -- cat. SP] = 3,08 %

0,.65 x 3,0 % [disponibilité -- cat. ASE] = 1,95 %

Total : 5,03 % ou 5,0 %

Quatrième étape - Disponibilité des membres des minorités visibles aptes à être promus EX

[173] La dernière étape du processus suivi par Mme Boukamp-Bosch pour déterminer la disponibilité des membres des minorités visibles aptes à être promus EX consistait à intégrer les données sur les groupes de relève au sein de Santé Canada à celles portant sur les groupes de relève dans l'ensemble de la fonction publique (y compris Santé Canada, incidemment). Aux fins de ses calculs, elle a décidé d'utiliser des ratios variant de 80 % Santé Canada / 20 % fonction publique fédérale à 50 %/50 %. Elle a pris cette décision parce que, selon elle, le bassin de relève à Santé Canada était très vaste. On pouvait, par conséquent, présumer que jusqu'à 80 % des personnes nommées provenaient du Ministère même. Elle a émis l'opinion qu'un plus petit ministère, où le bassin de relève est plus restreint, est davantage susceptible de faire son recrutement à l'extérieur.

[174] En outre, tel qu'indiqué précédemment, Mme Boukamp-Bosch n'a tenu compte d'aucune donnée concernant la disponibilité des membres des minorités visibles aptes à être promus EX étaient ailleurs que dans la fonction publique. À son avis, le taux d'embauche externe au niveau EX était trop faible pour qu'il vaille la peine d'en tenir compte.

[175] Mme Boukamp-Bosch a établi ses estimations quant à la disponibilité des membres des minorités visibles aptes à être promus EX de la façon suivante, en se fondant sur l'hypothèse que le taux de représentation des minorités visibles à Santé Canada est de 10,7 % comparativement à 7,4 % dans l'ensemble de la fonction publique fédérale (voir le tableau 2) :

Tableau 2

ESTIMATIONS -- DISPONIBILITÉ DES MEMBRES DES
MINORITÉS VISIBLES APTES À ÊTRE PROMUS EX

Répartition Santé Canada/ fonction publique fédérale Méthode de calcul Estimations -- Disponibilité des membres des minorités visibles aptes à être promus EX
50/50 (0,50 x 10,7 %) + (0,50 x 7,4 %) 9,1 %
55/45 (0,55 x 10,7 %) + (0,45 x 7,4 %) 9,2 %
60/40 (0,60 x 10,7 %) + (0,40 x 7,4 %) 9,4 %
65/35 (0,65 x 10,7 %) + (0,35 x 7,4 %) 9,5 %
70/30 (0,70 x 10,7 %) + (0,30 x 7,4 %) 9,7 %
75/25 (0,75 x 10,7 %) + (0,25 x 7,4 %) 9,9 %
80/20 (0,80 x 10,7 %) + (0,20 x 7,4 %) 10,0 %

Ces calculs sont donc fondés sur l'hypothèse que la répartition des groupes de relève de la catégorie EX à Santé Canada devrait être de 75 % SP/25 % ASE, tel qu'indiqué dans la troisième étape. Si l'on révise cette répartition de la manière proposée par l'intimé (35 % SP/65 % ASE), on obtient une estimation qui varie entre 5,7 %(34) et 6,1 %(35).

[176] En tout état de cause, l'intimé a jugé non fondée toute répartition des données entre Santé Canada et la fonction publique fédérale. Il a cité l'opinion de Mme Black, l'agente de ressourcement principale de la CFP, voulant que, à sa connaissance, les concours pour les postes EX à Santé Canada sont interministériels ou nationaux et qu'on n'accorde pas la priorité aux candidats de Santé Canada. L'intimé a également soutenu qu'il est illogique d'envisager la possibilité que des employés de l'extérieur du Ministère puissent obtenir un poste EX à Santé Canada, alors qu'on ne tient pas compte du nombre d'employés de Santé Canada, y compris les membres des minorités visibles, qui ont été nommés à des postes EX à l'extérieur de Santé Canada. Par conséquent, au dire de l'intimé, la seule estimation valable pour ce qui est de la disponibilité interne est celle qui s'applique à l'ensemble de la fonction publique fédérale, car elle inclut les données provenant de Santé Canada.

[177] Enfin, l'intimé a fait remarquer que les données fournies par Mme Boukamp-Bosch démontraient que pour la période examinée (les six exercices financiers allant de 1987-1988 à 1992-1993), les employés de Santé Canada comptaient pour 18 % à 62 % des nominations à des postes EX au sein du Ministère. La proportion des personnes nommées EX à Santé Canada n'a dépassé 40 % au cours de seulement trois des six exercices, bien qu'elle ait été de l'ordre de 60 % à 62 % pour chacun de ces trois-là. Cependant, il y a lieu de noter que parmi les EX travaillant à Santé Canada au 31 mars 1987 (dont la nomination remontait, par conséquent, avant la période examinée), 61 % avaient été recrutés au sein de Santé Canada.

Cinquième étape -- Détermination de la représentation des membres des minorités visibles dans la catégorie EX

[178] Mme Boukamp-Bosch a calculé le pourcentage de EX qui faisaient partie d'une minorité visible, pour chacun des exercices financiers de la période 1987-1993. Elle a obtenu les résultats suivants (voir le tableau 3) :

Tableau 3

POURCENTAGE DE EX QUI ÉTAIENT MEMBRES
D'UNE MINORITÉ VISIBLE

Exercice financier Nombre de EX membres d'une minorité visible Nombre
total de EX
Taux de représentation des minorités visibles
1987-1988 4 159 2,5 %
1988-1989 4 162 2,5 %
1989-1990 4 168 2,4 %
1990-1991 4 173 2,3 %
1991-1992 3 152 2,0 %
1992-1993 4 148 2,7 %

[179] Mme Boukamp-Bosch a fait observer que ces taux, qui ne dépassaient pas 2,7 %, étaient beaucoup moins élevés que les taux de disponibilité des membres des minorités visibles dans les groupes de relève qui étaient aptes à être nommés EX. D'après ses calculs, ces taux oscillaient entre 9,1 % et 10,0 %. Selon ses estimations, on aurait pu s'attendre, compte tenu des données sur la disponibilité, que le nombre réel de représentants des minorités visibles dans la catégorie EX se situe entre 13 et 17. Or, le tableau ci-dessus démontre que le nombre de EX issus des minorités visibles n'a jamais dépassé quatre à Santé Canada au cours d'un exercice financier. Sur la foi de ces résultats, Mme Boukamp-Bosch a conclu que les employés faisant partie des minorités visibles étaient fortement sous-représentés dans la catégorie EX à Santé Canada.

[180] Elle a conclu que cette sous-représentation était d'autant plus remarquable que l'examen des données sur la population de membres des minorités visibles dans l'ensemble de la catégorie SP révélait que la concentration des membres de ces minorités par rapport à leurs autres collègues était plus forte aux niveaux de relève. Ainsi, en 1990-1991, 41,4 % de tous les membres des minorités visibles faisant partie de la catégorie SP à Santé Canada se retrouvaient surtout aux niveaux de relève de la catégorie EX. Au cours de la même période, seulement 30,1 % de tous les autres employés de Santé Canada faisant partie de la catégorie SP se trouvaient à des niveaux de relève de la catégorie EX. Selon Mme Boukamp-Bosch, ces chiffres donnaient à penser qu'il existait à Santé Canada des obstacles empêchant les employés faisant partie des minorités visibles d'accéder à la catégorie EX.

[181] Santé Canada a répondu que c'était une erreur que de se fonder sur la proportion des membres des minorités visibles aptes à être promus en 1993 (c.-à-d. 9,1 % à 10,0 %) pour estimer les taux de représentation dans la catégorie EX au cours de chacun des six exercices précédents. En 1987-1988, alors que le taux de représentation des minorités visibles s'établissait à 2,5 %, est-ce que la disponibilité des membres de ces minorités qui faisaient partie des groupes de relève et qui étaient aptes à être promus était aussi élevée qu'en 1993, de sorte qu'on puisse en conclure qu'elles étaient sous-représentées? En réponse à cette question, M. Sunter a passé en revue les données et calculé le taux moyen de disponibilité au sein de la catégorie SP au cours de la période de six ans. Il a déterminé que le taux, pour cette seule catégorie, n'avait que légèrement diminué, passant de 13,3 % à 12,7 %. À son avis, cet écart n'était pas suffisamment important pour justifier qu'on modifie les calculs de Mme Boukamp-Bosch.

[182] Cependant, l'intimé a affirmé que même si les taux de disponibilité pour la période 1987-1993 étaient plus ou moins exacts, les données présentées par la Commission au sujet du nombre total de EX au cours d'un exercice donné incluaient probablement les personnes nommées avant 1987, voire même dix ans auparavant, et il n'y avait pas moyen de savoir quelle était la disponibilité des membres des minorités visibles à cette époque. Autrement dit, le taux de disponibilité des membres des minorités visibles est peut-être de 10 % aujourd'hui, mais s'il était de 3 % lorsqu'un grand nombre de EX ont été nommés, il n'y avait pas à cette époque de sous-représentation au niveau des nominations à des postes EX.

[183] En outre, l'intimé a soulevé le fait que ces données n'indiquent pas combien de nominations sont attribuables à des reclassifications, à des mutations latérales, etc., c'est-à-dire à des situations où les personnes nommées ne provenaient pas des groupes de relève, tels que définis par Mme Boukamp-Bosch.

ii) Représentation des employés issus des minorités visibles par rapport au recrutement de EX (analyse du flux)

[184] Selon les données que Mme Boukamp-Bosch a obtenues de la CFP, aucune des 102 personnes nommées au sein de la catégorie EX entre 1987 et 1993 n'était issue d'une minorité visible(36). L'intimé a produit par la suite des preuves démontrant que deux des personnes nommées s'étaient en fait elles-mêmes identifiées comme membres d'une minorité visible. Néanmoins, compte tenu des taux de disponibilité qu'elle avait calculés pour 1993 (9,1 % à 10,0 %), Mme Boukamp-Bosch se serait attendue à ce que 10 ou 11 membres des minorités visibles aient été nommés.

[185] Elle a également constaté qu'environ 60 % des personnes nommées à un poste EX à Santé Canada entre les exercices 1987-1988 et 1989-1990 occupaient déjà un poste au Ministère, mais que ce taux n'était plus que de 18,2 % en 1992-1993 alors que les employés provenant d'autres ministères représentaient 63,6 % de l'ensemble des nominations. À son avis, cela aurait eu un effet disproportionné sur les membres des minorités visibles, du fait que leur représentation au sein des groupes de relève en dehors de Santé Canada est plus faible qu'elle ne l'est au sein du Ministère, particulièrement dans la catégorie SP.

[186] L'intimé a soutenu que l'analyse du recrutement aurait dû se limiter aux 65 occasions réelles de promotion dénombrées durant cette période, le reste étant constitué de reclassifications (postes déjà occupés), de nominations prioritaires ou de mutations latérales (mesure qui libère un autre poste EX ailleurs dans le système). Selon cette approche, on se serait attendu, compte tenu du taux de disponibilité avancé par Santé Canada -- 5,7 % (voir la Quatrième étape) -- et de la méthodologie appliquée par Mme Boukamp-Bosch, à ce que 3,7 membres des minorités visibles aient été recrutés (écart de seulement 1,7 par rapport au nombre réel). Santé Canada a fait valoir que, vu le faible nombre de personnes en cause, cette différence n'était pas statistiquement significative, notion que nous aborderons plus en détail plus loin.

iii) Antécédents professionnels des EX

[187] Mme Boukamp-Bosch a tenté de tirer certaines conclusions en se fondant sur les antécédents professionnels des membres de la catégorie EX/SM qui ont travaillé à Santé Canada à un moment donné au cours de la période 1987-1993 et qui faisaient partie de la catégorie SP avant d'être nommés EX. Malheureusement, les données qu'elle a pu recueillir portaient seulement sur 58 cadres. Elle n'a pas été en mesure de confirmer si ces données étaient représentatives de l'ensemble du groupe EX. Elle n'a pas pu non plus déterminer quand chacun des cadres a été nommé, avant ou après 1987, ainsi que la disponibilité des membres des minorités visibles au moment de leur nomination respective. Vu l'absence d'une telle preuve, il est impossible à mon avis de tirer des conclusions fiables à partir de ces données.

B. Témoignage de Mme Weiner

[188] À l'instar de Mme Boukamp-Bosch, Mme Weiner a témoigné devant le Tribunal canadien des droits de la personne dans l'affaire ACNRI. De nombreuses parties du rapport qu'elle a produit dans la présente instance étaient dérivées du rapport sur lequel reposait son témoignage dans l'affaire ACNRI. Durant son témoignage, elle a parlé de la discrimination systémique en général et de son interaction avec la discrimination interpersonnelle. Elle a également expliqué que la preuve statistique de la sous-représentation d'un certain groupe peut servir à confirmer l'hypothèse que ce groupe est victime de discrimination.

[189] Elle a signalé que la sous-représentation des non-Blancs aux échelons administratifs supérieurs est souvent fonction de l'image que la société nord-américaine se fait du cadre -- homme grand, de race blanche -- ainsi que du fait que la plupart des cadres correspondent vraiment à cette image. La discrimination inhérente aux systèmes d'avancement, a-t-elle ajouté, est le reflet des normes culturelles qui impliquent que la structure du pouvoir continue d'être dominée par les hommes de race blanche et qui sont dictées par le comportement de chaque décideur. Elle a qualifié ces normes de [Traduction] plafond de verre qu'on trouve dans de nombreux organismes publics ou privés. Le terme plafond de verre a été inventé pour décrire l'[Traduction] obstacle invisible à l'accès des femmes aux échelons administratifs supérieurs au sein des entreprises. Depuis, le champ sémantique de ce terme s'est tellement élargi qu'il englobe désormais les obstacles auxquels se heurtent les minorités visibles et autres. Parmi ces obstacles à l'avancement figurent la concentration de certains groupes dans des emplois qui ne leur permettent pas [Traduction] l'accès au sommet de la pyramide, l'application de normes spéciales ou différentes en matière d'évaluations et de tests de rendement, l'absence de formation en gestion et de perfectionnement professionnel et le manque d'accès à la rotation des affectations et au mentorat. Mme Weiner a fait état d'un rapport du Groupe de consultation sur les minorités visibles en date du 22 janvier 1993 qui a été présenté au Secrétaire du Conseil du Trésor et au Conseil des sous-ministres sur l'équité en matière d'emploi. Dans ce rapport intitulé Fausses images : observations des membres de minorités visibles au sein de la fonction publique du Canada, les auteurs ont fait allusion à la présence de tels obstacles dans la fonction publique fédérale.

[190] Dans son témoignage, Mme Weiner a indiqué que les antécédents professionnels du Dr Chopra à Santé Canada étaient empreints de beaucoup de ces éléments. Malheureusement, lorsqu'elle a tiré ses conclusions, elle n'a pas eu le loisir de prendre connaissance de la transcription de l'audience du tribunal Soberman; elle s'est plutôt fondée sur un résumé de la preuve entendue lors de cette audience que l'avocat de la Commission lui avait préparé. L'intimé s'est inscrit en faux contre la manière dont beaucoup de faits ont été présentés dans ce document et a fait remarquer que beaucoup d'éléments de preuve supplémentaires avaient été présentés au cours de la deuxième audience, ce qui rendait le résumé d'autant plus incomplet. Fait encore plus important, une grande partie de cet exposé a mené à des conclusions que le Tribunal pouvait tirer lui-même et qui, de ce fait, n'ont guère été utiles.

[191] Toutefois, Mme Weiner a eu l'occasion d'examiner vraiment au moins une pièce, la note Cuddihy, qu'elle a décrite comme un exemple de discrimination envers un individu qui illustre le problème organisationnel. Par exemple, elle a expliqué que l'allusion du Dr Liston au fait que le [Traduction] patrimoine culturel de certains groupes n'ait pas mis l'accent sur des compétences non techniques comme l'aptitude à communiquer, à influencer, à négocier, ce qui les [Traduction] défavorise, est conforme au stéréotype courant voulant que tous les membres d'un groupe soient identiques, d'où l'impossibilité qu'il existe des différences au sein du groupe. En contre-interrogatoire, elle a admis qu'il n'est pas discriminatoire de reconnaître qu'il existe des différences culturelles, qu'on devrait comprendre et dont on devrait discuter afin de trouver des façons de travailler les uns avec les autres. Un tel dialogue peut, en fait, aider les minorités à obtenir des promotions plutôt qu'à les en empêcher. Toutefois, elle a fait remarquer que le libellé de la note Cuddihy ne favorise pas une telle interprétation, mais implique qu'il faudrait qu'une personne d'une [Traduction] culture différente rentre dans le rang si elle veut réussir.

[192] À titre d'exemple d'obstacle systémique dans la fonction publique fédérale, Mme Weiner a parlé des nominations intérimaires qui peuvent conférer un avantage indu lors de concours ultérieurs. Dans son rapport annuel de 1992, la Commission de la fonction publique écrivait que les employés ayant reçu une nomination intérimaire avaient quatre fois plus de chances que les autres d'obtenir par la suite une promotion. Même si, en théorie, le recours à mauvais escient à des nominations intérimaires pour doter des postes s'applique aussi bien aux membres des minorités visibles qu'aux autres employés, Mme Weiner a émis l'opinion que le caractère informel du processus pourrait entraîner de la discrimination, vu la tendance des gestionnaires embaucheurs à choisir des personnes à leur image. L'exclusion des membres des minorités visibles de ce processus accentue la discrimination qui existe en les privant d'un modèle de rôle et, partant, en les décourageant de postuler eux-mêmes des nominations intérimaires et en les empêchant de toute évidence d'acquérir l'expérience de gestion nécessaire pour être admissibles à d'éventuelles occasions d'avancement.

[193] Afin d'établir un lien entre ces problèmes touchant les nominations intérimaires et la situation à Santé Canada, Mme Weiner a cité une enquête menée par M. Jeffrey Reitz en 1995 auprès des membres du syndicat du Dr Chopra, l'IPFPC, qui travaillaient à Santé Canada à titre de professionnels ou de scientifiques. Cette enquête, qui visait à établir une comparaison entre les membres des minorités visibles et les autres employés en ce qui concerne les nominations intérimaires et d'autres activités professionnelles, a révélé que le nombre de Blancs nommés à un poste intérimaire était de 10,2 % plus élevé que le nombre de membres des minorités visibles. L'enquête de M. Reitz a également permis de conclure, entre autres, que les Blancs étaient davantage susceptibles d'être informés des possibilités de formation, de faire partie de jurys de sélection, de bénéficier d'une formation au titre de l'organisation des carrières et d'exercer des fonctions de surveillance.

[194] M. Reitz a témoigné au sujet de cette enquête dans l'affaire ACNRI; malheureusement, il n'a pas comparu devant ce tribunal. On a tout simplement annexé un exemplaire de son étude au rapport de Mme Weiner. L'avocat de l'intimé s'est opposé au dépôt en preuve de cette étude, soutenant qu'il serait injuste pour son client de lui refuser la possibilité de contre-interroger M. Reitz.

[195] On a posé lors de l'audience beaucoup de questions au sujet des méthodes utilisées pour en arriver aux résultats de l'enquête. Les principales préoccupations avaient trait au faible taux de réponse (34,2 %), au fait qu'aucune relance n'avait été faite, ce qui de l'avis de l'expert de la Commission, M. Sunter, incite à la prudence, ainsi qu'au fait qu'on n'avait pas établi si les personnes qui ont répondu étaient représentatives de l'ensemble de la population sondée.

[196] En outre, l'enquête Reitz a donné lieu à un débat fascinant entre experts sur la question à savoir si les écarts entre les résultats dégagés en ce qui touche les Blancs et les non-Blancs étaient statistiquement significatifs. Il existe des tests statistiques permettant de faire, à partir des résultats obtenus pour un échantillon donné, des extrapolations en fonction de l'ensemble de la population. Grâce à ces tests, on peut calculer pour chaque résultat l'intervalle de variation ou variance. La variance se veut une mesure de la variabilité inhérente à l'échantillon. On pourrait démontrer cette variabilité en menant le lendemain auprès d'un échantillon de taille comparable une enquête qui donnerait des résultats différents. L'intervalle de variation révélé par les tests effectués par Mme Mills correspondait à un niveau de confiance d'au moins 95 % (ce qui signifie que le résultat des tests est considéré exact 19 fois sur 20). Si les intervalles de variation obtenus pour deux résultats différents se chevauchent, il est possible que les résultats soient égaux. Ainsi, bien que l'enquête ait indiqué que 38,6 % des membres des minorités visibles et 45,7 % des Blancs ont déclaré avoir bénéficié d'une formation au titre de l'organisation des carrières (écart de 7,1 %), l'application de tests statistiques à la variance relative à chaque résultat permet de calculer deux intervalles de variation qui se chevauchent, de sorte que l'écart entre les deux résultats disparaît. Il est donc possible que les deux résultats soient égaux en fait. Selon Mme Mills, parmi les questions posées dans l'enquête Reitz pour lesquelles on disposait de suffisamment de données pour effectuer des tests statistiques, seulement deux ont présenté un écart statistiquement significatif. M. Sunter a émis l'opinion que les tests de Mme Mills étaient fondés sur un niveau de confiance trop élevé et que si ce niveau était abaissé à 80 %, les écarts entre les groupes subsisteraient.

[197] Étant donné que l'enquête de M. Reitz suscite des doutes et que ce dernier n'a pas témoigné dans cette instance, j'ai décidé de ne pas tenir compte des éléments du témoignage de Mme Weiner qui étaient fondés sur cette enquête en ce qui touche les aspects systémiques des nominations intérimaires et le manque d'encouragement des employés faisant partie des minorités visibles à Santé Canada.

[198] Dans son témoignage, Mme Weiner a elle aussi fait référence au rapport de Mme Boukamp-Bosch. Elle a conclu que les chiffres qui y sont cités donnent à croire que le régime d'avancement est empreint de discrimination. En ce qui concerne les taux de représentation des minorités visibles au niveau EX, elle a signalé que ces taux sont inférieurs au taux d'utilisation de 80 % qui, selon les deux experts, est considéré comme acceptable dans le domaine de l'équité en matière d'emploi. Le taux d'utilisation correspond à la représentation des membres des minorités visibles au niveau EX par rapport à la disponibilité des membres de ces minorités qui sont aptes à être promus (représentation divisée par la disponibilité). Toutefois, les conclusions de Mme Weiner sont subordonnées à la validité de la méthodologie et des calculs de Mme Boukamp-Bosch. Par exemple, Mme Weiner ignorait que les données de Mme Boukamp-Bosch sur les nominations à des postes EX comprenaient les mutations latérales et les reclassifications. Mme Weiner a indiqué dans son témoignage qu'elle n'aurait pas inclus ces éléments-là. Par ailleurs, elle n'a pas mis en doute la méthode appliquée par Mme Boukamp-Bosch pour choisir les groupes de relève.

[199] En outre, l'experte de l'intimé, Mme Davidson-Palmer, a contesté l'utilisation de la règle du 80 % en l'espèce, faisant remarquer qu'on ne devrait l'appliquer que dans les cas où les concours ont fait l'objet d'une étude beaucoup plus approfondie dans le cadre de laquelle on a examiné le nombre réel de candidats issus des minorités visibles ainsi que leur compétence pour les postes comblés. Mme Davidson-Palmer a affirmé que la méthode générale adoptée par Mme Boukamp-Bosch et suivie par Mme Weiner ne comportait pas une telle analyse statistique. Ce n'est qu'après avoir déterminé qui était vraiment admissible aux promotions, qui s'est vraiment porté candidat et les résultats des concours qu'on devrait établir si les minorités visibles sont sous-représentées. Mme Davidson-Palmer a toutefois admis que la crainte qu'il puisse exister une discrimination systémique est fondée lorsqu'on obtient un taux d'utilisation sensiblement inférieur à 80 % en utilisant une méthodologie générale comme celle qu'a suivie Mme Boukamp-Bosch.

VI. LE DROIT

[200] Dans sa plainte, le Dr Chopra allègue que l'intimé a contrevenu à l'article 7 de la LCDP, qui se lit comme suit :

Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d'emploi.

L'article 3 précise que la race, la couleur et l'origine nationale ou ethnique sont des motifs de distinction illicites.

[201] Il incombe au plaignant d'établir une preuve prima facie de discrimination(37). La preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l'absence de réplique de l'intimé(38).

[202] Dans Shakes v. Rex Pax Ltd.(39), on a statué que, dans le cas d'une plainte de discrimination concernant un concours de recrutement, il faut, pour établir une preuve prima facie, prouver :

d) que le plaignant était compétent pour l'emploi convoité;

e) que le plaignant n'a pas été embauché; et

f) que le poste a été attribué à une personne qui n'était pas plus compétente, mais qui ne possédait pas la caractéristique dont il est question dans la plainte en matière de droits de la personne.

Dans Israeli c. Commission canadienne des droits de la personne(40), ce critère multiple a été modifié pour tenir compte des cas où le plaignant n'est pas embauché et où l'intimé continue de chercher un candidat compétent. Les critères énoncés dans Shakes et Israeli ne permettent pas de dégager comme il se doit les éléments d'une preuve prima facie dans chaque affaire liée à l'emploi(41); on a donc une certaine souplesse dans le choix et l'application du critère le plus approprié.

[203] Une fois qu'une preuve prima facie a été établie, il incombe à l'intimé de fournir une explication raisonnable quant au présumé comportement discriminatoire. Si l'intimé fournit une telle explication, il appartient alors au plaignant de démontrer que celle-ci ne constitue qu'un prétexte et que le comportement de l'employeur était effectivement empreint de discrimination(42).

[204] Il n'est pas nécessaire que des considérations liées à la discrimination soient la seule raison derrière le comportement reproché pour qu'une plainte soit accueillie. Il suffit que la discrimination soit un des facteurs qui ont motivé le comportement de l'employeur(43). La norme de preuve dans les affaires de discrimination est celle qui s'applique dans les affaires civiles ordinaires, c'est-à-dire la prépondérance des probabilités.

[205] Il est difficile de prouver des allégations de discrimination. Dans Basi (par. 38481), le Tribunal canadien des droits de la personne a déclaré :

La discrimination n'est pas un phénomène qui se manifeste ouvertement, comme on serait porté à le croire. Il est rare en effet qu'on puisse prouver par des preuves directes qu'un acte discriminatoire a été commis intentionnellement.

Le tribunal doit donc examiner toutes les circonstances afin de déterminer s'il existe ce qu'on a appelé dans Basi de subtiles odeurs de discrimination.

[206] Dans son ouvrage Proving Discrimination in Canada(44), Beatrice Vizkelety résume en ces termes le critère qui s'applique lorsqu'une preuve circonstancielle est présentée :

[Traduction]

Le critère qu'il convient d'appliquer dans les cas où une preuve circonstancielle est présentée et qui devrait être conforme avec cette norme [de la prépondérance de la preuve], peut donc être formulé comme suit : on peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible.

[207] Dans sa décision de renvoyer l'affaire au Tribunal, le juge Richard a expliqué que la preuve statistique dans le cas d'un problème systémique de discrimination peut être produite à titre de preuve circonstancielle pour conclure qu'il y a probablement eu discrimination dans un cas particulier également(45). Il cite le passage suivant qui figure à la page 156 de l'ouvrage de Mme Vizkelety :

[Traduction]

Par opposition à la preuve d'un comportement ou d'une inconduite en particulier de la part de l'intimé à un autre moment, le plaignant peut demander de produire des éléments de preuve liés aux pratiques générales en matière de personnel ou à la formation générale de la main-d'œuvre de l'employeur… afin d'établir que le comportement de l'intimé s'inscrit dans une tendance ou dans une pratique uniformisée de discrimination. Si la preuve est établie, on demandera à l'enquêteur de conclure de telles circonstances générales et d'autres éléments de preuve présentés à l'appui qu'il y a probablement eu discrimination aussi dans le cas particulier du plaignant.

[208] Citant la décision de la Commission d'enquête de l'Ontario dans Blake v. Mimico Correctional Institute(46), l'avocat de la Commission a soutenu que la preuve statistique d'un comportement discriminatoire vis-à-vis d'un groupe -- les membres des minorités visibles en l'occurrence -- peut suffire à établir une preuve prima facie de discrimination dans un cas particulier. Toutefois, la Commission d'enquête a également précisé dans cette même affaire qu'il peut en être ainsi seulement dans les cas où la preuve statistique démontre effectivement [Traduction] des disparités tellement énormes dans le traitement des groupes qu'elles ne peuvent vraisemblablement pas résulter d'un choix au hasard.

[209] Dans plusieurs affaires comportant des allégations de discrimination directe, dans lesquelles une preuve circonstancielle de nature statistique a été présentée, on a soutenu qu'il faut, pour établir une preuve prima facie de discrimination, produire des éléments de preuve supplémentaires établissant un lien entre les données et les actes discriminatoires reprochés. Dans Keats v. Newfoundland Tractor and Equipment Co.(47), la Commission d'enquête de Terre-Neuve a déclaré ce qui suit :

[Traduction] Même si la preuve statistique était suffisante en l'espèce pour établir une preuve prima facie de discrimination générale envers les femmes de la part de Newfoundland Tractor [l'intimée], il faut, pour que la plainte de Mme Keats [la plaignante] puisse être accueillie, que cette dernière établisse un lien entre ces pratiques générales de nature discriminatoire dont elle a été victime et l'acte qu'elle reproche à Newfoundland Tractor.

À l'appui de cette conclusion, la Commission d'enquête de Terre-Neuve a invoqué la décision rendue dans Ingram v. Natural Footwear(48) par la Commission d'enquête de l'Ontario, qui a affirmé ce qui suit :

[Traduction] En supposant, encore une fois, que la preuve révèle une tendance à appliquer des pratiques discriminatoires, il faudrait passer ensuite à l'étape suivante consistant à établir un lien entre l'existence des pratiques en question et l'incident dont il s'agit. [...] L'existence de telles pratiques [discriminatoires] pourrait être pertinente, mais ne serait pas concluante pour ce qui est de l'incident. En revanche, dans le cas d'un recours collectif, [...] l'établissement du fait que la pratique existait scellerait l'issue de la procédure en faveur du groupe de demandeurs.

Par recours collectif, la Commission d'enquête avait à l'esprit une plainte présentée au nom d'un groupe, telle que celle déposée au nom des femmes dans Action Travail des Femmes c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada(49).

[210] Le Tribunal canadien des droits de la personne a adopté une position similaire dans l'affaire Dhanjal c. Air Canada(50) :

En somme, une preuve statistique est utile, pertinente et probante lorsqu'elle fait voir une disparité de traitement à l'égard des membres d'une minorité raciale à l'occasion de certaines décisions discriminatoires de l'employeur, comme l'embauche, les promotions, les congédiements, des décisions discrétionnaires, etc. De plus, la preuve statistique doit avoir un lien avec la décision qui fait l'objet de la plainte.

[211] Dans le cas qui nous occupe, par conséquent, même si on établissait l'existence d'obstacles systémiques à l'accès des membres des minorités visibles à la catégorie EX, il faudrait, pour établir une preuve prima facie, que la Commission démontre qu'il existe un lien entre cette preuve et la preuve -- tant directe que circonstancielle -- de discrimination dans le cas particulier du Dr Chopra. Toutefois, plus la disparité est grande entre les données sur les membres des minorités visibles et les données sur les autres employés, moins il est nécessaire de présenter des éléments de preuve supplémentaires pour établir une preuve prima facie(51).

[212] Compte tenu, comme nous l'avons expliqué, de l'importance de la preuve statistique pour établir une preuve prima facie de discrimination, j'énoncerai d'abord mes conclusions à l'égard de cette preuve.

VII. L'ANALYSE DE LA PREUVE STATISTIQUE DE DISCRIMINATION SYSTÉMIQUE

[213] Dans Blake, la Commission d'enquête de l'Ontario a fait un examen approfondi de la jurisprudence canadienne et américaine ayant trait au recours à une preuve circonstancielle de nature statistique dans des affaires de discrimination envers un individu. La Commission d'enquête a signalé qu'un statisticien ne devrait pas être contraint de tenir compte de toute variable pertinente imaginable et de veiller à empêcher que toute variable non pertinente qui risque d'influencer sur le résultat statistique n'influe pas sur celui-ci. En outre, si on exigeait que les commissions des droits de la personne recueillent et compilent des données en plus de retenir les services d'experts pour faire des analyses statistiques, on leur imposerait un fardeau et des coûts excessifs. Par conséquent, on ne peut réfuter une telle preuve simplement en alléguant qu'il y a eu des irrégularités; il faut que l'intimé démontre que ces erreurs, omissions et lacunes ont influé sur les résultats statistiques d'une façon systématique(52).

[214] La Commission a soutenu que les critiques formulées par les témoins de l'intimé à l'égard de la preuve d'expert présentée par Mme Boukamp-Bosch et Mme Weiner étaient de cette nature et que les présumées lacunes que comportaient les données, la méthodologie et les analyses effectuées par ces témoins n'avaient guère influé sur l'essence même des conclusions voulant que les membres des minorités visibles se soient heurtés à des obstacles systémiques du point de vue des possibilités d'emploi dans la catégorie EX à Santé Canada au cours de la période visée (1987-1993). La contre-preuve de M. Sunter visait à confirmer ce point; par conséquent, la majeure partie du témoignage qu'il a présenté au nom de la Commission a consisté à démontrer que même si on corrigeait certaines erreurs, les résultats demeureraient essentiellement les mêmes.

[215] Cela étant dit, certaines erreurs que comporte la preuve d'expert de la Commission sont à mon avis graves.

A. Conclusions relatives à la preuve présentée par Mme Boukamp-Bosch

i) Répartition des données entre la catégorie SP et la catégorie ASE

[216] La lacune la plus importante de la preuve présentée par Mme Boukamp-Bosch se situe au niveau de la répartition des données entre la catégorie SP et la catégorie ASE (troisième étape de son analyse). Bien que ce ne semble pas être de sa faute, Mme Boukamp-Bosch a présumé à tort, probablement à cause d'un malentendu, que 75 % des EX faisaient partie au moment de leur nomination de la catégorie SP, où les minorités visibles sont plus fortement représentées que dans la catégorie ASE. Cependant, la preuve démontre que 65 % à 75 % des personnes nommées par voie de concours ou en vertu d'un autre mécanisme à des postes EX au cours de la période pertinente, provenaient en fait de la catégorie administrative et du service extérieur.

[217] De l'avis de la Commission, il n'y a pas de raison d'effectuer l'analyse statistique en se fondant sur la tendance historique, qui est peut-être en fait le résultat de pratiques discriminatoires. Autrement dit, on a donné la préférence aux employés de la catégorie ASE précisément en raison des formes subtiles de discrimination décrites par Mme Weiner, telles que les stéréotypes qui créent des attentes quant à l'image qu'on se fait d'un cadre. Par conséquent, Mme Boukamp-Bosch a exprimé l'opinion que malgré les tendances antérieures, on devrait s'attendre à ce que 75 % des personnes nommées EX proviennent du bassin de relève constitué des membres de la catégorie SP. Toutefois, je ne suis pas persuadé que la pratique ayant cours à Santé Canada qui consistait à promouvoir des membres de la catégorie ASE était liée à une activité discriminatoire.

[218] Les fonctions exercées par les cadres supérieurs au niveau EX à Santé Canada n'étaient pas nécessairement de nature scientifique et pouvaient tout aussi bien être de nature administrative. S'il est vrai que les postes EX à la Direction générale de la protection de la santé comportaient vraisemblablement un volet scientifique, il n'en était pas nécessairement de même dans le cas des autres directions générales. La Direction générale de la protection de la santé était la seule direction générale qui possédait un mandat de réglementation, lequel consistait à appliquer certaines lois. Par conséquent, pour reprendre les termes du Dr Liston, cette direction générale était la [Traduction] boîte scientifique au sein du Ministère. Bien qu'on puisse donner à penser que les promotions au sein de chaque direction générale devraient être accordées à des employés qui y occupent des postes à des niveaux inférieurs à celui de EX, la preuve révèle qu'au cours de la période de six ans examinée (1987-1993), seulement 15 EX ont été nommés à la Direction générale de la protection de la santé, ce qui a certes réduit les chances de ses employés qui aspiraient à être nommés à un poste EX au sein de cette composante du Ministère. Cela renforce la position de l'intimé, à savoir que lorsqu'on examine le mécanisme de nomination aux postes EX, il faut opter pour un vaste champ d'application et ne pas s'en tenir à Santé Canada. Il ne faut pas oublier non plus qu'avant 1993, les questions liées à la sécurité du revenu relevaient du Ministère.

[219] Enfin, on doit admettre qu'il faut suivre un certain cheminement professionnel pour gravir les échelons au sein d'une vaste organisation. Je ne vois aucunement pourquoi les membres de la catégorie administrative et du service extérieur seraient plus aptes que ceux de la catégorie scientifique et professionnelle à acquérir les compétences nécessaires pour accéder aux échelons administratifs supérieurs.

[220] L'avocat de la Commission a signalé que les membres du Tribunal canadien des droits de la personne ont conclu dans ACNRI qu'[I]l y a une importante sous-représentation des minorités visibles dans la catégorie ASE à Santé Canada et que cette sous-représentation est un facteur contributif du très faible nombre de membres des minorités visibles dans la gestion supérieure(53). J'analyserai plus loin les conséquences des conclusions énoncées dans ACNRI; cependant, il est important à ce stade-ci de préciser que ni moi ni le tribunal Soberman n'avons été saisis d'éléments de preuve relatifs aux groupes de relève de la catégorie ASE, à la disponibilité des membres des minorités visibles dans cette catégorie et aux taux d'utilisation y afférents. Comme je l'expliquerai plus loin, ma décision ne peut être fondée que sur la preuve qui a été présentée devant ce tribunal. Je ferai remarquer par ailleurs que, dans ACNRI, le tribunal a précisé que le fait de conclure à une sous-représentation au sein de la catégorie ASE ne démontre pas nécessairement que les pratiques de recrutement qui s'appliquent à cette catégorie sont empreintes de discrimination(54).

[221] Les conséquences de la répartition erronée entre la catégorie SP et la catégorie ASE sont importantes. La révision de la répartition 35/65 plutôt que 75/25 fait passer le taux de disponibilité au sein de Santé Canada de 10,7 % à 6,4 %. Le taux de disponibilité pour l'ensemble de la fonction publique diminue lui aussi, passant de 7,4 % à 5,0 %.

[222] La quatrième étape de l'analyse de Mme Boukamp-Bosch consistait à calculer le taux de disponibilité en fonction de divers niveaux de répartition des nominations (allant de 50 %/50 % à 80 %/20 %) entre Santé Canada et l'ensemble de la fonction publique fédérale. Si on applique le niveau de répartition le plus fabile (50 %/50 %) aux taux réduits de disponibilité mentionnés au paragraphe précédent, on obtient un taux global de 5,7 %. Même si on suppose que 60 % des EX auraient dû être recrutés au sein de Santé Canada, conformément à la tendance historique observée jusqu'en 1990, le taux de disponibilité obtenu n'est que de 5,9 %. Compte tenu de la tendance historique et de la portée interministérielle des exercices de recrutement de EX, j'estime qu'il serait déraisonnable de s'attendre à ce que plus de 60 % environ des EX nommés proviennent des rangs de Santé Canada. Néanmoins, même en optant pour le ratio improbable de 80 % Santé Canada/20 % fonction publique fédérale, le taux global de disponibilité générale n'augmente qu'à 6,1 %(55).

ii) Choix des groupes de relève

[223] Mme Boukamp-Bosch a eu tort de ne pas inclure les EX eux-mêmes dans le bassin de relève. La preuve révèle qu'au moins 25 des 102 exercices de dotation visant les postes du groupe de la direction (EX) qui ont été dénombrés au cours de la période pertinente ne se situaient pas au niveau d'entrée mais plutôt au niveau EX-02 ou à un niveau supérieur. Il est improbable que des employés au niveau EX moins deux, par exemple, qui n'ont aucune expérience de la gestion puissent avoir une chance réaliste d'obtenir un poste de haute direction qui exige de gérer un effectif d'au moins une centaine de personnes. Il est peut-être acceptable d'inclure dans le bassin de relève les EX moins un ou les EX moins deux lorsqu'on évalue le recrutement pour les postes EX aux niveaux inférieurs, mais cela ne l'est pas lorsqu'on tient compte également des postes EX aux niveaux supérieurs.

[224] Par ailleurs, il n'est pas impossible qu'un employé au niveau EX moins un possède la compétence nécessaire pour être nommé ou, si l'on préfère, pour accéder à un poste de EX-02. Le Ministère a ouvert aux employés au niveau EX moins un le concours tenu en mars et avril 1992 en vue de doter le poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits. C'est donc dire que l'employeur estimait qu'il était possible qu'un employé à ce niveau possède la compétence nécessaire pour accéder à un poste EX qui n'était pas au niveau d'entrée. Toutefois, c'est une erreur que de présumer que tous les employés à ce niveau ont les aptitudes voulues et constituent un véritable bassin de relève des EX qui se situent aux échelons supérieurs. Comme nous le verrons plus loin, l'experte de la Commission aurait pu remédier à cette lacune si elle avait opté pour une méthode d'analyse différente.

iii) Analyse statique et analyse du flux de candidats

[225] Dans Blake, la Commission d'enquête de l'Ontario a décrit deux méthodes d'analyse statistique auxquelles on peut avoir recours dans les affaires de discrimination, soit l' analyse statique et l' analyse du flux de candidats. L'analyse en cinq étapes effectuée par Mme Boukamp-Bosch était de nature statique. Comme l'a indiqué la Commission d'enquête, il est préférable d'utiliser l'autre méthode, celle du flux de candidats(56) :

Il existe une multitude de méthodes d'analyse statistique. En matière de discrimination, certaines conviennent mieux que d'autres; toutefois, aucune n'est irréprochable. Dans les affaires de discrimination dans l'embauche, la meilleure méthode est celle de l'analyse du flux de candidats. C'est la méthode retenue par la commission en l'espèce. Il s'agit de prouver qu'il y a disparité entre, par exemple, le pourcentage de femmes qui se portent candidates à un poste et le pourcentage de femmes qui sont nommées au poste en question. Cette méthode ne convient pas toujours. Par exemple, elle pose problème lorsque les pratiques discriminatoires de l'employeur sont tellement notoires qu'aucune femme ne prend la peine de poser sa candidature.

L'analyse statique est une autre méthode. Elle implique de comparer le pourcentage de femmes nommées à un poste avec le pourcentage de femmes compétentes au sein de la population générale où l'employeur recrute vraisemblablement ses employés. Le choix du bassin de main-d'œuvre approprié et des variables pertinentes pose des difficultés. Si on fait un mauvais choix, on risque d'obtenir des résultats statistiques erronés ou peu fiables. On a habituellement recours dans ces cas-là à des analyses complexes de régression multiple qui permettent de déterminer l'influence de plusieurs variables comme le sexe, la formation et l'expérience sur une variable comme l'avancement ou le salaire.

(Références aux sources externes omises)

[226] Comme je l'ai déjà indiqué, j'estime que le bassin de main-d'œuvre choisi par Mme Boukamp-Bosch aux fins de son analyse ne convenait pas. En outre, elle n'a pas tenu compte de variables comme la scolarité et l'expérience. Il est essentiel de prendre en considération ces éléments lorsqu'on analyse les exercices de dotation visant à doter des postes de haute direction au sein d'une organisation. Elle a omis en outre de tenir compte d'un autre facteur dans le volet statique de son analyse. Par exemple, le fait de déterminer la représentation des minorités visibles en 1988 à partir d'un instantané de la population EX implique que la plupart des employés ont été nommés avant cette année-là et peut-être même plus de dix ans auparavant. Le fait de ne pas savoir quelle était la disponibilité des membres des minorités visibles les années où chaque EX a été nommé n'aide pas à établir une preuve circonstancielle de discrimination dans le processus d'embauche.

[227] Le volet de l'analyse de Mme Boukamp-Bosch qui portait sur le flux de candidats, où elle s'est penchée sur les 102 nominations faites entre 1987 et 1993, était lui aussi incomplet. Les données brutes ont peut-être indiqué qu'un nombre disproportionné d'employés non issus des minorités visibles ont été promus à un poste EX au cours de la période examinée. Toutefois, leurs collègues issus des minorités visibles étaient-ils tout aussi compétents pour ces postes, du point de vue, par exemple, de la scolarité ou de l'expérience? Les données présentées par Mme Boukamp-Bosch ne permettent aucunement de répondre à cette question. Durant son contre-interrogatoire, elle a admis que la sélection des cadres n'avait pas été faite de façon aléatoire; cependant, elle n'a pas cherché à obtenir des données sur ces facteurs supplémentaires et, de toute façon, elle a affirmé dans son témoignage qu'elle ne possédait pas la compétence nécessaire pour effectuer une analyse aussi poussée.

[228] En outre, Mme Boukamp-Bosch n'a pas soumis ses conclusions à des tests statistiques. Elle a comparé le pourcentage des membres des minorités visibles au sein des groupes de relève avec le pourcentage des membres de ces minorités occupant un poste EX, puis elle a conclu qu'ils étaient sous-représentés dans la catégorie EX. Toutefois, elle n'a pas éliminé aux fins de cette analyse la possibilité que l'écart soit attribuable au hasard. Comme je l'ai expliqué dans l'analyse de l'enquête de M. Reitz, les statisticiens effectuent des tests statistiques afin d'atténuer l'effet du hasard sur les résultats. Si elle s'était livrée à de tels tests, Mme Boukamp-Bosch aurait pu déterminer le taux probable de représentation des membres des minorités visibles au sein de la catégorie EX, à l'intérieur d'un certain intervalle de variation, pour lequel le niveau de confiance serait exact, par exemple, 19 fois sur 20. Dans les cas où le taux de représentation aurait été en deça de cet intervalle de variation, elle aurait pu conclure à une sous-représentation statistiquement significative.

[229] Mme Boukamp-Bosch a soutenu que de tels tests auraient été [Traduction] inutiles dans le cas qui nous occupe, du fait que les chiffres étaient [Traduction] trop petits. Cependant, l'absence de tests statistiques implique que les résultats de son analyse peuvent être imputables au hasard. Mme Boukamp-Bosch a admis qu'il peut être difficile de tirer des conclusions à partir de petits chiffres. Je ne puis que conclure que si les chiffres sont trop petits, il n'y a pas de justification logique à laisser entendre qu'il existe des obstacles discriminatoires à l'accès des membres des minorités visibles à la catégorie EX.

[230] De surcroît, je fais mienne la conclusion énoncée dans Blake, à savoir que l'analyse du flux de candidats est la méthode statistique qui convient le mieux dans les cas de discrimination, particulièrement lorsqu'il s'agit d'embauche pour des fonctions d'encadrement ou de direction. Comme l'a affirmé Beatrice Vizkelety dans Proving Discrimination in Canada(57) :

[Traduction] Ce type de preuve, auquel on est habituellement très favorable, offre l'avantage de décrire le bassin réel de candidats, contrairement aux données démographiques qui tendent à définir un réservoir hypothétique de candidats; de plus, elle décrit le bassin de candidats possibles qui se situe le plus près du processus de sélection en cause, d'où la plus grande fiabilité des conclusions qu'on peut tirer à partir des disparités observées d'un stade à l'autre.

iv) Conclusion concernant la preuve de Mme Boukamp-Bosch

[231] Par conséquent, je trouve que la preuve statistique que la Commission a présentée par l'entremise de Mme Boukamp-Bosch est d'une utilité restreinte en l'espèce. Même si on faisait abstraction de la plupart des problèmes que je viens de soulever et qu'on acceptait sa méthodologie tout en révisant la répartition entre les catégories SP et ASE (taux de disponibilité de 5,9 % et ratio de 60 % Santé Canada/40 % fonction publique fédérale), on se serait attendu à ce que le nombre prévu de membres des minorités visibles nommés par voie de concours dans la catégorie EX au cours de la période pertinente soit de trois ou quatre sur une possibilité de 65. La preuve révèle qu'au moins deux membres des minorités visibles ont été nommés. Considérant l'effet des petits chiffres, tel que décrit par Mme Boukamp-Bosch elle-même, il n'y a pas à mon avis d'écart important entre le résultat escompté et le résultat réel.

[232] De plus, même si cet écart était important, la disparité est tellement minime qu'elle ne contribuerait guère à établir une preuve prima facie de discrimination à l'encontre du plaignant(58).

B. Témoignage de Mme Weiner concernant la preuve statistique de discrimination

[233] Mes conclusions au sujet de la preuve présentée par Mme Boukamp-Bosch ont, de toute évidence, des répercussions sur le témoignage de Mme Weiner. La conclusion de Mme Weiner selon laquelle [Traduction] il existe une preuve circonstancielle de discrimination raciale systémique à l'encontre du Dr Chopra face à ses efforts pour être promu à un poste EX à Santé Canada était fondée sur une preuve statistique, probablement celle de Mme Weiner et les résulats de l'enquête de M. Reitz, ainsi que sur d'[Traduction] autres éléments de preuve, qui résident apparemment dans la preuve de profane en l'espèce, dont elle a pris connaissance grâce à un résumé établi par l'avocat de la Commission. Mme Weiner n'a donc pas recueilli elle-même de données statistiques et elle n'a pas non plus effectué d'analyse statistique. J'ai déjà indiqué que je ne tiens pas compte de son témoignage en ce qui touche les conclusions de l'enquête Reitz. J'ai également souligné que ses conclusions basées sur les autres éléments de preuve dont elle a pris connaissance en lisant le résumé de la preuve préparé par la Commission sont d'une utilité restreinte.

[234] Après avoir examiné le rapport soumis par Mme Boukamp-Bosch en l'espèce, Mme Weiner a affirmé que les données [Traduction] démontrent clairement que les minorités visibles sont sous-représentées dans la catégorie EX, en dépit du fait que [Traduction] plus de 100 postes EX ont été comblés au cours de la période pertinente et qu'il y a [Traduction] un nombre élevé de membres des minorités visibles dans le pipe-line qui alimente la catégorie EX. La preuve présentée en l'espèce a démontré que ces hypothèses sont inexactes; par conséquent, toute conclusion que Mme Weiner a pu en tirer est forcément entachée de vice.

[235] À titre d'exemple, Mme Nan Weiner a estimé, à partir des données de Mme Boukamp-Bosch, que seulement 23 % à 26 % du bassin de membres des minorités visibles travaillaient (ou, en d'autres termes, étaient utilisés) au sein de la catégorie EX au cours de la période 1987-1993. Cependant, cette conclusion était basée sur un taux de disponibilité oscillant entre 9,6 % et 10,8 %, lequel était lui-même fondé sur les données de 1993 sur la disponibilité, et ce même si de nombreux EX dont il était question avaient été nommés avant 1987. En outre, comme nous l'avons expliqué plus haut, le taux de disponibilité des membres des minorités visibles en 1993 était plutôt de l'ordre de 5,7 % à 6,1 % si l'on révise la répartition des données entre la catégorie SP et la catégorie ASE.

[236] Fait plus important, il semble douteux que le taux d'utilisation, tel qu'appliqué par Mme Weiner en l'espèce, soit le critère approprié pour déterminer s'il y a discrimination, particulièrement par rapport à l'accès à des postes de haute direction qui exigent des compétences spécialisées. Un faible taux d'utilisation peut certes être une indication que, pour certaines raisons, le groupe désigné ne progresse pas. Cela devrait amener les employeurs, les employés et les autres parties intéressées à examiner la situation plus en profondeur en vue d'établir des politiques et méthodes visant à maximiser l'utilisation de ce groupe. C'est peut-être ce qui a incité Santé Canada à créer dans les années 1990 le Comité consultatif sur les minorités visibles. Toutefois, en l'absence d'un examen plus détaillé des politiques en place et des exercices de dotation en personnel, on ne peut être certain que la discrimination systémique soit la cause de la sous-utilisation. Une analyse plus approfondie pourrait, par exemple, démontrer qu'il n'y a pas suffisamment de membres de ce groupe qui se portent candidats en vue de promotions. On pourrait alors se demander pourquoi il en est ainsi, et des recherches plus poussées pourraient démontrer qu'un certain traitement discriminatoire n'est pas étranger à cette situation. Cependant, je crois que le simple fait de se fier au taux d'utilisation sans faire une plus ample analyse n'aide pas vraiment à établir une preuve circonstancielle de discrimination.

[237] Eu égard à tous les motifs précités, j'ai conclu que le témoignage de Mme Weiner au sujet de la preuve statistique de discrimination n'est guère utile en l'espèce et ne constitue certes pas en soi une preuve circonstancielle suffisante à première vue de discrimination personnelle, conformément aux allégations formulées dans la plainte du Dr Chopra.

C. Effet de la décision ACNRI

[238] Le jour même où le Dr Chopra a déposé sa plainte en l'espèce, l'Alliance de la Capitale nationale sur les relations inter-raciales (ACNRI) a présenté une plainte à l'encontre du Ministère, alléguant que celui-ci s'était rendu coupable de discrimination en contravention de l'article 10 de la LCDP en appliquant des lignes de conduite susceptibles d'annihiler les chances d'emploi d'une catégorie d'individus (membres des minorités visibles). Il s'agissait en l'occurrence d'une plainte de discrimination systémique, particulièrement en ce qui touche l'avancement. Il semble que toutes les parties aient convenu avant le début de la première audience dans cette affaire que la plainte déposée par l'ACNRI en vertu de l'article 10 ne serait pas réunie avec celle du Dr Chopra et serait instruite par un tribunal distinct(59).

[239] La plainte de l'ACNRI a été instruite en 1995 et 1996 par un tribunal de trois membres qui a rendu sa décision le 19 mars 1997. Le Dr Chopra a témoigné dans cette affaire. Il est précisé dans la décision qu'il était alors président du comité sur l'équité en matière d'emploi de l'ACNRI et le président sortant de l'ACNRI. Il a joué un rôle de premier plan dans la présentation de la plainte de l'ACNRI devant la Commission(60). Outre le Dr Chopra, plusieurs autres personnes qui ont témoigné en l'espèce semblent avoir comparu également dans l'affaire ACNRI. C'est le cas notamment de Mmes Boukamp-Bosch, Weiner, Gael McLean, Ivy Williams, Shirley Cuddihy et Sylvia Pollock. Il est question dans la décision ACNRI de nombreux faits que nous avons également examinés en l'espèce, notamment les circonstances entourant l'emploi du Dr Chopra à Santé Canada et la note Cuddihy.

[240] Sur la foi de la preuve qui lui a été présentée, le tribunal a énoncé dans ACNRI de nombreuses conclusions au sujet de la plainte présentée en vertu de l'article 10, y compris les suivantes (par. 162) :

  • Il y a une importante sous-représentation des minorités visibles dans la gestion supérieure à Santé Canada.
  • Il y a une importante sous-représentation des minorités visibles dans la catégorie ASE à Santé Canada.
  • Il y a une forte concentration des membres des minorités visibles dans le groupe de relève de la catégorie SP; les membres des minorités visibles font face à un goulot d'étranglement dans le groupe de relève et n'accèdent pas à la gestion supérieure.

Dans ACNRI, le tribunal a conclu (par. 170) que les plaignants avaient présenté une preuve prima facie de discrimination que l'intimé n'avait pas réfutée. Le tribunal a ordonné à Santé Canada d'adopter et de mettre en œuvre un programme de mesures correctives visant notamment à corriger les effets de la discrimination antérieure et faire en sorte que la structure organisationnelle de Santé Canada reflète plus fidèlement la diversité de son effectif et de sa démographie(61).

[241] Dans ses conclusions finales en l'espèce, l'avocat de la Commission a exprimé l'avis que l'intimé devrait être [Traduction] empêché de remettre en litige la même question que celle dont le tribunal constitué dans l'affaire ACNRI avait été saisi, soit l'existence d'une discrimination systémique dans l'avancement des membres des minorités visibles aux échelons administratifs supérieurs à Santé Canada. Essentiellement, la Commission a affirmé que la doctrine de la chose jugée, ou plus particulièrement la préclusion pour chose jugée, m'empêche d'examiner cette question. Dans Angle c. Ministre du Revenu national(62), la Cour suprême du Canada, citant lord Guest dans Carl Zeiss Stiftung v. Rayner & Keeler Ltd. (No. 2)(63), a défini comme suit les conditions d'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée :

  1. que la même question ait été décidée;
  2. que la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion soit finale;
  3. que les parties dans la décision judiciaire invoquée, ou leurs ayants droit, soient les mêmes que les parties engagées dans l'affaire où la préclusion est soulevée, ou leurs ayants droit.

Dans l'arrêt qu'elle a rendu récemment dans Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc.(64), la Cour suprême du Canada a déclaré (par. 62 et suivants) qu'il faut se rappeler que, bien que les trois conditions d'application de la préclusion découlant d'une question déjà tranchée doivent être réunies pour que celle-ci puisse être invoquée, le fait que ces conditions soient présentes n'emporte pas nécessairement l'application de la préclusion.

[242] Toutefois, il faut d'abord appliquer le critère énoncé dans Carl Zeiss Stiftung. Par conséquent, en l'espèce, pour ce qui est de la deuxième condition, la décision ACNRI est finale puisqu'elle n'a fait l'objet d'aucune demande de contrôle judiciaire. Les choses ne sont pas aussi simples pour ce qui est des deux autres conditions.

[243] Le Dr Chopra n'était pas officiellement partie à l'affaire ACNRI. Cependant, il était membre de cette organisation, dont il était l'un des dirigeants et un ancien président. Cela fait-il de lui un ayant droit aux termes de la décision ACNRI? Dans Saskatoon Credit Union Ltd. v. Central Park Enterprises Ltd.(65), la Cour suprême de la Colombie-Britannique a souligné que la question du lien juridique n'avait pas fait l'objet d'une application stricte au Canada. Dans la première instance, un règlement était intervenu et la cour avait rendu une ordonnance sur consentement annulant certaines mutations faites par les défendeurs du fait qu'elles étaient frauduleuses. Par la suite, un deuxième créancier des défendeurs a demandé que la cour annule ces mêmes mutations pour le motif qu'elles étaient frauduleuses. La cour a statué que la question des transactions frauduleuses avait été pleinement examinée dans le cadre de la première action et que les défendeurs ne pouvaient remettre en litige la question. Elle a affirmé que la doctrine du lien juridique était assez générale pour s'appliquer aux deux créanciers, faisant remarquer que tous les deux avaient le même intérêt dans l'actif du débiteur, que l'un et l'autre avaient été [Traduction] préjudiciés par les transactions frauduleuses et que tous les créanciers avaient le droit de bénéficier des résultats du litige antérieur(66). De même, le Dr Chopra avait un intérêt évident dans la procédure instituée par l'ACNRI; en outre, il a assisté à l'audience et y a témoigné. Je suis persuadé qu'aux fins de cette analyse, on peut le considérer, par rapport à l'instance en question, comme un ayant droit.

[244] La dernière exigence est que la question à trancher en l'espèce soit la même que celle sur laquelle le tribunal a statué dans ACNRI. De l'avis de l'avocat de l'intimé, les questions à examiner sont sensiblement différentes. Dans ACNRI, un groupe alléguait être victime de discrimination systémique en contravention de l'article 10 de la LCDP. Toutefois, cette distinction ne signifie pas nécessairement que les deux affaires ne portaient pas sur une question similaire. Après tout, la Commission n'a pas invoqué le cause of action estoppel mais bien la préclusion pour chose jugée (issue estoppel). Par conséquent, la conclusion voulant que les minorités visibles soient fortement sous-représentées au sein de la haute direction constituerait un fait substantiel commun aux deux instances, qu'elle s'insère dans le contexte de l'article 7 ou dans celui de l'article 10.

[245] Cependant, l'intimé a fait observer que le terme gestion n'a pas été défini de la même manière dans chaque cas. Dans ACNRI, la plaignante a allégué que l'intimé appliquait des lignes de conduite susceptibles d'annihiler les chances d'emploi des membres des minorités visibles à des postes de direction ou de gestion de niveau supérieur. D'autre part, Mme Boukamp-Bosch s'est limitée dans sa preuve en l'espèce à la catégorie EX, excluant de ce fait les autres postes de gestion comme ceux qui se situent à des niveaux équivalant à celui de EX.

[246] À première vue, il s'agit là d'une distinction importante car elle signifie que les groupes d'employés ayant fait l'objet d'une analyse dans chacune des instances devant le Tribunal canadien des droits de la personne étaient différents. Ce qui est bizarre dans cet argument, évidemment, c'est que, compte tenu de la preuve qu'on m'a présentée à savoir que la représentation des minorités visibles aux niveaux équivalant à celui de EX est plus forte qu'elle ne l'est dans la catégorie EX proprement dite, l'inclusion, dans la preuve produite devant le tribunal constitué dans ACNRI, des données concernant les employés aux niveaux équivalant à celui de EX aurait favorisé, aurait-on pu penser, une conclusion voulant que les minorités visibles ne soient pas sous-représentées. Cependant, le tribunal est parvenu à la conclusion opposée dans ACNRI. Par conséquent, même si les groupes dont il s'agissait étaient peut-être différents, l'impact de cette distinction sur la présente instance est peut-être, en fait, minime. Quel que soit l'effet réel par rapport aux questions différentes en cause, il n'en demeure pas moins qu'il s'agissait de questions distinctes, c'est-à-dire de groupes d'employés distincts, et que, par conséquent, l'exception de chose jugée ne devrait pas s'appliquer.

[247] Cependant, la preuve qui a été présentée dans chaque cas comportait d'autres incohérences apparentes qui soulèvent une autre question -- plus inquiétante celle-là -- par rapport à la tentative de la Commission pour invoquer la préclusion pour chose jugée. Dans ACNRI, le tribunal a déclaré que 25 % des cadres faisant partie de la catégorie EX provenaient de la catégorie ASE(67). Selon la preuve qui m'a été présentée, le pourcentage de membres issus de la catégorie ASE, du moins pour ce qui est des 102 personnes nommées entre 1987 et 1993, se situait entre 65 % et 75 %. Ces chiffres ont été dérivés des données sur le flux de candidats par rapport à ces nominations qui n'ont pas, semble-t-il, été produites devant le tribunal constitué dans ACNRI. En l'espèce, Mme Boukamp-Bosch a énuméré 20 groupes professionnels de la catégorie SP à titre de groupes de relève de la catégorie EX; cependant, dans le rapport qu'elle a présenté au tribunal constitué dans ACNRI, elle en avait sélectionné 17. En revanche, dans ACNRI, le tribunal a entendu de vive voix les témoignages de M. Reitz et de plusieurs autres témoins experts et non-experts, que ni le tribunal Soberman ni moi n'avons entendus.

[248] Il y a donc lieu de se demander si l'on devrait nier à la Commission la possibilité d'invoquer à cette étape de l'instance la préclusion pour chose jugée, alors qu'elle a déjà présenté des preuves différentes, voire même opposées, à celles qu'elle a produites dans ACNRI. L'intimé soutient que la Commission aurait dû soulever la préclusion pour chose jugée à titre de question préliminaire, au début de la deuxième audience en l'espèce. Elle aurait pu le faire par voie de requête alléguant que la preuve statistique qui n'avait pas été produite lors de la première audience avait déjà été présentée au tribunal constitué dans ACNRI et que ce dernier avait prononcé des conclusions concluantes au sujet de cette preuve. La décision de la Commission de présenter de nouvelles preuves soulève plutôt le spectre de l'existence de deux arguments contradictoires en matière d'équité. D'une part, est-on équitable envers la Commission et le plaignant si l'on permet que l'intimé puisse remettre la question en litige? D'autre part, est-on équitable envers l'intimé si l'on permet à la Commission de produire une preuve en l'espèce et, une fois que l'intimé a réussi à contester avec succès cette preuve lors du contre-interrogatoire ou la présentation de sa propre preuve, de se défendre en me demandant de ne pas tenir compte d'une partie ou de la totalité de sa preuve, et de me rabattre plutôt sur les conclusions d'un autre tribunal?

[249] Il est utile d'examiner le mode habituel d'application de l'exception de chose jugée. Le défendeur peut invoquer ce principe comme moyen de défense lorsqu'il est confronté à une action visant à remettre en litige une question qui a déjà été jugée. Comme l'a expliqué Donald J. Lange dans son ouvrage The Doctrine of Res Judicata in Canada(68), le demandeur a le droit lui aussi d'invoquer le principe, mais celui-ci doit être plaidé :

[Traduction]

[L]e demandeur peut également invoquer le principe en raison du caractère réciproque de la res judicata. Bien qu'il n'existe pas de source sur ce point, il est évident que, si le demandeur invoque la res judicata, il devrait également la plaider dans la demande introductive d'instance.

La permission de plaider le principe de la res judicata peut être accordée. Lorsque le défendeur estime qu'une chose a déjà été jugée, il doit soit plaider le principe de la res judicata comme moyen de défense en fournissant les détails requis et en laissant la procédure suivre son cours, soit demander au tribunal de trancher ce point à titre de question préliminaire. Il faut que le plaidoyer de res judicata précise bien les faits dont il découle; il ne s'agit pas simplement d'invoquer la première instance et l'ordonnance. Il faut plaider de façon distincte les faits suffisamment pour démontrer que la question soulevée dans la deuxième instance a nettement été jugée lors de la première instance. Il s'agit d'une règle de preuve qu'il faut plaider si l'on a l'intention de l'invoquer lors du procès. La partie qui omet de le faire lorsqu'elle a l'occasion de plaider ce principe renonce à la préclusion. Cependant, il n'est nécessaire de plaider la chose jugée que s'il faut contester un plaidoyer opposable.

(Non souligné dans l'original. Citations omises)

Je ferai remarquer que dans l'affaire Saskatoon Credit Union(69), la partie demanderesse a invoqué le principe de la res judicata par voie de requête préliminaire, après que les parties défenderesses eurent présenté leur mémoire de défense exposant les points qu'ils tentaient de remettre en litige.

[250] Ce n'est que dans ses conclusions finales que la Commission a demandé une ordonnance à ce sujet ou l'autorisation de plaider la préclusion pour chose jugée. À l'audience, elle a présenté une preuve statistique, dont une grande partie, ai-je conclu, ne peut être corroborée. Bien que l'instruction des plaintes relatives aux droits de la personne soit moins empreinte de formalisme que les instances judiciaires, et même s'il n'était pas nécessaire de présenter de mémoire en l'espèce, la Commission a eu l'occasion de demander au tribunal de rendre une décision confirmant que je suis lié par les conclusions énoncées dans ACNRI, compte tenu de la doctrine de la préclusion pour chose jugée. Comme je l'ai indiqué au début de cette décision, les parties ont présenté, avant que de nouveaux éléments de preuve soient produits, plusieurs requêtes préliminaires ou intérimaires visant à obtenir des avis et directives quant à l'ampleur de la preuve à produire; la Commission a d'ailleurs saisi le tribunal d'une telle requête. À cette occasion, la question de la préclusion pour chose jugée n'a fait l'objet d'aucune requête préliminaire ou intérimaire. Par conséquent, j'estime que même si la question avait été tranchée dans les deux cas, la Commission a renoncé en l'espèce à son droit de plaider la préclusion pour chose jugée. Ma conclusion est fondée sur les principes d'équité envers toutes les parties; en outre, elle est conforme à l'état du droit, tel que décrit sommairement dans l'extrait ci-haut.

[251] Je suis conscient du fait que, en dépit de ces conclusions concernant la question de la préclusion pour chose jugée, certains auront l'impression que j'ai été mis dans la position plutôt embarrassante de contredire les conclusions d'un autre tribunal. Cependant, je crois que, même si la question soulevée dans les deux cas était la même, il serait inacceptable et capricieux de faire abstraction de mes propres conclusions et opinions, compte tenu de la preuve que la Commission elle-même m'a présentée, et de me laisser guider par une preuve que ni moi ni le tribunal Soberman n'avons entendue et qui diffère de celle produite en l'espèce. Jusqu'à un certain point, je me retrouverais dans une situation semblable à celle dans laquelle la Commission s'était retrouvée dans l'affaire Athwal c. Banque Canadienne Impériale de Commerce(70). Mme Athwal s'était plainte à la Commission d'avoir été victime de discrimination raciale. La Commission a rejeté la plainte sur la foi du rapport de son enquêteur. Mme Athwal a adressé à la Cour fédérale une requête en contrôle judiciaire, soutenant que la Commission était précluse de tirer les conclusions ayant entraîné le rejet de la plainte du fait qu'un conseil d'arbitrage constitué en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi(71) avait énoncé antérieurement des conclusions différentes au sujet des mêmes questions. Même si sa conclusion voulant que la préclusion pour chose jugée ne s'applique pas dans cette affaire reposait principalement sur le fait que les parties aux deux instances étaient différentes, la Cour fédérale a également fait remarquer (par. 69) ce qui suit :

[...] il lui était loisible et il était loisible à la Commission de conclure que la demanderesse n'avait pas été harcelée, traitée d'une façon différente ou obligée de démissionner, parce qu'il avait à sa disposition des éléments de preuve différents de ceux dont disposait le conseil arbitral.

(Non souligné dans l'original)

[252] La Commission a fait valoir, à titre d'argument subsidiaire, que les conclusions énoncées dans ACNRI devraient au moins avoir une certaine valeur persuasive pour déterminer s'il y a discrimination systémique en l'espèce. Toutefois, j'estime que les éléments de preuve présentés dans les deux affaires comportent trop de différences et d'incohérences pour que je puisse invoquer avec confiance les conclusions de l'autre tribunal.

VIII. L'ANALYSE DES FAITS

[253] Les faits présentés en preuve dans cette affaire en ce qui touche la relation du plaignant avec l'intimé s'échelonnent de 1969, année de l'embauche du Dr Chopra, jusqu'au milieu de 1990. Dans sa plainte, le Dr Chopra a allégué qu'il avait été défavorisé en raison de sa race, de sa couleur et de son origine nationale ou ethnique, par rapport à la promotion de Mme Franklin au poste de directeur, Médicaments humains prescrits. Le Dr Chopra a également fait état des commentaires [Traduction] menaçants formulés par le Dr Liston au cours de leur rencontre de février 1992, des nombreuses modifications apportées à ses évaluations de rendement en mars 1992 et, enfin, de certaines observations ou qualifications de la part du Dr Somers et d'un avocat du Ministère à son sujet. Le Dr Chopra a conclu que ces actes dont il a été victime étaient attribuables à sa couleur, à sa race et à son origine nationale ou ethnique.

[254] Durant les plaidoiries finales, les avocats ont débattu des paramètres de la présente instruction, étant donné qu'une grande partie de la preuve présentée par la Commission allait au-delà des questions abordées dans la plainte. Après avoir soigneusement examiné les mémoires de toutes les parties, y compris celui du Dr Chopra lui-même, je crois qu'il s'en dégage, somme toute, un consensus, à savoir que je puis déterminer au regard de l'ensemble de la preuve la valeur de celle-ci, le cas échéant, à titre de preuve circonstancielle à l'appui d'un aspect clé de la plainte, c'est-à-dire la dotation du poste de directeur du Bureau des médicaments humains prescrits, au cours de la période 1990-1992. Cette conclusion est également fondée sur le fait que, selon l'avocat de la Commission, les mesures de redressement demandées par le plaignant seraient rétroactives à 1992. De même, dans Uzoaba c. Canada (Service correctionnel)(72), on a jugé que les éléments de preuve antérieurs à la période pour laquelle on demande dans la plainte des mesures de redressement peuvent également être présentés afin de mettre en contexte les conséquences des événements faisant l'objet de la plainte, du point de vue du plaignant. Aussi ai-je examiné la totalité de la preuve factuelle présentée en l'espèce aux fins de l'analyse décrite ci-après, sans me limiter aux faits précis dont il est fait mention dans la plainte, dans la mesure, bien sûr, où il est possible d'établir un certain lien avec ces faits et la dotation du poste de directeur. En outre, l'analyse est faite conformément à mes conclusions antérieures concernant l'application des conclusions de fait ou de droit du tribunal Soberman.

[255] Le concours final visant à doter le poste de directeur, Médicaments humains prescrits, a été annoncé en mars 1992. Mme Franklin a été nommée au poste en avril 1992. Le Dr Chopra a vu sa candidature être éliminée à la présélection parce que son expérience en gestion n'était pas récente. Le critère énoncé dans Shakes a trait aux cas où le plaignant n'est pas embauché par l'employeur; toutefois, la situation décrite dans cette affaire est certes très analogue à celle du Dr Chopra par rapport au concours de 1992, où il allègue qu'il n'a pas été promu au poste de EX-02 alors qu'une personne non issue d'une minorité visible l'a été.

[256] En appliquant le critère Shakes aux faits entourant le concours de 1992, j'ai conclu que la Commission et le plaignant ont omis de satisfaire à la première des trois conditions qui en régissent l'application lorsqu'il s'agit d'établir une preuve prima facie, à savoir démontrer que le plaignant était compétent pour occuper le poste de EX-02 à pourvoir.

[257] Je ne vois pas de raison de contester la conclusion du tribunal Soberman à savoir que le plaignant possédait peu d'expérience en gestion hiérarchique par rapport au poste de haute direction qu'il convoitait. Je conviens également que la condition préalable établie par le Ministère relative à l'expérience en gestion pour occuper le poste d'une durée indéterminée de directeur d'un bureau était un motif raisonnable justifiant l'élimination de sa candidature à la présélection(73). Le Dr Chopra n'a acquis aucune expérience en gestion hiérarchique au cours de son affectation au projet GAO; cependant, elle lui a certes permis d'acquérir une importante formation qui, conjuguée à sa participation au Programme de perfectionnement des cadres supérieurs, auraient dû le préparer à une occasion de s'orienter vers la gestion.

[258] Le problème réside dans le fait qu'il a négligé de profiter des possibilités qui se sont présentées, particulièrement en ce qui concerne le poste de chef de division qu'occupait le Dr Davis et qui est devenu vacant en 1987, de même que le concours tenu en 1989 pour doter le poste de chef de la Division de l'innocuité pour les humains. En ce qui touche ce dernier poste, les raisons invoquées par le plaignant pour expliquer sa décision de ne pas se porter candidat peuvent paraître valables de son point de vue subjectif. Toutefois, sur un plan objectif, elles étaient injustifiées; comme le tribunal Soberman l'a fait remarquer, le Dr Chopra a été malavisé. Les preuves supplémentaires qui m'ont été présentées corroborent cette conclusion énoncée par le premier tribunal. Je souscris à l'opinion du Dr Liston et de Mme McLean, à savoir que les avantages liés à l'obtention d'un poste plus stimulant à la faveur d'une promotion qui aurait permis d'acquérir de nouveaux bagages d'expérience en gestion auraient été énormes par rapport à l'augmentation de salaire relativement faible qui, selon le plaignant, en aurait résulté. Dans son témoignage, le Dr Yong, qui s'est porté candidat et a obtenu la nomination, a affirmé qu'il ne se sentait pas [Traduction] inférieur du fait que le poste était classifié BI-05.

[259] Toutefois, la question la plus importante et inquiétante consiste à savoir s'il existe des éléments de preuve permettant d'établir un lien entre le manque d'expérience en gestion du Dr Chopra et les actes ou omissions de l'employeur et, le cas échéant, si ces actes et omissions sont d'une façon ou d'une autre attribuables à un traitement différent fondé sur un motif illicite aux termes de la LCDP.

A. Éléments de preuve antérieurs à 1990

[260] Dans son témoignage, le plaignant a fait état d'un certain nombre d'occasions où l'intimé l'aurait défavorisé au cours de la période 1969-1987. Il a fait allusion notamment au fait qu'il n'a pas été nommé chef de section en 1971, au fait qu'il n'a pas été détaché auprès du Conseil des sciences en 1972, au fait qu'il n'a pas été nommé chef de la section de l'immunologie en 1978 et au refus initial de reclassifier son poste au niveau VM-4 en 1987. Il a également fait état de la manière dont il a été traité à son retour en 1980 de son affectation à l'Organisation mondiale de la santé, dont il avait obtenu une bourse, de la cote qui lui a été attribuée à l'occasion de son évaluation de rendement de 1990, cote qui aurait dû à son avis être relevée (supérieur plutôt que entièrement satisfaisant), et de la nomination du Dr Ritter à titre de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires. Le tribunal Soberman a conclu que ces faits ne suffisaient pas à établir une preuve suffisante jusqu'à preuve du contraire qu'il y [avait] discrimination en violation de l'article 7 de la [LCDP]. Fort des preuves supplémentaires qui m'ont été fournies sur certains de ces points, je conviens qu'aucune conclusion de discrimination ne peut être tirée à partir de ces faits, qu'ils soient considérés séparément ou dans le contexte de l'ensemble de la preuve.

[261] Le plaignant a allégué que, au cours de cette même période (1969-1987), il n'a pas bénéficié de la part de son employeur des conseils et de l'aide qui lui auraient permis d'acquérir l'expérience en gestion nécessaire pour accéder à un poste de gestion supérieur. Dès 1974, on a conseillé au Dr Chopra de s'inscrire à des programmes de perfectionnement professionnel tels que le CAP; plus tard, on lui a conseillé de s'inscrire au PAM. La preuve démontre que le plaignant n'a pas donné suite à ces recommandations.

[262] Le tribunal Soberman a conclu que de telles responsabilités ne peuvent être laissées totalement à la seule attention de l'employé dans une bureaucratie aussi grande et que l'insensibilité de l'intimé a aggravé la frustration du Dr Chopra et, en fin de compte, a fait naître chez lui des soupçons quant à la possibilité que la discrimination raciale ait joué un rôle dans le fait qu'il a été ignoré(74). Néanmoins, le premier tribunal a jugé que ces conclusions ne permettaient pas d'établir une preuve prima facie de discrimination. Toutefois, j'ajouterai que les nouvelles preuves qui m'ont été présentées ont étayé l'argument voulant que, en fin de compte, c'est à l'employé qu'il incombe de chercher et d'obtenir de telles occasions de formation et d'avancement. Par conséquent, j'estime qu'on ne peut à partir de ces circonstances conclure qu'il y a eu discrimination de la part de l'intimé.

B. Éléments de preuve antérieurs à la période 1990-1992

[263] Tous les éléments de preuve passés en revue ci-dessus étaient antérieurs à la période 1990-1992, où le poste de directeur, Médicaments humains prescrits, est devenu vacant. Pour les raisons exposées ci-dessous, on peut conclure, au regard des actes posés par l'intimé durant cette période, que l'origine nationale ou ethnique du Dr Chopra a joué dans les décisions prises par l'intimé, lesquelles ont empêché le Dr Chopra d'acquérir l'expérience en gestion dont il aurait eu besoin lorsque le concours visant à combler la vacance s'est déroulé en 1992.

[264] En septembre 1990, lorsque le poste est devenu vacant à la suite du départ du Dr Gordon Johnson, le Dr Chopra a aussitôt informé ses supérieurs, les Drs Somers et Liston, de son désir de remplir les fonctions, du moins à titre d'essai selon un système de roulement, de concert avec d'autres candidats. Au moment même où le plaignant formulait sa demande, les Drs Somers et Liston prenaient les mesures de dotation nécessaires pour confier le poste à Mme Franklin. Ce qui est frappant au sujet de cette nomination, c'est que Mme Franklin n'était pas compétente pour le poste. Toute croyance erronée de la part de l'intimé voulant qu'elle soit compétente pour le poste aurait dû être dissipée le 9 juillet 1991 lorsque le CACFP a statué qu'elle ne satisfaisait pas ni aux [Traduction] exigences sur le plan des connaissances ni à l'exigence en matière de bilinguisme.

[265] Bien qu'on ait jugé que Mme Franklin n'avait pas la compétence voulue, l'intimé l'a maintenue à ce poste, même après que la CFP eut émis une directive ordonnant qu'elle cesse de l'occuper à compter du 20 septembre 1991. Bien sûr, au cours de toute cette période, le Dr Chopra a continué de s'opposer à son maintien en fonctions; toutefois, l'intimé n'a à aucun moment jugé à propos de le nommer ou de l'affecter au poste à titre intérimaire.

[266] Les conséquences de la négligence de Santé Canada à donner au Dr Chopra la chance d'occuper ce poste à titre intérimaire lorsque l'occasion s'est présentée sont importantes. Si le Dr Chopra avait exercé les fonctions du poste pendant la totalité ou une partie de la période précédant le concours final, il aurait acquis l'expérience de gestion récente nécessaire pour franchir l'étape de la présélection. À cet égard, il est intéressant de noter que le Dr Liston avait déclaré avant l'audience du CACFP menée par M. Gaston Carbonneau, au sujet de l'appel du Dr Chopra visant le concours de 1992, que les connaissances techniques acquises par Mme Franklin par suite de sa nomination intérimaire au poste étaient [Traduction] concluantes du point de vue de la satisfaction de cette exigence. La Cour fédérale a finalement statué que le CACFP aurait continué à décider que la présélection de Mme Franklin était justifiée même abstraction faite de l'expérience technique acquise après la décision de 1991 du CACFP la déclarant incompétente(75). Néanmoins, il ressort clairement des deux décisions qu'un employé acquiert une expérience considérable lorsqu'il occupe à titre intérimaire un poste auquel il se porte ultérieurement candidat.

[267] En outre, il est évident que l'intimé a fait montre de favoritisme à l'endroit de Mme Franklin à l'occasion de la dotation de ce poste, particulièrement au cours de la période qui a précédé le dernier concours en 1992. En fait, il est possible qu'elle ait été maintenue à ce poste grâce à certaines irrégularités commises par l'intémé en matière de dotation en personnel. Je note qu'en raison du règlement hors cour de la requête présentée par le Dr Chopra devant la Cour fédérale relativement au maintien en poste de Mme Franklin, aucun tribunal n'a jamais examiné cette question. La Commission a également soutenu que le fait que les compétences exigées pour le concours de 1992 aient été modifiées de façon à englober plus clairement l'éventail de connaissances de Mme Franklin constituait une autre irrégularité.

[268] Le fait qu'un employeur prenne des mesures illégales ou non orthodoxes en matière de dotation en personnel ne signifie pas nécessairement que les mesures en question soient empreintes de discrimination. Dans l'affaire Kibale c. Transports Canada(76), le Tribunal canadien des droits de la personne a déclaré ce qui suit (par. 24369) :

Il semble au soussigné très dangereux d'établir une règle selon laquelle, lorsqu'il y a irrégularité ou même illégalité absolue dans l'administration du processus de dotation en personnel de la fonction publique du Canada, un Tribunal des droits de la personne doit présumer que cette irrégularité ou illégalité a été motivée par une pratique de discrimination sans d'autre preuve rattachant cette irrégularité ou illégalité à un motif de distinction illicite. Le refus ou la négligence par des fonctionnaires à se conformer aux règles en vigueur pour limiter leur discrétion et leur champ de manœuvre peut s'expliquer par maintes d'autres faiblesses humaines que la discrimination.

Le Tribunal a également déclaré (par. 24371) :

[C]e n'est pas au Tribunal des droits de la personne qu'incombe le pouvoir de contrôle et de surveillance du fonctionnement du processus de dotation en vertu de la Loi concernant l'emploi dans la fonction publique du Canada et les règlements décrétés sous son autorité. Ce pouvoir de contrôle et de surveillance appartient à la Cour fédérale du Canada. […] Même si le Tribunal des droits de la personne constate des irrégularités dans le processus d'embauche, notre pouvoir est limité à dire si oui ou non ces irrégularités ont été motivées par des motifs de distinction illicite.

[269] Qu'il y ait eu ou non en l'espèce quelque irrégularité dans le processus de dotation en personnel, tel que décrit dans la Loi sur l'emploi dans la fonction publique(77), j'estime qu'on peut raisonnablement conclure des opinions exprimées par le sous-ministre adjoint dans la note Cuddihy qu'un lien a été établi entre les actes posés par l'intimé dans le cadre de la dotation du poste de directeur et un motif de distinction illicite.

[270] Bien que la note Cuddihy soit à proprement parler une preuve par ouï-dire, le paragraphe 50(4) de la LCDP autorise les membres du Tribunal canadien des droits de la personne à admettre tout élément de preuve qu'ils jugent approprié, qu'il soit ou non admissible devant un tribunal judiciaire. L'importance à accorder à cette preuve dépend toutefois de la mesure dans laquelle le document reflète fidèlement les commentaires que les Drs Liston et Somers ont vraiment faits à Mme Cuddihy. Je note que le tribunal Soberman, qui a eu le loisir d'entendre le témoignage de Mme Cuddihy, n'a fait aucune remarque quant à la possibilité que le document ne soit pas digne de foi. En fait, le tribunal Soberman a cité abondamment ce document dans l'exposé de ses motifs. En outre, dans son propre témoignage, le Dr Liston n'a pas contesté le contenu de la note mais plutôt la [Traduction] saveur qu'on lui a donnée. Il a rejeté l'idée que les commentaires formulés reflétaient des opinions stéréotypées de sa part à l'égard des minorités. Il a également insisté sur le fait que, dans son esprit, l'entretien devait porter sur le CCMV et non sur le grief en instance du Dr Chopra. Je ferai également remarquer que Mme Cuddihy travaillait encore à Santé Canada à titre de chef des Relations de travail, Opérations, lorsqu'elle a été assignée à témoigner devant le tribunal Soberman. Rien dans son témoignage, qui a été fait environ trois ans après sa rencontre avec le Dr Liston, n'indique que son compte rendu de la conversation était incomplet. En fait, lorsqu'il l'a contre-interrogée, l'avocat de l'intimé n'a pas tenté de mettre en doute l'exactitude du texte; le témoin a simplement été invité à donner son interprétation des commentaires exprimés. Pour ces motifs, je conclus que la note Cuddihy reflète fidèlement la teneur de la conversation entre Mme Cuddihy et le Dr Liston.

[271] Les commentaires du Dr Liston auxquels Mme Cuddihy a fait référence sous la rubrique [Traduction] Généralités faisaient état des [Traduction] différences culturelles de certains employés, de leur [Traduction] héritage culturel et de leur [Traduction] bagage culturel. Le Dr Liston a ajouté que les points qu'il soulevait représentaient non pas [Traduction] un problème de couleur, mais bien de culture. Compte tenu du contexte dans lequel s'inscrivait la conversation, et notamment de l'opinion du Dr Liston selon laquelle la discussion portait sur les travaux du Comité consultatif sur les minorités visibles, je conclus que ses remarques avaient trait de toute évidence aux membres des minorités visibles travaillant à Santé Canada dont les origines nationales ou ethniques sont variées, y compris les personnes originaires de l'Asie du Sud comme le Dr Chopra.

[272] À mon avis, les déclarations du Dr Liston révèlent qu'il tient fondamentalement pour acquis que les personnes d'une [Traduction] culture différente n'ont peut-être pas les aptitudes nécessaires pour occuper un poste de haute direction, du fait qu'en raison de leur héritage culturel, on n'a pas mis l'accent sur leurs [Traduction] compétences non techniques telles que la communication, la persuasion et la négociation, ce qui joue contre elles. Voici les explications fournies à cet égard par l'experte de la Commission, Mme Nan Weiner.

[Traduction]

Cette déclaration correspond à un stéréotype courant en vertu duquel on tient pour acquis que tous les membres d'un certain groupe sont pareils; elle nie les différences qu'on retrouve au sein de tout groupe racial, ethnique ou national. Les différences sont toujours plus grandes au sein d'un groupe donné (p. ex., un groupe ethnique) qu'entre plusieurs groupes. Cela signifie, par exemple, que chaque groupe racial compte certains membres qui sont en mesure de gérer à tous les échelons de l'échelle allant du style de gestion autocratique au style de gestion participative.

De telles opinions ont pour effet d'influencer à tort, et peut-être inconsciemment, l'opinion d'un superviseur quant aux personnes aptes à être choisies pour occuper un poste de gestion. Mme Weiner a fait référence dans son témoignage au rapport de la United States Federal Glass Ceiling Commission -- Good for Business: Making Full Use of the Nation's Human Capital -- [Traduction] Rapport d'enquête de la Commission fédérale du plafond de verre, publié par le Département du travail, le 16 mars 1995(78), où l'on énonce la conclusion suivante :

[Traduction] Une fois que les individus ont été recrutés, des styles de communication différents et des idées différentes quant à ce qui constitue un comportement convenable et acceptable peuvent volontairement ou par inadvertance créer des obstacles à leur avancement et influencer l'évaluation des superviseurs quant à leur rendement et à leur potentiel.

[273] Je n'entends pas laisser croire que la note Cuddihy prouve que le Dr Liston avait l'intention de faire montre de discrimination à l'égard des minorités visibles ou qu'il favoriserait délibérément un Blanc au détriment d'un membre d'une minorité visible en raison de sa couleur. Je ne doute pas que le Dr Liston était sincère lorsqu'il a dit dans son témoignage ne pas croire que les membres des minorités visibles ne peuvent s'avérer de bons gestionnaires. Toutefois, les remarques qu'il a faites à Mme Cuddihy voulant que certaines [Traduction] cultures ne suivent pas en affaires la [Traduction] méthode américaine et qu'il faille donner à ces personnes de la formation afin qu'elles puissent mieux communiquer et adopter un [Traduction] style moins autoritaire impliquent bel et bien qu'elles doivent changer d'une façon ou d'une autre si elles veulent pouvoir accéder à des postes de haute direction. Bien qu'on puisse interpréter ces déclarations comme la description d'une méthode permettant à un membre d'un groupe minoritaire de devenir un cadre, comme on l'a indiqué dans la décision Soberman(79), on peut également y voir une prédisposition à exclure, peut-être inconsciemment, un candidat issu d'une minorité visible parce qu'il n'est pas encore jugé apte, au regard de ces critères.

[274] Le Dr Chopra faisait-il partie de la catégorie des personnes qui, selon le Dr Liston, doivent changer pour devenir aptes à occuper un poste de haute direction? Fait intéressant, le sous-ministre adjoint a affirmé qu'il faudrait que ces minorités [Traduction] culturelles adoptent un [Traduction] style moins autoritaire et apprennent à mieux communiquer et négocier. Dans la deuxième partie de la note Cuddihy, qui porte précisément sur le Dr Chopra, il est précisé que le Dr Liston estimait que le plaignant était [Traduction] autoritaire et [Traduction] porté à l'affrontement et qu'il n'était pas un négociateur. Le Dr Liston a précisé dans son témoignage qu'il avait eu très peu de rapports avec le Dr Chopra après la fin du projet GAO en 1980 et que sa remarque n'était pas nécessairement fondée sur ses relations personnelles avec le Dr Chopra, mais plutôt sur certains commentaires constituant du [Traduction] ouï-dire qui lui auraient été faits quelques années après la fin du projet GAO, au sujet des difficultés que deux directeurs de bureau auraient éprouvées avec le plaignant au cours de la mise en œuvre du programme. Le Dr Liston était pour sa part satisfait du rendement du Dr Chopra dans le cadre du projet GAO. Aucune des évaluations de rendement du Dr Chopra ne fait état de difficultés de cet ordre; bien au contraire, on y souligne souvent des traits caractéristiques tels que sa capacité de faire montre [Traduction] de tact et de circonspection et son aptitude à négocier.

[275] Par conséquent, même si sa seule source était une déclaration sur la foi d'autrui, le Dr Liston était d'avis en 1992, comme il l'a expliqué dans son témoignage, que les [Traduction] qualités personnelles du Dr Chopra n'étaient pas aussi bonnes que ses [Traduction] connaissances théoriques. Je ne puis que conclure que les commentaires formulés par le Dr Liston au sujet du Dr Chopra reflétaient sa perception selon laquelle ce dernier comptaient parmi le membres issus des minorités visibles qui n'avaient pas les [Traduction] compétences non techniques nécessaires pour gérer.

[276] Quelle influence cette perception du Dr Chopra a-t-elle eu sur le processus de dotation du poste de directeur? Santé Canada a eu un choix à faire : d'abord lorsque le poste est devenu vacant en septembre 1990, puis, entre juillet et septembre 1991, après que le CACFP eut statué que Mme Franklin n'était pas compétente pour le poste. À l'une et l'autre occasion, l'intimé aurait pu nommer le Dr Chopra à titre intérimaire en attendant le concours final. Santé Canada a plutôt nommé une employée qui n'appartenait pas à une minorité visible, Mme Franklin. Les opinions attribuées au Dr Liston dans la note Cuddihy donnent à croire que, essentiellement, l'on n'a aucunement réfléchi à l'idée de nommer le Dr Chopra, car on croyait simplement qu'il n'avait pas les [Traduction] compétences non techniques nécessaires, comme le voulait la perception générale du sous-ministre adjoint à l'égard de certaines personnes de cultures diverses. J'estime que cette conclusion est plus probable que les autres conclusions possibles. Au regard du critère énoncé dans O'Malley, je suis persuadé que la preuve est suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant en l'absence de réplique de la part de l'intimé, et que le plaignant et la Commission ont établi une preuve prima facie de discrimination, de sorte qu'il incombe à l'intimé de fournir une explication raisonnable pour justifier ses actes.

[277] Afin de justifier sa décision de ne pas choisir le Dr Chopra pour occuper le poste de directeur à quelque moment que ce soit avant le concours de 1992, l'intimé a expliqué que le plaignant n'avait pas une expérience en gestion suffisante, comme cela avait été le cas pour le concours proprement dit. Cette explication semble à première vue raisonnable, particulièrement à la lueur de ma conclusion antérieure à savoir que, compte tenu de la situation réelle en 1992, le Dr Chopra n'était pas en fait qualifié du point de vue de l'expérience en gestion. Cependant, il reste à déterminer si cette explication constitue un prétexte pour ce qui est de la période antérieure au concours.

[278] Le 28 septembre 1990, le Dr Liston a réagi à la première manifestation d'intérêt du Dr Chopra à l'égard du poste de directeur. Le Dr Liston a dit au plaignant que le Dr Somers était en train d'[Traduction] examiner toutes les options pour la période de transition, mais que le Ministère était intéressé à confier le poste à une personne ayant [Traduction] une formation médicale. Le 4 octobre 1990, le Dr Somers a également écrit au plaignant; dans sa lettre, il a précisé ce qui suit : [Traduction] nous avons conclu des arrangements intérimaires pour que Mme C. Franklin occupe ce poste. Je ferai remarquer que ni l'une ni l'autre des lettres ne fait mention du manque d'expérience en gestion du Dr Chopra. Fait plus intéressant, les lettres donnent l'impression qu'on a examiné la candidature du Dr Chopra jusqu'à ce que soit prise la décision de nommer Mme Franklin. Cependant, la preuve indique que le Dr Liston a demandé que Mme Franklin soit nommée dès le 13 septembre 1990, le jour même où le Dr Chopra a officiellement demandé qu'on songe à le nommer au poste.

[279] À cet égard, il est intéressant d'examiner les réponses que l'intimé a fournies au syndicat du Dr Chopra, l'IPFPC, au sujet de ce processus de recrutement, et qui ont été documentées dans une note rédigée par le syndicat le 9 novembre 1990. Dans sa réponse à la question du syndicat relativement à la méthode utilisée pour choisir le directeur intérimaire du Bureau des médicaments humains prescrits, l'intimé a, semble-t-il, déclaré ce qui suit :

[Traduction]

Aucune méthode de recrutement en bonne et due forme n'a été suivie. Comme dans la plupart des affectations intérimaires, la direction a procédé à une évaluation informelle des employés de la Direction générale, puis a choisi la personne qui était selon elle la plus apte à remplir les fonctions à titre intérimaire pendant une période de quatre mois. Il n'y a pas de trace écrite du processus de sélection. Cette affectation intérimaire a été approuvée par le sous-ministre.

L'intimé aurait dit également que Mme Franklin était plus compétente que le Dr Chopra, parce qu'elle était [Traduction] plus expérimentée et que ses évaluations [Traduction] faisaient ressortir ses excellentes aptitudes à la gestion, bien que cette explication ait de toute évidence été fournie après la nomination de Mme Franklin et l'objection formulée subséquemment par le Dr Chopra à l'égard de celle-ci, objection qui était à l'origine de la demande du syndicat.

[280] J'ai également tenu compte de la décision du CACFP rendue par Mme Helen Barkley le 19 juillet 1991. Mme Barkley a déclaré que la conclusion du Dr Somers à savoir que le Dr Chopra [Traduction] ne satisfaisait pas aux exigences relatives à l'expérience en gestion a été tirée en se fondant sur une [Traduction] évaluation rétrospective du Dr Chopra.

[281] À mon avis, ces circonstances entourant la première nomination de Mme Franklin démontrent clairement qu'on n'a pas sérieusement envisagé en septembre 1990 la possibilité de nommer le Dr Chopra au poste de directeur, et que les Drs Liston et Somers avaient opté dès le départ pour Mme Franklin. Ce n'est qu'après que le plaignant eut commencé à contester la nomination, en octobre 1990, que l'intimé a comparé les deux personnes et déclaré que le plaignant était moins compétent.

[282] Ce qui est particulièrement inquiétant, toutefois, c'est que, même s'il est peut-être vrai que le Dr Chopra n'avait pas une expérience en gestion suffisante lors de la première phase du processus de recrutement, l'attitude du Ministère n'a pas changé lorsque le CACFP a déclaré le 19 juillet 1991 que Mme Franklin n'avait pas elle non plus la compétence voulue parce qu'elle ne répondait pas à trois des quatre conditions sur le plan des connaissances de même qu'à l'exigence en matière de bilinguisme. Si Mme Franklin avait vraiment été choisie à cause de sa compétence, le Ministère aurait dû, dès que cette décision a été rendue, la retirer du poste et la remplacer par une personne vraiment compétente. On ne peut que se demander comment Santé Canada peut invoquer le manque de compétence du plaignant alors que le Ministère lui-même a nommé au poste une personne non compétente.

[283] Après avoir soigneusement examiné toute la preuve qui m'a été présentée, j'ai conclu que l'explication fournie par l'intimé, bien qu'elle paraisse à première vue raisonnable, est en fait un prétexte. Je suis donc persuadé qu'on peut raisonnablement conclure que l'omission d'offrir au Dr Chopra l'occasion d'être nommé à titre intérimaire au poste de directeur, Médicaments humains prescrits, particulièrement après la décision du 19 juillet 1991 du CACFP, est attribuable, du moins en partie, à la perception du sous-ministre adjoint voulant que le Dr Chopra ne soit pas apte à occuper ce poste de gestion en raison de ses [Traduction] horizons culturels ou, plus précisément, de son origine nationale ou ethnique. À cet égard, l'intimé a fait montre de discrimination envers le Dr Chopra, dont la plainte est fondée. Bien que j'aie conclu que l'intimé était responsable de ne pas avoir donné au Dr Chopra la chance d'être nommé à titre intérimaire au poste de directeur et d'acquérir ainsi l'expérience en gestion récente dont il aurait eu besoin pour que sa candidature soit retenue à la présélection lors du dernier concours, il n'est pas certain, bien sûr, qu'il aurait obtenu la nomination si sa candidature avait été retenue à cette étape. C'est là un point qu'il faut examiner dans le contexte de l'évaluation des dommages; toutefois, cette question n'influe pas sur ma conclusion concernant la responsabilité du Ministère.

[284] En concluant à la responsabilité de l'intimé, je suis conscient que je m'écarte peut-être de certaines conclusions du tribunal Soberman. Cependant, je crois que ma décision a été prise conformément à mon pouvoir de substituer mon point de vue dans les cas où j'estime que le premier tribunal a commis une erreur palpable ou manifeste dans l'évaluation des faits. En outre, j'ai entendu une bonne partie de la preuve pertinente relativement à ces questions durant la deuxième audience, et notamment lors du témoignage de Mme Weiner à titre d'experte et du témoignage du Dr Liston. Je dois nécessairement évaluer cette nouvelle preuve à la lumière de l'ensemble de la preuve, y compris celle présentée au premier tribunal(80).

[285] Ainsi, le tribunal Soberman a présumé que la description du Dr Liston voulant que le plaignant soit [Traduction] autoritaire et [Traduction] porté à l'affrontement était basée sur la façon dont il était vraiment perçu par rapport à son différend avec l'employeur et aux accusations qui en ont découlé, lesquelles auraient offusqué des cadres supérieurs comme le Dr Liston. Au contraire, le Dr Liston, lorsqu'il a témoigné devant moi, a affirmé que ces commentaires étaient fondés uniquement sur du ouï-dire par rapport à des incidents qui s'étaient produits plus d'une dizaine d'années auparavant. Le tribunal initial a aussi émis l'opinion que, en raison de ce différend, la direction a peut-être jugé que la candidature du Dr Chopra avait été dûment éliminée à la présélection en raison des lacunes présentées sur le plan des relations personnelles. Aucune preuve indiquant que cet élément ait jamais joué dans l'élimination du Dr Chopra à la présélection n'a été fournie en preuve à l'un ou l'autre tribunal. L'intimé a constamment soutenu que la candidature du Dr Chopra avait été éliminée à la présélection tant pour la nomination à titre intérimaire au poste de directeur que pour la nomination au poste pour une durée déterminée parce qu'il ne possédait pas l'expérience en gestion nécessaire.

[286] L'avocat de la Commission a respectueusement fait valoir que le tribunal Soberman a erré dans l'application des critères juridiques à la preuve en énonçant comme suit dans sa décision les points à débattre(81) :

En premier lieu, est-il raisonnable de conclure que la conduite du Ministère constituait un traitement inéquitable du Dr Chopra? En deuxième lieu, si nous concluons qu'il y a eu traitement inéquitable, cela constituait-il de la discrimination prohibée par la Loi?

De l'avis de l'avocat de la Commission, cette méthode est similaire au critère qui a été appliqué dans Kennedy v. Mohawk College (1973) (Commission d'enquête de l'Ontario) (décision non publiée) et dont il est question dans Basi(82) :

Bien souvent, les tribunaux ont établi que si l'on conclut à la discrimination à partir de preuves circonstancielles à l'appui du plaignant, la conclusion :

doit être en accord avec l'allégation de discrimination et en contradiction avec toute autre explication rationnelle. [Kennedy c. Mohawk College]

Dans Basi, le Tribunal canadien des droits de la personne a rejeté ce critère et adopté celui énoncé par Beatrice Vizkelety dans son ouvrage Proving Discrimination in Canada(83), à savoir qu'[Traduction] on peut conclure à la discrimination quand la preuve présentée à l'appui rend cette conclusion plus probable que n'importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible. Même si le tribunal Soberman n'a pas posé les questions exactement de cette façon, je ne vois pas la nécessité de comparer le critère Basi avec la méthode suivie par le tribunal Soberman pour déterminer s'il y avait une erreur dans les conclusions de droit du premier tribunal. Je me contenterai de répéter que j'ai effectué mon analyse de la preuve conformément au critère Vizkelety énoncé dans Basi.

C. Autres allégations de discrimination

[287] Le tribunal Soberman n'a formulé dans sa décision aucun commentaire relativement à l'affirmation du Dr Chopra voulant qu'il se soit senti menacé par les remarques faites par le Dr Liston lors de leur rencontre de février 1992 selon lesquelles les appels et les procédures entamées par le Dr Chopra devant la Cour fédérale ne seraient pas préjudiciables à sa carrière. Comme je l'ai indiqué plus haut dans la présente décision, le plaignant n'a pas fait allusion, dans le compte rendu qu'il a établi à la suite de cette réunion, au fait qu'il s'était senti menacé. Aucune preuve supplémentaire n'a été présentée à l'appui de cette prétention lors de la deuxième audience; par conséquent, je conclus que ces circonstances ne donnent pas lieu à une violation des droits conférés au Dr Chopra par la LCDP. En outre, j'estime que, somme toute, aucune preuve n'a été présentée au cours de l'une ou l'autre audience relativement à la façon dont le Dr Somers et un avocat non nommé qui représentait le ministère auraient décrit le Dr Chopra ou aux observations qu'ils auraient formulées à son sujet.

[288] Par ailleurs, le Dr Chopra n'a pas à mon avis fait l'objet d'un traitement défavorable dans le cadre du concours tenu en décembre 1993 pour doter le poste de directeur du Bureau des médicaments vétérinaires. Bien que sa candidature ait été rejetée à la présélection en raison de son manque d'expérience récente en gestion, on a également jugé qu'il ne répondait pas au deuxième critère sur le plan de l'expérience, à savoir les relations avec les organismes externes. On n'a produit aucune preuve indiquant que le Dr Chopra satisfaisait en fait à ce critère ou que le fait qu'il ne possédait pas cette expérience était attribuable à un comportement discriminatoire de la part de l'intimé. Je suis convaincu que le Dr Chopra n'était pas compétent pour le poste et que, par conséquent, le critère Shakes n'a pas été satisfait.

[289] En outre, aucune preuve n'était la prétention du Dr Chopra voulant que la discrimination ait joué dans l'incident de 1993 mettant en cause un délégué syndical, voire même qu'on ait exercé contre lui des représailles en raison des plaintes qu'il avait déposées à l'encontre de l'intimé. Certes, les questions soulevées par le Dr Chopra et d'autres fonctionnaires, par l'entremise de l'ACNRI, avaient à ce moment-là créé certaines frictions entre ces employés et leurs employeurs. Dans ce contexte, il n'aurait pas été inopportun qu'un directeur général nouvellement nommé fasse enquête sur ces questions ou même qualifie ces différends de problème. C'est là une autre question à propos de laquelle le tribunal Soberman n'a pas tiré de conclusions.

[290] La principale préoccupation du Dr Chopra à l'égard de la plainte de 1990 du Dr Drennan à son sujet n'avait pas trait tellement au fait qu'elle était restée à tort dans son dossier pendant quatre autres années après avoir été rejetée; en réalité, le Dr Chopra s'inquiétait de ce qu'elle avait été faite deux jours seulement après qu'il eut envoyé des lettres à la CFP et au sous-ministre au sujet de l'équité en matière d'emploi à Santé Canada. Cependant, si l'on fait abstraction du court intervalle entre les deux événements, il ne semble pas y avoir de preuves permettant d'établir un lien entre eux. Je ferai remarquer ici une fois de plus que le tribunal Soberman n'a pas du tout fait référence à cet élément de preuve dans sa décision. Par conséquent, je rejette l'idée que la discrimination ait joué un rôle en ce qui touche la plainte du Dr Drennan ou que cette plainte ait été liée aux plaintes et allégations de discrimination du Dr Chopra.

[291] Il reste à examiner l'allégation énoncée dans la plainte que l'intimé ait modifié les rapports d'évaluation de rendement de 1991 et 1992 dans l'intention d'étayer sa défense face à la prétention du Dr Chopra selon laquelle il avait été victime d'un traitement discriminatoire. Le fait que les passages suppprimés ou insérés étaient beaucoup moins flatteurs que les textes originaux est à mon avis inquiétant. Il y a lieu de s'inquiéter également du fait que les nouvelles observations semblent correspondre très étroitement aux arguments invoqués en défense, tant devant le CACFP que devant ce tribunal, c'est-à-dire que le plaignant manquait d'expérience en gestion et qu'il ne s'était jamais porté candidat à des postes de cadre intermédiaire. Il semble que les modifications apportées en 1991 aient été maintenues, mais qu'on ait fait marche arrière dans le cas de celles faites en 1992, après que le Dr Chopra eut exprimé des objections. Il se peut que les modifications en question aient terni son dossier d'employé, mais on n'a présenté aucun élément de preuve à cet égard. Le tribunal Soberman a émis un seul commentaire au sujet de ces modifications, précisant qu'il était évident que le désaccord entre le Dr Chopra et ses supérieurs s'était amplifié, et que leurs relations s'étaient envenimées au cours des années 1990 et 1991.

[292] Au regard du caractère similaire des modifications et de la défense présentée par l'intimé en réponse aux plaintes du Dr Chopra, j'ai conclu que les supérieurs de ce dernier n'auraient pas tenté de modifier ses rapports d'évaluation de rendement, n'eût été des allégations et des plaintes de comportement discriminatoire qu'il avait portées à ce moment-là à l'encontre de l'intimé. J'estime donc que les supérieurs du Dr Choppa ont pris ces mesures en guise de représailles contre lui. L'article 14.1 de la LCDP, sous sa forme actuelle, précise que le fait d'exercer des représailles contre un individu constitue un acte discriminatoire(84). Ce n'était pas le cas au moment où le Dr Chopra a déposé sa plainte, ou lorsque ces incidents sont survenus. Dans l'affaire Nkwazi c. Service correctionnel du Canada(85), le Tribunal canadien des droits de la personne a récemment soutenu qu'appliquer la nouvelle disposition de la Loi relative aux représailles à des actes qui sont survenus avant l'entrée en vigueur de l'article en question pour conclure que les mesures de représailles constituent une infraction distincte à la Loi équivaudrait à rattacher de nouvelles conséquences à des événements qui ont eu lieu avant la promulgation. Selon le Tribunal, on donnerait ainsi un effet rétroactif à la Loi, ce qui n'est généralement pas permis et ce qui n'est pas cautionné par le libellé du texte. Bien qu'on ne puisse considérer les mesures de représailles prises par l'intimé comme un fondement autonome de la responsabilité en vertu de la LCDP telle qu'elle était libellée à l'époque, il s'agit peut-être là d'un élément pertinent par rapport à la question des dommages-intérêts, dans la mesure où on peut établir un rapport de cause à effet entre les mesures de représailles et les actes discriminatoires initiaux.

[293] Dans le cas du Dr Chopra, je suis persuadé que ses plaintes et allégations de comportement discriminatoire de la part de l'intimé ont incité ses supérieurs à tenter de modifier ses rapports d'évaluation de rendement. Bien sûr, la nature du préjudice qui en a résulté ainsi que les diverses mesures de redressement demandées sur les autres plans sont des points à examiner.

D. Mesures de redressement

[294] Durant les plaidoiries finales, la Commission, le plaignant et l'intimé ont tous accepté de remettre à plus tard la présentation de leurs arguments et possiblement d'éléments de preuve supplémentaires, par rapport aux mesures de redressement, en attendant ma décision à propos de la responsabilité de l'intimé. Si je devais déclarer l'intimé responsable, je conserverais ma compétence, laissant ainsi aux parties le loisir de s'entendre sur des mesures de redressement ou, à défaut d'une entente, de présenter des éléments de preuve, s'il y a lieu, ainsi que des mémoires.

IX. L'ORDONNANCE

[295] Eu égard à ces motifs, je déclare que l'intimé a violé les droits conférés au Dr Chopra par la Loi canadienne sur les droits de la personne. Je conserve ma compétence en l'espèce pour ce qui est des mesures de redressement. Si les parties ne parviennent pas à s'entendre à ce sujet, elles peuvent communiquer avec le greffe du Tribunal afin qu'il fixe d'autres dates d'audience.

Athanasios D. Hadjis, président

OTTAWA (Ontario)

Le 13 août 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T492/0998

INTITULÉ DE LA CAUSE : Shiv Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)

1999 : le 17 et 18 mai 2000 : le 21 janvier

les 17 et 18 juin les 31 janvier et 1er février

du 5 au 7 juillet du 1er au 3 mars

du 13 au 16 septembre le 25 avril

les 14 et 15 octobre les 2, 5 et 19 juin

le 15 novembre le 18 septembre

les 1er et 2 décembre du 31 octobre au 2 novembre

le 11 décembre

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 13 août 2001

ONT COMPARU :

Shiv Chopra en son propre nom

Peter Engelmann au nom de la Commission canadienne des droits de la personne

David A. Migicovsky au nom du ministère de la Santé nationale et du Bien-être social

1. Chopra c. ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, [1996] D.C.D.P. no 3 (Q.L.) (T.C.D.P.) (Décision Chopra no 1).

2. Commission canadienne des droits de la personne c. ministère de la Santé nationale et du Bien-être social (6 avril 1998), T-792-96, (1998) 146 F.T.R. 106 (C.F., 1re inst.).

3. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social c. Commission canadienne des droits de la personne (12 janvier 1998), A-312-98, (C.A.F.).

4. J. Sopinka, S. Lederman, A. Bryant, The Law of Evidence in Canada, (Toronto : Butterworths, 1991), pp. 131 et 132.

5. (1985) 6 C.H.R.R. D/2894.

6. [1986] 2 R.C.S. 466.

7. No T520/1599, p. 4431 de la transcription.

8. Les personnes suivantes ont témoigné devant le tribunal Soberman : Shiv Chopra, Frances Henry, Ian Henderson, Michael Davis, Shirley Cuddihy, Ivy Williams, Zul Nanji, Jacques Messier, Man Sen Yong, Danielle Auclair. Ont témoigné devant moi les personnes suivantes : Erika Boukamp-Bosch, Nan Weiner, Alan Sunter, Albert Liston, Shirley Mills, Judith Davidson-Palmer, Sylvia Pollack, Gael McLean.

9. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, précitée, note 3.

10. L.C. 1976-1977, c. 33.

11. L.C. 1998, c. 9, art. 29.

12. (1996) 30 C.H.R.R. D/302 (tribunal d'appel du T.C.D.P.).

13. Ibid, par. 307.

14. (1998) 31 C.H.R.R. D/383 (tribunal d'appel du T.C.D.P.).

15. (23 décembre 1996), Ottawa, T-2250-95 (C.F., 1re inst.).

16. Les organigrammes donnent à croire qu'il existait sept directions à la Direction générale de la protection de la santé; cependant, les preuves présentées ont permis d'établir que le Directeur administratif de la direction générale et le Directeur - Services centraux n'étaient pas à la tête d'une direction.

17. L.R.C. 1985, c. P-33.

18. Ibid.

19. Ibid.

20. Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, (19 juillet 1991), 91-NHW0482 (CACFP) (Décision Chopra no 2).

21. Ibid, p. 9.

22. Ibid, p. 11.

23. Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social (27 juillet 1992) 92-NHW-0641 (CACFP) (Décision Chopra no 4).

24. Chopra c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, (23 novembre 1993) T-2143-92 (C.F., 1re inst.) (Décision Chopra no 5).

25. Décision Chopra no 4, précitée, note 25, p. 75.

26. L.R.C. 1985, c. A-1.

27. L.R.C. 1985, c. P-35.

28. Chopra c. Canada (Conseil du Trésor) (31 août 1995), T-813-94 (C.F., 1re inst.) (Décision Chopra no 3).

29. Casorso c. Santé Canada, (14 novembre 1994) 93-NHW-0513 (CACFP).

30. L.C. 1995, c. 44.

31. Précitée, note 28.

32. [1997] D.C.D.P. no 3 (Q.L), 28 C.H.R.R. D/179 (T.C.D.P.).

33. 362 employés des groupes de relève de la cat. ASE + 648 employés des groupes de relève da la cat. SP = 1 010 employés au total.

34. 34 (0,50 x 6,4 %) + (0,50 x 5,0%) = 5,7 %

35. 35 (0,80 x 6,4 %) + (0,20 x 5,0 %) = 6,1 %

36. Selon les données que Mme Boukamp-Bosch a obtenues de la CFP, il y aurait eu durant cette période 107 nominations; toutefois, selon d'autres preuves produites à l'audience, le nombre de ces nominations aurait été, en fait, d'au plus 102.

37. Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, p. 208; O'Malley c. Simpsons-Sears Ltd. [1985] R.C.S. 536, p. 558.

38. O'Malley, ibid.

39. (1981), 3 C.H.R.R. D/1001, par. 8918. (Commission d'enquête de l'Ontario).

40. (1983), 4 C.H.R.R. D/1616 (Trib. can.), p. 1618, confirmée par (1984) 5 C.H.R.R. D/2147 (Trib. can. d'appel).

41. Chander c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, [1995] D.C.D.P. no 16, (T.C.D.P.), pp. 11 et 12, confirmée par [1997] A.C.F. no 692 (C.F., 1re inst.); Singh c. Canada (Statistique Canada), [1998] D.C.D.P. no 7, (T.C.D.P.), par. 157, confirmée par Canada (Procureur général) c. Singh (14 avril 2000), T-2116-98 (C.F., 1re inst.).

42. Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1988), 9 C.H.R.R. D/5029 (T.C.D.P.), par. 38474; Grover c. Conseil national de recherches du Canada (1992) 18 C.H.R.R. D/1 (T.C.D.P.), par. 152; Chander, ibid, p. 10; Singh (T.C.D.P.), ibid, par. 162.

43. Singh (T.C.D.P.), précitée, note 41, par. 166; Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (1991) 14 C.H.R.R. D/12 (C.A.F.), par. 7; Chander (T.C.D.P.), précitée, note 41, p. 11; Pitawanakwat c. Canada (Secrétariat d'État) (1992) 19 C.H.R.R. D/10 (T.C.D.P.), par. 85.

44. (Toronto : Carswell, 1987), p. 142.

45. Commission canadienne des droits de la personne c. Ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, précitée, note 2, par. 22.

46. (1984), 5 C.H.R.R., D/2417, (Commission d'enquête de l'Ontario), par. 20100.

47. [1994] N.H.R.B.I.D. no 2, (Commission d'enquête de T.-N.) (Q.L.), par. 62.

48. (1980), 1 C.H.R.R. D/59, (Commission d'enquête de l'Ontario), par. 532.

49. [1987] 1 R.C.S. 1114.

50. 50 [1996] D.C.D.P. no 4, (T.C.D.P.) (Q.L.), par. 173.

51. Blake, précitée, note 46, par. 20129 et 20130.

52. Ibid, par. 20113.

53. Précitée, note 32, par. 162.

54. Précitée, par. 161.

55. Ratio 50/50 : (0,50 x 6,4 %) + (0,50 x 5,0 %) = 5,7 %

Ratio 60/40 : (0,60 x 6,4 %) + (0,40 x 5,0 %) = 5,9 %

Ratio 80/20 : (0,80 x 6,4 %) + (0,20 x 5,0 %) = 6,1 %

56. Précitée, note 46, par. 20126 et 20127.

57. Précitée, note 54, p. 185.

58. Blake, précitée, note 46, par. 20129 et 20130.

59. Voir Décision Chopra no 1, précitée, note 1, par. 1 à 4.

60. ACNRI, précitée, note 32, par. 109.

61. Ibid, par. 191 à 193, p. 254.

62. [1975] 2 R.C.S. 248, p. 267.

63. [1967] 1 A.C. 853.

64. 2001 SCC 44.

65. (1988) 47 D.L.R. (4th) 431, (C.S.C.-B.), p. 438.

66. Ibid, p. 439.

67. ACNRI, précitée, note 32, par. 23.

68. (Toronto : Butterworths, 2000), p. 10.

69. Précitée, note 64.

70. (1999), C.H.R.R. D/34 (C.F., 1re inst.).

71. L.C. 1996, c. 23.

72. (1994) 26 C.H.R.R. D/361 (T.C.D.P.), confirmée par (1995) 26 C.H.R.R. D/428 (C.F., 1re inst.).

73. Décision Chopra no 1, précitée, note 1, par. 78.

74. Ibid, par. 71.

75. Décision Chopra no 5, précitée, note 26, p. 13.

76. (1985), 6 C.H.R.R. D/3033 (T.C.D.P.), confirmée par le tribunal d'appel (1987), 8 C.H.R.R. D/4055, confirmée par (1988), 10 C.H.R.R. D/6100 (C.A.F.), requête en appel rejetée par (1989) 101 N.R. 238 (C.S.C.).

77. Précitée, note 17.

78. (Washington: Bureau of National Affairs, 1995), p. S-16.

79. Précitée, note 1, par. 88 et 89.

80. Bader, précitée, note 14.

81. Décision Chopra no 1, supra, note 1, par. 70.

82. Précitée, note 42, par. 38483.

83. Précité, note 44.

84. Voir la Loi modifiant la Loi sur la preuve au Canada, le Code criminel et la Loi canadienne sur les droits de la personne relativement aux personnes handicapées et en ce qui concerne la Loi canadienne sur les droits de la personne, à d'autres matières, et modifiant d'autres lois en conséquence, précitée, note 11.

85. (5 février 2001) T.D. 1/01, (T.C.D.P.), par. 233.

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