Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 83

Date : Le 4 juin 2024

Numéro du dossier : T2662/3821

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Wanita Mitchell

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Gouvernement tribal de Tallcree

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Athanasios Hadjis

 



I. APERÇU

[1] La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a demandé au Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») d’ordonner à l’intimé, le Gouvernement tribal Tallcree (« Tallcree »), de communiquer les documents qu’il a en sa possession, comme l’exigent les Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021-137 (les « Règles de pratique »). La Commission demande également au Tribunal d’ordonner à l’intimé de déposer sa liste de documents dans la forme prescrite par les Règles de pratique.

[2] La plaignante, Mme Wanita (Lana) Mitchell, affirme dans sa plainte qu’elle est membre de la Première Nation de Tallcree et qu’elle est habile à voter aux élections de Tallcree. En 2018, elle s’est vu refuser le droit de vote, alors qu’elle avait déjà voté par le passé. Mme Mitchell affirme que ce refus est lié au fait que sa mère, Maryann Moberly, qui était membre de la Première Nation de Tallcree, a perdu son statut d’Indien inscrit en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5, parce qu’elle a épousé un non-Autochtone. L’adoption de la Loi modifiant la Loi sur les Indiens, L.C. (1985), ch. 27 (le « projet de loi C-31 »), a éliminé cette règle, ce qui a permis à Mme Moberly de recouvrer son statut. Mme Mitchell affirme qu’elle et sa mère sont alors devenues des membres inscrites de la Première Nation de Tallcree.

[3] Mme Mitchell soutient que le refus de Tallcree de la laisser voter constitue un acte visant à la priver d’un service habituellement destiné au public, fondé sur sa situation de famille, son sexe, son origine nationale ou ethnique et sa race. Elle soutient qu’il s’agit d’un acte discriminatoire aux termes de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »).

[4] Tallcree soutient que Mme Mitchell n’a jamais été une membre inscrite et que, de toute façon, la décision quant à l’appartenance n’est pas un service au sens de l’article 5 de la LCDP. Tallcree soutient également que Mme Mitchell ne figurait pas sur la liste des électeurs habiles à voter lors des élections de Tallcree parce qu’elle n’était pas inscrite sur la liste des membres visée par le code d’appartenance de Tallcree (le « code d’appartenance »). Plus important encore, l’intimé soutient que la question de l’appartenance à la Première Nation de Tallcree n’est pas assujettie à la LCDP. Tallcree fonde cette observation sur le Traité no 8, signé en 1899 par la Couronne et plusieurs nations autochtones installées sur le territoire couvert par le traité, la Loi constitutionnelle de 1867, la Loi constitutionnelle de 1982, la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte ») et de nombreux autres instruments constitutionnels. Tallcree a déposé un avis de question constitutionnelle dans la présente affaire et l’a signifié au procureur général du Canada et au procureur général de chaque province et territoire.

II. DÉCISION

[5] J’accueille en partie les demandes de la Commission.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[6] Voici les questions soulevées dans le cadre de la demande visant à obtenir une ordonnance de communication :

  • Dois-je trancher la question de la compétence soulevée par Tallcree avant de trancher la demande d’ordonnance de communication?
  • Sinon, les documents demandés sont-ils en la possession de Tallcree ou ont-ils déjà été communiqués?
  • Si oui, les documents demandés se rapportent-ils à une question ou à un fait invoqué dans la plainte, ou à une ordonnance sollicitée par une partie?

[7] Par ailleurs, je dois déterminer si Tallcree a déposé sa liste de documents dans la forme prescrite dans les Règles de pratique.

IV. ANALYSE

A. Dois-je trancher la question de la compétence avant de trancher la question de la communication?

[8] Le principal argument de Tallcree en réponse à la demande de la Commission visant l’obtention d’une ordonnance de communication est que le Tribunal n’a pas compétence pour instruire la plainte, parce que la décision quant à l’appartenance à ses effectifs ne relève pas du champ d’application de la LCDP. L’intimé soutient que je devrais d’abord statuer sur la question de la compétence et ne traiter de la demande visant l’obtention d’une ordonnance de communication que si je décide de ne pas rejeter sommairement la plainte.

[9] À l’appui de son argument relatif à la compétence, Tallcree fait remarquer que le Traité no 8 a été signé par des chefs et des conseillers, y compris Kuis Kuis Kow Ca Poohoo, conseiller pour les Tallcree, au nom de leurs peuples, tels qu’ils se définissaient et non tels qu’ils étaient définis par la Couronne. L’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 reconnaît et confirme les droits ancestraux et issus de traités. La reconnaissance des droits issus de traités inclut la reconnaissance des peuples qui ont conclu ces traités et de leur compétence sur la citoyenneté.

[10] Tallcree soutient qu’en réalité la plainte de Mme Mitchell porte sur une question constitutionnelle découlant du Traité no 8, de l’article 25 de la Charte et de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Il s’agit d’une question de droit qui concerne la portée de la compétence du Tribunal et qui doit être tranchée avant que la demande d’ordonnance de communication puisse être examinée.

[11] Tallcree affirme que, par l’intermédiaire du mécanisme décrit à l’article 10 de la Loi sur les Indiens, il décide seul de l’appartenance à ses effectifs depuis 1987. Selon Tallcree, le gouvernement du Canada n’a pas compétence en la matière. L’appartenance est une question qui dépasse la compétence législative du Parlement. Elle constitue un droit ancestral et issu de traités reconnu et confirmé par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. Dans ses observations, Tallcree souligne que l’article 25 de la Charte dispose que le fait que la Charte garantit certains droits « ne porte pas atteinte aux droits ou libertés — ancestraux, issus de traités ou autres — des peuples autochtones du Canada ».

[12] La LCDP s’applique aux questions « dans le champ de compétence du Parlement du Canada » (art. 2 de la LCDP). Tallcree soutient que ce champ de compétence ne s’étend pas à l’édiction de lois visant à déterminer qui sont ses citoyens, qui relève de la compétence de Tallcree et est protégée par l’article 25 de la Charte et l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982. À ce titre, Tallcree soutient qu’il s’agit d’une violation de ses droits ancestraux et issus de traités ainsi qu’à son droit à l’autonomie gouvernementale, droits qui sont protégés par l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982 et par l’article 25 de la Charte.

[13] Tallcree soutient que la Cour fédérale est le tribunal compétent pour entendre les contestations de Mme Mitchell concernant son appartenance aux effectifs de Tallcree et son droit de vote. Selon Tallcree, Mme Mitchell a déjà intenté des recours devant la Cour fédérale, mais elle a choisi de se désister des procédures.

[14] Je remarque que Tallcree a déjà présenté ces arguments constitutionnels et liés à la compétence dans son exposé des précisions. Comme je l’ai déjà indiqué, Tallcree estime que je devrais trancher la question de la compétence, à titre préliminaire, avant d’examiner la demande présentée par la Commission visant à obtenir une ordonnance de communication.

[15] Il ne fait aucun doute que le Tribunal a le pouvoir de déterminer s’il a compétence pour instruire une plainte donnée, puisqu’il a le pouvoir de trancher les questions de droit et les questions de fait dans les affaires dont il est saisi (par. 50(2) de la LCDP).

[16] En outre, le Tribunal peut, à l’étape préliminaire, trancher des questions susceptibles d’entraîner le rejet de la plainte sans tenir une audience complète sur le fond. Il n’est pas toujours tenu de procéder à une instruction complète comportant audition de témoins à l’égard de chacun des points soulevés par une plainte pour trancher des questions de fond (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445, au par. 119 [SSEFPNC]). Le Tribunal a le pouvoir d’établir la procédure à suivre pour parvenir promptement à une décision équitable et juste à l’égard de chaque plainte dont il est saisi. La nature de cette procédure peut varier d’un cas à l’autre, en fonction du genre de questions en cause (SSEFPNC, au par. 128).

[17] Au paragraphe 141 de la décision SSEFPNC, la Cour a fait remarquer que les affaires en matière de droits de la personne sont très fortement tributaires de faits qui leur sont propres, lesquels sont souvent vigoureusement contestés. Par conséquent, de nombreux cas mettent en jeu de graves questions de crédibilité. Plus les faits sont âprement contestés et plus les enjeux liés à des questions de crédibilité sont importants, moins il convient de traiter ces questions à l’étape préliminaire. En pareil cas, il pourrait bien être nécessaire d’entendre l’affaire au fond, ce qui implique l’audition de témoins en interrogatoire principal et en contre‑interrogatoire en présence d’un membre du Tribunal.

[18] Cela ne signifie pas que le Tribunal ne peut jamais trancher la question de la compétence à titre préliminaire. Il pourrait être approprié de le faire quand les faits ne sont pas contestés ou lorsque l’enjeu repose sur une pure question de droit (SSEFPNC, au par. 143).

[19] Aux paragraphes 145 et suivants de la décision SSEFPNC, la Cour fédérale a également mentionné qu’il peut s’avérer approprié pour le Tribunal de trancher une question vraiment distincte ou préliminaire sans tenir une instruction complète sur le fond de la plainte s’il devenait possible, en disposant de cette question, de restreindre les enjeux, de circonscrire les débats ou de régler l’affaire purement et simplement. Par exemple, la Cour a mentionné les affaires d’équité salariale, dont le Tribunal était fréquemment saisi à l’époque. L’instruction de ces affaires pouvait s’étendre sur deux ans et même plus. Dans ce cas, il serait logique de statuer en premier lieu sur une question susceptible de régler l’affaire avant de procéder à l’examen sur le fond de celle-ci. La Cour a souligné que le Tribunal devait examiner les faits et les questions qui lui sont présentés et déterminer la procédure qu’il convient de suivre dans le but de veiller à ce l’instruction se fasse sans formalisme et de façon expéditive dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique (par. 48.9(1) de la LCDP).

[20] La preuve à fournir sur le fond de la plainte déposée par Mme Mitchell ne semble pas aussi substantielle que dans l’exemple des affaires d’équité salariale. Selon les exposés des précisions des parties, seulement six témoins devraient être appelés. Par conséquent, je m’attends à ce que l’audience ne dure pas plus de deux semaines.

[21] Par ailleurs, je remarque qu’une grande partie des observations et de l’exposé des précisions de Tallcree relate des faits qui se rapportent aux actions ou aux omissions alléguées de Mme Mitchell en lien avec son appartenance à Tallcree, aux recours juridiques qu’elle a exercés et à d’autres faits connexes. Mme Mitchell et la Commission contestent toutes deux le récit et l’interprétation des faits par Tallcree.

[22] De plus, en raison de circonstances imprévues, la présente affaire est malheureusement demeurée pendant longtemps inactive au registre du Tribunal. En effet, suivant la nomination à la magistrature du membre initialement chargé de la gestion de l’affaire, le Tribunal n’a pas été en mesure de réattribuer le dossier jusqu’à récemment. Ce malencontreux retard fait pencher la balance en faveur de l’examen du fond de l’affaire plutôt que du traitement de la question de la compétence à titre préliminaire, ce qui exigerait que du temps et de l’énergie soient consacrés à une question qui, si elle n’aboutissait pas au rejet de la plainte, retarderait davantage l’audience sur le fond de la plainte.

[23] Je remarque également que Tallcree n’a pas allégué que la communication des documents demandés constituerait une tâche onéreuse qui risquerait d’entraîner un retard important dans l’instruction de la plainte. Au contraire, le fait de reporter la décision sur la demande d’ordonnance de communication pour traiter d’abord de la question de la compétence risque de retarder considérablement la procédure.

[24] Enfin, aux paragraphes 140 et 142 de la décision SSEFPNC, la Cour fédérale a indiqué que la compétence du Tribunal pour entendre des questions avant la tenue d’une instruction complète sur le fond devrait être exercée avec prudence, en particulier lorsque les questions de fait et de droit sont complexes et entremêlées. Le Tribunal ne devrait pas trancher les questions soulevées par Tallcree sur la base d’un dossier incomplet; il doit disposer du contexte factuel complet. La complexité des questions de compétence soulevées par Tallcree fait en sorte qu’il ne convient pas de les trancher à titre préliminaire. À mon avis, il est nécessaire d’entendre toute la preuve à cet égard.

[25] Je ne me prononcerai donc pas sur la question de la compétence soulevée par Tallcree à titre préliminaire. La question de la compétence ainsi que d’autres questions juridiques, comme l’argument de Tallcree selon lequel l’appartenance à ses effectifs n’est pas un « service » au sens de l’article 5 de la LCDP, seront examinées lors de l’instruction générale de la plainte.

[26] Je vais maintenant examiner la demande d’ordonnance de communication.

B. Les principes de la communication de la preuve

[27] Chaque partie doit fournir aux autres une liste des documents en leur possession relativement à un fait ou à une question soulevée dans la plainte, ou à une ordonnance sollicitée par une partie (al. 18(1)f), 19(1)e), et 20(1)e) des Règles de pratique). La liste doit indiquer les documents à l’égard desquels un privilège de non-divulgation est invoqué et pour quels motifs (par. 18(2), 19(2) et 20(2) des Règles de pratique). Chaque partie doit fournir aux autres une copie de tout document mentionné dans la liste à l’exception des documents à l’égard desquels un privilège de non-divulgation est invoqué (par. 23(1) des Règles de pratique).

[28] Aux paragraphes 4 à 10 de la décision sur requête Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, le Tribunal a énoncé les principes applicables à la communication de la preuve.

[29] L’obligation de communication qui incombe aux parties découle du droit que leur confère le paragraphe 50(1) de la LCDP d’avoir la possibilité pleine et entière de faire valoir leurs arguments. Cela signifie entre autres que tous les renseignements potentiellement pertinents qui sont en la possession ou sous la garde d’une partie soient communiqués aux autres parties avant l’audience. La communication de renseignements permet à chaque partie de savoir ce qui lui est reproché et, par conséquent, de se préparer adéquatement pour l’audience.

[30] La norme à satisfaire n’est pas particulièrement élevée pour la partie requérante. S’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par les parties, les renseignements doivent être communiqués. Toutefois, la demande de communication ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche ». Les documents demandés doivent être décrits de manière suffisamment précise.

[31] Le Tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de communication, dans la mesure où les exigences de la justice naturelle et les Règles de pratique sont respectées, afin d’assurer l’instruction informelle et expéditive de la plainte.

[32] Le Tribunal peut refuser d’ordonner la communication d’éléments de preuve lorsque la valeur probante de ces éléments de preuve ne l’emporte pas sur leur effet préjudiciable sur l’instance. Le Tribunal doit notamment faire preuve de prudence lorsque le fait d’ordonner la communication obligerait une partie à procéder à une recherche onéreuse et fort étendue de documents et risquerait d’entraîner un retard important dans l’instruction de la plainte, ou lorsque les documents ne se rapportent qu’à une question secondaire plutôt qu’aux principales questions en litige.

[33] Le fait que des renseignements potentiellement pertinents soient communiqués avant l’audience ne veut pas dire que ces renseignements seront admis en preuve ou qu’on leur accordera une importance significative au cours du processus décisionnel.

[34] De plus, étant donné que les Règles de pratique limitent l’obligation de communication d’une partie aux documents qu’elle « a en sa possession », le Tribunal ne peut ordonner à une partie de générer ou de créer de nouveaux documents aux fins de la communication.

[35] Je vais d’abord examiner les documents que Tallcree affirme avoir déjà communiqués ou ne pas avoir en sa possession, puis je traiterai des documents dont j’ordonne la communication.

C. Documents que Tallcree affirme avoir déjà communiqués ou ne pas avoir en sa possession

(i) Toutes les versions du code d’appartenance depuis 1987

[36] Tallcree affirme avoir communiqué à la Commission le seul code d’appartenance qui est en sa possession. Celui-ci a été fourni dans le cadre de la communication initiale de documents.

(ii) L’ensemble de la correspondance, des notes et des documents relatifs à l’inscription de Mme Mitchell en vertu de la Loi sur les Indiens

[37] Tallcree affirme avoir déjà produit le seul document en sa possession relatif à l’inscription de Mme Mitchell en vertu de la Loi sur les Indiens, à savoir une lettre du ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le « Ministère », aujourd’hui appelé le ministère des Affaires autochtones et du Nord) datée du 25 février 1986. Tallcree affirme n’avoir aucun autre document relatif à l’appartenance de Mme Mitchell.

(iii) L’ensemble de la correspondance, des notes et des documents relatifs à l’appartenance de Mme Mitchell à Tallcree de 1985 à aujourd’hui

[38] Tallcree affirme que les seuls documents qu’il a en sa possession sont ceux qui lui ont été fournis par les « Affaires indiennes » et qui ont déjà été produits.

(iv) L’ensemble de la correspondance, des notes et des documents relatifs à l’appartenance de Mme Moberly à la Première Nation de Tallcree

[39] Tallcree affirme que la lettre du Ministère rétablissant la mère de Mme Mitchell, Mme Moberly, sur la liste de bande de Tallcree a déjà été communiquée et qu’il n’a pas d’autres documents se rapportant à la question.

D. Documents à communiquer

[40] La Commission a demandé la communication des quatre groupes de documents suivants :

  • Toutes les listes des membres de la Première Nation de Tallcree depuis 1987;
  • L’ensemble de la correspondance, des notes et des documents relatifs aux changements apportés à la liste des membres de la Première Nation de Tallcree en vue des élections de 2018;
  • Le code électoral de Tallcree de 2013 et toutes les versions subséquentes;
  • L’ensemble de la correspondance, des notes et des documents relatifs à l’admissibilité de Mme Mitchell à voter aux élections de Tallcree depuis 1987, y compris toute liste d’électeurs admissibles sur laquelle figure le nom de Mme Mitchell.

(i) Est-ce que Tallcree a les documents en sa possession?

[41] Tallcree n’a pas nié être en possession des documents demandés.

(ii) Les documents se rapportent-ils à un fait ou à une question soulevée par l’une des parties?

[42] J’estime que tous les documents demandés se rapportent à des faits ou à des questions soulevées par Mme Mitchell et la Commission pour les raisons suivantes.

a) Premier groupe de documents (listes des membres)

[43] La Commission affirme, dans son exposé des précisions et dans sa réponse à l’exposé des précisions de l’intimé, que Tallcree a pris le contrôle de la liste de ses membres en 1987, lorsqu’elle a créé son code d’appartenance, conformément à l’article 10 de la Loi sur les Indiens. Le code d’appartenance prévoit que les noms des personnes qui figuraient sur la « liste de bande » tenue par le Ministère immédiatement avant l’entrée en vigueur des règles régissant l’adoption de ce code étaient inscrits sur la liste des membres de la Première Nation de Tallcree. Tallcree soutient que le nom de Mme Mitchell n’a pas été inscrit sur sa liste des membres.

[44] Mme Mitchell soutient que sa mère, Mme Moberly, a déposé une demande auprès du Ministère en 1985 et que celui-ci a ajouté les noms de Mme Moberly et de Mme Mitchell à sa liste de bande. Mme Mitchell affirme donc que son nom aurait dû être ajouté à la liste des membres de Tallcree à l’époque et y demeurer. Tallcree nie avoir reçu une demande pour faire ajouter le nom de Mme Mitchell à la liste de ses membres et, par conséquent, son nom n’y a jamais été ajouté.

[45] Compte tenu des allégations de Mme Mitchell relatives à son appartenance aux effectifs de Tallcree, j’estime que les listes des membres de Tallcree depuis 1987 (premier groupe de documents) sont pertinentes au regard des faits et des questions soulevées dans la plainte. La demande de communication ne constitue pas une partie de pêche, comme le prétend Tallcree.

b) Deuxième groupe de documents (documents relatifs aux modifications apportées à la liste des membres), troisième groupe de documents (code électoral de Tallcree) et quatrième groupe de documents (documents relatifs à l’admissibilité de Mme Mitchell à voter)

[46] En 2013, Tallcree a adopté un code électoral (le « code électoral de Tallcree »). Le code électoral de Tallcree définit les conditions d’admissibilité des électeurs et les procédures régissant la tenue d’élections. Mme Mitchell affirme avoir voté à toutes les élections de Tallcree jusqu’en 2018. Elle explique qu’en 2018, son nom a été retiré de la liste électorale et qu’elle n’a pas eu le droit de voter. Mme Mitchell prétend que plus de 400 personnes, dont elle, ont été retirées de la liste parce qu’elles n’étaient pas des membres « de naissance », étant seulement devenues membres après l’adoption du projet de loi C-31.

[47] J’estime que les troisième et quatrième groupes de documents sont potentiellement pertinents quant à ces allégations. La version originale ainsi que toutes les versions subséquentes du code électoral de Tallcree se rapportent clairement à la question du droit de vote, dont Mme Mitchell allègue avoir été privée. De même, l’ensemble de la correspondance, des notes et des autres documents concernant l’admissibilité de Mme Mitchell en tant qu’électrice depuis la date à laquelle Tallcree a pris le contrôle de la liste de ses membres, en 1987, jusqu’à l’élection de 2018, qui est en cause dans la présente affaire, sont pertinents.

[48] En ce qui concerne le deuxième groupe de documents, la Commission allègue que Tallcree a procédé à un examen de la liste des membres avant l’élection de 2018. Mme Mitchell croit que cet examen a entraîné son retrait de la liste des membres, ce qui a entraîné son retrait de la liste des électeurs admissibles. Elle allègue que des motifs discriminatoires ont contribué à ce résultat. Par conséquent, les modifications apportées à la liste des membres sont elles aussi potentiellement pertinentes.

[49] En conséquence, Tallcree doit communiquer les premier, deuxième, troisième et quatrième groupes de documents.

E. Listes de documents de Tallcree

[50] Chaque partie est tenue de fournir aux autres la liste des documents pertinents qu’il a en sa possession. L’exigence applicable aux intimés est énoncée à l’alinéa 20(1)e) des Règles de pratique, qui prévoit que l’intimé doit signifier aux autres parties et déposer auprès du Tribunal la liste des documents qu’il a en sa possession relativement à un fait ou à une question soulevée dans la plainte, ou à une ordonnance sollicitée par une partie. La liste doit indiquer les documents à l’égard desquels un privilège de non-divulgation est invoqué et pour quels motifs.

[51] En d’autres termes, l’intimé doit préparer une liste décrivant chaque document pertinent qu’il a en sa possession et, s’il estime que certains de ces documents sont protégés par un privilège de non-divulgation, il doit le préciser (par exemple au moyen d’un signe quelconque ou dans une colonne séparée) et indiquer le type de privilège invoqué. La liste doit décrire chaque document de façon suffisamment précise pour que les autres parties puissent comprendre en quoi il consiste.

[52] La Commission estime que Tallcree n’a pas respecté ces exigences en ce qui concerne ses listes de documents visés ou non par un privilège de non-divulgation.

(i) Liste des documents non visés par un privilège de non-divulgation

[53] La Commission a joint à sa requête des copies de la correspondance entre ses avocats et ceux de Tallcree, ainsi que les lettres du Tribunal résumant plusieurs conférences téléphoniques préparatoires qui traitaient de la communication de la preuve. La correspondance révèle que Tallcree envoyait des documents par courrier électronique, à la pièce, aux autres parties, parfois en réponse à des demandes de communication de documents précis. Tallcree a ainsi fourni plusieurs versions d’un document intitulé [traduction] « Liste à jour des documents visés ou non par un privilège de non-divulgation », dont la dernière est datée du 5 août 2022 (la « liste à jour »).

[54] La liste à jour contient une liste initiale de cinq documents ou catégories de documents (par exemple la version datée du 28 mars 2013 du code électoral de Tallcree, le code d’appartenance de Tallcree de 1987 et les rapports d’audit de 2002 à 2009), ainsi que deux sous-sections intitulées respectivement [traduction] « Décisions judiciaires et actes de procédure » (la « liste des décisions judiciaires » et [traduction] « Privilège relatif au litige et secret professionnel de l’avocat » (la « liste des documents visés par un privilège de non-divulgation »).

[55] La liste des décisions judiciaires est presque entièrement constituée de références à des décisions de la Cour fédérale, de la Cour d’appel fédérale, de la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta et d’un arbitre. Il y est également fait mention d’un affidavit déposé dans un des dossiers, ainsi que la liste des inscriptions enregistrées dans un des dossiers de la Cour fédérale. Ces inscriptions enregistrées proviennent vraisemblablement de la page Web de la Cour fédérale, où figurent toutes les inscriptions enregistrées pour le dossier en question. Le dernier document figurant dans la liste des décisions judiciaires est un formulaire qui a été déposé auprès de la Cour suprême du Canada.

[56] La Commission soutient que la liste de décisions judiciaires est incomplète, puisqu’elle ne comprend essentiellement que les décisions, et non les documents déposés dans chaque dossier. La Commission soutient que Tallcree ne produit que les documents qu’il croit avoir une valeur probante plutôt que ceux qui sont potentiellement pertinents quant aux questions soulevées dans la présente affaire, ce qui constitue le critère à appliquer pour la communication de documents selon les Règles de pratique.

[57] Tallcree répond que les décisions énumérées, qui sont des documents publics, sont pertinentes parce qu’elles démontrent comment Mme Mitchell et d’autres ont [traduction] « orchestré une campagne pour contester de manière inadéquate l’appartenance aux effectifs de Tallcree sans présenter de demande d’inscription à sa liste des membres ».

[58] Ces décisions judiciaires et arbitrales parlent probablement d’elles-mêmes en ce qui concerne la question que Tallcree estime pertinente dans le cadre de la plainte. La Commission semble soutenir que tous les documents procéduraux déposés dans ces affaires sont pertinents et doivent être inscrits sur la liste et communiqués.

[59] Compte tenu des renseignements dont je dispose, je ne trouve pas cet argument convaincant. La prétendue pertinence des décisions rendues dans ces affaires n’est qu’accessoire par rapport à la plainte. Je ne vois pas en quoi les actes de procédure qui ont pu être déposés dans ces autres dossiers, s’il s’agit bel et bien des documents dont la Commission demande la communication, peuvent être considérés comme étant potentiellement pertinents quant à la plainte dont je suis saisi. La demande a une portée considérable et s’apparente à une partie de pêche. Mes conclusions à ce sujet ne sont toutefois pas définitives. Des faits ou des renseignements pourraient être mis en lumière au cours du processus d’instruction de la plainte et révéler la pertinence potentielle des documents déposés dans le contexte de ces affaires. Je ne suis toutefois pas prêt, à ce moment-ci, à ordonner leur communication.

(ii) Liste des documents visés par un privilège de non-divulgation

[60] La liste des documents visés par un privilège de non-divulgation n’en est pas vraiment une. Il s’agit d’un paragraphe de trois lignes qui indique [traduction] « Dossiers visés par le secret professionnel de l’avocat et un privilège relatif au litige » suivi d’un renvoi à plusieurs des décisions mentionnées dans la liste des décisions judiciaires. La deuxième phrase du paragraphe est la suivante : [traduction] « Il y a une décision en attente; l’audience n’a pas encore été fixée dans le dossier QB 1803-05262. »

[61] Comme je l’ai déjà mentionné, il ne s’agit pas d’une liste. Aucun document précis n’y est décrit et le type de privilège invoqué à l’égard de chaque document n’est pas précisé.

[62] Dans sa réponse à la requête de la Commission, Tallcree fait référence à la jurisprudence soulignant l’importance du secret professionnel de l’avocat et au principe selon lequel les dispositions générales se rapportant à la production de documents ne s’appliquent pas aux documents visés par un privilège de non-divulgation.

[63] Toutefois, ces notions n’ont aucune incidence sur l’exigence prévue au paragraphe 20(2) des Règles de pratique. Cette disposition n’oblige pas les intimés à communiquer des documents visés par un privilège de non-divulgation; les intimés sont seulement tenus de décrire les documents potentiellement pertinents et le privilège de non-divulgation invoqué. L’existence d’un privilège ne dispense pas une partie de l’obligation de l’inclure dans sa liste de documents potentiellement pertinents.

[64] Je conclus donc que Tallcree n’a pas fourni de liste des documents à l’égard desquels un privilège de non-divulgation est invoqué, comme l’exige le paragraphe 20(2) des Règles de pratique.

V. ORDONNANCE

[65] J’accueille en partie les demandes de communication de la Commission. J’ordonne à Tallcree de communiquer les documents suivants :

  1. Toutes les listes de membres de la Première Nation de Tallcree depuis 1987;

  2. L’ensemble de la correspondance, des notes et des documents relatifs aux changements apportés à la liste des membres de la Première Nation de Tallcree en vue des élections de 2018;

  3. Le code électoral de Tallcree de 2013 et toutes les versions subséquentes;

  4. L’ensemble de la correspondance, des notes et des documents relatifs à l’admissibilité de Mme Mitchell à voter aux élections de Tallcree depuis 1987, y compris toute liste d’électeurs admissibles sur laquelle figure le nom de Mme Mitchell.

[66] J’ordonne à Tallcree de fournir une liste décrivant avec une précision raisonnable les documents à l’égard desquels un privilège de non-divulgation est invoqué et les motifs pour lesquels il est invoqué, conformément au paragraphe 20(2) des Règles de pratique.

[67] Les documents et les renseignements doivent être communiqués dans les 30 jours suivant la communication de la présente ordonnance à Tallcree.

Signée par

Athanasios Hadjis

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 4 juin 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T2662/3821

Intitulé de la cause : Wanita Mitchell c. Gouvernement tribal Tallcree

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 4 juin 2024

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Wanita Mitchell , pour la plaignante

Sophia Karantonis , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Priscilla Kennedy , pour l’intimé

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