Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

NICOLE MURPHY

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

HALIFAX EMPLOYERS' ASSOCIATION

- et -

HALIFAX LONGSHOREMEN'S ASSOCIATION (SYNDICAT LOCAL 269)

les intimés

DÉCISION SUR LA COMPÉTENCE

Décision no 1

2001/02/27

TRIBUNAL : Anne Mactavish, présidente

[1] Le litige sur lequel je dois me pencher est de savoir si la Commission canadienne des droits de la personne peut procéder à une audience en cette affaire, compte tenu du désir exprimé par la plaignante de retirer sa plainte.

I. Historique de cette procédure

[2] Le 8 mars 1998, Nicole Murphy a déposé deux plaintes à la Commission canadienne des droits de la personne, chacune alléguant une discrimination fondée sur le sexe dans l'embauchage. Mme Murphy allègue que la Halifax Employers Association et la Halifax Longshoremen's Association avaient chacune des politiques ou des pratiques qui empêchaient les femmes de devenir des dockers, en contravention des articles 7 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

[3] Le 6 octobre 2000, la Commission a référé les plaintes de Mme Murphy au Tribunal canadien des droits de la personne en vue d'une audience. La Commission a demandé qu'une seule enquête soit instituée car, à son avis, les plaintes portent essentiellement sur les mêmes questions de fait et de droit.

[4] Avant que l'audience sur le fond commence, Mme Murphy a informé les parties et le Tribunal, dans une lettre datée du 2 janvier 2001, de ce qui suit : ... J'aimerais abandonner ma plainte contre les deux parties et je ne souhaite plus poursuivre ce litige. Les intimés sont d'avis que cette affaire ne devrait pas être entendue, compte tenu du souhait de Mme Murphy de retirer ses plaintes. La Commission est de l'avis contraire.

II. Dispositions pertinentes de la Loi canadienne sur les droits de la personne

[5] Pour comprendre pleinement la question en litige, et le contexte dans lequel elle survient, il est nécessaire de comprendre la législation qui régit les plaintes de discrimination en vertu de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Voici les dispositions pertinentes de la Loi :

40. (1) Sous réserve des paragraphes (5) et (7), un individu ou un groupe d'individus ayant des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire peut déposer une plainte devant la Commission en la forme acceptable pour cette dernière...

40. (3) La Commission peut prendre l'initiative de la plainte dans les cas où elle a des motifs raisonnables de croire qu'une personne a commis un acte discriminatoire...

44. (1) L'enquêteur présente son rapport à la Commission le plus tôt possible après la fin de l'enquête...

44. (3) Sur réception du rapport d'enquête prévu au paragraphe (1), la Commission :

(a) peut demander au président du Tribunal de désigner, en application de l'article 49, un membre pour instruire la plainte visée par le rapport, si elle est convaincue :

(i) d'une part, que, compte tenu des circonstances relatives à la plainte, l'examen de celle-ci est justifié...

48. (1) Les parties qui conviennent d'un règlement à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, mais avant le début de l'audience d'un tribunal des droits de la personne, en présentent les conditions à l'approbation de la Commission...

49. (1) La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, demander au président du Tribunal de désigner un membre pour instruire la plainte, si elle est convaincue, compte tenu des circonstances relatives à celle-ci, que l'instruction est justifiée.

(2) Sur réception de la demande, le président désigne un membre pour instruire la plainte. Il peut, s'il estime que la difficulté de l'affaire le justifie, désigner trois membres...

50. (1) Le membre instructeur, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à son appréciation, à tout intéressé, instruit la plainte pour laquelle il a été désigné; il donne à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations...

51. En comparaissant devant le membre instructeur et en présentant ses éléments de preuve et ses observations, la Commission adopte l'attitude la plus proche, à son avis, de l'intérêt public, compte tenu de la nature de la plainte.

III. Position de la Commission canadienne des droits de la personne

[6] La Commission soutient que le Tribunal n'a pas la compétence pour entendre cette affaire, parce que l'article 49 de la Loi limite la compétence du Tribunal à enquêter sur la plainte à la demande de la Commission. Seule la Commission peut demander le désistement du litige devant le Tribunal lorsqu'une telle demande est dans l'intérêt public. Selon la Commission, le paragraphe 40 (3) de la Loi lui donne le mandat de prendre l'initiative de la plainte et d'instituer une procédure en l'absence d'un plaignant.

[7] En vertu des paragraphes 44 (3) et 49 (1) de la Loi, seule la Commission peut instituer une enquête du Tribunal. Tout comme une plaignante ne décide pas de prendre ou non l'initiative d'une plainte, dit la Commission, elle n'a pas le pouvoir de mettre fin à une enquête qui a déjà commencé.

[8] Enfin, la Commission affirme que si les intimés avaient le pouvoir de mettre fin à une audience en exerçant des pressions sur une plaignante pour qu'elle retire sa plainte, le but de la Loi serait inexécutable.

[9] Mme Murphy n'a présenté aucune observation sur la question de la compétence.

IV. Position des intimés

[10] Les deux intimés allèguent qu'il n'y a aucun intérêt public à tenir une audience, car aucune réparation valable ne peut s'appliquer dans les circonstances. Comme elle a retiré ses plaintes, il n'y a plus aucun fondement sur lequel s'appuyer pour accorder une réparation personnelle à Mme Murphy. Pour ce qui est de toute question systémique, le système d'embauchage en question au moment de la plainte de Mme Murphy a été remplacé depuis, ce qui rend effectivement sans effet toute question de nature systémique qui aurait pu être soulevée dans la plainte de Mme Murphy.

V. Analyse

[11] Je suis d'avis que cette question ne peut être entendue, mais pour des raisons différentes de celles présentées par les intimés.

[12] En examinant la législation qui régit les plaintes de discrimination de compétence fédérale, il est important de garder à l'esprit que les plaintes relatives aux droits de la personne ne sont pas strictement parler des différends privés. La législation sur les droits de la personne et son exécution servent des fins à la fois publiques et privées : le but public est l'élimination de la discrimination dans l'ensemble de la société; et le but privé est la détermination des droits et des réparations individuels dans des causes individuelles (1). Il faut interpréter les lois sur les droits de la personne de manière large et libérale pour assurer au mieux l'atteinte de leurs objectifs (2).

[13] L'article 40 de la Loi prévoit qu'il est possible de déposer des plaintes de discrimination de plusieurs façons. L'une de ces façons est une plainte déposée par la victime de la pratique discriminatoire alléguée. Une autre est une plainte dont la Commission elle-même prend l'initiative. Dans cette affaire, les deux plaintes ont été déposées par Mme Murphy.

[14] La Commission a le pouvoir discrétionnaire de ne pas traiter des plaintes, par exemple si celles-ci ne relèvent pas de la compétence de la Commission (3). Lorsque la Commission décide de s'occuper d'une plainte, l'article 43 de la Loi prévoit qu'un représentant de la Commission enquêtera sur la plainte. L'article 44 exige que l'enquêteur de la Commission prépare un rapport sur les conclusions de son enquête. Une fois qu'elle a reçu le rapport de l'enquête, la Commission a plusieurs options, dont l'une est de demander à la présidente du Tribunal canadien des droits de la personne d'instituer une enquête sur la plainte sur laquelle porte le rapport. C'est ce qui s'est passé dans le cas des plaintes de Mme Murphy.

[15] Il faut remarquer que les seules plaintes référées au Tribunal pour une audience sont celles qui ont été déposées par Mme Murphy. Rien ne laisse à penser que la Commission ait jamais choisi d'exercer le pouvoir qui lui est conféré de prendre l'initiative des plaintes contre les intimés en vertu du paragraphe 40 (3) de la Loi.

[16] Un examen de la Loi canadienne sur les droits de la personne ne permet pas de trouver un obstacle statutaire au retrait d'une plainte par un plaignant dans une poursuite portant sur les droits de la personne. Bien que la Commission ne l'invoque pas, je note que l'article 48 de la Loi accorde à la Commission le contrôle sur le règlement des plaintes jusqu'au début de l'audience du Tribunal. À mon avis, cependant, il y a une différence entre un règlement bilatéral ou multilatéral, et le retrait unilatéral d'une plainte par un plaignant.

[17] Le paragraphe 50 (1) de la Loi accorde à chaque plaignant, à la Commission et à l'intimé, ou aux intimés, le statut de partie à l'enquête devant le Tribunal canadien des droits de la personne, tandis que l'article 51 de la Loi donne le mandat à la Commission de représenter l'intérêt public à cette enquête. Être une partie à une enquête portant sur une plainte relative aux droits de la personne n'est cependant pas la même chose qu'être une partie à la plainte elle-même (4).

[18] Il se peut bien que les plaintes de Mme Murphy soulèvent des questions de nature systémique, questions qui peuvent être d'intérêt pour la Commission eu égard à l'obligation que lui fait la Loi de représenter l'intérêt public. À mon avis, le fait que la Commission soit une partie à l'enquête devant le Tribunal, avec le pouvoir de comparaître, de présenter une preuve et de présenter des observations, ne crée pas un litige séparé entre la Commission et les intimés qui peut être entendu en l'absence de la poursuite d'un litige entre la plaignante et les intimés (5).

[19] Je suis d'accord avec l'argument de la Commission selon lequel l'article 49 de la Loi limite la compétence du Tribunal à enquêter sur les plaintes qui lui sont référées par la Commission. Dans cette affaire, les plaintes sur lesquelles la Commission a fait enquête et qui ont été référées au Tribunal pour fin d'audience étaient les plaintes de Mme Murphy. Mme Murphy a maintenant fait part qu'elle souhaite retirer ses deux plaintes. En l'absence de plainte, le Tribunal ne peut faire enquête.

[20] La Loi canadienne sur les droits de la personne prévoit spécifiquement qu'il peut y avoir des situations où la Commission canadienne des droits de la personne peut vouloir prendre l'initiative d'une plainte en l'absence d'une plainte déposée par une personne. Si la Commission est d'avis que les plaintes de Mme Murphy soulevaient des questions d'intérêt pour la Commission, la Commision est tout à fait libre de prendre l'initiative de plaintes contre les intimés en vertu de l'article 40 (3) de la Loi.

[21] Je n'accepte pas la prétention de la Commission selon laquelle le but de la Loi serait inexécutable si les intimés avaient la possibilité de mettre fin à une audience en exerçant des pressions sur la plaignante pour qu'elle retire ses plaintes. Je dois faire remarquer immédiatement qu'il n'y a aucune preuve devant le Tribunal qui puisse laisser à penser que l'un ou l'autre des intimés a exercé une pression indue sur Mme Murphy afin qu'elle retire ses plaintes. Donc, la question ne se pose pas de savoir si sa demande de retirer ses plaintes a pu être faite sous la contrainte. Si la Commission a des appréhensions en ce qui concerne des actions en ce sens de la part des intimés, la Loi offre des mécanismes spécifiques pour traiter de telles situations. La Commission peut elle-même prendre l'initiative d'une plainte en vertu de l'article 14.1 de la Loi, qui fait des représailles ou de la menace de représailles contre une personne qui a déposé une plainte auprès de la Commission une pratique discriminatoire. Par ailleurs, la Commission est libre de référer l'affaire au Procureur général pour qu'il ouvre une enquête sur une violation possible de l'article 59 de la Loi, selon lequel la menace, l'intimidation ou la discrimination contre une personne parce que celle-ci a déposé une plainte en vertu de la Loi sont des infractions.

VI. Décision

[22] Pour les raisons mentionnées ci-dessus, aucune autre étape ne sera entreprise relativement à cette affaire et le dossier du Tribunal au sujet des plaintes de Mme Murphy sera fermé.


Anne L. Mactavish

OTTAWA, Ontario

Le 27 février 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER

NO DE DOSSIER DU TRIBUNAL : T602/6000 et T603/6100

INTITULÉ : Nicole Murphy c. Halifax Employers' Association et International Longshoremen's Association, syndicat local 269

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 27 février 2001

ONT COMPARU :

Nicole Murphy La plaignante elle-même

Eddie Taylor Pour la Commission canadienne des droits de la personne

Ronald A. Pink Pour la Halifax Longshoremen's Association, syndicat local 269

Brian G. Johnston Pour la Halifax Employers' Association

1. Shannon c. Colombie-Britannique (Minister of Government Services), [2000] B.C.H.R.T. no 52

2. Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Montréal(Ville); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Boisbrand (Ville), 2000 CSC 27, [2000] J.C.S. no 24 (Q.L.)

3. Voir l'article 41 de la Loi canadienne sur les droits de la personne

4. Shannon, note ci-dessus, par. 35.

5. À cet égard, je suis d'accord avec les commentaires du British Columbia Human Rights Tribunal dans Shannon, citée ci-dessus, tout en reconnaissant que la législation en cause dans cette décision diffère considérablement de la Loi canadienne sur les droits de la personne. Voir aussi McKenzie Forest Products Inc. c. Tilberg, (2000), 48 O.R. (3e) 150, pour une discussion du rôle des parties à une plainte en matière de droits de la personne.

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