Tribunal canadien des droits de la personne

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ENTRE :

ENVIRONNEMENT CANADA

l'employeur

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

REQUÊTE RELATIVE À UNE ALLÉGATION DE PARTIALITÉ

Décision no 1

2000/11/17

TRIBUNAL : Anne Mactavish, présidente
Grant Sinclair, membre
Sandra Goldstein, membre

I. LA QUESTION

[1] La Commission canadienne des droits de la personne demande que Sandra Goldstein soit récusée de cette procédure de révision en alléguant que sa participation soulève une crainte raisonnable de partialité.

[2] La requête de la Commission se fonde sur le fait qu'avant sa nomination au Tribunal canadien des droits de la personne, Mme Goldstein était une employée de la Commission canadienne des droits de la personne. Selon les représentations écrites déposées par la Commission : La relation temporelle étroite de Mme Goldstein, une partie à cette procédure, avec la Commission, et ce, exactement dans le même domaine que les questions sur lesquelles elle devra statuer et, en particulier, son emploi à un poste de subordonnée au principal témoin expert de la Commission, la place dans une situation suffisamment étroite pour soulever une crainte raisonnable de partialité dans un sens ou dans l'autre.

[3] Rien ne laisse à penser qu'il y ait actuellement partialité de la part de Mme Goldstein.

[4] Environnement Canada appuie la requête de la Commission.

II. LE CONTEXTE

[5] Cette requête survient dans le contexte d'une requête d'Environnement Canada voulant que le Tribunal de l'équité en matière d'emploi révise une directive qui lui a été transmise par la Commission canadienne des droits de la personne. Environnement Canada cite deux motifs à l'appui de sa requête :

  1. Environnement Canada n'a pas eu la possibilité de faire des représentations complètes auprès de la Commission avant la délivrance de la directive;
  2. la directive enjoint Environnement Canada de fournir des renseignements et d'effectuer des travaux qui outrepassent les exigences et la portée de la Loi sur l'équité en matière d'emploi et de son règlement d'application.

III. LE CRITÈRE

[6] Les deux parties conviennent que le critère pertinent à appliquer dans les requêtes de cette nature est celui qui a été formulé par la Cour suprême du Canada dans Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie (1). Selon le critère de Grandpré, la crainte de partialité doit être raisonnable, alléguée par des personnes raisonnables et bien-pensantes qui appliquent la question à elles-mêmes et qui en obtiennent l'information requise.

[7] Dans l'arrêt Office national de l'énergie, le juge de Grandpré a de plus indiqué que les motifs suffisants pour susciter une crainte raisonnable de partialité doivent être sérieux (2). Une décision subséquente de la Cour suprême du Canada a mentionné que la personne qui allègue une crainte de partialité porte un lourd fardeau. Une telle conclusion doit faire l'objet d'un examen minutieux, car elle remet en cause l'intégrité de toute l'administration de la justice (3).

[8] Dans une décision récente impliquant le Tribunal canadien des droits de la personne, la Cour d'appel fédérale a signalé qu'il y a une présomption que les membres des tribunaux agissent équitablement et impartialement en l'absence de preuve du contraire (4).

IV. LES FAITS

[9] Mme Goldstein a travaillé pour la Commission canadienne des droits de la personne à titre d'employée et d'entrepreneure indépendante entre le 16 novembre 1992 et le 6 novembre 1998. La plupart du temps qu'elle a travaillé pour la Commission, Mme Goldstein a travaillé aux enquêtes et à la conciliation dans les cas de plaintes relatives à l'équité en matière d'emploi. Selon l'affidavit déposé par la Commission canadienne des droits de la personne, en novembre1993, Mme Goldstein a commencé à se rapporter à Rhys Phillips. M. Phillips est actuellement le Chef, Législation, politique et élaboration de programmes à la Direction générale de l'équité en matière d'emploi de la Commission. Bien qu'on ait concédé que l'affidavit n'était pas aussi complet qu'il aurait pu l'être, il laisse à entendre que Mme Goldstein a cessé de se rapporter à M. Phillips en novembre 1997. L'avocat de la Commission a confirmé verbalement que c'était sa compréhension de la situation.

[10] Mme Goldstein a informé les parties que son rôle à la Commission se limitait aux enquêtes et à la conciliation dans les cas de plaintes déposées en vertu de l'article 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne de 1986 (5). Rien ne laisse à penser que Mme Goldstein ait eu quoi que ce soit à faire avec la question qui est actuellement devant le Tribunal et qui concerne Environnement Canada. Dans le même ordre d'idées, aucune preuve n'a été présentée au Tribunal que Mme Goldstein aurait participé de quelque façon à quelque procédure que ce soit en vertu de la Loi sur l'équité en matière d'emploi de 1995 ni à l'élaboration ou à l'application de toute politique ou pratique en vertu de la nouvelle législation.

[11] Mme Goldstein a été nommée à ce Tribunal de l'équité en matière d'emploi le 4 avril 2000. La Commission a informé de son intention de contester la nomination de Mme Goldstein peu après cette date.

V. L'ARGUMENTATION

[12] L'avocat de la Commission soutient que, comme pour le Tribunal canadien des droits de la personne, un degré élevé d'indépendance et d'impartialité est nécessaire pour les tribunaux de l'équité en matière d'emploi. Les principes d'équité et de justice naturelle s'appliquent aux procédures entamées devant les tribunaux de l'équité en matière d'emploi.

[13] Dans ses observations orales, l'avocat de la Commission a déclaré que le rapport professionnel passé de Mme Goldstein avec la Commission, en soi, ne pose pas problème. Dans le même ordre d'idées, nous avons été informés que la Commission n'allègue pas que des difficultés surviennent en raison de la participation de Mme Goldstein à la mise en œuvre de la législation sur l'équité en matière d'emploi de 1986. Le fait principal sur lequel s'appuie la Commission pour soutenir sa prétention qu'une crainte raisonnable de partialité existe au regard de la participation de Mme Goldstein à ces procédures est que le témoignage de l'ancien superviseur de Mme Goldstein sera central au cours de cette audience.

[14] La Commission affirme que Rhys Phillips sera son témoin expert principal. La Commission et Environnement Canada prétendent tous les deux que les conclusions à l'égard de la crédibilité de M. Phillips et du témoin expert d'Environnement Canada seront centrales au résultat de cette cause. Les deux parties allèguent qu'ayant eu à se rapporter à M. Phillips lorsqu'elle travaillait à la Commission, Mme Goldstein ne sera pas en mesure, actuellement, d'évaluer équitablement la crédibilité de M. Phillips.

[15] L'avocat d'Environnement Canada prétend aussi que le manque de formation juridique de Mme Goldstein est un autre facteur dont il faut tenir compte. N'étant pas une avocate, Mme Goldstein n'est pas assujettie aux mêmes règles de conduite professionnelle qui régissent les avocats / adjudicateurs.

[16] L'avocat prétend de plus que, comme ce cas est la première procédure du Tribunal en vertu de la nouvelle Loi sur l'équité en matière d'emploi, il est particulièrement important que les membres soient exempts de toute crainte de partialité. Non seulement il y a absence complète de jurisprudence en ce domaine pour guider les membres dans nos délibérations, mais le résultat de l'audience sera sans aucun doute analysé de près par l'ensemble de la collectivité.

VI. ANALYSE

[17] Les membres des tribunaux de l'équité en matière d'emploi sont nommés par la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne, parmi les membres du Tribunal canadien des droits de la personne. La Loi canadienne sur les droits de la personne stipule que pour être admissibles à une nomination au Tribunal canadien des droits de la personne, les personnes doivent avoir l'expérience, les connaissances spécialisées ainsi qu'un intérêt et une sensibilité à l'égard des droits de la personne (6). Quand il s'agit de choisir des personnes à nommer aux tribunaux de l'équité en matière d'emploi, la Loi sur l'équité en matière d'emploi exige de la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne qu'elle tienne compte de leur connaissance et de leur expérience des questions relatives à l'équité en matière d'emploi (7).

[18] L'avocat de la Commission reconnaît que dans un domaine spécialisé comme l'équité en matière d'emploi il n'y a qu'un nombre restreint de personnes qui possèdent les compétences requises pour être admissibles à une nomination. Cette expérience doit être acquise quelque part. Dans de telles circonstances, il est raisonnable de présumer que plusieurs des personnes nommées à de tels tribunaux spécialisés peuvent avoir une association antérieure avec celles qui se présentent devant le tribunal en question (8).

[19] L'avocat de la Commission n'a pas abordé la question de la participation antérieure de Mme Goldstein dans le domaine de l'équité en matière d'emploi dans son argumentation. Quoi qu'il en soit, il faut remarquer qu'il y a des différences importantes entre la Loi sur l'équité en matière d'emploi de 1986 et la Loi sur l'équité en matière d'emploi de 1995. La législation antérieure exigeait que les employeurs du secteur privé déposent des rapports annuels sur l'équité en matière d'emploi. L'omission de déposer de tels rapports constituait une infraction punissable sur déclaration sommaire de culpabilité. À l'opposé, la Loi de 1995 établit un mécanisme législatif complexe qui présente une façon obligatoire et pro-active d'aborder les questions d'équité en matière d'emploi, l'exécution de la législation passant désormais par le mécanisme des tribunaux de l'équité en matière d'emploi. De plus, la portée de la législation a été étendue de manière à couvrir les employés du secteur public.

[20] Pour disposer de cette requête, il n'est pas nécessaire d'établir si les tribunaux de l'équité en matière d'emploi devraient respecter la même norme que le Tribunal canadien des droits de la personne en matière d'indépendance et d'impartialité. À notre avis, même si nous devions présumer que les tribunaux de l'équité en matière d'emploi se trouvent à l'extrémité la plus élevée du spectre à cet égard, la preuve présentée devant ce tribunal ne répond pas au critère de Grandpré.

[21] Le fait que Mme Goldstein se soit rapportée à M. Phillips durant une partie du temps qu'elle a travaillé à la Commission canadienne des droits de la personne ne suffit pas pour susciter une crainte raisonnable de partialité. Comme la Cour d'appel fédérale l'a signalé dans Flamborough c. Office national de l'énergie et al. (9), une association d'affaire antérieure entre un membre du Tribunal et un témoin, même le témoin principal de l'une des parties, ne suscite pas, seule, une crainte raisonnable de partialité.

[22] En nous fondant sur les termes de la requête de l'intimé visant une révision de la directive émise par la Commission canadienne des droits de la personne, nous sommes d'avis que les questions en jeu dans cette procédure sont, dans une grande mesure, des questions juridiques. L'établissement de la portée de la Loi sur l'équité en matière d'emploi est une question qui relève du Tribunal. Bien que les témoignages des témoins experts puissent nous être de quelque assistance, la question de savoir à quel point le crédibilité des spécialistes des parties sera un facteur sera examinée en fonction de ce fait.

[23] En ce qui concerne le fait que Mme Goldstein n'est pas une avocate, nous relevons que dans l'arrêt Zundel, la Cour d'appel fédérale n'a pas fait la distinction entre les membres du tribunal ayant une formation juridique et ceux qui n'ont pas de formation juridique lorsqu'il s'agit d'une présomption d'impartialité.

[24] À la lumière de toutes les circonstances, y compris l'exigence d'une expertise prévue par la loi, le passage du temps entre le moment où M. Phillips a cessé de superviser Mme Goldstein et celui où se tient cette procédure, de même que la nature même de cette procédure, nous concluons qu'il n'existe pas de crainte raisonnable de partialité en ce qui concerne la participation de Mme Goldstein dans cette cause.

VII. DÉCISION

[25] Pour les raisons susmentionnées, la requête est rejetée.


Anne L. Mactavish, présidente

Grant Sinclair, membre

Sandra Goldstein, membre

OTTAWA, Ontario

17 novembre 2000

TRIBUNAL DE L'ÉQUITÉ EN MATIÈRE D'EMPLOI

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER

NO DE DOSSIER DU TRIBUNAL : E001/0100

INTITULÉ : Environnement Canada c. Commission canadienne des droits de la personne

LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa, Ontario

16 octobre 2000

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : 17 Novembre 2000

ONT COMPARU :

Brian Saunders Pour Environnement Canada

René Duval Pour la Commission canadienne des droits de la personne

1. [1978] 1 R.C.S. 369 à 394.

2. Note ci-dessus, p. 395.

3. R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484 à 532.

4. Zundel c. Citron, A-253-99, 18 mai 2000 .

5. S.R.C. (2e Supp.), chap. 23, tel qu'en S.C. 1995, chap. 44, art. 54

6. Paragraphe 48.1 (2), Loi canadienne sur les droits de la personne.

7. Paragraphe 28 (3), Loi sur l'équité en matière d'emploi.

8. Voir Re Marques et al. c. Dylex Ltd. et al., 81 DLR 554 à 566.

9. 55 N.R. 96 à 104.

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