Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante, Mme Mason, est membre de la Première Nation de St. Theresa Point (PNSTP), l’intimée. La PNSTP n’a pas participé à l’audience.

Mme Mason a travaillé pour l’Autorité sanitaire de la PNSTP pendant de nombreuses années sans aucun problème.

La PNSTP a embauché un nouveau superviseur pour diriger le groupe de Mme Mason. Cette dernière connaissait déjà ce nouveau superviseur. Elle a soutenu qu’il l’avait agressée sexuellement il y a 20 ans.

Mme Mason a affirmé que, pendant qu’elle travaillait pour la PNSTP, ce superviseur l’a prise pour cible et a nui à sa relation de travail avec son employeur. Elle a aussi déclaré que la PNSTP l’a réprimandée pour des raisons qui n’avaient jamais été soulevées avant l’arrivée de ce nouveau superviseur. La PNSTP a fini par mettre fin à l’emploi de Mme Mason.

Le Tribunal a conclu que les actions du superviseur de Mme Mason démontraient un désir de la contrôler. La mesure disciplinaire qui a mené à la perte de son emploi a été imposée principalement par ce superviseur. Le Tribunal a jugé que, même si l’agression sexuelle passée n’était pas la faute de la PNSTP, le sexe de Mme Mason avait été un facteur dans les réprimandes qu’elle a reçues et dans son licenciement.

En conséquence, le Tribunal a accordé à Mme Mason une indemnité pour préjudice moral. Il a indiqué que le licenciement discriminatoire avait eu de graves répercussions sur la santé mentale, la vie familiale et la situation financière de Mme Mason.

Le Tribunal a également conclu que la PNSTP avait agi de façon inconsidérée en ne remettant pas en question les plaintes ciblées du superviseur contre Mme Mason. Il a donc accordé une indemnité spéciale à Mme Mason et a ordonné à la PNSTP de l’indemniser pour sa perte de salaire.

Enfin, le Tribunal a ordonné que des mesures (à titre de réparation d’intérêt public) soient prises pour prévenir toute discrimination future.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 85

Date : Le 18 juin 2024

Numéro du dossier : HR-DP-2927-23

Entre :

Shirley Mason

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Première Nation de St. Theresa Point

l’intimée

Décision

Membre : Colleen Harrington



I. Aperçu

[1] La plaignante, Shirley Mason, est membre de la Première Nation intimée, soit la Première Nation de St. Theresa Point (la « PNSTP »), une communauté accessible par voie aérienne qui compte environ 4 000 habitants et qui se situe approximativement 600 kilomètres au nord-est de Winnipeg, au Manitoba. Durant l’été, on peut également y accéder par bateau et, durant l’hiver, en empruntant une route saisonnière.

[2] Mme Mason déclare qu’en 1996, un guérisseur traditionnel de leur communauté nommé Elie Monias que je désignerai par les initiales « EM » dans la présente décision a profité de son statut pour l’attirer dans son bureau et se livrer à des attouchements sexuels sur elle. Il lui aurait dit que, si elle tentait de le dénoncer, personne ne la croirait. À la suite de cet incident, elle n’était pas à l’aise en la présence de EM, en avait peur et cherchait à l’éviter.

[3] En 2016, soit vingt ans plus tard, Mme Mason travaillait pour l’office de la santé de la PNSTP quand EM a été embauché et qu’il est devenu son superviseur. Mme Mason était à l’emploi de l’office de la santé depuis 2011 et n’avait, jusque-là, jamais fait l’objet de réprimandes ni reçu de commentaires négatifs sur sa prestation de travail. Or, elle a su que EM avait commencé à se plaindre d’elle. Elle prétend qu’il a formulé des critiques injustes à son endroit auprès de leur employeur, qu’il a tenu des propos mensongers et défavorables à son sujet auprès des cadres supérieurs et d’au moins un conseiller de la bande de la PNSTP et qu’il a, tout compte fait, voulu la pousser à quitter son emploi. En avril 2017, Mme Mason a reçu une lettre de réprimande et, en janvier 2019, elle a été congédiée. Elle soutient que son employeur n’avait aucun motif légitime de mettre fin à son emploi.

[4] Mme Mason croit que EM l’a ciblée parce qu’elle s’était autrefois opposée à ses attouchements inconvenants, parce qu’elle était la seule femme affectée à ce programme de l’office de la santé, et parce qu’elle était membre de l’organisme MADD. Elle explique que MADD est l’acronyme de Mothers Against Drugs and Dealers (les mères contre les drogues et les revendeurs), un regroupement de mères et de grands-mères qui luttent contre les drogues illégales et les revendeurs au sein de la PNSTP.

[5] La plainte de Mme Mason ne vise pas EM, décédé avant la tenue de l’audience, mais vise plutôt son employeur, c’est-à-dire la PNSTP. Mme Mason allègue que tant la réprimande que le congédiement constituaient de la discrimination fondée sur le sexe de la part de la PNSTP, en violation de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 [LCDP].

[6] La PNSTP ne s’est manifestée à aucune étape du processus de plainte et n’a pas participé à l’audience.

II. Décision

[7] La plainte est fondée. Le sexe de Mme Mason s’est avéré au moins un facteur dans la décision de la PNSTP de lui adresser une réprimande et de mettre fin à son emploi, ce qui constitue de la discrimination aux termes de l’article 7 de la LCDP. Mme Mason a droit aux réparations personnelles qui la remettront dans sa situation antérieure et aux réparations d’intérêt public qui visent à prévenir la répétition d’actes discriminatoires.

III. Absence de participation de la PNSTP

[8] Mme Mason est la seule personne à avoir témoigné à l’audience relative à la présente plainte. Pour sa part, l’avocate de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a interrogé Mme Mason afin de confirmer son témoignage puis a présenté des observations finales.

[9] Afin de respecter les principes de justice naturelle et d’équité procédurale, le Tribunal devait offrir à la PNSTP la possibilité pleine et entière de comparaître dans la procédure et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que des observations (aux par. 48,9(1) et 50(1) de la LCDP). Bien qu’elle ait été formellement informée, la PNSTP a choisi de ne pas participer à l’instruction. En fait, elle ne s’est manifestée à aucune des étapes de la procédure, et ce, même si la Commission et le Tribunal ont tenté à maintes reprises d’entrer en communication avec elle.

[10] Le 31 janvier 2023, la Commission a renvoyé la plainte déposée par Mme Mason contre la PNSTP au Tribunal pour qu’il l’instruise. Ce dernier a tenté à de nombreuses reprises d’entrer en contact avec la PNSTP pour l’informer de la plainte pour atteinte aux droits de la personne, notamment en envoyant, par courriel et par courrier recommandé, une lettre datée du 17 juillet 2023 qui avait été rédigée par la présidente du Tribunal à l’attention du chef Elvin Flett. Il était précisé dans cette lettre que si la PNSTP ne répondait pas au Tribunal, elle risquait de ne plus pouvoir déposer un exposé des précisions, et que le processus de gestion de l’instance et l’audience pourraient se dérouler sans elle. Postes Canada a confirmé que la lettre avait bien été remise à l’intimée.

[11] Le Tribunal a envoyé des courriels, laissé des messages téléphoniques — y compris à une personne à la réception de la PNSTP — et transmis des lettres par courrier recommandé, mais la PNSTP ne lui a jamais répondu. La Commission a fait part au Tribunal des efforts répétés qu’elle a elle-même déployés pour joindre l’intimée pendant le processus d’examen de la plainte. La PNSTP n’a pas davantage répondu à la Commission.

[12] Le 26 septembre 2023, le greffier du Tribunal a transmis un avis d’audience à toutes les parties. L’avis a été envoyé à la PNSTP par la poste et par courrier recommandé; Postes Canada a confirmé que la correspondance avait été récupérée au bureau de poste de la PNSTP le 17 octobre 2023. L’avis d’audience précisait la date et l’heure de l’audience, de même que les informations permettant de s’y joindre par vidéoconférence sur la plateforme Zoom. L’avis mentionnait : [traduction] « Si vous ne vous présentez pas à l’audience, le Tribunal peut procéder en votre absence et vous n’aurez droit à aucun autre avis au cours de la présente instance ».

[13] Malgré tous ces efforts, la PNSTP ne s’est pas jointe à l’audience tenue par le Tribunal le 30 octobre 2023 par vidéoconférence sur la plateforme Zoom. Avec l’accord de la Commission et de la plaignante, le Tribunal a décidé de procéder à l’audience en l’absence de l’intimée, comme le lui permet l’article 9 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 [Règles de pratique]. Le Tribunal a jugé que la PNSTP avait eu la pleine possibilité de participer à l’instance et qu’elle avait été clairement avisée de la date, de l’heure et des modalités de l’audience.

IV. Mme Mason a témoigné de façon crédible

[14] Le Tribunal « peu[t] rejeter l’ensemble d’un témoignage ou en admettre une partie ou la totalité, le tout notamment en fonction de la crédibilité du témoin » (Dicks c. Randall, 2023 TCDP 8 (CanLII), au par. 6).

[15] Dans la décision Faryna v. Chorny, 1951 CanLII 252 (BC CA), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a décrit de la manière suivante la méthode à privilégier pour apprécier la crédibilité :

[traduction]

Les possibilités qu’avait le témoin d’être au courant des faits, sa capacité d’observation, son jugement, sa mémoire et son aptitude à décrire avec précision ce qu’il a vu et entendu contribuent, de concert avec d’autres facteurs, à créer ce qu’on appelle la crédibilité […].

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de convaincre qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à déterminer raisonnablement si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits en l’espèce. Bref, pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité dans un cas de cette nature, il faut déterminer si le témoignage est compatible avec celui qu’une personne sensée et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu de la situation et des circonstances […] En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté (p. 356-357).

[16] Sur la foi des facteurs énoncés dans la décision Faryna v. Chorny, je conclus que Mme Mason est un témoin crédible. Sa déposition était raisonnable, crédible et cohérente. Vu l’absence de participation de la PNSTP, le témoignage de Mme Mason est demeuré incontesté. Aucun des éléments de preuve soumis au Tribunal, y compris les lettres de la PNSTP à l’attention de Mme Mason, ne contredit les dires de cette dernière. Par conséquent, j’admets la totalité de son témoignage.

V. Questions en litige

[17] Je dois statuer sur les questions suivantes :

VI. Analyse

Question no 1 : La PNSTP a commis un acte discriminatoire visé à l’article 7 de la LCDP

(i) Cadre juridique

[18] Selon l’alinéa 7a) de la LCDP, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser de continuer d’employer un individu. L’alinéa 7b) prévoit que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects de défavoriser cet individu en cours d’emploi.

[19] Mme Mason allègue que son sexe a joué un rôle dans la façon dont la PNSTP l’a traitée pendant son emploi ainsi que dans la décision de la congédier. Mme Mason doit établir une preuve prima facie de discrimination, c’est-à-dire qu’elle doit démontrer que la façon dont la PNSTP l’a traitée était, à première vue, discriminatoire (Johnson c. Première Nation de Membertou, 2024 TCDP 16, au par. 18). La preuve prima facie de discrimination est « celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne c. SimpsonsSears, [1985] 2 RCS 536, au par. 28).

[20] Pour établir une preuve prima facie, Mme Mason doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est plus probable qu’improbable :

1) qu’elle possède une caractéristique protégée par la LCDP (c.-à-d. qu’elle est visée par un motif de distinction illicite);

2) qu’elle a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi;

3) que le motif de distinction illicite a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable

(voir l’arrêt Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, au par. 69).

(ii) Faits

[21] Les faits suivants sont pertinents pour déterminer si Mme Mason a fait l’objet d’une discrimination prima facie.

[22] La PNSTP est gouvernée par un chef et des conseillers élus par les membres. Mme Mason a vécu au sein de la PNSTP la majeure partie de sa vie. Elle a cinq enfants et 14 petits-enfants. Elle subvient aux besoins des membres de sa famille, tant ceux qui vivent avec elle dans la communauté que ceux qui vivent à Winnipeg pour poursuivre leurs études.

[23] Après la naissance de son plus jeune enfant en 1996, Mme Mason, alors âgée de 30 ans, a souffert d’une grave dépression, d’anxiété et d’attaques de panique, problèmes pour lesquels elle est allée chercher de l’aide. Elle a fréquenté le centre de santé de la communauté en plus de recevoir les soins de guérisseurs traditionnels. Elle a participé presque quotidiennement à des cérémonies de suerie dans l’une ou l’autre des deux huttes de sudation dont disposait la PNSTP en ces temps-là. C’est EM, un homme respecté au sein de la communauté, qui était responsable de l’une d’elles. Le portrait que Mme Mason trace d’elle-même à cette époque est celui d’une personne très vulnérable qui aurait fait tout ce que EM lui aurait demandé.

[24] Mme Mason soutient que EM a profité de cette vulnérabilité et qu’un soir, il lui a dit qu’elle devait le rejoindre pour un rituel de guérison et l’a emmenée dans son bureau, où ils se sont retrouvés seuls. EM s’est livré à des attouchements sexuels non désirés lorsqu’il a déboutonné son chemisier et tenté de détacher son soutien-gorge. Mme Mason affirme s’être sentie mal à l’aise et confuse, puis s’être éloignée de lui. EM lui aurait alors dit que, si elle tentait de le dénoncer, personne ne la croirait. Elle est partie. Ultérieurement, Mme Mason a demandé au responsable de l’autre hutte de sudation si ce que EM lui avait fait était approprié, ce à quoi il lui a répondu que c’était mal, sans toutefois faire quoi que ce soit à ce sujet. Lorsqu’elle a raconté l’événement à son oncle, celui-ci lui a dit de n’en parler à personne. Mme Mason s’est confiée à sa sœur, qui l’a non seulement crue, mais lui a également révélé que EM avait posé des gestes inappropriés à son endroit dans une chambre d’hôtel à Winnipeg. Mme Mason n’a pas dénoncé EM aux services de police.

[25] Mme Mason affirme qu’après l’incident, elle avait peur et ressentait un malaise chaque fois qu’elle rencontrait EM dans la communauté, mais qu’elle ne pouvait pas l’éviter complètement puisqu’ils habitaient tous les deux une petite localité. EM était toujours un homme respecté. D’ailleurs, la page du site Web déposée en preuve à l’audience montre que EM était membre du Conseil des aînés. Mme Mason explique que le Conseil des aînés œuvre pour le peuple et que son rôle est de protéger la communauté et de défendre les droits de ses membres auprès du chef et du conseil.

[26] Mme Mason a commencé à travailler pour l’office de la santé de la PNSTP vers le mois de septembre 2011 comme réceptionniste affectée au programme de guérison traditionnelle. Le titre et les fonctions rattachés au poste qu’elle occupait ont changé au fil du temps. Il lui est arrivé de coordonner des programmes, mais, à terme, elle est devenue travailleuse en soutien traditionnel.

[27] Mme Mason relevait du coordonnateur de son programme. Tous les superviseurs de l’office de la santé étaient des hommes à l’époque où elle y travaillait, de même que toutes les autres personnes affectées au programme de guérison traditionnelle.

[28] Mme Mason affirme que son rendement n’avait jamais fait l’objet d’une évaluation négative durant les années où elle était à l’emploi de l’office de la santé. De 2011 à 2016, elle n’a reçu aucune plainte concernant son comportement ou son rendement au travail. Elle a finalement posé sa candidature pour le poste de coordonnatrice du programme de guérison traditionnelle, mais, même si elle s’est classée deuxième parmi les cinq candidats, le poste a été offert à EM, classé quatrième. Elle a trouvé cette décision injuste et décevante. Elle s’est également sentie frustrée et anxieuse de savoir que EM allait devenir son superviseur et avait peur de ce qu’il pouvait lui faire. Elle prétend avoir entendu dire que EM avait demandé au directeur exécutif de la PNSTP de l’époque, Robert Flett, de l’embaucher comme coordonnateur avant même que le poste ne soit affiché. Selon elle, Robert Flett et EM étaient très proches.

[29] Au printemps 2016, EM est devenu le superviseur de Mme Mason. Elle avait perdu tout respect à son égard en raison des gestes qu’il avait posés vingt ans auparavant. Elle en avait peur et croit qu’il le savait. Mme Mason prétend que EM agissait correctement avec les autres membres du personnel, mais qu’aucune autre femme ne travaillait dans son équipe. Elle a essayé autant que faire se peut d’éviter EM, mais c’était difficile puisqu’elle travaillait pour lui.

[30] Mme Mason affirme avoir raconté à deux employées de la PNSTP ce que EM lui avait fait en 1996 et leur avoir dit qu’elle craignait de travailler avec lui. La première est Charlene Mason, une employée des ressources humaines, et la seconde est Angela Mason, une femme qui, selon la plaignante, était directrice des opérations et travaillait pour son frère, Elvin, le directeur des services de santé de l’époque. Aucune de ces femmes n’a fait quoi que ce soit après avoir reçu ces confidences.

[31] Mme Mason travaillait avec EM depuis un moment lorsque certaines personnes, dont son frère Elvin, lui ont dit que EM se plaignait d’elle et qu’il tentait de la faire renvoyer. L’un des conseillers de la bande lui a une fois mentionné qu’il était surpris de la voir à son bureau puisque EM lui avait fait croire qu’elle n’y était jamais.

[32] Bien qu’une partie du témoignage de Mme Mason constitue du ouï-dire, il est en grande partie étayé par la preuve présentée à l’audience. En avril 2017, Mme Mason a reçu une lettre de réprimande, signée par Robert Flett, directeur exécutif de la PNSTP de l’époque (la « lettre de réprimande »). Dans sa lettre, M. Flett mentionne avoir été informé que Mme Mason s’absentait quotidiennement de son poste et qu’elle n’était pas disponible pour exécuter ses tâches de secrétaire du programme des pensionnats pour Autochtones. M. Flett écrit qu’il comptait demander au coordonnateur de Mme Mason (EM) de faire le point deux semaines plus tard pour s’assurer de l’amélioration de son rendement; il lui rappelle également qu’elle doit respecter la [traduction] « voie hiérarchique », c’est-à-dire qu’elle doit s’adresser d’abord à son coordonnateur si elle a la moindre préoccupation.

[33] Mme Mason a nié s’être absentée de son poste, même si elle a admis avoir été souvent en retard au travail, ce qui était, selon elle, chose courante parmi les employés du bureau. Elle affirme s’être présentée au travail chaque jour, et ce, malgré l’anxiété et l’inconfort que suscitait en elle le fait de travailler avec EM. Elle avait besoin de cet emploi pour subvenir aux besoins de sa famille. Elle affirme toutefois ne pas avoir été surprise de recevoir cette lettre, car on lui avait déjà rapporté que EM se plaignait d’elle.

[34] Mme Mason affirme qu’environ un an après son congédiement, elle a rencontré M. Flett à Winnipeg et lui a demandé pourquoi il avait rédigé la lettre de réprimande. Il lui a répondu qu’il était désolé, et que c’était EM qui s’était plaint d’elle et avait souhaité qu’elle quitte l’office de la santé.

[35] En juillet 2018, Mme Mason a signé un code d’éthique, lequel faisait partie de la politique des ressources humaines de la PNSTP. Elle a également signé un serment de confidentialité aux termes duquel elle s’engageait à ne divulguer aucune communication reçue en cours d’emploi.

[36] Entre avril 2017, moment où elle a reçu la lettre de réprimande, et janvier 2019, moment où elle a été congédiée, Mme Mason affirme que EM ne lui a fait part d’aucun problème en lien avec son rendement, que personne n’a communiqué avec elle à ce propos et qu’elle n’a reçu aucune autre lettre de réprimande. Jamais personne ne lui a reproché d’avoir enfreint le code d’éthique ou d’avoir manqué au serment de confidentialité, ni d’avoir publié des commentaires inappropriés dans les médias sociaux.

[37] Le 15 janvier 2019, Mme Mason a reçu un avis de renvoi disciplinaire (la « lettre de congédiement ») signé par Stewart McDougall, lequel occupait alors le poste de directeur exécutif de la PNSTP. La lettre de congédiement informait Mme Mason qu’elle était dès lors relevée de ses fonctions à titre de travailleuse en soutien traditionnel affectée au programme des pensionnats pour Autochtones au motif qu’elle avait contrevenu aux politiques des ressources humaines, et plus particulièrement, au document concernant le code de conduite et les normes de rendement de l’employé, au code d’éthique et à la politique sur les communications et les médias sociaux.

[38] Selon la lettre de congédiement, [traduction] « [son] superviseur immédiat [lui avait] déjà fait part de certaines préoccupations quant à [son] rendement global ». Il était notamment question de retards, d’insubordination, d’une mauvaise attitude au travail et du [traduction] « fait qu[’elle] n’av[ait] pas demandé l’autorisation de [son] supérieur immédiat avant de prendre certaines mesures ».

[39] Dans la lettre de congédiement, il est aussi question de deux publications faites par Mme Mason dans les médias sociaux en novembre et en décembre 2018. En ce qui concerne celle de novembre, M. McDougall écrit que Mme Mason a évoqué certains enjeux communautaires et a fait des commentaires peu professionnels à l’égard de son employeur, à savoir le chef et le conseil de la PNSTP. En ce qui concerne celle de décembre, il écrit que Mme Mason a non seulement émis des commentaires sur les drogues et les seringues, mais aussi des [traduction] « commentaires qui, venant d’une travailleuse de la santé, dénotent un manque de professionnalisme à l’égard des membres de la communauté ». Il ajoute que [traduction] « ce n’est pas la première fois que le sujet est porté à l’attention [de Mme Mason] ».

[40] Toujours dans cette lettre, on rappelle à Mme Mason qu’elle a signé, en juillet 2018, la politique relative au code d’éthique, le serment de confidentialité et la politique sur les médias sociaux, qui sont tirés du manuel des politiques des ressources humaines de la PNSTP. M. McDougall affirme que la coutume et la tradition exigent du personnel et des membres de la communauté qu’ils fassent toujours preuve du plus grand respect à l’égard des dirigeants de la communauté, du chef et du conseil de la PNSTP. M. McDougall écrit que l’employeur ne peut tolérer quoi que ce soit qui puisse nuire à la relation entre le travailleur de la santé et la clientèle, car les membres de la communauté doivent se sentir parfaitement à l’aise de requérir leurs services.

[41] M. McDougall conclut sa lettre en déclarant que Mme Mason était congédiée pour avoir manqué à la politique relative au code d’éthique et à la politique sur les médias sociaux, mais aussi en raison de son rendement global. Il a joint à la lettre les politiques et les publications dans les médias sociaux auxquelles il fait référence, de même qu’une [traduction] « liste de problèmes identifiés et rapportés par [le] supérieur immédiat ». Cette liste, déposée en preuve à l’audience, compte dix points, notamment le fait que Mme Mason était rarement au bureau, qu’elle ne remplissait pas les rapports d’étape ni les rapports financiers, qu’elle ne consultait pas son superviseur ni les autres employés, qu’elle ne s’intéressait qu’à voyager, qu’elle faisait la sourde oreille à son superviseur, qu’elle avait un comportement déloyal à l’égard des autres et qu’elle parlait dans leur dos, qu’elle était insubordonnée et qu’elle semblait avoir emménagé dans le centre de guérison sans avoir consulté son superviseur.

[42] Mme Mason affirme avoir été surprise lorsqu’elle a pris connaissance de cette liste de problèmes, qu’elle n’avait jamais vue auparavant et dont elle conteste le contenu. Elle nie avoir déjà été avisée de ces enjeux ou de tout problème lié à son rendement, que ce soit par EM ou qui que ce soit d’autre, abstraction faite de la lettre de réprimande qu’elle a reçue en 2017, mais qui ne venait pas directement de EM.

[43] Selon Mme Mason, EM savait qu’elle travaillait à partir du centre de guérison, un ancien hôtel qu’on avait mis à la disposition du programme de guérison traditionnelle afin d’héberger quelques-uns des nombreux sans-abris de la communauté. Mme Mason avait nettoyé et rafraîchi l’immeuble, puis avait commencé à mener des activités à cet endroit, comme on le lui avait apparemment demandé. À titre d’exemple, elle a mis sur pied un programme de petit-déjeuner des bénévoles qui a connu un bon taux de participation. Elle affirme que EM était au courant de ses activités.

[44] La lettre de congédiement invite Mme Mason à améliorer ses [traduction] « compétences professionnelles et son attitude au travail en général » et à régler, le cas échéant, tous les problèmes personnels susceptibles de nuire à son rendement. La lettre indique que Mme Mason n’est pas autorisée à travailler pour la PNSTP pour six mois et précise qu’elle a tout intérêt à saisir l’occasion pour transformer cette mesure disciplinaire en démarche constructive avant de conclure sur ces mots : [traduction] « nous nous réjouissons à l’idée de vous revoir au sein de notre équipe de travailleurs efficients au service de la communauté ». Il y est notamment écrit que Mme Mason peut appeler de la décision de congédiement et qu’elle peut transmettre une lettre d’appel à M. McDougall; la tenue d’une audience n’est cependant pas garantie puisqu’elle [traduction] « dépend de chaque cas ».

[45] Mme Mason soutient que son frère Elvin lui avait recommandé de porter la décision en appel et l’avait assurée de son soutien, mais qu’elle lui avait répondu que le jeu n’en valait pas la chandelle puisque, de toute façon, elle n’aurait pas gain de cause. Après avoir reçu la lettre de congédiement, Mme Mason a néanmoins rencontré M. McDougall, qui lui aurait dit que [traduction] « tout cela [venait] de [s]on superviseur [EM] » et que, depuis qu’il avait été nommé directeur exécutif, EM avait essayé de la faire renvoyer.

[46] Mme Mason dit qu’au sein de la PNSTP, on enseigne qu’il ne faut pas manquer de respect envers les aînés et que c’est probablement ce qui explique sa réprimande et son congédiement, personne n’ayant osé prendre sa défense auprès de EM.

[47] Quant aux publications dans les médias sociaux, même si la lettre mentionne que ce n’était pas la première fois qu’on s’adressait à Mme Mason à ce sujet, cette dernière maintient que personne n’avait communiqué avec elle à ce propos avant qu’elle ne reçoive la lettre de congédiement. Les deux publications dont il est question dans la lettre de congédiement ont été déposées comme pièces. Mme Mason souligne que c’est Angela, la directrice des opérations qui travaillait pour son frère et qui savait ce que EM lui avait fait, qui a imprimé les publications pour qu’elles soient jointes à la lettre de congédiement.

[48] Dans la publication de novembre 2018, Mme Mason se dit en faveur d’une [traduction] « élection partielle parce que les dirigeants ne font rien pour protéger la communauté, [qu’]ils permettent qu’il y ait tant de drogues et de métamphétamines […] nous avons besoin de dirigeants forts qui lutteront pour le bien-être de notre communauté. Ceux qui ne sont pas touchés par la dépendance à la métamphétamine n’ont aucune idée de ce que cela représente; nous faisons ce que nous pouvons à la maison pour nos enfants et petits-enfants ». Dans la publication de décembre 2018, Mme Mason répond à une publication dans laquelle quelqu’un avait identifié des individus soupçonnés de vendre de la drogue dans la communauté. Elle y écrit : [traduction] « c’est OK, ils peuvent fournir de la drogue et des seringues, c’est permis à STP. Avis à ceux et celles qui voudraient également venir vendre des drogues et des seringues, vous êtes les bienvenus!! ».

[49] Mme Mason déclare avoir publié ces deux commentaires en tant que membre de l’organisme MADD. La PNSTP est une communauté où l’alcool est prohibé et l’organisme MADD a l’impression que rien n’est fait pour arrêter les personnes soupçonnées de vendre de la drogue dans la communauté, et ce, même s’il signale ces dernières au conseil de bande et aux services de police. Mme Mason dit que ni le chef, ni le conseil, ni la police locale n’ont offert de soutien à l’organisme MADD, de sorte que ce dernier a fini par [traduction] « abandonner ». Selon elle, aucune de ces publications ne concernait son travail à la PNSTP.

[50] Mme Mason affirme qu’elle a droit à ses opinions politiques et qu’elle peut appuyer un référendum portant sur la tenue d’une élection partielle. Quant à sa publication de décembre 2018, Mme Mason la dit sarcastique; elle se sentait contrariée parce que les noms des personnes soupçonnées de vendre de la drogue avaient été fournis à la police, ainsi qu’au chef et au conseil de bande, mais que rien n’avait été fait à ce sujet. Elle déclare avoir fait ces publications au nom de la communauté, afin de sensibiliser les gens à la crise des drogues à laquelle était confrontée la PNSTP.

[51] Mme Mason dit avoir publié ces messages sur un mur Facebook public, à la vue de tous. Personne au travail, y compris son coordonnateur EM et le directeur de la santé, ne lui a parlé de ces publications.

[52] Mme Mason est d’avis qu’elle n’a manqué ni au code d’éthique de l’employé, ni à la politique sur les médias sociaux, ni au serment de confidentialité, et ce, contrairement à ce qu’on allègue dans la lettre de congédiement. Avant son renvoi, personne ne lui avait fait part d’une quelconque préoccupation en lien avec ces politiques. Elle dit n’avoir jamais parlé de son travail dans ses publications dans les médias sociaux et n’avoir jamais divulgué d’information obtenue dans le cadre de son emploi.

(iii) Discrimination prima facie

[53] La PNSTP n’a fourni aucune réponse à la plainte et n’a pas participé à l’audience. La tâche du Tribunal consiste donc à examiner l’ensemble de la preuve et des arguments présentés par la Commission et Mme Mason pour déterminer si cette dernière a démontré, selon la prépondérance des probabilités, l’existence des trois éléments constitutifs d’un acte discriminatoire (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 [Bombardier], aux par. 56 et 64; voir également Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396, aux par. 80 à 89).

i. Mme Mason possède une caractéristique protégée par la LCDP

[54] Mme Mason satisfait au premier élément de l’analyse relative à la discrimination prima facie. Elle allègue avoir été traitée défavorablement ou congédiée notamment parce qu’elle est une femme. Or, le sexe constitue un motif de distinction illicite aux termes de l’article 3 de la LCDP.

[55] Mme Mason satisfait également au deuxième élément de l’analyse relative à la discrimination prima facie. Non seulement la PNSTP l’a réprimandée pour des motifs qui, selon Mme Mason, étaient injustifiés et n’avaient jamais été invoqués avant que EM ne devienne son superviseur, mais elle l’a congédiée pour des raisons que Mme Mason juge tout autant dénuées de fondement.

[56] Pour satisfaire au troisième élément de l’analyse relative à la discrimination prima facie, Mme Mason doit démontrer qu’un lien unit les deux premiers. Il n’est pas nécessaire que la caractéristique protégée soit l’unique mobile du traitement défavorable ni qu’il existe un lien de causalité (Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2, au par. 25).

[57] Le Tribunal a maintes fois reconnu la difficulté de prouver la discrimination au moyen d’une preuve directe. Étant donné que la discrimination flagrante est rare, le Tribunal « devrai[t] tenir compte de toute la preuve circonstancielle pour déterminer s’il en ressort ce qui est décrit comme “de subtiles odeurs de discrimination » (Ledoux c. La Première Nation de Gambler, 2018 TCDP 26, au par. 59, faisant référence à Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP)). Une partie plaignante n’est pas tenue de démontrer que la discrimination était intentionnelle (Bombardier, aux par. 40 et 41); le Tribunal ne s’intéresse pas à l’intention, mais plutôt aux effets de la discrimination.

[58] Comme de juste, la preuve dans le présent dossier ne permet pas de conclure que la PNSTP avait l’intention d’adopter une conduite discriminatoire à l’égard de Mme Mason, pas plus qu’elle ne permet de conclure que la PNSTP a consciemment réprimandé et congédié Mme Mason parce qu’elle est une femme. La présente affaire n’en est pas une où la nature discriminatoire de la conduite est « flagrante » (voir Young c. VIA Rail Canada Inc., 2023 TCDP 25 [Young c. VIA Rail], au par. 156). Néanmoins, si je considère l’ensemble des circonstances qui entourent le traitement défavorable subi par Mme Mason, je conviens qu’il est plus probable qu’improbable que son sexe a joué un rôle à la fois dans sa réprimande et dans son congédiement.

[59] Certes, ni l’une ni l’autre des lettres portant la signature du directeur exécutif ne fait ouvertement le lien entre la réprimande — ou le congédiement — et le sexe, mais les deux missives s’appuient essentiellement sur les problèmes soulevés par EM à l’égard de Mme Mason.

[60] D’après la lettre de réprimande, M. Flett a été informé que Mme Mason s’absentait quotidiennement de son poste et qu’elle n’était donc pas disponible pour exécuter ses tâches de secrétaire du programme des pensionnats pour Autochtones. Mme Mason nie ces allégations, mais elle admet ne pas avoir été surprise de recevoir la lettre parce qu’un conseiller de la bande et son frère l’avaient prévenue que EM se plaignait d’elle. M. Flett a plus tard confirmé ce fait lorsque, questionné par Mme Mason au sujet de la lettre de réprimande, il a présenté des excuses et lui a répondu que c’était EM qui s’était plaint d’elle et avait souhaité son départ.

[61] Aux termes de la lettre de congédiement, ce sont le rendement global de Mme Mason ainsi que ses manquements à la politique relative au code d’éthique et à celle sur les médias sociaux qui ont motivé son renvoi.

[62] En ce qui concerne les plaintes liées au rendement, la preuve établit que EM avait pris Mme Mason pour cible, apparemment dès le jour où il était devenu son superviseur. Celle-ci a témoigné qu’elle n’avait, jusque-là, jamais reçu d’évaluation de rendement négative ni de réprimande.

[63] Dans la lettre de congédiement, M. McDougall mentionne que des préoccupations relatives au rendement de Mme Mason ont été soulevées par son supérieur immédiat, soit EM. Selon Mme Mason, lorsqu’elle s’est renseignée auprès de M. McDougall au sujet du congédiement, il a jeté le blâme sur EM, qui n’avait eu de cesse de se plaindre de Mme Mason et de réclamer son renvoi, et ce, dès l’arrivée en poste de M. McDougall.

[64] La preuve documentaire indique également que les reproches formulés à l’encontre de Mme Mason ne sont pas le fruit de véritables problèmes de rendement. La liste des récriminations en dix points, qui serait l’œuvre de EM et qui a été intégrée à la lettre de congédiement, est fort vague si l’on considère la gravité des conséquences que la perte d’emploi entraîne pour Mme Mason. Certains de ces problèmes semblaient toujours à confirmer. Par exemple, le septième point est ainsi rédigé : [traduction] « A emménagé au centre de guérison? A-t-elle consulté son superviseur? ». Quatre des problèmes énumérés concernent l’omission de Mme Mason d’avoir consulté ou écouté son superviseur. Le fait qu’on ait inclus dans une liste de problèmes invoqués pour mettre fin à l’emploi de Mme Mason des informations incertaines ou invérifiées, conjugué au fait que ce sont sensiblement les mêmes problèmes qui se répètent, met en relief la nature ciblée des plaintes formulées par EM.

[65] De plus, le fait que EM insiste tant sur la prétendue « insubordination » dénote son incapacité à contrôler Mme Mason. Il avait déjà laissé paraître ce désir de la contrôler lorsque, plusieurs années auparavant, il l’avait agressée sexuellement et lui avait dit que personne ne la croirait si elle le dénonçait. Il est évident que le sexe de Mme Mason a joué un rôle dans l’agression sexuelle, mais la PNSTP ne saurait être tenue responsable de cette agression. Quoi qu’il en soit, l’incident fournit d’importants éléments du contexte dans lequel s’inscrit la présente plainte, d’autant plus que les reproches et les préoccupations formulés à l’égard de Mme Mason — et ayant mené à sa réprimande et à son congédiement — émanaient majoritairement de EM (voir Connors c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 6, aux par. 44 à 48).

[66] Dans la décision André c. Matimekush-Lac John Nation Innu, 2021 TCDP 8 [André], le Tribunal a conclu que la preuve circonstancielle lui permettait d’inférer, selon la prépondérance des probabilités, que le sexe avait été l’un des facteurs dans la manifestation de l’effet préjudiciable. La preuve présentée dans cette affaire comportait des similitudes avec le cas de Mme Mason : l’intimée avait utilisé son autorité et ses pouvoirs pour contrôler la plaignante (par. 98), la plaignante n’avait jamais vécu de problèmes au cours des sept années ayant précédé l’arrivée de l’intimée dans son milieu de travail (par. 99), la plaignante avait peur de l’intimé et craignait le moment où il se présenterait au travail (par. 101), d’autres femmes dans la communauté avaient vécu les mêmes attitudes et actions inadéquates et déplacées de la part de l’intimée (par. 102) et l’intimée « avait et voulait avoir le contrôle sur » la plaignante et sur les autres femmes de la communauté (au par. 103).

[67] Au dire de Mme Mason, sa sœur avait également déjà été victime de la conduite inappropriée de EM, mais le Tribunal n’a pas à déterminer si EM a fait preuve de discrimination à l’égard des femmes en général. Dans Young c. VIA Rail, la plaignante a déclaré qu’elle croyait que l’intimée avait fait d’elle sa cible et qu’il adoptait « [une] conduite […] consistant à affirmer son contrôle et sa domination sur elle au travail » (par. 102). Selon le Tribunal, la question dont il était saisi n’était pas de savoir si l’intimée « mépris[ait] toutes les femmes ou s’il [était] incapable de travailler avec elles », mais plutôt de savoir si le sexe avait été un facteur du comportement discriminatoire (par. 192). Il en va de même en l’espèce. Il n’est pas nécessaire que le sexe de Mme Mason ait été le facteur principal ou intentionnel des actes de la PNSTP; il suffit qu’il ait été un facteur.

[68] J’accepte que EM, par ses actions, ait fait preuve de discrimination à l’égard de Mme Mason parce qu’elle est une femme, et plus particulièrement, une femme qu’il avait déjà agressée sexuellement. Mme Mason a déclaré avoir redouté le jour où EM entrerait en fonction à l’office de la santé et s’être sentie anxieuse et effrayée lorsqu’elle travaillait à ses côtés. Elle n’avait fait l’objet d’aucune plainte ni réprimande liée à son travail au sein de l’office au cours des cinq années précédentes, c’est-à-dire avant que EM ne devienne son superviseur. La preuve démontre que, dès son arrivée en poste, EM s’est plaint à outrance de Mme Mason, apparemment dans l’espoir qu’elle soit renvoyée. Aucun des reproches formulés ne semblait destiné à améliorer le rendement de Mme Mason puisque EM n’a procédé à aucune évaluation de son rendement durant les quelque trois années pendant lesquelles il a été son superviseur. La preuve indique plutôt qu’il cherchait à exercer un contrôle sur Mme Mason et sur son environnement de travail en faisant des pressions indues sur les directeurs exécutifs de la PNSTP pour que ceux-ci la réprimandent et la congédient.

[69] EM a usé de son autorité en tant que superviseur et de son influence dans la communauté pour faire congédier Mme Mason tout comme il avait, semble-t-il, usé de son influence pour obtenir le poste étant donné qu’il s’était classé quatrième dans le cadre du concours tandis que Mme Mason s’était classée deuxième. En outre, Mme Mason était la seule femme affectée au programme de guérison traditionnelle et EM l’a prise pour cible alors qu’il traitait les hommes comme il se doit. Après son congédiement, l’office de la santé a embauché un homme pour occuper le poste.

[70] La PNSTP peut prétendre qu’elle n’a fait que suivre les recommandations du superviseur de Mme Mason, mais l’office de la santé savait que EM avait pris Mme Mason pour cible. Mme Mason avait eu vent, par l’intermédiaire de son frère Elvin, que EM se plaignait d’elle et qu’il essayait de la faire congédier. Les directeurs exécutifs de la PNSTP, MM. Flett et McDougall, ont d’ailleurs confirmé cette information. De surcroît, Mme Mason avait informé non seulement Angela, qui travaillait pour le directeur des services de la santé, mais aussi Charlene, une employée des ressources humaines, du comportement sexuellement inapproprié que EM avait eu à son égard par le passé. Pourtant, l’office de la santé a brusquement mis fin à l’emploi de Mme Mason en janvier 2019, sans jamais lui avoir donné d’avertissement ni avoir cherché à mieux comprendre la situation ou à connaître sa position quant aux plaintes concernant son rendement. Angela a même imprimé les messages que Mme Mason avait publiés dans les médias sociaux et qui justifiaient le congédiement. En tant qu’employeur, la PNSTP ne peut pas excuser les pratiques d’emploi discriminatoires de ses collègues ou de ses superviseurs et elle ne peut certainement pas mettre fin à un emploi sur la base de ces pratiques (Imberto v. Vic and Tony Coiffure, 1981 CanLII 4320 (TDP Ont.), au par. 23).

[71] Mme Mason déclare que le seul autre commentaire défavorable qu’elle a reçu avant son congédiement est la lettre de réprimande. On ne peut raisonnablement interpréter la lettre de congédiement comme si elle donnait suite à la lettre de réprimande étant donné que plus d’un an et demi s’est écoulé entre les deux lettres et que la lettre de réprimande traite du fait qu’elle s’absentait de son poste presque tous les jours et qu’elle n’était pas disponible pour s’acquitter de ses fonctions de secrétaire du programme des pensionnats pour Autochtones. Selon la lettre de réprimande, le coordonnateur de Mme Mason (EM) devait faire le point deux semaines plus tard pour s’assurer de l’amélioration du rendement de cette dernière. Mme Mason affirme que personne n’a communiqué avec elle à propos des points soulevés dans la lettre de réprimande. Dans la lettre de congédiement, il n’est pas indiqué qu’elle s’absentait de son poste de travail ou qu’elle ne s’acquittait pas de ses tâches, même si on peut lire sur la liste des problèmes, laquelle n’est ni signée ni datée, qu’elle était [traduction] « quasi jamais au bureau ». Mme Mason dit qu’elle a été amenée, dans le cadre de ses fonctions, à diriger des programmes au centre de guérison et qu’elle avait reçu pour ce faire l’approbation de ses supérieurs, qui étaient donc bien au fait de ses activités.

[72] Par conséquent, au vu de la preuve présentée au Tribunal, le rendement de Mme Mason ne semble pas justifier son congédiement, bien qu’il n’appartienne pas au Tribunal de trancher cette question. Le Tribunal n’a qu’à se prononcer sur la question de savoir si le sexe de Mme Mason a constitué un facteur dans le congédiement.

[73] En ce qui concerne l’allégation selon laquelle Mme Mason aurait enfreint la politique relative au code d’éthique, je remarque que le code d’éthique déposé en preuve est très général et traite de tous les sujets, allant du rendement des employés aux conflits d’intérêts. Il n’est pas précisé dans la lettre de congédiement en quoi Mme Mason a enfreint le code d’éthique. Or, si la raison en est qu’elle a eu un rendement insuffisant au travail, il a déjà été établi qu’il ne s’agissait pas d’une raison valable (vu qu’aucun problème de rendement n’a été soulevé avant l’embauche de EM, que les plaintes formulées par ce dernier étaient de nature ciblée et que Mme Mason n’a pas été informée des différents problèmes avant d’être congédiée, etc.). Voici un extrait de la lettre de congédiement : [traduction] « Au titre de la politique relative au code d’éthique, [...] “L’employé qui enfreint le code d’éthique sera sanctionné conformément à la politique sur les mesures disciplinaires et le congédiement” ». Cette phrase ne figure pas dans le code d’éthique déposé en preuve, mais il n’en reste pas moins que les mesures disciplinaires doivent être proportionnelles au manquement. Il est difficile de savoir en quoi Mme Mason a enfreint le code d’éthique et pourquoi ce manquement justifierait une mesure aussi sévère que le congédiement, surtout qu’il n’y a pas eu d’avertissement ou d’enquête au préalable.

[74] Il semble également que le serment de confidentialité dont il est question dans la lettre de congédiement ne soit pas pertinent, car il se rapporte à la divulgation de renseignements confidentiels comme les dossiers et les communications reçus par les employés de la PNSTP. Rien dans la lettre de congédiement — ou dans tout autre document — ne permet d’affirmer que Mme Mason a divulgué de tels renseignements.

[75] En ce qui concerne la politique sur les médiaux sociaux, l’alinéa 6h) prévoit ce qui suit : [traduction] « L’employé doit savoir que l’employeur estime que tout manquement à la politique sur les médias sociaux et les communications est important et qu’il prendra les mesures disciplinaires appropriées, en fonction de la gravité du manquement, qui peuvent aller jusqu’au congédiement » [je souligne]. Dans la lettre de congédiement, il est écrit que Mme Mason a, dans sa publication de novembre 2018, abordé certains enjeux propres à la communauté et formulé des commentaires peu professionnels à l’égard de son employeur, à savoir le chef et le conseil de la PNSTP. Or, cette politique ne précise pas que les employés n’ont pas le droit de se prononcer sur les enjeux de la communauté. Quoi qu’il en soit, si sa publication de novembre 2018 était considérée comme grave, Mme Mason aurait dû recevoir un avertissement ou une mise en garde. Et, bien que M. McDougall mentionne dans sa lettre que [traduction] « ce n’est pas la première fois que le sujet est porté à l’attention [de Mme Mason] », cette dernière prétend le contraire.

[76] En ce qui concerne la publication de décembre 2018, M. McDougall indique dans la lettre de congédiement qu’elle a non seulement émis des commentaires sur les drogues et les seringues, mais aussi des [traduction] « commentaires qui, venant d’une travailleuse de la santé, dénotent un manque de professionnalisme à l’égard des membres de la communauté ». Mme Mason admet que sa publication de décembre 2018 était empreinte de sarcasme parce qu’elle se sentait frustrée à l’égard des dirigeants de la PNSTP qui, selon l’organisme MADD, ne déployaient pas suffisamment d’efforts pour faire face à la crise des drogues illicites qui sévissait dans la communauté. Sa publication manquait peut-être de professionnalisme; par contre, elle n’avait pas été rédigée en sa qualité d’employée de la PNSTP, mais bien en sa qualité de membre de la communauté et de l’organisme MADD.

[77] Se servir de ces deux publications Facebook pour mettre fin à l’emploi de Mme Mason sans d’abord faire quoi que ce soit pour régler le problème démontre que le but était de justifier son congédiement, ce qui était l’intention de EM depuis qu’il avait été embauché à l’office de la santé.

[78] Enfin, je note que Mme Mason a été amenée à signer ces politiques (code d’éthique, serment de confidentialité, politique sur les médias sociaux) le 25 juillet 2018 et que, quelques mois plus tard, ces mêmes documents ont servi à la congédier. Comme ces politiques avaient été mises en place quelques mois auparavant seulement, il aurait été raisonnable qu’elle reçoive un avertissement approprié ou des explications plus exhaustives sur la teneur de ces politiques et sur la manière dont elle avait pu les enfreindre. Cette situation, conjuguée à la campagne que EM avait menée en vue de la faire congédier, et ce, depuis qu’il avait commencé à travailler avec elle en 2016, rend son congédiement suspect. Comme la Commission l’indique dans ses observations finales, le fait que la cruciale décision de mettre fin à son emploi soit si peu détaillée donne à penser que les raisons invoquées par la PNSTP pourraient être fallacieuses.

[79] Comme la PNSTP n’a pas participé à l’audience ni déposé une réponse à la plainte, le Tribunal a du mal à comprendre pourquoi elle a accepté les arguments de EM sans même parler à Mme Mason, une employée qui avait travaillé pour l’office de la santé pendant cinq ans et qui n’avait pas eu de problèmes de rendement avant que EM ne soit embauché. La PNSTP ne s’est apparemment pas demandé pourquoi le rendement de Mme Mason avait soudainement commencé à diminuer après la nomination de EM au poste de superviseur.

[80] Au lieu de confirmer la véracité des allégations formulées par EM au sujet de Mme Mason — ou de veiller à ce que cette dernière bénéficie du niveau le plus élémentaire d’équité procédurale en lui faisant part des préoccupations et en lui permettant d’y répondre — les directeurs exécutifs de la PNSTP, le directeur des services de santé et les conseillers de la bande ont tous cru un autre homme (EM) sur parole lorsque celui-ci a affirmé que Mme Mason était une mauvaise employée qui méritait de recevoir une réprimande et, en fin de compte, d’être congédiée. Les seuls éléments de preuve qui appuient les préoccupations soulevées dans la lettre de congédiement sont les deux publications que Mme Mason a faites dans les médias sociaux, qu’elle admet avoir écrits en tant que mère et grand-mère inquiète.

[81] En fin de compte, il n’appartient pas au Tribunal de dire que le sexe de Mme Mason était la seule raison de son congédiement. J’estime que la preuve circonstancielle présentée me permet de conclure, selon la prépondérance des probabilités, que le sexe de Mme Mason a constitué un facteur dans sa réprimande et son congédiement. Pour arriver à cette conclusion, j’ai reconnu que la preuve présentée rendait la conclusion selon laquelle le sexe de Mme Mason a été au moins un facteur dans sa réprimande et son congédiement plus probable que n’importe quelle autre conclusion ou hypothèse possible (voir Young c. Via Rail, au par. 32).

(iv) Conclusion

[82] Je reconnais qu’il est plus probable qu’improbable que le sexe de Mme Mason ait constitué au moins un facteur dans la manifestation des effets préjudiciables qu’elle a subis, y compris son congédiement. Par conséquent, la plainte de Mme Mason est fondée, car elle a été victime de discrimination en raison de son sexe, en violation de l’article 7 de la LCDP.

[83] La plainte de Mme Mason a été déposée contre la PNSTP, et non contre EM ou tout autre employé. Comme la PNSTP n’a pas participé à l’instruction, elle n’a pas soulevé de moyen de défense au sens de la LCDP et n’a pas non plus réfuté la présomption de responsabilité au titre du paragraphe 65(1) de la LCDP. Elle est donc responsable des agissements des personnes impliquées dans les événements qui ont mené à la plainte, y compris la réprimande et le congédiement de Mme Mason.

[84] Je vais maintenant examiner les réparations que le Tribunal peut accorder en vertu de la compétence en matière de réparation et de prévention que lui confère l’article 53 de la LCDP.

Question no 2 : Mme Mason a droit aux réparations suivantes

[85] Le paragraphe 53(2) de la LCDP prévoit que si, à l’issue de l’instruction, le Tribunal estime que la plainte est fondée, il peut rendre une ordonnance à l’encontre de la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire. En l’espèce, je conclus que la PNSTP a commis un acte discriminatoire au sens de l’article 7 de la LCDP.

[86] L’ordonnance réparatrice rendue au titre de la LCDP ne vise pas à punir l’intimé, mais à indemniser pleinement le plaignant, c’est-à-dire à le réintégrer dans le poste qu’il aurait obtenu, n’eût été la discrimination (Hughes c. Canada (Procureur général), 2019 CF 1026 [Hughes], au par. 36). Le Tribunal a également intérêt à éliminer et à prévenir la discrimination en élaborant des mesures de réparation visant à éduquer les gens au sujet des droits consacrés par la LCDP.

[87] Mme Mason demande au Tribunal de lui accorder 20 000 $ pour le préjudice moral qu’elle a subi du fait de la discrimination, ainsi que 20 000 $ de dommages-intérêts spéciaux. Elle réclame également à être indemnisée pour la perte de salaire qu’elle a subie à partir du moment où elle a été congédiée jusqu’au moment où elle a été réembauchée.

[88] La Commission demande des réparations d’intérêt public liées aux politiques et à la formation afin d’éviter que des actes discriminatoires similaires ne se reproduisent à l’avenir. Elle demande également au Tribunal de demeurer saisi de l’affaire et de conserver sa compétence pour recevoir les éléments de preuve et rendre d’autres ordonnances, le cas échéant, jusqu’à ce que les parties confirment que toutes les mesures de réparation ont été mises en œuvre.

(i) Indemnité pour préjudice moral

[89] Le Tribunal peut indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral par suite d’un acte discriminatoire (alinéa 53(2)e) de la LCDP). Mme Mason demande au Tribunal de lui verser le montant maximal pour le préjudice moral qu’elle a subi et la Commission soutient qu’elle devrait recevoir une indemnité correspondant au montant maximal permis, ou presque. La Commission ajoute que le Tribunal devrait tenir compte du fait que la discrimination a eu pour effet de priver Mme Mason de l’emploi qu’elle occupait depuis sept ou huit ans, à très court préavis, et qu’il lui a été interdit de postuler un emploi auprès de la PNSTP pendant six mois. Elle soutient également que le fait de vivre dans une petite communauté éloignée, avec peu de possibilités d’emploi, a eu pour effet d’aggraver l’effet de son congédiement.

[90] Les dommages-intérêts au titre du préjudice moral visent à indemniser les plaignants, dans la mesure du possible, pour le préjudice qu’ils ont subi et les difficultés qu’ils ont éprouvées en raison de la discrimination, y compris toute atteinte à leur dignité (Young c. Via Rail, au par. 308).

[91] Le Tribunal a déclaré à plusieurs reprises que l’indemnité maximale de 20 000 $ n’est accordée que dans les cas les plus flagrants de discrimination (Young c. Via Rail, au par. 307). Il doit aussi y avoir un lien de causalité entre les dommages-intérêts réclamés et l’acte discriminatoire (Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, au par. 32).

[92] Je reconnais que Mme Mason a subi un préjudice moral en raison de la discrimination dont elle a été victime. Cette dernière affirme qu’il a été très difficile pour elle d’être ainsi congédiée, qu’elle a éprouvé de la colère et de la tristesse, qu’elle a eu du mal à fonctionner normalement à la maison et qu’elle n’a pas pu se résoudre à trouver dès lors un autre emploi. Elle affirme que son congédiement a nui à ses relations familiales, qu’elle se sentait épuisée et qu’elle voulait être laissée à elle-même, surtout la première année. Mme Mason explique qu’elle en est arrivée à vouloir se faire aider pour le bien de sa famille et qu’elle a donc consulté le thérapeute en santé mentale de la communauté à deux reprises.

[93] Mme Mason soutient qu’il lui a fallu 21 mois pour trouver un autre emploi parce qu’elle était dépassée, déprimée et frustrée. Elle a donc trouvé un emploi le 30 octobre 2020. De plus, au moment de l’audience, elle venait tout juste de recommencer à se rendre au bureau de la bande de la PNSTP, soit près de quatre ans après son congédiement.

[94] Mme Mason explique qu’elle n’avait pas pu demander l’assurance-emploi parce qu’elle avait été congédiée et qu’elle avait donc dû recourir à l’aide sociale, dont le montant était nettement inférieur à son revenu d’emploi. Elle dit qu’au moment de son congédiement, elle devait toujours 13 000 $ pour son véhicule et que, vu la perte de son revenu d’emploi, elle n’était plus en mesure de faire les paiements bihebdomadaires. Comme elle ne pouvait plus effectuer les paiements, une agence de recouvrement a commencé à l’appeler, ce qui a eu une incidence sur sa cote de solvabilité. Elle avait jusque-là un bon dossier de crédit. Mme Mason explique que, depuis qu’elle a retrouvé un emploi, elle a réussi à récupérer tout ce qu’elle avait perdu, à l’exception du véhicule, qui continue de nuire à sa cote de solvabilité.

[95] Dans la décision Young c. Via Rail, le Tribunal a accordé à la plaignante une indemnité de 12 000 $ pour préjudice moral. Bien que Mme Young n’ait pas présenté de preuve médicale concernant sa santé mentale, son témoignage à l’audience ne laissait guère de doute sur le fait que les événements décrits dans sa plainte étaient graves et continus et qu’ils avaient eu un impact sur sa dignité et son bien-être (au par. 313).

[96] Dans la décision André, dans laquelle le Tribunal a accordé une indemnité de 17 000 $, la plaignante a déposé en preuve des documents médicaux ainsi que les rapports des psychologues, lesquels faisaient état des diagnostics de trouble de l’adaptation, anxiété généralisée et syndrome de stress post-traumatique. Ces rapports confirmaient les effets de la discrimination et du harcèlement sur sa vie. Mme André présentait notamment les symptômes suivants : détresse, tristesse, fatigue récurrente, perte d’appétit, insomnie, perte d’espoir et même, idéations suicidaires (aux par. 177 et 178).

[97] Dans André, le Tribunal a jugé que les actions du superviseur avaient « anéanti » Mme André et lui avaient causé des problèmes de santé mentale majeurs, que l’employeur intimé était au courant de la conduite discriminatoire et que non seulement il n’avait rien fait, mais qu’il avait également mis fin à l’emploi de Mme André. Selon le Tribunal, les actes de l’intimé sont venus s’ajouter au harcèlement subi et n’ont en rien aidé à l’amélioration de sa santé mentale.

[98] En l’espèce, Mme Mason n’a fourni aucune preuve médicale pour corroborer les effets de la discrimination sur sa santé, bien qu’une telle preuve ne soit pas requise. J’accepte le témoignage de Mme Mason selon lequel les effets de son congédiement discriminatoire sur elle ont été très graves et que les effets sur sa santé mentale, sa vie familiale, sa dignité et sa situation financière lui ont causé un préjudice moral méritant une indemnité de 13 000 $, que je juge appropriée dans les circonstances.

(ii) Indemnité spéciale pour discrimination par conduite délibérée ou inconsidérée

[99] Le Tribunal peut également verser une indemnité maximale de 20 000 $ s’il en vient à la conclusion que les actes discriminatoires commis par la PNSTP étaient délibérés ou inconsidérés (au par. 53(3) de la LCDP). Mme Mason réclame le montant maximal de 20 000 $ en vertu de cette disposition. La Commission ne prend pas position quant à cette demande d’indemnité spéciale.

[100] La Cour fédérale a déclaré que le paragraphe 53(3) était une « disposition punitive visant à dissuader ou à décourager ceux qui se livrent de façon délibérée à des actes discriminatoires » (Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CAF 113, au par. 155, conf. par 2014 CAF 110 [Johnstone]). Pour conclure que l’acte était délibéré, il faut que « l’acte discriminatoire et l’atteinte aux droits de la personne aient été intentionnels » et l’acte inconsidéré est « celui qui témoigne d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante » (Johnstone, au par. 155).

[101] Lorsqu’il détermine s’il doit octroyer une indemnité spéciale, le Tribunal examine le comportement de l’intimé et non l’effet qu’a eu le comportement sur la victime (Beattie et Bangloy c. Affaires autochtones et du Nord Canada, 2019 TCDP 45, au par. 210, conf. par 2021 CAF 245).

[102] J’ai déjà déterminé que les actes discriminatoires commis par la PNSTP n’étaient pas intentionnels; par conséquent, je ne peux pas conclure qu’elle a agi délibérément. Cependant, je conclus que la PNSTP a agi de manière inconsidérée.

[103] Les deux directeurs exécutifs de la PNSTP se sont fiés aux renseignements fournis par EM pour réprimander Mme Mason et mettre fin à son emploi. Considérant que Mme Mason n’avait eu aucun problème de rendement au cours des cinq années précédant la nomination de EM au poste de superviseur, et que les directeurs exécutifs ont admis que EM était venu les voir pour essayer de faire congédier Mme Mason, j’estime que le fait que ces derniers se soient appuyés sur ce que EM leur avait dit pour décider de la réprimander et de la congédier témoigne d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir insouciante. Ils n’étaient peut-être pas au courant de ce que EM avait fait à Mme Mason en 1996, mais ils ont apparemment cru EM sur parole et ils n’ont pas fait part à Mme Mason des plaintes qu’il avait formulées à son sujet avant d’y donner suite, ce qui témoigne d’une indifférence négligente à l’égard d’une employée qui, avant d’être sous la supervision de EM, avait un dossier sans tache.

[104] Mme Mason explique qu’au sein de la PNSTP, on enseigne qu’il ne faut pas manquer de respect envers les aînés et que c’est probablement ce qui explique sa réprimande et son congédiement, personne n’ayant osé prendre sa défense auprès de EM. Toutefois, cela n’excuse en rien le fait que les directeurs exécutifs n’aient pas cherché à comprendre pourquoi EM s’en prenait à Mme Mason avant que cette dernière n’en subisse des conséquences aussi graves.

[105] Dans les affaires Young c. Via Rail et André, les employeurs savaient que la situation entre les plaignantes et les personnes qui les harcelaient se détériorait et ils n’ont rien fait pour gérer et corriger la situation devenue toxique et nocive pour les plaignantes.

[106] Certes, Mme Mason n’a informé ni le directeur des services de santé ni le directeur exécutif de la PNSTP de l’agression sexuelle que EM lui avait fait subir des années auparavant, mais elle en avait parlé à Charlene et Angela. En tant qu’employée des ressources humaines et directrice des opérations sous la responsabilité du directeur des services de la santé, elles étaient raisonnablement tenues de communiquer ce qu’elles savaient au sujet de EM, surtout lorsqu’il est devenu évident que les plaintes de ce dernier allaient entraîner le congédiement de Mme Mason.

[107] Les faits de la présente affaire ne montrent pas que la conduite de la PNSTP était de nature à justifier l’octroi d’une indemnité spéciale se situant dans la partie supérieure de la fourchette, comme le demande Mme Mason. Dans la décision Young c. Via Rail, le Tribunal était convaincu que le fait que l’intimé « ait minimisé la conduite abusive et dangereuse sur le lieu de travail [...] et qu’[il] ait tardé à apporter une solution efficace et complète à ce qui était une dynamique de travail de plus en plus toxique et nocive constitue de “l’indifférence quant aux conséquences” » (au par. 323). Le Tribunal a conclu que cette indifférence a permis qu’une conduite jugée discriminatoire persiste trop longtemps. Toujours dans cette décision, le Tribunal a conclu qu’une grande partie de la conduite décrite dépassait la portée de la plainte et que, comme il avait accepté que le lien entre l’identité de Mme Young en tant que femme et la conduite de son collègue n’était peut-être pas évident pour l’intimée à l’époque où Mme Young avait déposé ses plaintes, il ne pouvait accorder plus de 3 000 $ de dommages-intérêts spéciaux en vertu du paragraphe 53(3) (au par. 324).

[108] Mme Mason n’a pas exprimé à son employeur ses inquiétudes au sujet de EM de façon aussi directe que l’a fait la plaignante dans Young c. Via Rail. Par ailleurs, la PNSTP n’a pas pensé à remettre en question les plaintes formulées par EM à l’encontre d’une employée qui avait jusqu’alors un bon dossier d’emploi. Néanmoins, je reconnais que le lien entre les plaintes formulées par EM à l’égard de Mme Mason et son identité en tant que femme n’était pas évident pour la PNSTP et j’estime qu’il est approprié dans les circonstances d’accorder un montant de 1 500 $ de dommages-intérêts spéciaux en vertu du paragraphe 53(3).

(iii) Perte de salaire

[109] Aux termes de l’alinéa 53(2)c) de la LCDP, le Tribunal peut indemniser un plaignant de la totalité, ou de la fraction, des pertes de salaire entraînées par l’acte discriminatoire. Dans son exposé des précisions, Mme Mason demande au Tribunal d’ordonner à la PNSTP de lui verser 31 500,18 $ pour perte de salaire. Elle décrit cette somme comme étant la différence entre ce qu’elle aurait gagné si elle avait continué à travailler pour la PNSTP avec un salaire de 1 153,85 $ à la quinzaine jusqu’à ce qu’elle obtienne un nouvel emploi le 30 octobre 2020 (soit 52 500,18 $) et ce qu’elle a reçu de l’aide sociale pendant 21 mois à raison de 1 000 $ par mois (soit 21 000 $). Comme il a déjà été mentionné, Mme Mason soutient qu’il lui a fallu 21 mois pour trouver un autre emploi parce qu’elle était dépassée, déprimée et frustrée à la suite de son congédiement.

[110] Dans ses observations finales, la Commission soutient que, si le Tribunal accepte d’accorder à Mme Mason une indemnité pour le salaire qu’elle a perdu de la date de son congédiement à la date à laquelle elle a commencé un nouvel emploi, le Tribunal ne devrait pas déduire les prestations d’aide sociale reçues, car Mme Mason devrait se charger elle-même des remboursements. Elle affirme que la seule déduction qui devrait être incluse dans le calcul de la perte de salaire est le revenu compensateur. La Commission n’est pas non plus d’accord avec le calcul de Mme Mason selon lequel elle aurait pu gagner jusqu’à 52 500,18 $ dans le cadre de son emploi à l’office de la santé. Elle estime que le montant devrait être de 70 769,16 $ parce que son salaire à la quinzaine était en fait de 1 536,46 $ pour les 11 périodes de paye précédant son congédiement (et non de 1 153,85 $ comme elle l’a déclaré), ce qui a été confirmé par la preuve documentaire fournie par Mme Mason après l’audience.

[111] Dans ses observations finales, la Commission renvoie à des décisions portant sur le pouvoir du Tribunal d’accorder une indemnité pour perte de salaire et souligne qu’il y a une limite à la responsabilité quant aux conséquences d’un acte discriminatoire. Elle soutient que, si le Tribunal décide d’accorder à Mme Mason une indemnité pour perte de salaire, il devrait tenir compte du fait que les possibilités d’emploi sont rares au sein de la PNSTP, du fait que la PNSTP avait précisé dans la lettre de congédiement que Mme Mason ne pouvait pas postuler un emploi auprès d’elle pendant six mois, de la douleur et de la souffrance causées par les circonstances de son congédiement et de la dépression qui l’avait empêchée de se prendre en main rapidement et de chercher un nouvel emploi afin d’atténuer ses pertes.

[112] Lorsqu’un employé est congédié pour une raison discriminatoire, l’indemnité a pour but de le remettre dans la situation où il se trouverait, n’eût été la discrimination. L’« évaluation de la perte se fonde sur les circonstances de l’affaire, mais il doit toujours y avoir un lien de causalité entre la discrimination et la perte de revenu » (Hughes, au par. 37). Il incombe au plaignant de démontrer et d’établir ce lien (André, au par. 126).

[113] L’exercice du pouvoir discrétionnaire du Tribunal d’accorder une indemnité pour la perte de salaire doit obéir à des principes et la période au cours de laquelle il existe un lien de causalité doit être déterminée à la lumière des circonstances qui entourent chaque cas (Abadi c. TST Overland Express, 2023 TCDP 30, au par. 250). Au paragraphe 51 de la décision Christoforou c. John Grant Haulage Ltd., 2021 TCDP 15, conf. par l’arrêt 2022 CAF 182 [Christoforou], le Tribunal a conclu que, lorsqu’il accorde une indemnité pour perte de salaire, il doit se demander si, après la fin d’une période de grâce, la discrimination a cessé d’agir sur la capacité de la victime d’occuper un emploi rémunérateur.

[114] Le Tribunal doit se fonder sur la preuve présentée à l’audience et, en l’espèce, sur les deux documents financiers supplémentaires que Mme Mason a fournis le 10 novembre 2023, soit après l’audience, étant donné que la Commission ne s’y est pas opposée et qu’il les a acceptés comme éléments de preuve. Le premier de ces documents est le relevé d’emploi de Mme Mason émis par la PNSTP le 22 février 2019, lequel indique que sa dernière période de paye s’est terminée le 25 janvier 2019 et que son salaire à la quinzaine (la « rémunération assurable ») depuis le 26 janvier 2018 s’élevait à 1 535,85 $. Le deuxième est un rapport daté du 9 novembre 2023 qui a été produit pour le mari de Mme Mason et qui montre que la famille recevait de la part de la PNSTP une prestation d’aide sociale de 838 $ par mois de mars 2019 à janvier 2021 (21 mois).

[115] J’ai conclu qu’il y avait un lien entre le sexe de Mme Mason et son congédiement et je reconnais qu’elle aurait continué à travailler à l’office de la santé si elle n’avait pas été congédiée le 15 janvier 2019.

[116] Mme Mason a témoigné qu’elle n’était pas en mesure de se chercher un emploi après son congédiement du fait qu’elle avait souffert de la fin de son emploi et de la façon dont elle avait été traitée. Elle a notamment traversé une période de dépression qui l’a amenée à consulter, par deux fois, un conseiller en santé mentale.

[117] Je reconnais que Mme Mason a droit à une période de rétablissement ou de grâce raisonnable après son congédiement et qu’elle n’était pas tenue d’atténuer ses pertes pendant cette période. J’admets également que le congédiement a eu de graves conséquences sur la santé mentale de Mme Mason et que les allégations contenues dans la lettre de congédiement l’ont profondément bouleversée, d’autant plus qu’elle n’avait pas été préalablement informée d’un quelconque problème de rendement ou d’un quelconque manquement aux politiques en vigueur dans le milieu de travail. Le fait que les personnes pour qui elle travaillait depuis plusieurs années aient entendu des plaintes à son sujet et aient cru celui qui l’avait agressée sexuellement l’a terriblement blessée. Je reconnais que la discrimination a eu une incidence sur la capacité de Mme Mason de commencer à atténuer ses pertes, d’autant plus que la communauté est petite et éloignée, que la PNSTP est le principal employeur de la communauté et que, pendant les six mois qui ont suivi son congédiement, Mme Mason ne pouvait pas postuler un emploi auprès de la PNSTP.

[118] Compte tenu des faits portés à la connaissance du Tribunal, je ne peux pas conclure qu’il existe un lien de causalité entre l’acte discriminatoire et toute perte de revenu subie après la période d’interdiction de six mois imposée par la PNSTP, et des trois mois supplémentaires accordés pour la recherche d’emploi. Je comprends que, même après six mois, Mme Mason était probablement encore très en colère contre la PNSTP, mais le Tribunal ne dispose de suffisamment d’éléments de preuve sur la situation personnelle et l’état de santé de Mme Mason qui expliqueraient qu’elle n’ait pas pu trouver un emploi comparable une fois la période d’interdiction terminée. Par contre, comme il était indiqué dans la lettre de congédiement qu’elle ne pouvait pas postuler un autre emploi auprès de la PNSTP pendant six mois, je conviens qu’elle peut avoir eu besoin de plus de six mois pour obtenir un emploi comparable.

[119] Mme Mason est manifestement une femme très intelligente et compétente qui a été le principal soutien de sa famille pendant de nombreuses années. D’ailleurs, elle a fini par obtenir un autre emploi à la PNSTP, dans un autre service. En l’absence d’éléments de preuve sur les emplois qui étaient disponibles à la PNSTP pendant la période pertinente, je conclus qu’il serait raisonnable de prolonger de trois mois la période accordée pour la recherche d’un emploi comparable — après la période d’interdiction de six mois.

[120] Mme Mason a donc droit à un salaire à la quinzaine de 1 538,46 $ pour une période de neuf mois allant du 26 janvier 2019 (date suivant le dernier jour pour lequel elle a été payée par l’office de la santé le 25 janvier 2019) au 26 octobre 2019, ce qui équivaut à 769,23 $ par semaine pour une période de 39 semaines, soit un total de 29 999,97 $. Je suis d’accord avec la Commission pour dire que le Tribunal ne devrait pas déduire les prestations d’aide sociale reçues par la famille de Mme Mason au cours de cette période, car c’est à Mme Mason de rembourser ces montants.

[121] Il est ordonné à l’intimée de verser à Mme Mason 29 999,97 $ à titre de salaire perdu, du 26 janvier 2019 au 26 octobre 2019, moins les retenues obligatoires.

(iv) Intérêts

[122] Le Tribunal peut ajouter des intérêts sur l’indemnité qu’il accorde (au par. 53(4) de la LCDP). Tous les intérêts accordés doivent être calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (fréquence mensuelle) (Christoforou, au par. 112). Aux termes de l’article 46 des Règles de pratique du Tribunal, les intérêts doivent courir de la date où l’acte discriminatoire s’est produit jusqu’à la date du versement de l’indemnité. Cependant, le Tribunal peut modifier une disposition en vertu de l’article 8 des Règles, si la modification permet de trancher la plainte sur le fond de façon équitable, informelle et rapide comme le prévoit l’article 5 desdites Règles.

[123] Jusqu’à présent, la PNSTP n’a pas participé à la présente instance pour atteinte aux droits de la personne. Le Tribunal ne sait pas pourquoi la PNSTP a pris cette décision. Cependant, étant donné que le Tribunal ordonne à la PNSTP d’effectuer tout paiement dans les 90 jours suivant la date de la présente décision, je considère qu’il est juste, tant pour la plaignante que pour l’intimée, de faire en sorte que les intérêts commencent à courir 90 jours après la date de la présente décision, et ce, jusqu’à la date à laquelle l’indemnité sera versée. Nous espérons que cette décision incitera la PNSTP à respecter l’ordonnance et à verser sans délai à Mme Mason la somme qui lui est due, ce qui serait dans l’intérêt des deux parties.

(v) Réparations d’intérêt public

[124] La Commission fait remarquer que, conformément à l’alinéa 53(2)a) de la LCDP, le Tribunal dispose d’un large pouvoir discrétionnaire pour rendre des ordonnances de réparation qui soient compatibles avec les objectifs généraux des lois sur les droits de la personne. Elle souligne que le Tribunal peut ordonner à un intimé, en consultation avec la Commission, d’examiner et de réviser les politiques et les documents de formation, ou d’offrir à son personnel une formation sur les responsabilités en matière de droits de la personne.

[125] Pour éviter que de telles pratiques discriminatoires ne se reproduisent, la Commission demande au Tribunal d’ordonner, en vertu de l’alinéa 53(2)a), que la PNSTP, en consultation avec elle, prenne les mesures suivantes :

  • a)que la PNSTP rédige, crée et mette en œuvre une ou plusieurs politiques contre le harcèlement et la discrimination dans le milieu de travail, y compris des procédures ou un mécanisme permettant de déposer officiellement des plaintes pour harcèlement ou discrimination en milieu de travail, ou de signaler des cas de harcèlement ou de discrimination, et un autre mécanisme permettant à l’administration de répondre à ces signalements et à ces plaintes et de les traiter;

  • b)que la PNSTP transmette ses politiques (si elle en a déjà) à la Commission pour qu’elle les examine et formule des recommandations, et que la PNSTP mette en œuvre les recommandations de la Commission;

  • c)que la PNSTP embauche un expert externe pour donner à tous ses dirigeants, administrateurs et agents, y compris le chef et le conseil, ainsi qu’à ses employés, une formation sur les nouvelles politiques, et plus particulièrement sur le harcèlement et la discrimination en milieu de travail, le mécanisme de plainte et de signalement et le mécanisme de réponse et de traitement de l’administration;

  • d)que la PNSTP respecte l’ordonnance relative aux politiques, notamment en ce qui concerne la formation, dans un délai maximal de 12 mois à compter de la date de la décision du Tribunal.

[126] La Commission soutient que ces mesures de réparation d’intérêt public sont justifiées et que le Tribunal devrait conserver sa compétence en la matière, car il est difficile de savoir quelles politiques contre la discrimination ont été mises en place au sein de la PNSTP et quels mécanismes ont été instaurés, le cas échéant, pour lutter contre le harcèlement et la discrimination dans le milieu de travail. Elle estime également que les mesures de réparation sollicitées sont justifiées du fait que la PNSTP n’a pas offert de formation sur les politiques des ressources humaines que Mme Mason a dû signer et qu’elle n’a pas respecté ses propres politiques de discipline progressive à l’égard de Mme Mason.

[127] En plus d’indemniser les victimes d’actes discriminatoires, le pouvoir de réparation du Tribunal vise un autre important objectif de société : « prévenir la discrimination et servir d’outil de dissuasion et d’éducation » (Christoforou, au par. 119). J’admets que la mesure de réparation d’intérêt public demandée, soit celle qui consiste à réviser ou à mettre en œuvre des politiques, aidera la PNSTP à ne plus commettre d’actes discriminatoires et à respecter la LCDP.

[128] Le Tribunal n’a reçu que des parties des politiques des ressources humaines de la PNSTP. Le code d’éthique de l’employé et le serment de confidentialité figurent en annexe d’une politique apparemment plus générale et ne traitent pas de la discrimination ou des droits de la personne, pas plus que la partie de la politique des ressources humaines de la PNSTP déposée en preuve. Par conséquent, le Tribunal ne sait pas si la PNSTP a mis en place des politiques pour lutter contre la discrimination et le harcèlement en milieu de travail.

[129] J’ordonne donc à la PNSTP de collaborer avec la Commission pour examiner et réviser ses politiques de lutte contre la discrimination et le harcèlement. Si les politiques actuellement en vigueur ne prévoient pas de mesures contre la discrimination ou le harcèlement, le Tribunal ordonne à la PNSTP de collaborer avec la Commission pour rédiger et mettre en œuvre une telle politique, assortie d’un mécanisme de signalement et de traitement des plaintes.

[130] Je refuse d’ordonner à la PNSTP d’embaucher un expert externe pour donner une formation sur les nouvelles politiques, mais j’ordonne à la PNSTP de fournir les politiques révisées ou nouvelles (après consultation et approbation de la Commission) à tous ses employés, administrateurs, agents et dirigeants, y compris le chef et le conseil et d’aviser la Commission lorsque ce sera fait.

VII. Maintien de la compétence

[131] La Commission soutient que la mise en œuvre des ordonnances pourrait être compromise si le Tribunal ne conservait pas sa compétence étant donné que la PNSTP n’a pas participé à l’instance en matière de droits de la personne. Elle demande également au Tribunal de demeurer saisi de l’affaire et de conserver sa compétence pour recevoir les éléments de preuve et rendre d’autres ordonnances, le cas échéant, jusqu’à ce que les parties confirment que les mesures de réparation ont été mises en œuvre.

[132] Il est difficile de savoir en quoi le maintien de la compétence du Tribunal dans une affaire où l’intimé a constamment ignoré le Tribunal permettra d’atteindre les objectifs de l’ordonnance. Je suis d’accord avec les commentaires formulés par le Tribunal dans la décision Lock et al. c. Première Nation de Peters, 2023 TCDP 55, une affaire dans laquelle la Première Nation intimée avait montré qu’elle était réfractaire au changement, même sur ordonnance judiciaire. Dans cette décision, le Tribunal a conclu que ce n’était pas « une situation dans laquelle le Tribunal dev[ait] conserver sa compétence » puisque « le maintien de la compétence constituerait une interprétation trop large des raisons pour lesquelles le Tribunal a maintenu sa compétence dans d’autres affaires » (au par. 263). Il a expliqué que, dans la plupart des cas, il conserve sa compétence lorsqu’il doit encore se prononcer sur un point ou lorsque les questions de la responsabilité et de la réparation sont scindées. Or, ce n’est pas le cas en l’espèce et il n’existe pas non plus de raisons impérieuses qui justifient le maintien de la compétence.

[133] La LCDP donne aux plaignants un moyen de faire exécuter les ordonnances du Tribunal lorsque les intimés ne les respectent pas. Aux termes de l’article 57, les ordonnances rendues en vertu de la LCDP peuvent, aux fins d’exécution, être assimilées aux ordonnances rendues par la Cour fédérale et la Commission peut participer à ce processus en déposant une copie de l’ordonnance du Tribunal au greffe de la Cour. Étant donné que la Cour fédérale a des pouvoirs d’exécution que le Tribunal ne possède pas, il s’agit du moyen le plus approprié et le plus efficace d’assurer l’exécution des ordonnances. Je refuse de conserver ma compétence en l’espèce.

VIII. Ordonnance

[134] Dans les 90 jours de la présente décision, l’intimée PNSTP est condamnée à verser à Mme Mason les sommes suivantes :

  1. 13 000 $ pour le préjudice moral subi dont elle a souffert par suite des actes discriminatoires commis;
  2. 1 500 $ pour les actes discriminatoires inconsidérés commis;
  3. 29 999,97 $ pour la perte de salaire, sous réserve des retenues obligatoires;
  4. les intérêts sur les indemnités susmentionnées, calculés à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux d’escompte fixé par la Banque du Canada (fréquence mensuelle), commencent à courir 90 jours après la date de la présente décision, jusqu’à la date à laquelle les indemnités seront versées.

[135] Dans les 12 mois suivant la date de la décision du Tribunal, la PNSTP devra, en collaboration avec la Commission, procéder à l’examen et à la révision, s’il y a lieu, des politiques existantes ou à l’élaboration d’une nouvelle politique de lutte contre le harcèlement et la discrimination en milieu de travail, laquelle devra prévoir un mécanisme permettant de déposer officiellement une plainte ou de signaler un tel comportement, ainsi qu’un mécanisme permettant à l’administration de la PNSTP de répondre aux signalements et aux plaintes et de les traiter. Cette politique devra être approuvée par la Commission, après quoi la PNSTP devra la transmettre à son personnel, y compris aux directeurs, au chef et au conseil, et aviser la Commission lorsque ce sera fait.

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 18 juin 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : HR-DP-2927-23

Intitulé de la cause : Shirley Mason c. Première Nation de St. Theresa Point

Date de la décision du Tribunal : Le 18 juin 2024

Date et lieu de l’audience : Le 30 octobre 2023

Audience tenue par vidéoconférence sur Zoom

Comparutions :

Shirley Mason, pour son propre compte

Laure Prévost , pour la Commission canadienne des droits de la personne

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.