Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal Tribunal canadien des droits de la personne

ENTRE :

PHYLLIS McAVINN

la plaignante

- et -

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

la Commission

- et -

STRAIT CROSSING BRIDGE LIMITED

l'intimée

MOTIFS DE DÉCISION

Décision no 3
2001/01/03

MEMBRE INSTRUCTEUR : Pierre Deschamps, président

[1] Le tribunal est saisi d'une requête de l'intimée visant à obtenir un subpoena duces tecum à l'égard de personnes ou d'organismes qui possèdent des renseignements de santé sur la plaignante. L'intimée soutient qu'elle a le droit d'obtenir ces renseignements, eu égard à la réclamation de la plaignante pour douleurs et souffrances. À ce moment-ci, la plaignante refuse de consentir volontairement à ce que les renseignements demandés par l'intimée soient divulgués.

[2] Le règlement du présent litige implique d'établir un équilibre entre, le droit de la plaignante à la confidentialité de ses dossiers médicaux ainis que son droit au respect de sa vie privée et, le droit de l'intimée de présenter une défense pleine et entière à l'égard de la présente plainte.

[3] En principe, la relation entre un médecin et un patient est empreinte de confidentialité (1). Au fil des ans, les tribunaux ont reconnu que la confidentialité est essentielle pour favoriser une communication ouverte entre le médecin et le patient. Cela étant dit, un patient peut renoncer à son droit à la confidentialité de ses dossiers médicaux et à son droit au respect de sa vie privée (2).

[4] Un patient peut renoncer expressément à son droit à la confidentialité de ses dossiers médicaux et à son droit au respect de sa vie privée ou, compte tenu des actes posés, être réputé y avoir implicitement renoncé (3). Le droit à la confidentialité des dossiers médicaux cesse donc d'exister lorsque le patient invoque son état de santé pour réclamer des dommages-intérêts dans le cadre de procédures judiciaires.

[5] Comme l'a indiqué Madame la juge Picard dans Hay c. University of Alberta Hospital et autres, Traduction l e droit à la confidentialité est alors éclipsé par le droit du défendeur de connaître les motifs et la portée de la plainte dont il fait l'objet. (4). Comme dans toute action civile (5), la justice, dans des procédures en matière de droits de la personne, exige que l'on permette à la partie intimée de présenter une défense pleine et entière à l'argumentation de la partie plaignante. Si la plaignante plaide sa cause en se fondant sur son état de santé, l'intimée a le droit d'obtenir les renseignements de santé pertinents qui peuvent avoir trait à la réclamation.

[6] Cependant, la production de renseignements médicaux ou de santé dans de telles instances est assujettie au critère de la pertinence possible, lequel ne constitue pas une norme particulièrement élevée, compte tenu de la preuve présentée au tribunal. Tel qu'indiqué dans Biederman c. Banfai (6), Traduction il doit y avoir une certaine pertinence et la partie qui demande la production de renseignements ou de documents doit démontrer qu'il existe un lien entre les renseignements ou documents demandés et les questions en litige (…).

[7] Si le tribunal juge qu'un document est potentiellement pertinent, il a la responsabilité de déterminer si le droit de la plaignante au respect de sa vie privée et son droit à la confidentialité l'emportent sur la valeur probatoire des documents demandés par l'intimée.

[8] Comme l'a affirmé le juge Cory dans Cook c. Ip et autres (7), Traduction i l ne peut y avoir de doute qu'il est dans l'intérêt public de veiller à ce que la Cour ait accès à tous les éléments de preuve pertinents. Cela est essentiel si l'on veut que justice soit rendue entre les parties. Dans le cas où des dommages-intérêts sont réclamés pour des blessures subies, il est essentiel que la Cour examine les dossiers médicaux pour rendre une décision. Le juge Cory a ajouté ce qui suit : Traduction Il ne fait aucun doute que les dossiers médicaux sont de nature privée et confidentielle. Néanmoins, lorsque des dommages-intérêts sont réclamés pour des lésions personnelles, l'état de santé du demandeur tant avant qu'après l'accident est pertinent. (8)

[9] Dans des procédures en matière de droits de la personne, la plaignante, lorsqu'elle réclame une indemnisation pour des douleurs et souffrances, accepte implicitement certaines intrusions dans sa vie privée ainsi que la possibilité que l'intimée puisse avoir accès à ses dossiers médicaux ou, de façon générale, à des renseignements personnels sur sa santé. Toutefois, cela ne signifie pas pour autant que la plaignante accorde à l'intimée la permission de scruter les aspects privés de sa vie qui ne sont pas liés à sa réclamation ou qui ne sont pas potentiellement pertinents pour trancher le litige de façon appropriée (9).

[10] En principe, la partie qui demande d'avoir accès aux renseignements de santé personnels de quelqu'un a seulement le droit d'obtenir les renseignements qui, au regard de la preuve, sont pertinents ou potentiellement pertinents par rapport aux procédures.

[11] En l'espèce, la Commission et la plaignante n'ont revendiqué à l'étape de la divulgation aucun privilège à l'égard des dossiers de santé personnels concernant Mme McAvinn. Cependant, elles s'opposent maintenant à la divulgation inconditionnelle de ces dossiers.

[12] Dans le cas présent, la preuve révèle que la plaignante a consulté le Dr Senan Cusack, son médecin de famille, en 1992 parce qu'elle éprouvait des douleurs dans les épaules et qu'elle était angoissée et déprimée. La preuve démontre également que Mme McAvinn a consulté à nouveau le Dr Cusack, en 1997, au sujet de ces mêmes problèmes. Toutefois, rien dans la preuve n'indique que Mme McAvinn a consulté le Dr Cusack avant 1992. Le tribunal est d'avis que les dossiers du Dr Cusack ayant trait aux troubles médicaux dont Mme McAvinn a souffert entre 1992 et 2000 sont potentiellement ou probablement pertinents en l'espèce.

[13] En outre, la preuve révèle que Mme McAvinn a consulté le Dr Christopher Stewart, un psychiatre, en 1997 parce qu'elle se sentait déprimée. Cependant, le tribunal n'a été saisi d'aucun élément de preuve indiquant que Mme McAvinn a consulté le Dr Stewart avant 1997. Le tribunal est d'avis que les dossiers du Dr Stewart relatifs aux troubles médicaux dont Mme McAvinn a souffert entre 1997 et 2000 sont potentiellement ou probablement pertinents, compte tenu de la réclamation de Mme McAvinn pour douleurs et souffrances.

[14] En ce qui concerne les médicaments qui ont été prescrits à Mme McAvinn par son médecin de famille, la preuve révèle qu'elle n'a pas été capable de se rappeler de façon précise, durant son contre-interrogatoire, quels médicaments le Dr Cusack lui a prescrits lorsqu'elle l'a consulté en 1992 et pendant combien de temps elle a dû prendre les médicaments en question. Le tribunal est d'avis que la divulgation de la nature des médicaments prescrits et de la période pendant laquelle ces médicaments ont été pris est potentiellement ou probablement pertinente, compte tenu de la réclamation de Mme McAvinn pour douleurs et souffrances en l'espèce.

[15] Pour ce qui est des dossiers de Mme McAvinn au Prince County Hospital, la preuve révèle que la plaignante n'est pas tout à fait sûre d'avoir consulté cet établissement durant la période comprise entre 1992 et l'an 2000 relativement à des troubles qui pourraient avoir un certain rapport avec sa réclamation pour douleurs et souffrances. Le tribunal est d'avis que les dossiers de consultation de Mme Phyllis McAvinn au Prince County Hospital sont potentiellement ou probablement pertinents, compte tenu de sa réclamation pour douleurs et souffrances en l'espèce.

[16] En ce qui a trait aux renseignements que possède le ministère de la Santé et des Services sociaux, il ressort de la preuve que Mme McAvinn ne se rappelle pas de façon précise quels médecins elle a consultés entre 1992 et le moment présent. Le tribunal est d'avis que les dossiers relatifs à toute consultation par Mme Phyllis McAvinn de médecins de la province de l'Île-du-Prince-Édouard sont potentiellement ou probablement pertinents, compte tenu de sa réclamation pour douleurs et souffrances en l'espèce.

[17] Eu égard à la preuve qui lui a été présentée, le tribunal délivrera aux personnes et organismes mentionnés ci-après des subpoenae duces tecum comportant les conditions suivantes :

  1. South Shore Pharmacy, 211, rue Borden, Borden-Carleton, I.-P.-É. : les dossiers relatifs à tous les médicaments délivrés sur ordonnance à Mme Phyllis McAvinn entre le 1er janvier 1992 et le moment présent;
  2. Dr Christopher Stewart, 290, rue Water, Summerside, I.-P.-É. : toute la documentation et tous les dossiers, avis, notes, rapports, analyses et renseignements qu'il a en sa possession au sujet des consultations de Mme Phyllis McAvinn relatives à la prestation de divers services (évaluation médicale/psychiatrique ou psychologique, entrevues, diagnostic, traitement ou pronostic) entre le 1er janvier 1997 et le moment présent;
  3. Dr Senan K. Cusack, Borden-Carleton, I.-P.-É. : toute la documentation et tous les dossiers, avis, notes, rapports, analyses et renseignements qu'il a en sa possession au sujet des consultations de Mme Phyllis McAvinn relatives à la prestation de divers services (évaluation médicale, avis, entrevues, diagnostic, traitement ou pronostic) entre le 1er janvier 1992 et le moment présent;
  4. Prince County Hospital, 250, avenue Beattie, Summerside, I.-P.-É., aux soins de : Janet Read, Directrice, Dossiers médicaux : tous les dossiers relatifs à des consultations de Mme Phyllis McAvinn au Prince County Hospital (ou à l'établissement qu'il a remplacé), constitués entre le 1er janvier 1992 et le moment présent, à l'interne ou en clinique externe, y compris tout avis, note, rapport, analyse et renseignement ayant trait à cette patiente;
  5. Ministère de la Santé et des Services sociaux, 335, chemin Douses, C.P. 3000, Montague, I.-P.-É., aux soins de : M. Alan MacCormac, directeur, Services d'assurance-maladie : tous les dossiers relatifs à toute consultation par Mme Phyllis McAvinn de médecins de la province de l'Île-du-Prince-Édouard entre le 1er janvier 1 992 et le moment présent, y compris tout dossier relatif aux dates, lieux et buts des visites ainsi qu'à l'identité des médecins consultés;

[18] En ce qui concerne la requête visant la délivrance d'un subpoena duces tecum à Marine Atlantic concernant le dossier personnel de Mme McAvinn, le tribunal est d'avis qu'elle est prématurée, suffite que cette question n'ayant pas encore été soulevée au cours de l'interrogatoire principal ou du contre-interrogatoire de Mme McAvinn.

[19] De plus, le tribunal ordonne que le président examine les documents demandés dans les subpoenae duces tecum dès qu'ils auront été produits et détermine lesquels sont admissibles en preuve.

[20] Cela étant dit, il convient de noter que dans les cas où des personnes ou des organismes sont tenus de produire des documents exigés par voie de subpoena duces tecum, les avocats ont convenu qu'il est opportun que le tribunal passe au crible ces documents afin de déterminer ceux qui ont rapport en fait aux troubles médicaux en cause. Le tribunal sera ainsi en mesure de protéger comme il se doit le droit de la plaignante au respect de sa vie privée et son droit à la confidentialité de ses dossiers médicaux, sans priver l'intimée de son droit d'avoir accès à tous les renseignements pertinents et de présenter une défense pleine et entière. Le processus convenu enpêchera les atteintes indues et vexatoires aux droits de la plaignante, étant donné que le tribunal sera en mesure d'exercer une surveillance et un contrôle sur les procédures qui doivent être entreprises avant la production de tout document pertinent.

[21] Eu égard à ces motifs, la requête de l'intimée est accueillie en partie.

1. Hay et autres c. University of Alberta Hospital et autres, (1990) 69 D.L.R. (4th) 755, p. 757.

2. A.M. c. Ryan, [1997] 1 S.C.R. 157.

3. Hay et autres c. University of Alberta Hospital et autres, supra, note 1, p. 758.

4. Idem, p. 762.

5. A.M. c. Ryan, supra, note 2, par. 36.

6. [2000] O.H.R.B.I.D., no 17, Décision no 00-018-Im, 19 octobre 2000, p. 3.

7. (1986) 55 O.R. (2d) 288, autorisation d'interjeter appel devant la Cour suprême refusée.

8. Idem.

9. A.M. c. Ryan, supra, note 2, par. 38.


Pierre Deschamps, Chairperson

Ottawa (Ontario)
Le 3 janvier 2001

TRIBUNAL CANADIEN DES DROITS DE LA PERSONNE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER DU TRIBUNAL No : T558/1600

INTITULÉ DE LA CAUSE : PHYLLIS McAVINN c. STRAIT CROSSING BRIDGE LIMITED

LIEU DE LA DÉCISION : Summerside (I.-P.-É.)

DATE DE LA DÉCISION DU TRIBUNAL : le 3 janvier 2001

ONT COMPARU :

Lisa Goulden pour Phyllis McAvinn

Leslie Reaume pour la Commission canadienne des droits de la personne

Eugene Rossiter pour Strait Crossing Bridge Limited

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