Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Francine Desormeaux

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Commission de transport régionale d'Ottawa-Carleton

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Anne Mactavish
Date : Le 2 octobre 2002

Référence : Décision No. 2

[1] Ce matin, nous avons traité de deux questions : la recevabilité des renseignements concernant les négociations de règlement ainsi que la compétence du Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’examiner la requête de Mme Breen en ajout du Syndicat uni du transport (le Syndicat) comme partie à l’instance.

[2] Je vais d’abord traiter de la question de la compétence. La question est de savoir si le Tribunal est compétent pour instruire la demande d’OC Transpo visant à ajouter le Syndicat en tant qu’intimé en l’espèce. 

[3] Le fait que le Syndicat ne s’oppose pas à l’idée d’être ajouté comme partie, soit à titre d’intimé, soit en tant que partie intéressée, est hors de propos, car la compétence ne peut être accordée par consentement.

[4] L’avocat de la Commission canadienne des droits de la personne se fonde sur l’arrêt CUPE c. Crozier de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique en tant que précédent pour faire valoir que le Tribunal n’a pas compétence pour ajouter le Syndicat à titre d’intimé.

[5] Les tribunaux administratifs, dont le Tribunal, sont créés par une loi. Comme la Cour d’appel de la Colombie-Britannique l’a fait remarquer dans Crozier, un tribunal administratif peut seulement exercer les pouvoirs que lui confère sa loi habilitante.

[6] Dans Crozier, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique. a examiné attentivement les dispositions du Human Rights Code (le Code) de cette province, concluant que le Code était silencieux sur ce point. La Cour a également étudié la fonction de gardien attribuée à la British Columbia Human Rights Commission et la fonction de décideur confiée au Tribunal, et elle a jugé ne pas être en mesure de conclure, par implication nécessaire, que le Tribunal avait le pouvoir d’ajouter une partie.

[7] Afin de décider si le Tribunal a le pouvoir d’ajouter des parties à une instance, il faut s’en remettre aux dispositions de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi) elle-même. Il ressort clairement des dispositions de l’article 50 de la Loi que le Tribunal a compétence pour ajouter des particuliers ou des groupes comme parties intéressées à une instruction menée en application de la Loi. Toutefois, la question en litige ici est de savoir si le Tribunal peut ajouter un syndicat à titre d’intimé, ce qui peut avoir pour effet de l’exposer à la responsabilité.

[8] À mon avis, la réponse se trouve dans le libellé de la Loi elle-même. Comme c’était le cas dans l’affaire Crozier, la Loi attribue le rôle de gardien à la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) et celui de décideur au Tribunal. Cependant, tel que l’a souligné l’avocat d’OC Transpo, l’alinéa 48.9(2)b) de la Loi, contrairement au régime législatif en cause dans Crozier, prévoit expressément l’ajout à la fois de parties et de parties intéressées aux enquêtes des tribunaux. 

[9] Je suis donc convaincue que le législateur souhaitait investir le Tribunal du pouvoir d’ajouter sur requête des parties à une enquête lorsqu’il le juge indiqué.

[10] Quant à la deuxième question, celle de savoir si OC Transpo peut faire référence ou non à la discussion sur le règlement, je dois déterminer si, dans le cadre de la requête d’OC Transpo visant à ajouter le Syndicat comme intimé à la présente enquête, on peut renvoyer aux négociations de règlement qui ont eu lieu au cours de la procédure de règlement du grief relatif au congédiement de Mme Desormeaux par OC Transpo.

[11] OC Transpo cherche à présenter une preuve concernant les discussions de règlement, en particulier celles visant la décision du Syndicat de rejeter une offre de règlement faite par l’employeur. D’après ce que je comprends de l’argument d’OC Transpo, en rejetant l’offre de l’employeur visant à répondre aux besoins de Mme Desormeaux, le Syndicat s’est exposé à la responsabilité au cas où la plainte relative aux droits de la personne serait jugée fondée compte tenu des principes formulés par la Cour suprême du Canada dans Renaud.

[12] Le Syndicat s’oppose à ce que des renseignements sur les négociations de règlement soient communiqués au Tribunal, faisant valoir que toutes les discussions de ce genre sont visées par un privilège. La Commission s’oppose également à la production de ces renseignements pour des raisons de pertinence, étant donné que les discussions ont eu lieu, le cas échéant, après le congédiement de Mme Desormeaux.

[13] Comme Sopinka et Lederman l’ont fait remarquer, le privilège s’applique à des communications faites en vue d’un règlement quand trois conditions sont réunies :

  1. le différend prêtant à litige doit exister ou être prévu;
  2. la communication doit être faite dans l’intention expresse ou implicite qu’elle ne serait pas divulguée au tribunal judiciaire advenant le cas où les négociations échoueraient;
  3. la communication doit viser la conclusion d’un règlement.

[14] De toute évidence, personne ne conteste la présence des première et troisième conditions en l’espèce. Pour ce qui est de la deuxième condition -- que la communication soit faite dans l’intention expresse ou implicite qu’elle ne soit pas divulguée -- Sopinka et Lederman signalent que, si les parties négocient clairement en vue de parvenir à un règlement ou d’acheter la paix, il faut conclure à l’intention de ne pas divulguer les communications en l’absence de quelque indication que ce soit du contraire.

[15] On ne m’a présenté aujourd’hui aucun élément selon lequel les parties souhaitaient que les communications en cause soient divulguées. Par conséquent, je suis convaincue qu’on a satisfait aux trois conditions d’établissement d’un privilège en ce qui concerne la procédure de règlement du grief.

[16] En l’espèce, cependant, la question n’a pas trait à la communication dans le contexte d’une procédure de ce genre; elle touche plutôt un litige découlant des mêmes faits et mettant en cause les même parties, y compris les parties additionnelles. Là encore, les propos de Sopinka et de Lederman sont instructifs. À la page 813 de leur ouvrage, les auteurs font observer que, si l’on accepte la thèse que le fondement du privilège est une politique d’intérêt public visant à favoriser les règlements, alors il s’ensuit que le privilège doit s’étendre aux procédures subséquentes qui ne se rapportent pas au différend que les parties ont essayé de régler.

[17] Toute utilisation préjudiciable subséquente pourrait empêcher la tenue d’une discussion exhaustive et franche. Le principe privilégié un jour, privilégié toujours s’applique. À mon avis, ce principe est d’autant plus pertinent dans les circonstances, car l’on peut soutenir que les procédures subséquentes en question portent sur le différend que les parties ont essayé de régler dans la mesure où la présente instruction découle de la même matrice factuelle que le grief.

[18] Il y a effectivement des exceptions au privilège qui s’applique aux négociations de règlement, par exemple quand des menaces sont proférées dans le contexte de ces discussions, comme le montre la décision Donaldson citée par l’avocat d’OC Transpo.

[19] Il existe d’autres exceptions, mais je ne suis pas convaincue que les circonstances de l’espèce relèvent de ces circonstances exceptionnelles. 

[20] Des textes législatifs peuvent aussi supprimer un privilège. Le paragraphe 50(4) de la Loi est instructif à cet égard. Non seulement ce paragraphe ne supprime-t-il pas le privilège, mais il le maintient expressément.

[21] L’avocat d’OC Transpo fait référence aux principes formulés par la Cour suprême du Canada dans Dickason c. Université de l’Alberta et au rôle important joué par la législation relative aux droits de la personne.

[22] Quoi qu’il en soit, l’approche téléologique à adopter en matière de droits de la personne doit être conforme au libellé explicite de la Loi. En l’espèce, le législateur a explicitement exigé que le Tribunal respecte le droit du privilège, et j’ai l’intention de le faire ici.

[23] En effet, en tentant d’établir un fondement pour la responsabilité conjointe éventuelle du Syndicat par suite de ce qui est survenu durant les négociations de règlement, OC Transpo a cherché précisément à faire ce que le droit du privilège est conçu pour interdire. En conséquence, je conclus que les négociations de règlement auxquelles l’employeur et le Syndicat étaient parties sont assujetties à un privilège, et qu’on ne peut parler de ces négociations devant le Tribunal. 

[24] La question qu’il reste à régler, selon moi, est la requête de Mme Breen elle-même, telle qu’elle a été définie par ces deux décisions antérieures.

[25] Avant que nous abordions cette question, M. McDonald, vous pourriez peut-être m’aider. J’ai conclu que le Tribunal a compétence pour instruire la demande. M. McLuckie nous a avisé que son client ne s’oppose pas à l’idée d’être ajouté comme intimé. Ce que vous et Mme Desormeaux devez me dire, c’est quelle est votre position à ce sujet. De toute évidence, si vous n’avez pas d’objection, alors je ne sais pas si nous devons entendre la requête de Mme Breen. Si vous avez des objections, nous devons manifestement l’entendre. Mais vous ne m’avez jamais clairement dit quelle était votre position. Je sais que Mme Desormeaux a déjà exprimé certaines préoccupations, et j’en suis certainement consciente. Je ne sais pas si vous pouvez me donner une réponse, si vous devez en parler à Mme Desormeaux.

Signée par

Anne Mactavish
Présidente

Ottawa (Ontario)
Le 2 octobre 2002

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T701/0602

Intitulé de la cause : Francine Desormeaux c. Commission de transport régionale

d’Ottawa-Carleton
Date de la décision sur requête du tribunal : Le 2 octobre 2002
Date et lieu de l’audience : Le 2 octobre 2002

Ottawa(Ontario)

Comparutions :

Francine Desormeaux, pour elle même

Mark McDonald, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Marion Breen, pour l'intimée

John McLuckie, pour la partie intéressée, Syndicat uni du transport

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.