Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal

Entre :

Heather Lynn Grant

la plaignante

- et -

La Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Manitoba Telecom Services Inc.

l’intimée

Décision sur requête

Dossier no : T1452/7809

Membre instructrice : Sophie Marchildon

Date : Le 19 décembre 2013

Référence : 2013 TCDP 35


 

I............. Contexte et demande de directives. 1

II........... Les positions des parties. 4

A.           La plaignante. 4

B.           L’intimée. 6

III......... Décision sur requête. 7

 

I.                   Contexte et demande de directives

[1]               Dans Heather Lynn Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 10 [Grant (décision)], le Tribunal a conclu que l’intimée avait agi de façon discriminatoire envers la plaignante, au sens de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6 [la Loi]. En résumé, le Tribunal a conclu que, malgré le fait qu’on l’ait avisée plusieurs fois de la déficience de la plaignante et des effets du stress sur son état, l’intimée n’a pas sérieusement tenu compte de la question de savoir si la déficience de la plaignante affectait son rendement au travail et n’a pas examiné la façon dont elle pouvait prendre des mesures d’accommodement pour la plaignante à ce sujet. En fait, l’intimée a simplement évalué de façon négative le rendement au travail de la plaignante, sans tenir compte de sa déficience. Comme l’intimée s’était servie des appréciations du rendement de la plaignante pour comparer cette dernière à une autre employée dans le but de décider laquelle des deux serait licenciée, le Tribunal a conclu que la déficience de la plaignante avait joué dans la décision prise par l’intimée de ne plus la garder à son service.

[2]               Pour remédier à la pratique discriminatoire de l’intimée, la plaignante a demandé, entre autres, les mesures de redressement suivantes :

[Traduction]

Cotisations de retraite perdues

78. Si la plaignante avait conservé son emploi chez l’intimée, elle aurait eu droit aux avantages découlant de sa participation au régime de pension de l’intimée, de 2007 à aujourd’hui (en plus, bien entendu, des années précédentes au cours desquelles elle a été employée chez l’intimée). Le régime de pension dont la plaignante était membre est un régime à prestations déterminées. Cela signifie qu’à sa retraite, la plaignante a le droit de recevoir une pension d’un montant déterminé en fonction d’une certaine formule. Les membres de ce régime de pension cotisent 7 % de leur salaire annuel et l’intimée est responsable de garantir que les obligations du fonds de pension sont respectées.

79. Dans le cas où un employé a été temporairement absent du travail, la partie de l’intimée des cotisations de retraite est calculée à 7 % du salaire de l’employé pendant la période visée.

80. Ce calcul n’est requis que dans le cas où l’employé ne retourne pas au travail chez l’intimée. Si le rétablissement de période de service validée nette à partir de la date d’entrée en service est ordonné en l’espèce, le calcul n’est pas requis.

81. Si le rétablissement n’est pas ordonné, mais qu’il est conclu qu’il y a eu responsabilité, alors les dommages-intérêts de la plaignante sont estimés à environ 17 087,42 $.

(Observations finales de la plaignante, datées du 16 mars 2011, aux paragraphes 78 à 81)

[3]               Dans Grant (décision), le Tribunal a réservé sa compétence quant à une grande partie des mesures de redressement demandées par la plaignante, y compris les cotisations de retraite perdues, afin d’obtenir des observations et des clarifications supplémentaires de la part des parties (au paragraphe 128).

[4]               Les deux parties ont eu l’occasion, dans le cadre d’une conférence téléphonique tenue le 10 juillet 2012, de présenter des observations supplémentaires au sujet des demandes de redressement de la plaignante qui restaient en suspens après la décision Grant (décision).

[5]               Dans une décision ultérieure, Heather Lynn Grant c. Manitoba Telecom Services Inc., 2012 TCDP 20 [Grant (redressements)], le Tribunal a déterminé quelles mesures de redressement étaient nécessaires pour répondre aux demandes de redressement de la plaignante qui restaient en suspens depuis la décision Grant (décision). Entre autres, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de preuves pour réévaluer quelle personne, la plaignante ou l’autre employée, aurait dû être licenciée. En fait, le Tribunal était d’avis que, dans les circonstances, il remédiait à « [...] la chance qu’a perdue la plaignante de faire apprécier son rendement de manière non discriminatoire et, par conséquent, la possibilité qu’elle avait, tout comme une autre candidate, de conserver l’emploi qu’elle exerçait auprès de l’intimée » (Grant (redressements), au paragraphe 7). Le Tribunal a ajouté : « La difficulté que pose la conception d’une mesure de redressement appropriée dans le cas présent réside dans le fait que, indépendamment de l’acte discriminatoire commis, il y avait au moins une possibilité de 50 % qu’on aurait licencié la plaignante de toute façon. » (Grant (redressements), au paragraphe 7).

[6]               En raison de ce raisonnement, le Tribunal a ordonné ce qui suit en ce qui a trait à la pension de la plaignante :

L’intimée replacera les prestations de retraite de la plaignante dans la situation où elles se trouvaient au moment du licenciement. Pour la période s’étendant entre la date du licenciement et celle de l’application des dispositions de la présente ordonnance, l’intimée contribuera au régime de pension la moitié des cotisations de retraite qu’elle aurait faites au cours de cette période si la plaignante était restée à son service. S’il est impossible de rétablir le régime de retraite antérieur, il faudra prendre les dispositions nécessaires pour rétablir les prestations de retraite perdues, de la manière décrite plus tôt, dans un régime ou un programme comparable en veillant à ce que la plaignante puisse toucher des prestations de retraite qui se comparent à celles qu’elle aurait reçues par l’entremise de MTS. Je laisserai d’abord aux parties le soin de régler les détails des prestations de retraite que la plaignante a perdues, conformément aux paramètres indiqués dans mes motifs.

 

(Grant (redressements), au paragraphe 22)

[7]               Dans Grant (redressements), le Tribunal est resté saisi de l’affaire au cas où les parties n’arriveraient pas à une entente au sujet du redressement quant à la pension, entre autres (au paragraphe 23).

[8]               Les parties ont été incapables de s’entendre sur les détails de la pension perdue de la plaignante et ne s’entendent pas sur l’interprétation de la mesure de redressement que le Tribunal a ordonnée à ce sujet.

[9]               Les parties s’entendent au sujet du fait que l’obligation de l’intimée en fonction de l’ordonnance qui précède est de remettre les prestations de pension de la plaignante dans la situation où elles se trouvaient au moment du licenciement et au sujet du fait que ces prestations peuvent être accordées en vertu du régime de pension de l’intimée. Elles ne s’entendent pas au sujet de ce qui est dû à la plaignante à partir de la date de son licenciement : 50 % des cotisations de retraite que l’intimée aurait faites, ou 50 % des prestations de pension que la plaignante aurait reçues, moins les cotisations que la plaignante aurait faites.

[10]           La décision sur requête suivante fournit des directives supplémentaires aux parties en ce qui a trait à l’application de l’ordonnance du Tribunal au sujet de la pension de la plaignante.

II.                Les positions des parties

A.                La plaignante

[11]           La plaignante soutient que le Tribunal a ordonné le rétablissement de ses prestations de pension.

[12]           Le régime de pension est un régime à prestations déterminées et, par conséquent, l’intimée ne contribue pas un montant défini et certain à intervalles réguliers. En fait, l’intimée cotise au régime de pension un montant suffisant, en fonction des conditions du marché, pour garantir que les retraités reçoivent leurs prestations précises et définies. Par conséquent, selon la plaignante, le montant des cotisations de l’intimée au régime de pension aurait pu n’avoir aucune répercussion sur le montant de prestations qu’elle recevrait.

[13]           En fait, la plaignante soutient que l’ordonnance du Tribunal visait à indemniser la plaignante et à rétablir ses prestations de pension. À ce sujet, aux paragraphes 15 et 22 de Grant (redressements), la plaignante soutient que le Tribunal semble suggérer une méthode pour en arriver à l’objectif ultime d’indemniser la plaignante et de rétablir ses prestations de pension : que l’intimée cotise à son régime de pension « la moitié des cotisations qu’elle aurait effectuées au cours de cette période si la plaignante était restée à son service ». La plaignante soutient que le Tribunal n’a pas ordonné à l’intimée de simplement verser au régime de pension un montant estimé de cotisations, mais qu’il a plutôt laissé entendre que cela pouvait être une possibilité ou une méthode possible d’en arriver à l’objectif ultime d’indemniser la plaignante.

[14]           Par conséquent, la plaignante est d’avis que l’intimée doit garantir à la plaignante des prestations de retraite comparables à celles qu’elle aurait reçues si elle n’avait pas été licenciée (moins 50 %). La plaignante a fourni un rapport actuariel dans lequel le montant mensuel de prestations qu’elle a perdues en raison de son licenciement a été calculé.

[15]           Subsidiairement, si l’interprétation de l’intimée de la décision Grant (redressements) est correcte et que cette décision accordait des cotisations de retraite, par opposition à des prestations, la plaignante soutient que l’évaluation des cotisations faites par l’intimée est incomplète. Selon la plaignante, le rapport actuariel de l’intimée ne calculait que les cotisations normales et ne tenait pas compte des cotisations spéciales et de l’intérêt. Lorsqu’on ajoute ces montants au total de cotisations normales de 17 789,72 $, le montant des cotisations totales est de 98 863,81 $. Si ce montant était payé en un versement unique à la plaignante, celle-ci soutient qu’elle serait indemnisée.

[16]           En ce qui a trait à ses observations finales au sujet du redressement pour sa pension, la plaignante soutient qu’il faut se rappeler que le redressement a été préparé dans le contexte de ce qui, selon la plaignante, était un scénario improbable, soit que la plainte serait accueillie, mais qu’aucune réintégration ne soit ordonnée; que le calcul fourni a été préparé en fonction de circonstances qui ont maintenant plus de trois ans; que les arguments présentés avant la décision du Tribunal ne sont pas pertinents quant à l’interprétation de la décision; et que l’utilisation du concept de « cotisations » était une approximation rapide des prestations de pension en l’absence de preuve actuarielle.

B.                 L’intimée

[17]           L’intimée croit que le Tribunal lui a ordonné de payer 50 % des cotisations de retraite qui auraient été faites du 23 février 2007 jusqu’à la date d’application de l’ordonnance. Le rapport actuariel de l’intimée calcule que la moitié de ses cotisations du 23 février 2007 au 1er juin 2013 aurait été de 17 789,72 $.

[18]           Selon l’intimée, l’ordonnance du Tribunal établit une distinction claire entre a) les différents moments et b) les types d’indemnisation. Les deux moments précis sont : a) le moment du licenciement et b) la période suivant le licenciement jusqu’à la date où l’ordonnance a été appliquée. Les deux types d’indemnisation sont : a) les prestations de pension et b) les cotisations de retraite. Selon l’intimée, l’ordonnance n’utilise pas les termes cotisations et prestations de façon interchangeable et chaque terme est lié à son propre moment précis.

[19]           Selon l’interprétation de l’intimée, l’ordonnance concorde avec la décision du Tribunal de ne pas rétablir la plaignante dans son emploi. L’intimée soutient que la partie de l’ordonnance portant sur les prestations de pension coïncide avec la durée de l’emploi de la plaignante chez l’intimée. Après ce moment, selon l’ordonnance, l’intimée doit effectuer des cotisations de retraite. Selon l’intimée, il serait illogique de ne pas rétablir la plaignante dans son emploi, mais de rétablir les prestations de pension comme si le Tribunal avait ordonné le rétablissement de la plaignante dans son emploi.

[20]           L’intimée reconnaît la compétence du Tribunal de fournir des directives en ce qui a trait à l’application de son ordonnance et elle note que l’application de l’ordonnance est le domaine précis au sujet duquel le Tribunal a expressément réservé sa compétence, compte tenu du peu de preuves portant sur l’administration du régime de retraite de l’intimée (voir Grant (redressements), au paragraphe 15). Cependant, l’intimée note que le Tribunal n’a pas réservé sa compétence en ce qui a trait à l’ordonnance quant au fond de l’affaire et elle soutient que le Tribunal est dessaisi en ce qui a trait au redressement prévu pour la pension comme tel dans l’ordonnance.

[21]           L’intimée soulève la question parce qu’elle est d’avis que la position et les observations de la plaignante sont une tentative de revoir l’ordonnance quant à la pension ou de porter celle-ci en appel. Selon l’intimée, jusqu’au dépôt de la présente requête, la plaignante a toujours demandé d’être indemnisée pour les cotisations de retraite qu’elle a perdues, et non pour les prestations. L’intimée soutient que c’était là la position de la plaignante dans son exposé des précisions et dans ses observations écrites finales qu’elle a déposées après l’audience. Selon l’intimée, la plaignante ne peut pas maintenant présenter une demande différente.

III.             Décision sur requête

[22]           L’intimée a interprété correctement l’ordonnance du Tribunal. Le Tribunal n’a pas accordé à la plaignante la moitié de ses prestations de pension pour la période suivant son licenciement. Plutôt, l’indemnité vise la moitié des cotisations de retraite faites par l’employeur pour la période suivant le licenciement.

[23]           Compte tenu de la décision du Tribunal de ne pas rétablir la plaignante dans son emploi, l’ordonnance a été préparée en vue d’établir une distinction entre la période avant et la période après le licenciement. Pour la période précédant le licenciement, le Tribunal souhaitait établir clairement que la plaignante devait recevoir ses prestations complètes de pension, question qui n’était pas en litige entre les parties. Pour la période suivant le licenciement, seulement la moitié des cotisations de retraite que l’employeur aurait faites a été accordée. La moitié, parce que le Tribunal a conclu au fait que la plaignante partageait la possibilité avec une autre candidate de conserver son emploi auprès de l’intimée, et non à la perte d’emploi comme tel. De plus, l’ordonnance ne visait que les cotisations de retraite par l’employeur, parce que la plaignante n’a pas perdu ses propres cotisations. Elle n’a simplement pas cotisé au régime de pension après son licenciement.

[24]           Le Tribunal n’a pas d’expertise pour interpréter et calculer les pensions. Le Tribunal a établi le redressement quant à la pension en fonction des observations des parties et de la preuve dont il était saisi à l’époque. Pendant la téléconférence de gestion d’instance de juillet 2012, lors de laquelle les parties ont eu l’occasion de présenter des observations au sujet des redressements en suspens de la décision Grant (décision), la plaignante a précisé que ses calculs quant à la partie de l’intimée des cotisations de retraite perdues étaient une estimation en l’absence de calculs d’un actuaire. En fait, divers articles du régime de pension visé en l’espèce prévoient l’ajustement et le calcul des cotisations et des prestations en fonction de recommandations d’un actuaire. C’est pourquoi le Tribunal a d’abord laissé aux parties le soin d’établir les détails du redressement quant à la pension :

Compte tenu des difficultés et des considérations qui peuvent entrer en jeu dans la détermination de l’application de cette ordonnance, compte tenu du manque de preuves permettant de déterminer le mieux possible l’application de la présente ordonnance, compte tenu de l’admission des parties selon laquelle il faudra peut-être recourir aux services d’un actuaire pour effectuer ces calculs de retraite, et compte tenu du fait que les preuves qui m’ont été présentées pour faire ces calculs sont insuffisantes, je laisserai donc d’abord aux parties le soin de régler les détails des prestations de retraite perdues de la plaignante dans le cadre des paramètres susmentionnés.

(Grant (redressements), au paragraphe 15)

[25]           Selon le Tribunal, les parties étaient les mieux placées pour calculer le montant du redressement quant à la pension et pour déterminer quelle était la meilleure façon de mettre ce redressement en œuvre. Malheureusement, les parties ont été incapables de s’entendre à ce sujet.

[26]           Cela dit, les parties ont maintenant présenté au Tribunal des rapports actuariels, qui aident à établir le redressement. Les deux rapports semblent concorder en ce qui a trait au fait que la moitié des cotisations normales de l’employeur couvrant la période du 23 février 2007 au 1er juin 2013 serait d’un montant de 17 789,72 $.

[27]           Cependant, en réplique, la plaignante a soulevé un argument subsidiaire et a présenté un rapport actuariel supplémentaire, dans lequel il est soutenu que le rapport de l’intimée ne tenait pas compte des cotisations spéciales et de l’intérêt. Le fait de soulever cet argument subsidiaire et de présenter ce rapport supplémentaire en réplique n’aide pas à trancher la question en l’espèce et est injuste envers l’intimée. L’argument subsidiaire aurait dû être soulevé dans le cadre des observations initiales de la plaignante quant à la question à trancher en l’espèce.

[28]           Cela dit, dans l’intérêt de la justice, le Tribunal souhaite s’assurer que la plaignante, une victime de discrimination, reçoive le montant complet qui lui est dû en vertu de l’ordonnance du Tribunal. Il ne s’agit pas de revoir l’ordonnance du Tribunal quant à la pension, mais plutôt de garantir que l’ordonnance est appliquée correctement.

[29]           Par conséquent, l’intimée doit fournir une réponse au rapport actuariel supplémentaire de la plaignante et, plus précisément, au sujet des cotisations spéciales et de l’intérêt, au plus tard le 31 janvier 2014. Par la suite, la plaignante aura jusqu’au 28 février 2014 pour fournir une réplique. Le Tribunal rappelle à la plaignante que l’objectif de la réplique n’est pas de soulever de nouveaux arguments, mais de répondre à ceux soulevés par l’intimée.

[30]           Après la présentation des observations supplémentaires, et seulement si le Tribunal le juge nécessaire, une téléconférence de gestion d’instance pourra être tenue pour obtenir d’autres précisions de la part des parties au sujet de leurs observations supplémentaires.

[31]           Je conserverai ma compétence au sujet du redressement quant à la pension jusqu’à ce que la question soit définitivement tranchée.

Signé par

Sophie Marchildon

Juge administrative

Ottawa (Ontario)

Le 19 décembre 2013

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