Tribunal canadien des droits de la personne

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I.  Le contexte

  • [1] Le 20 janvier 2010, M. Geevarughese Johnson Itty, aussi connu sous le nom de M. Johnson Itty (le plaignant), a déposé une plainte (la plainte) auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) contre l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC ou l’intimée), alléguant qu’il avait été victime de discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique et l’âge, en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, c. H-6, telle que modifiée (la Loi). La plainte a par la suite été modifiée de telle sorte qu’on y a ajouté des allégations au titre de l’article 10.

  • [2] Le 24 avril 2012, par lettre (la lettre de renvoi), la Commission a demandé au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’instruire la plainte, conformément à l’alinéa 44(3)a) de la Loi.

  • [3] La Commission a fait savoir qu’à moins que de nouvelles circonstances l’amènent à modifier sa position, elle ne prendrait pas part à l’audience.

  • [4] Le 31 janvier 2013, le plaignant a déposé son exposé des précisions. Le 8 mars 2013, l’intimée a déposé son exposé des précisions. Le plaignant n’a pas déposé de réponse à l’exposé des précisions de l’intimée et n’a pas l’intention de le faire.

  • [5] Le 11 avril 2013, les parties, représentées par leurs avocats, et moi, en l’absence de l’avocat de la Commission,avons participé à une conférence de gestion de l’instance, au cours de laquelle le plaignant a déclaré qu’il présenterait une requête en confidentialité de certaines parties de la preuve de l’intimée (la requête en confidentialité).

  • [6] Les parties ont présenté leurs documents relatifs à la requête par écrit. Il n’y a pas eu d’audience.La Commission n’a pas pris part à l’audition de la requête en confidentialité.

  • [7] Dans sa plainte, telle qu’elle a été modifiée, le plaignant fait valoir qu’il a été victime de discrimination fondée sur l’âge, l’origine nationale ou ethnique et la race, en contravention des articles 7 et 10 de la Loi, dans le contexte de l’administration par l’intimée du programme de formation des recrues pour les points d’entrée (FORPE).

  • [8] Le plaignant, citoyen naturalisé canadien, a postulé auprès de l’intimée en vue de devenir agent des services frontaliers (ASF). Il a passé avec succès la vérification initiale de l’intimée et a ensuite été invité à prendre part, en tant que recrue, au programme FORPE d’une durée de neuf semaines, lequel comporte deux étapes d’évaluation, appelées étapes de détermination : l’étape de détermination I (D-I) et l’étape de détermination II (D-II). Les recrues doivent réussir l’ensemble du programme FORPE pour être inscrites dans le bassin d’ASF potentiels.

  • [9] Le plaignant a réussi tous les examens comportementaux et écrits de l’étape D-I et a ensuite entrepris la seconde partie du programme FORPE, à la fin de laquelle se trouvait l’examen D-II. Cette dernière étape de détermination est constituée d’un autre ensemble d’examens écrits et d’évaluations comportementales, y compris de scénarios de simulation dans le contexte desquels dix compétences sont évaluées. Le plaignant n’a pas réussi l’examen D-II et n’a pas été inscrit dans le bassin d’ASF potentiels.

  • [10] Pour les besoins de la présente requête, il n’est pas nécessaire de donner davantage de détails sur la plainte.

  • [11] Le plaignant a demandé la divulgation des manuels des évaluateurs du programme FORPE, de ses propres résultats à l’examen administré dans le contexte du programme FORPE et de ceux de plusieurs autres de ses compagnons d’études, ainsi que d’autres documents, ce qui, comme l’intimée le fait valoir, exige que soit rendue une ordonnance en confidentialité de ces documents, assortie de conditions relatives à la diffusion de ceux-ci au plaignant et au Tribunal.

  • [12] L’intimée a présenté une requête en confidentialité des 13 documents énumérés à l’annexe « A » de l’affidavit de Fernande Surprenant, directrice exécutive par intérim de la division de la conception de solutions d’apprentissage de l’intimée, signé le 17 mai 2013 (l’affidavit de Mme Surprenant), et que cet affidavit soit soumis à certaines conditions relatives à sa divulgation. Je ne précise pas quelles sont ces conditions précises dans le présent paragraphe parce qu’elles ont évolué par suite de la réponse à la requête du plaignant et de la réponse de l’intimée.

  • [13] Je ne décris pas non plus les arguments des parties en détail parce que celles-ci sont parvenues à une entente en ce qui concerne la majeure partie de cette requête et de l’ordonnance qui en a découlé.

  • [14] Je ferai référence aux 13 documents énumérés à l’annexe « A » de l’affidavit de Mme Surprenant sous l’appellation « documents de l’annexe “A” » et je les désignerai individuellement en me servant des mêmes numéros que ceux qui ont été employés dans l’affidavit de Mme Surprenant.

  • [15] La réponse de l’intimée comprend l’affidavit d’Emily MacLeod, assistante juridique auprès de l’avocat de l’intimée, qui a été souscrit le 13 juin 2013 (l’affidavit de Mme MacLeod).

  • [16] La question en litige en l’espèce est de savoir si le Tribunal devrait accorder la requête en confidentialité de l’intimée.

  • [17] L’article 52 de la Loi est ainsi libellé :

II.  La plainte

III.  La requête en confidentialité de l’intimée et les autres documents relatifs à la requête

IV.   La question en litige

V.  Les dispositions de la Loi relatives à la confidentialité

(1) L’instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu que, selon le cas :

a)   il y a un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique;

b)   il y a un risque sérieux d’atteinte au droit à une instruction équitable de sorte que la nécessité d’empêcher la divulgation de renseignements l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique;

c)  il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique;

d)   il y a une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne puisse être mise en danger par la publicité des débats.

(2) Le membre instructeur peut, s’il l’estime indiqué, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance qu’il juge nécessaire pour assurer la confidentialité de la demande visée au paragraphe (1).

VI.  Les autres lois applicables

  • [18] L’intimée se fonde également sur la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, L.C. 2003, ch. 22, ainsi que sur les Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04) (les Règles du Tribunal), et notamment les articles 3 et 6 des Règles.

  • [19] Comme il est énoncé dans le préambule de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, l’objet de la loi est de s’assurer que les nominations au sein de la fonction publique fédérale soient axées sur le mérite et qu’elles soient non partisanes. En outre, ce même préambule affirme que le principe d’une nomination axée sur le mérite est une valeur qu’il est très important de protéger.

  • [20] L’intimée a recours à des manuels de formation et à des examens écrits ainsi qu’à des examens de simulation aux fins de l’administration de son programme FORPE. Les évaluateurs et les instructeurs du programme FORPE (ces derniers étant aussi appelés « facilitateurs ») s’engagent par écrit à ne pas révéler le contenu des cours ou du matériel d’examen du programme FORPE, y compris les scénarios de pratique, ni à en discuter avec qui que ce soit en dehors des personnes désignées. Cet engagement est valable avant, pendant et après le programme FORPE. Le fait de ne pas respecter cet engagement de confidentialité entraîne de graves conséquences.

  • [21] L’intimée et ses ASF jouent un rôle très important d’aide et de protection en matière de déplacement et de sécurité des citoyens canadiens, des résidents et des visiteurs ainsi que du trafic commercial entrant et sortant des vastes frontières canadiennes.

  • [22] C’est dans l’intérêt du Canada et de ses résidents que les ASF soient correctement formés, sélectionnés et qualifiés pour accomplir cet important travail. C’est ce à quoi aspire le programme FORPE. Le programme FORPE fonctionne aussi selon les exigences de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, qui prévoit que les nominations au sein de la fonction publique doivent être axées sur le mérite et qu’elles doivent être non partisanes, et, en outre, que ces valeurs doivent être protégées. À cette fin, l’intégrité des documents relatifs au programme FORPE énumérés dans l’annexe « A » doit être protégée; autrement, il existe un risque réel que le matériel d’examen de formation ainsi que les scénarios d’évaluation du programme FORPE soient divulgués, que ce soit intentionnellement ou par inadvertance, et des candidats non méritants pourraient réussir ces examens. Cela n’aurait pas seulement pour effet de compromettre le principe de mérite et de faire peser sur l’intimée une contrainte excessive, mais cela compromettrait également la sécurité du public.

  • [23] Je suis convaincue, aux termes de l’article 52 de la Loi, que si les documents de l’annexe « A » étaient rendus publics au cours de l’instruction, ou du fait que cette instruction est publique, il y aurait un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique et de questions personnelles ou autre pour les personnes concernées, notamment l’intimée, de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation, pour d’autres raisons que celles qui sont énoncées dans l’ordonnance ci‑dessous, l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique.

  • [24] Aux paragraphes 2 et 3 de l’affidavit de Mme MacLeod, la souscriptrice déclare, en se fondant sur les renseignements qui lui ont été communiqués par l’avocat de l’intimée, que le plaignant [traduction] « ne s’oppose pas » à toutes les conditions de l’ordonnance de confidentialité proposée par l’intimée dans son avis de requête relativement aux éléments 1 à 8 et 11 des documents de l’annexe « A ». La pièce « A » de l’affidavit de Mme MacLeod est constituée de copies de deux courriels que le représentant du plaignant a envoyés à l’avocat de l’intimée pour exposer la position du plaignant.

  • [25] Au paragraphe 12 de sa réponse, l’intimée déclare qu’elle ne demande pas une ordonnance en confidentialité en ce qui concerne l’élément 9 des documents de l’annexe « A » étant donné que le plaignant en a obtenu l’accès après avoir présenté une demande d’accès à l’information.

  • [26] Les éléments 10 et 12 correspondent aux résultats obtenus par certains compagnons d’études du plaignant dans le contexte du programme FORPE. Le plaignant affirme qu’il lui faut montrer ces documents aux personnes concernées afin de faire valoir pleinement sa cause. Sous réserve de certaines conditions visant à assurer la confidentialité, l’intimée est d’accord.

  • [27] Je conclus que les conditions de l’intimée constituent des limites raisonnables à la divulgation et qu’elles permettent d’atteindre un équilibre entre la nécessité de préserver la confidentialité de ces aspects du programme FORPE tout en garantissant le droit du plaignant à faire valoir pleinement sa cause. L’ordonnance ci-dessous a été rédigée en conséquence.

  • [28] Le plaignant fait valoir qu’il lui faut montrer ce document à un témoin expert, dont l’opinion est nécessaire pour que le plaignant fasse valoir sa cause. J’ai examiné les conditions proposées par l’intimée en vue de la communication de l’élément 13 à l’expert du plaignant. Je conclus que ces conditions constituent des limites raisonnables à la divulgation, et elles établissent un équilibre entre la nécessité de préserver la confidentialité du document et le droit du plaignant à la justice naturelle, y compris le droit de faire pleinement valoir sa cause. L’ordonnance ci-dessous traite de l’élément 13 par conséquence.

  • [29] La présente ordonnance ne s’applique pas à l’élément 9 des documents de l’annexe « A ».

  • [30] Tous les documents de l’annexe « A », à l’exception de l’élément 9, sont désignés comme confidentiels, conformément à l’article 52 de la Loi, et ils font également l’objet des modalités suivantes :

VII.  Analyse générale

VIII.  La position du plaignant relative aux éléments 1 à 8 et 11 des documents de l’annexe « A »

IX.  La position de l’intimée relative à l’élément 9 des documents de l’annexe « A »

X.  Les éléments 10 et 12 des documents de l’annexe « A »

XI.  L’élément 13 des documents de l’annexe « A »

XII.   Ordonnance

  • a) Ils ne devront pas être divulgués, en tout ou en partie, que ce soit directement ou indirectement, dans le contexte de la présente instance sans que l’intimée ait donné son consentement préalable aux parties suivantes, et à elles seules :

  • (i) le plaignant et son représentant;

  • (ii) le Tribunal.

  • b) S’ils sont produits devant le Tribunal, ils ne figureront pas, que ce soit en tout ou en partie, dans le dossier public, et ils seront produits dans une enveloppe scellée. Le Tribunal ne rendra pas publics les documents de l’annexe « A », ni aucune partie de ces documents.

  • c) Le plaignant ou son représentant se serviront des documents de l’annexe « A » à la seule fin de la poursuite de la plainte devant le Tribunal.

  • d) Le plaignant et son représentant ne feront pas de copie des documents de l’annexe « A », ce qui comprend notamment les copies électroniques.

  • e) Le représentant du plaignant doit garder les documents de l’annexe « A » sous clé quand il ne s’en sert pas dans le contexte de la présente instance.

  • f) Dans les dix (10) jours suivant l’expiration du droit d’interjeter appel à l’égard de la plainte, le représentant du plaignant, et le plaignant le cas échéant, restitueront les documents de l’annexe « A » à l’avocat de l’intimée.

  • [31] En ce qui concerne les éléments 10 et 12 des documents de l’annexe « A », les parties respecteront les conditions suivantes :

  • a) Le plaignant ne communiquera chacun des éléments 10 et 12 qu’au témoin concerné par l’élément en question, à l’exclusion de tout autre témoin;

  • b) Avant que le plaignant communique les éléments 10 et 12 ou l’un de ces documents au témoin à qui l’élément appartient, le plaignant obtiendra le consentement écrit du témoin à ce que l’intimée divulgue au plaignant et à son représentant quel est l’élément qui lui correspond et il fournira ce consentement à l’intimée;

  • c) À la réception du consentement écrit du témoin, l’intimée fera savoir au plaignant quel document correspond à quel témoin;

  • d) Le plaignant ne permettra au témoin concerné de consulter les documents en cause qu’au bureau de son représentant ou lors des audiences devant le Tribunal;

  • e) Le plaignant et son représentant, ou l’un ou l’autre, ne fourniront pas au témoin sa propre copie des documents.

  • [32] En ce qui concerne l’élément 13 des documents de l’annexe « A », les parties respecteront les conditions suivantes :

  • a) Avant que l’intimée fournisse l’élément 13 ou une copie de celui‑ci au plaignant, et avant que le plaignant fournisse une copie de l’élément 13 à son témoin expert, le plaignant communiquera à l’intimée le nom et les qualifications de son témoin expert;

  • b) Les alinéas a) à f) du paragraphe 2 de la présente ordonnance s’appliqueront avec les modifications qui s’imposent au témoin expert du plaignant;

  • c) Avant que le plaignant remette l’élément 13 à son témoin expert, le plaignant ou son représentant devront fournir au témoin expert une copie de la présente ordonnance en confidentialité et obtenir de celui-ci une attestation écrite et datée dans laquelle il reconnaît qu’il a lu l’ordonnance en confidentialité et qu’il convient d’être lié par ses termes.

Signée par

Olga Luftig

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 16 décembre 2013

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