Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Mme Lepine a été incarcérée alors qu’elle était enceinte. Sa plainte concerne le traitement qu’elle et son enfant ont subi de la part du Service correctionnel du Canada.

Dans sa requête, Mme Lepine a demandé au Tribunal de protéger l’identité de son enfant. Elle a également demandé au Tribunal de protéger ses dossiers médicaux et ceux de son enfant.

Le Tribunal a accepté d’assurer la confidentialité du nom de l’enfant et des dossiers médicaux.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 98

Date : Le 26 août 2024

Numéros des dossiers : HR-DP-2899-22 et HR-DP-2900-22

Entre :

Amanda Lepine et Amanda Lepine (au nom de A.B.)

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel du Canada

l’intimé

- et -

West Coast LEAF

la partie intéressée

Décision sur requête

Membre : Naseem Mithoowani



I. APERÇU

[1] La plaignante est une femme métisse qui a été incarcérée alors qu’elle était nouvellement enceinte. Elle a déposé une plainte en son nom et au nom de son fils mineur autochtone (ci-après dénommé « A.B. »). La plainte est axée sur la discrimination qu’aurait subie la plaignante dans la prestation de services par le Service correctionnel du Canada pendant qu’elle était enceinte et qu’elle a accouché d’A.B, puis lorsqu’elle a reçu des soins postnataux dans le cadre de son incarcération.

[2] L’intimé nie les allégations.

[3] La plaignante a déposé une requête en vue d’anonymiser le nom de l’enfant mineur dans la présente instance et de traiter de manière confidentielle les autres renseignements permettant d’identifier ce dernier.

[4] La plaignante demande également que tous ses dossiers médicaux et ceux de l’enfant mineur soient considérés comme confidentiels et que le public n’y ait pas accès.

[5] L’intimé consent à la requête. La Commission canadienne des droits de la personne ne se prononce pas au sujet de la requête.

II. DÉCISION

[6] Pour les motifs qui suivent, je suis convaincue qu’une ordonnance de confidentialité rendue selon les modalités proposées par la plaignante est raisonnable et nécessaire dans les circonstances. J’accueille donc la requête de la plaignante.

III. ANALYSE

[7] L’article 52 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP ») confère au Tribunal le vaste pouvoir de prendre toute mesure ou de rendre toute ordonnance qu’il juge nécessaire pour assurer la confidentialité de l’instruction dans certaines circonstances.

[8] L’article 52 de la LCDP prévoit ce qui suit :

(1) L’instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu que, selon le cas :

a) il y a un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique;

b) il y a un risque sérieux d’atteinte au droit à une instruction équitable de sorte que la nécessité d’empêcher la divulgation de renseignements l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique;

c) il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique;

d) il y a une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne puisse être mise en danger par la publicité des débats.

(2) Le membre instructeur peut, s’il l’estime indiqué, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance qu’il juge nécessaire pour assurer la confidentialité de la demande visée au paragraphe (1).

[9] Dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25, la Cour suprême a énoncé le critère applicable à l’évaluation des requêtes en confidentialité qui suit : premièrement, le demandeur doit établir que la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important; deuxièmement, il doit démontrer que l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence; et troisièmement, il doit établir que, du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

[10] Ce critère est compatible avec l’article 52 de la LCDP. Par conséquent, le Tribunal a confirmé qu’il doit évaluer une requête en confidentialité en se fondant sur l’arrêt rendu par la Cour suprême dans l’affaire Sherman (Succession) (voir, par exemple, GH c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2023 TCDP 28, et SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada, 2021 TCDP 35).

[11] Je suis convaincue qu’il existe un intérêt public important dans la protection de la vie privée d’un enfant mineur vulnérable. Le fait de divulguer le nom du mineur, des renseignements permettant de l’identifier et les dossiers médicaux de ce dernier entraînerait la diffusion de renseignements de nature délicate liés à sa naissance et aux soins qui lui ont été prodigués immédiatement après. Une telle divulgation pourrait nuire de façon injustifiée à la réputation de l’enfant et à son estime de soi. Je suis convaincue que la divulgation du nom de l’enfant mineur et de ses dossiers médicaux pose un risque sérieux pour cet intérêt public.

[12] Je suis également convaincue qu’il existe un intérêt public important dans la protection des dossiers médicaux de la plaignante. Les dossiers médicaux en question sont très personnels. Un plaignant a droit au respect de sa vie privée et à la confidentialité en ce qui concerne ses documents médicaux. Je suis d’accord avec la plaignante pour dire que la divulgation de ces dossiers menacerait sérieusement cet intérêt compte tenu du préjudice injustifié que cela pourrait lui causer en l’embarrassant et en portant atteinte à sa dignité.

[13] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, je suis convaincue que l’ordonnance sollicitée par la plaignante, et à laquelle l’intimé a consenti, ne porte atteinte que de façon minimale au principe de la publicité des débats judiciaires.

[14] Le fait d’anonymiser le nom de l’enfant mineur et de caviarder des renseignements permettant de l’identifier dans le dossier n’empêchera pas le public de comprendre la procédure et aura un effet minime sur l’intérêt public dans l’instruction transparente des plaintes.

[15] Le fait de traiter les dossiers médicaux de manière confidentielle ne nuira pas non plus à la capacité du public de comprendre la procédure. Les parties à la plainte disposeront d’un accès illimité aux dossiers médicaux et seront en mesure de pleinement comprendre la procédure et d’y participer. L’ordonnance ne fait que restreindre l’accès du public à ces documents. Toutefois, l’essentiel du dossier restera public.

[16] La mesure sollicitée par la plaignante, et à laquelle l’intimé a consenti, est la manière la moins intrusive possible d’atteindre l’objectif consistant à empêcher que la vie privée de l’enfant mineur et de la plaignante soit compromise.

[17] Enfin, je suis d’avis que l’intérêt public important dans la protection de la vie privée de l’enfant mineur et des dossiers médicaux de nature délicate de la plaignante l’emporte sur tout effet négatif.

IV. ORDONNANCE

[18] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal rend l’ordonnance suivante :

  1. Le nom de l’enfant mineur sera traité de manière confidentielle. L’enfant mineur sera exclusivement désigné par les lettres A.B. tout au long de la procédure, y compris dans tout document déposé auprès du Tribunal, dans les observations orales, ainsi que dans les décisions sur requête et les décisions du Tribunal.

  2. Les renseignements permettant d’identifier A.B. doivent être traités de manière confidentielle et retranchés du dossier. Le Tribunal enjoint aux parties de procéder au caviardage ordonné au fur et à mesure qu’elles lui présenteront des documents.

  3. Les dossiers médicaux des plaignantes doivent être traités de manière confidentielle et ne doivent pas être accessibles par l’intermédiaire du dossier public du Tribunal. Ces documents doivent être placés dans une enveloppe scellée portant la mention « Confidentiel » s’ils sont transmis au Tribunal.

  4. Tous les documents qui ne sont pas conformes à la présente ordonnance devront être déposés à nouveau dans un délai de 30 jours afin qu’ils puissent être versés au dossier public du Tribunal.

  5. Le greffe du Tribunal veillera à ce que toute information sollicitée provenant du dossier public du Tribunal soit conforme à la présente ordonnance avant sa divulgation.

Signée par

Naseem Mithoowani

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 26 août 2024


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéros des dossiers du Tribunal : HR-DP-2899-22 et HR-DP-2900-22

Intitulé de la cause :

Amanda Lepine c. Service correctionnel du Canada

Amanda Lepine (au nom de A.B.) c. Service correctionnel du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 26 août 2024

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Katie Duke et Sophie Maraldo , pour les plaignantes

Geneviève Colverson , pour la Commission canadienne des droits de la personne (N’incluez pas si aucune observation n’a été déposée.)

Jon Khan and Aleksandra Mihailovic , pour l’intimé

Bety Tesfay, Jessica Lithwick et Maya Ollek , pour la partie intéressée

 

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