Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Le Tribunal a rejeté l’allégation de Christian Miller selon laquelle la Banque Toronto-Dominion (la « Banque »), l’intimée, avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa race, de sa couleur ou de sa déficience. M. Miller se décrit comme un homme noir d’origine africaine et caribéenne ayant une déficience.

La Banque a mis en œuvre un programme de réorganisation à l’échelle du pays. Dans le cadre de ce programme, la Banque a déterminé que le poste de M. Miller à titre de gestionnaire du service à la clientèle et des ventes n’était plus nécessaire. La Banque a supprimé le poste de M. Miller et l’a rétrogradé.

Les postes de gestionnaires du service à la clientèle et des ventes de deux autres employés blancs ont également été supprimés dans le cadre du programme. Leur rendement était supérieur à celui de M. Miller et ils ont été promus à des postes supérieurs. Selon M. Miller, l’effet négatif que la réorganisation a eu sur lui en tant qu’homme noir était discriminatoire.

Le Tribunal a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer le fait que la race, la couleur ou la déficience de M. Miller avaient influencé la décision de la Banque.

Le Tribunal a décidé que le programme et sa mise en œuvre ne comportaient aucun facteur lié aux caractéristiques protégées des employés. La Banque avait un accès limité aux renseignements personnels des employés, y compris les caractéristiques protégées. La Banque n’a pas utilisé cette information dans le cadre de son programme.

Le Tribunal a conclu que la Banque avait fondé son processus visant à replacer les employés touchés par le programme sur leurs plus récentes évaluations de rendement et sur leur ancienneté. Le Tribunal a également accepté la preuve que la Banque n’était pas au courant des problèmes de santé de M. Miller au moment de sa rétrogradation.

De plus, le Tribunal a conclu que le programme était neutre et s’appliquait de manière égale à tous sans égard aux caractéristiques protégées. M. Miller n’a présenté aucun élément de preuve permettant de conclure que le programme et sa mise en œuvre avaient eu une incidence négative sur les personnes marginalisées en raison de leur race, de leur couleur ou de leur déficience.

Le Tribunal a donc jugé que la plainte de M. Miller n’était pas fondée.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 94

Date : Le 1er août 2024

Numéro du dossier : T2700/7621

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Christian Miller

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Banque Toronto-Dominion

l’intimée

Décision

Membre : Edward P. Lustig

 



I. APERÇU

[1] Christian Miller, le plaignant, s’identifie comme un homme noir d’ascendance afro‑caribéenne.

[2] Autour du mois de mars 2018, après avoir travaillé pendant environ huit ans pour la Banque Toronto-Dominion (la « Banque »), l’intimée, M. Miller a été rétrogradé du poste de gestionnaire du service à la clientèle et des ventes (« GSCV ») qu’il occupait à la succursale d’Owen Sound, en raison de la mise en œuvre d’un programme de réorganisation à l’échelle nationale connu sous le nom du programme « IRIS » (le « programme »). Dans le cadre du programme, pour des motifs opérationnels, le poste de GSCV occupé par M. Miller à Owen Sound a été jugé superflu et a été aboli.

[3] M. Miller a occupé le poste de GSCV à la succursale d’Owen Sound environ de mars 2017 à mars 2018, mois au cours duquel il a été rétrogradé dans le cadre du programme ayant mené à l’abolition de ce poste dans la plupart des succursales du Canada. Dans son évaluation de rendement à titre de GSCV d’octobre 2017, il a reçu la cote « D », qui signifie [traduction] « en voie de satisfaire les attentes » (« developing » en anglais), puisque, au moment de l’évaluation, il n’avait occupé le poste de GSCV que depuis six mois. Le rendement constituait un facteur clé pour déterminer les nouveaux postes qui seraient attribués aux employés touchés par le programme. Deux hommes blancs de son district, qui ont également été écartés de leur poste de GSCV dans le cadre du programme, mais qui avaient obtenu des cotes de rendement supérieures et occupé leur poste depuis plus longtemps que M. Miller, ont été promus à des postes mieux rémunérés au sein de leur succursale.

[4] Lors de la mise en œuvre du programme, la Banque a attribué à M. Miller un poste moins bien rémunéré, soit celui de conseiller financier, à sa succursale de Port Elgin. M. Miller a occupé ce poste environ d’avril à juin 2018, mois au cours duquel il est parti en congé de maladie. Il demeure un employé de la Banque et reçoit des prestations d’invalidité de longue durée versées par le régime d’assurance maladie de la Banque.

[5] En se fondant sur ses observations et ses expériences, M. Miller prétend que sa race, sa couleur ou sa déficience ont joué un rôle dans la décision de la Banque de le rétrograder lors de la mise en œuvre le programme, en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP »). Il affirme que l’effet préjudiciable que le programme a eu sur lui en tant qu’homme noir était discriminatoire.

[6] La Banque soutient que l’allégation de M. Miller selon laquelle sa race, sa couleur ou sa déficience ont joué un rôle, direct ou indirect, dans sa décision de le rétrograder lors de la mise en œuvre du programme n’est pas étayée par la preuve.

II. DÉCISION

[7] La plainte dans le présent dossier est rejetée en raison du manque de preuve à l’appui de l’allégation selon laquelle la race, la couleur ou la déficience de M. Miller ont joué un rôle, direct ou indirect, dans la décision de la Banque de le rétrograder lors de la mise en œuvre du programme.

III. QUESTION EN LITIGE

[8] La question à trancher dans la présente affaire est de savoir si la race, la couleur ou la déficience de M. Miller ont joué un rôle, direct ou indirect, dans la décision de la Banque de le rétrograder lors de la mise en œuvre du programme, en contravention de l’article 7 de la LCDP.

IV. CONTEXTE

[9] Dans le cadre d’efforts visant à diversifier son effectif, la Banque a embauché M. Miller à temps partiel comme représentant du service à la clientèle, à Mississauga, en février 2010, puisqu’il est un homme noir d’ascendance afro-caribéenne. M. Miller a par la suite travaillé dans d’autres succursales de la Banque et a notamment commencé à occuper un poste de conseiller financier à temps plein à Saskatoon vers le mois de mars 2015.

[10] Autour du mois de mars 2017, M. Miller a été recruté à partir de son poste de Saskatoon et a accepté le poste de GSCV à temps plein à la succursale d’Owen Sound. Il s’agissait d’une promotion puisque le poste de GSCV offrait un taux de salaire de niveau 7 alors que le poste de conseiller offrait un taux de salaire de niveau 6.

[11] M. Miller a reçu une cote de rendement de « S », signifiant [Traduction] « satisfait pleinement aux attentes » (« solid » en anglais), dans sa dernière évaluation de rendement annuelle à titre de conseiller financier à Saskatoon. Dans son unique évaluation de rendement à titre de GSCV à Owen Sound, qui a eu lieu en octobre 2017, M. Miller a reçu une cote de rendement de « D » puisqu’il n’avait occupé le poste que depuis six mois au moment de l’évaluation. Il aurait pu obtenir une cote de qualité supérieure si son rendement avait été jugé supérieur à ce moment-là, mais il n’était pas inhabituel qu’un employé en période d’apprentissage pour un nouveau poste obtienne une cote « D ».

[12] Dans sa plainte datée du 22 février 2019, M. Miller a formulé diverses allégations à l’encontre de la Banque au sujet d’évènements survenus durant la période précédant la mise en œuvre du programme et sa rétrogradation. La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a toutefois décidé de renvoyer la plainte de M. Miller au Tribunal pour instruction sur la question en litige énoncée au paragraphe 8.

[13] La rétrogradation a eu lieu autour des mois de mars ou avril 2018 lorsque, conformément aux protocoles du programme mis en œuvre par la Banque, le poste de GSCV qu’occupait M. Miller a été jugé superflu pour des motifs opérationnels et que ce dernier a été affecté à un poste de conseiller financier vacant dans une succursale à Port Elgin, au taux de salaire de niveau 6, soit un niveau de salaire inférieur au taux de salaire de niveau 7 qu’il touchait alors à titre de GSCV à la succursale d’Owen Sound.

[14] Malgré sa rétrogradation à un taux de salaire de niveau inférieur, M. Miller a conservé un taux de salaire de niveau 7 pendant deux ans, sans subir aucune réduction. M. Miler s’est également vu accorder une augmentation salariale de 500 dollars puisque sa mutation à Port Elgin avait entraîné une augmentation de la distance du lieu de travail, de la durée de déplacement et des frais de transport.

[15] Avant que M. Miller n’accepte le poste de conseiller financier à la succursale de Port Elgin, la Banque a discuté avec lui d’une autre possibilité d’affectation à un poste vacant de gestionnaire du service à la clientèle à Port Elgin, et elle lui a offert ce poste. La Banque a estimé que ce poste pourrait mieux lui convenir, mais qu’il entraînait également une diminution du taux de salaire au niveau 6. M. Miller a préféré accepter le poste de conseiller financier à Port Elgin, puisqu’il s’agissait d’un emploi qu’il connaissait bien, et il s’est présenté au travail à la succursale de Port Elgin en tant que conseiller financier.

[16] Vers le mois de juin 2018, M. Miller a pris un congé de maladie en raison de problèmes de santé mentale. Comme je l’ai souligné dans ma décision sur requête 2024 TCDP 2, la Banque n’a pas été informée des problèmes de santé mentale de M. Miller avant qu’il ne prenne un congé de maladie.

[17] M. Miller demeure un employé de la Banque et touche des prestations d’assurance invalidité de longue durée versées par Manuvie, l’assureur de soins médicaux de la Banque, et il n’a pas été déclaré apte à reprendre le travail.

[18] Au début de l’année 2017, la Banque a adopté le programme à l’échelle nationale afin de réduire les coûts et d’augmenter les bénéfices dans un contexte concurrentiel au moyen de l’abolition de postes devenus superflus en raison du fait que les clients utilisent de plus en plus Internet, les guichets automatiques et d’autres technologies pour effectuer une grande partie de leurs opérations bancaires, au lieu de faire affaire avec les employés des succursales. Le programme a touché de nombreux postes dans l’ensemble du Canada, dont celui de GSCV.

[19] Le programme a été déployé à l’échelle nationale au cours des premiers mois de 2018 grâce aux efforts combinés du personnel des ressources humaines de la Banque, du personnel opérationnel de tous les secteurs visés par le programme et du personnel de soutien.

[20] Le programme a touché environ 961 employés d’un océan à l’autre, dont 119 employés qui occupaient des postes de GSCV qui ont été abolis dans chaque succursale comptant son propre directeur de succursale. Seules les succursales en milieu rural, sans directeur de succursale, ont gardé le poste de GSCV.

[21] Malheureusement, la succursale d’Owen Sound où travaillait M. Miller avait son directeur de succursale, ce qui a rendu le poste du plaignant superflu. Par conséquent, deux choix s’offraient à lui : soit il quittait la Banque avec une indemnité de départ, soit il restait et était affecté à un autre poste vacant, dont le taux de salaire pouvait être inférieur ou équivalent, dans la mesure du possible, au salaire qu’il gagnait dans la succursale touchée.

[22] La Banque souhaitait garder ses employés et éviter les licenciements le plus possible en établissant des protocoles pour la mise en œuvre du programme et en réaffectant à des postes vacants les employés visés par l’abolition des postes jugés superflus au titre du programme, comme il est décrit plus bas.

[23] Pour déterminer quels employés seraient touchés par le programme, le personnel des ressources humaines a examiné les données pour toutes les succursales et les postes visés par le programme. La recherche des postes proposés aux employés visés était d’abord faite dans un rayon de 50 kilomètres de leur succursale. La Banque souhaitait que les employés restent autant que possible dans leur succursale et leur collectivité afin d’éviter toute perturbation pour eux et les clients. Le rendement était le premier facteur pris en compte dans le processus de réaffectation des employés, puis l’ancienneté et l’emplacement géographique, des facteurs déterminants, étaient examinés.

[24] Aucun facteur lié à la race, à la couleur ou à la déficience du personnel n’était pris en compte dans le cadre du programme ou de sa mise en œuvre. La Banque a un accès limité à certains renseignements concernant les caractéristiques personnelles protégées de ses employés, dont la race et la couleur. Ces renseignements peuvent être fournis par l’employé sur une base volontaire et strictement confidentielle au cours du processus d’embauche ou à des fins de vérification en matière d’équité. Toutefois, la Banque n’a ni retracé ni utilisé ces renseignements lors de la mise en œuvre du programme.

[25] À la fin du processus, la vice-présidente de district a travaillé avec le personnel des ressources humaines pour confirmer la réaffectation des employés visés. Cette démarche a été réalisée après l’examen de la situation de chaque employé touché et de son évaluation au cas par cas.

[26] Les employés concernés ont d’abord été invités à pourvoir un poste vacant semblable à celui qu’ils occupaient auparavant et dans la même région géographique où ils exerçaient leurs fonctions.

[27] Lorsque le nombre de GSCV réaffectés dépassait le nombre de postes de GSCV vacants dans la région géographique, le personnel des ressources humaines prenait d’abord en compte la dernière évaluation de rendement de l’employé. Lorsque les cotes de rendement étaient les mêmes, l’employé ayant le plus d’ancienneté dans ses fonctions se voyait offrir le poste.

[28] Les membres du personnel des ressources humaines examinaient ensuite les postes vacants dans la même région géographique dont le taux de salaire était égal ou inférieur à celui de GSCV. Là encore, lorsque le nombre de postes à pourvoir était limité, ils prenaient d’abord en compte la dernière évaluation de rendement de l’employé. Lorsque les cotes de rendement étaient les mêmes, l’employé ayant le plus d’ancienneté se voyait offrir le poste.

[29] Les employés touchés ayant une cote « NI », signifiant que des améliorations étaient requises (« needs improvement » en anglais), ou n’ayant pas pu être affectés à d’autres fonctions se voyaient offrir une indemnité de départ et étaient licenciés.

[30] Au début de l’année 2018, la Banque a informé les employés visés par le programme et a ensuite commencé à discuter et à travailler avec eux afin de leur trouver d’autres postes. M. Miller était l’un de ces employés. Dans la région géographique où il travaillait, trois postes de GSCV avaient été jugés superflus et abolis dans le cadre du programme, dont celui de M. Miller.

[31] Les deux autres employés visés étaient blancs et travaillaient dans des succursales où, en raison de leur taille, le programme avait aussi permis la création de postes de gestionnaire des services financiers. Les deux succursales dans lesquelles les deux employés blancs travaillaient répondaient aux exigences minimales en matière de dotation permettant la création de nouveaux postes de gestionnaire des services financiers.

[32] Ces deux employés blancs, dont le poste de GSCV avait été aboli, ont été promus au nouveau poste de gestionnaire des services financiers créé dans le cadre du programme. Ils avaient tous deux une cote de rendement très élevée : une cote H, signifiant un rendement élevé (« high performance » en anglais), et une cote E, signifiant un rendement exceptionnel (« exceptional performance » en anglais), qui est la cote la plus élevée à la Banque. De plus, les deux étaient des employés de très longue date au sein de la Banque et connaissaient bien l’équipe, les clients et la collectivité de leur succursale. Le taux de rémunération (taux de salaire de niveau 8) du poste de gestionnaire des services financiers était d’un niveau supérieur à celui de GSCV et de deux niveaux au-dessus de celui de conseiller financier, auquel M. Miller a été rétrogradé.

[33] La succursale de M. Miller à Owen Sound ne répondait pas aux exigences minimales en matière de dotation permettant la création d’un nouveau poste de gestionnaire des services financiers et ne comptait aucun poste vacant de gestionnaire du service à la clientèle ou de conseiller financier à l’époque. De plus, il n’y avait aucun poste vacant comparable à un taux de salaire de niveau 7 au sein des services bancaires de détail de la Banque, de sorte que M. Miller a été réaffecté à la succursale de Port Elgin en tant que conseiller financier à un taux de salaire de niveau inférieur, soit le niveau 6.

[34] M. Miller a été informé du programme et de son incidence sur son poste aux alentours de janvier 2018 par Mme Tara Clarke, la vice-présidente de son district. Comme mentionné précédemment, la Banque a entrepris des discussions avec lui pour tenter de lui trouver un autre poste. On lui a offert un poste de gestionnaire du service à la clientèle à la succursale de Port Elgin au taux de salaire de niveau 6. Selon la Banque (affirmation que M. Miller conteste), on lui a également offert des postes de conseiller financier à l’extérieur du district à un taux de salaire de niveau 6, mais il a décidé d’accepter un poste de conseiller financier à la succursale de Port Elgin, en conservant un taux de salaire de niveau 7 pendant deux ans et en touchant un montant supplémentaire de 500 dollars pour les frais de déplacement. Il a travaillé comme conseiller financier à Port Elgin d’environ mars ou avril 2018 jusqu’aux environs de juin 2018, mois au cours duquel il est parti en congé de maladie.

[35] M. Miller était représenté par un conseiller juridique au début de la procédure lorsqu’il a déposé son exposé des précisions et sa réplique en 2022, et au cours de la médiation qui a suivi. Par la suite, il a mis fin aux services de son conseiller juridique et s’est présenté au début de l’audience en tant que partie non représentée et a livré son témoignage principal sans représentant juridique. Il n’a appelé aucun autre témoin. Après son témoignage principal, M. Miller était représenté par M. English, qui a mené son interrogatoire principal ainsi que le contre-interrogatoire des quatre témoins de la Banque, et a présenté les observations finales en son nom.

[36] Le témoignage de M. Miller était principalement fondé sur ses impressions et ses observations générales concernant une discrimination raciale systémique alléguée dont la Banque aurait fait preuve au fil des ans et le traitement injuste qu’il estimait avoir subi au travail de la part de la Banque et dans le cadre du programme.

[37] M. Miller a déclaré que la Banque faisait preuve de discrimination à l’égard des personnes noires dans ses pratiques d’embauche, de promotion et de licenciement. Selon lui, la Banque ne comptait pas beaucoup de personnes noires au sein de son effectif et presque aucun n’occupait de poste de gestion ou de direction. Il a déclaré que la Banque avait embauché des personnes noires pour des raisons d’inclusion et de diversité en réponse à des situations telles que l’incident de George Floyd aux États-Unis, mais qu’elle les avait ensuite remerciés en raison des erreurs commises par les cadres blancs qui avaient obligé la Banque à licencier des membres du personnel pour des raisons opérationnelles. Il a affirmé que les personnes noires étaient les dernières à être embauchées et les premières à être licenciées par la Banque.

[38] M. Miller n’a produit aucune preuve statistique ou autre pour corroborer les allégations de sous‑représentation des personnes noires au sein de l’effectif ou de discrimination systémique de la part de la Banque à l’encontre des personnes noires dans ses pratiques d’embauche, de promotion et de licenciement. Il s’est plaint que Mme Clarke ne lui permettait pas de prendre des notes lors de ses discussions avec elle et que des renseignements qu’il aurait pu produire ont été perdus avec son ordinateur lorsqu’il s’est retrouvé sans domicile fixe après sa rétrogradation.

[39] En ce qui concerne la mise en œuvre du programme qui a conduit à sa rétrogradation, M. Miller a déclaré qu’elle comportait des lacunes, car elle se basait sur l’ancienneté des employés plutôt que sur leur rendement, ce qui favorisait les personnes blanches qui travaillaient à la Banque depuis de nombreuses années. Il s’est dit d’avis que la Banque ne cherchait qu’à faire de l’argent et non à soutenir les personnes noires et les autres membres des minorités. Il a déclaré que si la Banque misait davantage sur l’équité, la diversité et l’inclusion au sein de son effectif, elle connaîtrait en fait un plus grand succès.

[40] M. Miller a soutenu que la promotion des deux autres GSCV blancs à des postes de gestionnaire des services financiers dans leurs succursales actuelles, alors que lui avait été rétrogradé, démontrait les préjugés de la Banque à son égard du fait qu’il est noir. Selon lui, leurs promotions étaient principalement basées sur leur ancienneté plutôt que sur leur rendement. Il estime que la Banque n’a pas tenu sa promesse envers lui de le promouvoir et qu’il n’a pas été soutenu, comme promis, dans ses efforts pour conserver son niveau de rémunération et son lieu de travail dans le cadre du programme, car la Banque n’avait pas vraiment à cœur l’équité, la diversité et l’inclusion lorsqu’elle l’a rétrogradé. M. Miller a affirmé que, si la Banque était réellement engagée envers l’équité, la diversité et l’inclusion, elle aurait trouvé un moyen d’éviter de le rétrograder, car elle venait tout juste de le recruter de la Saskatchewan et de le promouvoir à un nouveau poste de GSCV, pour lequel il était encore en apprentissage, alors qu’elle savait déjà que ce poste allait être aboli dans le cadre du programme.

[41] Mis à part les deux employés mentionnés ci-dessus, M. Miller n’a produit aucun élément de preuve démontrant qu’un autre employé de la Banque aurait été mieux traité que lui dans le cadre de la mise en œuvre du programme du fait de sa race, de sa couleur, de sa déficience ou de tout autre facteur.

[42] Le seul document que M. Miller a produit à titre d’élément de preuve est une note rédigée le 22 octobre 2018 par un psychiatre, le Dr Abdulaziz Memon, qui l’a examiné environ cinq mois après son départ en congé de maladie. Dans la note, le docteur fait référence à des renseignements que lui a communiqués M. Miller au sujet de la dépression et de l’anxiété qu’il vivait en raison du harcèlement et de l’intimidation subie au travail. La Banque n’a pas été informée des problèmes de santé mentale de M. Miller au moment de la rétrogradation et l’a gardé comme employé alors qu’il continuait de toucher des prestations d’assurance invalidité de l’assureur de soins médicaux de la Banque pour des problèmes de santé mentale.

[43] Mme Meyer, qui représente la Banque, a cité quatre témoins à comparaître à l’audience. Todd Church, un gestionnaire d’expérience au service des ressources humaines, n’a pas participé à la décision de rétrograder M. Miller et ne le connaissait pas. Il a travaillé au sein de l’équipe aide-conseil en ressources humaines à la production des données utilisées aux fins de l’exercice d’abolition des postes superflus et à l’appui du programme. Avec plusieurs de ses collègues des ressources humaines, il a examiné les feuilles de calcul de tous les employés des succursales au Canada, par succursale et par district, afin de déterminer quels employés seraient touchés par le programme. Il a déclaré dans son témoignage que le programme et ses protocoles avaient été mis en œuvre, comme il est décrit plus haut, à l’échelle canadienne dans chacune des succursales de chaque district en vue de l’abolition des postes et de la réorganisation des employés visés.

[44] Dans son témoignage, M. Church a indiqué que les données décrivaient les postes visés par le programme, dont ceux de GSCV. Les dernières cotes de rendement des employés faisaient partie des données et ont joué un rôle important dans l’évaluation de l’impact et dans la réaffectation à d’autres postes des employés touchés. L’ancienneté était d’importance secondaire pour départager les employés qui étaient à égalité pour le même poste vacant, et l’emplacement géographique (c.-à-d. la distance de déplacement par rapport à la succursale et les inconvénients) venait ensuite.

[45] M. Church a affirmé lors de son témoignage que la race, la couleur ou la condition physique des employés n’étaient pas des facteurs pris en compte dans le cadre du programme pour l’évaluation et la réaffectation des employés visés, pas plus que les principes d’équité, de diversité et d’inclusion n’ont eu de rôle à jouer dans la mise en œuvre du programme.

[46] M. Church était un témoin crédible et aucun élément de preuve présenté dans la présente affaire n’a contredit son témoignage, à l’exception du fait que M. Miller estimait que la mise en œuvre des licenciements et des rétrogradations dans le cadre du programme aurait dû prévoir des façons de promouvoir les minorités, y compris les personnes noires, conformément aux principes d’équité, de diversité et d’inclusion.

[47] Mme Suzanne Steele, vice-présidente adjointe des ressources humaines, est également une employée d’expérience qui a participé au programme en tant que gestionnaire des ressources humaines. Son rôle au sein de son équipe consistait à assurer le suivi du travail effectué par l’équipe aide-conseil en ressources humaines pour identifier les employés visés par le programme, puis à aider la vice-présidente de district et les directeurs de succursale à affecter ces employés à leurs nouvelles fonctions et à rendre compte de la situation à ses supérieurs au sein de la Banque. Son témoignage a confirmé celui de M. Church et la description de la mise en œuvre du programme exposée plus haut.

[48] Mme Steele a confirmé que la race, la couleur et la déficience n’étaient pas des facteurs pris en considération pour l’évaluation des employés dans le cadre du programme. Elle a confirmé que le rendement était le premier facteur pris en compte, suivi de l’ancienneté en cas d’égalité, puis de l’emplacement géographique. Elle a déclaré lors de son témoignage que les renseignements confidentiels fournis volontairement par les employés au sujet de caractéristiques protégées comme la race et la couleur sont recueillis dans le cadre des vérifications en matière d’équité et des processus d’embauche, comme indiqué plus haut au paragraphe 24. Elle a également précisé que ces renseignements et les principes d’équité, de diversité et d’inclusion n’étaient pas utilisés pour l’évaluation des employés dans le cadre de la mise en œuvre du programme.

[49] Mme Steele était une témoin crédible et son témoignage n’a pas non plus été contredit par d’autres éléments de preuve présentés à l’audience.

[50] Sandi Jasper est actuellement la directrice de la succursale de Port Elgin et occupait ce poste lorsque le programme a été mis en œuvre. Elle n’a pas pris part aux décisions prises dans le cadre de la mise en œuvre du programme concernant la rétrogradation de M. Miller ou sa réaffectation au poste de conseiller financier à sa succursale aux alentours de mars ou d’avril 2018. À l’époque, elle avait des potes vacants à combler dans sa succursale, soit pour un poste de gestionnaire du service à la clientèle, qui a d’abord été offert à M. Miller en janvier 2018, ou pour un poste de conseiller financier, que M. Miller a accepté aux alentours de mars ou d’avril 2018 et auquel il a commencé à travailler à la fin du mois de mars 2018.

[51] Mme Clarke est actuellement vice-présidente de la gouvernance à la Banque, où elle se spécialise dans la gestion des risques. En mars 2017, elle était vice-présidente de district pour les 20 succursales du district de Georgian Trails, qui comprend Owen Sound, Port Elgin, Midland et Collingwood. Son rôle consistait à superviser les activités des succursales dans le district, à les soutenir et à les diriger, ainsi qu’à appuyer le développement des compétences et les stratégies de groupe.

[52] À l’époque, Mme Clarke avait fait appel à ses pairs dans tout le pays pour l’aider à recruter une personne afin de pourvoir un poste vacant de GSCV à la succursale d’Owen Sound. Elle cherchait particulièrement à recruter une personne qui apporterait plus de diversité à la succursale et au district. Elle a recruté M. Miller pour le poste et a eu diverses conversations avec lui qui ont mené à sa mutation de Saskatoon et à sa promotion à la succursale d’Owen Sound en tant que GSCV. Selon elle, l’acceptation par M. Miller du poste de GSCV à Owen Sound serait « formidable ». Elle a déclaré lors de son témoignage que, à l’époque, elle ne savait pas que ce poste serait jugé superflu dans le cadre du programme, ce qui entraînerait la rétrogradation de M. Miller, car elle n’avait pris connaissance du programme qu’en novembre 2017.

[53] Pendant que M. Miller travaillait à Owen Sound, Mme Clarke a eu régulièrement des réunions et des discussions avec lui, car elle visitait les succursales au moins une fois par mois dans le cadre de son rôle de vice-présidente de district. Elle appliquait une « politique de porte ouverte » et s’est entretenue en tête-à-tête avec M. Miller à diverses occasions, et elle l’a encadré pour l’aider dans son cheminement de carrière. Elle a affirmé qu’elle était [traduction] « investie et engagée envers lui » et son avenir au sein de la Banque.

[54] Mme Clarke a déclaré qu’elle connaissait très bien M. Miller et était au courant de son rendement à titre de GSCV à Owen Sound. Elle a précisé qu’il était nouveau dans ses fonctions et que sa courbe d’apprentissage était abrupte, mais qu’il apprenait et s’améliorait. En même temps, il avait des problèmes de rendement, notamment en raison de retards et d’absences. Elle a mentionné en outre qu’il avait de la difficulté à créer des liens avec les autres membres de son équipe.

[55] En tant que vice-présidente de district, Mme Clarke avait pour responsabilité de prendre les décisions finales au sujet des employés touchés de son district dans le cadre du programme, soit de les réaffecter à des postes vacants appropriés ou, s’il n’y avait pas de postes vacants, de les licencier en leur offrant des indemnités de départ. Pour l’aider à prendre ces décisions, elle a utilisé les renseignements et les données produits par les ressources humaines, dont les recommandations préparées sur la base des protocoles du programme et de facteurs tels que le niveau de rendement récent, l’ancienneté et l’emplacement géographique. Cependant, ces renseignements et données ne sont pas les seuls éléments sur lesquels elle s’est appuyée pour prendre les décisions au sujet de la réaffectation des employés. Elle a procédé à ses propres évaluations en utilisant non seulement les renseignements fournis par les ressources humaines, mais aussi ses propres observations, son expérience et sa connaissance du rendement, de l’ancienneté et du lieu géographique des employés visés, après avoir discuté individuellement avec ces derniers.

[56] Mme Clarke a indiqué lors de son témoignage que, lorsqu’elle a pris connaissance du programme en novembre 2017, elle a eu un « haut le cœur » à l’idée de devoir mettre fin au poste de M. Miller, car elle venait tout juste de le recruter de Saskatoon. Par la suite, elle a rencontré à plusieurs occasions M. Miller et les employés de son district visés par le programme pour discuter de leur situation et prendre des décisions définitives au sujet de leur réaffectation.

[57] En plus de M. Miller, seuls deux autres GSCV dans le district ont été touchés de la même manière par le programme. Ils travaillaient dans les succursales de Midland et de Collingwood. Ces deux personnes étaient blanches. À la suite d’une évaluation des succursales menée dans le cadre du programme, des postes de gestionnaire des services financiers sont devenus vacants dans ces deux succursales. Ces succursales étaient assez grandes pour répondre aux critères de la Banque et y créer des postes de gestionnaire des services financiers conformément aux règles régissant la création de ce poste. Les deux employés blancs ont été promus à des postes de gestionnaire des services financiers au sein de leur succursale respective, dans le cadre du programme et avec l’approbation de Mme Clarke. Ces postes étaient offraient un taux de salaire de niveau 8 et équivalaient donc à une promotion pour les deux employés blancs.

[58] Mme Clarke connaissait très bien les trois employés et a livré un témoignage détaillé et clair à leur sujet et à propos de leur réaffectation dans le cadre du programme. En ce qui concerne les deux employés blancs, elle a déclaré qu’ils avaient des cotes de rendement très élevées et exceptionnelles, qu’ils étaient en poste depuis longtemps et qu’ils avaient créé des liens solides avec les équipes de leur succursale et leur collectivité. Selon Mme Clarke, ces deux employés devaient être promus aux postes de gestionnaire des services financiers nouvellement créés et devenus vacants dans leur succursale, sur la base des trois principaux facteurs d’évaluation (le rendement, l’ancienneté et le lieu géographique) du programme. Il était nécessaire d’assurer la cohérence de la mise en œuvre du programme dans l’ensemble du Canada, et les activités auraient été inutilement perturbées si les promotions n’avaient pas eu lieu.

[59] En revanche, Mme Clarke a affirmé lors de son témoignage que, selon elle, M. Miller n’était pas prêt à être promu au poste de gestionnaire des services financiers, car il était encore en apprentissage dans ses fonctions de GSCV au moment de la rétrogradation. Compte tenu de la courbe d’apprentissage abrupte à laquelle il était confronté, il lui aurait fallu deux ans pour atteindre le niveau de rendement requis pour le poste de gestionnaire des services financiers. Comme je l’ai mentionné plus haut, elle entretenait aussi des doutes sur son rendement.

[60] Lors de son témoignage, Mme Clarke a affirmé que, à l’époque, il n’y avait aucun poste vacant convenable pour M. Miller à la succursale d’Owen Sound et que celle-ci n’était pas assez grande pour justifier la création d’un poste de gestionnaire des services financiers. De plus, aucun poste comparable à un taux de salaire de niveau 7 n’était alors vacant au sein du réseau de banques de détail.

[61] C’est pourquoi M. Miller s’est vu offrir le poste de gestionnaire du service à la clientèle à la succursale de Port Elgin, située à environ 45 minutes de la succursale d’Owen Sound. Selon l’offre, même si ce poste offrait un taux de salaire de niveau 6, M. Miller aurait conservé son taux de salaire de niveau 7 pendant deux ans et obtenu une augmentation salariale annuelle de 500 $ en raison des frais de déplacement supplémentaires. Il a choisi de refuser ce poste et a plutôt accepté l’autre poste vacant à la succursale de Port Elgin, soit un poste de conseiller financier au taux de salaire de niveau 6, mais pour lequel il conserverait son taux de salaire de niveau 7 pendant deux ans et obtiendrait une augmentation salariale annuelle de 500 $.

[62] Lors de son témoignage, Mme Clarke a déclaré qu’elle s’était investie et avait pris un engagement à l’égard de l’avenir professionnel de M. Miller au sein de la banque. Elle a expliqué que la décision qu’elle avait dû prendre en raison de la mise en œuvre du programme avait été [traduction] « déchirante », car elle venait à peine de le recruter de la Saskatchewan, en partie pour des raisons de diversité et d’inclusion, ce qu’elle cherche à favoriser. Elle a ajouté qu’elle avait essayé de convaincre M. Miller d’accepter un poste de conseiller financier dans une succursale plus proche du domicile des parents de ce dernier à Toronto et qu’elle lui avait dit qu’elle l’appuierait s’il optait pour une telle mutation, même si cela signifiait qu’il ne ferait plus partie de son district.

[63] Lors de son témoignage, Mme Clarke a notamment affirmé qu’elle n’avait pas tenu compte de facteurs tels que la race, la couleur et la déficience dans sa prise de décisions quant à la réaffectation des employés visés par le programme, y compris celle de M. Miller, et que, de façon générale, ces facteurs n’avaient jouer aucun rôle dans l’élaboration et la mise en œuvre du programme en vue de déterminer les promotions et les rétrogradations.

[64] Mme Clarke est une Autochtone et elle soutient les initiatives d’inclusion visant à favoriser la diversité au sein du personnel; c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles elle avait recruté M. Miller à la succursale d’Owen Sound. Elle ne pouvait réaffecter M. Miller à un poste équivalent ni le promouvoir dans le cadre du programme, car il n’y avait aucun autre poste vacant à l’exception des deux postes qui lui avaient été proposés à Port Elgin, et il n’était pas prêt pour le rôle de gestionnaire des services financiers. Je suis d’avis qu’elle est une témoin très crédible et que sa décision n’était pas fondée sur la race, la couleur ou la déficience de M. Miller, mais plutôt sur une évaluation de son rendement, de ses compétences et de sa capacité à occuper un poste supérieur.

[65] Mme Clarke a affirmé qu’elle n’avait jamais été informée de la déficience de M. Miller avant son départ en congé de maladie.

V. CADRE JURIDIQUE

[66] Aux termes de l’article 7 de la LCDP, constitue notamment un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de défavoriser une personne en cours d’emploi. La race, la couleur et la déficience font partie des motifs de distinction illicite énumérés à l’article 3 de la LCDP.

[67] Le plaignant qui allègue avoir été victime d’une conduite contraire aux dispositions de la LCDP a le fardeau d’établir une preuve prima facie de l’existence de discrimination. La norme de preuve applicable à cet égard est la norme civile de la prépondérance des probabilités. Afin de s’acquitter de son fardeau, le plaignant doit démontrer non pas l’existence d’un « lien causal », mais plutôt d’un simple « lien » ou « facteur » entre la conduite reprochée et un motif de distinction illicite prévu par la LCDP (voir Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 [Bombardier], aux par. 64‑65).

[68] La preuve prima facie est celle qui « porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur [du plaignant], en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (voir Commission ontarienne des droits de la personne et O’Malley c. Simpsons‑Sears, [1985] 2 RCS 536 [O’Malley], au par. 28).

[69] Pour établir une preuve prima facie, le plaignant doit démontrer que, selon toute vraisemblance : 1) il présente une ou plusieurs caractéristiques que la LCDP protège contre la discrimination; 2) il a subi un traitement qui lui a causé un effet préjudiciable relativement à son emploi; 3) la ou les caractéristiques protégées ont constitué un facteur – mais pas forcément le seul – qui a joué dans le traitement défavorable ou l’effet préjudiciable subi (voir Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30 (CanLII), au par. 69, citant Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, [2012] 3 RCS 360 [Moore], au par. 33; et Bombardier, aux par. 60‑63).

[70] Le plaignant qui cherche à établir une preuve prima facie n’est pas tenu de prouver l’intention discriminatoire de l’employeur intimé, puisque certains actes discriminatoires sont multifactoriels et inconscients. En fait, on dit souvent qu’un acte discriminatoire n’est pas une pratique qui, habituellement, se manifeste ouvertement ou même s’exerce intentionnellement. De ce fait, le Tribunal se doit d’examiner l’ensemble des circonstances de l’affaire – ce qui, bien souvent, suppose des éléments de preuve circonstancielle qui tantôt étayent, tantôt minent l’allégation de discrimination – pour pouvoir décider s’il existe ce que le Tribunal a déjà qualifié de « subtile odeur de discrimination » (voir Bombardier, aux par. 40‑41; Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP); Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 RCS 3, au par. 29).

[71] Une fois qu’une preuve prima facie a été établie, il incombe à l’intimé de réfuter les allégations de discrimination ou de démontrer que la conduite était justifiée suivant le régime d’exemptions prévu par la LCDP. Si la conduite ne peut être réfutée ou justifiée, le Tribunal conclura à l’existence de discrimination (voir Dulce Crowchild c. Nation Tsuut’ina, 2020 TCDP 6, aux par. 10‑11; O’Malley, au par. 28; et Moore, au par. 33).

[72] Si la plainte n’est liée à aucun des motifs de distinction illicite énoncés dans la LCDP, elle est vouée à l’échec (voir Ozcevik c. Canada (Agence du revenu), 2021 CF 13 (CanLII), au par. 20).

VI. OBSERVATIONS DES PARTIES

[73] Dans ses observations présentées au nom de M. Miller, M. English a reconnu que la question soumise à l’examen du Tribunal et la portée de la présente affaire portaient sur la rétrogradation de M. Miller en raison de la mise en œuvre du programme, et non sur d’autres allégations que M. Miller avait initialement soulevées, mais que la Commission n’avait pas renvoyées au Tribunal. Il n’a pas remis en cause le droit de la Banque de réduire ses effectifs pour des raisons opérationnelles légitimes. Il a également admis qu’il n’y avait aucune preuve prima facie de discrimination manifeste ou flagrante à l’encontre de M. Miller dans la présente affaire, et il n’a pas non plus indiqué que la race était délibérément prise en considération aux fins de l’identification des employés visés par le programme.

[74] M. English a fait valoir que, tout comme la Banque était motivée, au départ, à embaucher, puis à promouvoir M. Miller en tant qu’homme noir, en partie dans le but de soutenir des principes d’équité, de diversité et d’inclusion en milieu de travail, elle aurait également dû être guidée par ces mêmes principes dans le contexte du programme pour la prise de décisions à la suite de l’abolition des postes jugés superflus. Selon lui, le fait que la Banque n’en ait pas tenu compte dans le présent dossier équivalait à de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable.

[75] Dans son argumentation, M. English s’est ainsi exprimé : [traduction] « Tara utilise des critères d’embauche et de promotion subjectifs. Lorsque la Banque procède à l’évaluation des employés touchés par l’abolition des postes jugés superflus, elle utilise des critères objectifs (le rendement, l’ancienneté et l’emplacement géographique). Ainsi, les critères subjectifs qui ont conduit à l’embauche n’ont pas été pris en considération dans le cadre de la réaffectation ou de la cessation d’emploi. Cette asymétrie équivaut à de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable qui doit être examinée en fonction des critères prima facie afin d’éviter de causer davantage de discrimination systémique. La Banque crée donc une culture de discrimination prima facie ou directe dans le cadre de son protocole de sélection inverse pour l’abolition des postes jugés superflus ».

[76] Bien que l’article 10 de la LCDP n’ait été invoqué ni dans la présente plainte, ni dans le renvoi par la Commission, ni dans l’exposé des précisions des parties, Me English a fait valoir que « selon une interprétation large de la Loi et de l’article 10, les protocoles asymétriques par lesquels la Banque attire des candidats qui, comme Christian, sont issus de la diversité, puis les traite comme de simples numéros, vont à l’encontre de l’objet de la Loi, voire constituent une violation de l’article 10 en particulier ».

[77] Mme Meyer, au nom de la Banque, a reconnu que M. Miller répondait aux deux premiers critères de l’analyse prima facie de la discrimination en matière d’emploi au sens de l’article 7 de la LCDP, définis au paragraphe 69 des présents motifs, puisqu’il était manifestement un homme noir et que le programme lui avait nui.

[78] Mme Meyer a fait valoir que la preuve présentée à l’audience par M. Miller ne permettait pas de démontrer que la Banque avait fait preuve de discrimination à l’égard de M. Miller lors de l’élaboration ou de la mise en œuvre du programme. En particulier, M. Miller n’a produit aucun élément de preuve établissant un lien entre sa race, sa couleur ou une déficience et la rétrogradation par laquelle il est passé d’un poste de GSCV, à la succursale d’Owen Sound, à un poste de conseiller financier, à celle de Port Elgin.

[79] Mme Meyer a soutenu que la preuve présentée par M. Miller, selon laquelle la race avait joué un rôle dans sa rétrogradation et dans la promotion des deux employés blancs qui se trouvaient dans la même situation que lui, était purement spéculative et n’étayait pas l’existence du lien requis pour conclure qu’une preuve prima facie de discrimination a été établie selon la prépondérance des probabilités.

[80] Selon Mme Meyer, la Banque avait une justification pour traiter différemment M. Miller et les deux employés blancs promus, et cette différence de traitement n’était liée à aucun motif de distinction protégé. Leur traitement différait en raison des critères utilisés dans le cadre du programme, lesquels n’étaient pas fondés sur la race. En fait, le traitement était fondé sur le rendement des deux hommes blancs, qui était largement supérieur à celui de M. Miller, soit le premier critère, sur le fait qu’ils avaient beaucoup plus d’ancienneté, soit le deuxième critère, et sur le fait qu’ils connaissaient déjà les succursales au sein desquelles ils ont été promus, ce qui assurait une meilleure continuité pour les employés et la clientèle.

[81] Dans son argumentation, Mme Meyer a affirmé que [traduction] « la décision quant au poste auquel le réaffecter après qu’il eut été décidé d’abolir son poste de GSCV était conforme au processus et aux procédures établies par la Banque dans le cas d’une telle réaffectation et qu’elle tenait compte de son niveau d’apprentissage et de développement de l’époque ».

[82] Mme Meyer a fait valoir [traduction] « qu’il n’y a[vait] simplement aucun fondement en droit permettant au Tribunal de conclure que M. Miller a[vait] fait l’objet de discrimination » par des moyens directs ou indirects, et que, [traduction] « dans la présente affaire, il ne s’[était] pas acquitté du fardeau qui lui incombait ». Partant, elle a soutenu que la plainte devrait être rejetée.

VII. ANALYSE

[83] De toute évidence, M. Miller est un homme noir qui a subi un effet préjudiciable en raison du programme. Je ne suis pas surpris qu’il soit mécontent et fâché d’avoir été recruté et promu à un poste de GSCV, en partie pour des raisons d’équité, de diversité et d’inclusion, ce qui l’avait forcé à quitter Saskatoon pour s’établir à Owen Sound, alors que la Banque savait que le poste serait aboli dans le cadre du programme, puis d’avoir été rétrogradé moins d’un an après la mise en œuvre du programme.

[84] Il est curieux, et difficile à comprendre, que la Banque ait approuvé en janvier 2017 le programme qui prévoyait notamment l’abolition du poste de GSCV à Owen Sound, et qu’elle ait ensuite embauché M. Miller pour ce même poste en mars 2017, alors que Mme Clarke savait qu’il lui faudrait deux ans pour maîtriser ce rôle. Il semble que cette situation ne pouvait que conduire à l’échec pour M. Miller.

[85] Le mécontentement et la colère de M. Miller ont été attisés par le fait que les deux seuls autres titulaires d’un poste de GSCV touchés dans son district étaient des hommes blancs qui ont en fait été promus à des postes nouvellement créés au sein de leur propre succursale dans le cadre du programme et que ces postes offraient un taux de salaire d’un niveau supérieur à celui de GSCV, alors que M. Miller a été rétrogradé à un poste offrant un taux de salaire de niveau inférieur à celui de GSCV.

[86] Cela étant dit, j’accepte la preuve présentée par la Banque selon laquelle elle avait des motifs légitimes et valables de promouvoir les deux employés blancs plutôt que M. Miller, étant donné que les protocoles du programme tenaient compte des facteurs clés que sont le rendement, l’ancienneté et l’emplacement géographique des employés visés, et non de la race, de la couleur et de la déficience.

[87] Il est regrettable que la Banque n’ait pu trouver un moyen d’éviter la rétrogradation de M. Miller ou, du moins, de maintenir son taux de salaire de l’époque pour une période de plus de deux ans, compte tenu des circonstances de sa promotion et de sa soudaine rétrogradation alors qu’il était encore en apprentissage dans le cadre d’un poste devenu superflu peu après qu’il y ait été promu.

[88] Je suis toutefois d’avis, au vu de la preuve, que Mme Clarke a pris sa décision définitive, par laquelle elle a réaffecté M. Miller au poste de conseiller financier à Port Elgin, non pas en raison de la race, de la couleur ou de la déficience de ce dernier, mais parce qu’aucun autre poste équivalent et acceptable n’était vacant au sein de la Banque et que M. Miller n’était pas prêt à être promu.

[89] Je juge également que la preuve démontre que le programme en soi, tel qu’il a été élaboré et mis en œuvre, était neutre en ce qui a trait à la race, à la couleur ou à la déficience, et ne tenait compte d’aucune caractéristique protégée par la LCDP aux fins de l’identification des employés touchés.

[90] Aucun élément de preuve n’a été présenté à l’audience au sujet d’autres employés noirs ou de groupes d’employés marginalisés touchés par le programme. Le témoignage de M. Miller selon lequel les personnes noires ou d’autres groupes marginalisés étaient sous-représentés au sein de l’effectif de la Banque était très général et reposait sur des impressions, et il n’était étayé par aucune information précise ni statistique.

[91] Il ne s’agit pas d’un cas de discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Rien dans la preuve ne montre que les protocoles de ce programme neutre – qui s’appliquait à tous de façon égale sans qu’il soit question d’une quelconque caractéristique protégée par la LCDP – ont eu l’effet préjudiciable inattendu ou disproportionné de causer de la discrimination à l’égard de groupes ou de personnes marginalisés du fait de leur race, de leur couleur ou de leur déficience.

[92] L’employeur n’a aucune obligation légale de tenir compte de l’équité, de la diversité et de l’inclusion dans le cadre des programmes de réorganisation, comme celui dont il est question dans la présente affaire, qui entraînent l’abolition de postes devenus superflus, des rétrogradations et des cessations d’emploi, à condition que ces programmes soient neutres et qu’aucune caractéristique protégée des employés ne soit prise en compte lors de leur mise en œuvre. Autrement dit, dans la présente affaire, il ne peut y avoir violation de la LCDP suivant l’article 10 ou tout autre article de cette loi sans la preuve d’un facteur ou d’un lien entre l’acte reproché et un motif de distinction illicite prévu par la LCDP.

[93] Comme l’a énoncé la Cour suprême du Canada au paragraphe 56 de l’arrêt Bombardier, « bien que [...] l’on exige du [plaignant], non pas la preuve d’un “lien causal” mais plutôt d’un simple “lien” ou “facteur”, il n’en demeure pas moins que le [plaignant] doit démontrer, par prépondérance des probabilités, l’existence des trois éléments constitutifs de la discrimination ».

[94] Aussi malheureuses et préjudiciables que soient les circonstances de la présente affaire pour M. Miller, la preuve ne permet pas d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que sa race, sa couleur ou sa déficience ont joué un rôle dans sa rétrogradation dans le cadre du programme, et d’ainsi démontrer que la Banque a, par des moyens directs ou indirects, fait preuve de discrimination à son égard aux termes de l’article 7 de la LCDP.

VIII. ORDONNANCE

[95] La plainte de M. Miller est donc rejetée, car elle n’est pas fondée.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 1er août 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2700/7621

Intitulé de la cause : Christian Miller c. Banque Toronto-Dominion

Date de la décision du Tribunal : Le 1er août 2024

Date et lieu de l’audience : Les 26 et 27 mars et du 29 au 31 mai 2024

Audience tenue par vidéoconférence

Comparutions :

Christian Miller, pour son propre compte (les 26 et 27 mars 2024)

Daniel English , pour le plaignant (du 29 au 31 mai 2024)

Lisa M. Meyer , pour l’intimée

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