Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 99

Date : Le 29 août 2024

Numéro du dossier : T2566/12320

Entre :

Marcus Williams

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Banque de Nouvelle-Écosse

l’intimée

Décision sur requête

Membre : Jennifer Khurana

 


I. APERÇU

[1] Marcus Williams (le « plaignant ») a demandé à la présidente du Tribunal de confier l’audition de sa plainte à une formation de trois membres. À l’heure actuelle, un seul membre en est saisi.

[2] La Banque de Nouvelle-Écosse (l’« intimée ») s’oppose à la requête. Elle soutient que l’affaire n’est pas suffisamment difficile pour justifier qu’une formation de trois membres en soit saisie. La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »), si elle ne s’oppose pas à la requête, soutient toutefois qu’une telle formation n’est pas nécessaire et que la démarche risquerait de retarder inutilement la mise au rôle de l’audience. La Commission a aussi offert des suggestions concrètes et pratiques visant l’instruction équitable et expéditive de la plainte.

II. DÉCISION

[3] La requête du plaignant est rejetée. Sa plainte, qui est une affaire d’emploi fondée sur des allégations de discrimination dans le cadre de décisions en matière de dotation, n’est pas suffisamment difficile pour justifier l’affectation de trois membres. En effet, désigner une telle formation ne constituerait pas une utilisation judicieuse des ressources limitées du Tribunal et ne ferait que retarder et compliquer inutilement l’instance.

III. ANALYSE

[4] La Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP » ou la « Loi ») énonce les fonctions qu’exerce le président du Tribunal. Ainsi, aux termes du paragraphe 48.4(2) de la Loi, celui-ci assure la direction du Tribunal et en contrôle les activités, notamment en ce qui a trait à la répartition des tâches entre les membres et à la gestion des affaires internes. Lorsque la Commission demande au Tribunal d’instruire une plainte, le président en saisit un membre qui assurera la gestion d’instance et instruira la plainte. S’il estime que la difficulté de l’affaire le justifie, le président peut désigner une formation de trois membres (par. 49(2) de la Loi).

[5] La difficulté d’une affaire s’évalue au cas par cas. Entre autres facteurs, il y a lieu de prendre en considération la nature et la portée de la plainte, les faits précis qui y ont donné lieu, les questions de droit qu’elle soulève ainsi que la nature et le volume potentiels de la preuve documentaire et des témoignages (Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c. Procureur général du Canada (Représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2012 TCDP 16, au par. 20 [Société de soutien]).

[6] Le paragraphe 49(2) et la décision relative à la désignation d’une formation collégiale ne sauraient être interprétés indépendamment de l’économie de la Loi. Outre le paragraphe 48.4(2) susmentionné, le paragraphe 48.9(1) de la Loi prévoit l’instruction des plaintes sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique. Partant, la décision d’affecter un membre seul ou une formation composée de trois membres à l’instruction d’une plainte est une décision qui repose sur l’examen que fait le président de la complexité de la plainte, mais aussi de la gestion du Tribunal (Société de soutien, au par. 22).

[7] Le 17 novembre 2020, la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal. Depuis, les parties se sont renvoyé la balle quant à la possibilité d’aller en médiation, il y a eu contrôle judiciaire, et une requête en suspension a été rejetée. Les parties ont fini par s’échanger des exposés des précisions, puis par déposer des versions modifiées de ces exposés. Le 8 août 2024, le plaignant a déposé une réplique modifiée.

[8] À mon avis, sur les plans juridique et factuel, la plainte n’est pas suffisamment difficile pour justifier la désignation d’une formation de trois membres. Je suis d’accord avec l’intimée : la plainte implique des allégations de discrimination en milieu de travail d’une nature très similaire à celle de plaintes régulièrement entendues par un membre seul. Même un grand nombre d’allégations, surtout si elles sont de même nature, ne rendent pas nécessairement une affaire difficile, qu’il s’agisse de droit ou de faits. Le plaignant n’a pas réussi à démontrer en quoi le fait de contester des décisions en matière de dotation, même nombreuses, est si complexe ou nouveau qu’il justifie que trois membres soient désignés.

[9] Le plaignant a fait état de l’historique procédural très long de son affaire, notamment du nombre de contrôles judiciaires qu’elle comporte. Toutefois, ces facteurs n’ont pas d’incidence sur la difficulté des questions de droit ou de faits que le décideur doit étudier pour se prononcer sur le fond de la plainte. De toute façon, tout ce qui a eu lieu devant la Commission ou avant le renvoi au Tribunal appartient au passé et n’a rien à voir avec le travail du Tribunal. Que l’affaire soit instruite par un ou trois membres ne changera rien à cet historique. En outre, l’ajout de deux membres ne permettra pas de revenir sur les décisions de la Commission quant à la portée de la plainte, que le Tribunal n’a pas le pouvoir de modifier.

Ressources et retard

[10] À titre de présidente du Tribunal, entre autres fonctions, j’assure la répartition du travail entre les membres de façon à permettre au Tribunal de traiter de la totalité des plaintes de discrimination qui lui sont soumises par la Commission (Société de soutien, au par. 21). Le Tribunal dispose de ressources limitées. Il y a un prix à désigner une formation de trois membres pour instruire une affaire d’emploi, non seulement pour le contribuable, mais aussi pour les autres parties qui attendent l’instruction de leur affaire et dont je dois prendre les intérêts en considération. Malgré leur nombre, les allégations de discrimination soulevées par le plaignant contre l’intimée ne constituent pas la seule affaire dont le Tribunal est saisi.

[11] Le plaignant s’inquiète que son affaire prenne du retard, mais l’ajout de deux décideurs n’en accélérera pas le traitement. Pour être instruite de manière expéditive, l’affaire doit être simplifiée plutôt qu’inutilement compliquée. La présence de trois membres impliquerait la coordination de trois emplois du temps, sans compter que ces personnes devraient se consulter et trancher ensemble tous les aspects de l’affaire.

[12] Il appartient au Tribunal de s’assurer que l’instruction des plaintes soit menée sans formalisme et de façon équitable et expéditive. Cependant, l’atteinte de ce but dépend également des parties. Présenter des requêtes raisonnables et proportionnées, s’efforcer de réduire les listes de témoins, éviter les objections inutiles pendant l’audience et collaborer afin que les éléments de preuve soient instruits le plus rapidement et le plus efficacement possible, est dans l’intérêt des toutes les parties et du public (Richards c. Service correctionnel Canada, 2023 TCDP 51, au par. 27). Autrement dit, un manque d’égard pour la proportionnalité et une collaboration tiède peuvent compliquer et prolonger un processus déjà long et difficile.

[13] Les parties et le Tribunal ont comme intérêt commun l’instruction de l’affaire de façon équitable et expéditive, comme le prévoit le paragraphe 48.9(1) de la Loi. À cet effet, la Commission a des suggestions utiles, pratiques et concrètes. À titre d’exemple, elle propose de circonscrire la portée de la plainte à trois décisions en matière de dotation, car il semble que la plainte vise 123 décisions et qu’elle requiert la comparution de 137 témoins. La Commission suggère en outre aux parties de dresser la liste des faits qui ne prêteraient pas à contestation. L’audience en serait ainsi accélérée, et le Tribunal pourrait rendre sa décision plus rapidement. Il va sans dire que la durée de l’audience sera proportionnelle à l’ampleur de la plainte ainsi qu’au nombre d’allégations soulevées, de témoins convoqués et d’éléments de preuve déposés. Ainsi, favoriseront le caractère expéditif de l’instruction les parties qui choisissent judicieusement leurs chevaux de bataille et cherchent à aller de l’avant au moyen d’un processus de traitement de la plainte raisonnable.

IV. ORDONNANCE

[14] La requête du plaignant, soit la désignation d’une formation de trois membres à l’instruction de l’affaire, est rejetée. Le membre désigné demeure saisi de l’affaire.

Signée par

Jennifer Khurana

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 29 août 2024


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T2566/12320

Intitulé de la cause : Marcus Williams c. Banque de Nouvelle-Écosse

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 29 août 2024

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Marcus Williams , pour le plaignant

Sarah Chenevert-Beaudoin , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Tiffany O'Hearn Davies , pour l’intimée

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