Tribunal canadien des droits de la personne

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TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE CANADIAN HUMAN RIGHTS TRIBUNAL

DENISE SEELEY

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

l'intimée

DÉCISION

2010 TCDP 23
2010/09/29

MEMBRE INSTRUCTEUR : Michel Doucet

I. INTRODUCTION

A. LES FAITS

(i) La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

a) Renseignements généraux

b) Le personnel des trains

c) Les changements effectués en 1992 et la création du tableau de congés

(ii) Les antécédents de travail de la plaignante

(iii) La pénurie à Vancouver

(iv) Les chefs de train qui ont été rappelés pour répondre à la pénurie de Vancouver

(v) Le rappel au travail de la plaignante

B. LES QUESTIONS EN LITIGE

C. LE DROIT ET LA THÈSE EN L'ESPÈCE

(i) Les dispositions pertinentes de la LCDP

(ii) Le droit

a) La preuve prima facie

b) Quelle approche doit être appliquée pour déterminer s'il y a eu discrimination fondée sur la situation de famille?

c) Une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille a-t-elle été établie?

d) La Compagnie a-t-elle pris des mesures d'accommodement pour la plaignante?

e) Conclusion

D. REDRESSEMENTS

(i) Une ordonnance visant à ce que la Compagnie révise sa politique d'accommodement

(ii) Rétablissement

(iii) Indemnité pour perte de salaire

(iv) Préjudice moral

(v) Acte délibéré ou inconsidéré

(vi) Dépens et intérêts.

I. INTRODUCTION

[1] Il s'agit d'une plainte de discrimination en matière d'emploi fondée sur les articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP). Denise Seeley (la plaignante) a déposé une plainte dans laquelle elle alléguait que l'intimée, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (la Compagnie), avait agi de façon discriminatoire envers elle en raison de sa situation de famille en ne prenant pas de mesure d'accommodement pour elle et en mettant fin à son emploi.

[2] La Compagnie nie les allégations de la plaignante.

[3] Toutes les parties, y compris la Commission canadienne des droits de la personne (la CCDP), étaient présentes à l'audience et étaient représentées par un avocat.

[4] Deux autres plaintes connexes ont été déposées contre la Compagnie. Par entente entre les parties, les deux autres cas ont été traités dans une audience distincte et seront tranchées séparément. Bien que les faits en l'espèce et ceux dans les deux autres affaires soient très semblables et que les témoins de la Compagnie soient les mêmes, à l'exception d'une personne qui n'a pas témoigné en l'espèce, la preuve présentée est, en de nombreux points, différente. Sans nécessairement se contredire, les témoins de la Compagnie qui ont témoigné en l'espèce n'ont pas répété exactement le même témoignage dans les deux autres affaires. De plus, des documents qui n'ont pas été présentés à l'audience de l'espèce ont été déposés en preuve dans les deux autres affaires. Ces différences expliqueront toute divergence qui puisse exister dans les faits lorsqu'ils sont comparés.

A. LES FAITS

(i) La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

a) Renseignements généraux

[5] La Compagnie est une société sous réglementation fédérale qui tire ses revenus du transport de biens par train. Il s'agit d'une compagnie de chemins de fer transcontinentale qui opère au Canada et aux États-Unis. Les trains de marchandises transportent des biens 24 heures par jour, 7 jours par semaine, 365 jours par année.

[6] La Compagnie a plus de 15 000 employés au Canada. Ces employés sont organisés en deux groupes décrits comme un groupe opérationnel et un groupe non opérationnel. Le groupe non opérationnel est constitué d'employés qui occupent des postes en administration, en mécanique et en ingénierie. Les employés du groupe opérationnel, aussi connus sous le nom de personnel des trains, sont des chefs de train et des mécaniciens de locomotives. La Compagnie compte plus de 4 000 employés du personnel des trains à l'échelle du Canada, dont 2 400 sont des chefs de train.

[7] Le Centre de gestion des équipes (le CGE) à Edmonton est une partie très importante des opérations de la Compagnie. Il est responsable de tous les appels des équipes et les déploiements pour la région de l'Ouest. Il gère le déploiement du personnel des trains et la rémunération, dont le budget total est de 204 millions de dollars. Elaine Storms est la directrice du CGE. Elle occupait déjà ce poste en 2005.

b) Le personnel des trains

[8] Comme je l'ai mentionné auparavant, les mécaniciens de locomotives et les chefs de train font partie du groupe portant le nom de personnel des trains. Les mécaniciens de locomotives font fonctionner le moteur et les chefs de train sont, au fond, responsables de tous les autres aspects liés au mouvement du train.

[9] Le personnel des trains travaille soit sur la [TRADUCTION] route ou au [TRADUCTION] triage. Le [TRADUCTION] travail de route est effectué par des employés qui embarquent dans un train à un terminal en particulier et qui amènent le train à un autre terminal. Ils attendent ensuite à ce deuxième terminal et reviennent plus tard à leur terminal local. Un employé de triage travaille généralement à la gare de triage, transférant les wagons couverts et emboîtant les trains. Un employé de triage n'a pas besoin de quitter le terminal.

[10] En ce qui a trait à l'embauche, la Compagnie a tendance à embaucher son personnel des trains en groupes. La Compagnie a embauché beaucoup d'employés dans les années 70 et un peu d'employés dans les années 80. Elle a de nouveau embauché beaucoup d'employés dans les années 90, et de même au cours des dernières années.

[11] Mme Ziemer, une agente des ressources humaines de la Compagnie à Vancouver, a témoigné qu'en 1996, le pourcentage de femmes dans le personnel des trains était d'environ 3 p. 100. Cette donnée était de 3,7 p. 100 en 2006 et se situe maintenant à environ 3,1 p. 100. Elle a ajouté que, principalement, les hommes montraient plus d'intérêt que les femmes envers le travail du personnel des trains.

[12] Elle a aussi expliqué que le coût d'embauche et de formation d'un chef de train était d'environ 18 000 $ à 20 000 $ par chef de train. La formation prend de trois (3) à six (6) mois. Le coût de la formation d'un mécanicien de locomotives est d'environ 28 000 $ à 30 000 $, en plus du coût de sa formation comme chef de train.

[13] Afin de se qualifier pour travailler comme chef de train, un employé doit faire mettre à jour sa fiche de règles et sa fiche médicale. Ces fiches doivent être renouvelées tous les trois ans. Si un employé est au tableau de service, il recevra généralement un avis lui disant que ses fiches expireront bientôt et il n'a qu'à prendre les mesures nécessaires pour les faire mettre à jour. Si l'employé est en mise à pied, il devra le faire lui-même.

[14] En raison de la nature des opérations de la Compagnie, le personnel des trains doit être disponible pour travailler à l'endroit et au moment requis, dans le respect des restrictions imposées par la loi et par la convention collective. Compte tenu de ces exigences, la Compagnie est d'avis que la mobilité et la flexibilité constituent des conditions d'emploi de base pour ces employés. Elle est d'avis que ces exigences sont nécessaires compte tenu du volume de biens que la Compagnie transporte et de la fluctuation en matière de demande qui peut exister pendant une courte période en raison, par exemple, de changements dans l'économie ou de facteurs saisonniers tels que la saison de la moisson du grain.

[15] Lorsqu'un employé travaille ou est disponible pour travailler, on dit qu'il est au [TRADUCTION] tableau de service. Le tableau de service comprend tous les employés qui ne sont pas mis à pied. Les employés qui sont au tableau de service sont soit en affectation, soit dans un bassin.

[16] Un employé qui est au tableau de service peut aussi être appelé employé affecté. La décision d'affecter un employé est prise après une discussion entre les gestionnaires du terminal où l'employé doit être affecter et le Syndicat. Cette décision est fondée sur le nombre d'employés nécessaires au terminal pour effectuer le travail prévu.

[17] Il y a aussi un autre tableau, qui fait partie du tableau de service et qui porte le nom de [TRADUCTION] tableau de remplacement ou de [TRADUCTION] tableau d'urgence. Les employés dont le nom figure à ce tableau sont appelés à travailler seulement pour remplacer des employés qui sont soit en vacances, soit incapables de travailler pour d'autres raisons.

[18] Le travail du personnel des trains est fondé sur le millage. Le tableau de service est ajusté de façon hebdomadaire afin que chaque employé puisse faire environ 4 300 milles par mois. Lorsque la Compagnie ajuste le tableau de service, elle examine les données de la semaine précédente afin de voir combien de milles les employés ont effectués. Elle divise ce nombre par 4 300 et le résultat indique le nombre d'employés qui serait probablement nécessaire dans un terminal en particulier la semaine suivante.

[19] Pendant toutes les périodes en cause, les chefs de train dans la région de l'Ouest du Canada étaient représentés par les Travailleurs unis du transport (le Syndicat). La région de l'Ouest comprend tous les terminaux ferroviaires de la Compagnie à partir de Vancouver (Colombie-Britannique) jusqu'à Thunder Bay (Ontario). La convention collective applicable aux chefs de train dans la région de l'Ouest est la convention collective 4.3 (la convention collective).

c) Les changements effectués en 1992 et la création du tableau de congés

[20] En 1992, des changements dans la technologie ont permis à la Compagnie d'éliminer le wagon à la fin du train, qui est communément connu sous le nom de wagon de queue. Cette décision a entraîné l'élimination du poste de serre-frein. Après cette décision, les chefs de train qui travaillaient dans le wagon de queue ont été transférés à l'avant du train avec les mécaniciens de locomotives. L'élimination du poste de serre-frein signifiait que la Compagnie avait besoin de moins de personnel des trains pour faire fonctionner ses trains. La réduction dans le nombre d'employés a été effectuée pendant le processus de négociation avec le Syndicat. La négociation a entraîné la création du [TRADUCTION] tableau de congés.

[21] Un tableau de congés est créé lorsqu'il y a un surplus d'employés à un terminal, mais pas suffisamment de travail pour tous. Le tableau de congé garantit à l'employé un salaire équivalent à celui qu'il aurait gagné en travaillant, jusqu'à concurrence des 4 300 milles de déplacement prévus par la convention collective, qu'il ait travaillé ou non. L'employé dont le nom figure au tableau de congés doit rester disponible pour le travail, mais s'il n'est pas appelé à travailler, il reçoit tout de même son salaire.

[22] Les changements effectués aux conditions de travail en 1992 ont aussi créé la notion de [TRADUCTION] forçage, qui produit différents résultats pour différentes catégories d'employés dans le personnel des trains. Conformément à la clause 148.11 de la convention collective, les employés embauchés après le 29 juin 1990 peuvent être forcés de travailler dans un autre terminal dans la région de l'Ouest et ont l'obligation de se présenter à ce terminal au plus tard dans les trente (30) jours suivant l'appel, à moins qu'ils ne présentent une [TRADUCTION] raison satisfaisante pour justifier le fait qu'ils ne se présenteront pas. Ces employés sont communément appelés employés de la [TRADUCTION] catégorie D. Ils sont aussi appelés employés non protégés, parce qu'ils ont l'obligation de répondre à un appel au travail à l'extérieur de leur terminal.

[23] L'autre catégorie d'employés comprend les employés qui ont été embauchés avant le 29 juin 1990. Ces employés sont appelés protégés. Dans ce groupe d'employés protégés, on retrouve ceux qui ont été embauchés avant 1982 et qui portent le nom d'employés de la [TRADUCTION] catégorie A et de la [TRADUCTION] catégorie B, respectivement. Ces employés ne peuvent pas être affectés à du travail ailleurs qu'à leur terminal local. Les employés embauchés après 1982, mais avant le 29 juin 1990, portent le nom d'employés de la [TRADUCTION] catégorie C et peuvent seulement être affectés à du travail à des terminaux adjacents. Par exemple, les employés de la catégorie C du terminal de Jasper peuvent seulement être affectés aux terminaux adjacents d'Edson et de Kamloops.

[24] Le statut d'employé protégé représente une exception à la règle générale. Le nombre de ces employés diminuera au cours des années simplement par l'attrition, et le statut disparaîtra éventuellement complètement. Les employés protégés ont aussi l'avantage de s'inscrire au tableau de congés. Les employés non protégés ne peuvent pas s'inscrire au tableau de congés.

[25] À la suite de la création du tableau de congés, qui essentiellement permet à certains employés d'être protégés à leur terminal local, la Compagnie devait trouver une façon de combler des postes en cas de pénuries dans d'autres terminaux. C'est à ce moment que la clause 148.11 de la convention collective est entrée en vigueur. C'est cette disposition, comme nous venons de le voir, qui permet à la Compagnie de forcer les employés non protégés à se rendre dans d'autres terminaux de la région de l'Ouest pour couvrir les pénuries.

[26] Avant l'entrée en vigueur de la clause 148.11, la Compagnie obtenait des employés pour répondre à la pénurie en produisant des TRADUCTION bulletins de pénurie et en permettant aux employés de se porter volontaires en cas de pénurie, s'ils le désiraient. Ces bulletins étaient produits à chaque [TRADUCTION] changement de fiche, soit environ quatre fois par année. Comme il est difficile pour la Compagnie de prévoir où une pénurie aura lieu, ces bulletins couvraient divers endroits, qu'il y ait réellement une pénurie ou non. Les employés qui souhaitaient répondre à une pénurie dans un certain endroit se portaient volontaires pour cet endroit, et s'il y avait une pénurie au terminal en question, l'employé qui s'était porté volontaire était appelé à aller y travailler.

[27] La Compagnie affiche toujours des bulletins de pénurie, et les employés peuvent toujours se porter volontaires suivant ces bulletins, mais comme les employés protégés peuvent maintenant rester à leur terminal local, au tableau de congés, et tout de même recevoir leur salaire, ils n'ont guère d'avantage à se porter volontaires en cas de pénurie.

[28] La Compagnie utilise aussi un système connu sous le nom de [TRADUCTION] dotation suivant le tableau de remplacement ( en anglais, whitemanning ), qui lui permet d'envoyer les employés en surplus dans un terminal à un terminal adjacent. Par exemple, dans un tel scénario, des employés de Kamloops (C.-B.) conduiraient des trains que les équipes de Vancouver conduisent normalement jusqu'à Kamloops.

[29] Il est aussi possible qu'on demande à des gestionnaires de travailler pendant une situation de pénurie. Presque tous les gestionnaires des transports sont qualifiés pour conduire des trains. La Compagnie demandera aux gestionnaires de conduire des trains en dernier recours, lorsqu'elle aura épuisé le personnel des trains.

[30] Les employés qui sont affectés à un autre terminal en vertu de la clause 148.11 de la convention collective ont droit à certaines commodités au terminal qui leur est assigné. Ces commodités comprennent, lorsqu'elles sont disponibles, des chambres équipées d'une cuisinette et aussi la possibilité de retourner à la maison à des intervalles réguliers ou, subsidiairement, la possibilité que la Compagnie défraie le coût associé au transport d'un membre de la famille jusqu'au lieu de la pénurie.

[31] L'alinéa 148.11f) de la convention collective stipule que le premier employé à être appelé à répondre à une pénurie sera l'employé qualifié le moins ancien qui est en mise à pied dans le territoire d'ancienneté et dont la date d'ancienneté est ultérieure au 29 juin 1990. La convention collective ne prévoit pas de durée maximale pour la couverture d'une pénurie. Si la pénurie devient permanente, la Compagnie embauchera alors des employés pour le lieu touché.

[32] La clause 115 de la convention collective stipule qu'un employé qui est mis à pied sera prioritaire pour le réemploi si l'effectif est augmenté dans son district de séniorité et qu'il reprendra du service par ordre d'ancienneté. Cette clause stipule aussi que si l'employé travaille ailleurs au moment du rappel, il peut obtenir trente (30) jours pour se présenter au travail. S'il ne se présente pas au travail ou qu'il ne donne pas de [TRADUCTION] raison satisfaisante pour son défaut de se présenter, dans les quinze (15) jours suivant le rappel, il renonce à ses droits d'ancienneté.

[33] Un employé qui souhaite soulever une [TRADUCTION] raison satisfaisante pour justifier son défaut de se présenter au travail doit d'abord présenter sa demande au Centre de gestion des équipes (le CGE). On lui donne alors l'instruction d'écrire une lettre à son superviseur immédiat à son terminal local. Si la raison soulevée peut avoir des répercussions sur la convention collective, il peut être nécessaire de discuter avec le Syndicat.

(ii) Les antécédents de travail de la plaignante

[34] La plaignante a été embauchée par la Compagnie comme serre-freins le 2 juin 1991 et elle s'est qualifiée comme chef de train en 1993. Son terminal local était celui de Jasper (Alberta). La plaignante et son mari habitaient à Jasper jusqu'à la naissance de leur premier enfant en 1999. Ils ont ensuite déménagé à Brule (Alberta), une petite communauté située à environ quatre-vingt dix-huit (98) kilomètres de Jasper. La plaignante a été employée par la Compagnie jusqu'à ce qu'elle soit congédiée en 2005 parce qu'elle avait refusé de répondre à la pénurie de Vancouver.

[35] Son mari est aussi un employé de la Compagnie à titre de mécanicien de locomotives et a actuellement 32 années de service.

[36] La demanderesse a travaillé comme chef de train de 1991 à 1997. En 1997, elle a été mise à pied, comme de nombreux autres employés de la Compagnie. Elle est restée en mise à pied de novembre 1997 à février 2005. Cependant, sa relation d'emploi avec la Compagnie a été maintenue tout au long de la période de mise à pied. La convention collective stipule qu'un employé en mise à pied continue d'accumuler de l'ancienneté. Elle stipule aussi que l'employé peut rester en mise à pied indéfiniment ou jusqu'à ce qu'il soit rappelé ou qu'il démissionne.

[37] Entre 1997 et 2001, la plaignante a travaillé pour la Compagnie en répondant à des appels d'urgence. Plus précisément, elle a effectué vingt-cinq (25) tours de service d'urgence entre 1997 et 2000. En 2001, elle a effectué quatre (4) tours de plus. Elle n'a plus travaillé après 2001.

[38] En janvier 1999, le premier enfant du couple est né. Le deuxième enfant est né en 2003. Après la naissance de son premier enfant, la plaignante a travaillé en fonction du tableau d'urgences quelques fois, à Jasper, mais comme les appels étaient imprévisibles, il était difficile pour elle de prendre les mesures nécessaires pour prendre soin de son enfant. Après la naissance de son deuxième enfant, la plaignante n'a pas répondu à des urgences pour la Compagnie.

(iii) La pénurie à Vancouver

[39] En février 2005, la Compagnie subissait une importante pénurie de personnel des trains à son terminal de Vancouver. Cette situation était due principalement à la croissance de l'économie et à l'augmentation du volume d'activités de la Compagnie, qui avait dépassé sa capacité à fournir suffisamment de personnel des trains localement. Selon Mme Storms, soixante-douze (72) chefs de train étaient nécessaires à Vancouver pour répondre à la pénurie et il n'y avait que cinquante-trois (53) chefs de train sur place. Elle a ajouté qu'[TRADUCTION] il s'agissait incontestablement de l'une des pénuries les plus importantes que j'aie vues dans ma carrière.

[40] En raison de son emplacement, le terminal de Vancouver est très occupé. Il comprend une importante gare de triage et des opérations intermodales où les biens sont transférés à partir de navires et vers les navires. Le terminal de Vancouver constitue par conséquent un centre de liaison pour le marché canadien de la Compagnie, parce qu'une grande quantité de matériaux et de biens de consommation provenant de l'Asie et de l'Amérique du Nord, et exportés vers l'Asie et l'Amérique du Nord, passe par Vancouver et est ensuite transportée partout au Canada sur le réseau ferroviaire de la Compagnie.

[41] Une pénurie de personnel des trains à Vancouver a d'importantes répercussions, car elle peut avoir des incidences sur la capacité de la Compagnie à fonctionner adéquatement partout dans son réseau.

[42] Afin de maintenir son niveau d'opération, la Compagnie a décidé en février 2005 de rappeler des chefs de train mis à pied de la région de l'Ouest pour répondre à la pénurie qui touchait le terminal de Vancouver. Ces employés étaient des employés non protégés dont la date d'ancienneté était ultérieure au 29 juin 1990. Par conséquent, ils étaient visés par l'alinéa 148.11c) de la convention collective.

[43] Mme Storms a témoigné que pendant cette période, elle s'était rendue à Vancouver pour aider à l'affectation des agents. Elle a ajouté que des gestionnaires avaient été rappelés de partout au Canada pour répondre à la pénurie.

[44] En ce qui a trait à la durée possible de cette pénurie, M. Joe Torchia, le directeur des relations de travail de la Compagnie, a expliqué qu'il aurait peut-être été possible d'établir une estimation, mais que la Compagnie aurait hésité à le faire [TRADUCTION] parce que les gens s'attendent à ce que cette date soit respectée. Il a reconnu que l'incertitude au sujet de la durée de la pénurie pouvait avoir des répercussions sur le type d'hébergement que la Compagnie pourrait accepter de payer. Mme Storms a été plus précise et a expliqué que, si la plaignante s'était présentée à Vancouver, elle y serait probablement restée pendant environ un an, parce que la situation de pénurie à Vancouver n'a pas été résolue avant 2006.

[45] Les employés qui se présentaient au terminal de Vancouver pour répondre à la pénurie devaient se présenter à la gare de triage Thornton, à Surrey, et de là, comme Vancouver avait beaucoup de gares de triage, ils étaient envoyés aux endroits où leurs services étaient nécessaires. Les employés n'étaient informés de l'endroit où ils allaient travailler et du quart de travail qu'ils allaient occuper que lorsqu'ils arrivaient à Vancouver.

(iv) Les chefs de train qui ont été rappelés pour répondre à la pénurie de Vancouver

[46] Quarante-sept (47) chefs de train mis à pied dans la région de l'Ouest ont été rappelés pour répondre à la pénurie de Vancouver en février 2005. Mme Storms a expliqué que, conformément à la convention collective, les employés ont été rappelés en fonction de leur ancienneté, en commençant par la personne avec le plus d'ancienneté dans le district. Elle a ajouté que la Compagnie ne permettait pas à un employé qui avait de l'ancienneté de refuser une occasion de travailler, parce que cela signifierait qu'il ne protégeait pas son ancienneté conformément à la convention collective. À l'époque du rappel, la plaignante était la troisième personne sur les quatre figurant à la liste d'ancienneté des employés mis à pied au terminal de Jasper.

[47] Les quarante-sept (47) employés ont d'abord été joints par téléphone. Selon Mme Storms, lorsque ces employés ont été appelés, on leur a dit qu'ils avaient quinze (15) jours pour se présenter à Vancouver pour répondre à la pénurie.

[48] La Compagnie a produit à l'audience un document qui établissait une partie des antécédents de travail pour certains de ces employés. Mme Storms a expliqué que ce document était le résultat de renseignements que les répartiteurs d'équipes du CGE ont écrits dans le système. Les avocats de la plaignante et de la CCDP ont longuement contre-interrogé Mme Storms au sujet de ce document. J'examinerai ce document en détail dans les paragraphes suivants, puisqu'il a été évident que les renseignements qu'il contient étaient importants pour toutes les parties. Afin de protéger la confidentialité des employés visés, ils seront identifiés par des lettres qui ne correspondent pas à leurs noms réels.

[49] L'employé AB, bien qu'il eût été rappelé, ne s'est pas présenté pour combler la pénurie de Vancouver. Le 22 mars 2005, il a été affecté au terminal de Sioux Lookout. Il a continué à y travailler jusqu'à la fin de l'année. Comme il a été affecté à son terminal local, il n'avait pas à répondre à la pénurie à Vancouver. Bien que cet employé eût été affecté le 22 mars, il a seulement travaillé le 24 mars et ensuite, il n'a pas travaillé jusqu'au 1er avril. Après cette date, il a travaillé le 10 et le 11 avril, mais n'a plus travaillé avant le 18 avril. Le 22 juillet, il a pris un congé et n'est retourné au travail que le 12 août. Il a travaillé de cette date jusqu'au 20 août, mais il n'a pas travaillé après cette date jusqu'au 22 septembre. Il a travaillé à nouveau le 30 septembre, puis n'a pas travaillé jusqu'au 28 octobre.

[50] L'employé HI travaillait dans une période de pénurie à Hornepayne au moment du rappel. Il a travaillé dans le cadre de cette pénurie jusqu'au 18 mai 2005. Après cela, il est rentré à la maison pendant une semaine, puis s'est rendu à Vancouver pour répondre à la pénurie le 30 mai. Il a ensuite été rappelé à son terminal local le 19 septembre 2005. Il a été transféré à Fort Francis le 29 octobre et y a travaillé jusqu'à la fin de l'année.

[51] Selon les documents produits par la Compagnie, alors qu'il était à Vancouver, cet employé a commencé par effectuer quatre (4) tours de formation. Après la fin de sa formation le 3 juin, il a seulement commencé à travailler le 9 juin, soit six jours plus tard. Mme Storms a précisé qu'il était possible que pendant ce temps, il était toujours en formation, bien qu'elle ne puisse pas en être certaine. Après le 9 juin, il est inscrit comme étant disponible du 17 juin jusqu'au 26 juin, puis il est inscrit qu'il était en millage. Cela signifie qu'il avait été au lieu de la pénurie pendant un certain temps et qu'il pouvait retourner à la maison pendant quelques jours. Il n'a pas travaillé à Vancouver du 16 juin au 6 juillet. Il n'a pas non plus travaillé du 23 juillet au 8 août. Il a eu un autre congé le 1er septembre et sa prochaine date de travail était le 25 septembre. Comme je l'ai mentionné précédemment, le 29 octobre, il a été affecté à Fort Francis, mais il n'y a réellement travaillé qu'à partir du 22 décembre 2005. Lorsque l'avocate de la plaignante lui a demandé pourquoi un employé serait affecté pendant presque deux mois sans travailler, Mme Storms a répondu : [TRADUCTION] Je ne peux pas répondre à cette question.

[52] L'employé P a été mis à pied à North Battleford le 25 février. Le 19 mars, il a pris une semaine de vacances puis il a été affecté à son terminal local le 26 mars. Comme je l'ai déjà mentionné, lorsqu'un employé est affecté, il n'a plus l'obligation d'aller répondre à une pénurie. Mme Storms a cependant précisé que le fait d'être affecté ne signifie pas qu'un employé travaille tous les jours. Dans le cas de l'employé P, par exemple, du 26 mars jusqu'à la fin avril, il a seulement travaillé sept jours à son terminal local, mais Mme Storms a ajouté qu'il faut être prudent en examinant cette information, parce que les tours peuvent durer deux (2) ou trois (3) jours chacun, bien qu'aucune preuve confirmant que c'était le cas pour cet employé n'ait été présentée. L'employé a de nouveau été mis à pied le 24 avril 2005. De cette date jusqu'à la fin de l'année, cet employé s'est déplacé dans la zone de la Saskatchewan [TRADUCTION] occupant des postes ouverts dans d'autres terminaux.

[53] L'expression [TRADUCTION] occuper des postes ouverts fait référence à la situation où un employé mis à pied qui a de l'ancienneté dans la région de l'Ouest choisit de se rendre à un autre terminal où un poste qu'il peut occuper est vacant. Lorsqu'un poste devient disponible à son terminal local, l'employé y retourne. Si un employé exerce son droit d'ancienneté et [TRADUCTION] occupe un poste ouvert, il compte comme un employé qui travaille et il n'a pas à se présenter pour répondre à une pénurie. Selon Mme Storms, cela aurait pu être une option pour la plaignante. Mme Storms a expliqué que, pour que la plaignante puisse le faire, elle aurait eu à téléphoner au CGE et demander si elle pouvait occuper un poste ouvert.

[54] L'employé Y a aussi été appelé pour répondre à la pénurie de Vancouver le 25 février 2005. Ce jour-là, il était en congé, mais selon Mme Storms, le CGE aurait communiqué avec lui dans les jours suivants. Mme Storms a ajouté qu'elle avait examiné le dossier de travail de cet employé et qu'il y était indiqué qu'il était [TRADUCTION] absent sans permission le 4 mars 2005 et qu'il avait été congédié. Cependant, elle a aussi ajouté [TRADUCTION] Je ne connais pas les détails, mais je crois qu'il y a eu une erreur et qu'il aurait dû simplement être indiqué qu'il était en mise à pied à ce moment-là. Peu importe ce qui est arrivé, l'employé n'a pas répondu à la pénurie et il a finalement été affecté à son terminal local le 15 mars 2005. Le 9 avril, il a de nouveau été mis à pied, puis, le 30 avril, il a obtenu un congé de son coordonnateur des trains. Mme Storms a témoigné qu'elle avait tenté de communiquer avec son coordonnateur des trains et le surintendant de sa division pour savoir pourquoi cet employé avait obtenu un congé, mais le coordonnateur des trains avait pris sa retraite et il n'y avait aucun document au sujet de cette situation à la Division. Elle a aussi déclaré que le surintendant ne se souvenait pas de la situation. Mme Storms a aussi ajouté : [TRADUCTION] Nous avons eu de la difficulté à rejoindre l'employé et, honnêtement, il nous évitait. Il a travaillé la majorité du temps à son terminal local. Il a travaillé, a été en formation ou a été en congé pendant la majorité de la pénurie. Enfin, le 25 décembre 2005, cet employé a été affecté à Saskatoon.

[55] L'employé U a été appelé à répondre à la pénurie de Vancouver au même moment que tous les autres. Mme Storms a témoigné qu'elle avait personnellement parlé à cet employé et qu'il l'avait avisée que son père était en phase terminale. Elle a ajouté qu'elle avait pris la décision elle-même de prolonger le temps qui lui était accordé pour se présenter à Vancouver. Cet employé est resté sur le tableau des mises à pied jusqu'au 26 juin 2005, auquel moment il a obtenu un congé du coordonnateur des trains de son terminal. Le 24 juillet, il a été affecté à son terminal local. Son père est décédé en octobre et il a pris un congé de deuil. Il est resté à son terminal local pour le restant de l'année.

[56] Mme Storms a aussi témoigné qu'au départ, lorsque les employés du CGE ont commencé à communiquer avec les employés, ils écrivaient des notes dans leurs dossiers de travail alors qu'ils effectuaient les appels. Cependant, comme la pénurie était très importante, les procédures devenaient un peu [TRADUCTION] compliquées et Mme Storms a avisé ses employés de préparer des tableaux afin de voir comment les choses se déroulaient et combien de personnes couvriraient la pénurie. Les renseignements qui se trouvent sur ces tableaux ont été recueillis et inscrits par différents employés du CGE. Le premier tableau a été produit le 7 mars 2005.

[57] L'inscription sur les feuilles de calcul pour le 16 mars 2005 indique que l'employé E avait [TRADUCTION] 15 jours pour se présenter, 30 jours demandés. G. Spanos, confirmer ou organiser le déplacement. Le 20 avril 2005, il est inscrit [TRADUCTION] Dans la zone du Manitoba [E] a obtenu un congé de compassion jusqu'à nouvel ordre - accordé par Ron Smith - pour des raisons personnelles . Selon Mme Storms, Ron Smith est le gestionnaire du personnel des trains pour la zone du Manitoba. Elle a témoigné qu'elle se souvenait [TRADUCTION] un peu de ce cas. La situation était très semblable à celle de l'employé U. L'employé E avait aussi un parent en phase terminale. Le 19 mai 2005, l'inscription pour cet employé précisait : [TRADUCTION] Dans la zone du Manitoba, cette personne a obtenu un [congé de compassion] jusqu'à nouvel ordre accordé par A. Nashman et K. Carroll. M. Carroll était le gestionnaire général de Vancouver, division sud, et M. Nashman était le gestionnaire général du Centre d'opération de l'Ouest. L'employé E a été en congé jusqu'au 30 juillet 2005 et a ensuite été absent sans permission du 31 juillet au 8 septembre. Le 10 septembre, il a été envoyé à un autre terminal (Brandon (Manitoba)) et, finalement, il a démissionné le 19 octobre.

(v) Le rappel au travail de la plaignante

[58] Le 25 févier 2005, la plaignante a reçu un appel téléphonique d'un employé non-identifié du CGE à Edmonton. Cet employé lui a demandé : [TRADUCTION] Si la Compagnie vous affectait, combien de temps auriez-vous besoin pour vous présenter au travail?. Elle a répondu que cela dépendait de la question de savoir si elle était affectée à Jasper où si elle serait envoyée ailleurs. Selon son souvenir, comme elle l'a écrit dans une lettre datée du 4 mars 2005 adressée à C. Pizziol, le coordonnateur des trains au terminal de Jasper, l'employé du CGE lui avait répondu qu'[TRADUCTION] il était peu probable qu'elle soit envoyée ailleurs parce que tous les terminaux sont en pénurie, y compris celui de Jasper. Dans ce cas, elle croyait qu'elle aurait probablement besoin de quelques semaines pour trouver une solution pour la garde de ses deux enfants. La Compagnie n'a pas contesté ce témoignage de la plaignante.

[59] À part la directrice Elaine Storms, aucun employé du CGE n'a été appelé à témoigner. Elaine Storms n'était pas au courant de cette conversation entre la plaignante et l'employé non-identifié du CGE.

[60] Le lendemain, le 26 février 2005, Joe Lyons, gestionnaire des opérations au CGE pour les opérations de l'Ouest, a discuté par téléphone avec le mari de la plaignante. Il l'a avisé que la plaignante devait se présenter à Vancouver pour répondre à une pénurie, en application des stipulations de la convention collective.

[61] Joe Lyons, qui travaillait à l'époque pour Mme Storms, n'a pas été appelé à témoigner. Sauf le fait qu'il ne travaille plus pour la Compagnie, aucune explication n'a été donnée pour son absence.

[62] La Compagnie a aussi produit à l'audience une lettre que Joe Lyons a envoyée à la plaignante le 28 février 2005, dans laquelle il a écrit : [TRADUCTION] Pour faire suite à l'appel téléphonique du 25 février 2005, vous rappelant au service de la Compagnie, vous êtes rappelée au tableau de service immédiatement, en application de la clause 115 de la convention 4.3. Il existe aussi à Vancouver une pénurie qui force la Compagnie à invoquer les clauses 89.10 et 148.11c) de la convention 4.3. Ces clauses stipulent que les employés non-protégés doivent répondre à des pénuries dans leur territoire d'ancienneté. En application de cette clause, vous devez répondre à la pénurie d'employés de triage à Vancouver . La plaignante a témoigné qu'elle n'a jamais reçu cette lettre. La lettre avait été envoyée à l'ancienne adresse de la plaignante à Jasper, où elle n'habitait plus.

[63] La plaignante a expliqué qu'avant le rappel de 2005, elle n'avait jamais refusé de se présenter à un autre lieu de travail pour répondre à une pénurie, mais que sa situation de famille avait changé et que c'était alors plus difficile pour elle de le faire. Dans sa lettre du 4 mars 2005 à M. Pizziol, elle a expliqué : [TRADUCTION] Je suis dans une position très difficile. J'ai deux enfants : un de l'âge de 6 ans qui fréquente la maternelle dans une école d'immersion française à Hinton, et l'autre de l'âge de 21 mois. Nous habitons dans un hameau, Brule, de moins de 180 habitants situé à près de 40 km de Hinton. Nous n'avons aucune famille immédiate à proximité pour nous aider à prendre soin des enfants. Il n'y a aucune garderie enregistrée à Brule. Il y a une garderie à Hinton, cependant, elle suit les heures normales d'ouverture. Mon mari est aussi un cheminot qui, comme vous le savez, doit travailler à toutes les heures du jour ou de la nuit et peut être parti de 15 à 24 heures. Par conséquent, elle a demandé une prorogation de délai de 30 jours [TRADUCTION] pour examiner les options qui peuvent exister.

[64] M. Pizziol n'a jamais répondu à cette lettre. M. Pizziol n'a pas été appelé à témoigner à l'audience et aucune explication n'a été donnée pour son absence, sauf le fait qu'il ne travaille plus pour la Compagnie.

[65] Le 7 mars 2005, la plaignante a téléphoné à M. Pizziol pour effectuer un suivi et lui a laissé un message dans lequel elle expliquait sa situation de famille et les difficultés liées à la garde de ses enfants. Le même jour, elle a écrit au président local du Syndicat pour l'aviser de la lettre qu'elle avait envoyée à son superviseur, dans laquelle elle demandait une prorogation de délai de trente (30) jours. Elle a aussi ajouté : [TRADUCTION] il s'agit d'une situation problématique pour moi et je n'ai pas beaucoup d'options, compte tenu de ma jeune famille, de la carrière de cheminot de [mon mari] et de l'endroit où nous habitons.

[66] Le 26 mars 2005, elle a de nouveau écrit à M. Pizziol pour lui demander de tenir compte de sa situation de famille. Elle a répété ce qu'elle avait écrit dans sa lettre précédente, l'avisant qu'il lui serait difficile d'amener ses enfants avec elle à Vancouver et qu'en raison de ses responsabilités parentales, il n'était pas non plus possible pour elle de laisser ses enfants avec leur père, dont les obligations de travail lui causeraient les mêmes problèmes de services de garde. Elle a aussi demandé à ce que sa situation soit considérée comme une question de compassion, en application de la convention collective, et qu'on lui permette d'attendre que la pénurie à Vancouver soit réglée ou qu'il y ait du travail pour elle au terminal de Jasper ou au terminal adjacent d'Edson. Une copie de cette lettre a aussi été envoyée à Mme Storms. La plaignante n'a reçu aucune réponse à cette lettre.

[67] Mme Storms a témoigné qu'elle ne se souvenait pas [TRADUCTION] précisément de cette lettre. Elle a ajouté que si elle avait reçu la lettre, sachant que M. Lyon [TRADUCTION] était à la barre du dossier, elle la lui aurait transférée.

[68] Dans le dernier paragraphe de la lettre, il était écrit : [TRADUCTION] On ne peut pas s'attendre à ce que je chamboule ma famille et la déménage pendant une période indéterminée, sur un coup de tête. Dans le passé, des employés qui avaient des problèmes de santé ont pu être accommodés afin de garder un poste régulier au triage, c'est-à-dire des employés diabétiques, lorsque leur ancienneté ne leur permettait pas d'effectuer un autre type de travail dans le terminal, plutôt que d'être relocalisés de force à un terminal où ils pouvaient travailler. Est-il raisonnable de demander qu'on fasse preuve du même égard envers les parents de jeunes enfants, lorsqu'ils en démontrent le besoin. Il était ensuite écrit : [TRADUCTION] Je vous demande d'examiner ma situation en faisant preuve de compassion. En contre-interrogatoire, l'avocat de la plaignante a demandé à Mme Storms si cela lui avait indiqué que la plaignante demandait des mesures d'accommodement pour sa situation de famille. Mme Storms a répondu : [TRADUCTION] Non. Je n'aurais pas vu la question sous cet angle. Lorsqu'un employé demande un congé, il doit en parler à son propre superviseur. Le superviseur peut avoir discuté avec les ressources humaines, qui s'occupent de ce genre de question. La plupart de nos employés, ou une grande partie de nos employés, ont des enfants et il n'était pas fréquent qu'un employé demande à être exempté de répondre à une pénurie. Je me serais attendue à ce que M. Pizziol communique avec les ressources humaines au sujet d'une telle question. [Non souligné dans l'original.] Aucune preuve donnant à penser que M. Pizziol a communiqué avec les ressources humaines au sujet de la situation de la plaignante n'a été présentée à l'audience.

[69] Le 29 mars 2005, la plaignante a écrit à Joe Lyons et à envoyé une copie conforme de sa lettre à M. Pizziol et à Mme Storms. Dans cette lettre, elle a écrit qu'elle n'avait pas reçu d'avis écrit l'informant qu'elle devait répondre à la pénurie de Vancouver, alors que d'autres employés à Jasper avaient reçu un tel avis. Le même jour, elle a aussi envoyé une lettre à Mme Storms lui demandant de reconsidérer sa situation.

[70] Joe Lyons a écrit à la plaignante le 30 mars 2005. Dans cette lettre, il avisait la plaignante que sa demande de prorogation de délai de trente (30) jours avait été accueillie et que la date à laquelle elle devait se présenter à Vancouver avait été [TRADUCTION] déplacée au 29 mars. La plaignante a témoigné qu'elle n'a jamais reçu cette lettre. La lettre mentionnait aussi une conversation téléphonique qui aurait eu lieu le 30 mars 2005 entre la plaignante et Joe Lyons. La plaignante a témoigné qu'elle ne se souvenait pas du tout d'une conversation téléphonique qui aurait eu lieu à cette date.

[71] Le 27 avril 2005, Joe Lyon a de nouveau écrit une lettre à la plaignante pour l'aviser que la Compagnie avait pris des mesures d'accommodement en lui accordant plus de temps pour examiner ses options et [TRADUCTION] prendre les mesures nécessaires pour la garde de [ses] enfants. Il a poursuivi sa lettre en déclarant que, bien que la Compagnie reconnaissait que ses [TRADUCTION] [préoccupations quant à la] garde de [ses] enfants sont des responsabilités personnelles importantes, elle avait l'obligation envers la Compagnie de [TRADUCTION] gérer ces obligations personnelles de façon à être en mesure de respecter les obligations d'emploi et les obligations prévues par la convention collective. La plaignante a témoigné qu'elle n'a jamais reçu cette lettre. L'adresse sur la lettre n'était pas la bonne. La Compagnie a reconnu que la lettre avait été retournée au CGE et qu'elle portait le tampon [TRADUCTION] non-réclamée de Postes Canada. La lettre n'a pas été renvoyée à la plaignante.

[72] Dans sa lettre du 4 mars 2005, la plaignante avait demandé une prorogation de délai de trente (30) jours pour se présenter au travail. Selon la Compagnie, la convention collective prévoit une telle prorogation de délai lorsqu'un employé travaille ailleurs au moment où il est rappelé au travail par la Compagnie. Ce n'était pas le cas de la plaignante. Malgré la disposition de la convention collective, au cours d'une réunion en mai 2005 entre les agents de la Compagnie et les représentants du Syndicat, la Compagnie a avisé le Syndicat qu'elle prorogerait au 30 juin 2005 le délai accordé à la plaignante pour qu'elle se présente au travail.

[73] M. Torchia a témoigné en contre-interrogatoire qu'il a eu une discussion, au mois de mai 2005, avec le président général du Syndicat au sujet de la possibilité de proroger le délai accordé à la plaignante pour répondre à la pénurie. Cette discussion a eu lieu à Edmonton, au cours d'une réunion dont l'ordre du jour comprenait divers points. Il a ajouté qu'il ne se souvenait pas s'il avait pris des notes durant la réunion ou si des notes ou des courriels avaient été préparés par la suite. Il a aussi témoigné qu'il était le [TRADUCTION] décideur en ce qui a trait à la question de savoir si une prorogation serait accordée.

[74] Le 20 juin 2005, L. Gallegos, gestionnaire des opérations de la Compagnie au CGE pour les opérations de l'Ouest, qui avait alors pris le poste de M. Lyons, a écrit à la plaignante pour l'aviser que la Compagnie avait pris des mesures d'accommodement en lui accordant plus de temps pour examiner ses options et pour prendre les mesures nécessaires quant à la garde de ses enfants. La Compagnie demandait que la plaignante l'avise au plus tard le 30 juin 2005 si elle comptait se présenter à Vancouver pour répondre à la pénurie et l'a aussi informée que, si elle ne s'y présentait pas, elle renonçait à son ancienneté et elle serait congédiée, en application de la clause 148.11 de la convention collective. La lettre comprenait aussi le paragraphe suivant :

[TRADUCTION]

Bien que la Compagnie reconnaisse que la garde de vos enfants est une responsabilité personnelle importante, vous devez aussi reconnaître que votre obligation envers la Compagnie est de gérer ces obligations personnelles de telle manière à être aussi en mesure de satisfaire à vos obligations d'emploi et aux obligations prévues par la convention collective.

[75] Le 27 juin 2005, la plaignante a reçu une autre lettre de Mme Gallegos l'avisant que son défaut de se présenter à Vancouver le jour même signifierait qu'elle renonçait à son ancienneté et qu'elle serait congédiée en date du 2 juillet 2005, à midi, conformément aux dispositions de la convention collective.

[76] Mme Gallegos n'a pas été appelée à témoigner à l'audience, et la Compagnie n'a pas donné d'explication quant à son absence.

[77] Le 27 juin 2005, la plaignante a écrit une lettre à Mme Gallegos dans laquelle elle précisait :

[TRADUCTION]

Vous n'avez pas répondu à ma lettre du 26 mars 2005, dans laquelle j'établissais clairement ma position et ma suggestion à la Compagnie qui aurait réglé la situation. Je n'ai pas demandé une prorogation de délai pour prendre les mesures nécessaires pour la garde de mes enfants, comme vous semblez l'indiquer dans votre lettre. Vous laissez aussi entendre dans votre lettre que je n'ai pas répondu à la Compagnie si j'avais l'intention de me présenter à Vancouver pour répondre à la pénurie. J'ai donné cette réponse dans une lettre datée du 26 mars au superviseur de la Compagnie (à Jasper), C. Pizziol.

E. Storms a aussi reçu une copie de la lettre que j'ai envoyée à J. Lyons, dans laquelle je demandais à recevoir l'avis écrit du rappel qui avait été envoyé aux autres employés affectés. J'attends depuis une décision ou une réponse à mes demandes et, à ce jour, je n'en ai pas eu. Le seul courrier que j'ai reçu était votre lettre, dans laquelle vous me menaciez de mettre fin à mon emploi auprès de la Compagnie. La gestion du CGE ignore mes lettres et agit comme si elles n'existaient pas. Ce refus de reconnaître mes demandes, les appels téléphoniques persistants au cours desquels on m'avise que je dois me présenter au travail ou risquer de perdre mon ancienneté, ainsi que les réponses évasives qu'on me sert constituent du harcèlement et je demande à ce que cela cesse.

Depuis la date à laquelle j'ai envoyé ces lettres en mars, peu après mon évaluation médicale chez Medisys, j'ai subi une blessure à la colonne vertébrale, qui a entraîné la fracture d'une vertèbre, et je suis présentement en cours de rétablissement. Je ne peux pas du tout travailler pour le moment. Je n'ai pas avisé le CGE, parce que j'attendais une réponse de la Compagnie à savoir si ma demande de rester en mise à pied pour des raisons d'ordre humanitaire serait acceptée.

Comme j'ai de nouveau répondu en temps opportun, avant le dernier délai que vous m'avez imposé, j'espère que vous ferez de même et je vous demande de renoncer au délai jusqu'à ce que vous m'informiez par écrit de votre décision quant à ma demande de dispense pour des raisons d'ordre humanitaire.

Entre-temps, je suis incapable de me présenter au travail en raison de problèmes de santé et, suivant votre réponse, je pourrai présenter un rapport médical faisant état de ma blessure.

[78] La plaignante n'a reçu aucune réponse à cette lettre.

[79] Le 4 juillet 2005, Mme Gallegos a avisé la plaignante qu'elle avait renoncé à son ancienneté et qu'elle était congédiée parce qu'elle ne s'était pas présentée à Vancouver pour répondre à la pénurie. Le Syndicat de la plaignante a déposé un grief en son nom, contestant la décision de la congédier. Le grief ne s'est jamais rendu à l'étape de l'audience.

[80] Mme Storms a témoigné que le gestionnaire de la division est le décideur principal en ce qui a trait à la demande d'un employé d'être exempté de l'obligation de répondre à une pénurie. Il tient compte de la situation de l'employé et décide ce qui doit être fait. Il a le pouvoir d'accorder un congé ou une prorogation du délai de réponse à la pénurie. Elle a ajouté que dans le cas d'une grave pénurie, comme celle qui existait à Vancouver en 2005, le gestionnaire doit discuter de la situation avec son directeur général. En 2005, le directeur général de M. Pizziol, qui était coordonnateur des trains à Jasper, était Denis Broshko.

[81] M. Broshko n'a pas été appelé à témoigner, et son absence n'a pas été justifiée. La Compagnie n'a présenté aucune preuve montrant que M. Pizziol avait discuté de la situation de la plaignante avec M. Broshko.

[82] Mme Storms a aussi expliqué qu'il n'était pas habituel que le CGE accorde des prorogations du délai de réponse à une pénurie, mais elle ajouté qu'il y avait eu [TRADUCTION] quelques exceptions pour lesquelles, avec l'accord de la division, elle avait prorogé le délai prévu. Par exemple, dans le cas de l'employé dont le père était en phase terminale, elle a déclaré qu'elle avait discuté avec l'employé et qu'elle avait décidé de lui accorder une prorogation de délai supplémentaire de quinze (15) jours. Après l'expiration de la prorogation de quinze (15) jours, l'employé est resté en mise à pied et, plus tard, il a obtenu un autre congé de quelques mois, accordé par sa division.

[83] Comme je l'ai expliqué, dans sa lettre du 27 juin 2005, la plaignante a avisé son employeur qu'en avril 2005, elle avait subi une blessure alors qu'elle faisait de l'équitation et que, tant qu'elle était en cours de rétablissement, elle ne pouvait pas se présenter à Vancouver pour répondre à la pénurie. Lorsqu'elle a reçu cette information, la Compagnie a demandé à obtenir plus de détails au sujet de son état de santé. Elle a aussi demandé l'avis de son service médical au sujet de l'importance et des répercussions de ses blessures. Le 27 février 2006, la Compagnie a écrit une lettre à la plaignante pour l'aviser qu'elle avait : [TRADUCTION] décidé d'examiner votre dossier avec le Syndicat, y compris la possibilité de vous rétablir dans votre poste, si votre preuve médicale confirme votre incapacité à répondre à la pénurie en février 2005. Vous devez comprendre que toute possibilité de rétablissement comprendra, évidemment, le fait que vous devez répondre à toute pénurie dans la Compagnie, conformément aux dispositions de votre convention collective. La plaignante a témoigné qu'elle n'a pas répondu à la lettre, parce qu'au moment où elle l'a reçue, elle s'était complètement remise de son accident et qu'aucun problème de santé ne l'empêchait de travailler.

B. LES QUESTIONS EN LITIGE

[84] La question soulevée en l'espèce est la suivante : la Compagnie a-t-elle agi de façon discriminatoire envers la plaignante en cours d'emploi, en contravention des articles 7 et 10 de la LCDP, en ne prenant pas de mesures d'accommodement pour la plaignante et en mettant fin à son emploi en raison de sa situation de famille?

C. LE DROIT ET LA THÈSE EN L'ESPÈCE

(i) Les dispositions pertinentes de la LCDP

[85] L'article 3 de la LCDP précise que la situation de famille est un motif de distinction illicite.

3. (1) Pour l'application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, l'état de personne graciée ou la déficience.

3. (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability and conviction for which a pardon has been granted.

[Non souligné dans l'original.]

[86] L'article 7 prévoit :

7. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, , par des moyens directs ou indirects;

(a) de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu;

(b) de le défavoriser en cours d'emploi.

7. It is a discriminatory practice, directly or indirectly,

  1. to refuse to employ or continue to employ any individual, or
  2. in the course of employment, to differentiate adversely in relation to an employee on a prohibited ground of discrimination.

[87] L'article 10 de la LCDP prévoit :

10. Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, et s'il est susceptible d'annihiler les chances d'emploi ou d'avancement d'un individu ou d'une catégorie d'individus, le fait, pour l'employeur, l'association patronale or l'organisation syndicale;

  1. de fixer ou d'appliquer des lignes de conduite;
  2. de conclure des ententes touchant le recrutement, les mises en rapport, l'engagement, les promotions, la formation, l'apprentissage, les mutations ou tout autre aspect d'un emploi présent ou éventuel.

10. It is a discriminatory practice for an employer, employee organization or employer organization

  1. to establish or pursue a policy or practice, or
  2. to enter into an agreement affecting recruitment, referral, hiring, promotion, training, apprenticeship, transfer or any other matter relating to employment or prospective employment, that deprives or tends to deprive an individual or class of individuals of any employment opportunities on a prohibited ground of discrimination.

[88] Lors de l'examen des articles 7 et 10, il est important que le Tribunal souligne l'objet de la LCDP tel qu'il est écrit à l'article 2 :

2. La présente loi a pour objet de completer la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l'âge, le sexe, l'orientation sexuelle, l'état matrimonial, la situation de famille, la déficience ou l'état de personne graciée.

2. The purpose of this Act is to extend the laws in Canada to give effect, within the purview of matters coming within the legislative authority of Parliament, to the principle that all individuals should have an opportunity equal with other individuals to make for themselves the lives that they are able and wish to have and to have their needs accommodated, consistent with their duties and obligations as members of society, without being hindered in or prevented from doing so by discriminatory practices based on race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, marital status, family status, disability or conviction for an offence for which a pardon has been granted.

[89] La Cour suprême du Canada et d'autres cours ont toujours soutenu qu'il fallait interpréter les droits de la personne d'une façon large et libérale. Dans l'arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (Action Travail des Femmes), [1987] 1 R.C.S. 1114, la Cour suprême a déclaré au paragraphe 24 :

24 La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l'essor des droits individuels d'importance vitale, lesquels sont susceptibles d'être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice. Je reconnais qu'en interprétant la Loi, les termes qu'elle utilise doivent recevoir leur sens ordinaire, mais il est tout aussi important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet. Bien que cela puisse sembler banal, il peut être sage de se rappeler ce guide qu'offre la Loi d'interprétation fédérale lorsqu'elle précise que les textes de loi sont censés être réparateurs et doivent ainsi s'interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets.

(ii) Le droit

a) La preuve prima facie

[90] Le fardeau initial revient à la plaignante, qui doit établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur sa situation de famille. Une preuve prima facie est celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la partie plaignante, en l'absence de réplique de la partie intimée. (Voir Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons - Sears, [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 558.)

[91] Lorsque le plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, il a droit à un redressement en l'absence d'une justification de la partie intimée. (Commission ontarienne des droits de la personne c. Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, à la page 208.) Pour établir une preuve prima facie de discrimination, la plaignante doit, en l'espèce, établir qu'elle a subi une différence de traitement défavorable et qu'elle a été congédiée en raison de sa situation de famille, en contravention de l'article 7 de la LCDP.

b) Quelle approche doit être appliquée pour déterminer s'il y a eu discrimination fondée sur la situation de famille?

[92] L'évaluation de l'existence d'un acte discriminatoire fondé sur la situation de famille doit suivre les critères établis dans l'arrêt Public Service Labour Relations Commission c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), tout comme tout autre motif de distinction illicite. Cependant, dans les dernières années, l'interprétation de la notion de situation de famille a entraîné la création de deux écoles de pensées distinctes. Dans certains cas, on a adopté une approche large pour la portée de la situation de famille, alors que d'autres ont suivi une approche plus restreinte. Afin de mieux comprendre ce qui est inclus dans la notion de situation de famille, j'examinerai un certain nombre de décisions.

[93] Dans la décision Schaap c. Canada (Ministère de la Défense nationale), [1988] D.C.D.P. no 4, le Tribunal a examiné la question de savoir si des relations formées par une union de fait, par opposition à celles formées par un mariage légal, relevaient des groupes protégés de l' état matrimonial et de la situation de famille. Dans sa décision, le Tribunal a conclu qu'il devait exister un lien du sang ou un lien légal et il a défini la situation de famille comme comprenant tant les liens du sang entre le parent et l'enfant que la relation qui découle des liens du mariage, de la consanguinité ou de l'adoption légale, y compris, bien entendu, la relation ancestrale, qu'elle soit légitime, illégitime ou par adoption, ainsi que les liens entre les époux, les frères et surs, la belle-famille, les oncles ou les tantes et les neveux ou les nièces. Dans la décision Lang c. Canada (Commission de l'emploi et de l'Immigration), [1990] D.C.D.P. no 8, le Tribunal a déclaré à la page 3 : Dans l'opinion du Tribunal, l'expression situation de famille comprend la relation parent-enfant.

[94] Dans la décision Brown c. Ministère du Revenu national (Douanes et accise), (1993) T.D. 7/93, le Tribunal a déclaré aux pages 14 et 18 :

Dans le cas du motif b) [la situation de famille], la preuve doit indiquer que la situation de famille comprend le fait d'être parent et les tâches et obligations de cette personne comme membre de la société et que la plaignante était un parent qui devait remplir ces tâches et obligations. La preuve doit aussi démontrer que, en raison de ces tâches et obligations ainsi que de la règle de l'emploi impartial, la plaignante n'a pas eu de chances de travail égales et entières.

[...]

L'avocate de la plaignante ne prétend pas que l'employeur est responsable des soins et de l'éducation des enfants. Elle soutient cependant qu'il faut reconnaître, dans le contexte de la situation de famille, l'existence d'un équilibre entre les intérêts et les obligations découlant de l'article 2 et du paragraphe 7b) de la LCDP.

Un parent doit donc évaluer avec soin comment il peut le mieux s'acquitter de ses obligations ainsi que de ses devoirs au sein de la famille. À cette fin, il doit demander à l'employeur de l'aider pour qu'il réponde le mieux possible à ces besoins.

Il est donc facile de comprendre le dilemme évident auquel la famille moderne est confrontée. En effet, selon la tendance socio-économique actuelle, les deux parents travaillent et sont souvent assujettis à des règles et à des exigences différentes. Plus souvent qu'autrement, en raison des demandes qui lui sont imposées comme parent, la mère doit chercher à atteindre cet équilibre délicat entre les besoins de la famille et les exigences liées à son travail.

[95] Le Tribunal a enfin conclu que l'interprétation téléologique qui doit être appliquée à la LCDP servait d'indication claire que dans le contexte de la situation de famille, le parent a le droit et l'obligation d'établir cet équilibre, et l'employeur a l'obligation claire de faciliter et d'accommoder cet équilibre en fonction des critères établis par la jurisprudence. Le Tribunal a ajouté qu' [u]ne interprétation moins sérieuse des problèmes auxquels la famille moderne fait face dans le milieu de travail enlèverait tout son sens au concept de la situation de famille comme motif de discrimination.

[96] Le Tribunal a aussi examiné la situation de famille comme motif de distinction illicite dans la décision Hoyt c. Chemins de fer nationaux du Canada, [2006] D.C.D.P. no 33. Dans cette décision, le Tribunal a mentionné la définition judiciaire de l'expression situation de famille, ainsi que des décisions précédentes du Tribunal qui précisaient les exigences pour établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur ce motif. Le Tribunal a précisé :

117 La discrimination fondée sur ce motif a été définie par la jurisprudence comme s'entendant de [...] mesures ou d'attitudes qui ont pour effet de limiter les conditions d'embauche ou les perspectives d'emploi des employés sur la base d'une caractéristique liée à leur [...] famille (Ontario (Commission des droits de la personne) c. M. A et al, [2000] O.J. no 4275 (C.A.); confirmé par [2002] A.C.S. no 67].

118 Dans une décision antérieure à l'affaire Ontario, mais clairement conforme à la définition qu'on y retrouve, le Tribunal a examiné les exigences en matière de preuve qui permettent d'établir une preuve prima facie :

[...] la preuve doit indiquer que la situation de famille comprend le fait d'être parent et les tâches et obligations de cette personne comme membre de la société et que la plaignante était un parent qui devait remplir ces tâches et obligations. La preuve doit aussi démontrer que, en raison de ces tâches et obligations ainsi que de la règle de l'emploi impartial, la plaignante n'a pas eu de chances de travail égales et entières (Brown c. Canada (Ministère du Revenu national, Douanes et Accise), [1993] D.C.D.P. no 7, à la page 13). (Voir également Woiden et al c. Dan Lynn, [2002] D.C.D.P. no 18, T.D. 09/02.)

[97] Cependant, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a présenté une version différente des éléments nécessaires pour établir une preuve prima facie, dans l'arrêt Health Sciences Assn. of British Columbia c. Campbell River and North Island Transition Society, [2004] B.C.J. no 922, aux paragraphes 38 et 39 (Campbell River), une décision sur laquelle la Compagnie s'est fortement appuyée dans ses conclusions finales. Dans cet arrêt, la Cour d'appel de la Colombie-Britannique a décidé que les paramètres de la situation de famille à titre de motif de distinction illicite dans le Human Rights Code de la Colombie-Britannique ne doivent pas être interprétés de façon trop large, sinon cela pourrait causer [TRADUCTION] de la perturbation ou des torts sérieux en milieu de travail. La Cour a expliqué qu'une preuve prima facie est établie [TRADUCTION] lorsqu'un changement dans une condition d'emploi imposée par l'employeur entraîne une atteinte grave envers une obligation ou un devoir parental important, ou une obligation ou un devoir familial, de l'employé. [Non souligné dans l'original.] Le juge Low a observé qu'il serait difficile d'établir une preuve prima facie dans les cas de conflit entre les exigences du travail et les obligations familiales.

[98] Dans la décision Hoyt, le Tribunal n'a pas suivi l'approche présentée dans l'arrêt Campbell River. Le Tribunal a résumé sa position au sujet de cette décision comme suit :

120 Avec déférence, je ne souscris pas à l'analyse de la Cour d'appel de la Colombie Britannique. Les codes en matière de droits de la personne, en raison de leur statut de loi fondamentale, doivent être interprétés de façon libérale afin qu'ils puissent mieux réaliser leurs objectifs (Commission ontarienne des droits de la personne et O'Malley c. Simpson-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, à la page 547, Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne),[1987] 1 R.C.S. 1114, aux pages 1134 à 1136; Robichaud c. Canada (Conseil du Trésor), [1987] 2 R.C.S. 84, aux pages 89 et 90). Il serait, à mon avis, inapproprié de choisir un motif de distinction illicite et de lui donner une définition plus restrictive.

121 À mon humble avis, les préoccupations définies par la Cour d'appel, à savoir la perturbation grave et les torts sérieux sur le lieu de travail, peuvent être des questions appropriées à examiner suivant l'analyse de l'arrêt Meiorin, et en particulier suivant le troisième volet de l'analyse, à savoir la nécessité raisonnable. Dans le contexte de l'évaluation de l'importance de la contrainte, il se peut qu'une mesure d'accommodement donne lieu à des questions comme la perturbation grave sur le lieu de travail et l'effet grave sur le moral des employés, qui sont des facteurs appropriés (voir l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489, aux pages 520 et 521). Il appartient à l'employeur d'établir au cas par cas l'existence d'une contrainte excessive. Une simple crainte que la mesure d'accommodement entraînerait une contrainte excessive n'est pas un motif approprié, à mon humble avis, pour écarter l'analyse. [Non souligné dans l'original.]

[99] En plus de la logique convaincante de la décision Hoyt pour ne pas suivre l'approche de Campbell River, le Tribunal conclut que l'approche suggérée dans cet arrêt impose un fardeau additionnel au plaignant en sous-entendant que la situation de famille, qui est protégée, nécessite la preuve d'une [TRADUCTION] atteinte grave envers une obligation ou un devoir parental ou familial et que cela ne correspond pas à l'objet de la LCDP. Comme la Cour suprême du Canada l'a précisé dans l'arrêt B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), [2002] 3 R.C.S. 403, au paragraphe 56, il n'est pas approprié, lors de l'interprétation de lois sur les droits de la personne, d'imposer des fardeaux additionnels.

[100] L'approche du Tribunal dans la décision Hoyt a été citée par la Cour fédérale du Canada dans la décision Johnstone c. Canada (Procureur général), [2007] A.C.F. no 43, aux paragraphes 29 et 30. Il s'agissait d'une demande de contrôle judiciaire présentée par Mme Johnstone à l'encontre de la décision de la CCDP de ne pas renvoyer au Tribunal sa plainte dans laquelle elle soutenait avoir été victime de discrimination fondée sur sa situation de famille.

[101] Dans la décision Johnstone, la Cour fédérale a accepté l'approche du Tribunal dans la décision Hoyt en ce qui a trait à la discrimination fondée sur la situation de famille, et a déclaré que [...] rien ne justifie clairement qu'il faille considérer ce type de discrimination comme secondaire ou moins important. (Johnstone, précitée, au paragraphe 29.) La Cour a aussi déclaré que la suggestion de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt Campbell River selon laquelle une discrimination prima facie n'existe que lorsque l'employeur change les conditions d'emploi semble inapplicable et, à mon humble avis, erronée en droit. (Johnstone, précitée, au paragraphe 29). La Cour a aussi conclu que la CCDP, en adoptant le critère de l'atteinte grave lorsqu'elle a décidé de ne pas renvoyer l'affaire au Tribunal, a aussi omis de se conformer aux précédents permettant clairement d'établir s'il y a discrimination à première vue. (Johnstone, précitée, au paragraphe 30.)

[102] La décision de la Cour fédérale dans Johnstone a été maintenue par la Cour d'appel fédérale, bien que la Cour d'appel eût précisé qu'elle n'exprimait pas d'opinion sur la version appropriée du critère portant sur l'établissement d'une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille. La Cour d'appel fédérale a plutôt fondé son raisonnement sur la conclusion que le défaut de la CCDP de cibler clairement le critère qu'elle avait appliqué constituait un fondement suffisant pour conclure que la décision rendue par la Commission était déraisonnable. ([2008] A.C.F. no 427, au paragraphe 2).

[103] Le Tribunal a récemment rendu sa décision dans l'affaire Johnstone (voir Johnstone c. Agence canadienne des services frontaliers, 2010 TCDP 20). Dans cette décision, le Tribunal conclut, entre autres :

[220] Le Tribunal accepte que ce ne sont pas toutes les tensions qui ont lieu dans le contexte de l'équilibre travail/vie-personnelle qui peuvent être traitées par la jurisprudence en matière de droits de la personne, mais ce n'est pas l'argument qui a été présenté en l'espèce. L'argument de Mme Johnstone est qu'une telle protection devrait être donnée lorsque appropriée et raisonnable, compte tenu des circonstances présentées.

[221] Comme je l'ai mentionné plus tôt, nous traitons ici du cas d'une vraie personne qui a des obligations envers ses jeunes enfants et des répercussions importantes sur la capacité de cette personne de remplir cette obligation. Il ne revient pas au Tribunal de traiter de toutes les obligations familiales et de tous les conflits entre le travail d'un employé et ses obligations.

[...]

[230] [...] le Tribunal conclut que rien dans l'article 2 ne crée une interprétation restrictive et étroite de la situation de famille.

[231] Au contraire, l'objectif sous-jacent de la LCDP, comme je l'ai dit, est de fournir à toute personne un mécanisme garantissant le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l'égalité des chances d'épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins [...]. Il est raisonnable que les protections fournies comprennent celles découlant naturellement de l'une des relations les plus fondamentales de la société qui existent, celles du père ou de la mère envers son enfant. Le fait que le libellé de l'article 2 mentionne l'égalité des chances d'épanouissement prouve que la LCDP reconnaît que les individus font des choix distincts, y compris celui d'avoir des enfants, et que la LCDP protège tous les individus contre la discrimination envers ces choix.

[...]

[233] Le Tribunal conclut que la liberté de choisir de devenir père ou mère est si vitale qu'elle ne devrait pas être restreinte par la crainte de subir des conséquences discriminatoires. En tant que société, le Canada devrait reconnaître cette liberté fondamentale et appuyer ce choix autant que possible. Pour l'employeur, cela signifie évaluer les situations telles que celles de Mme Johnstone de façon individuelle et travailler avec elle pour créer une solution fonctionnelle qui équilibre ses obligations parentales avec ses occasions d'emploi, sauf contrainte excessive.

[104] Récemment, le Tribunal de la dotation de la fonction publique (le TDFP) a examiné s'il fallait suivre l'approche pour la situation de famille établie dans la décision Hoyt ou celle établie dans l'arrêt Campbell River et a déterminé qu'il appliquerait l'approche de la décision Hoyt. Dans la décision Chantal Rajotte c. Le président de l'Agence canadienne des services frontaliers et al, 2009 TDFP 0025, le TDFP a déclaré que l'approche à adopter est celle contenue dans la décision Hoyt, laquelle a également été admise par la Cour fédérale dans la décision Johnstone (paragraphe 127). Le TDFP a aussi déclaré :

La preuve doit donc démontrer que la plaignante est un parent, qu'elle doit remplir des tâches et des obligations comme membre de la société et que, de surcroît, elle est un parent devant remplir ces tâches et ces obligations. La plaignante doit prouver qu'en conséquence de ces tâches et obligations et de la conduite de l'intimé, elle n'a pas bénéficié de chances de travail égales et entières. (Paragraphe 127)

[105] Un examen de certaines décisions récentes du Tribunal des droits de la personne de la Colombie Britannique (le BCHRT) démontre que les décisions de ce Tribunal ne suivent pas uniformément l'approche de l'arrêt Campbell River. Par exemple, il a été conclu que cette approche n'était pas applicable dans le cas de la fourniture de services (Stephenson c. Sooke Lake Modular Home Co-operative Association, 2007 BCHRT 341). Cette approche a aussi été éliminée dans deux décisions du BCHRT qui portaient sur une situation d'emploi (Haggerty c. Kamloops Society for Community Living, [2008] BCHRT 172, au paragraphe 17 et Mahdi c. Hertz Canada Limited, [2008] BCHRT 245, aux paragraphes 60 et 61).

[106] Dans la décision Falardeau c. Ferguson Moving (1990) Ltd., dba Ferguson Moving and Storage et al., 2009 BCHRT 272, le BCHRT a mentionné les décisions Campbell River, Hoyt et Johnstone, ainsi qu'une autre de ses décisions dans l'affaire Miller c. BCTF (no 2), 2009 BCHRT 34. Le BCHRT a souligné que, dans la décision Miller, il avait conclu que le critère de l'arrêt Campbell River ne s'appliquait que dans le contexte dans lequel il avait été soulevé. Le BCHRT a cité l'extrait suivant de la décision Miller : [TRADUCTION] La formulation [dans Campbell River] de ce qui est nécessaire pour établir une discrimination fondée sur la situation de famille dans le contexte d'un conflit entre les obligations d'emploi et les obligations familiales ne doit pas être appliquée mécaniquement dans tous les cas de discrimination alléguée fondée sur la situation de famille (Falardeau, au paragraphe 29).

[107] La question en litige dans la décision Falardeau était celle de savoir si un employé, qui avait refusé d'effectuer des heures supplémentaires en raison des responsabilités parentales qu'il avait envers son fils, avait subi de la discrimination fondée sur la situation de famille. Le Tribunal a conclu que le plaignant n'avait pas établi une preuve prima facie. Le Tribunal a déclaré aux paragraphes 31 et 32 :

[TRADUCTION]

En l'espèce, Ferguson souhaitait maintenir un modèle bien établi d'heures supplémentaires pour répondre aux besoins de ses clients. Dans la mesure où M. Falardeau a avisé les intimés de ses besoins et de ses ententes en matière de services de garde, les intimés croyaient, avec raison selon la preuve dont je suis saisi, que M. Falardeau était aisément capable d'organiser des services de garde pour son fils si ses heures de travail se prolongeaient. En effet, il l'avait fait de nombreuses fois. Le fait que ni le modèle de travail de M. Falardeau ni ses demandes ou ententes en matière de services de garde n'avaient changé laissent entendre qu'il avait peut-être soulevé la question des heures supplémentaires en raison du fait qu'il n'aimait pas travailler sur les sites de construction, plutôt qu'en raison de ses responsabilités familiales.

Rien ne donne à penser que son fils avait des besoins spéciaux, ou que M. Falardeau était exceptionnellement qualifié pour prendre soin de son fils. Bien que ces facteurs ne soient pas essentiels pour établir une obligation parentale importante, la preuve en l'espèce n'a établi aucun autre facteur qui exempterait M. Falardeau des obligations ordinaires d'un parent qui doit jongler entre les demandes de son emploi et le besoin de fournir des soins appropriés à ses enfants. Compte tenu de ces faits, je ne peux pas conclure qu'il y a eu atteinte grave aux obligations ou aux devoirs importants parentaux ou familiaux. [Non souligné dans l'original.]

[108] Dans la décision Falardeau, le BCHRT a essentiellement suivi le raisonnement formulé dans l'arrêt Campbell River. Cependant, même s'il avait suivi l'approche dans la décision Hoyt, sa conclusion aurait probablement été la même. La principale différence entre la situation dans la décision Falardeau et celle en l'espèce est que, dans l'affaire Falardeau, il n'y avait eu aucun changement dans l'horaire de travail de M. Falardeau ou dans ses besoins ou ententes en matière de services de garde. De plus, son employeur avait été avisé de ses besoins et de ses ententes en matière de services de garde et il croyait, avec raison, que M. Falardeau était prêt à obtenir des services de garde pour son fils si ses heures de travail étaient prolongées. Par conséquent, M. Falardeau avait été incapable d'établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille, parce qu'il n'avait pas prouvé qu'il était incapable de participer également et entièrement à son emploi en raison de ses obligations et de ses devoirs en tant que père.

[109] En l'espèce, la plaignante, en étant forcée de répondre à la pénurie à Vancouver, faisait face à une atteinte grave à ses devoirs et obligations de mère. L'affaire aurait pu être différente si la plaignante avait refusé d'être affectée à son terminal local.

[110] Dans ses conclusions finales, l'avocat de la Compagnie a soutenu que la position de la plaignante était fondée sur une prémisse erronée. Il a qualifié la plainte de demande visant à ce que l'employeur prenne des mesures d'accommodement pour les [TRADUCTION] préférences parentales et les choix de vie de la plaignante. Il a ajouté que cette position était fondée sur une interprétation extrêmement large de la LCDP et que la seule caractéristique soulevée par la plaignante qui pouvait déclencher la protection prévue par la loi était le fait qu'elle est une mère et que, par conséquent, elle doit prendre soin de ses enfants. L'avocat a ajouté que le fait d'exiger qu'un employé qui a des enfants respecte sa responsabilité de se présenter au travail comme l'exige la convention collective ne constitue pas une preuve prima facie de discrimination. En fait, il a soutenu que le refus d'un employé de respecter ses responsabilités à ce sujet constitue un choix qui est de nature exclusivement personnelle et pour lequel, en l'absence de circonstances exceptionnelles, un employeur n'a aucune obligation d'accommodement. Par conséquent, il a conclu que le fait d'accueillir la plainte en l'espèce équivaudrait à ajouter les [TRADUCTION] préférences parentales à la liste des motifs de distinction illicites énoncés dans la LCDP, sous le couvert de l'expansion de la notion de situation de famille.

[111] À l'appui de ces arguments, l'avocat a mentionné de nombreuses décisions, y compris la décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans l'arrêt Campbell River, qui, à son avis, présentait une approche plus structurée et pragmatique que celle de la décision Hoyt du Tribunal. Il a aussi mentionné la décision arbitrale Canadian Staff Union c. Canadian Union of Public Employees, (2006) 88 C.L.A.S. 212. Dans cette affaire, le plaignant avait refusé de déménager à Halifax après avoir présenté sa candidature pour un poste pour lequel il était indiqué que le lieu d'emploi serait Halifax. Le plaignant habitait à St. John's (Terre-Neuve), où il avait la garde partagée de ses enfants avec son ancienne épouse. Il était aussi responsable de prendre soin de sa mère âgée. Le Syndicat a soutenu que la notion de situation de famille ne se limitait pas au statut de père ou de mère comme tel, mais s'étendait aussi à l'accommodement des responsabilités familiales du plaignant.

[112] Selon la décision arbitrale, le grief soulevait des questions importantes de droits de la personne qui ont été résumées comme suit : [TRADUCTION] la désignation par un employeur d'un lieu géographique précis dans un affichage d'emploi, et l'insistance par celui-ci qu'un employé qui souhaite obtenir ce poste habite à un endroit où il peut régulièrement se présenter au travail à ce lieu, constitue-t-elle une preuve prima facie de discrimination fondée sur l'état matrimonial ou la situation de famille, si les responsabilités matrimoniales et familiales de l'employé l'empêchent réellement d'habiter là où il peut se présenter régulièrement au travail au lieu précisé? (au paragraphe 6).

[113] L'arbitre a rejeté le grief au motif que [TRADUCTION] au sens de toute loi pertinente en l'espèce et de la convention collective, c'était le choix du plaignant, et non ses responsabilités matrimoniales et familiales, qui l'empêchait de déménager à Halifax (au paragraphe 9). L'arbitre a ajouté : [TRADUCTION] ce que l'employeur a fait ne constitue pas une preuve prima facie de discrimination fondée sur l'état matrimonial ou sur la situation de famille et l'employeur n'était pas tenu par la loi de prendre des mesures d'accommodement pour le plaignant jusqu'à contrainte excessive.

[114] Dans son analyse des décisions pertinentes, l'arbitre a adopté l'approche restreinte de l'arrêt Campbell River au sujet de l'interprétation de la situation de famille. Bien que la décision soit intéressante, le Tribunal note que les faits liés à cette décision arbitrale sont très différents de ceux en l'espèce. Dans la décision arbitrale, le plaignant avait présenté sa candidature pour un poste, sachant pertinemment que la description de poste précisait que l'emploi était situé à Halifax. Le plaignant avait le choix de refuser d'aller à Halifax et de rester dans son poste à St. John's, ce qui n'était pas le cas de la plaignante en l'espèce, dont le choix était de se présenter à Vancouver pendant une période indéterminée ou être congédiée. Les faits donnent aussi à penser qu'il n'y avait pas d'augmentation de salaire ou d'avantages importants pour le poste à Halifax par rapport à celui de St. John's et que le plaignant avait présenté sa candidature parce qu'il souhaitait vivre un changement et de nouveaux défis (paragraphe 15). Le Tribunal note aussi que l'un des enfants du plaignant avait 19 ans et commençait l'université et que l'autre avait 15 ans et commençait l'école secondaire et que, comme l'arbitre l'a mentionné, bien que les fils du plaignant tiraient sans aucun doute des avantages importants de sa présence régulière à St. John's, ils n'avaient besoin d'aucun soin spécialisé de sa part et il pouvait s'organiser pour assurer leur bien-être en son absence (au paragraphe 141).

[115] L'avocat de la Compagnie a aussi mentionné la décision du Tribunal des droits de la personne de l'Ontario Wight c. Ontario (no 2), 33 C.H.R.R. D/191, qui portait sur une employée qui, à la fin de son congé de maternité, avait refusé de retourner au travail en soutenant qu'elle était incapable d'obtenir des services de garde appropriés. Elle a donc été congédiée au motif qu'elle avait abandonné son poste. Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que la plaignante avait [TRADUCTION] catégoriquement refusé de reconnaître les attentes raisonnables de son employeur qu'elle prenne les mesures nécessaires pour retourner au travail à la fin de son congé de maternité. Le Tribunal a écrit : [TRADUCTION] Elle a décidé qu'elle allait être en congé de maternité jusqu'en octobre au plus tôt ou en janvier au plus tard (au paragraphe 321). Le Tribunal a ajouté qu'il ne s'agissait pas d'un cas d'une personne qui, malgré ses efforts, ne pouvait pas trouver de services de garde pour son enfant et devait choisir entre son enfant et son emploi. Une fois de plus, il s'agit d'une situation dont les faits diffèrent beaucoup de la situation en l'espèce.

[116] L'avocat a aussi mentionné la décision Smith c. Chemins de fer nationaux du Canada, 2008 TCDP 15, une décision rendue en mai 2008 par le président du Tribunal à l'époque. Le Tribunal ne voit pas en quoi cette décision peut être comparable à la situation en l'espèce. Dans l'affaire Smith, bien que le plaignant eût soutenu, entre autres, qu'il avait été victime de discrimination fondée sur la situation de famille, le Tribunal a conclu que ce motif de discrimination n'avait pas été soulevé dans la plainte et qu'aucune jurisprudence n'avait été présentée pour démontrer que les faits constituaient une discrimination fondée sur la situation de famille (au paragraphe 289).

[117] L'avocat de la Compagnie a finalement mentionné une série de décisions rendues par le Bureau d'arbitrage des chemins de fer canadiens (le Bureau). Bien qu'elles soient intéressantes, toutes les décisions du Bureau sont fondées sur des faits particuliers et elles ne nous aident pas à déterminer le critère approprié à appliquer en l'espèce.

[118] Le Tribunal ne souscrit pas non plus à l'argument de la Compagnie selon lequel un concept ouvert de la situation de famille donnerait lieu à une avalanche de demandes et que cela risquerait de causer de la perturbation ou des torts sérieux au travail. Comme la Human Rights and Citizenship Commission de l'Alberta l'a noté au paragraphe 242 de sa décision Rawleigh c. Canada Safeway Ltd, rendue le 29 septembre 2009, [TRADUCTION] chaque affaire doit être examinée en fonction des faits qui lui sont propres. Le fait d'appuyer la croyance qu'une avalanche pourrait être déclenchée par des personnes opportunistes est très dangereux et possiblement discriminatoire.

[119] Le Tribunal souhaite aussi rappeler que la Cour suprême du Canada et d'autres cours ont toujours soutenu que les droits de la personne doivent être interprétés de façon large et libérale. Dans l'arrêt CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (Action Travail des Femmes), [1987] 1 R.C.S. 1114, la Cour suprême a déclaré au paragraphe 24 :

24 La législation sur les droits de la personne vise notamment à favoriser l'essor des droits individuels d'importance vitale, lesquels sont susceptibles d'être mis à exécution, en dernière analyse, devant une cour de justice. Je reconnais qu'en interprétant la Loi, les termes qu'elle utilise doivent recevoir leur sens ordinaire, mais il est tout aussi important de reconnaître et de donner effet pleinement aux droits qui y sont énoncés. On ne devrait pas chercher par toutes sortes de façons à les minimiser ou à diminuer leur effet. Bien que cela puisse sembler banal, il peut être sage de se rappeler ce guide qu'offre la Loi d'interprétation fédérale lorsqu'elle précise que les textes de loi sont censés être réparateurs et doivent ainsi s'interpréter de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation de leurs objets.

[120] Selon l'analyse qui précède, le Tribunal conclut qu'il existe deux interprétations différentes dans la jurisprudence au sujet de l'établissement d'une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille : l'interprétation de l'arrêt Campbell River et l'interprétation de la décision Hoyt. Le Tribunal est d'avis que l'approche de l'arrêt Campbell River a pour effet d'imposer une hiérarchie des motifs de discrimination, certains motifs, comme la situation de famille, étant considérés moins importants que les autres. Cette approche ne suit pas l'objet de la LCDP. De plus, toutes les permutations de l'approche appliquée au motif de la situation de famille en Colombie-Britannique qui ont suivi l'arrêt Campbell River appuient la conclusion du Tribunal selon laquelle la situation de famille ne devrait pas être isolée sous une norme différente et plus sévère ou plus lourde d'établissement de la preuve prima facie. La seule solution est d'appliquer le même critère que celui appliqué pour les autres motifs énoncés à l'article 3 de la LCDP. Cette approche a été acceptée dans la décision Hoyt et a été approuvée par la Cour fédérale dans la décision Johnstone.

[121] Par conséquent, je suivrai l'approche établie dans la décision Hoyt, qui respecte le principe des droits de la personne selon lequel tous les motifs de discrimination doivent être traités de façon égale.

[122] De plus, tenant compte de la nature et du statut spéciaux des lois en matière de droits de la personne en tant que lois quasi-constitutionnelles, le Tribunal conclut que l'interprétation et l'application de la situation de famille telles qu'elles sont proposées dans la décision Hoyt sont celles qu'il convient d'adopter. Comme je l'ai mentionné auparavant, les lois en matière de droits de la personne doivent être interprétées de façon libérale et téléologique, selon laquelle les droits protégés reçoivent une interprétation large, alors que les exceptions et les défenses sont interprétées de façon plus restreinte.

c) Une preuve prima facie de discrimination fondée sur la situation de famille a-t-elle été établie?

[123] En 2005, la plaignante était mère de deux jeunes enfants. La preuve établit aussi qu'elle avait avisé la Compagnie qu'un déménagement temporaire à Vancouver, sans renseignement au sujet de la durée de son séjour là-bas ou de l'hébergement prévu à son arrivée, troublerait la garde de ses enfants et qu'il lui serait impossible de prendre des mesures afin d'obtenir des services de garde appropriés pour ses enfants. De plus, son mari était aussi un cheminot dont les absences étaient fréquentes et dont les horaires étaient imprévisibles. Elle avait précisé que tant qu'elle pouvait travailler à son terminal local, à Jasper, elle pouvait trouver des services de garde, quoiqu'avec difficulté.

[124] Dans ses diverses lettres à la Compagnie, la plaignante a expliqué sa situation de famille, mais elle n'a jamais reçu de réponse. Les témoins de la Compagnie ont témoigné que les responsabilités parentales telles que la garde d'enfants n'étaient pas des [TRADUCTION] raisons satisfaisantes pour qu'un employé soit exempté de répondre à une pénurie. La Compagnie était d'avis que la situation de la plaignante ne nécessitait pas d'accommodement en raison de sa situation de famille au sens de la LCDP. Elle était aussi d'avis que la situation de la plaignante était un choix personnel de ne pas respecter ses obligations professionnelles afin de donner priorité à d'autres aspects de sa vie, une situation que la Compagnie a qualifié d'équilibre [TRADUCTION] travail-famille.

[125] Le Tribunal conclut que le droit n'appuie simplement pas le point de vue de la Compagnie selon lequel la situation de famille ne comprend pas la situation de la plaignante. La situation de la plaignante à titre de mère de deux enfants ainsi que les ramifications, qu'elle a expliquées dans ses diverses lettres, du fait de lui ordonner de se rendre à Vancouver la placent dans la définition de situation de famille. Elle a précisément demandé des mesures d'accommodement à la Compagnie et elle a présenté sa demande aux responsables appropriés de la Compagnie. Les témoins de la Compagnie ont reconnu qu'une telle demande aurait dû être présentée au superviseur de l'employé qui en l'espèce était Colin Pizziol, le coordonnateur de trains à Jasper. Les lettres de la plaignante lui étaient adressées. Malheureusement, M. Pizziol n'a pas été appelé à témoigner, et les autres témoins de la Compagnie ne pouvaient pas expliquer de quelle façon il avait géré la situation. La preuve incontestée de la plaignante était que ni son superviseur, ni un autre gestionnaire de la Compagnie n'avaient répondu à ses lettres ni discuté de la situation avec elle.

[126] En ce qui a trait à la preuve présentée à l'audience, le Tribunal conclut que la plaignante a établi une preuve prima facie de discrimination fondée sur le motif de la situation de famille. La preuve démontre que la plaignante est une mère et que ce statut comprend les devoirs et les obligations qui reviennent généralement aux parents. En raison de ces devoirs et obligations, la plaignante, selon les règles et les pratiques de la Compagnie, a été incapable de participer de façon égale et complète à son emploi au sein de la Compagnie. Cela étant, le fardeau repose maintenant sur la Compagnie de démontrer que la norme ou l'action discriminatoire à première vue a été adoptée en raison d'une exigence professionnelle justifiée.

d) La Compagnie a-t-elle pris des mesures d'accommodement pour la plaignante?

[127] Le fardeau de démontrer qu'il y a eu accommodement jusqu'à contrainte excessive revient à l'employeur.

[128] En raison de sa situation de famille, la plaignante a demandé des mesures d'accommodement. La Compagnie n'a pas répondu à cette demande, sauf pour le fait qu'elle a accepté de proroger pendant environ quatre mois le délai que la plaignante avait pour se présenter à Vancouver. Selon les témoins de la Compagnie, cette [TRADUCTION] mesure d'accommodement lui avait été accordée afin qu'elle prenne les [TRADUCTION] mesures nécessaires pour régler la question de la garde des enfants. Il est surprenant de voir l'utilisation de l'expression mesure d'accommodement, puisque aucun des témoins de la Compagnie n'était d'avis qu'il existait une obligation de prendre des mesures d'accommodement pour la plaignante ou que la LCDP s'appliquait à sa situation. La Compagnie était d'avis que la plaignante devait faire un choix entre son emploi et sa situation de famille, voilà tout. M. Kerry Morris, le gestionnaire des relations de travail de la Compagnie, a témoigné qu'il ne voyait [TRADUCTION] pas la situation de famille comme une question d'accommodement. À son avis, bien qu'il ne lui ait jamais parlé, la plaignante demandait une prorogation du délai prévu pour qu'elle se présente à Vancouver, afin de prendre des mesures quant à la garde de ses enfants. Il croyait que la Compagnie lui avait donné suffisamment de temps pour prendre les mesures nécessaires.

[129] Quant à lui, M. Torchia a témoigné que [TRADUCTION] la demande qui m'a été présentée [il n'a pas expliqué qui la lui a envoyée] était qu'elles [la plaignante, KW et CR] avaient besoin de plus de temps pour régler leurs situations. Il s'agissait de question de garde d'enfants et elles avaient besoin de plus de temps. J'ai accueilli la demande. À mon avis, je prenais des mesures d'accommodement pour elles parce que je leur accordais plus de temps. Je ne pensais pas que ce que je faisais était déraisonnable. Elles avaient été en mise à pied depuis longtemps, pas comme un employé qui est affecté, est mis à pied, puis est affecté, et est mis à pied qui s'attendrait à être rappelé au travail. Elles étaient en mise à pied depuis un long moment. Par conséquent, elles ne s'attendaient probablement pas à un rappel à ce moment-là et, à mon avis, il semblait raisonnable de leur accorder plus de temps. Il a ajouté qu'il savait qu'il s'agissait d'[TRADUCTION] obligations parentales de quelque sorte et qu'il avait compris que la plaignante [TRADUCTION] avait besoin de temps pour s'organiser, mais il a ajouté que cela ne lui avait pas donné l'impression qu'il s'agissait d'une question visée par la LCDP.

[130] Tant le témoignage de la plaignante que celui des témoins de la Compagnie établit, sans l'ombre d'un doute, que la Compagnie n'a pas appliqué sa politique d'accommodement dans le cas de la plaignante. La preuve montre aussi que d'autres employés qui avaient besoin de mesures d'accommodement pour des raisons qui pouvaient aussi relever de la LCDP et de la politique d'accommodement de la Compagnie, et qui ne se sont pas présentés à Vancouver, ou ne s'y sont pas immédiatement présentés, n'ont pas été congédiés. Par exemple, les employés U et E, dont les parents étaient malades, ont tous les deux obtenus des congés de compassion et n'ont pas eu à se présenter à Vancouver. De plus, d'autres employés dont la situation n'a pas été expliquée à l'audience ont soit obtenu des congés, soit été affectés par leurs superviseurs et n'ont pas eu à répondre à la pénurie.

[131] La Compagnie a essentiellement expliqué que la demande d'accommodement de la plaignante fondée sur sa situation de famille avait été rejetée en raison de la nature des activités de la Compagnie, qui exigeait que tous les employés disponibles se présentent à Vancouver afin de répondre à la pénurie en 2005. Cependant, lorsque l'avocat de la Compagnie a demandé à Mme Storms si la pénurie aurait été réglée si la plaignante s'était présentée à Vancouver en 2005, elle a répondu sans hésiter [TRADUCTION] non, mais elle a immédiatement ajouté que cela aurait tout de même libéré un des gestionnaires qui travaillait au triage en raison de la pénurie.

[132] Le critère applicable pour déterminer s'il y a eu acte discriminatoire fondé sur un motif de distinction illicite dans le contexte de l'emploi et si un employeur a pris des mesures d'accommodement pour un employé jusqu'à contrainte excessive est celui établi par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Meiorin. Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada a normalisé le critère applicable quant à la discrimination et a rejeté l'ancienne distinction entre la discrimination directe et indirecte.

[133] Lorsqu'un plaignant a établi une preuve prima facie de discrimination, le fardeau est alors transféré à l'employeur, qui doit démontrer que l'acte ou la norme discriminatoire à première vue était une exigence professionnelle justifiée (EPJ). À ce sujet, la Cour suprême du Canada a déclaré aux paragraphes 54 et 55 de l'arrêt Meiorin :

L'employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités

  1. qu'il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l'exécution du travail en cause;
  2. qu'il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;
  3. que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu'il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l'employeur subisse une contrainte excessive.

Cette méthode est fondée sur la nécessité d'établir des normes qui composent avec l'apport potentiel de tous les employés dans la mesure où cela peut être fait sans que l'employeur subisse une contrainte excessive. Il est évident que des normes peuvent léser les membres d'un groupe particulier. Mais, comme le juge Wilson l'a fait remarquer dans Central Alberta Dairy Pool, précité, à la p. 518, [s]'il est possible de trouver une solution raisonnable qui évite d'imposer une règle donnée aux membres d'un groupe, cette règle ne sera pas considérée comme [une EPJ]. Il s'ensuit que la règle ou la norme jugée raisonnablement nécessaire doit composer avec les différences individuelles dans la mesure où cela ne cause aucune contrainte excessive. À moins qu'aucun accommodement ne soit possible sans imposer une contrainte excessive, la norme telle qu'elle existe n'est pas une EPJ, et la preuve prima facie de l'existence de discrimination n'est pas réfuté.

[134] À l'audience, la Compagnie ne s'est pas attardée aux deux premiers critères de l'arrêt Meiorin, sauf pour déclarer dans ses conclusions finales que la preuve avait clairement montré que la norme visée en l'espèce avait été adoptée dans un but rationnellement lié aux intérêts commerciaux de la Compagnie et que la Compagnie et le Syndicat l'avait adoptée de bonne foi, croyant qu'elle était nécessaire aux opérations du réseau ferroviaire de la Compagnie. La Compagnie n'a pas précisé la preuve sur laquelle elle se fondait pour cette affirmation, et la référence au Syndicat n'est pas appuyée par la preuve, puisqu'aucun représentant du Syndicat n'a été appelé à témoigner et que je n'ai aucun souvenir d'un témoignage quelconque à ce sujet. Quoi qu'il en soit, j'effectuerai l'analyse des deux premiers critères afin de déterminer si la Compagnie a établi qu'il existait une EPJ.

[135] La première étape vise à cibler l'objectif général de la norme contestée et de déterminer s'il est rationnellement lié à l'exécution du travail. Il faut déterminer ce que la norme contestée vise généralement à réaliser. L'objet de la première étape n'est pas de déterminer la validité de la norme en question, mais plutôt de déterminer la validité de son objectif général. En l'espèce, la norme en question est celle qui permet à la Compagnie de [TRADUCTION] forcer les employés à répondre à une pénurie. Conformément à la clause 148.11 de la convention collective, les employés embauchés après le 29 juin 1990 peuvent être forcés de travailler dans un autre terminal dans la région de l'Ouest et ont l'obligation de se présenter à ce terminal au plus tard dans les trente (30) jours suivant l'appel, à moins qu'ils ne présentent une [TRADUCTION] raison satisfaisante pour justifier le fait qu'ils ne se présenteront pas. Ces employés sont communément appelés employés de la [traduction] catégorie D. Ils sont aussi appelés employés non protégés, parce qu'ils ont l'obligation de répondre à un appel au travail à l'extérieur de leur terminal. S'ils n'y répondent pas, la Compagnie peut mettre fin à leur emploi.

[136] L'autre catégorie d'employés comprend les employés qui ont été embauchés avant le 29 juin 1990. Ces employés sont appelés protégés. Dans ce groupe d'employés protégés, on retrouve ceux qui ont été embauchés avant 1982 et qui portent le nom d'employés de la [TRADUCTION] catégorie A et de la [TRADUCTION] catégorie B, respectivement. Ces employés ne peuvent pas être affectés à du travail ailleurs qu'à leur terminal local. Les employés embauchés après 1982, mais avant le 29 juin 1990, portent le nom d'employés de la [TRADUCTION] catégorie C et peuvent seulement être affectés à du travail à des terminaux adjacents.

[137] En l'espèce, les employés en mise à pied de la catégorie D, dont faisait partie la plaignante, ont été rappelés et ont été forcés de répondre à la pénurie de Vancouver. Comme je l'ai mentionné, en raison de son emplacement, le terminal de Vancouver est très occupé. Il s'agit d'un point central pour le marché canadien de la Compagnie. Une pénurie de personnel des trains à Vancouver a d'importantes répercussions, car elle peut compromettre la capacité de la Compagnie à fonctionner adéquatement partout dans son réseau. Ni la plaignante, ni la CCDP n'ont contesté le fait que la Compagnie avait une raison légitime de vouloir régler la pénurie de chefs de train à Vancouver en 2005. Le fait de forcer des employés à répondre à des pénuries peut être considéré comme étant rationnellement lié à l'exécution du travail, surtout lorsque la pénurie peut avoir des répercussions sur les activités de l'employeur. Le Tribunal conclut donc que la Compagnie a satisfait au premier volet du critère à trois volets de l'arrêt Meiorin.

[138] Une fois que la Compagnie établit la légitimité de son objectif général, elle doit démontrer qu'elle a adopté la norme en question en croyant sincèrement que celle-ci était nécessaire pour réaliser le but légitime lié au travail, et sans qu'elle ait eu l'intention de faire preuve de discrimination envers la plaignante. Si l'imposition de la norme n'était pas raisonnablement nécessaire ou si elle était motivée par une intention discriminatoire, elle ne peut alors pas être considérée comme une exigence professionnelle justifiée. (Voir Meiorin, précité, au paragraphe 60.) Aucune preuve n'a été présentée à l'audience au sujet du fait que la norme de la Compagnie de forcer des employés à répondre à des pénuries, telle qu'elle est écrite à la clause 148.11 de la convention collective, ait été adoptée avec l'intention de faire preuve de discrimination envers la plaignante. Il est vrai que l'avocat de la plaignante a soulevé dans ses conclusions finales un point au sujet du fait que la clause 148.11 est discriminatoire. Plus précisément, il a fait allusion au traitement différentiel entre les chefs de train qui ont été embauchés avant juin 1990 et ceux qui ont été embauchés après. Il a noté que, lorsque la plaignante a commencé à travailler pour la Compagnie, cette distinction n'existait pas. La preuve montre que la plaignante a été embauchée en 1991, mais la distinction est entrée en vigueur en février 1992 et s'appliquait aux employés embauchés après juin 1990. L'avocat a aussi soutenu que, comme la [TRADUCTION] grande majorité des femmes chefs de train avait été embauchée après juin 1990, la distinction constituait une pratique discriminatoire contre les femmes chefs de train. Bien que, du point de vue de l'argumentation, ce point soit intéressant, le Tribunal ne relève aucune preuve convaincante à l'appui de ces conclusions. Le Tribunal conclut donc que la Compagnie a satisfait au deuxième volet du critère à trois volets de l'arrêt Meiorin.

[139] La troisième et dernière tâche de la Compagnie est de démontrer que la norme contestée est raisonnablement nécessaire afin que l'employeur puisse accomplir son objectif. À cette étape, la Compagnie doit établir qu'elle ne peut pas prendre de mesures d'accommodement pour la plaignante et les autres personnes négativement touchées par la norme sans subir de contrainte excessive. En d'autres mots, comme la plaignante a été négativement touchée en raison de sa situation de famille par la norme forçant les employés à couvrir des pénuries, la Compagnie aurait-elle pu l'accommoder sans subir de contrainte excessive? La réponse à cette question est affirmative, pour les motifs suivants.

[140] L'utilisation de l'expression excessive laisse entendre qu'une certaine contrainte est acceptable. Ce n'est que la contrainte excessive qui satisfait à ce critère. (Voir Central Okanagan School District no 23 c. Renaud, [1992] 2 R.C.S. 970, à la page 984.) Il peut être idéal, du point de vue de l'employeur, de choisir une norme d'une rigidité absolue. Encore est-il que, pour être justifiée en vertu de la législation sur les droits de la personne, cette norme doit tenir compte de facteurs concernant les capacités uniques ainsi que la valeur et la dignité inhérentes de chaque personne, dans la mesure où cela n'impose aucune contrainte excessive. (Meiorin, précité, au paragraphe 62.) De plus, lorsqu'un employeur évalue s'il est en mesure d'accommoder un employé, il doit effectuer une analyse individuelle de la situation de l'employé. À ce sujet, dans l'arrêt Centre universitaire de santé McGill (Hôpital général de Montréal) c. Syndicat des employés de l'Hôpital général de Montréal, [2007] 1 R.C.S. 161, au paragraphe 22, la Cour suprême du Canada a déclaré : Le caractère individualisé du processus d'accommodement ne saurait être minimisé.

[141] Dans l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne), [1990] 2 R.C.S. 489, aux pages 520 et 521, la juge Wilson a examiné les facteurs dont il faut tenir compte lors de l'évaluation de l'obligation d'un employeur d'accommoder un employé jusqu'à contrainte excessive. Parmi les facteurs pertinents se trouvent le coût financier des méthodes possibles d'accommodement, l'interchangeabilité relative de l'effectif et des installations et la possibilité d'interférence importante avec les droits d'autres employés. Il a aussi été déclaré que la norme ou la pratique qui exclut des membres d'un groupe particulier en fonction d'hypothèses relevant de l'impression est généralement suspecte. (Colombie- Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (Grismer), paragraphe 31.) Les employeurs doivent aussi faire preuve d'innovation, tout en restant pratiques, lorsqu'ils examinent les options d'accommodement dans une situation particulière.

[142] Dans ses conclusions finales, l'avocat de la Compagnie a laissé entendre que la Cour suprême du Canada avait reformulé les principes qui s'appliquent à la notion de contrainte excessive dans l'arrêt Hydro Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d'Hydro Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC. Le Tribunal n'accepte pas cette interprétation de l'arrêt Hydro Québec. Au contraire, le Tribunal conclut que cet arrêt correspond aux décisions précédentes de la Cour suprême au sujet de la question de la contrainte excessive. Dans l'arrêt Hydro Québec, la Cour suprême a déclaré que bien que l'employeur n'ait pas l'obligation de changer les conditions de travail de façon fondamentale, il a l'obligation, s'il peut le faire sans contrainte excessive, de modifier le lieu de travail ou les tâches d'un employé afin de lui permettre d'effectuer son travail (au paragraphe 16). La Cour suprême a aussi déclaré qu' [e]n raison du caractère individualisé de l'obligation d'accommodement et de la diversité des circonstances qui peuvent survenir, toute règle rigide est à éviter. Si une entreprise peut, sans en subir de contrainte excessive, offrir des horaires de travail variables ou assouplir la tâche de l'employé, ou même à autoriser des déplacements de personnel, permettant à l'employé de fournir sa prestation de travail, l'employeur devra alors ainsi accommoder l'employé (paragraphe 17). (Voir aussi Johnstone c. Agence canadienne des services frontaliers, précitée, au paragraphe 218.)

[143] La Compagnie soutient que, si l'accommodement était exigé en vertu de la LCDP, elle avait fourni un [TRADUCTION] accommodement raisonnable à la plaignante pendant plus de quatre (4) mois pour qu'elle se présente à Vancouver, plutôt que le minimum de quinze (15) jours établi dans la convention collective. La Compagnie soutient aussi que le fait d'accorder l'indemnité demandée par la plaignante constituerait une contrainte excessive parce que cela reviendrait à accorder à tous les employés qui sont parents l'équivalent d'une [TRADUCTION] super ancienneté dans la convention collective, simplement en raison de leur statut de parents.

[144] Je traiterai d'abord de l'argument au sujet de l' accommodement raisonnable.

[145] La Compagnie soutient que le fait d'accorder du temps de plus à la plaignante pour se présenter à Vancouver était la seule mesure d'accommodement qu'elle avait l'obligation de prendre. Cependant, la preuve montre clairement que cela n'était pas du tout une réponse valable à la demande de la plaignante ni au fondement factuel de sa situation, qu'elle avait exposée à son employeur dans ses diverses lettres.

[146] La preuve incontestée de la plaignante établit qu'elle a écrit à M. Pizziol, le coordonnateur des trains à Jasper, et à d'autres gestionnaires de la Compagnie, de nombreuses fois pour expliquer sa situation de famille. Elle les a avisés qu'il lui serait difficile d'amener ses enfants à Vancouver et qu'en raison de ses responsabilités envers ses enfants, il n'était pas non plus possible de les laisser avec leur père, dont les obligations de travail lui causaient les mêmes problèmes de garde. Elle a aussi demandé à ce que sa situation soit considérée comme une question de compassion, en application de la convention collective, et qu'on lui permette d'attendre que la pénurie à Vancouver soit réglée ou qu'il y ait du travail pour elle au terminal de Jasper ou au terminal adjacent d'Edson.

[147] Mme Storms a témoigné qu'elle n'avait pas interprété ces lettres comme signifiant que la plaignante demandait des mesures d'accommodement en raison de sa situation de famille. Mme Storms a témoigné que le gestionnaire de la division, M. Pizziol en l'espèce, était le décideur principal en ce qui a trait à la demande d'un employé d'être exempté de l'obligation de répondre à une pénurie. Elle a ajouté que, pour prendre cette décision, il aurait tenu compte de la situation de la personne et il aurait décidé ce qu'il devait en faire. M. Pizziol avait le pouvoir d'accorder un congé ou une prorogation du délai de réponse à la pénurie. Mme Storms a ajouté que dans le cas d'une grave pénurie, comme celle qui existait à Vancouver en 2005, le gestionnaire doit discuter de la situation avec son directeur général. En 2005, le directeur général de M. Pizziol était Denis Broshko.

[148] Comme ce fût le cas pour M. Pizziol, M. Broshko n'a pas été appelé à témoigner et la Compagnie n'a donné aucune explication pour son absence. La Compagnie n'a présenté aucune preuve montrant que M. Pizziol avait discuté de la situation de la plaignante avec M. Broshko.

[149] M. Torchia a témoigné en contre-interrogatoire qu'il a eu une discussion avec le président général du Syndicat au sujet de la possibilité de proroger le délai accordé à la plaignante pour répondre à la pénurie. Il a ajouté que pendant cette discussion, la question d'un accommodement pour la situation de famille n'avait [TRADUCTION] jamais été mentionnée et qu'il n'avait jamais vu les lettres de la plaignante à ce sujet.

[150] La preuve établit clairement que la Compagnie n'a pas fait preuve de compassion envers la situation de la plaignante. Elle n'a pas répondu à ses nombreuses demandes de mesures d'accommodement et personne n'a rencontré la plaignante, ni n'a communiqué avec elle, pour discuter de sa situation, même si la politique d'accommodement de la Compagnie prévoit que la première étape du processus doit être une rencontre avec l'employé. La preuve démontre aussi clairement que Mme Storms et M. Torchia ne se sentaient pas responsables au sujet de questions relevant de la LCDP. Ils ont tous les deux témoigné que le superviseur de l'employé et les responsables des ressources humaines sont les personnes auprès desquelles la question aurait dû être soulevée. Malheureusement, comme je l'ai déjà mentionné, ni M. Pizziol ni Mme Mary-Jane Morrison, la personne responsable des ressources humaines à Edmonton en 2005, n'ont été appelés à témoigner.

[151] Il est clair que les témoins de la Compagnie ne considéraient pas la situation de famille - du moins les questions de situation de famille qui comprennent des obligations et des responsabilités parentales - comme un motif de discrimination qui nécessitait une forme d'accommodement. Dans leur conception des divers motifs de discrimination établis dans la LCDP, il semble qu'ils ont choisi certains motifs qui, selon eux, donnent droit à un accommodement, alors que d'autres n'y ouvrent pas droit. Par exemple, ils ont témoigné que la Compagnie n'avait pas hésité à accommoder des employés qui avaient été rappelés à répondre à la pénurie à Vancouver, mais qui ne pouvaient pas y aller en raison d'un parent malade. Ils ont aussi reconnu que la Compagnie, dans le passé, avait accommodé des employés pour des raisons médicales. Cependant, sans chercher à connaître la nature de sa demande, ils ont décidé que la situation de la plaignante ne constituait pas une situation nécessitant un accommodement en vertu de la LCDP.

[152] Mme Ziemer a aussi témoigné que la Compagnie avait pris des mesures d'accommodement pour un employé qui lui permettaient d'être absent du tableau de service chaque deux semaines, parce qu'il n'avait des droits de visite que pendant 48 heures, la fin de semaine, chaque deux semaines. Un autre exemple portait sur un accommodement accordé à un employé qui prenait part à une longue bataille pour la garde de ses enfants devant la Cour. On a accordé du temps de congé supplémentaire à cette personne pour cette raison.

[153] Même si le Tribunal acceptait l'argument selon lequel la Compagnie avait des mesures d' accommodement appropriées en accordant à la plaignante plus de temps pour se présenter à Vancouver, le défaut de la Compagnie de satisfaire à ses obligations procédurales découlant du devoir d'accommodement aurait en soi constitué une violation des droits de la personne de la plaignante. La Cour suprême du Canada a reconnu que tant le processus de décision que la décision finale doivent être examinés lorsqu'on analyse une EPJ. Dans l'arrêt Meiorin, la Cour suprême a déclaré au paragraphe 66 : il peut souvent se révéler utile, en pratique, d'examiner séparément, d'abord, la procédure, s'il en est, qui a été adoptée pour étudier la question de l'accommodement, et, ensuite, la teneur réelle d'une norme plus conciliante qui a été offerte ou, subsidiairement, celle des raisons pour lesquelles l'employeur n'a pas offert une telle norme. (Voir aussi Oak Bay Marina Ltd. c. British Columbia (Human Rights Tribunal) (no 2), 2004 BCHRT 225, aux paragraphes 84 à 86).

[154] Dans la décision Lane c. ADGA Group Consultant Inc., 2007 HRTO 34, au paragraphe 150, (décision maintenue par la Cour supérieure de justice de l'Ontario, Cour divisionnaire, à [2008] O.J. no 3076, 91 O.R. (3d) 649), le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario a déclaré que :

[TRADUCTION]

[...] [L]e défaut de respecter la dimension procédurale de l'obligation d'accommodement est une forme de discrimination. Elle prive la personne touchée des avantages de ce que la loi exige : la reconnaissance de l'obligation de ne pas faire preuve de discrimination et d'agir d'une telle manière à garantir qu'aucune discrimination n'a lieu.

[155] Dans l'arrêt Meiorin, la Cour suprême a conclu que les questions suivantes sont pertinentes quant à l'analyse de la portion procédurale du processus d'accommodement suivi par l'employeur :

  1. L'employeur a-t-il cherché à trouver des méthodes de rechange qui n'ont pas d'effet discriminatoire, comme les évaluations individuelles en fonction d'une norme qui tient davantage compte de l'individu?
  2. Si des normes différentes ont été étudiées et jugées susceptibles de réaliser l'objet visé par l'employeur, pourquoi n'ont-elles pas été appliquées?
  3. Est-il nécessaire que tous les employés satisfassent à la norme unique pour que l'employeur puisse réaliser l'objet légitime qu'il vise, ou est-il possible d'établir des normes qui reflètent les différences et les capacités collectives ou individuelles?
  4. Y a-t-il une manière moins discriminatoire d'effectuer le travail tout en réalisant l'objet légitime de l'employeur?
  5. La norme est-elle bien conçue pour que le niveau de compétence requis soit atteint sans qu'un fardeau excessif ne soit imposé à ceux qui sont visés par la norme?
  6. Les autres parties qui sont tenues d'aider à la recherche de mesures d'accommodement possibles ont-elles joué leur rôle?

[156] Pour satisfaire à la composante procédurale de l'obligation d'accommodement, la Compagnie a l'obligation de démontrer qu'elle a examiné et a raisonnablement rejeté tout accommodement qui aurait répondu aux besoins de la plaignante.

[157] La seule preuve qu'une évaluation d'autres formes d'accommodement ait pu se produire est le témoignage de Kerry Morris, qui a expliqué que la Compagnie avait discuté, dans le contexte de la négociation avec le Syndicat au sujet du grief, de [TRADUCTION] mesures subsidiaires d'accommodement qui permettraient à la plaignante et aux deux autres employées, CR et KW, de rester à Jasper. Il a témoigné que le Syndicat avait proposé de déplacer à Vancouver des chefs de train d'un terminal adjacent à celui de Vancouver, mais selon M. Morris, cela n'était pas possible parce que tous les employés du terminal de Kamloops travaillaient et que le fait de les déplacer à Vancouver ne ferait que créer une pénurie à Kamloops. Il a expliqué qu'une autre solution aurait été de déplacer trois autres employés du terminal de Jasper à Vancouver pour répondre à la pénurie à la place de la plaignante, de KW et de CR, mais, selon lui, le Syndicat était d'avis que cette solution était contraire à la disposition d'ancienneté de la convention collective et il n'était pas prêt à donner son approbation. Autrement, il n'existait aucune preuve que la Compagnie avait examiné d'autres approches pour régler la situation de la plaignante. De plus, la preuve montre que les options n'ont été considérées qu'après le congédiement de la plaignante. Le Tribunal note aussi que cette preuve ne correspond pas à celle donnée au même sujet dans les affaires Richards et Whyte.

[158] La preuve démontre aussi que la Compagnie n'a pas appliqué ses propres directives et politiques d'accommodement. La Compagnie a une politique d'accommodement très complète. Cette politique reconnaît tous les motifs de distinction illicites énoncés dans la LCDP, y compris la situation de famille, et la politique indique clairement que, lorsque cela est possible, les politiques et les pratiques d'emploi doivent être modifiées afin qu'[TRADUCTION] aucune personne ne se voie refuser d'occasion d'emploi. Elle précise aussi que l'accommodement [TRADUCTION] signifie le fait de déployer tous les efforts possibles pour répondre aux besoins raisonnables des employés.

[159] Les [TRADUCTION] directives d'accommodement de la Compagnie expliquent que l'objectif de la politique est [TRADUCTION] de garantir que les conditions de travail ne sont pas un obstacle à l'emploi. Elles établissent aussi clairement que la Compagnie doit faire preuve de souplesse pour éliminer les obstacles et qu'elle devrait déployer [TRADUCTION] tous les efforts pour garantir que personne n'est désavantagé en raison d'une exigence ou d'un besoin spécial.

[160] La politique définit aussi le processus à suivre dans le cas d'une demande d'accommodement pour l'un des motifs énoncés dans la LCDP et fournit une liste de vérification que les gestionnaires et les superviseurs doivent suivre dans le cas d'une telle demande. La politique explique :

[TRADUCTION]

La première chose à faire lorsqu'un employé signale un problème ou un besoin spécial est de rencontrer cette personne. Permettez à l'employé de présenter le problème ou le besoin, posez lui des questions pour bien comprendre la demande et discutez ensemble de solutions possibles.

Si aucune solution ne peut être trouvée de cette façon, ne rejetez pas la demande immédiatement. Demandez des conseils, tentez d'obtenir d'autres solutions au problème et évaluez les répercussions de tout accommodement possible auprès des personnes appropriées, y compris le service du personnel, entre autres. L'employé a la responsabilité de participer activement au processus et de faciliter l'accommodement raisonnable. Les syndicats ont aussi un rôle et une responsabilité importants et reconnus dans l'accommodement des besoins des employés.

Il est extrêmement important de garder des dossiers de la réunion, des diverses solutions proposées et des arguments utilisés pour accepter ou rejeter chaque option. Ces renseignements sont indispensables en cas de plainte.

Avisez rapidement la personne en question de la décision prise, en expliquant les raisons de la décision. Dans le cas du rejet d'une demande d'accommodement, l'employé peut avoir le droit de présenter un grief en fonction de la procédure de grief appropriée ou de présenter une plainte en vertu de la LCDP.

[161] La personne responsable de la politique d'accommodement au bureau d'Edmonton de la Compagnie est, comme je l'ai déjà mentionné, Mary-Jane Morrison, une agente des ressources humaines. C'est elle que consultent les personnes qui ont des questions au sujet de la politique ou de sa procédure. Mme Morrison n'a pas témoigné à l'audience. La Compagnie a plutôt appelé à témoigner Stephanie Ziemer, l'agente des ressources humaines à Vancouver. Mme Ziemer n'a pas directement participé dans le cas de la plaignante et n'avait aucune connaissance personnelle de la situation, mais elle a témoigné qu'elle se serait attendue à ce que la politique soit respectée et qu'[TRADUCTION] à un certain moment, on ait demandé la participation des ressources humaines. Aucune preuve de la participation des ressources humaines n'a été présentée à l'audience.

[162] Les témoignages des autres témoins de la Compagnie montrent aussi clairement qu'ils étaient d'avis qu'ils n'avaient pas à appliquer la politique d'accommodement. Par exemple, M. Torchia a témoigné en contre-interrogatoire qu'il savait que la Compagnie avait une politique d'accommodement en 2005, bien qu'il ait ajouté qu'il n'avait jamais reçu de formation officielle à ce sujet. Il a aussi été incapable de confirmer s'il existait une formation [TRADUCTION] interne sur l'application de la LCDP pour les gestionnaires et les superviseurs, bien qu'il ait ajouté qu'il était certain qu'une telle formation avait déjà existé. Il a ajouté qu'au long de sa carrière, il avait traité les questions d'accommodement dans divers griefs et lors de discussions avec le Syndicat.

[163] Lorsque l'avocat de la Compagnie lui a demandé si elle était au courant de l'obligation d'accommodement prévue par la LCDP, Mme Storms a répondu [TRADUCTION] Non, pas précisément. Je sais qu'elle existe et si je devais régler une telle question, je renverrais l'employé aux ressources humaines. En contre-interrogatoire, elle a ajouté : [TRADUCTION] J'en avais connaissance, mais je n'en connaissais pas les particularités. De notre côté, nous traitons la rémunération et lorsqu'une mesure d'accommodement est prise, les ressources humaines et la Division nous disent d'ajuster la rémunération. C'est là mon domaine de responsabilité. J'aurais simplement laissé la question à M. Pizziol. Je ne sais pas ce qu'il en aurait fait. Il aurait peut-être été voir son patron, il aurait pu choisir plusieurs avenues et je n'en ai aucune idée, vous devriez demander à M. Pizziol. [Non souligné dans l'original.] M. Pizziol n'a pas été appelé à témoigner.

[164] Ron Morrese, le superviseur général des opérations, un gestionnaire principal de la Compagnie, a témoigné qu'il avait probablement vu la politique d'accommodement, bien qu'il ne se souvienne pas des détails. Il a ajouté qu'il avait toujours été dans le secteur des [TRADUCTION] opérations et que les ressources humaines s'occupaient de la politique. Il a expliqué que les ressources humaines avaient le pouvoir de dire aux [TRADUCTION] opérations ce qu'il fallait faire dans ces cas.

[165] Selon le témoignage de la plaignante, dans sa situation, la politique d'accommodement de la Compagnie n'a pas été respectée. Elle a ajouté qu'elle n'avait jamais eu de réunion avec son superviseur, le coordonnateur de trains à Jasper, et qu'elle n'avait jamais reçu de réponse aux lettres qu'elle avait envoyées à son superviseur ou aux gestionnaires de la Compagnie dans lesquelles elle expliquait sa situation. Rien ne donnait non plus à penser qu'elle avait eu une réunion avec quelqu'un des ressources humaines ou qu'on l'avait aiguillée vers une telle personne. La preuve montre clairement que la Compagnie n'a pas respecté les procédures établies dans sa propre politique et qu'elle avait décidé que la situation de famille, du moins en ce qui a trait aux obligations et aux responsabilités parentales, n'était pas un motif de discrimination pour lequel des mesures d'accommodement étaient requises. Il est aussi clair que la Compagnie n'a jamais effectué une évaluation individualisée de la situation de la plaignante, comme elle devait le faire.

[166] J'examinerai maintenant brièvement la position de la Compagnie au sujet du fait qu'il s'agirait d'une contrainte excessive si l'on accordait à la plaignante le redressement qu'elle demande, parce qu'elle obtiendrait alors une super ancienneté fondée sur le simple fait qu'elle estun parent.

[167] Selon Stephanie Ziemer, la Compagnie ne garde pas de renseignements au sujet du nombre de ses employés qui ont des enfants. Elle a ajouté que la seule façon d'obtenir ces renseignements serait d'examiner le dossier de chaque employé pour voir le nom des personnes que les employés ont déclarées à leur charge. Mme Ziemer a aussi ajouté que selon le régime de prestations d'assurance de groupe des employés de la Compagnie [TRADUCTION] nous pouvons déduire qu'environ 68 p. 100 de l'effectif [de la Compagnie] ont des enfants. Cette preuve partiale est tout à fait insuffisante par rapport à la preuve que la Compagnie devrait produire pour justifier l'acte discriminatoire, selon la prépondérance des probabilités, en fonction du critère de l'EPJ en trois parties de l'arrêt Meiorin.

[168] La Compagnie n'a produit aucune preuve permettant de conclure que le fait d'accommoder la plaignante en l'espèce aurait constitué une contrainte excessive. Au contraire, en contre-interrogeant Mme Storms, l'avocat de la Compagnie a posé la question suivante : [TRADUCTION] si Mme Seeley s'était présentée à Vancouver en 2005, est-ce que la pénurie aurait été résolue?. Mme Storms a répondu : [TRADUCTION] Non, la pénurie n'aurait pas été résolue, mais chaque personne compte. Nous aurions eu une personne de plus pour répondre à la pénurie et nous aurions utilisé un gestionnaire de moins au triage. [Non souligné dans l'original.]

[169] De plus, si le Tribunal acceptait l'argument de la Compagnie selon lequel, en raison du fait que la grande majorité de ses employés ont des enfants, le fait d'accommoder la plaignante lui causerait des contraintes excessives, cela signifierait que tout environnement de travail où un grand nombre de personnes font partie d'un groupe qui possède l'une des caractéristiques personnelles établies à l'article 3 de la LCDP serait automatiquement exempté de l'application de la loi. Par exemple, cela signifie que des femmes qui travaillent dans un milieu où la majorité des employés sont des femmes ne pourraient pas présenter une plainte de discrimination fondée sur le sexe. Le fait d'accepter l'argument de la Compagnie aurait l'effet de rendre impossible la présentation d'une plainte fondée sur le motif de la situation de famille - du moins, les questions de situation de famille qui comprennent les obligations et les responsabilités parentales - parce que la majorité des employés dans l'effectif ont des enfants et pourraient aussi suivre la même route.

[170] La Compagnie n'a produit aucune preuve permettant de conclure qu'elle avait été inondée de demandes d'accommodement de la part de personnes dans la même situation que la plaignante. Seulement deux autres plaintes, celles de CR et de KW, ont été produites. Dans l'arrêt Grismer, précité, au paragraphe 41, la Cour suprême du Canada a clairement déclaré que dans le contexte de l'accommodement la preuve, constituée d'impressions, d'une augmentation des dépenses ne suffit pas généralement. Dans la décision Lane, précitée, au paragraphe 117, la Cour divisionnaire de l'Ontario a ajouté :

[TRADUCTION]

On ne peut pas établir une contrainte excessive en se fondant sur une preuve constituée d'impressions ou d'anecdotes, ou de justifications après le fait. Les contraintes anticipées causées par une proposition d'accommodement ne devraient pas être maintenues si elles ne sont fondées que sur des préoccupations hypothétiques ou non corroborées que certaines conséquences négatives pourraient s'ensuivre si des mesures d'accommodement sont prises pour le plaignant.

[171] Peu importe le fondement particulier de l'argument de la Compagnie selon lequel elle subira des contraintes excessives, il est bien établi que l'analyse des contraintes excessives doit être appliquée dans le contexte d'une demande d'accommodement individuelle. Comme la Cour suprême l'a déclaré dans l'arrêt Grismer, précité, au paragraphe 19, l'accommodement doit être incorporé à la norme même afin de garantir que chaque personne est évaluée en fonction de ses propres habiletés personnelles, plutôt que d'être jugée en fonction de caractéristiques de groupe présumées, qui sont souvent fondées sur un parti pris et des préjugés. Par conséquent, l'évaluation individuelle d'un employé est une étape essentielle dans le processus d'accommodement, à moins que cette évaluation en elle-même constitue une contrainte excessive pour l'intimée (voir Grismer, aux paragraphes 22, 30, 32 et 38; Meiorin, au paragraphe 65; Audet c. Chemins de fer nationaux du Canada, 2006 TCDP 25, au paragraphe 61 et Knight c. Société des transports de l'Outaouais, 2007 TCDP 15, au paragraphe 72). Une fois de plus, cette évaluation individuelle n'a pas été effectuée dans le cas de la plaignante.

[172] À mon avis, les arguments selon lesquels la prise de mesures d'accommodement pour une personne aurait donné lieu à une [TRADUCTION] avalanche de demandes de la part d'autres employés sont inacceptables. Comme la Human Rights and Citizenship Commission de l'Alberta l'a noté dans sa décision Rawleigh c. Canada Safeway Ltd, rendue le 29 septembre 2009, [TRADUCTION] chaque affaire doit être examinée en fonction des faits qui lui sont propres. Le fait d'appuyer la croyance qu'une avalanche pourrait être déclenchée par des personnes opportunistes est très dangereux et possiblement discriminatoire.

[173] En l'espèce, la Compagnie n'a pas présenté de preuve voulant que le fait de prendre des mesures d'accommodement pour la plaignante lui causerait une contrainte excessive en ce qui a trait aux coûts. La seule preuve présentée au sujet des coûts portait sur la formation des chefs de train et il n'y a eu aucune tentative de lier cette preuve à la situation en l'espèce. Il faut se souvenir que, pour que les coûts liés à l'accommodement soient considérés excessifs, ils doivent être importants. Dans la décision Quesnel c. London Educational Health Centre (1995), 28 C.H.R.R. D/474 (Commission d'enquête de l'Ontario), le Tribunal des droits de la personne de l'Ontario a déclaré, au paragraphe 59 : [TRADUCTION] les coûts constituent une contrainte excessive seulement s'ils changent la nature essentielle de l'entreprise responsable de l'accommodement ou en changent de façon importante la viabilité. La Compagnie a reconnu ce fait dans sa propre politique d'accommodement, qui précise : [TRADUCTION] Les coûts encourus doivent être extrêmement élevés avant que le refus d'accommodement puisse être justifié. Le fardeau de justifier le refus revient à l'employeur. Les coûts doivent être quantifiables et doivent être liés à l'accommodement. Les rénovations ou l'équipement spécial peuvent être dispendieux, mais il est parfois possible d'obtenir une aide financière de diverses organisations.

e) Conclusion

[174] Pour tous les motifs précédents, le Tribunal conclut que la preuve a établi que la Compagnie a violé les articles 7 et 10 de la LCDP. La pratique de la Compagnie d'exiger que la plaignante se présente à Vancouver pour répondre à la pénurie a eu un effet négatif sur elle en raison de sa situation de famille. La preuve démontre que la Compagnie a agi en contravention des articles 7 et 10 de la LDCP en usant de politiques et de pratiques qui ont privé la plaignante d'occasions d'emploi, en raison de sa situation de famille.

D. REDRESSEMENTS

[175] La plaignante demande les redressements suivants : une indemnité pour la perte de salaire et d'avantages sociaux, une indemnité pour préjudice moral, une indemnité spéciale, les dépens et l'intérêt, ainsi qu'une ordonnance la rétablissant dans son poste à la Compagnie avec sa pleine ancienneté, ses avantages sociaux et toutes les autres occasions ou tous les autres privilèges dont elle a été privée. La CCDP demande aussi une ordonnance selon laquelle la Compagnie doit cesser tout comportement ou toutes pratiques discriminatoires et doit réviser sa politique d'accommodement.

(i) Une ordonnance visant à ce que la Compagnie révise sa politique d'accommodement

[176] La CCDP demande une ordonnance, en application de l'alinéa 53(2)a) de la LCDP, pour que la Compagnie prenne des mesures, en consultation avec la CCDP, afin de remédier à son défaut de prendre des mesures d'accommodement appropriées pour ses employés en raison de la situation de famille, y compris les questions d'obligations et de responsabilités parentales. Elle demande aussi une ordonnance pour qu'une formation appropriée en droits de la personne soit mise en place pour les gestionnaires, les employés des ressources humaines et le personnel de gestion des équipes de la Compagnie et que des séances d'information régulières sur les politiques d'accommodement soient offertes afin d'éliminer les attitudes et les présomptions discriminatoires liées à la situation de famille à titre de motif de discrimination.

[177] Bien que le Tribunal reconnaisse que la Compagnie a une bonne politique d'accommodement, il est clair qu'elle n'a pas été appliquée ou mise en uvre de façon appropriée dans les cas où la situation de famille constitue un motif de discrimination. Les gestionnaires et les superviseurs de la Compagnie n'ont pas respecté la politique dans le cas de la plaignante. Après avoir examiné la preuve, je conclus que la demande de la CCDP est justifiée.

[178] Par conséquent, j'ordonne à la Compagnie de travailler en collaboration avec la CCDP afin de garantir que la pratique et le comportement discriminatoires ne se poursuivent pas et de veiller à ce que

  1. les politiques, pratiques et procédures appropriées sont en place
  2. la Compagnie, en collaboration avec la CCDP, embauche les personnes appropriées pour donner une formation en milieu de travail aux gestionnaires, aux employés des ressources humaines, et aux employés du CGE au sujet des questions de discrimination et de droits de la personne, et particulièrement au sujet de l'accommodement pour le motif de la situation de famille.

(ii) Rétablissement

[179] La plaignante demande au Tribunal, en application de l'alinéa 53(2)b) de la LCDP, d'ordonner à la Compagnie de la rétablir dans son poste de chef de train au sein de la Compagnie. L'alinéa 53(2)b) de la LCDP précise que, lorsque le Tribunal juge la plainte fondée, il peut ordonner à l'intimée d'accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l'acte discriminatoire l'a privée.

[180] Pour que ce redressement soit appliqué en l'espèce, la plaignante doit donc être rétablie dans son poste sans perte d'ancienneté. Le Tribunal ordonne à la Compagnie d'affecter la plaignante à titre de chef de train au terminal de Jasper, après qu'elle ait mis à jour, au besoin, sa fiche de règles et sa fiche médicale. Selon les faits incontestés que la plaignante a présentés, il y a trois dates de début possibles que le Tribunal pourrait utiliser pour rétablir la plaignante. La première date est celle du 1er juillet 2005, qui peut être vue comme la date d'application de la demande de la plaignante d'être accommodée en étant affectée à un poste à temps plein à Jasper. Le Tribunal n'accepte pas cette date parce que rien ne prouve que la plaignante aurait été affectée à un poste à temps plein à Jasper à cette époque ou que cela aurait été une mesure d'accommodement appropriée. Rien ne donne à penser que des employés ont été affectés à Jasper à cette époque.

[181] La deuxième date est celle du 1er mars 2006. Selon la preuve, il s'agit de la date à laquelle un autre employé mis à pied à Jasper, qui avait été rappelé et s'était présenté à Vancouver, a été affecté à Jasper. Comme seulement quatre employés de Jasper, la plaignante, CR, KW et cet autre employé, ont été rappelés à Vancouver, il pourrait être raisonnable de s'attendre que la plaignante, CR et KW auraient aussi été affectés à Jasper vers mars 2006. Une fois de plus, aucune preuve n'a été produite qui montrait que plus d'un employé avait été affecté à Jasper à cette époque et il m'est difficile de conclure que cette date est appropriée.

[182] Enfin, un élément de preuve a été présenté selon lequel en mars 2007, la Compagnie a embauché trente-neuf (39) nouveaux chefs de train à Jasper et qu'un grand nombre de ces nouveaux chefs de train ont depuis été affectés. Par conséquent, il est raisonnable de conclure que la plaignante avait, à l'époque, une priorité d'ancienneté sur ces nouveaux chefs de train et qu'elle aurait été affectée à Jasper avant eux. Par conséquent, je conclus, au vu de cette preuve, que la plaignante aurait été affectée en mars 2007, et cette date est donc retenue pour son rétablissement. En ce qui a trait à son ancienneté, comme l'ancienneté continue même lorsqu'un employé est en mise à pied, elle continuera de s'accumuler comme s'il n'y avait jamais eu de rupture dans sa relation avec la Compagnie en juillet 2005.

(iii) Indemnité pour perte de salaire

[183] La plaignante demande une indemnité pour tout le salaire et les avantages qu'elle a perdus, en application de l'alinéa 53(2)c) de la LCDP. Compte tenu de ma conclusion au sujet de la date de rétablissement, j'ordonne que la plaignante soit indemnisée pour toute perte de salaire et d'avantages à partir du 1er mars 2007 jusqu'à ce jour. J'ordonne aux parties de calculer le montant du salaire en fonction de la formule prévue dans la convention collective. En ce qui a trait aux paiements supplémentaires qu'un chef de train peut recevoir, comme il serait difficile pour le Tribunal d'établir un montant, le Tribunal ordonne aux parties qu'elles établissent ce montant en examinant les montants supplémentaires qui ont été payés pendant cette période à un conducteur travaillant dans le terminal qui aurait une ancienneté semblable, en supposant que le chef de train n'avait pas d'absences inhabituelles. Par exemple, les parties pourraient tenir compte des paiements supplémentaires qui ont été payés à l'employé qui a été affecté à Jasper en mars 2006.

[184] En ce qui a trait à la question de l'atténuation des dommages, il ne fait aucun doute que la plaignante avait un devoir d'atténuation. Selon le témoignage de la plaignante, après son congédiement de la Compagnie en 2005, elle a travaillé à divers endroits, par exemple, comme serveuse dans un restaurant ou comme pourvoyeuse, mais elle n'a pas pu donner de liste précise de tous ses emplois. De façon surprenante, elle n'était pas en mesure de donner de montant pour son revenu au cours de ces années. Elle a dit qu'elle travaillait essentiellement pour les pourboires et qu'elle ne recevait pas de salaire ou qu'elle était payée en argent comptant. Elle a aussi ajouté qu'en raison du jeune âge de ses enfants, elle n'avait pas tenté de se trouver un autre emploi pendant cette période. Le témoignage de la plaignante au sujet de ses efforts pour atténuer ses dommages n'était pas très convaincant et, au mieux, montrait que, pendant cette période, elle n'avait pas déployé beaucoup d'efforts pour trouver un autre revenu.

[185] Par conséquent, je conclus qu'il serait raisonnable de réduire de trente pourcent (30 p. 100) le montant accordé pour perte de salaire.

(iv) Préjudice moral

[186] Le paragraphe 53(2) de la LCDP prévoit une indemnité pour le préjudice moral que la victime a subi en raison de la pratique discriminatoire, jusqu'à concurrence de 20 000 $.

[187] La plaignante a témoigné que toute la situation avait été [TRADUCTION] très troublante et qu'elle avait été [TRADUCTION] très bouleversée. Elle a ajouté : [TRADUCTION] J'avais perdu ma carrière. J'avais été repoussée parce que j'avais des enfants. Elle a déclaré qu'après avoir reçu la lettre de congédiement de juillet 2005, elle a été déprimée : [TRADUCTION] J'étais sous le choc et ça m'a beaucoup affectée. Ma famille a remarqué les changements. J'étais irritable. Je me sentais bafouée, comme si j'avais été traitée sans considération.

[188] Son mari a aussi témoigné qu'après son congédiement, la plaignante avait été [TRADUCTION] blessée, bouleversée et irritable.

[189] Aucune preuve médicale n'a été produite à l'appui de ces prétentions. Néanmoins, je conviens que le comportement et l'attitude nonchalante de la Compagnie envers la situation de la plaignante a été très troublant pour cette dernière et qu'elle a dû être bouleversée. Par conséquent, le Tribunal ordonne à la Compagnie de payer à la plaignante 15 000 $ en indemnité pour préjudice moral.

(v) Acte délibéré ou inconsidéré

[190] Le paragraphe 53(3) de la LCDP prévoit une indemnité supplémentaire lorsque la pratique discriminatoire de l'intimé a été délibérée ou inconsidérée, jusqu'à concurrence de 20 000 $.

[191] Je conviens que le comportement de la Compagnie en l'espèce a été inconsidéré. La Compagnie avait adopté une politique d'accommodement, dans les directives en matière d'accommodement, qui établit les procédures à suivre en ce qui a trait à un employé qui a besoin d'accommodement. Cette politique a clairement ciblé la situation de famille comme motif de discrimination. Pourtant, la Compagnie et les gestionnaires supérieurs qui ont agi dans cette affaire ont décidé qu'ils n'avaient pas à se préoccuper de la situation de famille et n'ont pas tenu compte de leurs responsabilités prévues par la politique. Ils n'ont fait aucun effort pour essayer de comprendre la situation de la plaignante. Ils n'ont pas tenu compte de ses lettres et ils ont choisi les motifs de discrimination pour lesquels ils devaient prendre des mesures d'accommodement et pour lesquels ils croyaient que de telles mesures n'étaient pas nécessaires. Ces actes, à mon avis, étaient inconsidérés.

[192] Le Tribunal ordonne à la Compagnie de payer à la plaignante la somme de 20 000 $ en indemnité spéciale au sens du paragraphe 53(3) de la Loi.

(vi) Dépens et intérêts.

[193] Dans ses conclusions finales, l'avocat de la plaignante a demandé que le Tribunal accorde les dépens. Depuis la fin de l'audience, la Cour d'appel fédérale a rendu une décision dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Mowat, 2009 CAF 309, dans lequel les questions à trancher étaient celles de savoir si le Tribunal a compétence pour accorder des dépens et si cette compétence relève de l'alinéa 53(2)c) de la Loi, qui autorise le Tribunal à indemniser un plaignant pour toutes les dépenses encourues en raison de l'acte discriminatoire.

[194] Après avoir analysé le Code des droits de la personne de diverses provinces, qui permettait d'accorder des dépens, et après avoir analysé l'intention du législateur, la Cour d'appel fédérale a conclu au paragraphe 95 :

La recherche vise à déterminer si le législateur voulait investir le Tribunal du pouvoir d'accorder des dépens au plaignant ayant gain de cause. Pour les motifs exposés ci dessus, je conclus que le législateur n'avait pas l'intention d'investir, et n'a pas investi, le Tribunal du pouvoir d'accorder des dépens. Conclure que le Tribunal peut accorder des dépens au titre des dépenses entraînées par l'acte aurait pour effet d'introduire indirectement dans la Loi un pouvoir qui ne correspondait pas à l'intention du législateur.

[195] Tenant compte de la décision de la Cour d'appel fédérale, le Tribunal ne peut pas accueillir la demande de la plaignante quant à l'ordonnance que la Compagnie lui paie ses dépens.

[196] En ce qui a trait aux intérêts, ils sont exigibles pour toutes les indemnités accordées dans la présente décision (paragraphe 53(4) de la LCDP). Il s'agit d'intérêts simples calculés annuellement, à un taux équivalant au taux d'escompte (données de fréquence mensuelle) établi par la Banque du Canada. En ce qui a trait à l'indemnité pour préjudice moral (alinéa 53(2)e) de la LCDP) et à l'indemnité spéciale (paragraphe 53(3)), les intérêts commenceront à courir à parti partir de la date de la plainte.

Signée par
Michel Doucet
OTTAWA (Ontario)

Le 29 septembre 2010

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1355/8508

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Denise Seeley c. La compagnie des chemins de fer nationaux du Canada

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 10 au 14 août 2009
Le 21 septembre 2009
Jasper (Alberta)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 29 septembre 2010

ONT COMPARU :

Simon Renouf

Pour la plaignante

Sheila Osborne-Brown

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Simon-Pierre Paquette

Johanne Cavé

Pour l'intimée

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