Tribunal canadien des droits de la personne

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Numéro du dossier:  T1754/10911

 

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Clayton Starblanket

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Sophie Marchildon

Date : Le 18 octobre 2013

Référence : 2013 TCDP 28



I.       Le plaignant et la requête

[1]               Le plaignant est détenu dans une prison fédérale et est sous la garde de l’intimé. Le plaignant allègue être atteint de plusieurs déficiences mentales. Il soutient que l’intimé a adopté des lignes de conduite qui sont discriminatoires envers les détenus ayant des déficiences mentales et qui ne tiennent pas compte de façon appropriée de leurs besoins. Dans ce contexte, le plaignant allègue que l’intimé a agi de façon discriminatoire au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C., 1985, ch. H-6 (la Loi), en raison de sa déficience.

[2]               En vue de la tenue de l’audience dans la présente affaire, l’intimé a présenté une requête par laquelle il demandait que tous les documents à l’audience soient déposés sous forme électronique. La présente décision sur requête porte sur la requête de l’intimé.

II.    La demande de documents électroniques à l’audience

[3]               D’habitude, lorsque le Tribunal tient une audience à laquelle la Commission participe, si une partie souhaite produire un document en preuve, celle-ci doit avoir en main cinq copies du document en question : une copie pour chacune des deux autres parties, une copie pour le témoin, une copie pour le greffe du Tribunal et une copie pour le membre instructeur du Tribunal.

[4]               L’intimé demande que tous les documents à l’audience soient sous forme électronique. Subsidiairement, il demande l’autorisation de fournir deux copies seulement, et non pas cinq, des documents qu’il souhaite produire en preuve. Cela permettrait au Tribunal d’avoir les deux copies papier qui lui sont habituellement présentées, et les parties et le témoin pourraient utiliser les documents électroniques. Ces derniers pourraient, s’ils le désirent, imprimer à leurs propres frais les documents qui leur ont été fournis sous forme électronique.

[5]               L’intimé soutient qu’il a déjà produit environ 5 500 documents et qu’il prévoit qu’il devra en produire plus de 9 000 avant le début de l’audience dans la présente affaire. L’intimé estime qu’il lui en coûterait environ 20 000 $ pour produire cinq copies papier de tous ces documents. Il n’est peut-être pas nécessaire de produire tous ces documents en preuve, mais l’intimé allègue que, même s’il ne produit qu’une fraction des documents, cela serait suffisant pour ne pas utiliser les reliures et les copies papier traditionnelles. L’intimé affirme en outre qu’il faudrait aussi tenir compte des frais de transport, d’entreposage et de gestion de cinq copies papier de ces documents, ce qui viendrait ajouter quelques milliers de dollars de plus à la totalité des frais supportés.

[6]               Pour réduire ces frais, l’intimé offre de fournir, à ses frais, un écran de projection, que toutes les parties pourront utiliser pour afficher les documents électroniques à l’audience. Il est également prêt à mettre à la disposition des témoins un ordinateur dans lequel auraient été versés tous les documents électroniques. L’intimé propose également de verser des copies PDF de tous les documents sur l’ordinateur portatif de chacune des parties afin qu’elles puissent les utiliser à l’audience. Tous les documents, qu’il s’agisse de copies électroniques ou de copies papier, seraient nommés et numérotés de la même façon. Par exemple, les documents papier auraient comme numéro d’onglet 001, 002, 003, et ainsi de suite jusqu’à 10 000, alors que les documents sous forme électronique seraient enregistrés sous le nom 001, 002, 003, et ainsi de suite jusqu’à 10 000. Par conséquent, le document électronique 8346 serait le même que le document figurant à l’onglet 8346 dans un ensemble de reliures.

[7]               L’intimé soutient que le dépôt d’éléments de preuve électroniques ne cause préjudice à aucune des parties, étant donné que chaque partie peut imprimer, à ses propres frais, les documents de l’intimé si elle le souhaite. Compte tenu du principe de la proportionnalité, du montant maximum pouvant être accordé pour préjudice moral au titre de l’alinéa 53e) de la Loi et de la réduction visée des frais supportés relativement à l’instance pour toutes les parties, l’intimé soutient qu’il est dans l’intérêt de la justice qu’il n’ait pas à produire cinq copies de ses documents à l’audience de la présente affaire.

[8]               Le plaignant et la Commission s’opposent à la requête de l’intimé. Ils soutiennent que les documents divulgués ne seront pas tous produits en preuve. À cet égard, la Commission souligne que, pour arriver à la somme de 20 000 $ qu’il avance, l’intimé tient pour acquis que tous les documents qu’il a divulgués devront être produits en preuve, ce qui n’est pas nécessairement le cas. Le même raisonnement s’applique aux frais supplémentaires qui, selon l’intimé, devront être supportés pour le transport, l’entreposage et la gestion des documents. La Commission est également d’avis que la somme pouvant être accordée pour préjudice moral suivant l’alinéa 53e) de la Loi n’est pas pertinente pour trancher la présente requête.

[9]               La Commission et le plaignant craignent que l’utilisation de documents électroniques à l’audience nuise à leur capacité de trouver facilement les documents tant lors du contre‑interrogatoire que lors de la préparation. La Commission ajoute que la proposition de l’intimé selon laquelle il fournirait des copies PDF des documents ne tient pas compte du besoin de trouver facilement ces documents à l’audience. De plus, la Commission souligne que l’intimé n’a pas abordé la question du soutien technique en cas de mauvais fonctionnement du projecteur ou de l’ordinateur de présentation proposé au cours de l’audience.

[10]           La Commission allègue que l’intimé n’a pas décrit comment la pratique établie concernant la production de pièces papier nuirait à sa capacité de présenter ses arguments. Selon la Commission et le plaignant, l’intimé pourrait réduire ses frais en produisant un exposé conjoint des faits, en imprimant des documents recto verso et en fournissant une seule copie des documents au Tribunal.

III. La décision sur requête

[11]           Le Tribunal ne dispose pas de règles ni de lignes directrices en ce qui concerne l’utilisation de documents électroniques à l’audience. En l’absence de telles directives, le Tribunal est maître de sa propre procédure, à condition que celle‑ci respecte les règles de l’équité (voir Prassad c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 R.C.S. 560, aux pages 568 et 569). À cet égard, le paragraphe 48.9(1) de la Loi prévoit également que l’instruction des plaintes doit se faire sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique.

[12]           La demande présentée par l’intimé concernant l’utilisation de documents électroniques est fondée sur les coûts. D’un côté, l’intimé n’a pas fait valoir que l’utilisation de documents papier nuirait à sa capacité de présenter ses arguments. De l’autre, le plaignant et la Commission ont soulevé des préoccupations légitimes concernant la proposition de l’intimé d’utiliser des documents électroniques. On ne peut pas libérer le plaignant et la Commission de leurs préoccupations en matière d’équité en leur demandant simplement d’imprimer des copies papier des documents à leurs propres frais. Quoi qu’il en soit, en demandant au plaignant et à la Commission de procéder ainsi, on transfère seulement les frais d’une partie aux deux autres.  

[13]           Comme le plaignant et la Commission n’ont pas accepté d’utiliser les documents électroniques à l’audience et ont soulevé des préoccupations en matière d’équité à cet égard, et comme le Tribunal n’a pas de règles ni de lignes directrices concernant l’utilisation de documents électroniques à l’audience, la présente requête ne peut pas être accueillie en totalité. Le Tribunal ne peut pas permettre aux préoccupations de l’intimé à l’égard des coûts de l’emporter sur son mandat de veiller à ce que l’audience soit équitable.     

[14]           Le plaignant et la Commission ont fait certaines propositions pratiques pour réduire la quantité de documents qui pourraient être requis à l’audience de la présente affaire, soit l’impression recto verso des documents, de même que la présentation d’un exposé conjoint des faits et d’un recueil conjoint de documents. J’encourage les parties à se prévaloir de ces options pour réduire les frais que les parties sont susceptibles de supporter relativement à l’instance.

[15]           Je suis également prête à réduire le nombre de copies de documents devant être produites à l’audience en le faisant passer de cinq à trois (une copie pour chacune des parties adverses et une copie pour le dossier du Tribunal). Si l’intimé souhaite encore présenter ses arguments sous forme électronique, je pourrais suivre au moyen de la preuve électronique de l’intimé. Si j’ai besoin d’avoir une copie papier de certains documents à la fin de l’audience, je demanderai à l’intimé de me la fournir.

[16]           Je tiens à souligner que, comme il est prévu que l’affaire soit entendue en blocs d’une semaine non consécutifs, il est fort peu probable que l’intimé ait besoin de la totalité de sa preuve chaque semaine. En apportant seulement les documents dont il peut avoir besoin pour chacune des semaines d’audience, l’intimé peut aussi être capable de réduire les coûts associés au transport, à l’entreposage et à la gestion de ces documents.

[17]           Par conséquent, pour les motifs exposés ci-dessus, je rejette la requête que l’intimé a présentée en vue de produire sa preuve uniquement sous forme électronique. Cependant, les autres solutions possibles susmentionnées peuvent être examinées au cours de la prochaine conférence téléphonique.

 

 

Signée par

Sophie Marchildon

Membre du tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 18 octobre 2013

 

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