Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

SANDY CULIC

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

SOCIéTé CANADIENNE DES POSTES

l'intimée

MOTIFS DE DÉCISION

MEMBRE INSTRUCTEUR : Karen A. Jensen

2007 TCDP 1
2007/01/24

[TRADUCTION]

I. QUEL EST L'OBJET DE LA PRÉSENTE PLAINTE?

II. QUELS SONT LES FAITS QUI ONT DONNÉ LIEU AU DÉPÔT DE LA PLAINTE?

III. QUELLES SONT LES QUESTIONS EN LITIGE DANS LA PRÉSENTE PLAINTE?

IV. QUE DOIT-ON PROUVER DANS LA PRÉSENTE INSTANCE AFIN D'ÉTABLIR QU'IL Y A EU DISCRIMINATION?

V. QUELLES SONT LES ALLÉGATIONS RELATIVES À LA PREUVE PRIMA FACIE?

VI. LA PREMIÈRE PÉRIODE DE TEMPS : JUIN 2000 - OCTOBRE 2001.

A. L'ALLÉGATION NO 1 : Les questions répétées posées à Mme Lipp durant les réunions qui précédaient les quarts de travail quant à sa capacité d'exécuter des tâches constituaient une différence de traitement préjudiciable.

B. L'ALLÉGATION NO 2 - L'exigence que Mme Lipp produise des renseignements médicaux concernant sa capacité de travailler à temps plein comme commis des postes constituait une différence de traitement préjudiciable.

C. L'ALLÉGATION NO 3 - Les communications répétées et négatives entre Postes Canada et Mme Lipp concernant les restrictions de cette dernière et la production de renseignements médicaux étaient discriminatoires.

VII. LA DEUXIÈME PÉRIODE - MME LIPP DEMANDE À RETOURNER AU TRAVAIL

A. L'ALLÉGATION NO 4 - Le refus de permettre à Mme Lipp de retourner au travail tant qu'elle ne se serait pas soumise à l'EMI à Winnipeg était discriminatoire

B. L'ALLÉGATION NO 5 - L'imposition d'une suspension disciplinaire sans solde

VIII. QUELLE EST LA CONCLUSION DU TRIBUNAL QUANT À LA RESPONSABILITÉ?

IX. QUELLE EST LA MESURE DE REDRESSEMENT APPROPRIÉE?

A. Une ordonnance enjoignant à Postes Canada de réintégrer Mme Lipp dans ses fonctions

B. Une ordonnance enjoignant à Postes Canada de mettre fin à sa conduite discriminatoire et de s'occuper des facteurs sous-jacents et des effets de cette conduite

C. Indemnisation pour perte de salaire

D. Indemnisation pour préjudice moral

E. Indemnité spéciale - paragraphe 53(3) de la Loi

F. Lettre d'excuse

G. Les dépens

H. Les intérêts

I. QUEL EST L'OBJET DE LA PRÉSENTE PLAINTE?

[1] La présente plainte porte sur la question de savoir si Postes Canada a agi de façon discriminatoire à l'égard de Sandy Lipp (née Culic) en raison de sa déficience et de son sexe (grossesse) en 2000 et 2001 au Centre de traitement du courrier à Regina, et ce, en contravention de l'article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi)

II. QUELS SONT LES FAITS QUI ONT DONNÉ LIEU AU DÉPÔT DE LA PLAINTE?

[2] Sandy Lipp a commencé à travailler à temps partiel comme commis des postes à la Société canadienne des postes à Regina en 1991. Les commis des postes s'occupent de la tâche importante qui consiste à trier et à distribuer le courrier au Canada.

[3] En 1995 et 1997, Mme Lipp a subi des blessures dans la région du cou, de l'épaule et de la tête. En mars 2000, Postes Canada a reconnu dans une lettre qu'elle a envoyée à Mme Lipp que celle-ci souffrait d'une invalidité partielle permanente (IPP).

[4] Par suite de son état d'IPP, Mme Lipp s'est vu imposer certaines restrictions quant aux tâches qu'elle pouvait accomplir en tant que commis des postes. L'une de ces restrictions était que, d'ordinaire, elle ne pouvait travailler que six heures par jour.

[5] En juin 2000, Mme Lipp a posé sa candidature pour un poste à temps plein de commis des postes au troisième quart de travail, c'est-à-dire le quart du soir, au Centre de traitement du courrier. Les commis des postes à temps plein travaillent en général des quarts de travail de huit heures. Par conséquent, Postes Canada a exigé qu'on lui remette des documents médicaux établissant que Mme Lipp pouvait travailler sans aucun danger au-delà de la limite de six heures de travail mentionnée dans sa lettre d'IPP.

[6] Mme Lipp a produit des documents médicaux émanant de son médecin dans lesquels il était mentionné qu'elle pouvait travailler à temps plein (huit heures) sur des tâches modifiées. Postes Canada et Medisys, la société d'experts-conseils médicaux qui s'occupe des questions de santé et de sécurité au travail de Postes Canada, avaient des réserves quant à ces renseignements. Elles craignaient notamment que ces renseignements ne fournissaient pas une évaluation médicale objective quant aux restrictions et quant aux capacités de Mme Lipp.

[7] Malgré ses réserves, Postes Canada a accordé à Mme Lipp, en octobre 2000, le poste à temps plein du troisième quart de travail. On lui a permis d'occuper ce poste car les tâches de ce dernier avaient été modifiées.

[8] Postes Canada a toutefois dit à Mme Lipp qu'elle était toujours tenue de fournir d'autres documents médicaux concernant ses restrictions médicales. Par conséquent, pendant qu'elle occupait le poste à temps plein, on a demandé à Mme Lipp d'aller subir un examen médical indépendant (EMI) à Regina. En raison d'un malentendu quant à la date, Mme Lipp n'est pas allée subir l'EMI à Regina en avril 2001.

[9] Au cours du même mois, Mme Lipp a pris un congé d'invalidité. Elle fut diagnostiquée comme souffrant d'une dépression majeure ainsi que de troubles anxieux.

[10] À l'automne 2001, Mme Lipp a informé Postes Canada qu'elle était en bonne santé et qu'elle était prête à retourner au travail. Postes Canada lui a dit que, avant de retourner au travail, elle devrait subir deux examens médicaux indépendants à Winnipeg. L'un de ces EMI devait être effectué par un spécialiste des emplois et l'autre par un psychiatre.

[11] Mme Lipp était enceinte à l'époque et elle a dit à Postes Canada qu'elle ne pouvait pas se déplacer en raison des difficultés que lui causait sa grossesse. Elle a refusé de subir les EMI. Postes Canada lui a imposé une suspension disciplinaire sans solde parce qu'elle avait refusé de subir les EMI.

[12] Le 18 mars 2003, Mme Lipp a déposé une plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

[13] Mme Lipp a également déposé des griefs dans lesquels elle prétendait que Postes Canada avait violé la convention collective en accusant un retard déraisonnable à la réintégrer dans ses fonctions et en lui imposant une suspension disciplinaire sans solde. Le 16 avril 2004, un arbitre a rejeté les griefs de Mme Lipp (Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes c. La Société canadienne des postes (Re Culic) (16 avril 2004), Regina, Griefs du syndicat no 820-00-00046 et 00051 (Norman).

[14] Le 28 septembre 2005, la plainte en matière de droits de la personne déposée par Mme Lipp a été renvoyée au Tribunal. Postes Canada a par la suite déposé une requête demandant que la plainte soit rejetée sur le fondement du principe de la chose jugée. Le Tribunal a rejeté la requête de Postes Canada et a ordonné que l'on procède à l'instruction de la plainte (Culic c. Société canadienne des postes, 2006 TCDP 06).

III. QUELLES SONT LES QUESTIONS EN LITIGE DANS LA PRÉSENTE PLAINTE?

[15] Il n'a pas été contesté au cours de la présente instance que les problèmes de tête, de cou et d'épaule de Mme Lipp constituaient une déficience, et, constituaient, par conséquent, un motif de distinction illicite en vertu de la Loi. De même, il n'a pas été contesté que Mme Lipp était enceinte à l'automne 2001 et qu'un traitement différentiel en raison de sa grossesse constituait un traitement différentiel en raison du sexe.

[16] Au cours de l'audience, toutefois, on a soulevé la question de savoir si la plainte devait comprendre l'allégation que, en refusant de permettre à Mme Lipp de retourner au travail à l'automne 2001, Postes Canada a agi de façon discriminatoire à l'égard de Mme Lipp en raison de ses problèmes psychologiques ou de ses soi-disant problèmes psychologiques. Dans ses conclusions finales écrites, l'avocat de Postes Canada a mentionné qu'il ne s'opposait nullement à l'ajout de cette allégation dans la plainte. Par conséquent, je l'ai ajoutée aux allégations figurant dans la présente plainte.

[17] Au deuxième jour de l'audience, l'avocat de l'intimée a demandé à ce que la décision de l'arbitre soit déposée en preuve. J'ai décidé que cette décision était recevable pour le motif qu'elle était pertinente aux questions soulevées dans la plainte et que la jurisprudence l'étayait fortement (Ford Motor Co. of Canada c. Ontario (Commission des droits de la personne) (2001), 209 D.L.R. (4th) 465). J'ai toutefois déclaré que je reporterais au moment de la décision finale le prononcé de ma décision quant à savoir quelle importance j'accorderai aux conclusions de l'arbitre. Compte tenu que les conclusions de l'arbitre sont pertinentes à l'explication de Postes Canada quant à sa présumée conduite discriminatoire, je traiterai de l'importance que je leur ai accordées dans la partie de ma décision qui traite de l'explication de Postes Canada.

[18] Les questions en litige dans la présente instance sont donc les suivantes :

  1. Les exigences relatives à la production de renseignements médicaux quant à la déficience de Mme Lipp, notamment l'exigence que Mme Lipp subisse un EMI à Regina, étaient-elles discriminatoires;
  2. La manière selon laquelle Postes Canada formulait ses demandes de renseignements était-elle discriminatoire;
  3. L'exigence que Mme Lipp subisse deux EMI à Winnipeg avant de pouvoir retourner au travail à l'automne 2001 était-elle discriminatoire.

IV. QUE DOIT-ON PROUVER DANS LA PRÉSENTE INSTANCE AFIN D'ÉTABLIR QU'IL Y A EU DISCRIMINATION?

[19] Constitue un acte discriminatoire, s'il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects de refuser d'employer ou de continuer d'employer un individu ou de le défavoriser en cours d'emploi (La Loi, article 7).

[20] Il incombe d'abord au plaignant d'établir une preuve prima facie de discrimination. Dans l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears Ltd., [1985] 2 R.C.S. 536, paragraphe 28 (O'Malley), la Cour suprême du Canada énumère les règles fondamentales concernant l'établissement d'une preuve prima facie. La Cour a déclaré qu'une preuve prima facie est une preuve qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l'absence de réplique de l'intimé.

[21] Par conséquent, la question à laquelle on doit répondre en ce qui a trait à la preuve prima facie est la suivante : existe-t-il une preuve crédible étayant les allégations de Mme Lipp selon lesquelles elle a fait l'objet d'une différence de traitement préjudiciable, en contravention de l'alinéa 7b) de la Loi et (ou) on a refusé de l'employer ou de continuer de l'employer, en contravention de l'alinéa 7a) de la Loi?

[22] Si on répond à la question susmentionnée par l'affirmative, il revient alors à l'intimée de fournir une explication raisonnable qui démontre que la présumée conduite discriminatoire ne s'est pas produite ou que la conduite était d'une quelconque façon non discriminatoire. Si une explication raisonnable est fournie par l'intimée, il revient alors à la plaignante de démontrer que l'explication ne constitue qu'un prétexte et que le comportement de l'employeur était effectivement empreint de discrimination (Basi c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (no 1) (1988), 9 C.H.R.R. D/5029, paragraphe 38474 (T.C.D.P.)).

[23] La conduite peut être considérée comme étant non discriminatoire si, en conformité avec le paragraphe 15(1) de la Loi, il est établi qu'elle constituait une exigence professionnelle justifiée (EPJ). Le paragraphe 15(2) de la Loi prévoit que pour que la conduite soit considérée comme étant une exigence professionnelle justifiée, il doit être démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d'une personne constitueraient une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

V. QUELLES SONT LES ALLÉGATIONS RELATIVES À LA PREUVE PRIMA FACIE?

[24] Les allégations de Mme Lipp ont trait à deux périodes de temps distinctes. Le premier ensemble d'allégations a trait à la période de temps comprise entre juin 2000, lorsqu'elle a posé sa candidature pour un poste de commis des postes à temps plein au troisième quart de travail, et octobre 2001, lorsque son congé d'invalidité a pris fin. Mme Lipp a prétendu que la conduite suivante de la part de Postes Canada durant la première période de temps constituait une différence de traitement préjudiciable fondée sur sa déficience :

  1. Durant les réunions qui précédaient les quarts de travail, Postes Canada lui posait toujours des questions quant à sa capacité d'exécuter les tâches;
  2. Postes Canada exigeait qu'elle fournisse des renseignements médicaux concernant sa capacité à travailler à temps plein comme commis des postes et elle exigeait notamment qu'elle aille subir un EMI à Regina;
  3. Postes Canada lui envoyait souvent des lettres négatives à propos de ses restrictions et à propos de la production de renseignements médicaux concernant sa déficience.

[25] Le deuxième ensemble d'allégations a trait à la période de temps comprise entre octobre 2001, lorsque Mme Lipp a informé Postes Canada qu'elle voulait retourner au travail, et décembre 2001, lorsqu'on a imposé à Mme Lipp une suspension disciplinaire sans solde pour avoir refusé d'aller subir un EMI à Winnipeg. Mme Lipp prétend que la conduite suivante de la part de Postes Canada durant la deuxième période de temps constitue une différence de traitement préjudiciable fondée sur sa déficience et (ou) sa déficience perçue et (ou) son sexe :

  1. Postes Canada a refusé de lui permettre de retourner au travail à l'automne de 2001 tant qu'elle n'irait pas subir deux EMI à Winnipeg;
  2. Postes Canada lui a imposé une suspension disciplinaire sans solde.

VI. LA PREMIÈRE PÉRIODE DE TEMPS : JUIN 2000 - OCTOBRE 2001.

A. L'ALLÉGATION NO 1 : Les questions répétées posées à Mme Lipp durant les réunions qui précédaient les quarts de travail quant à sa capacité d'exécuter des tâches constituaient une différence de traitement préjudiciable.

[26] Lors de l'audience, Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, durant les réunions qui précédaient les quarts de travail, on lui posait toujours des questions quant à savoir si ses restrictions médicales l'empêchaient d'exécuter certaines tâches régulières. Les réunions qui ont lieu avant les quarts de travail durent environ de 10 à 15 minutes et sont animées par le chef de quart avant le début de chaque quart de travail. La preuve non contredite a établi que l'objet de ces réunions est l'attribution de tâches individuelles aux employés du quart de travail et la discussion de questions générales se rapportant au centre de traitement.

[27] Dans son argumentation finale, l'avocate de Mme Lipp a prétendu que les questions posées à cette dernière lors des réunions précédant les quarts de travail constituaient une différence de traitement préjudiciable fondée sur sa déficience. L'avocate de Mme Lipp a de plus prétendu que le processus par lequel les tâches étaient attribuées durant les réunions précédant les quarts de travail était discriminatoire parce que les calendriers de travail étaient générés par ordinateur et ne tenaient pas compte des limites fonctionnelles des employés. Par conséquent, de par sa nature même, le processus d'établissement du calendrier de travail des employés nécessitait que l'on pose des questions aux employés ayant une déficience à propos de leurs capacités et cela a entraîné une discrimination systémique contre les employés ayant une déficience.

[28] Postes Canada a soulevé des objections quant au fait que les questions susmentionnées ont été soulevées pour la première fois lors de l'audience. Elle a prétendu que le Tribunal devrait refuser de les traiter, compte tenu que leur divulgation tardive l'a privée d'une possibilité suffisante de répondre aux questions soulevées. L'avocat de Postes Canada a affirmé que s'il avait su que la question de la génération par ordinateur des calendriers de travail était en litige en l'espèce, il aurait présenté des éléments de preuve afin de traiter précisément de ce point. Si le Tribunal consentait à examiner cette allégation dans le cadre de la plainte, le fait que Postes Canada ait été incapable de présenter des éléments de preuve quant à cette question en raison de sa divulgation tardive lui causerait un préjudice important.

[29] Je souscris à la position de l'intimée sur cette question. Comme le Tribunal l'a déclaré dans Uzoaba c. Service correctionnel du Canada (1994), 26 C.H.R.R. D/361, lorsque l'on se penche sur la question de savoir si l'on doit examiner des allégations qui ne font pas partie de la plainte initiale, la principale question à trancher est celle qui consiste à savoir si l'intimé a reçu un avis suffisant des allégations qu'il devra réfuter, compte tenu des règles d'équité en matière de procédure. Des décisions subséquentes rendues par le Tribunal ont confirmé ce point (voir, par exemple, Parent c. Canada (Forces canadiennes 2005 TCDP 37).

[30] L'avocate de Mme Lipp a déclaré que le problème de l'interrogatoire effectué avant le quart de travail a été soulevé d'une manière générale dans le formulaire de plainte. Dans ce formulaire, Mme Lipp a déclaré que, en juillet 1996, son médecin était incapable de fixer une date à laquelle elle serait complètement rétablie et serait capable de retourner à ses tâches habituelles. Elle a ensuite déclaré ce qui suit : [traduction] Par la suite, la SCP me demandait à tous les mois, devant mes collègues, si j'avais toujours besoin de mesures d'accommodement et me demandait de demander à mon médecin de remplir et de soumettre les formulaires et les questionnaires de l'évaluation de l'aptitude physique au travail.

[31] Selon moi, l'allégation susmentionnée figurant dans le formulaire de plainte n'est pas assez précise pour constituer un avis à l'intimée que la question de l'interrogatoire effectué durant les réunions précédant le quart de travail et la question de la génération par ordinateur des calendriers de travail seraient soulevées lors de l'audience. Les éléments de preuve présentés durant l'audience indiquaient que les réunions précédant le quart de travail avaient lieu à tous les jours. Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, trois à quatre fois par semaine, lors des réunions précédant le quart de travail, on lui posait des questions sur sa capacité d'exécuter certaines tâches. Par conséquent, il me semble que la déclaration faite dans le formulaire de plainte ne renvoyait pas aux allégations relatives aux questions posées avant le quart de travail ou aux calendriers de travail générés par ordinateur.

[32] De plus, je n'ai pu trouver dans les documents préalables à l'audience aucun autre renvoi aux questions posées avant le quart de travail ou au calendrier de travail. En préparation pour l'audience, la plaignante a fourni un exposé des précisions superficiel. L'intimée a demandé des précisions additionnelles. Elles n'ont pas été fournies.

[33] Le paragraphe 9(3) des Règles de procédure du Tribunal prévoit que, à défaut d'obtenir l'autorisation du Tribunal, les parties ne peuvent pas soulever au cours de l'audience des questions ou présenter des éléments de preuve qui n'ont pas été divulgués avant l'audience. Lors de l'audience, l'avocat de l'intimée n'a soulevé aucune objection quant à l'admission de la preuve sur cette question. Toutefois, lorsque l'avocate de la plaignante a formulé l'allégation pour la première fois dans ses conclusions finales que le processus de l'établissement du calendrier de travail et l'interrogatoire effectué avant le quart de travail étaient discriminatoires, l'avocat de l'intimée a soulevé des objections. Je crois qu'il est juste d'affirmer que ce n'est peut-être pas avant les conclusions finales que l'avocat de l'intimée a su quelle utilisation on ferait de la preuve sur ces points.

[34] L'intimée a subi un préjudice à la suite du défaut de la part de la plaignante de soulever, avant l'audience, la question de l'interrogatoire effectué avant le quart de travail et la question de l'allégation de discrimination systémique fondée sur le processus d'établissement du calendrier de travail. Comme l'avocate l'a elle-même affirmé, Postes Canada n'a fourni aucun élément de preuve quant au processus d'établissement du calendrier de travail et, en particulier, elle n'a fourni aucun élément de preuve quant aux contraintes excessives qui seraient occasionnées par une modification du programme d'ordinateur qui permettrait de rendre l'interrogatoire inutile. L'intimée n'a pas reçu un avis suffisant qu'il était nécessaire de produire un tel élément de preuve.

[35] Par conséquent, je considérerai que les allégations relatives à l'interrogatoire effectué avant le quart de travail et à la discrimination systémique fondée sur le processus d'établissement du calendrier ne font pas partie de la plainte.

B. L'ALLÉGATION NO 2 - L'exigence que Mme Lipp produise des renseignements médicaux concernant sa capacité de travailler à temps plein comme commis des postes constituait une différence de traitement préjudiciable.

[36] Mme Lipp a reconnu que lorsqu'elle a postulé pour un poste à temps plein de commis des postes en juin 2000, Postes Canada avait le droit de lui demander des assurances de la part de son médecin selon lesquelles elle était capable d'accomplir en toute sécurité les tâches d'un poste à temps plein de commis des postes. Toutefois, le 29 juin 2000, lorsque le médecin a écrit un billet mentionnant que Mme Lipp était apte à effectuer des tâches légères pendant un quart de travail de huit heures, l'exigence de production de renseignements médicaux supplémentaires aurait dû, selon Mme Lipp, prendre fin.

[37] Mme Lipp a prétendu que Postes Canada disposait suffisamment de renseignements confirmant la validité des renseignements fournis dans le billet du médecin. En particulier, Postes Canada a affecté Mme Lipp au poste à temps plein. Celle-ci a occupé ce poste pendant six mois. Ce geste, selon elle, démontre qu'elle était capable de travailler à temps plein selon un régime de tâches modifiées. Par conséquent, l'insistance que Mme Lipp produise des renseignements médicaux supplémentaires et aille subir un EMI à Regina était déraisonnable et imposait à Mme Lipp un fardeau que n'avait pas à supporter les autres employés qui occupaient des postes à temps plein.

(1) Existe-t-il une preuve crédible étayant l'allégation susmentionnée ?

[38] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que lorsqu'un poste de commis des postes à temps plein est apparu sur le troisième quart de travail, elle a posé sa candidature quant à celui-ci. Selon la convention collective, en tant que commis des postes à temps partiel de rang le plus élevé, elle avait droit au poste. Toutefois, Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, après qu'elle eut posé sa candidature pour le poste, le directeur du troisième quart de travail, M. David Slater lui a dit qu'elle ne pouvait pas obtenir ce poste parce que Postes Canada avait besoin d'une personne qui était capable d'exécuter l'ensemble des tâches du quart de travail à temps plein. Elle a affirmé dans son témoignage que M. Slater lui a dit de se procurer un billet du médecin mentionnant qu'elle était capable d'accomplir le quart de travail de huit heures.

[39] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que c'est ce qu'elle a fait. Elle a produit un billet émanant de son médecin, le Dr Chooi, mentionnant que, à compter du 29 juin, elle pouvait passer du [traduction] travail à temps partiel au travail à temps complet (8 heures par jour) à tâches réduites.

[40] Un mois après qu'elle eut produit le billet du médecin, Medisys a informé Mme Lipp qu'elle avait besoin de plus de renseignements que ceux qui figuraient dans le billet. Medisys a demandé à Mme Lipp de remettre à son médecin un ensemble de questions formulées par une médecin de Medisys, la Dr Lori Koz. Cet ensemble de questions s'appelle une Saisie de renseignements médicaux (SRM). Mme Lipp devait remettre la SRM à Medisys au plus tard le 31 août 2000.

[41] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle ne comprenait pas pourquoi elle devait produire des renseignements supplémentaires à propos de sa capacité à travailler à temps plein. Elle a affirmé dans son témoignage que, avant de poser sa candidature pour le poste à temps plein, elle avait travaillé à plusieurs occasions pendant des quarts de travail de huit heures, et ce, malgré la limite de six heures de travail qui lui avait été imposée. C'était parce que Postes Canada lui avait offert des heures supplémentaires ou parce qu'elle lui avait fixé des quarts de travail de huit heures.

[42] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle a écrit à M. Slater une lettre datée du 21 août 2000 dans laquelle elle lui demandait pourquoi elle devait faire remplir une SRM. Elle a demandé à M. Slater si Postes Canada avait tenu compte du fait qu'en ayant régulièrement travaillé pendant des quarts de travail de huit heures alors qu'elle était censée travailler à temps partiel, elle avait démontré qu'elle était capable de travailler pendant des quarts de travail de huit heures.

[43] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle n'a reçu aucune réponse à ses questions. Toutefois, elle a fait remplir le SRM par son médecin, le Dr Chooi.

[44] Dans sa lettre de présentation au Dr Chooi, la Dr Koz a déclaré qu'il y aurait un certain nombre de tâches comprises dans le poste de commis des postes que Mme Lipp ne pourrait pas accomplir si elle était limitée à effectuer des tâches légères. La Dr Koz a mentionné que Postes Canada désirait obtenir des éclaircissements quant à savoir quels facteurs avaient changé de telle sorte que Mme Lipp était maintenant capable d'augmenter son nombre d'heures de travail, mais n'était pas capable d'accomplir des tâches plus lourdes, notamment la tâche qui consiste à trier le courrier surdimensionné. La Dr Koz a déclaré dans sa lettre que Postes Canada désirait établir si Mme Lipp était capable de participer à un plan de retour graduel au travail et d'accomplir toutes les tâches d'un commis des postes à temps plein.

[45] Dans sa réponse aux questions posées par la Dr Koz dans la SRM, le Dr Chooi a mentionné que Mme Lipp avait besoin de travailler à temps plein afin de gagner assez d'argent pour lui permettre de maîtriser sa situation financière. Il a mentionné que Mme Lipp ne pouvait pas trier le courrier surdimensionné et qu'elle avait atteint son amélioration médicale maximum. Le Dr Chooi a également mentionné qu'il estimait que Mme Lipp subirait un dommage physique si elle effectuait un retour graduel au travail.

[46] Les renseignements de la SRM ont été fournis à Medisys. Medisys a examiné les renseignements de la SRM et les a évalués à la lumière du dossier médical de Mme Lipp. Medisys a ensuite fourni ce que l'on appelle un Rapport d'enquête à Postes Canada. Des éléments de preuve non contredits ont établi que les Rapports d'enquête visent à protéger la vie privée de l'employé en ne fournissant à Postes Canada que les renseignements nécessaires pour que celle-ci puisse fournir les accommodements appropriés en milieu de travail ou répondre à des problèmes d'ordre médical qui ont été soulevés par l'employé.

[47] Dans un Rapport d'enquête daté du 20 septembre 2000, la Dr Lori Koz, de Medisys, a mentionné que les renseignements fournis par le Dr Chooi concordaient avec les renseignements antérieurs figurant au dossier. La Dr Koz a de plus déclaré que, compte tenu que Mme Lipp souffrait de cet état depuis un certain nombre d'années, la possibilité qu'il y ait un changement important dans ses restrictions à ce moment-là était mince. Elle a déclaré qu'il serait donc peut-être bon que Mme Lipp subisse un EMI.

[48] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, le 1er octobre 2000, elle a été affectée au poste à temps plein au troisième quart de travail. Elle a affirmé dans son témoignage que personne, à Postes Canada ou à Medisys, n'avait mentionné que son affectation à un poste à temps plein dépendait de la production de renseignements médicaux supplémentaires.

[49] Néanmoins, le 18 octobre 2000, Mme Lipp a été informée qu'elle devait aller subir un examen médical indépendant (EMI), à Winnipeg, le 30 octobre 2000.

[50] M. Keith Jeworski, président de la section locale de Regina du Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes, a affirmé dans son témoignage que l'alinéa 33.10c) de la convention collective prévoyait que Postes Canada pouvait exiger qu'un examen médical indépendant soit effectué par un médecin choisi par elle. Toutefois, M. Jeworski a affirmé dans son témoignage que, à cette époque, les demandes d'EMI étaient très rares à Regina. Avant le cas de Mme Lipp, Postes Canada, à sa connaissance, n'avait jamais présenté aucune demande d'EMI.

[51] Mme Lipp a demandé à Postes Canada de réexaminer la décision de l'envoyer subir un EMI à Winnipeg. Elle était malade en avion et il lui était pénible de voyager sur les autoroutes parce que son premier mari s'était tué dans un accident sur l'Autoroute 1.

[52] Postes Canada a accueilli la demande de Mme Lipp de ne pas se rendre à Winnipeg et a accepté de fixer la tenue de l'EMI à une date ultérieure à Regina. Dans la lettre informant Mme Lipp que le rendez-vous serait fixé à une autre date, M. Dale Hippe, la directrice du Service du courrier, a déclaré que la capacité de Postes Canada à accommoder Mme Lipp dans un poste permanent à tâches modifiées et particulièrement à l'accommoder en ce qui avait trait à son [traduction] passage imminent au statut d'employée à temps plein dépendait de la compréhension de ses limitations physiques ainsi que de l'incidence de ces limitations sur les activités de Postes Canada ainsi que sur les collègues de travail de Mme Lipp.

[53] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle a occupé le poste à temps plein à tâches modifiées jusqu'au 2 avril 2001. Elle a affirmé dans son témoignage qu'elle n'a eu aucune difficulté à exécuter les tâches modifiées de son poste. Elle n'a pris aucun congé de maladie ou quelque autre congé que ce soit en raison de problèmes occasionnés par le fait qu'elle travaillait à temps plein.

[54] Le ou vers le 22 mars 2001, Mme Lipp a été informée qu'elle devait aller subir un EMI à Regina le 2 avril 2001, lequel EMI serait effectué par le Dr Milo Fink. Toutefois, Mme Lipp et M. Jeworski ont affirmé dans leur témoignage que, en raison d'une confusion quant à une proposition de modification de la date fixée pour le rendez-vous, Mme Lipp n'est pas allée subir l'EMI. Mme Lipp est par la suite partie en congé de maladie. Elle a affirmé dans son témoignage que, pendant qu'elle était en congé de maladie, elle a subi, le 30 juillet 2001, un EMI qu'elle avait reporté après avoir manqué celui d'avril. Toutefois, lorsqu'elle s'est rendue au rendez-vous, elle a appris que celui-ci avait été annulé à son insu.

[55] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle avait subi un grand stress émotionnel à la suite des demandes voulant qu'elle produise des renseignements médicaux et des demandes voulant qu'elle se rende à des rendez-vous. Elle a affirmé dans son témoignage qu'il lui était difficile d'organiser les rendez-vous et de prévoir le temps nécessaire pour s'y rendre. Elle éprouvait du stress à chaque fois qu'elle recevait une lettre exigeant qu'elle fournisse davantage de renseignements médicaux. Elle comprenait qu'il était nécessaire qu'elle fournisse des renseignements médicaux à propos de son incapacité mais elle estimait que Postes Canada lui demandait des renseignements médicaux qui n'étaient pas nécessaires.

(2) Les conclusions du Tribunal quant à la preuve prima facie de l'allégation no 2

[56] Pour les motifs qui suivent, je conclus que Mme Lipp a établi prima facie que l'insistance de la part de Postes Canada qu'elle aille subir un EMI à Regina constituait une différence de traitement préjudiciable fondée sur son incapacité.

[57] Bien que le témoignage rendu par Mme Lipp tout au long de l'audience n'a pas toujours été tout à fait crédible, j'estime que les renseignements qu'elle a fournis à propos des allégations susmentionnées étaient crédibles. Par exemple, son témoignage selon lequel elle avait travaillé pendant des quarts de travail de huit heures à de nombreuses reprises avant de poser sa candidature pour le poste à temps plein a été confirmé ultérieurement par un témoignage fourni par M. Slater dans lequel celui-ci a mentionné que, entre mars et juin 2000, Mme Lipp avait travaillé à 22 reprises au quart de travail de huit heures. Son témoignage concernant les allégations susmentionnées a été logique, direct et ne comprenait aucun embellissement.

[58] Mme Lipp a produit des renseignements médicaux faisant état qu'elle était capable de travailler à temps plein, mais qu'elle ne pouvait pas accomplir des tâches plus exigeantes que les tâches modifiées qu'elle exécutait. Postes Canada a alors permis à Mme Lipp d'occuper, avec tâches modifiées, le poste à temps plein. Mme Lipp a travaillé à temps plein pendant 6 mois jusqu'à ce qu'elle parte en congé. Rien n'indiquait que Mme Lipp éprouvait des difficultés à exécuter les tâches modifiées d'un poste à temps plein de commis des postes.

[59] Malgré le fait que Mme Lipp accomplissait à temps plein des tâches modifiées, Postes Canada a continué d'exiger qu'elle produise des renseignements médicaux supplémentaires pour établir qu'elle était capable de faire le travail. Mme Lipp a souffert d'un stress émotif important lorsqu'elle a reçu les demandes voulant qu'elle produise des renseignements supplémentaires et les demandes voulant qu'elle se présente à un rendez-vous car celles-ci étaient formulées d'une manière qui laissait planer un doute quant à la sécurité de son emploi. De plus, il était difficile pour Mme Lipp de produire les renseignements et de se rendre aux rendez-vous.

[60] J'estime que Mme Lipp a établi prima facie que les demande répétées de Postes Canada qu'elle établisse sa capacité à travailler à temps plein constituait une différence de traitement préjudiciable. Mme Lipp était traitée différemment des employés n'ayant aucune déficience en ce sens que la sécurité de son emploi à temps plein était conditionnelle à la satisfaction, d'une manière jugée acceptable par Postes Canada, aux demandes de production de renseignements médicaux satisfaisants à propos de son incapacité. Compte tenu que les demandes découlaient de la préoccupation exprimée par Postes Canada que l'incapacité de Mme Lipp pourrait empêcher celle-ci d'exécuter les tâches d'un poste de commis des postes à temps plein, j'estime que la différence de traitement préjudiciable de la part de Postes Canada à l'égard de Mme Lipp était fondée sur le fait que celle-ci avait une déficience.

(3) Postes Canada a-t-elle une explication raisonnable à fournir quant à sa pratique par ailleurs discriminatoire?

[61] Dès que la preuve prima facie a été établie, il incombe à l'intimé de fournir une explication raisonnable qui démontre que la conduite discriminatoire ne s'est pas produite tel qu'il a été allégué ou que la conduite était, d'une certaine façon, non discriminatoire. La conduite discriminatoire peut être jugée non discriminatoire si, en conformité avec le paragraphe 15(1) de la Loi, il est établi qu'elle constituait une exigence professionnelle justifiée (EPJ).

[62] Postes Canada a prétendu que l'exigence voulant que Mme Lipp subisse un EMI était une exigence professionnelle justifiée. Afin d'établir cette affirmation, Postes Canada doit démontrer que la prise de mesures d'accommodement quant à l'emploi à temps plein de Mme Lipp, en l'absence des renseignements fournis par l'EMI, lui imposerait une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité (paragraphe 15(2) de la Loi).

[63] En décidant si l'existence d'une EPJ a été établie, il est utile de se rappeler les principes énoncés par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. B.C.G.S.E.U., [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin) et Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868 (Grismer)).

(4) La preuve étaye-t-elle l'allégation que l'exigence que Mme Lipp subisse un EMI constituait une exigence professionnelle justifiée?

[64] M. Slater et M. Hippe ont témoigné à propos des événements qui ont mené à la décision d'exiger que Mme Lipp subisse un EMI. M. Slater a témoigné de manière directe et a franchement reconnu qu'il ne se souvenait pas très bien des événements. Il a prononcé à plusieurs reprises les mots [traduction] nous aurions ou j'aurais avant de fournir son témoignage à propos de ce qui, selon lui, s'était produit. Par conséquent, j'ai accordé moins d'importance à son témoignage quant à certaines questions parce qu'il ne se souvenait pas très bien des événements et qu'il semblait que, parfois, il tentait, à partir de son examen des documents durant l'audience, de reconstituer ce qu'il avait fait. Toutefois, j'ai été impressionné par le fait que M. Slater a franchement admis à certains moments qu'il existait certains problèmes quant à la façon dont Postes Canada avait mené les choses. De plus, il n'a pas semblé exagérer ou embellir les renseignements qu'il a fournis. N'eût été du fait que sa mémoire des événements était faible, j'aurais accordé beaucoup d'importance à son témoignage.

[65] La mémoire des événements de M. Hippe était un peu meilleure que celle de M. Slater même si celui-ci avait moins participé aux événements. Lui aussi a témoigné d'une manière directe et franche. Son témoignage quant aux événements de cette époque a été cohérent en lui-même et a bien résisté au contre-interrogatoire.

[66] J'estime que, selon la prépondérance des probabilités et pour les motifs qui suivent, l'exigence que Mme Lipp produise des renseignements médicaux additionnels par le biais d'un EMI et qu'elle subisse un EMI à Regina constituait une exigence professionnelle justifiée.

a) L'exigence de production de renseignements médicaux par le biais d'une saisie de renseignements médicaux (SRM) et d'un EMI est rationnellement liée aux fonctions du poste.

[67] La première étape à franchir pour évaluer si l'employeur a réussi à établir une défense d'EPJ consiste à identifier l'objet général de la norme contestée et à décider si celui-ci est rationnellement lié à l'exécution du travail en cause (Meiorin, précité, paragraphe 57). À ce stade-ci, l'accent doit être mis non pas sur la validité de la norme particulière en litige, mais plutôt sur la validité de l'objet général.

[68] Selon les témoignages de M. Hippe et de M. Slater, Postes Canada a exigé des renseignements médicaux objectifs à propos des restrictions d'ordre médical pour les raisons suivantes : (1) afin qu'elle puisse voir à ce que les employés soient capables d'accomplir de façon sécuritaire les tâches de leur poste; (2) afin qu'elle puisse accommoder comme il se doit les employés ayant une déficience; (3) afin qu'elle puisse maximiser le nombre et la variété des tâches que peuvent accomplir les employés ayant une déficience dans les limites de leurs restrictions.

[69] M. Slater a affirmé dans son témoignage que Postes Canada exige la production de renseignements médicaux objectifs concis de la part des employés qui ont une déficience ou qui souffrent de blessures afin de lui permettre de voir à ce qu'ils travaillent de façon sécuritaire et productive dans les limites de leurs restrictions.

[70] En ce qui a trait au troisième objet, M. Hippe a affirmé dans son témoignage que Postes Canada exige que les employés fournissent des renseignements médicaux à jour à toutes les fois qu'ils occupent un nouveau poste ou qu'il y a un changement dans leurs restrictions de telle sorte qu'elle puisse établir quelle est la meilleure façon de maximiser le travail potentiel que les employés peuvent accomplir dans les limites de leurs restrictions. Les renseignements médicaux concernant les restrictions d'un employé permettent à Postes Canada d'établir comment elle peut atteindre l'objectif d'efficacité et de productivité en milieu de travail sans compromettre la sécurité et le bien-être de l'employé ou des autres employés.

[71] Compte tenu de la preuve susmentionnée, je suis convaincu que l'exigence de production de renseignements médicaux est rationnellement liée aux objectifs de sécurité, d'accommodement et de productivité des employés. De plus, je suis convaincu que les trois objectifs sont valides. Postes Canada est tenue de voir à ce que l'objectif de productivité et d'efficacité des employés soient atteint sans compromettre son obligation d'accommodement des employés ayant une déficience et sans compromettre la sécurité et la santé des employés. Pour ce faire, Postes Canada exige la production de renseignements médicaux à jour sur les restrictions des employés lorsqu'il y a des changements quant aux restrictions ou quant aux tâches.

b) Postes Canada a exigé la production de renseignements médicaux supplémentaires, notamment par le biais de l'EMI, en croyant sincèrement que cela était nécessaire afin d'atteindre les objectifs susmentionnés.

[72] Une fois établie la légitimité de l'objet plus général visé par l'employeur, ce dernier doit franchir la deuxième étape qui consiste à démontrer qu'il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu'elle était nécessaire à la réalisation de son objet, et sans qu'il ait eu l'intention de faire preuve de discrimination envers le demandeur (Meiorin, précité, paragraphe 60). À cette étape de l'analyse de l'EPJ, l'accent doit être mis sur la preuve relative à la subjectivité des points de vue de l'intimé en ce qui a trait à la norme particulière, laquelle est en l'espèce l'exigence de production de renseignements médicaux supplémentaires.

[73] La preuve a établi que Postes Canada a formulé l'exigence que Mme Lipp produise des renseignements médicaux supplémentaires et subisse un EMI à Regina en croyant sincèrement que cela était nécessaire pour atteindre les objectifs susmentionnés.

[74] M. Slater et M. Hippe ont affirmé dans leur témoignage que, ni le billet émanant du médecin de Mme Lipp, ni le Rapport d'enquête émanant du Dr Koz, ne leur a procuré les renseignements médicaux clairs, objectifs dont ils avaient besoin afin de voir à ce que Mme Lipp fasse l'objet de mesures d'accommodement sécuritaires dans le cadre du poste à temps plein.

[75] Le Rapport d'enquête émanant du Dr Koz , de Medisys, daté du 20 septembre 2000, faisait état qu'un nombre important des problèmes d'ordre médical de Mme Lipp étaient fondés sur des renseignements subjectifs que celle-ci a fournis à son médecin. La Dr Koz s'est demandée s'il était possible qu'il y ait un changement important dans l'état de Mme Lipp, compte tenu que celle-ci travaillait en fonction de restrictions médicales depuis un certain nombre d'années. La Dr Koz a déclaré qu'il serait peut-être utile qu'un EMI soit effectué avant que l'on analyse de façon définitive de quelle manière on pourrait accommoder Mme Lipp chez Postes Canada.

[76] M. Hippe a affirmé dans son témoignage que le Rapport d'enquête de Medisys aurait fait l'objet d'une discussion lors d'une réunion hebdomadaire de gestion des cas avec les directeurs. Il a déclaré que, suite au Rapport d'enquête, il doutait que, même avec les résultats de l'ARM, Postes Canada disposait des renseignements suffisants pour pouvoir accommoder Mme Lipp quant au poste à temps plein.

[77] M. Slater a franchement reconnu qu'il était inhabituel d'exiger qu'un employé produise d'autres renseignements médicaux une fois qu'il occupe un poste. Toutefois, selon M. Slater, Postes Canada a continué d'être préoccupée par la capacité à long terme de Mme Lipp à travailler au-delà de la limite de 6 heures qui lui avait été imposée. C'est pourquoi Postes Canada lui a demandé de subir un EMI, même si elle occupait le poste à temps plein depuis six mois.

[78] J'estime que Postes Canada a exigé la production de renseignements médicaux supplémentaires, notamment par le biais de l'EMI en croyant sincèrement que cela était nécessaire afin d'atteindre l'objectif consistant à accommoder Mme Lipp de façon sécuritaire afin qu'elle puisse faire un travail productif.

c) L'exigence de production de renseignements médicaux était raisonnablement nécessaire eu égard à la santé et à la sécurité.

[79] La dernière étape qu'il faut franchir pour décider si l'exigence de production de renseignements additionnels constitue une EPJ exige que Postes Canada démontre que cette mesure était raisonnablement nécessaire pour atteindre les objectifs mentionnés à l'étape no 1. Pour ce faire, Postes Canada doit établir qu'elle n'était pas capable d'accommoder Mme Lipp sans subir une contrainte excessive.

[80] Mme Lipp a prétendu que Postes Canada détenait tous les renseignements dont elle avait besoin pour établir qu'elle pouvait travailler à temps plein, en toute sécurité, à des tâches modifiées. Elle a donc prétendu que la prise de mesures d'accommodement à son égard quant au poste, en l'absence des renseignements fournis par le biais de l'ARM et de l'EMI, n'aurait imposé aucune contrainte excessive à Postes Canada.

[81] Postes Canada a prétendu qu'elle était tenue de voir à ce que la santé et la sécurité de Mme Lipp ne soit pas compromise par le fait de travailler plus que ce qui lui est permis. Elle a de plus prétendu que les risques pour la santé et la sécurité créés en permettant à Mme Lipp de conserver son poste à temps plein en l'absence des renseignements fournis par le biais de l'ARM et de l'EMI pourraient imposer une contrainte excessive à Postes Canada. Je souscris à cet argument, et ce, pour les raisons qui suivent.

[82] L'article 124 du Code canadien du travail prévoit que l'employeur doit veiller à la protection de ses employés en matière de santé et de sécurité au travail (L.R.C. 1985, ch. L-2, article 124). La jurisprudence mentionne de plus que lorsqu'il affecte un employé à un autre poste, un employeur a non seulement le droit, mais il a également l'obligation d'obtenir des renseignements médicaux raisonnablement complets à propos de l'état de l'employé afin de voir à ce que celui-ci puisse exécuter en toute sécurité les tâches de son poste (Metropolitan Toronto (Municipality) et C.U.P.E., Loc. 43, Re (1991), 22 L.A.C. (4e) 216; Belliveau c. Steel Co. of Canada [1988] O.H.R.B.I.D. no 11 (Q.L.), paragraphe 51; Mazuelos c. Clark 2000 BCHRT 1, paragraphe 46).

[83] Lorsque l'employé demande une modification de sa tâche, il a l'obligation correspondante de collaborer en fournissant les renseignements exigés (La Société canadienne des postes et Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (Grief Reniak) (1998), 73 L.A.C. (4e) 15). Dans la mesure où les renseignements médicaux fournis par l'employé sont inadéquats aux fins de la protection de sa santé et de sa sécurité, un employeur a le droit de faire d'autres enquêtes.

[84] La preuve en l'espèce indique que le travail effectué par les commis des postes peut être répétitif et exigeant sur le plan physique. M. Hippe a également affirmé dans son témoignage que l'on est plus exigeant envers les commis des postes à temps plein; ceux-ci travaillent de plus longues heures que les commis à temps partiel et on s'attend à ce qu'ils accomplissent un plus grand éventail de tâches. M. Slater a expliqué que Postes Canada a permuté les employés dans le plus grand nombre possible d'emplois différents dans le traitement du courrier afin de voir à ce que tous les employés effectuent un bon éventail de tâches, et ce, afin d'éviter les problèmes de microtraumatismes répétés. Il a affirmé dans son témoignage que les microtraumatismes répétés constituaient un problème à Postes Canada.

[85] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que ses blessures étaient liées à des problèmes de coiffe des rotateurs, de fibromyalgie et de dégénérescence de la colonne cervicale. M. Slater a déclaré que, compte tenu des problèmes de santé de Mme Lipp, on craignait que si elle travaillait plus de six heures pendant une longue période de temps, cela réduirait à néant la limite de 6 heures et exposerait Mme Lipp à des risques. Le fait que Mme Lipp ait occupé le poste à temps plein pendant 6 mois n'a pas eu pour effet de dissiper les préoccupations de M. Slater quant à l'incidence à long terme du travail à temps plein sur Mme Lipp. Si jamais Mme Lipp se blessait au travail parce qu'elle a travaillé au-delà de ses capacités physiques, Postes Canada serait tenue responsable des conséquences.

[86] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, lorsqu'elle travaillait à temps plein, elle devenait fatiguée et épuisée. Bien qu'elle ait affirmé dans son témoignage qu'elle n'a pris aucun congé de maladie, ni aucun congé sans solde au cours de la période pendant laquelle elle a travaillé à temps plein, M. Hippe a affirmé dans son témoignage que Postes Canada redoutait que cela se produise. Par conséquent, Postes Canada avait besoin de renseignements supplémentaires à propos des restrictions de Mme Lipp, de telle sorte que les problèmes à long terme de cette dernière pourraient être évités.

[87] Le billet du médecin qui a été remis au départ à Postes Canada faisait tout simplement état que Mme Lipp était capable de travailler à des tâches légères pendant des quarts de travail complets (8 heures). M. Hippe a affirmé dans son témoignage que le billet ne comprenait aucune explication quant aux facteurs qui avaient pu changer de telle sorte que Mme Lipp puisse travailler à temps plein sans courir aucun risque. Postes Canada avait des inquiétudes quant à la signification de l'expression tâches légères et quant à savoir si on pouvait demander à Mme Lipp de travailler plus de 8 heures par jour comme on le demandait parfois aux employés à temps plein. Compte tenu de ces préoccupations, Postes Canada a demandé à Mme Lipp de demander à son médecin de remplir un questionnaire d'ARM.

[88] Les réponses du médecin aux questions figurant dans l'ARM n'étaient pas particulièrement utiles. Lorsqu'on lui a demandé quels facteurs avaient changé pour que l'on puisse permettre à Mme Lipp d'augmenter son nombre d'heures de travail à huit heures, le Dr Chooi a répondu que Mme Lipp avait besoin de travailler à temps plein afin d'obtenir une rémunération qui lui permettrait de maîtriser sa situation financière. Elle était devenue veuve et avait de la difficulté à prendre soin d'elle-même. La déclaration du médecin selon laquelle Mme Lipp avait besoin de travailler à temps plein ne répondait pas à la question de savoir quels changements s'étaient produits dans son état physique entre mars 2000 et octobre 2000, de telle sorte qu'on puisse lui permettre de travailler plus d'heures que la limite de 6 heures fixée en mars 2000.

[89] Sur la foi des réponses du Dr Chooi, Medisys a remis à Postes Canada, en septembre 2000, un Rapport d'enquête qui donnait à penser que la tenue d'un EMI pourrait permettre d'obtenir les renseignements objectifs dont Postes Canada avait besoin pour répondre à la question susmentionnée ainsi qu'aux autres questions concernant les restrictions de Mme Lipp.

[90] Compte tenu de la nature du travail qui est effectué par les commis des postes, de la nature des problèmes d'ordre médical de Mme Lipp ainsi que des restrictions récemment établies, je suis convaincu qu'il était légitime que Postes Canada soit préoccupée quant à l'accommodement à long terme, en toute sécurité, de Mme Lipp dans le cadre du poste à temps plein de commis des postes. Les renseignements fournis dans le billet du médecin de Mme Lipp et dans l'ARM ne répondaient pas aux préoccupations de Postes Canada. Postes Canada était tenue de voir à ce Mme Lipp ne soit pas placée dans une situation où elle pourrait se blesser.

[91] Existaient-ils des moyens autres que l'EMI qui auraient pu être utilisés afin d'obtenir les renseignements dont Postes Canada avait besoin afin de protéger la santé et d'assurer la sécurité de Mme Lipp. M. Hippe et M. Slater ont affirmé dans leurs témoignages que le processus visant à obtenir des renseignements médicaux est le suivant : un billet du médecin est fourni par l'employé; si des renseignements supplémentaires sont exigés concernant les restrictions de l'employé, on demande à celui-ci de demander à son médecin de remplir une Évaluation de l'aptitude physique au travail (EAPT); si ces renseignements sont incomplets ou insatisfaisants, on demande au même médecin de remplir une ARM, laquelle consiste en une série de questions concernant les problèmes d'ordre médical et les restrictions de l'employé; si les renseignements figurant dans l'ARM ne fournissent pas les renseignements clairs et objectifs dont on a besoin pour accommoder l'employé comme il se doit, la tenue d'un EMI est exigée. M. Hippe a affirmé dans son témoignage que, à sa connaissance, dès qu'un ARM et un EAPT ont été fournis, l'EMI est le dernier moyen dont on dispose pour obtenir des renseignements médicaux objectifs lorsque les renseignements fournis par le médecin de l'employé sont insuffisants.

[92] J'accepte que, durant la première période de temps, Postes Canada et Medisys ont d'abord examiné et épuisé tous les moyens possibles, autre que la tenue d'un EMI, afin d'obtenir les renseignements dont Postes Canada avait besoin pour remplir son obligation légale de protéger la santé de Mme Lipp. La tenue de l'EMI était donc le dernier moyen permettant d'obtenir les renseignements nécessaires.

[93] Par conséquent, je conclus que Postes Canada a établi que le renoncement à l'exigence de la tenue d'un EMI lui aurait fait subir une contrainte excessive : Postes Canada aurait été privée du dernier moyen dont elle disposait afin de s'assurer qu'elle remplissait son obligation de protéger la santé et d'assurer la sécurité de Mme Lipp.

(5) La conclusion du Tribunal quant à l'allégation no 2

[94] Compte tenu des conclusions susmentionnées, je conclus que l'exigence que Mme Lipp produise des renseignements médicaux additionnels et subisse un EMI à Regina constituait une exigence professionnelle justifiée.

C. L'ALLÉGATION NO 3 - Les communications répétées et négatives entre Postes Canada et Mme Lipp concernant les restrictions de cette dernière et la production de renseignements médicaux étaient discriminatoires.

[95] Mme Lipp prétend que, dans la salle de travail, elle a été soumise à de nombreuses questions, elle a fait l'objet de nombreux commentaires à propos de ses restrictions et a elle fait l'objet d'une surveillance particulièrement intense de son travail. Elle prétend de plus que les demandes de l'intimée qu'elle produise des documents médicaux et qu'elle subisse un EMI étaient très souvent accompagnées de menaces de prise de mesures disciplinaires à son égard si elle ne produisait pas les renseignements exigés dans le délai imparti. Cela, selon elle, constitue une preuve prima facie de différence de traitement préjudiciable en raison de sa déficience.

(1) Existe-t-il une preuve crédible à l'appui de l'allégation susmentionnée?

a) Les questions posées et les commentaires faits dans la salle de travail en rapport avec la déficience de Mme Lipp

[96] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, vers l'époque où elle a posé sa candidature pour le poste à temps plein en juin 2000, son superviseur l'a approchée dans l'atelier, il a croisé ses bras et lui a demandé ce qui suit : [traduction] Qu'es-tu capable de faire au juste? Que peux-tu faire?. Elle a affirmé que les travailleurs autour d'elle ont arrêté de travailler et se sont mis à la regarder. Elle s'est sentie humiliée et elle a eu honte.

[97] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que M. Slater l'abordait quotidiennement afin de discuter avec elle de ses restrictions d'ordre médical, de la nécessité qu'elle produise des renseignements médicaux ou de la nécessité qu'elle subisse un examen médical. Parfois, il lui demandait si elle était allée voir un médecin. Selon elle, cela était inapproprié.

[98] Mme Lipp a également affirmé dans son témoignage que M. Slater allait parfois la voir lorsqu'elle travaillait seule et lui disait que si elle ne produisait pas les documents médicaux à temps, elle ferait l'objet d'une mesure disciplinaire. Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que M. Slater lui remettait des formulaires médicaux dans la salle de travail. Elle n'aimait pas cette façon de faire car elle attirait davantage l'attention sur sa déficience.

[99] Mme Janice Karchewski, une déléguée syndicale à Postes Canada, a témoigné pour le compte de Mme Lipp. Mme Karchewski a déclaré que la question Qu'es-tu capable de faire? lui avait également été posée dans la salle de travail alors que, elle aussi, bénéficiait du régime des tâches modifiées. Elle a affirmé que, comme déléguée syndicale, elle savait que cette question était assez souvent posée aux personnes qui bénéficiaient du régime des tâches modifiées. Elle a déclaré que, elle, ainsi que d'autres personnes, trouvaient cela très désagréable.

[100] Mme Louise Shoeman a également témoigné pour le compte de Mme Lipp. Mme Shoeman travaille pour Postes Canada depuis 27 ans. Elle est également commis des postes et elle a travaillé au troisième quart de travail sur le même étage que Mme Lipp. Mme Shoeman a affirmé dans son témoignage qu'elle avait observé les échanges qui avaient eu lieu entre Mme Lipp et M. Slater. Elle a affirmé dans son témoignage que M. Slater [traduction] réprimandait constamment Mme Lipp et lui posait constamment des questions à propos de ses restrictions.

[101] Mme Shoeman a été témoin d'une confrontation entre Mme Lipp et M. Slater, laquelle confrontation a pris naissance lorsque M. Slater s'est mis à surveiller Mme Lipp. Il a approché Mme Lipp et il a commencé à lui poser des questions à propos de sa capacité à exécuter l'éventail complet de ses tâches. Mme Shoeman a affirmé dans son témoignage que lorsque M. Slater parlait avec Mme Lipp, il se penchait et plaçait son visage très proche du visage de cette dernière. Il lui parlait sur un ton fort et sec. Mme Shoeman a déclaré qu'il arrivait souvent que Mme Lipp pleure à la fin des conversations qu'elle avait eues avec M. Slater.

[102] M. Jeworski a affirmé dans son témoignage qu'il y avait eu de nombreux conflits entre Mme Lipp et M. Slater en rapport, dans une certaine mesure, avec l'utilisation par Mme Lipp de congés de maladie par le passé. M. Jeworski a déclaré que Mme Lipp n'était pas la seule employée à avoir eu des problèmes avec le style de gestion de M. Slater.

[103] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, en janvier 2001, alors qu'elle travaillait à temps plein au troisième quart de travail, un poste à temps plein s'est ouvert sur le quart de nuit (le premier quart de travail) dans la section Courrier d'acheminement. Elle a posé sa candidature et a été affectée à ce poste qu'elle a occupé jusqu'au 4 mars 2001, puis elle a été de nouveau affectée au troisième quart de travail. Postes Canada a de nouveau affecté Mme Lipp au troisième quart de travail parce que ses restrictions ne pouvaient faire l'objet d'aucun accommodement dans le premier quart de travail.

[104] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que lorsqu'elle s'est présentée pour la première fois, le 4 mars 2001, au troisième quart de travail auquel elle venait d'être de nouveau affectée, elle a découvert que ses collègues de travail avaient été informés, avant son retour, qu'elle revenait au troisième quart de travail en raison de sa déficience. Elle a déclaré qu'elle s'était sentie humiliée et stigmatisée en raison de sa déficience.

b) Surveillance étroite

[105] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle était surveillée plus étroitement que ne l'étaient les autres employés. Elle a décrit un incident au cours duquel elle a vu M. Slater regarder sa montre alors qu'elle se rendait aux toilettes, puis la regarder alors qu'elle sortait des toilettes. Mme Lipp a déclaré que, selon elle, M. Slater était toujours en train de la surveiller. D'autres personnes ont également remarqué cela et lui en ont fait la remarque. Mme Shoeman était l'une des personnes qui a vu M. Slater surveiller Mme Lipp. Comme il a déjà été mentionné, elle a témoigné à ce sujet.

[106] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle a vu M. Slater se cacher derrière des colonnes et la surveiller pendant qu'elle était en train de travailler.

c) Lettres émanant de Postes Canada

[107] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle recevait tout le temps des lettres de la part de Postes Canada à propos de la nécessité qu'elle produise des renseignements médicaux additionnels et que, le plus souvent, ces lettres étaient accompagnées de menaces de prise de mesures disciplinaires. Elle a affirmé dans son témoignage que, selon elle, Postes Canada envoyait ces lettres parce que sa déficience lui occasionnait des ennuis et qu'elle cherchait une façon de se débarrasser d'elle. Les lettres qui posaient censément problème étaient les suivantes :

(i) Une lettre datée du 14 août 2000, émanant de M. Slater, faisant état que Mme Lipp n'avait pas retourné le questionnaire d'ARM.

[108] Dans cette lettre, M. Slater mentionnait que le questionnaire d'ARM concernant la capacité de Mme Lipp à travailler à temps plein n'avait pas été retourné alors qu'il aurait dû l'être au plus tard le 9 août 2000. M. Slater a déclaré ce qui suit : [traduction] Il est important que vous réalisiez que l'incertitude entourant votre état de santé peut nuire à notre capacité de vous accommoder pour votre promotion au sein de la Société. Il a de plus déclaré ce qui suit : [traduction] Si votre décision est de ne pas remettre le questionnaire à votre médecin, votre statut actuel de personne ayant une déficience partielle permanente est tout ce dont nous disposons pour travailler.

(ii) Une lettre datée du 17 novembre 2000, émanant de M. Dale Hippe, mentionnant que la tenue de l'EMI à Winnipeg avait été reportée à une date ultérieure à Regina

[109] M. Hippe a écrit à Mme Lipp pour l'informer qu'elle ne serait pas obligée de subir un EMI à Winnipeg. Il a toutefois déclaré que la tenue d'un autre examen serait fixée à Regina en mars 2001. M. Hippe a ajouté que la [traduction] promotion en suspens de Mme Lipp au statut d'employée à temps plein dépendait de l'obtention de renseignements supplémentaires à propos de ses restrictions.

(iii) Une lettre datée du 26 mars 2001, émanant de M. Slater, informant Mme Lipp qu'elle devait subir un EMI le 2 avril 2001

[110] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, un certain jour en mars 2001, alors qu'elle se trouvait à son poste de travail, son superviseur, Brian Kanciruk, s'est approché d'elle, a croisé ses bras et a déclaré ce qui suit : [traduction] Éclaire-moi. Iras-tu à ce rendez-vous chez le médecin?. Mme Lipp n'était pas au courant de ce rendez-vous et elle a dit à M. Kanciruk que lorsqu'elle recevrait les documents relatifs au rendez-vous, elle le préviendrait. Elle a déclaré qu'elle était embarrassée parce que ses collègues de travail avaient entendu la conversation.

[111] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que le jour suivant, elle a reçu une lettre datée du 26 mars 2001, de la part de M. Slater, mentionnant qu'elle devait subir un EMI le 2 avril et qu'il ressortait des remarques qu'elle avait faites à M. Kanciruk qu'elle songeait à ne pas se rendre au rendez-vous. Dans sa lettre, M. Slater mentionnait que si elle ne se présentait pas au rendez-vous le 2 avril 2001, à 15 h00, elle pourrait faire l'objet d'une mesure administrative qui pouvait aller jusqu'à la modification de son statut d'employée à temps plein PO4 à celui à de PO4 à temps partiel. Dans cette même lettre, M. Slater a déclaré que d'autres mesures administratives touchant les mesures d'accommodement et l'emploi pouvaient également devoir être prises jusqu'à ce que la tenue d'un autre examen puisse être fixée. On a demandé à Mme Lipp de dire immédiatement si elle avait oui ou non l'intention de se présenter au rendez-vous.

[112] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle fut très irritée par cette tournure des événements. Elle n'avait pas dit à M. Kanciruk qu'elle ne se rendrait pas subir l'EMI. Elle a déclaré qu'il s'agissait là d'un exemple de la raison pour laquelle elle refusait de s'adresser directement à la direction de Postes Canada; elle estimait que ses paroles étaient mal interprétées et étaient utilisées contre elle. Elle a préféré communiquer par l'intermédiaire du syndicat.

(iv) Un avis de 24 heures, daté du 2 avril 2001, de la tenue d'une entrevue - Le rendez-vous d'EMI manqué du 2 avril 2001.

[113] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle n'a pas pu se rendre au rendez-vous d'EMI du 2 avril 2001. Elle n'avait pas été consultée quant au choix de la date et elle avait fait d'autres projets pour cette journée-là. Elle a appelé Keith Jeworski pour voir si celui-ci ne pourrait pas transférer son rendez-vous à un autre employé de Postes Canada qui, selon ce qu'elle savait, était censé subir un EMI avec le même médecin le 9 avril. Elle a par la suite reçu une note de service de la part de Darlene Black, une infirmière à l'emploi de Medisys qui travaillait au Centre de traitement du courrier de Regina, confirmant que son rendez-vous avait été reporté au 9 avril. La note de service était datée du 28 mars 2001 et était adressée à M. Slater avec copie conforme à Mme Lipp.

[114] Mme Lipp s'est rendue comme prévu au travail dans l'après-midi du 2 avril 2001; ses projets personnels étaient prévus pour le début de la journée. Elle a affirmé dans son témoignage que son superviseur, Kevin Zimmerman, l'avait immédiatement approchée, l'avait suivie dans la salle de travail et, d'une voix forte, lui avait demandé ce qu'elle faisait au travail. Lorsqu'elle a répondu qu'elle était là pour travailler, M. Zimmerman lui a demandé pourquoi elle n'était pas chez son médecin. Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'un petit groupe de personnes s'était formé à proximité et écoutait leur conversation. M. Zimmerman a continué de lui poser des questions à propos du rendez-vous. Elle était très embarrassée, elle s'est mise à pleurer et elle a dit ce qui suit : [traduction] parle à Keith, parle à Keith (il s'agissait de Keith Jeworski, le président du syndicat). Mme Lipp est ensuite allée voir sa déléguée syndicale, Lindy Freegone, afin d'obtenir de l'aide.

[115] Plus tard cette journée-là, M. Slater a abordé Mme Lipp dans la salle de travail et lui a remis un avis mentionnant qu'elle devait se présenter à une rencontre avec la direction afin de discuter de la raison pour laquelle elle ne s'était pas présentée à l'EMI le 2 avril 2001. On a menacé de prendre une mesure disciplinaire à son égard si elle ne se présentait pas à la rencontre.

[116] Mme Lipp a déclaré qu'elle fut très bouleversée par cet événement. Elle ne pouvait pas croire que Postes Canada était en colère contre elle parce qu'elle ne s'était pas présentée à un rendez-vous qui avait été reporté à une autre date. Elle a quitté à la fin de son quart de travail, puis elle est tombée en congé de maladie.

(v) Une lettre datée du 3 avril 2001, émanant de M. Slater, mentionnant que tant que Mme Lipp n'aurait pas fourni de renseignements médicaux à propos de son congé de maladie, elle serait en congé sans solde.

[117] Dans cette lettre, M. Slater a déclaré qu'une Évaluation de l'aptitude physique au travail (EAPT), dûment remplie, devait être produite au plus tard le 5 avril 2001 afin de justifier le congé de maladie de Mme Lipp. Il a déclaré que tant que ces documents n'auraient pas été reçus, Mme Lipp serait considérée comme étant en congé sans solde. Une EAPT est un formulaire qui doit être rempli par le médecin de l'employé. Il ne constitue pas un diagnostic médical; l'EAPT énumère tout simplement les restrictions de l'employé et la durée prévue de ces restrictions.

[118] Mme Lipp a produit l'EAPT dûment rempli le 5 avril 2001.

(vi) Une lettre datée du 7 juin 2001, de la part de M. Slater à Mme Lipp, à propos de son [traduction] récent refus de subir un EMI et de la nécessité qu'elle se présente à un troisième rendez-vous d'EMI.

[119] Le 7 juin 2001, M. Slater a écrit à Mme Lipp afin de [traduction] clarifier [la position de Postes Canada] concernant [son] récent refus de subir un EMI. Il a déclaré que Postes Canada tentait pour la troisième fois de fixer un EMI et qu'elle serait obligée de se soumettre à celui-là. Sa présence devait être confirmée dans les 48 heures de la réception de la lettre. Le dernier paragraphe de la lettre était ainsi libellé :

[traduction]

Cette situation nous a placés dans une position administrative qui peut compromettre votre emploi au sein de la Société canadienne des postes. Veuillez répondre à la présente lettre le plus tôt possible afin d'atténuer la possibilité que d'autres mesures administratives ou disciplinaires ne soient prises. Si vous avez d'autres questions, vous pouvez communiquer avec moi au 761-6304.

[120] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que cette lettre l'avait complètement atterrée. Ce n'était pas volontairement qu'elle avait manqué le rendez-vous du 2 avril 2001; elle était sous l'impression qu'il avait été reporté à une autre date. Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, selon elle, cette lettre signifiait que si elle ne se présentait pas au rendez-vous d'EMI le 30 juillet 2001, lequel rendez-vous avait été reporté de son propre chef, elle serait congédiée. Toutefois, sans qu'elle ne le sache, le troisième rendez-vous d'EMI, prévu pour le 30 juillet 2001, a été annulé par Medisys en juin 2001.

(vii) Une lettre, datée du 8 juin 2001, émanant de M. Dale Hippe, ainsi qu'une lettre, datée du 13 juin 2001, émanant de M. Slater, mentionnant que Mme Lipp devait produire une ARM.

[121] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que le ou vers le 13 juin 2001, alors qu'elle était en congé de maladie, elle a reçu un colis de Postes Canada qui contenait une enveloppe scellée ainsi que trois lettres de présentation. La première lettre, datée du 8 juin 2001, émanait de Medisys et informait Mme Lipp qu'elle devait produire une ARM concernant son aptitude actuelle au travail et que celle-ci devait être remplie par son médecin au plus tard le 26 juin 2001. La deuxième lettre portait la même date et émanait de M. Hippe. Lui également a informé Mme Lipp qu'elle devait produire l'ARM au plus tard le 26 juin. Il a affirmé que si elle avait besoin d'aide en rapport avec cette demande, elle n'avait qu'à communiquer directement avec l'infirmière en santé du travail.

[122] La troisième lettre, datée du 13 juin 2001, émanait de M. Slater. Dans cette lettre, M. Slater déclarait qu'elle devait apporter des éclaircissements quant à son absence actuelle. On lui demandait de faire remplir l'ARM au plus tard le 25 juin 2001, un jour plus tôt que ce qui était demandé par les auteurs des deux autres lettres. M. Slater a ajouté que si Mme Lipp ne produisait pas les documents et ne donnait aucune explication acceptable, [traduction] des mesures disciplinaires pouvant aller jusqu'au renvoi de Postes Canada seraient prises contre elle.

[123] Une copie de la lettre du 13 juin 2001, de la part de M. Slater à Mme Lipp, a été expédiée à la Sun Life du Canada, Compagnie d'Assurance-Vie, et une autre copie a été déposée dans le dossier personnel de Mme Lipp. Lorsqu'elle est partie en congé de maladie en avril 2001, Mme Lipp a présenté une demande de prestations d'invalidité à la Sun Life. Cette demande fut d'abord rejetée, mais, environ un an et demi plus tard, l'appel que Mme Lipp avait interjeté à l'encontre de cette décision a été accueilli.

[124] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que la lettre émanant de M. Slater et le colis relatif à l'ARM ont eu pour effet d'augmenter son taux d'anxiété. On lui demandait de subir un EMI en juillet et de produire une ARM dans un délai de 12 jours. En huit jours, M. Slater a écrit à Mme Lipp deux lettres lui demandant de faire remplir une ARM et de subir un EMI. Il l'a menacé de prise de mesures disciplinaires contre elle pouvant aller jusqu'au renvoi de Postes Canada si elle ne se conformait pas à ces demandes. Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle craignait que, peu importe ce qu'elle ferait, elle perdrait son emploi.

[125] De plus, il a semblé à Mme Lipp que le colis expédié par Medisys, dans lequel se trouvaient les documents relatifs à l'ARM, avait été retenu entre le 8 juin 2001 et le 13 juin 2001, et ce, de manière à permettre à M. Slater d'ajouter sa lettre de présentation. Non seulement le délai accordé pour se conformer à la demande avait été raccourci en raison de ce retard, l'échéance du 26 juin 2001 fixée par Medisys avait été raccourcie d'une journée par M. Slater.

[126] En juillet 2001, Keith Jeworski a écrit une lettre de plainte à Dale Hippe à propos de la lettre de M. Slater. Il s'élevait contre le fait que le dossier relatif à l'ARM expédié par Medisys avait été acheminé par la direction de Postes Canada afin de permettre à M. Slater d'y ajouter une lettre de présentation. M. Jeworski a déclaré que non seulement cela contrevenait au droit à la confidentialité de Mme Lipp, mais cela réduisait le temps dont cette dernière disposait pour répondre. Fait plus important, la lettre comportait des menaces de prise de mesures disciplinaires et de renvoi de Postes Canada. M. Jeworski a déclaré ce qui suit : [traduction] Il semble qu'il s'agisse d'un changement dans la procédure habituelle suivie par la direction lorsqu'elle demande qu'un questionnaire médical soit rempli. Cela renforce davantage la croyance de Mme Lipp que M. Slater agit par animosité personnelle. M. Jeworski a demandé que la lettre de menaces du 13 juin soit retirée du dossier personnel de Mme Lipp et que des mesures soient prises afin de voir à ce que cela ne se reproduise plus à l'avenir.

[127] M. Jeworski a affirmé dans son témoignage que si un employé refuse de fournir des renseignements médicaux par le biais d'une ARM, cela ouvre la voie à la possibilité que l'on prenne des mesures administratives, notamment que l'on demande la tenue d'un EMI. Toutefois, l'omission de remplir une ARM ne pouvait pas entraîner la prise d'une mesure disciplinaire. Rien dans la convention collective ou dans la jurisprudence en matière d'arbitrage ne justifiait la prise d'une telle mesure. Par conséquent, M. Jeworski a estimé que la lettre de M. Slater était inopportune.

[128] L'ARM a été remplie le 15 juin 2001 et a été reçue par Medisys le 22 juin 2001. L'ARM faisait état que Mme Lipp souffrait d'une dépression importante ainsi que de troubles anxieux liées au conflit qu'elle vivait au travail. Le médecin de Mme Lipp a mentionné qu'un changement de milieu de travail ou de quart de travail hâterait la guérison de cette dernière.

[129] Dans le Rapport d'enquête de Medisys résumant les résultats de l'ARM, la Dr Koz a déclaré que Mme Lipp était pour le moment inapte au travail. Elle a de plus déclaré ce qui suit : [traduction] [...] nous devons régler le plus tôt possible les problèmes en l'espèce, lesquels semblent avoir été causés en grande partie par le milieu de travail. Si nous n'agissons pas, Mme Lipp souffrira peut-être encore plus longtemps de sa déficience.

(2) Les conclusions du Tribunal quant à la preuve prima facie de l'allégation no 3

[130] Dans l'ensemble, en ce qui concerne l'allégation no 3, je conclus que la plaignante a établi une preuve prima facie de différence de traitement préjudiciable. Toutefois, certains aspects de l'allégation ne sont pas étayés. Le témoignage de Mme Lipp a semblé, à certains moments, quelque peu exagéré et peu vraisemblable. Par exemple, ses déclarations selon lesquelles M. Slater lui posait des questions à tous les jours à propos de sa déficience ou de ses besoins d'ordre médical et se cachait derrière les colonnes afin de l'épier semblaient un peu farfelues. De plus, bien qu'il puisse être vrai que M. Slater comptait le temps que Mme Lipp prenait pour aller aux toilettes, je ne vois rien qui permette d'établir un lien entre ce comportement et la déficience de Mme Lipp et je n'ai entendu aucun témoignage à cet égard selon lequel Mme Lipp aurait fait l'objet d'un traitement différent de celui dont faisait l'objet les autres employés n'ayant aucune déficience.

[131] Je conclus toutefois à l'existence d'une preuve crédible établissant prima facie que la direction de Postes Canada a fréquemment soumis Mme Lipp, dans la salle de travail, à des interrogatoires et des commentaires agressifs et négatifs à propos de sa déficience et de la nécessité qu'elle produise des renseignements médicaux ou qu'elle se présente aux rendez-vous. Le témoignage de Mme Lipp à cet égard a été corroboré par le témoignage de Mme Karchewski. Je conclus que les déclarations de Mme Karchewski à propos des questions posées dans la salle de travail étaient convaincantes parce que celle-ci a parlé en connaissance de cause ainsi qu'à partir de son expérience comme déléguée syndicale. Elle a parlé du fait que, elle et d'autres personnes, se faisaient souvent poser la question [traduction] qu'es-tu capable de faire par la direction de Postes Canada alors qu'elles travaillaient sous le régime des tâches modifiées.

[132] Le témoignage de M. Jeworski a étayé dans une certaine mesure celui de Mme Lipp. Celui-ci a mentionné qu'il y avait eu de nombreux conflits entre Mme Lipp et M. Slater et que le présent conflit existait toujours à l'heure actuelle. Mme Shoeman a produit un témoignage crédible à propos des mauvais rapports qui existaient entre Mme Lipp et M. Slater en raison des restrictions de Mme Lipp.

[133] Par conséquent, je conclus à l'existence d'une preuve crédible établissant prima facie que les questions posées et les demandes formulées par Postes Canada, notamment la demande de production de documents médicaux, en rapport avec la déficience de Mme Lipp, étaient souvent posées ou formulées de manière agressive et irrespectueuse, et ce, à la vue et au su de tout le monde. Par conséquent, Mme Lipp a estimé qu'elle faisait l'objet d'un traitement négatif en raison de sa déficience. Certains éléments de preuve donnent à penser que, parmi les causes importantes de la dépression et des troubles anxieux de Mme Lipp, il y avait le traitement négatif que celle-ci avait reçu de la part de Postes Canada à propos de ses restrictions physiques et il y avait l'exigence qu'elle produise des renseignements médicaux additionnels.

[134] De même, quant autres lettres de Postes Canada, notamment quant à celles qui ont été envoyées par M. Slater à Mme Lipp, la plaignante a établi une preuve prima facie que Postes Canada a porté une attention négative inhabituelle à son égard en ce qui a trait à sa déficience ainsi qu'aux exigences entourant cet état. Les demandes de production de documents médicaux, de réponse aux questions et de présence aux rendez-vous étaient impératives et faisaient pratiquement toujours état de conséquences négatives quant à l'emploi de Mme Lipp si celle-ci ne se conformait pas aux demandes. Le lien avec son statut d'employée ayant une déficience était toujours évident pour ce qui était des questions et des demandes de production de renseignements médicaux, des demandes de présence aux rendez-vous ou de la prise de mesures d'accommodement en rapport avec sa déficience. Dans la mesure où on pouvait penser que ces questions ou ces demandes constituaient des avis de mauvaise conduite ou d'insubordination, celles-ci ont presque certainement miné le sentiment de sécurité d'emploi de Mme Lipp.

[135] Par conséquent, en ce qui a trait à l'allégation no 3, je conclus qu'une preuve prima facie de différence de traitement préjudiciable en raison de la déficience a été établie.

(3) Postes Canada a-t-elle une explication raisonnable à fournir quant à sa pratique discriminatoire?

[136] Postes Canada a essentiellement fourni trois réponses à la preuve prima facie concernant l'allégation no 3 : a) elle a nié que Mme Lipp aurait été aussi fréquemment interrogée, et ce, de façon aussi négative, dans la salle de travail ou que des confrontations ont eu lieu quant aux demandes de production de renseignements médicaux et quant aux présences aux rendez-vous; b) elle a prétendu que les communications par lettre avec Mme Lipp et les discussions avec elle dans la salle de travail, dans la mesure où elles se sont produites, ne constituaient pas une différence de traitement préjudiciable en raison de la déficience, mais constituaient plutôt des mesures nécessaires prises par Postes Canada afin de traiter le cas d'une employée récalcitrante; c) c'est en raison d'une rupture de la communication avec Medisys que les demandes de renseignements formulées en juin 2001 ont été faites dans des intervalles rapprochés.

[137] Pour les motifs suivants, je conclus que les éléments de preuve n'étayent pas les explications données par l'intimée en ce qui a trait à l'allégation.no 3.

a) Le démenti quant aux questions fréquentes et négatives qui étaient posées à Mme Lipp dans la salle de travail à propos de sa déficience

[138] Les éléments de preuve n'étayent pas le démenti de Postes Canada quant aux questions fréquentes et négatives qui étaient posées à Mme Lipp dans la salle de travail à propos de sa déficience. Au contraire, les éléments de preuve étayent fortement la position de Mme Lipp.

[139] Les éléments de preuve indiquent que M. Slater a participé activement à la gestion du dossier de Mme Lipp. M. Slater a lui-même affirmé dans son témoignage que, en 2000 et 2001, il participait plus activement qu'aujourd'hui à la gestion des dossiers des travailleurs qui bénéficiaient du régime des tâches modifiées.

[140] Les éléments de preuve établissent également que les superviseurs de Postes Canada et M. Slater ont régulièrement eu l'occasion d'interroger les employés dans la salle de travail quant à leurs restrictions. M. Slater a affirmé dans son témoignage que certains superviseurs ont pu dire à des travailleurs dans la salle de travail que, en raison des restrictions de l'un des employés, un autre employé devrait effectuer une partie du travail de ce dernier.

[141] M. Slater a déclaré qu'il parlait de temps à autre avec Mme Lipp de différentes questions, notamment de la nécessité que celle-ci produise des renseignements médicaux. Il a décrit Mme Lipp comme étant parfois sur la défensive, mais il a nié l'avoir vue pleurer. Il a déclaré qu'il ne se rappelait d'aucune confrontation qu'il aurait eue avec Mme Lipp à propos de ses restrictions et à propos des demandes de production de renseignements médicaux.

[142] Par contre, Mme Lipp et Mme Shoeman se rappellent très bien de confrontations qui ont eu lieu à propos des restrictions de Mme Lipp et à propos des demandes de production de renseignements médicaux. Ils ont affirmé dans leur témoignage que M. Slater parlait très fort, sur un ton très fâché, à Mme Lipp. Celle-ci a affirmé dans son témoignage que ces confrontations avaient eu lieu régulièrement. Mme Shoeman a été témoin de l'une de ces confrontations et a cru bon d'intervenir car celle-ci tournait à l'hostilité.

[143] Comme M. Slater se souvenait mal des événements, il a été incapable de fournir un témoignage réfutant la preuve prima facie présentée par la plaignante sur ce point. De même, M. Hippe n'a présenté aucun témoignage réfutant le témoignage présenté pour le compte de la plaignante. Par conséquent, je conclus que Mme Lipp a fréquemment été interrogée et confrontée par la direction de Postes Canada, dans la salle de travail, à propos de sa déficience, de ses restrictions et de la demande de production de renseignements médicaux, et ce, de façon négative.

b) Le manque de collaboration de la part de Mme Lipp

[144] Postes Canada a prétendu que les lettres envoyées à Mme Lipp, les discussions qui ont eu lieu dans la salle de travail et les menaces de prise de mesure disciplinaire ne constituaient pas une différence de traitement préjudiciable fondée sur la déficience de Mme Lipp, mais constituaient plutôt des mesures non discriminatoires prises afin de s'occuper du cas d'une employée particulièrement récalcitrante. Existe-t-il un élément de preuve qui appuie cette allégation?

[145] J'ai examiné attentivement les éléments de preuve sur ce point et j'en suis venu à la conclusion, pour les motifs qui suivent, que, bien que Mme Lipp n'ait pas toujours collaboré comme elle aurait dû avec Postes Canada, son manque à cet égard n'explique pas la fréquence et la nature fortement négative des communications que Postes Canada a entretenues avec elle.

[146] La preuve indique que Mme Lipp a pris un certain temps avant de répondre à la première demande d'ARM. Cette demande a été envoyée par Medisys le 21 juillet 2000. Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle ne comprenait pas pourquoi cette demande avait été faite compte tenu qu'elle avait fourni un billet du médecin mentionnant qu'elle était capable de travailler pendant des quarts de travail de huit heures et compte tenu, également, qu'elle avait travaillé pendant des quarts de travail de huit heures avant de poser sa candidature pour le poste à temps plein en juin 2000. Pour cette raison, elle a envoyé à M. Slater, une lettre, datée du 21 août 2000, dans laquelle elle lui posait un certain nombre de questions.

[147] M. Slater a affirmé dans son témoignage qu'il n'avait pas reçu la lettre susmentionnée. Quoi qu'il en soit, Mme Lipp s'est finalement rendue au bureau de son médecin et lui a fait remplir l'ARM, puis l'a retournée avant la date limite du 8 septembre 2000. Cela s'est passé environ un mois et demi après que l'ARM lui fut envoyée. Je peux comprendre que du point de vue de Postes Canada, il semblait que, à ce stade, Mme Lipp ne collaborait pas entièrement avec elle.

[148] Toutefois, entre le 8 septembre 2000 et l'automne 2001, moment où Mme Lipp a demandé à retourner au travail après son congé de maladie, je ne distingue que très peu de preuve chez cette dernière d'un refus de répondre aux demandes formulées par Postes Canada quant à la production de renseignements supplémentaires à propos de sa déficience. De plus, M. Jeworski et Mme Lipp ont tous les deux affirmé dans leur témoignage que ni l'un ni l'autre n'avait fait valoir à Postes Canada que Mme Lipp ne se soumettrait pas à un EMI.

[149] Il est vrai que Mme Lipp et le syndicat ont exprimé des inquiétudes lorsque Mme Lipp a été informée le 18 octobre 2000 qu'elle devrait subir un EMI à Winnipeg le 27 novembre 2000. Mme Lipp et le syndicat ont dit à Postes Canada qu'il serait difficile pour Mme Lipp de se rendre à Winnipeg afin de subir l'EMI parce que, entre autres raisons, Mme Lipp avait de la difficulté à voyager. M. Hippe a reconsidéré l'exigence de la tenue d'un EMI à Winnipeg et, le 17 novembre 2000, il a mentionné que l'examen aurait lieu à une autre date, à Regina.

[150] Selon moi, cela ne constitue pas un refus de collaborer. Mme Lipp et le Syndicat ont exprimé des inquiétudes qui, selon Postes Canada, étaient suffisamment légitimes pour que l'on modifie le lieu où l'EMI devait avoir lieu.

[151] Par la suite, Mme Lipp a appris par son superviseur, M. Brian Kanciruk, qu'on lui avait fixé un rendez-vous d'EMI à Regina. Le témoignage de Mme Lipp quant à cette rencontre n'a pas été contredit. Elle a affirmé dans son témoignage que M. Kanciruk l'avait interrogée d'une manière désobligeante quant à son intention de subir un EMI à Winnipeg. Mme Lipp a déclaré qu'elle n'avait pas encore reçu les documents et qu'elle préviendrait Postes Canada dès qu'elle les recevrait. Le témoignage de Mme Lipp concernant cet événement n'a été contredit par aucun autre témoignage.

[152] Par conséquent, la lettre de M. Slater du 26 mars 2000 dans laquelle celui-ci déclarait qu'il était évident que Mme Lipp songeait à ne pas subir l'EMI était une mauvaise description de la situation. Mme Lipp n'avait pas refusé de subir l'EMI; elle avait mentionné qu'elle examinerait la question dès qu'elle recevrait les documents.

[153] En fin de compte, sans que ce soit de sa faute, Mme Lipp n'a pas subi l'EMI dont la tenue avait été reportée au 2 avril 2001 à Regina. Elle a tenté, par le biais de son syndicat, d'échanger le rendez-vous avec celui d'un autre employé parce que la date fixée se conciliait mal avec les projets personnels qu'elle avait planifiés pour cette date. Postes Canada n'a pas consulté Mme Lipp avant de fixer la date. Par conséquent, je ne crois pas que l'on puisse raisonnablement affirmer que les tentatives de Mme Lipp d'échanger son rendez-vous avec celui d'un autre employé constituait un refus de collaborer.

[154] M. Jeworski a franchement reconnu qu'il avait commis une erreur en tentant d'organiser l'échange. Il semble que Postes Canada était sous l'impression que Mme Lipp se présenterait au rendez-vous du 2 avril 2001 alors que Mme Lipp croyait qu'elle devait se présenter au rendez-vous le 9 avril 2001. M. Jeworski a parlé avec Postes Canada pour lui mentionner que c'est lui qui avait fait une erreur et que ce n'était pas la faute de Mme Lipp.

[155] Toutefois, dans sa lettre du 7 juin 2006, M. Slater a qualifié le défaut de la part de Mme Lipp de se présenter aux deux rendez-vous d'EMI qui avaient été fixés comme étant des refus de se présenter. Il a alors menacé Mme Lipp de la renvoyer si elle ne se présentait pas à un troisième rendez-vous d'EMI, celui-là fixé au 30 juillet 2000. Mme Lipp s'est présentée à ce rendez-vous et a appris qu'il avait été annulé sans qu'elle en soit avisée.

[156] Le 3 avril 2001, le jour après que Mme Lipp fut partie en congé de maladie, M. Slater a écrit une lettre à Mme Lipp dans laquelle il mentionnait qu'elle devait produire un formulaire d'EAPT dûment rempli au plus tard le 5 avril 2001, sinon elle serait considérée comme étant en congé sans solde. M. Slater a affirmé dans son témoignage que ce genre de lettre n'est pas envoyée à chaque employé qui prend un congé de maladie. Il a déclaré qu'il ne savait pas pourquoi la lettre avait été envoyée mais que, possiblement, c'était parce que Postes Canada avait de la difficulté à obtenir des documents de la part de Mme Lipp. Celle-ci a fourni les documents demandés le 5 avril 2001.

[157] Selon moi, il ressort de la preuve que, bien que Mme Lipp ait pris du temps à acquiescer à la demande voulant qu'elle subisse un EMI à l'automne 2000, elle s'est par la suite conformée aux demandes répétées de production de documents et de présence aux rendez-vous formulées par Postes Canada. Il est vrai que Mme Lipp a dit à Postes Canada qu'elle ne voulait pas se rendre à Winnipeg afin de subir un EMI. Les motifs qu'elle a invoqués pour ce refus n'étaient toutefois pas futiles. De plus, Postes Canada a accepté ces motifs et a accepté de fixer la tenue de l'EMI à Regina.

[158] Le témoignage de M. Hippe donne fortement à penser que, en fait, c'était l'incapacité de Mme Lipp à accomplir l'ensemble des tâches de son poste qui a été un facteur important dans le comportement négatif de Postes Canada à son égard. M. Hippe a affirmé dans son témoignage que Postes Canada avait toujours eu de la difficulté à accepter que Mme Lipp soit incapable de trier le courrier surdimensionné. Postes Canada espérait que cette restriction disparaîtrait et, par conséquent, elle a constamment demandé des renseignements à propos des restrictions de Mme Lipp. M. Hippe a rapidement nuancé sa réponse en mentionnant que constamment signifiait régulièrement et qu'il s'agissait peut-être d'un mot trop fort pour affirmer que Postes Canada avait de la difficulté à accepter la restriction. Selon moi, les déclarations de M. Hippe ainsi que sa réalisation manifeste des conséquences de ces dernières étaient révélatrices. Elles donnaient fortement à penser que la conduite de Postes Canada était, dans une large mesure, motivée par une réticence à accepter l'ensemble des restrictions physiques de Mme Lipp.

c) Rupture de la communication avec Medisys

[159] M. Slater a affirmé dans son témoignage que la délivrance de deux demandes de renseignements, l'une le 7 juin 2001, ordonnant que Mme Lipp subisse un EMI le 30 juillet 2001, et l'autre le 13 juin 2001, demandant que Mme Lipp produise une ARM, n'auraient pas dû se produire. Les deux lettres comprenaient des menaces de prise de mesures disciplinaires pour omission de se conformer et elles ont toutes les deux été écrites par M. Slater.

[160] Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il avait fait cela, M. Slater a admis qu'il était étrange que [traduction] [l'on demande] en même temps, ou presque en même temps, un EMI et une ARM. Il a déclaré que Postes Canada n'avait de toute évidence pas communiqué avec Medisys à propos de ceci parce que si elle l'avait fait, l'une des deux demandes de production de renseignements supplémentaires n'aurait pas été faite. Il a déclaré qu'une meilleure communication aurait pu permettre d'éviter ce problème.

[161] Le fait demeure, toutefois, que c'est M. Slater qui a rédigé, à quelques jours d'intervalle, la lettre demandant à Mme Lipp de subir un EMI et la lettre demandant à Mme Lipp de faire remplir une ARM. Il a lancé l'avertissement concernant la prise de mesures disciplinaires. On peut déduire, par conséquent, que M. Slater savait que les deux demandes avaient été faites. On aurait pu facilement remédier à toute rupture de communication avec Medisys en appelant celle-ci. Pour ce motif, l'explication de M. Slater voulant que c'était parce qu'il y avait eu rupture de communication avec Medisys que deux lettres comportant des menaces avaient été délivrées dans un intervalle de six jours ne me semble pas raisonnable.

d) Autres communications inexpliquées avec Mme Lipp

[162] Selon moi, il y a d'autres événements pour lesquels Postes Canada n'a fourni aucune explication raisonnable. Par exemple, lorsque Mme Lipp ne s'est pas présentée au rendez-vous d'EMI à Regina le 2 avril 2001, M. Slater a émis un Avis d'entrevue de 24 heures demandant à Mme Lipp de se présenter afin de discuter des raisons pour lesquelles elle ne s'était pas présentée, comme on lui avait demandé, au rendez-vous d'EMI. Mme Lipp fut avertie que si elle ne se présentait pas à cette réunion, elle pourrait faire l'objet d'une mesure disciplinaire distincte.

[163] M. Slater a affirmé dans son témoignage qu'on ne prendrait jamais une telle mesure. Postes Canada n'a jamais pris aucune mesure disciplinaire contre une personne parce que celle-ci ne s'était pas présentée à une entrevue. M. Slater a admis que l'avertissement devrait être retiré de l'avis et que les formulaires ne soient plus utilisés.

[164] Lorsqu'on lui a demandé pourquoi il avait envoyé une copie de la lettre du 12 juin à la Sun Life, M. Slater a déclaré que c'était peut-être parce qu'il savait qu'une demande de prestations d'invalidité avait été présentée. D'ordinaire, on n'envoie pas une telle lettre à la Sun Life, sauf si cela est demandé. M. Slater a déclaré n'avoir jamais reçu aucune demande de la sorte. Par conséquent, il n'était pas capable d'expliquer pourquoi il avait envoyé la lettre.

(4) La conclusion du Tribunal quant à l'allégation no 3

[165] Je conclus que, en me fondant sur la preuve susmentionnée, Postes Canada n'a fourni aucune explication raisonnable pour réfuter la preuve prima facie présentée par Mme Lipp que la conduite de Postes Canada, durant la première période, constituait une différence de traitement préjudiciable fondée sur sa déficience. Je n'accepte pas l'affirmation de Postes Canada que les menaces de prise de mesures disciplinaires et les rappels fréquents quant à la production de renseignements médicaux étaient exclusivement fondés sur le fait que Mme Lipp tardait à produire les renseignements. Je crois plutôt qu'un facteur important dans la différence de traitement préjudiciable dont faisait l'objet Mme Lipp était que Postes Canada avait de la difficulté à accepter les restrictions de Mme Lipp quant aux tâches de son poste qui découlaient de sa déficience.

[166] J'accepte que Postes Canada doive demander régulièrement aux employés qui font l'objet de restrictions relatives au travail des renseignements quant à savoir s'il y a eu des changements dans leurs restrictions qui pourraient avoir une incidence sur l'accommodement dont ils bénéficient ou qui pourraient leur permettre de faire un travail plus productif. Toutefois, il y a une limite importante à observer en l'espèce. Les demandes de renseignements doivent être raisonnables; elles ne peuvent pas être menaçantes ou à ce point fréquentes qu'elles constituent un lourd fardeau pour les employés.

[167] Des menaces répétées de prise de mesures disciplinaires et de renvoi pour ne pas avoir fourni des renseignements quant à une déficience qui ne sont pas fondées sur des préoccupations valables quant à la collaboration constituent, selon moi, une différence de traitement préjudiciable fondée sur la déficience. De même, des questions fréquentes et injustifiées posées à un employé ayant une déficience ainsi que des discussions avec lui à propos de ses restrictions et de la nécessité qu'il produise des renseignements médicaux constituent une différence de traitement préjudiciable fondée sur la déficience. Elles imposent à l'employé ayant une déficience un fardeau qui n'est pas imposé aux employés n'ayant aucune déficience.

[168] Par conséquent, je conclus que, à première vue, Postes Canada s'est livrée à une pratique discriminatoire à l'égard de laquelle elle a été incapable de fournir une explication raisonnable.

VII. LA DEUXIÈME PÉRIODE - MME LIPP DEMANDE À RETOURNER AU TRAVAIL

A. L'ALLÉGATION NO 4 - Le refus de permettre à Mme Lipp de retourner au travail tant qu'elle ne se serait pas soumise à l'EMI à Winnipeg était discriminatoire.

Aperçu

[169] En septembre 2001, Mme Lipp a appelé Postes Canada pour dire qu'elle était apte à retourner au travail. Elle a produit un billet du médecin ainsi qu'une Évaluation de l'aptitude physique au travail confirmant qu'elle était apte à retourner au travail le 9 octobre 2001. Par la suite, elle a prétendu qu'elle avait fait l'objet du même genre de traitement et du même genre de demandes de renseignements dont elle avait fait l'objet durant la première période et que cela avait abouti à la demande qu'elle se soumette à deux EMI à Winnipeg. Mme Lipp a prétendu que la manière selon laquelle Postes Canada l'avait traitée au cours de la deuxième période de temps et la demande qu'elle se soumette aux EMI constituaient une différence de traitement préjudiciable fondée sur sa déficience (notamment sur son état psychologique) et sur son sexe (elle était enceinte lorsque l'exigence relative à l'EMI a été imposée).

(1) Existe-t-il une preuve crédible qui étaye l'allégation susmentionnée?

[170] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle avait appris qu'elle était enceinte le ou vers le 14 juillet 2001. Elle a affirmé dans son témoignage que, vers la fin de l'été, elle croyait qu'elle serait capable de retourner au travail. Elle a également affirmé dans son témoignage qu'elle avait besoin de retourner au travail. Sa demande d'assurance invalidité avait été refusée (cette décision fut par la suite annulée en appel et elle s'est vu accorder les prestations demandées avec rétroactivité).

[171] Mme Lipp a déclaré qu'elle avait compté le nombre de semaines pendant lequel elle devrait travailler au taux prévu pour le travail à temps plein afin d'être admissible aux prestations de maternité en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi, puis elle a décidé de la date à laquelle elle retournerait au travail.

[172] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, le 18 septembre 2001, elle a téléphoné à Postes Canada et l'a informée qu'elle avait l'intention de retourner au travail le 9 octobre 2001. Postes Canada a dit à Mme Lipp que, avant qu'elle lui permette de retourner au travail, elle devrait obtenir des renseignements additionnels confirmant qu'elle était apte à retourner au travail. Mme Lipp a d'abord produit un billet de son médecin, daté du 10 octobre 2001, mentionnant qu'elle ne souffrait plus de troubles anxieux, ni de dépression et qu'elle était apte à accomplir ses tâches - des tâches modifiées de grande dimension et de petite dimension (les mots grande dimension et petite dimension renvoient au tri du courrier effectué en fonction de la dimension des lettres.)

[173] Le même jour, Mme Lipp a fait remplir une EAPT par son médecin. L'EAPT mentionnait que Mme Lipp ne souffrait plus de troubles anxieux, ni de dépression. De plus, le médecin de Mme Lipp a mentionné que, physiquement, celle-ci était capable de lever et de transporter des charges de 9 kilos, mais seulement du plancher jusqu'à la hauteur de la taille, de lever et de transporter des charges de 2 kilos, mais seulement de la hauteur de la taille jusqu'à la hauteur des épaules. L'EAPT mentionnait également qu'elle était incapable de lever ou de transporter des charges plus haut que les épaules.

[174] Finalement, Mme Lipp a fait remplir une ARM à son médecin. Elle a affirmé dans son témoignage qu'elle n'avait pas fait remplir l'ARM lorsqu'on lui avait demandé parce qu'elle croyait que tout ce qu'elle devait faire, c'est-à-dire produire un billet du médecin et une EAPT, elle l'avait déjà fait.

[175] L'ARM, datée du 29 octobre 2001, faisait état que Mme Lipp souffrait toujours de troubles anxieux, mais que ceux-ci étaient bien contrôlés. Mme Lipp ne prenait plus de médicaments, mais elle avait recours au contrôle du stress naturel. Dans l'ARM, le Dr Van Heerden a déclaré qu'il croyait qu'il n'était plus nécessaire que les tâches exigées par le poste soient toujours modifiées. Il a déclaré ce qui suit : [traduction] La patiente croit qu'elle sera en mesure de s'acquitter de ses fonctions. Il a déclaré que le conflit qu'elle avait eu avec son patron constituait toujours un problème, mais que Mme Lipp avait été informée par son syndicat qu'il n'y aurait plus de problème si une bonne communication était établie.

[176] Dans l'ARM, le Dr Van Heerden a déclaré que, en ce qui a trait aux restrictions physiques de Mme Lipp, celle-ci ne pouvait pas lever des objets lourds au-dessus de ses épaules. Aucune autre restriction n'a été soulignée et le médecin a mentionné que Mme Lipp devrait être capable de trier le courrier léger. Le Dr Van Heerden, en parlant des restrictions physiques de Mme Lipp, a d'abord mentionné qu'il n'était pas le médecin traitant en ce qui avait trait à la blessure à l'épaule ou à l'état chronique de la coiffe des rotateurs de Mme Lipp.

[177] Dans son Rapport d'enquête du 30 octobre 2001, la Dr Koz a déclaré que les restrictions physiques soulignées par le Dr Van Heerden dans l'ARM ne concordaient pas avec les restrictions mentionnées dans l'EAPT que ce même médecin avait produit 20 jours plus tôt, le 10 octobre 2001. Le Dr Koz a déclaré qu'elle hésiterait à approuver les restrictions et les limites physiques mentionnées par le Dr Van Heerden dans l'ARM tant que la divergence ne serait pas tirée au clair.

[178] M. Hippe a affirmé dans son témoignage que, selon lui, la divergence à laquelle la Dr Koz faisait allusion dans le Rapport d'enquête était que, dans l'EAPT, le Dr Van Heerden avait énuméré des restrictions importantes concernant la capacité physique de Mme Lipp. Toutefois, dans l'ARM, laquelle a été remplie tout juste 20 jours après l'EAPT, le Dr Van Heerden a tout simplement déclaré que Mme Lipp n'était pas capable de lever des objets lourds au-dessus de son épaule et que, à part cela, elle ne faisait l'objet d'aucune autre restriction. M. Hippe a déclaré que si l'ARM était pris au pied de la lettre, cela signifierait que Mme Lipp pourrait effectuer un plus grand nombre de tâches.

[179] Par conséquent, il semble que lorsque la Dr Koz a déclaré dans le Rapport d'enquête qu'elle hésiterait à approuver les restrictions soulignées dans l'ARM, elle voulait dire par là qu'elle n'était pas disposée à approuver une augmentation de l'éventail des tâches que pouvait effectuer Mme Lipp en se fondant sur ce qui avait été écrit dans l'ARM. Elle avait besoin de plus de précisions avant de faire cela.

[180] La Dr Koz a donc recommandé la tenu d'une rencontre avec M. Hippe et les chefs de service de Postes Canada afin de discuter du cas de Mme Lipp et de choisir un mécanisme qui permettrait de clarifier la divergence. Elle n'a donné aucune indication sur ce qu'elle voulait dire par mécanisme. Rien dans le Rapport d'enquête n'indiquait qu'il existait des doutes quant à l'état psychologique de Mme Lipp.

[181] Postes Canada a ensuite demandé que Mme Lipp assiste à une réunion le 8 novembre 2001 afin de discuter du Rapport d'enquête. Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que M. Hippe, M. Slater, Mme Karchewski, M. Jeworski et Mme Darlene Black, une infirmière travaillant pour Medisys, étaient présents à la réunion du 8 novembre 2001. Elle a déclaré que M. Hippe a commencé la réunion en lui disant qu'il voulait qu'elle se rende à un rendez-vous d'EMI à Winnipeg. Il a déclaré que Postes Canada l'enverrait là-bas par avion ou par autobus et qu'elle pourrait se faire accompagner par un délégué syndical. Mme Lipp a répondu qu'elle n'aimait pas prendre l'avion et qu'elle ne voulait pas conduire pour se rendre aussi loin pendant sa grossesse. De plus, elle avait toujours peur de rouler sur l'autoroute en raison du décès de son mari qui s'était produit sur l'autoroute.

[182] Elle a affirmé dans son témoignage qu'elle a dit à M. Hippe que son médecin lui avait conseillé de n'entreprendre aucun voyage en raison des problèmes de crampes utérines qu'elle éprouvait. Dans sa famille, il y avait eu des antécédents de fausse couche; elle ne voulait pas mettre sa grossesse en danger.

[183] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle avait demandé si elle ne pouvait pas éviter l'EMI à Winnipeg en fixant un autre rendez-vous, cette fois-ci avec le Dr Fink à Regina, à une date antérieure au 23 novembre. Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que M. Hippe a répondu qu'il ne voyait aucune raison de s'objecter à cette proposition. L'infirmière de Medisys, Darlene Black, a toutefois affirmé qu'elle ne croyait pas qu'il serait possible de fixer le rendez-vous à une autre date dans un délai aussi court.

[184] Mme Karchewski, la déléguée syndicale, était présente à cette réunion. Son témoignage concernant la réunion a confirmé celui de Mme Lipp.

[185] M. Jeworski, qui était également présent à la réunion, a affirmé dans son témoignage que Mme Lipp avait fait part de ses inquiétudes quant au voyage à Winnipeg parce qu'elle était enceinte et qu'elle avait eu des problèmes avec sa grossesse. Il a affirmé dans son témoignage que Postes Canada avait proposé un certain nombre de solutions de rechange pour faire face au problème engendré par la peur des voyages de Mme Lipp. Mais Mme Lipp a également fait part d'un problème de conflit de rendez-vous car elle avait un rendez-vous chez sa gynécologue à la même date que l'EMI. M. Jeworski a affirmé dans son témoignage que Postes Canada attendait une confirmation de la part de Mme Lipp qu'elle se présenterait à l'EMI à Winnipeg. Bien que la possibilité que Mme Lipp subisse un EMI à Regina avec le Dr Fink fut discutée, aucun engagement ne fut pris par Postes Canada à cet égard. La direction a tout simplement mentionné que la proposition serait examinée. Mme Lipp a mentionné qu'elle examinerait la possibilité qu'elle subisse l'EMI à Winnipeg.

[186] Le ou vers le 15 novembre 2001, Mme Lipp a reçu une lettre de la part de Darlene Black, de Medisys, mentionnant ce qui suit : [traduction] comme il fut convenu lors de la discussion du 8 novembre 2001, des rendez-vous d'examens médicaux indépendants à Winnipeg ont été pris pour vous et voici l'itinéraire. La lettre faisait ensuite mention de la date, de l'heure et de l'endroit prévus pour la tenue des deux EMI à Winnipeg. Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle entendait parler pour la première fois qu'il y aurait deux EMI. Il ne ressort pas clairement de la preuve comment au juste Mme Lipp a établi que l'un des deux rendez-vous avait été fixé avec un psychiatre, mais ces renseignements lui ont été transmis sans que l'on sache comment après qu'elle eut reçu la lettre de Darlene Black.

[187] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que la lettre susmentionnée l'avait laissée perplexe parce que, contrairement à ce que Mme Black avait déclaré dans sa lettre, il n'y avait eu aucune discussion au cours de la réunion du 8 novembre quant à la nécessité de faire subir deux EMI à Mme Lipp. La discussion concernant l'EMI qui a eu lieu lors de la réunion du 8 novembre 2001 a porté sur les restrictions physiques de Mme Lipp et non pas sur son état psychologique.

[188] M. Jeworski a également affirmé dans son témoignage qu'il avait été étonné d'apprendre que Mme Lipp devrait subir, à Winnipeg, un EMI effectué par un psychiatre ainsi qu'un EMI effectué par un spécialiste des emplois, et ce, avant qu'elle ne puisse retourner au travail. Il a déclaré que rien lors de la réunion du 8 novembre n'avait indiqué qu'il y aurait un rendez-vous avec un psychiatre à Winnipeg.

[189] Entre-temps, Mme Lipp a réussi à reporter au 16 novembre 2001 le rendez-vous avec le Dr Fink, le spécialiste des emplois. Elle a appelé Keith Jeworski pour l'informer de cela. À la lumière des discussions qui ont eu lieu avec Postes Canada et Medisys lors de la réunion du 8 novembre, Mme Lipp croyait que le rendez-vous avec le Dr Fink éliminait la nécessité qu'elle aille voir un spécialiste des emplois à Winnipeg.

[190] Mary Lou Woodfield, la deuxième vice-présidente de la section locale du STTP, a affirmé dans son témoignage qu'elle entretenait de bons rapports avec M. Hippe et qu'elle croyait qu'elle serait peut-être en mesure de régler le problème relatif aux EMI. Elle a déclaré qu'elle avait rencontré M. Hippe et qu'elle lui avait demandé s'il envisagerait la possibilité de faire venir les médecins de Winnipeg à Regina afin que ceux-ci effectuent les EMI. M. Hippe a dit à Mme Woodfield qu'il ne paierait pas pour faire venir un médecin à Regina. Il a affirmé qu'il [traduction] n'irait pas jusque là.

[191] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle s'était présentée au rendez-vous avec le Dr Fink le 16 novembre 2001, croyant que cela entraînerait l'annulation d'au moins un des EMI à Winnipeg. Le Dr Fink était un médecin dont Postes Canada avait retenu les services dans le passé pour effectuer des EMI. Elle n'avait aucune raison de croire qu'il ne conviendrait pas à la société.

[192] Mme Lipp s'est également rendue à un rendez-vous chez son médecin le 16 novembre 2001. Celui-ci a écrit un billet qui était ainsi libellé :

[traduction]

Elle est actuellement enceinte de 23 semaines et elle souffre parfois de crampes utérines. Nous préfèrerions donc que vous trouviez un autre médecin et un autre psychologue plus près de chez elle de telle sorte qu'elle n'ait pas à se rendre aussi loin. Elle a peur de voyager en avion et cette peur a empiré à la suite des récents événements. Le Dr J Alton est un spécialiste des emplois qui pourrait peut-être vous aider.

[193] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que le billet susmentionné avait été remis à Postes Canada.

[194] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle avait reçu une lettre, datée du 18 novembre 2001, de la part de M. Slater, mentionnant que si elle ne se présentait pas aux rendez-vous d'EMI à Winnipeg, elle ferait l'objet d'une suspension disciplinaire sans solde. Elle a affirmé dans son témoignage qu'elle ne s'était pas présentée aux rendez-vous parce qu'elle ne voulait pas nuire à sa grossesse.

[195] Le 5 décembre 2001, Mme Lipp a été avisée par lettre qu'elle faisait l'objet d'une suspension disciplinaire sans solde de la part de Postes Canada. M. Slater a mentionné dans cette lettre que si sa grossesse ne lui permettait pas de se rendre au rendez-vous d'IME, alors Mme Lipp devait fournir immédiatement des documents à cet effet. D'autres dispositions seraient prises quant à l'EMI après sa grossesse.

[196] Dans une lettre datée du 6 décembre 2001, George Britton, secrétaire-trésorier de la section locale du STTP à Regina, a écrit à M. Slater et lui a affirmé que Mme Lipp était disposée à subir les EMI et que, en fait, elle avait subi un EMI qui avait été effectué le 16 novembre 2001 par le Dr Fink. M. Slater a répondu à la lettre de M. Britton le 1er janvier 2002. Il a déclaré dans sa lettre de réponse que l'EMI du Dr Fink ne pourrait pas être utilisé car c'est le médecin de Mme Lipp qui l'a envoyée voir le Dr Fink et non pas Postes Canada. Par conséquent, l'examen du Dr Fink ne pouvait pas être considéré comme étant vraiment un examen médical indépendant.

(2) La conclusion du Tribunal quant à la preuve prima facie de l'allégation no 4

[197] Je conclus que la plaignante a établi une preuve prima facie de différence de traitement préjudiciable quant au refus de réintégrer Mme Lipp dans ses fonctions sans qu'elle subisse d'abord les EMI à Winnipeg. Mme Lipp a produit un billet du médecin et une EAPT mentionnant qu'elle était apte à retourner au travail le 9 octobre 2001. Elle a ensuite produit une ARM qui a été examinée par Medisys. Selon l'ARM, Mme Lipp était assujettie à beaucoup moins de restrictions physiques que son médecin ne l'avait déclaré dans l'EAPT antérieur. Toutefois, la médecin de Medisys n'était pas prête à entériner cette conclusion tant que la divergence entre l'EAPT et l'ARM ne serait pas tirée au clair. Rien dans le Rapport d'enquête ne donnait à penser que l'on ne devrait pas permettre à Mme Lipp de retourner au travail.

[198] Néanmoins, Postes Canada a demandé que Mme Lipp subisse d'abord un EMI à Winnipeg avant qu'elle lui permette de retourner au travail. Au début, il semblait que l'EMI ne devait avoir lieu qu'avec un spécialiste des emplois à Winnipeg. Mme Lipp a présumé qu'il servirait à traiter les questions en suspens concernant son aptitude à long terme à travailler à temps plein. Toutefois, rien dans les renseignements médicaux fournis à Postes Canada ne soulevait de question à propos de sa capacité physique à retourner travailler à temps plein sous le régime des tâches modifiées dont elle bénéficiait depuis avril de cette même année. L'ARM donnait plutôt à penser que Mme Lipp pourrait retourner au travail assujettie à moins de restrictions qu'en avril 2001.

[199] Il est devenu évident par la suite que Postes Canada avait des réserves quant à la capacité psychologique de Mme Lipp à travailler car elle voulait envoyer celle-ci consulter également un psychiatre à Winnipeg. Rien, toutefois, dans le Rapport d'enquête du Dr Koz n'indiquait que l'état psychologique de Mme Lipp posait problème. Il semblerait donc que, malgré le manque de renseignements à la disposition de Postes Canada mentionnant que Mme Lipp souffrait toujours d'une dépression ainsi que de troubles anxieux, Postes Canada estimait que l'état psychologique de Mme Lipp constituait un obstacle à son retour au travail.

[200] Il est de jurisprudence constante que la discrimination fondée sur la déficience englobe la différence de traitement fondée sur une déficience perçue (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal (Ville) [2000] 1 R.C.S. 665; Milazzo c. Autocar Connaisseur Inc. et l'Association des autocaristes canadiens 2003 TCDP 37, paragraphes 82 à 88). Je conclus donc que Mme Lipp a établi prima facie que le refus de Postes Canada de lui permettre de retourner au travail tant qu'elle ne subirait pas les EMI à Winnipeg constituait une différence de traitement préjudiciable fondée sur une déficience psychologique perçue et sur une déficience physique réelle (problème de cou, d'épaule, de colonne vertébrale et de fibromyalgie).

[201] Cela, cependant, ne met pas fin à l'analyse relative à la preuve prima facie de l'allégation susmentionnée.

[202] Je conclus qu'il existe également une preuve prima facie que l'insistance de la part de Postes Canada que les EMI aient lieu à Winnipeg constituait une différence de traitement préjudiciable fondée sur le sexe de Mme Lipp. Au lieu de permettre à Mme Lipp de subir l'EMI à Regina, comme elle voulait le faire antérieurement, Postes Canada a demandé que MmeLipp se soumette à deux EMI à Winnipeg avant de pouvoir retourner au travail. Mme Lipp a informé Postes Canada qu'elle avait des problèmes avec sa grossesse et qu'elle estimait qu'elle n'était pas capable de voyager; elle craignait subir une fausse couche. Elle a obtenu un billet, daté du 16 novembre 2001, de la part de son médecin, mentionnant qu'elle préférait n'entreprendre aucun voyage en raison des crampes utérines dont elle souffrait. Le médecin de Mme Lipp a mentionné le nom d'un autre médecin qui pourrait effectuer l'EMI à Regina.

[203] Mme Lipp a déclaré qu'elle avait remis le billet susmentionné à Postes Canada mais elle n'a pas mentionné quand ou comment. M. Slater a affirmé dans son témoignage qu'il ne se souvenait pas avoir reçu ce renseignement. Toutefois, lors de l'audience de la présente instance, le billet a été produit dans le dossier de documents de l'intimée et non pas dans celui de la plaignante. Par conséquent, j'accepte le témoignage de Mme Lipp selon lequel elle avait remis le billet concernant sa grossesse à Postes Canada. Je conclus également que Mme Lipp et le syndicat savaient qu'il était important pour Postes Canada qu'on lui fournisse des documents médicaux en temps utile. Par conséquent, je conclus que Postes Canada a reçu le billet vers la date où il a été écrit, c'est-à-dire le 16 novembre 2001.

[204] À première vue, l'exigence que Mme Lipp subisse deux EMI à Winnipeg ne semble pas discriminatoire. Comme M. Jeworski l'a affirmé dans son témoignage, pour de nombreux employés, se rendre à Winnipeg ne poserait aucun problème. Toutefois, pour Mme Lipp, cette exigence posait un problème compte tenu de ses inquiétudes ainsi que de celles de son médecin quant à l'idée qu'elle se déplace pendant sa grossesse. Cette exigence apparemment neutre a eu pour effet d'imposer à Mme Lipp un fardeau qui n'était pas imposé aux autres employés : Mme Lipp devait choisir entre son emploi et mettre potentiellement sa grossesse en péril. Par conséquent, même si l'exigence ne visait pas particulièrement Mme Lipp en tant que femme, elle avait un effet préjudiciable sur celle-ci en raison de son sexe. Pour cette raison, je conclus qu'une preuve prima facie de discrimination fondée sur le sexe (grossesse) a également été établie.

(3) L'intimée a-t-elle fourni une explication raisonnable?

[205] L'intimée a prétendu qu'elle avait des motifs raisonnables de douter de la validité des rapports du médecin de Mme Lipp à propos de son équilibre psychologique. Elle a prétendu que ceci avait été tranché de façon définitive par l'arbitre dont la décision fut déposée en preuve. De plus, il y avait la question non réglée de la capacité de Mme Lipp à travailler à temps plein et, en plus de tout cela, il y avait la question de la divergence entre l'EAPT et l'ARM produits par le Dr Van Heerden en octobre 2001 qui devait être tirée au clair.

[206] Compte tenu de l'incertitude concernant la santé mentale et la santé physique de Mme Lipp, Postes Canada a prétendu que l'exigence que celle-ci subisse des EMI à Winnipeg avant de pouvoir retourner au travail constituait une EPJ. Postes Canada a de plus prétendu qu'il n'y avait aucun médecin à Regina qui était capable d'effectuer les EMI. Par conséquent, les EMI devaient être effectués à Winnipeg.

[207] Enfin, Postes Canada a prétendu qu'elle ne détenait pas suffisamment de renseignements médicaux pour établir que Mme Lipp avait besoin de mesures d'accommodement quant à sa grossesse. Par conséquent, elle a prétendu que Mme Lipp avait manqué à son devoir de collaboration quant aux efforts d'accommodement.

[208] La plaignante a prétendu qu'aucun élément de preuve ne justifiait la nécessité qu'elle produise des renseignements médicaux supplémentaires. De plus, aucun élément de preuve n'étayait l'affirmation que Postes Canada subirait une contrainte excessive en réintégrant Mme Lipp dans le poste à temps plein.

[209] La plaignante et l'intimée ont toutes les deux soumis de la jurisprudence qui, selon elles, appuient leur position. La plaignante a invoqué Code Electric Products Ltd. c. International Brotherhood of Electrical Workers [2005] B.C.A.A.A. no 14, quant à l'affirmation que les risques en matière de santé et de sécurité doivent être importants avant qu'une demande de production de renseignements médicaux avant le retour au travail ne soit considérée comme étant une EPJ. Dans cette cause, l'arbitre Burke a examiné la question de savoir si le refus de l'intimée de réintégrer le plaignant dans son travail d'opérateur de machine, sans qu'il ne produise des renseignements médicaux supplémentaires et sans qu'il ne s'engage à subir une thérapie, était discriminatoire. Le plaignant souffrait de troubles bipolaires ainsi que de consommation abusive de cannabis et d'alcool. Il a soumis une preuve médicale équivoque à propos de son aptitude à retourner au travail. L'arbitre a souligné que, si on appliquait l'analyse effectuée dans Meiorin, l'exigence en litige dans cette cause était que le plaignant prouve qu'il était apte à retourner au travail avant de retourner au travail puis qu'il suive une thérapie dans son intégralité.

[210] L'arbitre a conclu que les deux premières exigences du critère énoncé dans l'arrêt Meiorin avaient été satisfaites. En ce qui a trait à la question de l'accommodement sans qu'il en résulte une contrainte excessive, l'arbitre a souligné les témoignages donnés par les médecins qui ont témoigné dans cette cause. Ceux-ci ont affirmé dans leurs témoignages qu'il existait un risque important de déficience dans le jugement du plaignant si celui-ci devait souffrir d'un épisode psychotique. Compte tenu que le plaignant travaillait dans une entreprise industrielle dans laquelle il faisait fonctionner une machine qui tranche le métal avec une grande lame au rythme de 30 à 40 tranches par minute, son état de santé posait un risque important. L'arbitre a déclaré que la situation était différente de celle d'un bureau où les questions de sécurité sont différentes.

[211] L'arbitre a conclu que, compte tenu de l'incertitude quant à l'état de santé du plaignant, de la gravité de son état et de la nature du lieu de travail, une contrainte excessive serait occasionnée si l'aptitude du plaignant à retourner au travail n'était pas établie de façon adéquate.

[212] L'intimée invoque la décision Brimacombe c. Northland Road Services Ltd. [1998] B.C.H.R.T.D. no 34 (Q.L.). Brimacombe était un mécanicien de machinerie lourde. On a diagnostiqué chez lui le syndrome de fatigue chronique. Il souffrait d'étourdissements, de fatigue et de problème d'équilibre pendant son travail. Il a arrêté de travailler et il est parti en congé de maladie, puis, lorsqu'il est revenu, il a produit un billet du médecin mentionnant qu'il pourrait faire fonctionner des machines comme, par exemple, conduire un camion, mais qu'il ne pourrait faire aucun travail manuel. Le billet ne donnait toutefois aucune explication quant à la maladie, les capacités, les restrictions et quant aux risques d'un accident occasionné par l'état du plaignant.

[213] Le Tribunal des droits de la personne de la Colombie-Britannique a conclu que l'exigence que le plaignant produise un billet du médecin plus détaillé était justifiée et que s'il retournait au travail sans produire ce billet, cela aurait pour effet de créer un risque important quant à la sécurité. Le Tribunal a déclaré que l'importance du risque couru par le plaignant et ses collègues de travail était considérable. En tant que mécanicien de machinerie lourde, M. Brimacombe travaillait sur des machines lourdes et autour de machines lourdes, comme des tracteurs, des charrues, des niveleuses, etc. Afin de permettre à M. Brimacombe de retourner au travail sans produire un billet qui mentionnait davantage de détails quant à sa maladie et quant à ses restrictions aurait constitué une contrainte excessive pour l'intimée, pour ses collègues de travail et, dans certaines circonstances, pour le public. De plus, le Tribunal a jugé que l'employeur ne disposait, sans renseignements médicaux, d'aucun moyen pour organiser convenablement les tâches de l'emploi.

[214] Ces causes donnent à penser que l'exigence que l'employé produise des renseignements médicaux supplémentaires et (ou) subisse un examen médical indépendant avant qu'on puisse lui permettre de retourner au travail constituera vraisemblablement une EPJ lorsque la preuve médicale disponible jusqu'à présent n'est pas claire et qu'il existe un risque important quant à la sécurité et (ou) la santé de l'employé et des autres personnes autour de lui. Lorsque la sécurité est en jeu, l'ampleur du risque et l'identité de ceux qui le supportent sont des facteurs pertinents (Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Commission des droits de la personne.) (1990), 12 C.H.R.R. D/417, paragraphe 63). Toutefois, le risque ne peut pas être considéré comme un élément indépendant qui justifie la discrimination; il fait plutôt partie de l'analyse quant à savoir si la suppression de l'exigence de production de renseignements médicaux supplémentaires crée une contrainte excessive (Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 R.C.S. 868, paragraphe 30).

[215] La nature de la déficience et les conditions de travail sont des facteurs qui devraient également être pris en compte dans l'appréciation de savoir si l'exigence de subir un examen médical indépendant constitue une EPJ. En vertu du paragraphe 15(2) de la Loi, l'intimée peut également démontrer que le coût de l'accommodement de la plaignante, en l'absence de renseignements médicaux, constituait une contrainte excessive.

a) Les étapes deux et trois de l'analyse effectuée dans Meiorin : l'exigence de subir des EMI à Winnipeg est-elle rationnellement liée à des objectifs légitimes et a-t-elle été adoptée de bonne foi?

[216] Je crois qu'il est logique dans le contexte de l'allégation susmentionnée d'analyser ensemble les deux premières étapes de l'analyse effectuée dans Meoirin.

[217] Il ressort de la jurisprudence en matière d'arbitrage dans ce domaine qu'un employeur a le droit de demander des preuves sur l'état de santé d'un employé lorsqu'il retourne au travail après avoir été absent à la suite d'une maladie. L'exigence de production de renseignements médicaux a été jugée nécessaire afin que l'on puisse assurer la sécurité et la santé de l'employé qui retourne au travail ainsi que celle de ses collègues de travail et afin que l'on puisse faciliter le processus d'accommodement (Re Firestone Tire and Rubber Company of Canada Ltd. et United Rubber Workers, section locale 113 (1979) 3 L.A.C. (2d) 12; Code Electric Products Ltd, précitée, paragraphe 100 Brimacombe, précitée, paragraphe 83).

[218] Dans l'analyse que j'ai faite dans la première partie des présents motifs, j'ai conclu que l'exigence que Mme Lipp subisse un EMI à Regina était rationnellement liée à l'objectif qui consiste à s'assurer que Postes Canada l'accommode de façon sécuritaire de telle sorte qu'elle puisse faire un travail productif dans le cadre de son poste de commis des postes à temps plein. J'ai également conclu que l'exigence que Mme Lipp subisse un EMI à Regina a été formulée dans la croyance honnête et sincère que cette mesure était nécessaire à l'atteinte de ces objectifs. Pour les mêmes motifs, je suis disposé à accepter que l'exigence que Mme Lipp se rende aux deux EMI était rationnellement liée aux objectifs qui consistent à voir à ce que l'on accommode Mme Lipp de façon sécuritaire et productive dans le cadre du poste à temps plein.

[219] Il s'agit maintenant de décider si l'exigence que Mme Lipp subisse deux EMI à Winnipeg avant de pouvoir retourner au travail a été formulée dans la croyance honnête et sincère que cette mesure était nécessaire à l'atteinte de ces objectifs.

[220] M. Hippe et M. Slater ont tous les deux affirmé dans leur témoignage que la Dr Koz leur avait dit que Mme Lipp ne devrait pas retourner au travail tant qu'elle n'aurait pas fourni les résultats des EMI. Ceux-ci ont de plus affirmé dans leur témoignage que la Dr Koz n'avait plus confiance dans la personne qui effectuait les EMI à Regina, c'est-à-dire le Dr Fink. M. Hippe a affirmé dans son témoignage que le Dr Koz lui avait dit qu'il n'y avait aucun autre médecin à Regina qui pouvait faire subir les EMI.

[221] Compte tenu du témoignage susmentionné, je suis disposé à accepter que Postes Canada a formulé l'exigence que Mme Lipp subisse les EMI à Winnipeg avant de pouvoir retourner au travail en croyant honnêtement et sincèrement que cette mesure était nécessaire afin de voir à ce que l'on accommode Mme Lipp de façon sécuritaire et productive dans le cadre du poste à temps plein.

[222] Comme c'est souvent le cas, la question la plus difficile à laquelle l'intimée doit répondre est la suivante :

b) L'exigence que Mme Lipp subisse des EMI à Winnipeg était-elle raisonnablement nécessaire à l'atteinte de l'objectif qui consiste à voir à ce que ce que l'on accommode Mme Lipp de façon sécuritaire et productive dans le cadre du poste à temps plein?

[223] À ce stade-ci, Postes Canada doit démontrer que l'exigence d'envoyer Mme Lipp à Winnipeg afin qu'elle y subisse les EMI était raisonnablement nécessaire en ce sens qu'elle n'aurait pas pu accommoder Mme Lipp sans subir une contrainte excessive (Meiorin, précité, paragraphe 62). Postes Canada doit démontrer qu'elle a examiné les solutions de rechange à l'envoi de Mme Lipp à Winnipeg afin qu'elle y subisse les EMI et que les solutions de rechange examinées qu'elle a rejetées, l'ont été pour des motifs appropriés (Meiorin, précité, paragraphe 65; voir également Audet c. CCFNC 2006 TCDP 25, paragraphe 62). Une preuve, constituée d'impressions, quant au coût de l'accommodement d'une personne n'est pas acceptable; l'intimé doit démontrer d'une manière réelle et concrète de quelle façon les coûts associés au fait de fournir un accommodement constitueraient pour lui une contrainte excessive (Audet, précitée, paragraphe 106).

[224] Pour analyser la troisième partie du critère de l'EPJ, j'ai divisé la question de la façon suivante :

  1. Était-il nécessaire que Mme Lipp subisse un examen psychiatrique indépendant?
  2. Était-il nécessaire que Mme Lipp subisse un EMI avec un spécialiste des emplois?
  3. Était-il raisonnablement nécessaire que l'on empêche Mme Lipp de retourner travailler tant qu'elle n'aurait pas fourni les résultats des EMI?
  4. Était-il raisonnablement nécessaire que l'on exige que les EMI soient effectués à Winnipeg?

(i) Était-il nécessaire que Mme Lipp subisse un examen psychiatrique indépendant?

[225] Mme Lipp a produit un billet du médecin mentionnant qu'elle était apte à retourner au travail. L'arbitre a jugé que Postes Canada, par le biais de sa médecin consultante, la Dr Koz, avait des motifs raisonnables de douter de la validité des renseignements médicaux fournis par le Dr Van Heerden quant à savoir si Mme Lipp était psychologiquement apte à travailler.

[226] La Dr Koz n'a pas été appelée à témoigner à l'audience de la présente cause. M. Hippe a affirmé dans son témoignage que la Dr Koz lui avait dit que Mme Lipp ne devrait pas retourner au travail tant que l'on n'aurait pas obtenu les résultats des EMI. Il ne pouvait toutefois pas expliquer pourquoi la Dr Koz était de cette opinion. Par conséquent, je ne connais pas les renseignements dont disposait la Dr Koz pour donner à penser que Mme Lipp souffrait toujours d'un état psychologique qui l'aurait exposé ou exposé d'autres personnes à des risques si elle retournait travailler sans d'abord subir un examen psychiatrique indépendant. Le seul élément de preuve du Dr Koz dont j'ai été saisi était le Rapport d'enquête, daté du 30 octobre 2001, qu'elle a rédigé et qui ne mentionnait rien quant à l'état psychologique de Mme Lipp. Dans ce rapport, la Dr Koz n'a rien relevé dans l'ARM produit par le Dr Van Heerden qui l'aurait amenée à mettre en doute la déclaration du médecin selon laquelle Mme Lipp était psychologiquement apte à retourner travailler.

[227] M. Hippe a affirmé dans son témoignage que la principale raison pour laquelle Postes Canada avait douté de la validité des renseignements médicaux était que la société avait appris d'une manière ou d'une autre que Mme Lipp avait besoin de retourner travailler, et ce, pour des raisons financières; les prestations d'invalidité qu'elle recevait de la Sun Life avaient pris fin. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi cela l'amenait à douter de l'aptitude de Mme Lipp à retourner au travail, M. Hippe a répondu qu'il croyait qu'elle retournait au travail parce qu'elle était obligée et non pas parce qu'elle était capable. Il a déclaré qu'il ne croyait que son état psychologique avait changé. Toutefois, je n'ai été saisi d'aucune preuve qui aurait été en la possession de Postes Canada au moment où Mme Lipp a présenté sa demande de retour au travail qui appuierait cette déclaration.

[228] Par conséquent, je ne suis pas convaincu, compte tenu de la preuve dont je suis saisi, qu'il était nécessaire que Postes Canada exige que Mme Lipp subisse un examen psychiatrique indépendant afin de l'accommoder de façon sécuritaire dans le cadre de son poste de commis des postes. Néanmoins, même si je devais conclure que cette mesure était nécessaire, cela ne mettrait pas fin à l'analyse. Je serais toujours tenu d'examiner si Postes Canada était justifiée de ne pas réintégrer Mme Lipp dans ses fonctions et d'exiger que celle-ci se rende à Winnipeg pour subir l'EMI. Par conséquent, je vais procéder à l'analyse comme s'il était nécessaire que Postes Canada exige la tenue d'un examen psychiatrique indépendant.

(ii) Était-il nécessaire d'exiger la tenue d'un EMI avec un spécialiste des emplois à propos des restrictions physiques de Mme Lipp?

[229] En plus de l'examen psychiatrique indépendant, Mme Lipp devait subir un EMI à Winnipeg avec un spécialiste des emplois afin que celui-ci évalue ses restrictions physiques. M. Hippe et M. Slater ont tous les deux affirmé dans leur témoignage que l'exigence de la tenue d'un EMI avec un spécialiste des emplois était fondée sur la divergence entre l'EAPT et l'ARM produits par le Dr Van Heerden. Bien qu'il ne soit pas clair pour moi, compte tenu de la preuve, que la tenue d'un EMI était nécessaire afin que l'on puisse clarifier cette divergence, je suis disposé à conclure qu'il est toujours nécessaire que Mme Lipp subisse un EMI afin que l'on clarifie ses restrictions physiques quant au poste à temps plein de commis des postes.

[230] M. Slater a affirmé dans son témoignage que cette exigence constituait toujours une question en litige pour Postes Canada à la suite du congé de maladie de Mme Lipp. À l'automne 2001, Mme Lipp était déjà en congé depuis un certain temps et Postes Canada était toujours préoccupée quant à sa capacité à travailler à temps plein et quant à la nature exacte de ses restrictions. Par conséquent, pour les motifs que j'ai invoqués dans la partie précédente de la présente décision, laquelle traite de l'exigence que Mme Lipp subisse un EMI, je conclus que la tenue d'un EMI avec un spécialiste des emplois afin que l'on clarifie les restrictions physiques de Mme Lipp est toujours nécessaire.

(iii) Était-il raisonnablement nécessaire que l'on ne réintègre pas Mme Lipp dans ses fonctions tant qu'elle n'aurait pas fourni les résultats des EMI?

[231] Bien que l'exigence que Mme Lipp subisse un EMI avec un spécialiste des emplois ainsi qu'un EMI avec un psychiatre était peut-être raisonnablement nécessaire, la question évidente qui se pose est celle qui consiste à savoir s'il était nécessaire que l'on ne réintègre pas Mme Lipp dans ses fonctions tant qu'elle n'aurait pas fourni les résultats de ces EMI. Compte tenu que, avant que Mme Lipp ne parte en congé pour cause de stress, Postes Canada était disposée à accommoder Mme Lipp quant au poste à temps plein sans d'abord détenir les résultats des EMI, Postes Canada doit maintenant démontrer quels facteurs avaient changé pour justifier que l'on ne réintègre pas Mme Lipp dans ses fonctions à l'automne 2001.

[232] M. Hippe a affirmé dans son témoignage que la Dr Koz lui avait dit que Mme Lipp ne devrait pas rentrer au travail tant qu'elle n'aurait pas subi les EMI et qu'elle n'aurait pas fourni les résultats au Dr Koz. Malheureusement, comme je l'ai déjà mentionné, la Dr Koz n'a pas témoigné. Personne d'autre n'a témoigné quant aux questions relatives à la sécurité, à la santé ou aux coûts qui pourraient être occasionnés si Mme Lipp était réintégrée dans son emploi à temps plein à tâches modifiées qu'elle a occupé entre octobre 2000 et avril 2001.

[233] Par conséquent, on n'a soumis aucun élément de preuve quant à savoir pourquoi Mme Lipp ne devrait pas travailler en attendant que des renseignements médicaux supplémentaires soient recueillis. Mme Lipp posait-elle un risque particulier en matière de santé et de sécurité pour elle-même ou pour les autres personnes autour d'elle, un risque tel qu'on ne pouvait pas lui permettre de retourner au travail? Dans l'affirmative, pourquoi est-ce que ce fut le cas en octobre 2001, mais pas en octobre 2000, alors que Mme Lipp fut affectée au poste à temps plein malgré le fait que Medisys ne détenait aucun résultat d'EMI? Ces questions ont été laissées en suspens durant l'audience. Toutefois, les réponses à ces questions étaient essentielles quant à la conclusion de savoir si la réintégration de Mme Lipp dans son poste à temps plein à tâches modifiées en attendant que les renseignements médicaux demandés aient été recueillis imposeraient une contrainte excessive à Postes Canada.

[234] M. Hippe a donné à entendre que, comme le conflit en milieu de travail avec M. Slater n'était pas encore réglé, il était risqué que Mme Lipp retourne au travail. Toutefois, en contre-interrogatoire, M. Hippe a avoué que Postes Canada estimait que cela ne constituait pas un obstacle au retour au travail de Mme Lipp. Il a affirmé dans son témoignage que le processus de règlement des conflits aurait probablement été entrepris dès que Mme Lipp aurait été de retour au travail. Toutefois, bien que le Rapport d'enquête du 10 juillet 2001, lequel a été rédigé pendant que Mme Lipp était encore en congé de maladie, mentionnait que le processus de règlement des conflits devrait être entrepris, rien dans le Rapport d'enquête du 30 octobre 2001, alors que Mme Lipp voulait retourner au travail, n'indiquait qu'on avait toujours besoin de régler le conflit.

[235] En fait, la preuve a révélé que Mme Lipp ne désirait pas rencontrer Postes Canada à son retour au travail afin de discuter du conflit qu'elle avait eu avec M. Slater. Au lieu de cela, par l'intermédiaire de son syndicat, elle a demandé que M. Slater se tienne à au moins 10 pieds d'elle et qu'il ne communique avec elle que par l'intermédiaire du chef d'équipe.

[236] M. Hippe a affirmé dans son témoignage que les besoins opérationnels du Centre étaient tels qu'exiger que M. Slater ne communique avec Mme Lipp que par l'intermédiaire du chef d'équipe occasionnerait une contrainte excessive à Postes Canada. Il a affirmé dans son témoignage que, dans l'éventualité où il y aurait une urgence et que le chef d'équipe ne se trouverait pas dans l'immeuble, il faudrait que M. Slater puisse être capable de communiquer avec Mme Lipp.

[237] M. Jeworski a proposé à Postes Canada ce qui, selon lui, constituerait une solution raisonnable au conflit en milieu de travail qui avait entraîné le départ de Mme Lipp en congé lié au stress. Il savait que la solution voulant que M. Slater se tienne à une distance d'au moins 10 pieds de Mme Lipp était irréalisable. M. Jeworski a toutefois affirmé dans son témoignage que, pour l'essentiel, l'objectif de règlement du conflit et l'objectif de retour au travail réussi de Mme Lipp pouvaient être atteints tout simplement en suivant la chaîne de commandement habituel qui existait au Centre de traitement du courrier. Dans le cours normal des choses, la plus grande partie des communications dans la salle de travail se font entre le superviseur et l'employé. Les directeurs comme M. Slater n'entrent en jeu que lorsque le superviseur ne se trouve pas dans l'immeuble ou qu'il est en pause ou que lorsque quelque chose d'exceptionnel se produit.

[238] M. Jeworski a affirmé dans son témoignage qu'il avait fait une proposition à Postes Canada qui, selon lui, constituait un compromis raisonnable. Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle avait accepté la proposition. Selon la proposition, on permettrait à Mme Lipp de retourner au travail à la condition qu'elle soit toujours tenue de se soumettre aux EMI. On s'efforcerait de trouver des médecins qui se trouvent à Regina ou près de Regina, à défaut de quoi Postes Canada attendrait jusqu'à ce que la grossesse de Mme Lipp soit terminée. On suivrait les voies de communication normales qui existent dans le Centre; M. Slater ferait de son mieux pour ne pas empirer la situation avec Mme Lipp.

[239] M. Jeworski croyait que ce plan fonctionnerait parce que, normalement, les employeurs ont hâte que les employés retournent au travail. De plus, il ne s'agissait pas là d'une proposition radicale; le syndicat ne cherchait pas à faire renvoyer M. Slater ou à le faire muter dans une autre section. Mme Lipp ne cherchait pas à se soustraire aux EMI. Postes Canada avait toutefois fixé une limite et n'a pas accepté la proposition. M. Jeworski a affirmé dans son témoignage que, quant à Postes Canada [traduction] les EMI devait être effectué avant le retour au travail.

[240] J'estime que la proposition de M. Jeworski était tout à fait raisonnable. Postes Canada n'a produit aucun témoignage quant à la raison pour laquelle elle avait rejeté la proposition. De plus, rien n'indiquait qu'une telle proposition aurait occasionné une contrainte excessive pour Postes Canada.

[241] Par conséquent, je conclus que Postes Canada n'a pas réussi à établir qu'il était raisonnablement nécessaire de ne pas réintégrer Mme Lipp dans ses fonctions tant que les renseignements médicaux supplémentaires n'avaient pas été recueillis.

(iv) Était-il raisonnablement nécessaire d'exiger que les EMI soient effectués à Winnipeg?

[242] Si on présume que la tenue de l'EMI avec un psychiatrique et que la tenue de l'EMI avec un spécialiste des emplois étaient raisonnablement nécessaires, la question qui se pose est donc de savoir s'il était raisonnablement nécessaire d'exiger que Mme Lipp subisse ces examens à Winnipeg.

[243] Une fois de plus, l'intimée invoque la décision rendue par l'arbitre, lequel a entendu et semble avoir accepté le témoignage du Dr Koz selon lequel elle avait de bonnes raisons d'avoir perdu confiance en le Dr Fink. Ces raisons n'étaient pas mentionnées dans la décision de l'arbitre. L'arbitre semble donc avoir accepté le témoignage selon lequel il n'y avait aucun spécialiste à Regina qui pouvait effectuer l'un ou l'autre EMI. On m'a exhorté à accepter ces conclusions plutôt que le témoignage du Dr Koz sur ces points et à conclure, par conséquent, que Postes Canada n'avait pas d'autre choix que d'envoyer Mme Lipp à Winnipeg.

[244] J'ai certaines réserves à propos de la conclusion susmentionnée. Premièrement, comme je l'ai mentionné dans ma décision sur la question de la chose jugée, il semble que les questions en matière de droits de la personne n'ont pas été débattues lors de l'arbitrage, ni examinées par l'arbitre dans sa décision. De plus, l'avocate de Mme Lipp n'était pas présente à l'audience; seuls le syndicat et Postes Canada avaient qualité pour agir. Par conséquent, l'avocate de Mme Lipp n'a pas eu l'occasion de poser au Dr Koz des questions fondées sur une analyse de l'affaire fondée sur les droits de la personne. Par exemple, elle n'a pas eu l'occasion d'examiner la nature de la difficulté qui était censément occasionnée par l'exigence que les EMI aient lieu à Regina ou dans les environs de Regina.

[245] Deuxièmement, le billet émanant du médecin de Mme Lipp mentionnant qu'un autre médecin, le Dr Alport, était capable d'effectuer au moins l'un des EMI à Regina a été présenté à l'audience comme élément de preuve. Il ne ressort pas clairement de la décision de l'arbitre si cet élément de preuve a été déposé en preuve à l'audience et présenté au Dr Koz. Toutefois, cet élément de preuve est pertinent à la question de savoir s'il existait des solutions de rechange raisonnables à l'exigence voulant que l' EMI concernant les restrictions physiques de Mme Lipp soit effectué à Winnipeg. Compte tenu que la Dr Koz n'a pas témoigné à l'audience de la présente plainte, on n'a donc pas eu l'occasion de demander au Dr Koz si elle avait examiné cette solution ou d'autres solutions.

[246] Enfin, même si l'on accepte qu'il n'y avait personne à Regina qui pouvait effectuer l'EMI quant aux restrictions physiques de Mme Lipp, la décision de l'arbitre ne traite d'aucun témoignage de la part du Dr Koz quant à savoir s'il n'y avait pas une personne à Regina qui pouvait effectuer l'EMI portant sur les questions d'ordre psychiatrique.

[247] Pour ces motifs, je conclus que la décision rendue par l'arbitre quant à la nécessité que Mme Lipp subisse les EMI à Winnipeg n'est pas applicable en l'espèce.

Postes Canada a-t-elle tenté de trouver et d'examiner des solutions autres que la solution qui consiste à envoyer Mme Lipp à Winnipeg?

[248] M. Hippe a affirmé dans son témoignage que la Dr Koz lui avait dit qu'elle ne connaissait aucun médecin en Saskatchewan qui effectuait des EMI. Toutefois, M. Hippe a également affirmé dans son témoignage que, selon lui, il y avait peut-être un ou deux médecins dans la province qui effectuaient des EMI. De plus, Postes Canada avait en sa possession un billet, daté du 16 novembre 2001, émanant du Dr Van Heerden, qui laissait entendre qu'un médecin, le Dr Alport, pourrait peut-être effectuer l'EMI portant sur les restrictions physiques. Rien n'indiquait que M. Hippe avait examiné ces possibilités ou avait demandé que la Dr Koz fasse les enquêtes appropriées. M. Hippe a affirmé dans son témoignage que, comme la Dr Koz était originaire de Winnipeg, elle avait établi des relations avec des médecins de cette ville qui pouvaient effectuer les IME. M. Hippe a mentionné qu'il acceptait la déclaration du Dr Koz selon laquelle les EMI devraient être effectués à Winnipeg.

[249] De même, on n'a soumis aucun élément de preuve concernant les efforts qui ont été faits afin de savoir s'il y avait des médecins à Regina qui étaient capables d'effectuer l'EMI portant sur les questions d'ordre psychiatrique. Par conséquent, j'estime que la preuve ne démontre pas que Postes Canada a sérieusement tenté de savoir s'il y avait d'autres médecins à Regina ou en Saskatchewan qui auraient pu effectuer les EMI.

Le fait d'accommoder Mme Lipp aurait-il imposé une contrainte excessive à Postes Canada?

[250] Bien que j'aie conclu que de nombreuses solutions de rechange quant à l'accommodement de Mme Lipp n'ont pas été examinées par Postes Canada, le paragraphe 15(2) de la Loi prévoit qu'un employeur peut néanmoins justifier une différence de traitement préjudiciable quant à une personne en démontrant que les mesures destinées à répondre aux besoins de la personne lui imposeraient une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[251] La preuve a révélé que, à un certain moment, le syndicat a mentionné qu'une façon de répondre aux préoccupations de Mme Lipp en matière de déplacement serait que Postes Canada fassent venir les médecins de Winnipeg à Regina afin que ceux-ci rencontrent Mme Lipp. Mme Woodfield a affirmé dans son témoignage que M. Hippe lui avait catégoriquement affirmé qu'il n'était pas disposé à défrayer les coûts de ces déplacements.

[252] À l'audience, toutefois, il incombait à Postes Canada d'établir, au moyen d'une preuve qui était plus qu'une preuve constituée d'impressions ou une preuve conjecturale, que les coûts engagés afin de faire venir les spécialistes de Winnipeg en avion imposeraient à Postes Canada une contrainte excessive. Aucune preuve en ce sens n'a été présentée à l'audience.

[253] De même, en décembre 2001, le syndicat a proposé que Postes Canada accepte le rapport d'EMI du Dr Fink plutôt que le rapport d'EMI d'un spécialiste des emplois à Winnipeg. Postes Canada a répondu que comme c'était le médecin de famille de Mme Lipp qui avait envoyé cette dernière voir le Dr Fink, le rapport de ce dernier n'était plus considéré comme étant un rapport d'EMI. M. Hippe a également affirmé dans son témoignage que la Dr Koz avait également perdu confiance dans le Dr Fink et que, par conséquent, le rapport de ce dernier n'était pas acceptable. Toutefois, M. Hippe n'a pas pu affirmer pourquoi la Dr Koz avait perdu confiance dans le Dr Fink et quelles auraient été les conséquences de l'acceptation du rapport pour Postes Canada.

[254] Encore une fois, en l'absence de preuve quant au genre de contrainte qu'imposerait à Postes Canada le simple fait d'accepter les recommandations du Dr Fink plutôt que d'envoyer Mme Lipp à Winnipeg, on se retrouve avec un certain nombre de questions sans réponse qui sont essentielles à la décision à ce stade du critère de l'EPJ. Le fait de suivre les recommandations du Dr Fink aurait-il engendré un risque inacceptable en matière de santé et de sécurité pour Mme Lipp ou pour ses collègues de travail? Cela aurait-il occasionné des coûts impossibles à gérer pour Postes Canada? Aucun élément de preuve ne traitait de ces questions.

[255] Pour ces motifs, je conclus que Postes Canada n'a pas établi que le fait que Mme Lipp ne subisse pas les EMI à Winnipeg aurait pour conséquence de lui imposer une contrainte excessive.

Mme Lipp a-t-elle refusé une solution raisonnable quant à la question de l'accommodement?

[256] Les cours de justice ont déclaré qu'un employé ne peut pas refuser un accommodement raisonnable pour le motif que la solution de rechange qu'il préfère n'imposera pas une contrainte excessive à l'employeur (Hutchinson c. Canada (Ministre de l'Environnement 2003 CAF 133, paragraphe 77). Par conséquent, s'il peut être démontré que Mme Lipp a refusé un accommodement raisonnable qui lui a été offert par Postes Canada, alors il n'importe pas que Postes Canada ait démontré que les solutions de rechange susmentionnées lui auraient imposé une contrainte excessive.

[257] Postes Canada a prétendu qu'elle avait fait des efforts considérables afin de trouver un accommodement quant à la crainte qu'avait Mme Lipp d'avoir à se déplacer. M. Hippe a affirmé dans son témoignage qu'il avait fait un certain nombre d'offres visant à encourager Mme Lipp à accepter de se rendre à Winnipeg. Par exemple, MmeLipp serait rémunérée à partir du 7 novembre 2001 jusqu'à ce qu'elle se soumette aux EMI. De plus, divers moyens de transport pour se rendre à Winnipeg lui ont été offerts, notamment l'autobus, l'avion et l'automobile. On lui permettait de se faire accompagner par un représentant syndical. Enfin, on a laissé entendre que les frais qu'occasionnerait la présence du partenaire de Mme Lipp pourraient être défrayés, bien que Mme Lipp ait affirmé dans son témoignage qu'elle n'a jamais été informée quant à cette solution de rechange.

[258] Postes Canada a prétendu que ces efforts visant à accommoder Mme Lipp étaient raisonnables et que rien de plus n'était exigé. Je ne souscris pas à cette opinion. Les solutions de rechange qui ont été offertes par Postes Canada ne répondaient pas à la crainte qu'avait Mme Lipp de voyager en raison de sa grossesse.

[259] M. Hippe a affirmé dans son témoignage qu'il savait que Mme Lipp avait eu des problèmes lors de grossesses antérieures et qu'elle avait pu subir des fausses couches dans le passé. Il savait qu'elle était préoccupée par sa grossesse et que, en conséquence, elle ne voulait pas voyager. M. Hippe a affirmé dans son témoignage qu'il a également pu être en possession d'un certain nombre de renseignements indiquant que Mme Lipp souffrait de crampes utérines. Toutefois, il a affirmé dans son témoignage que lorsqu'il avait parlé avec la Dr Koz, celle-ci lui avait dit que les crampes utérines faisaient partie du processus normal des grossesses. Sur la foi de cette déclaration du Dr Koz, M. Hippe a exprimé l'opinion que Mme Lipp devrait être capable de se rendre à Winnipeg.

[260] La Cour suprême du Canada a souligné l'importance de la prise en compte des besoins individuels de la personne qui demande un accommodement (Meiorin, précité, paragraphe 62). Les généralisations s'appliquant aux grossesses normales ne peuvent donc pas servir de fondement à une décision de ne fournir aucun accommodement à une personne quant à ses besoins particuliers. Alors que l'opinion du Dr Koz était un facteur dont on devait tenir compte en évaluant les besoins de Mme Lipp en matière d'accommodement, elle n'est qu'un facteur parmi d'autres dont on aurait dû tenir compte.

[261] Mme Lipp était certainement tenue d'informer Postes Canada des circonstances particulières de sa grossesse (Desormeaux c. O.C. Transpo 2003 TCDP 2, paragraphe 110, conf. par 2005 CAF 311). La preuve a établi que c'est ce qu'elle a fait.

[262] De plus, même sans prendre en compte la grossesse de Mme Lipp, je conclus que les offres d'accommodement faites par Postes Canada n'étaient pas raisonnables. Selon moi, l'exigence que Mme Lipp se rende à l'extérieur de la province afin de subir un EMI de deux jours n'aurait dû être imposée qu'en dernier recours. Il s'agissait là d'une lourde obligation à laquelle Mme Lipp devait se conformer parce qu'elle était une travailleuse ayant une déficience. Par conséquent, Postes Canada était tenue d'examiner à fond toutes les solutions de rechange possibles avant d'envoyer Mme Lipp à Winnipeg afin de subir les EMI. La preuve indique que Postes Canada ne l'a pas fait.

[263] Compte tenu de cet élément de preuve, je conclus que l'offre d'accommodement qui a été faite à Mme Lipp en ce qui a trait au voyage à Winnipeg n'était pas une offre raisonnable.

(4) Les conclusions du Tribunal quant à l'allégation no 4

[264] Pour l'ensemble des motifs susmentionnés, je conclus que Postes Canada n'a pas établi que l'exigence que Mme Lipp se soumette à deux EMI à Winnipeg avant de pouvoir retourner au travail était une exigence professionnelle justifiée. Par conséquent, je conclus que le refus de Postes Canada de réintégrer Mme Lipp dans ses fonctions tant qu'elle ne se serait pas soumise aux EMI à Winnipeg constituait de la discrimination fondée sur la déficience (réelle et apparente) et le sexe.

B. L'ALLÉGATION NO 5 - L'imposition d'une suspension disciplinaire sans solde

(1) La preuve prima facie

[265] Si Mme Lipp n'avait pas été enceinte et n'avait eu aucune déficience, elle n'aurait pas été placée dans une situation où elle devait choisir entre faire l'objet d'une mesure disciplinaire et mettre en péril la santé de son foetus. Pour ce motif, je conclus qu'une preuve prima facie de différence de traitement préjudiciable fondée sur la déficience et le sexe a été établie.

(2) L'explication de l'intimée

[266] Postes Canada a prétendu qu'elle avait imposé la mesure disciplinaire susmentionnée pour des motifs non discriminatoires, c'est-à-dire qu'elle avait imposé une mesure disciplinaire à une employée pour cause d'insubordination. À cet égard, Postes Canada s'est fondée sur le raisonnement de l'arbitre qui a jugé que Mme Lipp avait fait le choix tactique de ne pas aller subir les EMI à Winnipeg. L'attitude provocante de cette dernière à cet égard justifiait l'imposition d'une suspension disciplinaire sans solde.

[267] La question dont je suis saisi ne consiste pas, comme c'était le cas dans l'arbitrage, à savoir si Postes Canada était justifiée d'imposer une suspension disciplinaire sans solde à Mme Lipp. La question à laquelle je dois répondre est celle qui consiste à savoir si Postes Canada a établi, d'après la preuve, que le statut de femme enceinte et de travailleuse ayant une déficience de Mme Lipp n'a pas constitué un facteur dans la décision de lui imposer une suspension disciplinaire sans solde ou que la mesure disciplinaire constituait une exigence professionnelle justifiée. Postes Canada n'a pas soulevé ce dernier argument. Par conséquent, je ne traiterai pas de cette question.

[268] Postes Canada n'a présenté aucune preuve contredisant le témoignage de Mme Lipp selon lequel son refus d'aller subir les EMI à Winnipeg ne constituait aucunement de l'insubordination; il s'agissait plutôt d'une décision principalement fondée sur l'inquiétude qu'elle avait quant à l'effet que le voyage pourrait avoir sur sa grossesse. Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle était disposée à subir les EMI, mais qu'elle ne pouvait pas quitter la ville afin de les subir. Elle a fait part de son problème à Postes Canada et elle lui a remis un billet du médecin qui prouvait le bien-fondé de cette préoccupation. M. Hippe savait que Mme Lipp avait éprouvé certaines difficultés avec ses grossesses dans le passé et il savait que celle-ci avait peur de voyager car elle craignait que cela nuise à sa grossesse, mais il a plutôt choisi de suivre la déclaration générale que lui avait faite la Dr Koz selon laquelle il était normal qu'une femme souffre de crampes utérines durant le deuxième trimestre d'une grossesse. Postes Canada n'a présenté aucune preuve médicale à l'appui de ce qui semblait être un argument voulant que l'inquiétude de Mme Lipp en rapport avec sa grossesse n'était tout simplement qu'une excuse pour ne pas se subir l'EMI.

[269] Compte tenu du témoignage de Mme Lipp quant à ses inquiétudes en rapport avec sa grossesse et compte tenu que celle-ci a fait part de ces inquiétudes à Postes Canada, je conclus que l'allégation selon laquelle le refus de Mme Lipp de subir les EMI constituait de l'insubordination et que pour cette raison elle a à juste titre fait l'objet d'une mesure disciplinaire ne constituait pas une explication raisonnable justifiant la conduite de Postes Canada.

(3) La conclusion du Tribunal quant à l'allégation no 5

[270] Par conséquent, je conclus que l'imposition d'une suspension disciplinaire sans solde à Mme Lipp constituait de la discrimination fondée sur la déficience et sur le sexe de Mme Lipp.

VIII. QUELLE EST LA CONCLUSION DU TRIBUNAL QUANT À LA RESPONSABILITÉ?

[271] Lorsque Mme Lipp a posé sa candidature pour le poste à temps plein offert quant au troisième quart de travail, Postes Canada était justifiée d'exiger que celle-ci produise des renseignements médicaux établissant qu'elle était capable d'accomplir de façon sécuritaire les tâches du poste et établissant l'ampleur de ses restrictions compte tenu de sa déclaration selon laquelle elle était maintenant capable de travailler au-delà de la limite de 6 heures. Lorsque Postes Canada a affecté Mme Lipp au poste, elle était justifiée d'exiger que celle-ci subisse un EMI afin de déterminer la sécurité à long terme de sa charge de travail.

[272] Toutefois, la manière selon laquelle Postes Canada a mis en oeuvre les exigences susmentionnées était discriminatoire. Les communications répétées, négatives et menaçantes que Postes Canada a entretenues avec Mme Lipp à propos de sa déficience et de la nécessité qu'elle produise des renseignements médicaux constituaient une différence de traitement préjudiciable fondée sur la déficience.

[273] L'exigence persistante de Postes Canada que Mme Lipp subisse, à l'automne 2001, un EMI en rapport avec ses restrictions physiques, après sa période de congé de maladie, constituait une exigence professionnelle justifiée. Toutefois, le refus de Postes Canada de réintégrer Mme Lipp dans son ancien poste à tâches modifiées tant qu'elle ne se serait pas soumise à deux EMI à Winnipeg, l'un avec un psychiatre et l'autre avec un spécialiste des emplois, constituait de la discrimination fondée sur la déficience et sur le sexe. Enfin, l'imposition d'une suspension disciplinaire sans solde était discriminatoire.

[274] Postes Canada a reçu un avis insuffisant que l'allégation no 1 allait être soulevée durant l'audience. Par conséquent, je n'ai pas tenu compte de cette allégation et je l'ai rejetée.

IX. QUELLE EST LA MESURE DE REDRESSEMENT APPROPRIÉE?

A. Une ordonnance enjoignant à Postes Canada de réintégrer Mme Lipp dans ses fonctions

[275] Mme Lipp sollicite une ordonnance, en vertu de l'alinéa 53(2)b) de la Loi, enjoignant à Postes Canada de la réintégrer dans ses fonctions de commis des postes à temps plein, et ce, à la lumière des renseignements médicaux qu'elle a déjà fournis. Elle déclare que sa réintégration devrait être progressive et devrait comprendre une orientation quant à tout nouveau processus et (ou) toute nouvelle procédure qui ont été instaurés depuis son départ du travail en avril 2001.

[276] L'alinéa 53(2)b) de la Loi prévoit que lorsque le Tribunal conclut que la plainte est fondée, il peut ordonner à l'intimé d'accorder à la victime de discrimination, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l'acte l'a privée.

[277] J'ai conclu que Postes Canada a agi de façon discriminatoire à l'égard de Mme Lipp en raison de sa déficience et de son sexe lorsqu'elle a refusé de réintégrer cette dernière dans ses fonctions le 9 octobre 2001. Par conséquent, j'ordonne à Postes Canada de réintégrer Mme Lipp dans ses fonctions de commis des postes à temps plein sur le troisième quart de travail sous réserve des conditions suivantes :

  1. Postes Canada, en collaboration avec le syndicat, Medisys et Mme Lipp, mettra en oeuvre, le plus tôt possible, un retour progressif au travail ainsi qu'un programme d'orientation;
  2. Le retour au travail se fera en tenant compte des restrictions qui ont été établies en mars 2000;
  3. Lors de son retour au travail, Mme Lipp, en collaboration avec Postes Canada, fixera à la date la plus rapprochée possible un rendez-vous d'EMI avec un spécialiste des emplois afin d'évaluer l'état actuel de sa santé et afin de déterminer l'ampleur de ses restrictions physiques actuelles;
  4. Postes Canada, en collaboration avec Medisys, fixera, dans la mesure du possible, un rendez-vous avec un spécialiste des emplois à Regina, et si cela n'est pas possible, à un endroit le plus rapproché possible de Regina.
  5. Dès que les résultats de l'EMI auront été obtenus, Postes Canada, en collaboration avec le syndicat, Medisys et Mme Lipp, déterminera la mesure d'accommodement qu'il convient d'accorder à Mme Lipp dans le cadre de sa fonction de commis des postes à temps plein.

B. Une ordonnance enjoignant à Postes Canada de mettre fin à sa conduite discriminatoire et de s'occuper des facteurs sous-jacents et des effets de cette conduite

[278] J'ai conclu que bien que Postes Canada était justifiée d'exiger la production de renseignements médicaux supplémentaires de la part de Mme Lipp, la manière selon laquelle elle a fait cette demande était discriminatoire. Des demandes fréquentes et négatives de production de renseignements, des questions et des commentaires négatifs formulés dans la salle de travail à propos des restrictions de travail, des menaces fréquentes de prise de mesures disciplinaires accompagnant les demandes de renseignements constituaient une différence de traitement préjudiciable dans laquelle la déficience de Mme Lipp était devenue le centre de l'attention négative de Postes Canada à son égard.

[279] Dans le but de régler ces problèmes, Mme Lipp a sollicité une ordonnance enjoignant à M. Slater de ne pas communiquer directement avec elle, sauf en cas d'urgence. D'après les témoignages fournis par M. Hippe et M. Jeworski, je conclus qu'il ne convient pas de délivrer cette ordonnance. En tant que directeur du troisième quart de travail, M. Slater doit pouvoir communiquer avec tous ses employés lorsque cela est nécessaire et non pas seulement dans les cas d'urgence. Bien que la proposition de M. Jeworski de suivre la ligne de communication normale, laquelle va du directeur au superviseur et du superviseur à l'employé, soit une bonne proposition, il faut quelque chose de plus. Il me semble que, ce dont on a besoin en l'espèce, c'est d'une mesure de redressement qui portera sur les facteurs d'attitude et de comportement qui, au départ, ont donné lieu à la discrimination. Il n'y a pas seulement M. Slater qui a participé aux actes que j'ai jugés discriminatoires.

[280] Selon moi, le traitement infligé par Postes Canada à Mme Lipp donne à penser que certains membres de la direction au Centre de traitement du courrier à Regina croyaient qu'il était nécessaire d'adopter une approche agressive en matière de gestion des employés ayant une déficience comme Mme Lipp. Selon moi, cette méthode ne convient pas. Postes Canada est tenue, en tant qu'employeur, en collaboration avec le syndicat et ses employés, de voir à ce que le milieu de travail soit exempt de toute discrimination.

[281] Par conséquent, afin de corriger la pratique discriminatoire et afin d'empêcher qu'elle ne se reproduise, j'ordonne ce qui suit en vertu de l'alinéa 53(2)a) :

  1. Postes Canada doit mettre fin à la conduite qui a été jugée discriminatoire en l'espèce, en particulier, en ce qui a trait aux demandes inutiles de production de renseignements à propos de la déficience de Mme Lipp, y compris les demandes qui sont accompagnées par des menaces injustifiées de prise de mesures disciplinaires;
  2. En collaboration avec la Commission canadienne des droits de la personne, Postes Canada doit fournir de la formation sur la sensibilité à tous les membres de la direction de Postes Canada au Centre de traitement du courrier de Regina en rapport avec la gestion et l'accommodement des personnes ayant une déficience;
  3. En collaboration avec Mme Lipp et le syndicat, Postes Canada doit s'engager à résoudre le conflit entre Mme Lipp et M. Slater et (ou) offrir à Mme Lipp les services d'un conseiller, choisi par elle, qui lui prodiguera des conseils d'encouragement pendant une période de temps raisonnable lors de son retour au travail.

[282] Rien dans la présente ordonnance ne limite ou ne restreint l'obligation de Mme Lipp de répondre, de façon opportune, à la demande de Postes Canada qu'elle fournisse des comptes rendus réguliers quant à son état de santé ou qu'elle informe Postes Canada de tout changement quant à ses restrictions ou quant à sa situation. De plus, rien dans la présente ordonnance ne limite ou restreint le droit de Postes Canada de demander, en conformité avec la convention collective, la tenue, dans les circonstances appropriées, d'un examen médical indépendant.

C. Indemnisation pour perte de salaire

[283] C'est au plaignant qu'il incombe d'établir le droit à une indemnité (O'Connor c. Town Taxi (1987) Ltd., 2000 BCHRT 9, paragraphe 60). Pour établir ce droit, le plaignant doit démontrer l'existence d'un certain lien de causalité entre l'acte discriminatoire et la prétendue perte (Canada (Procureur général) c. Morgan (1991), 85 D.L.R. (4th) 473 (C.A.F.)). Afin de s'acquitter de ce fardeau, le plaignant doit simplement prouver qu'il existe une possibilité sérieuse que l'acte discriminatoire de l'intimé ait causé le dommage pour lequel il demande à être indemnisé. La preuve de l'étendue de ce dommage est une autre question. Toute incertitude concernant l'étendue du dommage doit être prise en considération dans l'évaluation du montant des dommages-intérêts qu'il convient d'accorder (Chopra c. Santé Canada 2004 TCDP 27; conf. par Chopra c. Canada (Procureur général) 2006 CF 9).

[284] Mme Lipp prétend qu'elle devrait être indemnisée pour perte de salaire quant à la période comprise entre le 9 octobre 2001, date à laquelle son médecin l'a informée qu'elle était capable de retourner au travail, et la date à laquelle elle retournera au travail en vertu de la présente ordonnance du Tribunal.

[285] J'ai divisé la demande d'indemnisation pour perte de salaire de la plaignante en des périodes de temps distinctes afin de faciliter l'analyse.

1. 9 octobre 2001 - 5 décembre 2001

[286] J'ai conclu que le refus de Postes Canada de réintégrer Mme Lipp dans son poste à temps plein, le 9 octobre 2001, était discriminatoire. Par conséquent, j'ordonne à Postes Canada de verser à Mme Lipp tous les salaires et avantages qu'elle aurait dû recevoir entre le 9 octobre 2001 et le 5 décembre 2001, date à laquelle elle a fait l'objet d'une suspension disciplinaire.

2. 5 décembre 2001 - 16 mars 2005

[287] J'ai également conclu que l'imposition, le 5 décembre 2001, d'une suspension disciplinaire sans solde était discriminatoire. Donc, en principe, Postes Canada est tenue de verser à Mme Lipp les salaires et les avantages qui ne lui ont pas été versés durant la période pendant laquelle elle faisait l'objet d'une suspension disciplinaire sans solde. Toutefois, la preuve n'est pas claire en ce qui a trait à la période précise durant laquelle cette suspension a eu lieu. Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, selon elle, même au moment de l'audience, elle faisait toujours l'objet d'une suspension disciplinaire sans solde. Toutefois, la preuve ne montre pas clairement que c'est vraiment le cas. De plus, pour les motifs qui suivent, je conclus que, sur le plan de la chaîne de causalité, vu les faits qui sont survenus, la perte de salaire pour l'ensemble de la période allant du 5 décembre 2001 jusqu'à aujourd'hui ne peut donner lieu à une indemnisation car elle est trop indirecte.

[288] Mme Lipp fait l'objet d'une suspension disciplinaire sans solde depuis le 5 décembre 2001 en attendant la réception par Postes Canada des renseignements médicaux exigés.

[289] Le 16 mars 2002, Mme Lipp a donné naissance à son premier enfant. Postes Canada a approuvé la demande de congé de maternité faite par Mme Lipp pour la période comprise entre le 16 mars 2002 et le 16 mars 2003.

[290] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle a reçu certains montants de prestation d'assurance-emploi prévus par la loi pour la période de son congé de maternité. Toutefois, elle n'a pas reçu le plein montant qu'elle aurait reçu si on lui avait permis de retourner au travail le 9 octobre 2001. De plus, elle n'a pas reçu, de Postes Canada, la prestation complémentaire pour la période de congé de maternité prévue dans la convention collective.

[291] Le 7 avril 2003, M. Hippe a écrit à Mme Lipp une lettre mentionnant que son congé de maternité avait pris fin et qu'aucune autre demande de congé n'avait été reçue. La lettre de M. Hippe mentionnait que si Mme Lipp désirait retourner au travail, elle devrait d'abord remplir une EAPT. Si elle ne retournait pas l'EAPT dûment remplie au plus tard le 21 avril 2003, Postes Canada estimerait qu'elle ne désirait pas ou était incapable d'exécuter ses tâches à Postes Canada.

[292] Plutôt que de faire remplir le formulaire et de retourner au travail, Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle a demandé qu'on lui accorde, du 16 mars 2003 au 16 mars 2005, deux périodes d'un an de congé sans solde en raison de la réinstallation du conjoint. On a acquiescé à sa demande. L'article 27.05 de la convention collective lui permettait de faire cela.

[293] Mme Lipp a déclaré que son époux (avec lequel elle n'était pas encore mariée à l'époque) avait déménagé à Weyburn parce qu'il y avait trouvé un emploi et, également, parce que le couple voulait acheter une maison plus grande afin d'élever leur famille. On ne sait trop quand le mari de Mme Lipp a déménagé à Weyburn, mais il semble que ce fut avant le 7 avril 2003, date à laquelle Postes Canada a demandé que Mme Lipp fasse part de ses intentions quant à son retour au travail.

[294] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage qu'elle voulait être indemnisée quant au salaire qu'elle n'a pas reçu durant la période des congés en raison de la réinstallation du conjoint, c'est-à-dire durant la période comprise entre le 16 mars 2003 et le 16 mars 2005. Elle a affirmé dans son témoignage qu'elle n'aurait demandé aucun congé de réinstallation pour déménager avec son mari à Weyburn si on lui avait permis de retourner au travail en octobre 2001. C'est parce qu'elle n'avait reçu aucun revenu à temps plein depuis octobre 2001 qu'elle a été obligée de vendre sa maison et son chalet et de déménager avec son mari à Weyburn. Elle a déclaré que si on lui avait permis de retourner au travail en octobre 2001, elle n'aurait pas eu à vendre sa maison à Regina et elle aurait pu demeurer là jusqu'à ce que son mari soit de nouveau affecté à Regina.

[295] Mme Lipp a déclaré que sa relation avec son mari, lequel était son copain à l'époque, était relativement nouvelle et qu'elle hésitait à emménager avec lui si tôt dans leur relation. Toutefois, comme elle a fait l'objet d'une suspension sans solde, elle a dû déménager avec son conjoint à Weyburn.

[296] J'estime que le témoignage de Mme Lipp à cet égard était plutôt contradictoire et peu vraisemblable. Elle a déclaré qu'elle n'aurait pas déménagé à Weyburn avec son mari n'eut été des problèmes financiers engendrés par Postes Canada. Toutefois, elle a également déclaré que son mari avait déménagé à Weyburn non seulement pour des raisons d'emploi mais également parce que le couple voulait acheter une plus grande maison pour élever leur famille. Mme Lipp a de plus affirmé dans son témoignage qu'elle avait déménagé à Weyburn avec son époux parce qu'ils allaient avoir un enfant.

[297] Au vu de cette preuve, je ne suis pas convaincu qu'il existait une possibilité sérieuse que, n'eut été de la conduite discriminatoire de Postes Canada, Mme Lipp n'aurait pas demandé qu'on lui accorde un congé sans solde en raison de la réinstallation du conjoint. Je conclus plutôt, au vu de la preuve, qu'il est fort probable que Mme Lipp aurait demandé qu'on lui accorde ce congé en raison de la réinstallation du conjoint peu importe qu'on lui ait permis ou non de retourner au travail en octobre 2001. Dans sa lettre du 7 avril 2003, M. Hippe invitait Mme Lipp à retourner au travail. Elle a choisi de ne pas retourner. Par conséquent, je conclus que Postes Canada n'est tenue de lui verser aucune rémunération pour la période comprise entre le 16 mars 2003 et le 16 mars 2005.

[298] Toutefois, Postes Canada est tenue de verser à Mme Lipp la différence entre le revenu et les avantages qu'elle aurait reçus si elle était retournée au travail le 9 octobre 2001 et ce qu'elle a vraiment reçu pour la période comprise entre le 5 décembre 2001 et le 16 mars 2003.

3. La période comprise entre le 16 mars 2005 et aujourd'hui

[299] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, elle et sa famille, sont retournés à Regina en mars 2005. À ce moment-là, elle avait donné naissance à une deuxième fille. Mme Lipp a déclaré qu'elle se souvient d'avoir rempli une formule de demande de congé pour obligations familiales. La convention collective prévoyait un congé sans solde pour s'occuper des enfants d'âge préscolaire. Mme Lipp a également affirmé dans son témoignage que, à ce moment-là, alors que l'arbitrage était en cours, elle a déposé une plainte en matière de droits de la personne et qu'elle voulait tout simplement attendre que les questions juridiques aient été réglées avant de retourner au travail.

[300] Postes Canada a prétendu qu'elle ne devrait pas être tenue d'indemniser Mme Lipp pour les salaires que celle-ci aurait gagnés entre mars 2005 et aujourd'hui parce que, à aucun moment durant cette période, Mme Lipp n'a exprimé la volonté de retourner au travail ou affirmé qu'elle était prête à retourner au travail.

[301] Selon moi, la preuve a établi que Mme Lipp a choisi de ne pas retourner au travail après mars 2005. Bien qu'elle ait déclaré que, selon elle, elle faisait toujours l'objet d'une suspension disciplinaire sans solde, Mme Lipp savait que Postes Canada était disposée à envisager son retour au travail après qu'une EAPT eut été remplie. Elle a choisi de ne pas faire cela. La preuve a établi que, à partir du 16 mars 2005, Mme Lipp a choisi de ne pas retourner au travail parce qu'elle désirait rester à la maison et s'occuper de ses enfants, comme en témoigne le fait qu'elle a rempli la formule de congé pour obligations familiales ou parce qu'elle voulait attendre que les questions juridiques soient réglées avant de retourner au travail ou pour ces deux raisons à la fois. Postes Canada ne devrait pas être tenue d'indemniser Mme Lipp quant aux salaires et avantages pour une période durant laquelle celle-ci a choisi de ne pas travailler. Par conséquent, aucune ordonnance d'indemnisation salariale pour la période comprise entre le 16 mars 2005 et aujourd'hui ne sera délivrée.

La conclusion quant à l'indemnisation pour perte de salaire

[302] Par conséquent, en conclusion, j'ordonne que Postes Canada indemnise Mme Lipp quant à aux pertes de salaire, de prestations de maternité et autres avantages qu'elle a subies au cours de la période comprise entre le 9 octobre 2001 et le 16 mars 2003. Bien que j'aie entendu certains témoignages concernant les montants qui devraient pris en compte dans le calcul du montant à accorder, ceux-ci étaient incomplets. Par conséquent, je suis incapable de fixer le montant à accorder. Les parties sont encouragées à conclure une entente sur cette question. Le calcul des montants dus devrait tenir compte des avantages prévus par la loi, des paiements d'assurance et de toute autre rémunération pertinente reçus au cours de la période comprise entre le 9 octobre 2001 et le 16 mars 2003.

[303] Compte tenu des conclusions susmentionnées, je garde compétence quant à cet aspect de l'adjudication dans le cas où les parties seraient incapables de conclure une entente quant au montant à accorder. Les parties doivent informer le Tribunal dans un délai de 60 jours de la réception de la présente décision si une entente n'a pas été conclue.

D. Indemnisation pour préjudice moral

[304] L'alinéa 53(2)e) de la Loi prévoit que le Tribunal peut ordonner à la personne trouvée coupable d'un acte discriminatoire d'indemniser jusqu'à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral. Compte tenu de la preuve qui suit, je conclus que la conduite discriminatoire de Postes Canada a occasionné à Mme Lipp beaucoup de douleur et beaucoup de souffrances.

[305] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que lorsqu'elle a arrêté de travailler en avril 2001, elle était très perturbée. Mme McCarron, la psychologue qui a traité Mme Lipp, a affirmé dans son témoignage que lorsque Mme Lipp s'est présentée pour la première fois à son bureau, elle avait de la difficulté à dormir, elle avait des idées suicidaires, elle faisait des cauchemars, elle avait de la difficulté à se concentrer et elle avait très peur et se sentait très seule.

[306] Mme McCarron a mesuré le degré d'anxiété et de dépression dont souffrait Mme Lipp en se servant de l'inventaire d'anxiété de Burns et de l'inventaire de dépression de Beck. Elle a affirmé dans son témoignage que Mme Lipp a obtenu un résultat élevé quant au degré de gravité de sa dépression et qu'elle était extrêmement anxieuse. Mme McCarron a affirmé dans son témoignage que Mme Lipp souffrait de crises de panique lorsque les discussions tenues durant les séances de consultation avaient trait au milieu de travail.

[307] Le médecin de famille de Mme Lipp a émis un diagnostic de dépression majeure et de troubles anxieux puis a mentionné que le conflit en milieu de travail était un facteur qui empêcherait Mme Lipp de se rétablir. Il a déclaré que le simple fait de parler du milieu de travail avait pour effet de rendre Mme Lipp davantage anxieuse.

[308] Mme Lipp a affirmé dans son témoignage que, à l'exception de l'époque où elle a travaillé sur le quart de nuit, c'est-à-dire de janvier 2001 à mars 2001, elle était toujours stressée au travail. Elle s'est sentie humiliée par les questions et les commentaires concernant sa déficience et par les demandes incessantes de production de renseignements médicaux supplémentaires. Toutefois, Mme Lipp a également affirmé dans son témoignage que, à l'automne 2001, après avoir été absente du travail pendant six mois, elle se sentait beaucoup mieux. Elle était heureuse et elle avait hâte de retourner au travail. Elle a affirmé dans son témoignage qu'elle ne prenait plus aucun médicament et qu'elle était capable de contrôler son anxiété grâce à des méthodes naturelles de diminution du stress.

[309] Postes Canada a laissé entendre que les réactions de Mme Lipp aux événements qui se déroulaient dans le milieu de travail étaient exagérées et déraisonnables. Toutefois, le seul élément de preuve qui a été présenté à l'appui de cette allégation était les témoignages de M. Slater et de M. Hippe selon lesquels Mme Lipp n'avait aucune raison d'être perturbée. Cela ne suffit pas à mettre en doute le témoignage de Mme Lipp à propos de ses souffrances.

[310] Je conclus que la conduite de Postes Canada a placé Mme Lipp dans un climat de travail extrêmement négatif qui a engendré beaucoup de douleur et beaucoup de souffrances et qui a beaucoup contribué à sa dépression ainsi qu'à ses troubles anxieux.

[311] Mme Lipp a demandé qu'on lui adjuge un montant de 20 000 $ à titre d'indemnisation pour douleur et souffrances. Bien que je souscrive à l'opinion que Mme Lipp a beaucoup souffert par suite de la conduite discriminatoire de Postes Canada, l'importance et la durée de ces souffrances ne justifient pas, selon moi, l'adjudication du montant maximum. Par conséquent, compte tenu de l'ensemble des circonstances que j'ai déjà décrites, j'ordonne à Postes Canada de verser à Mme Lipp un montant de 12 000 $ à titre d'indemnisation pour la douleur et les souffrances qu'elle a éprouvées.

E. Indemnité spéciale - paragraphe 53(3) de la Loi

[312] Le paragraphe 53(3) de la Loi prévoit que le Tribunal peut ordonner à un intimé de payer à une victime d'un acte discriminatoire une indemnité maximale de 20 000 $ s'il en vient à la conclusion que l'acte a été délibéré ou inconsidéré. L'avocat de Mme Lipp a prétendu que la conduite de Postes Canada était incontestablement délibérée ou inconsidérée, notamment en ce qui a trait au traitement dont Mme Lipp a fait l'objet pendant qu'elle était en congé de maladie et lorsqu'elle a tenté de retourner au travail à l'automne 2001. L'avocat de Mme Lipp a prétendu que, à ce chapitre, il y a lieu d'ordonner à Postes Canada de verser le montant d'indemnisation maximum.

[313] Je souscris à l'opinion que, en l'espèce, la conduite de Postes Canada était irresponsable. M. Slater et M. Hippe ont tous les deux affirmé dans leurs témoignages que certains aspects du cas de Mme Lipp auraient dus être traités d'une manière différente. M. Slater a admis avoir envoyé à Mme Lipp, pendant qu'elle était en congé de maladie, des lettres qui n'auraient pas dû lui être envoyées. Comme je l'ai déjà mentionné, la preuve donne à penser que Postes Canada a adopté une approche très agressive et très négative quant à la gestion des restrictions de Mme Lipp et quant à la gestion de sa participation aux effectifs. Je conclus que cette gestion a été faite sans égard aux conséquences qu'elle pourrait avoir sur Mme Lipp.

[314] Toutefois, je ne souscris pas à l'opinion que la conduite de Postes Canada en l'espèce était si flagrante qu'il est justifié d'adjuger le montant maximum permis en vertu de la Loi. Dans les circonstances de l'espèce, j'estime qu'il serait approprié d'ordonner le paiement d'un montant de 10 000 $. Par conséquent, j'ordonne à Postes Canada, en vertu du paragraphe 53(3) de la Loi, de verser à Mme Lipp la somme de 10 000 $ à titre d'indemnisation.

F. Lettre d'excuse

[315] L'avocat de Mme Lipp a prétendu que bien que la Cour fédérale, dans Stevenson c. Canada (Service canadien du renseignement de sécurité) 2003 CFPI 341, ait jugé que le Tribunal ne peut pas ordonner à l'intimé de s'excuser, les intentions et les objectifs généraux de la Loi permettent au Tribunal d'ordonner à l'intimé de reconnaître que ses actes ont mené à une conclusion de discrimination par le Tribunal. Dans Stevenson, la Cour a jugé que bien que le Tribunal, dans cette cause, eût tiré une conclusion défavorable au Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), cela ne signifiait pas que le SCRS croyait que la décision était nécessairement juste ou que le SCRS avait agi de façon discriminatoire à l'égard de M. Stevenson. La Cour a déclaré qu'il y avait un élément de contrainte et de sanction dans le fait d'ordonner la présentation d'excuses. Elle a par conséquent jugé que le pouvoir d'ordonner que des lettres d'excuses soient remises à un plaignant qui a eu gain de cause doit être soi expressément conféré par la loi, soi conféré d'une façon nécessairement implicite (un pouvoir inhérent).

[316] Selon moi, il existe également un élément de contrainte dans le fait de demander à l'intimé de remettre à Mme Lipp une lettre reconnaissant que ses actes ont mené à une conclusion de discrimination par le Tribunal. D'après le raisonnement de la Cour dans Stevenson, je conclus que je ne suis pas habilité par la Loi à ordonner que l'intimé produise une telle lettre.

G. Les dépens

[317] Mme Lipp a demandé à être remboursée sur la base avocat-client pour les frais juridiques qu'elle a engagés à la suite du présent conflit. Dans une décision récente, le président du Tribunal a jugé que la jurisprudence penchait en faveur du pouvoir du Tribunal d'adjuger des dépens en vertu du paragraphe 53(2) de la Loi (Mowat c. Forces Armées Canadiennes 2006 TCDP 49, paragraphe 27). Je souscris à l'opinion que le Tribunal a le pouvoir d'adjuger des dépens.

[318] Je ne suis toutefois pas d'avis que le Tribunal est autorisé en vertu de la Loi à adjuger des dépens sur la base avocat-client. La jurisprudence donne plutôt à penser que l'alinéa 53(2)c) autorise le Tribunal à ordonner à l'intimé de payer les dépens raisonnables au titre des honoraires d'avocat. Dans Stevenson, précitée, la Cour fédérale a repris à son compte les propos tenus par la Cour dans Canada (Procureur général) c. Thwaites [1994] 3 C.F. 38 (C.F.P.I.), en mentionnant que l'alinéa 53(2)c) de la Loi devait être interprété comme accordant au Tribunal le pouvoir d'adjuger des dépens raisonnables au titre des honoraires d'avocat. La décision Stevenson traitait d'une adjudication de dépens encourus avant le renvoi d'une plainte au Tribunal. Dans Procureur général du Canada c. Brooks, 2006 CF 500, la Cour fédérale a appliqué le raisonnement énoncé dans Stevenson à l'adjudication de dépens encourus pour la représentation par avocat en cours, y compris la représentation à l'audience devant le Tribunal.

[319] Par conséquent, j'ordonne que Postes Canada paye à Mme Lipp les dépens raisonnables qu'elle a engagés pour retenir les services d'une avocate, avant et pendant l'audience, en rapport avec sa plainte de prétendues pratiques discriminatoires, laquelle plainte fut jugée fondée dans la présente instance.

[320] L'avocate de Mme Lipp n'a produit aucune preuve quant à la question des dépens. Par conséquent, je suis incapable de délivrer une ordonnance en rapport avec le montant de cette adjudication. Nous encourageons toutefois les parties à conclure une entente quant au montant des dépens raisonnables dans la présente affaire. Je garde compétence quant à cet aspect de l'adjudication dans le cas où les parties n'arriveraient pas à conclure une entente. Les parties doivent aviser le Tribunal dans les 60 jours de la réception de la présente décision si aucune entente n'a été conclue.

H. Les intérêts

[321] En vertu du paragraphe 53(4) de la Loi, des intérêts sont payables en rapport avec toute adjudication faite dans la présente décision. Comme le prévoit le paragraphe 9(12) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne, les intérêts sont calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d'escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle). Les intérêts à l'égard de l'indemnisation pour perte de salaires et avantages courent à partir du point milieu entre le 9 octobre 2001 et le 16 mars 2003. Quant à l'indemnisation pour souffrances et douleur et quant à l'indemnisation prévue au paragraphe 53(3), les intérêts courent à compter de la date du dépôt de la plainte. En aucun cas, le montant total payable en vertu de l'alinéa 53(2)e), avec les intérêts, ne doit dépasser 20 000 $. De même, le montant total payable en vertu du paragraphe 53(3), avec les intérêts, ne doit pas dépasser 20 000 $.

Karen A. Jensen

OTTAWA (Ontario)
Le 24 janvier 2007

PARTIES AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL :

T1083/6405

INTITULÉ DE LA CAUSE :

Sandy Culic c. Société canadienne des postes

DATE ET LIEU DE L'AUDIENCE :

Les 17 au 21 juillet 2006
Les 24 au 26 juillet 2006

Regina (Saskatchewan)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL :

Le 24 janvier 2007

ONT COMPARU :

Merrilee Rasmussen, c.r.

Pour la plaignante

Aucun représentant

Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Daniel P. Kwochka

Pour l'intimée

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