Tribunal canadien des droits de la personne

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T. D. 9/ 82 DÉCISION RENDUE LE 24 AOUT 1982

LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE LITIGE METTANT EN CAUSE :

HARRY C. PRIOR plaignant, - et LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA mise en cause

Devant: Paul L. Mullins, constitué en tribunal des droits de la personne en vertu de l’article 39 de la Loi.

Ont comparu: Russell Juriansz, représentant la Commission canadienne des droits de la personne et Harry C. Prior D. Merlin Nunn et Robert Carmichael, représentant la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

Audience tenue à Halifax (Nouvelle- Écosse), le 6 juillet 1982. >

LA LOI CANADIENNE SUR LES DROITS DE LA PERSONNE

TRIBUNAL DES DROITS DE LA PERSONNE DEVANT: Paul L. Mullins LITIGE METTANT EN CAUSE : HARRY C. PRIOR plaignant - et LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA mise en cause

Il s’agit d’une audience tenue à la suite d’une plainte déposée en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne par Harry C. Prior contre la Compagnie des chemins de fer nationaux

du Canada, alléguant qu’il a été victime de discrimination fondée sur l’âge en raison de la retraite obligatoire qui lui a été imposée par la Compagnie à 65 ans. Au début de l’audience, les avocats des deux parties ont présenté un exposé conjoint des faits, dont on trouvera ci- dessous les parties qui se rapportent au cas qui nous occupe.

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS 1. Le plaignant, M. Harry C. Prior, était employé auprès de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) depuis 1945 à titre de vérificateur des cargaisons au port de Halifax. A titre de vérificateur, ses responsabilités comprenaient la vérification des cargaisons des wagons du CN. Il s’agissait essentiellement d’un travail de contrôle et non pas de la manipulation des cargaisons. L’emploi ne nécessite en effet aucun grand effort physique.

> - 2 2. Les vérificateurs du CN sont représentés par la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers. Ce sont des employés occasionnels parce que le travail n’est pas assuré. Les travaux sont répartis au moyen d’un système d’appel; les vérificateurs se rendent le matin à un bureau d’embauchage, et les travaux sont assignés selon l’ancienneté.

3. Il y a deux groupes de vérificateurs au port de Halifax: 1) ceux qui travaillent exclusivement pour le CN, et 2) ceux qui sont représentés par la International Longshoremen’s Association (I. L. A.). Ces derniers travaillent pour différentes compagnies et le travail leur est assigné par le bureau d’embauchage syndical.

4. Le travail accompli par les vérificateurs du CN est essentiellement le même que celui de leurs homologues de la I. L. A. On dénote cependant des différences sur le double plan de la rémunération et des avantages sociaux.

5. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada a été créée par une loi fédérale en 1919. La Compagnie poursuit maintenant ses activités en vertu de la Loi sur les Chemins de fer nationaux du Canada, S. R. C., 1970, chap. C- 10. Elle est légalement habilitée à établir le régime de pensions pour ses employés.

6. En 1959, le CN a adopté certains règlements concernant le régime de pensions destinés à remplacer ceux de 1935. Les règlements de 1959 prévoient un régime complet offrant non seulement des prestations de retraite, mais également des prestations d’invalidité et des prestations aux survivants versées aux veuves des employés. M. Prior a choisi de participer au plan de 1959 au moment où celui- ci a été mis en place. Le CN offre également un certain nombre d’autres avantages sociaux, notamment : 1) des prestations de maladie; 2) une assurance- vie; 3) un régime d’assurance- dentaire; 4) des prestations de sécurité d’emploi, comprenant a) des indemnités de licenciement hebdomadaires; b) des indemnités de cessation d’emploi; c) la formation des employés en disponibilité; d) des indemnités de

déménagement; e) des indemnités pour les employés touchés par les changements technologiques, opérationnels et organisationnels. A noter que les points 4 a) à 4 e) ne s’appliquent pas aux employés occasionnels.

7. Le CN emploie au total environ 71 000 personnes, et toutes bénéficient du régime de pensions de la Compagnie. Ce régime s’applique aussi bien aux cadres qu’au personnel syndiqué. Le taux est calculé conformément aux modalités du régime de pensions. L’employé soumis au régime de 1959 contribue pour 6½% de son revenu moyen au fonds de pension, et le CN verse un montant équivalent. La pension est alors payable sur la base

> - 3 des cinq années les mieux rémunérées de l’employé (habituellement les dernières). La formule appliquée est la suivante:

1) le nombre d’années jusqu’au 31 décembre 1965 X 2% X revenu moyen (tel qu’indiqué plus haut); 2) le nombre d’années écoulées depuis le

1er janvier 1966 X 1.3% X le maximum des gains annuels ouvrant droit à pension (le montant maximum des gains annuels ouvrant droit à pension est fourni par le Régime de pensions du Canada); 3) le nombre d’années écoulées depuis le

1er janvier 1966 X 2% X la différence entre le maximum des gains annuels ouvrant droit à pension et les gains moyens.

Le montant des pensions de retraite auxquelles un employé a droit dépend ainsi du salaire touché à différentes périodes et du nombre d’années de service qu’il a à son actif. Il s’ensuit que les montants varieront selon les employés. Harry Prior reçoit une pension de $1 133.20 par mois depuis le 30 novembre 1980.

8. L’article 1( 0) des règlements concernant le régime de pension de 1959 du CN stipule que:

la date normale de la retraite est le dernier jour du mois où l’employé atteint l’âge de 65 ans.

La retraite obligatoire à l’âge de 65 ans n’est pas une exigence aux termes de la convention collective signée par le CN et les vérificateurs.

9. Selon la politique du CN, tous les employés doivent prendre leur retraite à 65 ans. Cette politique s’applique à tous les employés du CN sans exception, y compris aux vérificateurs. Pour qu’un employé demeure en poste après cet âge, il faut obtenir l’autorisation du conseil d’administration. Selon les dossiers du CN, cette autorisation n’a été accordée que deux fois et, dans chaque cas, à un cadre supérieur dans des circonstances exceptionnelles.

10. Les vérificateurs faisant partie de la I. L. A. au port de Halifax ne sont pas tenus de prendre leur retraite à 65 ans. Il

s’agit du seul syndicat canadien représentant des vérificateurs qui n’oblige pas les membres de toutes ses sections à prendre leur retraite à 65 ans. Quelques vérificateurs de la I. L. A., à savoir ceux de Toronto (Ontario), doivent obligatoirement prendre leur retraite à 65 ans. A Halifax, il y a environ 70 vérificateurs membres de la I. L. A. et 30 qui adhérent à la Fraternité canadienne des cheminots, employés des transports et autres ouvriers, ce qui englobe tous les vérificateurs du CN.

> - 4 11. On ne connaît pas le nombre exact de vérificateurs affectés aux ports canadiens qui doivent obligatoirement prendre leur retraite à 65 ans. Selon le rapport de l’enquêteur, 365 vérificateurs doivent obligatoirement prendre leur retraite à 65 ans, tandis que 228 autres ne sont pas soumis à cette exigence.

12. Les vérificateurs représentés par la Fraternité des commis de chemin de fer, de lignes aériennes et de navigation (F. C. C. F.) doivent obligatoirement prendre leur retraite à 65 ans.

13. Les vérificateurs de Vancouver, membres du International Longshoremen Warehousing Union, sont tenus de prendre leur retraite à 65 ans.

14. A Saint- Jean (Terre- Neuve), les vérificateurs membres du L. S. P. U. doivent également prendre leur retraite à 65 ans.

15. En 1974, les débardeurs de Halifax (Nouvelle- Écosse) pouvaient recevoir une pension maximale de 225 $ par mois. Toutefois, depuis le 1er juillet 1982, le maximum a été porté à 600 $ par mois. Les fonds constituant la pension des débardeurs de Halifax sont calculés en prélevant une cotisation sur toutes les cargaisons transitant par les ports de Halifax et de Saint- Jean (Nouveau- Brunswick).

16. En février 1980. M. Prior a reçu une lettre datée du 19 du même mois, signée par M. Y. Khatib, directeur de l’administration des pensions au CN. Cette lettre l’informait que:

sauf circonstances exceptionnelles, les employés du CN doivent prendre leur retraite à la fin du mois au cours duquel ils atteignent leurs 65 ans. M. Khatib lui rappelait aussi que les règlements de la Compagnie ne permettent à aucun employé de demeurer en poste après cette limite.

17. M. Prior a atteint l’âge de 65 ans en novembre 1980 et il a été mis à la retraite à la fin du même mois.

18. En mai 1980, M. Prior a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne, alléguant que la politique de retraite obligatoire du CN constituait une pratique discriminatoire fondée sur l’âge. L’enquêteur de la Commission chargé d’instruire l’affaire a recommandé dans son rapport que la plainte de M. Prior soit rejetée.

En plus de cet exposé, M. Prior a lui- même témoigné. Il

a fait remarquer qu’il a travaillé pour les Chemins de fer nationaux depuis 1934, sauf la période de son service militaire,

> - 5 pendant la Seconde Guerre mondiale. Toutes ces années, il a été conscient de la politique de la Compagnie concernant la retraite à 65 ans. Cependant, il a très clairement et fortement exprimé son désir de ne pas être mis à la retraite et rien ne laisse croire que la mise en cause le jugeait physiquement ou mentalement inapte à accomplir son travail de vérificateur. Il a déclaré qu’il était considéré comme un bon vérificateur et que sa santé était bonne, et nous n’avons reçu aucune preuve du contraire. Sa retraite obligatoire lui semblait humiliante et dégradante, et il a dit souhaiter reprendre son travail de vérificateur pour les Chemins de fer nationaux du Canada. Comme il était le vérificateur avec le plus d’ancienneté, il était pratiquement assuré de travailler à temps plein, avec des possibilités d’heures supplémentaires, particulièrement du fait qu’il pouvait, grâce à son ancienneté, travailler les samedis et dimanches à des taux spéciaux de rémunération.

Le premier point soulevé par la mise en cause concernait la compétence du tribunal. La nature de l’objection portait sur le fait que le tribunal est, malgré son nom, une cour supérieure constituée en vertu de l’article 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique, et que cet article stipule que le gouverneur général doit nommer les juges de cette cour. En faisant cette déclaration, M. Nunn, avocat de la mise en cause, a souligné que la cour n’avait pas de fonctions administratives,

> - 6 que son unique raison d’être était de statuer sur le litige opposant M. Prior et la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, que le tribunal est habilité à recueillir des témoignages, à citer des témoins à comparaître, à interpréter les lois et à rendre une ordonnance de la même manière que toute autre cour. Je conviens que la cour a une fonction purement judiciaire, que la Loi canadienne sur les droits de la personne sépare très soigneusement ses fonctions et, partant, les fonctions de la Commission canadienne des droits de la personne, laquelle est constituée en vertu de la même loi.

Le raisonnement de la mise en cause repose sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans la cause Reference Re Residential Tenancies Act (123, D. L. R. (3rd), loi par laquelle la province de l’Ontario créait la Residential Tenancy Commission. La Cour avait alors statué que l’assemblée législative provinciale avait cherché à retirer à la Cour supérieure des fonctions judiciaires importantes, qu’elle assumait depuis longtemps, et à les attribuer à un de ses propres tribunaux. Dans le jugement du juge Dixon, un test a été utilisé pour déterminer si la Residential Tenancy Commission était une cour supérieure et s’il s’agissait d’une cour constituée en vertu de l’article 96. Il m’apparaît cependant inutile de déterminer si les motifs de cet arrêt s’appliquent à ce

tribunal. > - 7 L’article 101 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique se lit comme suit :

101. Le Parlement du Canada pourra, nonobstant toute disposition contraire énoncée dans le présent acte, lorsque l’occasion le requerra, adopter des mesures a l’effet de créer, maintenir et organiser une cour générale d’appel pour le Canada et établir des tribunaux additionnels pour la meilleure administration des lois du Canada.

Bien que je n’aie entendu aucune plaidoirie concernant cet article, il me semble conférer au Parlement du Canada de très larges pouvoirs pour établir des tribunaux spécialisés, pour délimiter leurs compétences et également pour adopter des dispositions spéciales à l’égard de la recevabilité des témoignages, comme il l’a fait en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. De plus, ce tribunal a été constitué par le gouverneur général en conseil en vertu de l’article 39 de la Loi sur les droits de la personne.

Par contre, la constitution par la Commission canadienne des droits de la personne d’un tribunal chargé de statuer sur une cause particulière est conforme au paragraphe 39( 1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Ce me semble analogue à l’assignation d’une cause particulière par un juge principal, quelle que soit la juridiction de la cour. L’article 96 de l’Acte de l’Amérique du Nord britannique ne peut pas être interprété dans le sens d’une

> - 8 restriction du pouvoir du gouvernement fédéral d’établir une cour ou un tribunal spécialisé. En conséquence, j’estime que ma nomination à ce tribunal, conformément au paragraphe 39( 5) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, et l’assignation faite ultérieurement à ce tribunal par la Commission canadienne des droits de la personne conformément au paragraphe 39( 1) de la même loi, a été effectuée selon les règles, et que j’ai la compétence nécessaire pour entendre cette cause.

Dans sa plaidoirie, la mise en cause a soulevé plusieurs points, sur la base desquels elle soutenait que la plainte devrait être rejetée. Le premier de ces points portait sur le fait que la faculté dont jouit la Commission canadienne des droits de la personne de constituer un tribunal chargé d’examiner une plainte est limitée par le paragraphe 36( 3) si la Commission a désigné une personne pour enquêter sur une plainte en vertu de l’article 35 de la Loi. Le paragraphe 36( 3) de la Loi stipule que:

Dans les cas où, au reçu du rapport d’enquête prévu au paragraphe (1), la Commission est convaincue

a) que la plainte est fondée, qu’il n’y a pas lieu de la renvoyer conformément au paragraphe (2), ni de la rejeter pour les motifs énoncés aux sous- alinéas 33b) (ii) à (iv), elle peut accepter le rapport; ou b) que la plainte n’est pas fondée ou qu’il y a lieu de la rejeter pour les motifs énoncés aux sous- alinéas 33b) (ii) à (iv), elle doit rejeter la plainte. (C’est moi qui souligne.)

> - 9 La mise en cause prétend que la Commission n’a que deux alternatives au reçu du rapport d’enquête, c’est- à- dire accepter le rapport ou rejeter la plainte. En outre, elle prétend que dans le cas d’un rapport négatif, c’est- à- dire lorsque l’enquêteur recommande de rejeter la plainte, la Commission doit s’en tenir à la conclusion de celui- ci et, conformément à l’alinéa 36( 3) b), elle doit rejeter la plainte. Elle insiste sur l’emploi du verbe peut à l’alinéa 36( 3) a) par opposition au verbe doit à l’alinéa 36( 3) b).

Pour ma part, j’interprète le paragraphe 36( 3) comme donnant la liberté à la Commission d’accepter ou non le rapport si la plainte est fondée. La seule contrainte de la Commission est définie à l’alinéa 36( 3) b), lequel stipule que la Commission doit rejeter la plainte si elle n’est pas fondée ou s’il y a lieu de la rejeter pour les motifs énoncés aux sous- alinéas 33b) (ii) à (iv). Les mots clés de ces deux alinéas concernent la conviction de la Commission, c’est- à- dire si elle juge que la plainte n’est pas fondée, elle doit la rejeter, et dans le cas contraire, elle a le choix entre accepter ou refuser le rapport. La Commission n’est nullement obligée de communiquer ses motifs au tribunal, et il ne revient pas à celui- ci de tenter de remettre en question la décision de la Commission en déterminant si elle a des raisons de juger la plainte fondée. Le tribunal

> - 10 doit examiner la plainte et les dépositions faites lors de l’audience et tirer ses propres conclusions à partir de la loi. Il est clair que la Commission doit tirer ses propres conclusions et déterminer elle- même les mesures à prendre en se basant sur les faits évoqués dans le rapport de l’enquêteur; elle n’est pas tenue d’accepter les recommandations dudit rapport, qui pourraient, en fait, suggérer certaines mesures, comme le dépôt de la plainte devant un tribunal, la nomination d’un conciliateur, la participation active de la Commission ou la présentation de la cause devant un tribunal sans que la Commission n’y prenne part.

Le second point soulevé par la mise en cause se rapporte au fonctionnement du régime de pensions, plus particulièrement au paragraphe 32( 7) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, qui se lit comme suit:

La Commission ne peut être saisie, en vertu du paragraphe (1), d’une plainte qui porte sur les conditions et les

modalités d’une caisse ou d’un régime de pensions, lorsque le redressement demandé aurait pour effet de priver un participant de droits acquis avant l’entrée en vigueur de la présente Partie ou de prestations de pension ou autres accumulées jusqu’à cette date, notamment, a) de droits ou de prestations attachés à un âge

déterminé de retraite; et b) de prestations de réversion.

> - 11 De plus, le document qui décrit le régime de pensions du CN (paragraphe 3, page 12 de la version anglaise) stipule que:

la contribution d’un participant qui demeure volontairement en service après la date normale de sa retraite doit être calculée à la date normale de la retraite et ne doit lui être versée qu’à sa retraite.

Ce paragraphe semblerait prévoir la possibilité que des employés demeurent en fonction après la date normale de la retraite. Je ne trouve pas que le fait d’accepter la plainte de M. Prior aurait pour résultat de priver un cotisant au régime de pensions du CN de droits acquis avant l’entrée en vigueur de la Loi. Au contraire, si M. Prior réintègre son emploi, sa pension de retraite augmentera, puisque, inévitablement, il recevra des prestations pendant une période plus courte. De plus, ces fonds continueront de gonfler le régime de pensions plus longtemps que prévu.

L’argument selon lequel la Compagnie devra assumer une charge excessive relativement aux autres avantages des employés ne m’apparaît ni convaincant ni pertinent. La Compagnie n aurait plus à verser 6½ % du salaire au régime de pension et rien ne laisse croire que le coût des avantages augmenterait (soins

> - 12 dentaires, assurance- médicaments, assurance- vie). Les facteurs se rapportant à l’âge pour l’obtention de ces avantages devraient alors être négociés.

M. Nunn soutient que si la Compagnie ne peut pas assurer l’exécution de sa politique de retraite obligatoire à 65 ans, elle pourrait décider de ne plus garder à son service les personnes de cinquante- cinq ans et plus, étant donné que, de toute façon, ces personnes doivent prendre leur retraite dans quelques années.

Je ne souscris pas à l’argument de la mise en cause selon lequel la suppression de la retraite obligatoire incitera la Compagnie à mettre à pied les employés de cinquante- cinq ans et plus qui sont incapables d’accomplir leur travail. Je ne vois pourquoi un bon employé, dont la compétence n’est pas en doute, devrait être pénalisé parce que la Compagnie ne prend pas les mesures nécessaires pour s’occuper des personnes incompétentes qui

n’ont pas encore atteint cet âge. Pas plus que le fait de permettre à une personne de conserver son emploi après 65 ans ne retire aux autres employés le droit acquis, par des négociations, de prendre leur retraite à 65 ans s’ils le désirent.

> - 13 Il est vrai que si l’on permet à M. Prior de continuer à travailler après 65 ans, les autres employés n’auront pas droit aux avantages que confère l’ancienneté aussi rapidement que prévu. Cependant, M. Prior a acquis son ancienneté grâce à des dizaines d’années de service. Le droit acquis par M. Prior lui demeure acquis jusqu’à ce qu’il soit incapable de l’exercer correctement; et rien ne prouve qu’il ait atteint ce stade. Ce serait plutôt étrange qu’une personne postulant un emploi au CN demande l’âge des employés pour déterminer quand elle aura accumulé le plus d’ancienneté. Rien ne me porte à croire qu’il s’agit là d’un élément assez important pour motiver l’acceptation ou le refus d’un poste au CN par un candidat. Quoi qu’il en soit, cela ne constitue pas une protection contre une allégation de discrimination reconnue par la Loi.

Les deux parties savent pertinemment que la présente affaire se rapporte aux articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne qui interdisent toute discrimination fondée sur l’âge. Elles savent en outre qu’il faudra déterminer si cette affaire tombe sous le coup de l’exception du paragraphe 14 c) de la Loi qui stipule que:

14. Ne constituent pas des actes discriminatoires c) le fait de mettre fin à un emploi en appliquant la règle de l’âge de la retraite en vigueur dans le secteur professionnel concerné.

> - 14 En application de ce paragraphe, il faut tout d’abord déterminer s’il incombe à la mise en cause de prouver que l’exception en question s’applique à cette affaire, ou au plaignant de prouver le contraire. Cette question a été étudiée par la Cour suprême du Canada dans la cause Ontario Human Rights Commission et al. v. Bureau of Etobicoke, 40 N. R., page 165, où le juge en chef Bora Laskin affirme ce qui suit:

Une fois que le plaignant a déposé devant une commission d’enquête une plainte légitime de discrimination (dans le présent cas il s’agit de la retraite obligatoire à soixante ans comme condition d’emploi), il a droit à un redressement si l’employeur ne fournit aucune justification. La seule justification que pourrait fournir l’employeur dans le cas qui nous intéresse serait de prouver, comme il lui incombe, que cette retraite obligatoire constitue une exigence professionnelle normale pour l’emploi concerné. A mon avis, la preuve doit être faite suivant la norme ordinaire et civile de preuve, c’est- à- dire en se basant sur la prépondérance

des probabilités. (Traduction) Bien qu’il s’agisse d’un arrêt rendu aux termes du Code des droits de la personne de l’Ontario, j’admets que les mêmes motifs puissent s’appliquer à la présente cause. Par conséquent, il incombe à la mise en cause de prouver que le paragraphe 14 c) s’applique à elle et la preuve doit être faite selon la norme ordinaire et civile, c’est- à- dire en se basant sur la prépondérance des probabilités.

> - 15 M. Nunn soutient de plus qu’il faut interpréter l’expression secteur professionnel concerné comme une référence aux employés de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada; et puisque les 71 000 employés du CN doivent tous se conformer à la politique de la retraite obligatoire à 65 ans, M. Prior ne peut avoir été victime de discrimination aux termes du paragraphe 14 c). Il soutient sa thèse en s’appuyant sur le paragraphe 7 a) de la Loi, où l’on trouve le mot individu utilisé dans le contexte suivant:

Constitue un acte discriminatoire le fait a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu, directement ou indirectement, pour un motif de distinction illicite.

Il fait aussi allusion à l’article 10 qui utilise individu ou catégorie d’individus de la manière suivante:

Constitue un acte discriminatoire le fait pour l’employeur ou l’association d’employés

a) de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite, ou b) de conclure des ententes, touchant le recrutement, les mises en rapport, l’engagement, les promotions, la formation, l’apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d’un emploi présent ou éventuel pour un motif de distinction illicite, d’une manière susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un invididu ou d’une catégorie d’individus.

Il ne m’est pas difficile de concilier la terminologie apparemment contradictoire de ces deux articles. Les articles 7 et 10 englobent des situations qui se rapportent non seulement à des personnes actuellement employées mais aussi à des personnes qui n’ont pas encore ce statut, alors que l’exception du paragraphe 14 c) doit s’appliquer à un individu qui est ou a été véritablement employé. Par définition, un individu qui fait

> - 16 partie du secteur professionnel concerné doit avoir le statut d’employé. Je suis d’accord avec l’interprétation que l’on retrouve dans l’affaire Campbell c. Air Canada, C. H. R. R., volume 2, 602, voulant que cet article doive se référer à des employés de

différentes compagnies faisant partie du secteur professionnel concerné.

Ayant constaté qu’il incombe à la mise en cause de prouver que l’exception du paragraphe 14 c) s’applique à son cas, et que la lecture correcte de cet article exige que l’on prenne en considération les employés du même secteur professionnel, sans toutefois restreindre cette interprétation aux employés d’un seul employeur, il nous reste maintenant à déterminer si la mise en cause s’est bien acquittée de sa tâche. A cette fin, nous devons tout d’abord nous pencher sur la signification de l’expression âge normal de la retraite, contenue dans la Loi.

Quelques éclaircissements sont apportés à ce sujet dans l’affaire Campbell c. Air Canada (susmentionné). A noter toutefois que le plaignant avait admis qu’Air Canada l’avait obligé à prendre sa retraite à l’âge normal. Je reconnais cependant que, selon les règles normales de l’interprétation légale, les mots doivent conserver une signification nette et normale, sauf indication contraire.

> - 17 Il est notoire d’utiliser les mots normal et habituel dans le même sens et d’employer les mots exceptionnel et très extraordinaire dans le sens opposé. En se basant sur les faits, on constate qu’environ 60 pour cent des vérificateurs de cargaison du Canada sont obligés de prendre leur retraite à 65 ans, alors que 40 pour cent ne sont pas tenus de le faire. On constate également que, dans la région de Halifax, 30 pour cent des vérificateurs, contre 70 pour cent, doivent obligatoirement prendre leur retraite à 65 ans. Lorsque 40 pour cent des vérificateurs ne sont pas liés par cette obligation, il est difficile de parler de cas exceptionnel ou très extraordinaire. Pas plus que l’on pourrait dire qu’ils prennent habituellement leur retraite à 65 ans. Ceci est particulièrement vrai si l’on s’arrête au milieu de travail. La seule exception qui pourrait s’appliquer au cas qui nous intéresse se trouve au paragraphe 14 c). En effet, si une norme ne peut être établie pour une occupation particulière, le paragraphe 14 c) n’est d’aucun secours face à un cas de discrimination fondée sur l’âge.

En me basant sur ces faits, je constate que la mise en cause n’a pu prouver que l’exception du paragraphe 14 c) pouvait s’appliquer à ce cas. En conséquence, je constate que le CN est en violation de la Loi en raison de discrimination fondée sur

> - 18 l’âge contre Harry C. Prior et j’ordonne que celui- ci soit réinstallé dans ses anciennes fonctions sans perte d’ancienneté.

Je suis convaincu que le CN a agi de bonne foi en se basant sur une politique depuis longtemps établie. Par conséquent, je ne crois pas qu’il soit indiqué d’ordonner le versement d’une indemnité spéciale en vertu du paragraphe 41( 3). Par contre, le CN

devra verser à Harry C. Prior l’indemnité prévue par l’alinéa 41( 2) c); si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant, je me réserve le droit de le fixer.

Je voudrais féliciter les avocats pour leur aide, particulièrement M. Nunn dont la plaidoirie fut très consciencieuse.

FAIT à Windsor, dans le comté d’Essex, ce 17e jour d’août 1982.

PAUL L. MULLINS

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