Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Judith Iron (la plaignante) est une femme crie qui est retournée vivre dans la Première Nation des Cris de Canoe Lake (l’intimée) en 2017 pour quelques mois, puis de 2018 à 2021. Dans sa plainte, la plaignante affirmait que l’intimée l’avait discriminée en raison de son sexe, de son âge et de sa situation de famille. La plaignante affirme que l’intimée l’a discriminée lorsqu’elle lui a refusé du financement pour ses études et l’a empêchée d’assister à une rencontre annuelle des aînés pendant le temps des Fêtes (article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP)). Elle soutient également que l’intimée lui a refusé un logement (article 6 de la LCDP). De plus, la plaignante croit que l’intimée a exercé des représailles contre elle en l’empêchant d’assister à la rencontre annuelle et en retirant son nom de la liste d’attente pour un logement (article 14.1 de la LCDP).

Le Tribunal a rejeté la plainte, car la plaignante n’a pas prouvé que l’intimée l’avait discriminée ou avait exercé des représailles contre elle à cause de la plainte pour atteinte aux droits de la personne.

Concernant le financement des études, le Tribunal a constaté que la plaignante avait changé de statut de priorité lorsqu’elle a interrompu ses études pour travailler, passant d’« étudiante poursuivant ses études sans interruption » à « étudiante retournant aux études ». Par ailleurs, la plaignante n’a pas non plus fourni de preuves liées au motif prévu à l’article 3 de la LCDP, lequel était la base de la discrimination.

À l’égard de la rencontre annuelle, le Tribunal a conclu que l’intimée offrait un service aux aînés de 60 ans et plus qui résidaient à Canoe Lake. La limite d’âge était une façon de s’assurer que le service était fourni au groupe visé. La plaignante avait 49 ans à l’époque et ne faisait donc pas partie du groupe auquel l’intimée fournissait ce service. La plaignante n’a pas démontré que l’intimée lui avait refusé le service en raison d’un motif discriminatoire.

Concernant le refus de logement, le Tribunal a indiqué qu’il n’avait reçu aucune preuve montrant que l’intimée avait fourni un logement aux résidents de Canoe Lake pendant que la plaignante y résidait. Sans preuve sur la disponibilité d’un logement, le Tribunal ne pouvait alors pas conclure que la plaignante s’était vue refuser un logement pour un motif discriminatoire.

Enfin, le Tribunal a aussi conclu que la plaignante n’avait pas démontré que l’intimée avait exercé des représailles à son égard. Sa plainte pour atteinte aux droits de la personne avait été déposée après la rencontre annuelle à laquelle elle n’était pas autorisée à assister. Concernant la liste d’attente pour un logement, la preuve a montré que le nom de la plaignante avait peut-être été retiré de la liste de 2020 parce qu’elle n’avait pas présenté de demande de logement en 2019. La plaignante n’a pas prouvé qu’il était plus probable qu’improbable que son nom avait été retiré en raison de sa plainte pour atteinte aux droits de la personne.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 81

Date : Le 10 mai 2024

Numéro du dossier : T2718/9421

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Judith Iron

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Première Nation crie de Canoe Lake

la partie intimée

Décision

Membre : Colleen Harrington

 



I. Contexte

[1] La plaignante dans la présente affaire, Judith Iron, est une kokum (grand-mère) crie. Elle est membre de la Première Nation crie de Canoe Lake (la « Canoe Lake »), l’intimée. Canoe Lake, qui se situe sur le territoire traditionnel de chasse des Cris de Woodland, est membre du conseil tribal de Meadow Lake. Elle est dirigée par un chef et des conseillers et compte environ 2 900 membres dans les réserves et hors des réserves.

[2] Mme Iron est née dans Canoe Lake et y a vécu jusqu’à l’âge de sept ans, lorsqu’elle a déménagé à Saskatoon. Elle est retournée dans Canoe Lake en 2017 et y est restée pendant quelques mois. Elle y est ensuite retournée de 2018 à 2021. À la date de l’audience, Mme Iron était âgée de 53 ans et était célibataire. Elle a cinq enfants adultes et sept petits-enfants.

[3] En mars 2019, Mme Iron a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »), alléguant que le chef et les conseillers de Canoe Lake faisaient preuve de discrimination à son égard, au sens des articles 5, 6 et 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »), depuis deux ans. À la suite d’un examen, la Commission a renvoyé la plainte de Mme Iron au Tribunal pour instruction. La Commission a participé à l’audience à titre de partie distincte.

[4] Mme Iron allègue que Canoe Lake a fait preuve de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite à son égard, au sens de l’article 5 de la LCDP, lorsqu’elle a refusé de lui accorder un financement pour ses études postsecondaires. Elle affirme également que Canoe Lake a fait preuve de discrimination fondée sur l’âge à son égard lorsqu’elle a refusé qu’elle assiste à une partie du rassemblement des Fêtes annuel des Aînés (le « rassemblement annuel »).

[5] Elle allègue également que Canoe Lake l’a privée d’un logement dans la communauté en raison de son âge et de sa situation de famille, ce qui constitue un acte discriminatoire aux termes de l’article 6 de la LCDP. Mme Iron affirme également que la Canoe Lake a exercé des représailles contre elle au sens de l’article 14.1 de la LCDP, parce qu’elle avait déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne, en radiant son nom de la liste d’attente pour un logement et en ne lui permettant pas d’assister au rassemblement annuel.

[6] Canoe Lake nie avoir fait preuve de discrimination ou avoir exercé des représailles à l’égard de Mme Iron et demande au Tribunal de rejeter la plainte de Mme Iron.

II. Décision

[7] Je rejette la plainte de Mme Iron contre Canoe Lake parce qu’elle n’a pas établi qu’elle a été victime de discrimination fondée sur l’âge ou la situation de famille à l’occasion de la fourniture d’un service ou d’un logement ou qu’elle a fait l’objet de représailles pour avoir déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne.

III. Questions en litige

[8] Dans la présente affaire, je dois trancher les questions suivantes :

  • (i)fondée sur un motif distinction illicite lorsqu’elle a refusé de lui accorder un financement pour ses études postsecondaires pendant une certaine période;

  • (ii)fondée sur l’âge lorsqu’elle a refusé qu’elle assiste à une partie du rassemblement annuel parce qu’elle était âgée de moins de 60 ans?

IV. Cadre juridique

[9] L’alinéa 5a) de la LCDP, qui s’applique à la plainte de Mme Iron, prévoit que le fait de priver un individu de services « destinés au public », s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, constitue un acte discriminatoire.

[10] L’article 6 de la LCDP prévoit que le fait a) de priver un individu de l’occupation d’un logement ou b) de le défavoriser à l’occasion de la fourniture d’un logement, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, constitue un acte discriminatoire.

[11] Pour établir que Canoe Lake a commis un acte discriminatoire au sens des articles 5 ou 6 de la LCDP, Mme Iron doit établir une « preuve prima facie » de discrimination (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 [O’Malley]). Une preuve prima facie est une preuve « […] qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de […] [l’]intimé » (O’Malley, au par. 28).

[12] Pour établir une preuve prima facie de discrimination sur le fondement de l’article 5 ou de l’article 6 de la LCDP, Mme Iron doit établir ce qui suit :

1) elle possède une ou des caractéristiques protégées par la LCDP contre la discrimination;

2) elle a été privée d’un service destiné au public ou de l’occupation d’un logement, ou a subi un effet préjudiciable relativement à la fourniture d’un service ou d’un logement par l’intimée;

3) la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable ou du refus (Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 33).

[13] Pour établir le troisième élément du critère de la discrimination prima facie, la plaignante doit démontrer qu’il existe un lien entre les deux premiers éléments. Il n’est pas nécessaire que la caractéristique protégée soit le seul facteur de l’effet préjudiciable ou du refus, et il n’est pas nécessaire non plus d’établir l’existence d’un lien de causalité ou d’une intention de discriminer.

[14] Une preuve prima facie de discrimination doit être établie selon la prépondérance des probabilités, ce qui signifie que le Tribunal doit conclure qu’il est plus probable qu’improbable que les faits se sont déroulés comme le plaignant l’a allégué.

[15] L’intimé peut présenter soit des éléments de preuve réfutant les allégations de discrimination, soit un moyen de défense légal justifiant la discrimination, ou les deux (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 [Bombardier], au par. 64). Lorsque l’intimé réfute l’allégation de discrimination, il doit fournir une explication raisonnable, qui ne peut constituer un « prétexte » ou une excuse pour dissimuler l’acte discriminatoire (Moffat c. Davey Cartage Co. (1973) Ltd., 2015 TCDP 5, au par. 38).

[16] Si l’intimé n’établit pas de justification, la preuve de ces trois éléments selon la prépondérance des probabilités sera suffisante pour permettre au Tribunal de conclure à la violation de la LCDP (Bombardier, au par. 64).

[17] Dans sa réponse aux allégations de discrimination fondée sur les articles 5 et 6 de la LCDP formulées par Mme Iron, Canoe Lake a présenté des éléments de preuve et des arguments pour réfuter ces allégations. Par conséquent, la tâche du Tribunal consiste à examiner l’ensemble des éléments de preuve et des arguments présentés par les parties pour déterminer si Mme Iron a établi les trois éléments d’un acte discriminatoire selon la prépondérance des probabilités (voir Bombardier, aux par. 56 et 64; voir aussi Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2 [Société de soutien 2016], au par. 27).

[18] En ce qui concerne l’allégation de représailles fondée sur l’article 14.1 de la LCDP formulée par Mme Iron, je tiens à souligner que les plaintes de représailles sont fondées sur le fait qu’une plainte pour atteinte aux droits de la personne a été déposée, plutôt que sur un motif de distinction illicite. Il incombe au plaignant d’établir une preuve prima facie de représailles en montrant, selon la prépondérance des probabilités :

  • 1)qu’il a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne en vertu de la LCDP;

  • 2)qu’il a subi, par suite du dépôt de sa plainte, un effet préjudiciable de la part de la personne contre qui il a déposé la plainte ou de quiconque agissant en son nom;

  • 3)que la plainte pour atteinte aux droits de la personne a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (voir Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2015 TCDP 14 [Société de soutien 2015], au par. 5).

[19] En ce qui concerne le troisième élément, le plaignant doit établir un lien entre le dépôt de la plainte et le traitement défavorable dont il a fait l’objet par suite du dépôt de la plainte. Si ce lien n’est pas démontré de manière complète et suffisante, le plaignant ne se sera pas acquitté du fardeau de la preuve. Il n’est pas nécessaire qu’il y ait un lien de causalité, et il n’est pas nécessaire que la plainte antérieure soit la seule raison du traitement défavorable. Il n’est pas non plus nécessaire d’établir l’existence d’une intention d’exercer des représailles, et le Tribunal peut se fonder sur la perception raisonnable d’un plaignant que l’acte constituait des représailles pour avoir déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne (voir Première Nation Millbrook c. Tabor, 2016 CF 894, aux par. 63 et 64).

[20] L’intimé peut présenter des éléments de preuve pour réfuter l’allégation de représailles prima facie, mais son explication doit être raisonnable et ne pas constituer un prétexte. Canoe Lake soutient que les allégations de représailles de Mme Iron sont sans fondement et demande qu’elles soient rejetées.

V. Analyse

A. Première question en litige : Mme Iron a-t-elle été victime de discrimination à l’occasion de la fourniture de services, au sens de l’article 5 de la LCDP?

[21] Non, Mme Iron n’a pas établi que Canoe Lake a fait preuve de discrimination à son égard aux termes de l’article 5 de la LCDP lorsqu’elle a refusé de lui accorder un financement pour ses études postsecondaires pour l’année scolaire 2017-2018 ou lorsqu’elle a refusé qu’elle assiste à une partie du rassemblement annuel de décembre 2018.

(i) Canoe Lake n’a pas fait preuve de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite à l’égard de Mme Iron, au sens de l’article 5 de la LCDP, lorsqu’elle a refusé de lui accorder un financement pour l’année scolaire 2017-2018

[22] Mme Iron a déclaré dans son témoignage qu’elle étudiait à l’université et que la Canoe Lake avait financé ses études postsecondaires de 2014 jusqu’à l’hiver 2016. À l’hiver 2016, elle a quitté l’école pour commencer à travailler au bureau urbain de Canoe Lake. En interrompant ses études, elle a perdu son statut d’étudiante permanente.

[23] Mme Iron a présenté une nouvelle demande de financement en vue de reprendre ses cours à l’automne 2017, mais sa demande a été rejetée par Canoe Lake. Canoe Lake a expliqué à Mme Iron que sa demande avait été rejetée, parce que, comme Canoe Lake recevait de Services aux Autochtones Canada un financement limité pour les études postsecondaires, elle avait établi des catégories pour déterminer les étudiants qui recevraient un financement chaque année. Cette explication a été confirmée par la preuve présentée par Canoe Lake à l’audience.

[24] Selon le témoignage de Wilfred Iron, le conseiller de la bande de Canoe Lake chargé du portefeuille de l’éducation, bien qu’il y ait plus de demandeurs que de fonds provenant de Services aux Autochtones Canada, Canoe Lake tente d’aider le plus d’étudiants possible. Les catégories utilisées à l’été 2017 par Canoe Lake pour décider à qui accorder la priorité pour le financement étaient énoncées dans sa politique sur le programme de soutien aux étudiants postsecondaires (la « politique sur le PSEPS »). Dans cette politique, la priorité est accordée aux étudiants qui poursuivent leurs études (de façon ininterrompue, contrairement à Mme Iron), puis aux jeunes qui viennent de terminer leur 12ᵉ année et enfin aux étudiants qui reprennent leurs études. À l’automne 2017, Mme Iron était considérée comme une étudiante qui reprenait ses études, parce qu’elle avait interrompu ses cours pour occuper un emploi en décembre 2016.

[25] Comme il est indiqué dans la politique sur le PSEPS, toutes les demandes de financement des études postsecondaires doivent être reçues au plus tard le 30 juin de chaque année. Selon les éléments de preuve présentés par Canoe Lake, une liste est alors dressée de tous les demandeurs et du financement qu’ils demandent, qui peut comprendre les frais de scolarité et le coût des manuels scolaires, ainsi que les frais de subsistance et de déplacement. La compilation des renseignements tirés des demandes et la formulation de recommandations quant à savoir qui devrait bénéficier d’un financement sont des tâches administratives accomplies par le coordinateur du financement des études postsecondaires et d’autres membres du personnel de Canoe Lake. La décision finale concernant l’attribution des fonds est ensuite prise par le chef et les conseillers.

[26] Selon le témoignage de l’ancienne coordonnatrice du financement des études postsecondaires de Canoe Lake, Mme Kennedy, conformément à la politique sur le PSEPS, le demandeur qui a interrompu ses études et qui présenterait une nouvelle demande de financement l’année scolaire suivante figurerait au bas de la liste de priorités pour le financement des études. C’est la situation dans laquelle se trouvait Mme Iron lorsqu’elle a présenté une nouvelle demande de financement à l’été et à l’automne 2017.

[27] Dans son témoignage, Mme Iron a affirmé qu’elle avait compris à la fin de 2016 que, en commençant à travailler au bureau urbain de Canoe Lake à Saskatoon, elle ne pourrait pas continuer de recevoir un financement destiné à l’éducation. Elle a indiqué qu’elle avait choisi de suspendre ses études afin de se concentrer sur son emploi. Elle n’a pas reçu de financement en 2017, parce qu’elle avait perdu son statut prioritaire en tant qu’étudiante poursuivant ses études et qu’elle était plutôt considérée comme une étudiante reprenant ses études, conformément à la politique sur le PSEPS de Canoe Lake.

[28] Mme Iron allègue que Canoe Lake ne lui a pas fourni de financement pour lui permettre de poursuivre ses études universitaires en 2017-2018 pour un motif discriminatoire. Il s’agit selon elle d’un acte discriminatoire au sens de l’article 5 de la LCDP. La Commission et Canoe Lake soutiennent que Mme Iron n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination en ce qui concerne les allégations de refus de financement destiné à l’éducation. Je suis du même avis.

[29] Même si Canoe Lake avait traité Mme Iron de manière préjudiciable ou défavorable en [traduction] « [lui] refusant pendant plusieurs années à compter de 2017 l’accès à un financement public pour poursuivre [ses] études, puis en [lui] disant [qu’elle] peut aller à l’université et en refusant de financer [ses] études, [lui] laissant des frais de scolarité importants à payer », comme elle l’a déclaré dans ses observations finales – ce que la Canoe Lake a nié –, elle n’a pas établi qu’une caractéristique protégée par la LCDP avait constitué un facteur dans le traitement défavorable qu’elle allègue avoir subi. Mme Iron n’a jamais clairement allégué dans sa plainte, dans son exposé des précisions, dans son témoignage à l’audience ou dans ses observations finales qu’elle avait été victime à cet égard de discrimination fondée sur un motif illicite aux termes de l’article 3 de la LCDP. Il s’agit là d’un élément nécessaire pour établir une preuve prima facie de discrimination sous le régime de la LCDP.

[30] Je suis d’accord avec la Commission et Canoe Lake pour dire que Mme Iron n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination en ce qui concerne le refus de lui accorder un financement pour l’année scolaire 2017-2018, et je rejette donc cette partie de sa plainte.

(ii) Canoe Lake n’a pas fait preuve de discrimination fondée sur l’âge à l’égard de Mme Iron, au sens de l’article 5 de la LCDP, lorsqu’elle a refusé qu’elle assiste à une partie du rassemblement annuel

[31] Mme Iron a déclaré qu’elle était membre du groupe de kokums, de mushooms et de chapans de Canoe Lake (le « groupe de KMC ») lorsqu’elle habitait dans Canoe Lake. Il s’agit d’un groupe formé de grands-mères, de grands-pères et d’arrière-grands-parents de la communauté. Le groupe de KMC se réunit tous les mois. Dans sa plainte pour atteinte aux droits de la personne, Mme Iron affirme que les membres du groupe de KMC [traduction] « sont souvent appelés des Aînés ». Dans sa plainte, elle a écrit que, parce qu’elle est grand-mère et qu’elle a assisté à des réunions du groupe de KMC pendant deux ans, elle était une Aînée.

[32] Les éléments de preuve présentés au Tribunal montrent que le terme « Aîné » est utilisé dans différents contextes au sein de Canoe Lake. D’une part, le terme est utilisé dans un sens plus traditionnel pour décrire une personne qui est respectée dans la communauté et qui offre un leadership et des conseils aux autres. Dans ce sens, l’âge n’est pas nécessairement important. D’autre part, le terme est utilisé dans un sens qu’on pourrait considérer comme plus pratique ou administratif. Dans ce sens, le terme s’applique à partir d’un certain âge et sert à déterminer l’admissibilité à certains services et avantages qui peuvent entraîner des coûts pour Canoe Lake.

[33] Les éléments de preuve dont dispose le Tribunal montrent que Canoe Lake offre divers avantages fondés sur l’âge à ses membres. Par exemple, le procès-verbal d’une réunion du chef et des conseillers tenue en 2016 indique ce qui suit : [traduction] « Aînés – Pour être admissibles, les aînés doivent être membres de la bande et âgés de 60 ans. Les Aînés recevront 500 $ chacun. Discussion sur la façon de payer les aînés. Aucune décision ». Le procès-verbal ne précise pas ce à quoi se rapporte cette prestation particulière de 500 $. Le procès-verbal de la réunion du chef et des conseillers d’octobre 2018 fait état d’une prestation de 500 $ pour [traduction] « Propane pour Aînés âgés de 65 ans et plus ». Le procès-verbal d’une réunion du chef et des conseillers de novembre 2019 indique que le rassemblement annuel aura lieu du 20 au 22 décembre 2019 et que les Aînés de 60 ans et plus habitant dans les réserves sont invités à y assister.

[34] Il ressort des éléments de preuve qu’il n’existe aucune exigence d’âge pour être membre du groupe de KMC de Canoe Lake. Certains grands-parents ont 40 ans, tandis que d’autres sont beaucoup plus âgés. Selon les éléments de preuve présentés par Canoe Lake, un certain nombre de membres de la communauté âgés de plus de 60 ans assistent aux réunions du groupe de KMC, qu’ils soient grands-parents ou non, parce que bon nombre de questions importantes pour les Aînés y font l’objet d’une discussion. Toutefois, aucun des éléments de preuve présentés à l’audience par Mme Iron ou par Canoe Lake n’étaye l’affirmation de Mme Iron selon laquelle tous les membres du groupe de KMC, ou tous les grands-parents de Canoe Lake, sont considérés comme des Aînés dans le sens traditionnel ou administratif du terme. Le simple fait d’être membre du groupe de KMC ne confère pas le statut d’Aîné, peu importe le sens donné à ce terme.

[35] Bernice Iron, la conseillère de la bande de Canoe Lake chargée des portefeuilles de la santé et des Aînés, a déclaré dans son témoignage qu’elle était chargée de toutes les questions relatives aux Aînés dans la communauté. Elle a affirmé qu’une partie importante de son rôle de conseillère consistait à tenir à jour la liste des membres de Canoe Lake âgés de 60 ans et plus. Elle assistait aux réunions mensuelles du groupe de KMC, au cours desquelles les membres du groupe discutaient de questions et de préoccupations importantes pour eux, ainsi que des activités à venir. Un Aîné servant de mentor présidait ces réunions mensuelles, qui avaient lieu dans les locaux du conseil, et un employé de Canoe Lake rédigeait le procès-verbal des réunions.

[36] L’une des tâches du groupe de KMC consiste à planifier le rassemblement annuel. Bernice Iron a affirmé que le rassemblement annuel avait lieu depuis au moins huit ans et qu’il avait toujours été destiné aux membres de Canoe Lake âgés de 60 ans et plus. Elle a déclaré dans son témoignage que ce sont les Aînés eux-mêmes, en collaboration avec le chef et les conseillers, qui avaient fixé l’exigence relative à l’âge.

[37] Selon le témoignage de Bernice Iron, les Aînés de la communauté participent à la planification du rassemblement annuel et à l’établissement de l’ordre du jour, alors qu’elle, en sa qualité d’agente de liaison entre le chef et les conseillers et les Aînés, s’occupe de l’organisation et de la réalisation de l’événement, qui est payé par Canoe Lake.

[38] Bernice Iron a affirmé que Canoe Lake demande des subventions pour aider à couvrir les coûts du rassemblement annuel, y compris les frais de déplacement et de logement pour les Aînés à l’endroit de leur choix, habituellement à Prince Albert, en Saskatchewan. Même si la plupart des activités et des événements du rassemblement annuel sont destinés aux personnes âgées de 60 ans et plus, un banquet est organisé le deuxième soir auquel les membres de la famille plus jeunes sont également conviés.

[39] La plainte pour atteinte aux droits de la personne de Mme Iron découle du fait qu’on lui a demandé de quitter le rassemblement annuel en décembre 2018, alors qu’elle avait 49 ans, parce qu’elle ne satisfaisait pas à l’exigence relative à l’âge de 60 ans. Il ressort de la preuve que, lors d’une réunion de groupe de KMC tenue le 6 décembre 2018, que Mme Iron a enregistrée, elle a été autorisée à amener son père et deux autres personnes au rassemblement à Prince Albert plus tard au cours du mois. Elle déclare dans l’enregistrement que son père souhaitait qu’elle y assiste pour qu’elle puisse s’occuper de lui. Dans sa plainte, Mme Iron indique que la raison pour laquelle elle assistait au rassemblement annuel était [traduction] « pour conduire les aînés et pour assurer la sécurité de [son] père et lui prodiguer des soins ». Lors de la réunion du 6 décembre 2018 du groupe de KMC, Bernice Iron a autorisé Mme Iron à partager la chambre d’hôtel de son père pendant le rassemblement annuel.

[40] Selon le témoignage de Mme Iron, qui n’a pas été contesté, lorsque son père et elle sont arrivés au rassemblement annuel, le 21 décembre 2018, Bernice Iron et un représentant du conseil tribal de Meadow Lake lui ont demandé de sortir de la salle. Mme Iron a enregistré l’échange. Bernice Iron a dit à Mme Iron qu’elle ne pouvait pas rester dans la salle parce qu’elle n’avait pas 60 ans et qu’elle n’avait aucune raison d’y être. Elle lui a aussi dit qu’elle n’était pas la bienvenue en raison de ce qu’elle avait écrit sur Facebook.

[41] Bernice Iron parlait ici de la page Facebook de Mme Iron, appelée « Blackstone CLCC ». CLCC signifie « Canoe Lake Concerned Citizens » ou « citoyens préoccupés de Canoe Lake ». En septembre 2018, Mme Iron a publié un message intitulé [traduction] « Qu’est-ce qu’un aîné ou QUI est un aîné? » dans lequel elle a écrit que [traduction] « le chef et les conseillers se sont servis de membres de leur famille et de marionnettes avides de profits comme aînés pour tenter de prendre des décisions pour nous, prétendant ensuite qu’ils “avaient l’appui” de certains “aînés respectés” […] les agresseurs d’enfants, les voleurs et les joueurs compulsifs NE méritent PAS le statut d’“AÎNÉ” ». Elle a ajouté que [traduction] « ce ne sont pas toutes les personnes âgées qui méritent ce titre. Ce n’est pas parce qu’une personne a plus de 65 ans qu’elle est un “aîné” ». Elle a énoncé les qualités que les Aînés devraient et ne devraient pas avoir et a expliqué qu’il fallait [traduction] « trouver ce groupe de vrais “Aînés” et leur parler de ce qui se passe dernièrement, parce que les vrais Aînés ne permettraient pas au chef et aux conseillers de faire ce qu’ils font à leur propre peuple […] ».

[42] Le Tribunal a entendu des témoignages selon lesquels plusieurs Aînés étaient contrariés par ce que Mme Iron avait publié sur sa page Facebook, avaient imprimé les messages et en avaient remis une copie à Bernice Iron. Bien qu’elle ait fait référence aux messages publiés par Mme Iron sur Facebook, Bernice Iron a clairement dit que Mme Iron n’était pas autorisée à assister à la partie du rassemblement annuel réservée aux Aînés en raison de son âge. Elle a déclaré dans son témoignage qu’au moins deux autres personnes avaient également été priées de quitter la salle au même moment parce qu’elles étaient âgées de moins de 60 ans.

[43] Même si Mme Iron a allégué avoir été victime de discrimination fondée sur l’âge et la situation de famille en ce qui concerne le rassemblement annuel, elle n’a fourni aucun élément de preuve concernant le motif de la situation de famille. Par conséquent, je n’examinerai que le motif protégé de l’âge en ce qui concerne l’allégation relative au rassemblement annuel. Je fais toutefois remarquer que la preuve de Mme Iron et les questions qu’elle a posées en contre-interrogatoire, ainsi que ses observations finales, ont principalement porté sur la façon dont ses messages et ses activités de défense des intérêts, ainsi que d’autres facteurs qui ne sont pas protégés par la LCDP, ont pu mener à son exclusion du rassemblement annuel. J’examinerai la question de savoir si Mme Iron a satisfait aux exigences du critère de la preuve prima facie de discrimination fondée sur l’âge parce que la Commission a renvoyé cette plainte au Tribunal pour instruction.

[44] La Commission est d’avis que Mme Iron a établi une preuve prima facie de discrimination parce qu’on lui a demandé de quitter la partie du rassemblement annuel réservée aux Aînés, au motif qu’elle ne satisfaisait pas à l’exigence relative à l’âge pour être considérée comme une Aînée de Canoe Lake. Elle affirme que, comme la discrimination prima facie a été établie, il incombe à Canoe Lake d’établir qu’il existe une autre explication entièrement non discriminatoire quant à la façon dont Mme Iron a été traitée.

[45] Canoe Lake nie avoir fait preuve de discrimination à l’égard de Mme Iron relativement au rassemblement annuel. Elle précise qu’on ne lui a pas demandé de quitter la partie du rassemblement annuel à laquelle les membres de la famille étaient conviés. On lui a simplement demandé de quitter la réunion parce qu’elle n’avait pas encore 60 ans et qu’elle ne satisfaisait donc pas à l’exigence relative à l’âge pour y assister. Canoe Lake nie également que la réunion était un service destiné au public au sens de l’article 5 de la LCDP. Elle soutient que Mme Iron ne peut établir une preuve prima facie de discrimination en ce qui concerne l’allégation relative au rassemblement annuel parce qu’elle n’a pas établi tous les éléments du critère selon la prépondérance des probabilités.

[46] Je suis d’avis que la question de savoir ce qui constitue le service « destin[é] au public » pour l’application de l’article 5 de la LCDP doit être tranchée avant que le Tribunal n’applique le critère de discrimination prima facie dans la présente affaire. Si Mme Iron peut établir que Canoe Lake a participé à la prestation d’un service auquel elle avait droit, elle doit alors démontrer que Canoe Lake l’a privée de ce service pour un motif de distinction illicite (Société de soutien 2016, au par. 24).

a) Quel est le service destiné au public au sens de l’article 5 de la LCDP offert par Canoe Lake?

[47] Selon le libellé de l’article 5 de la LCDP, le plaignant doit établir que l’acte discriminatoire reproché a trait à la prestation d’un service « destin[é] au public ». Canoe Lake soutient que la partie du rassemblement annuel dont Mme Iron a été exclue en raison de son âge ne satisfait pas aux exigences de l’article 5 de la LCDP parce qu’il ne s’agissait pas d’un événement ouvert au public. Il s’agissait plutôt d’un événement destiné aux Aînés âgés de plus de 60 ans.

[48] J’appliquerai l’analyse en deux étapes établie par le Tribunal pour déterminer quel est le service destiné au public dont Canoe Lake a privé Mme Iron. En premier lieu, je dois déterminer quel service l’intimée offrait en fonction des faits portés à la connaissance du Tribunal (Société de soutien 2016, au par. 30, et Gould c. Yukon Order of Pioneers, 1996 CanLII 231 (CSC) [Gould], le juge La Forest, au par. 68). En deuxième lieu, je dois déterminer si le service crée une relation publique entre le fournisseur et l’utilisateur du service (Société de soutien 2016, au par. 31, et Gould, le juge La Forest, au par. 68).

  • i)Quel est le service offert par Canoe Lake?

[49] Pour déterminer si quelque chose constitue un service pour l’application de l’article 5 de la LCDP, le Tribunal doit examiner quel avantage ou quelle aide est « mis à la disposition » du public ou « offert » au public (voir Watkin c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 170, au par. 31; Gould, le juge La Forest, au par. 55).

[50] Selon les éléments de preuve dont dispose le Tribunal, Canoe Lake organise un rassemblement annuel en décembre depuis plusieurs années. L’événement est appelé le [traduction] « rassemblement des Fêtes annuel des Aînés » dans la politique sur les avantages offerts aux Aînés de Canoe Lake de décembre 2021.

[51] Bernice Iron a expliqué que le rassemblement annuel est planifié par et pour les résidents de Canoe Lake âgés de 60 ans ou plus et qu’il est payé par la Première Nation. Elle a précisé qu’une grande partie de la planification se fait lors des réunions du groupe de KMC, car il s’agit d’un groupe qui réunit régulièrement les Aînés, pour qui le rassemblement annuel est organisé. Elle a témoigné au sujet du rassemblement annuel de 2018 à Prince Albert, dans le cadre duquel différentes activités ont été organisées sur une période de deux jours.

[52] Le premier jour du rassemblement annuel, soit le 21 décembre 2018, les gens se sont rendus à Prince Albert. Même si Canoe Lake offrait aux Aînés un moyen de transport pour se rendre au rassemblement annuel, certains, comme le père de la plaignante, ont choisi de voyager seuls ou avec des membres de leur famille.

[53] Bernice Iron a affirmé que le premier jour du rassemblement annuel, qui a commencé vers 14 h, était réservé aux Aînés, c’est-à-dire aux personnes âgées d’au moins 60 ans. Il y a eu une table ronde, suivie d’activités et d’un souper. Le deuxième jour du rassemblement annuel, soit le 22 décembre 2018, les activités ont débuté vers 10 h. La première partie de la journée était encore une fois réservée aux Aînés de 60 ans et plus. Ce jour-là, il y a eu des présentations, un compte rendu de la table ronde de la veille, ainsi que des discussions entre les Aînés sur des sujets qui leur tiennent à cœur. Le deuxième soir, un banquet était organisé pour les Aînés et les membres de leur famille qui les accompagnaient. Puisque Noël approchait, le père Noël a fait une apparition et tous les Aînés ont reçu un cadeau.

[54] Bernice Iron a assisté à toutes les activités du rassemblement annuel en tant qu’agente de liaison afin de pouvoir rendre compte au chef et aux conseillers des questions importantes soulevées par les Aînés de Canoe Lake.

[55] Bernice Iron a affirmé que le rassemblement annuel permet aux Aînés de se réunir et de discuter de questions qui leur tiennent à cœur, comme les traités, la maltraitance des aînés, les procurations, les enfants, les gangs ou les activités liées à la drogue dans la communauté, leur expérience dans les pensionnats ou d’autres sujets. Le rassemblement annuel est également l’occasion pour les Aînés de recevoir certains services de soins personnels, comme une coupe de cheveux ou des soins des pieds, de se voir, d’assister à des présentations sur des sujets qui les concernent et de participer à des activités comme un bingo, un karaoké et un concours de gigue.

[56] D’après les faits dont dispose le Tribunal, je conclus que le rassemblement annuel est un événement spécial qui a lieu une fois par année juste avant Noël et qui permet aux membres de Canoe Lake âgés de plus de 60 ans de profiter de la compagnie des membres de la communauté qui partagent les mêmes préoccupations et les mêmes intérêts qu’eux. Il s’agit là de la nature essentielle du rassemblement annuel. Il permet aux Aînés de discuter librement d’enjeux qui les touchent et d’assister à des présentations sur des questions qui les préoccupent en tant que membres âgés et respectés de la communauté. Ils bénéficient également de la prestation de services de soins personnels et participent à des activités divertissantes. Des employés rémunérés sont présents pendant les parties du rassemblement annuel qui sont réservées aux Aînés pour leur offrir une aide et des soins et veiller à ce qu’ils soient à l’aise et en sécurité. Tout cela fait partie du service offert par l’intimée.

  • ii)Le service crée-t-il une relation publique entre le fournisseur et l’utilisateur du service?

[57] Canoe Lake soutient que la partie du rassemblement annuel dont Mme Iron a été exclue en raison de son âge ne satisfait pas aux exigences de l’article 5 de la LCDP parce qu’il ne s’agissait pas d’un événement ouvert au public. Il était réservé aux Aînés âgés de plus de 60 ans.

[58] Pour déterminer si le service crée une relation publique entre le fournisseur et l’utilisateur du service, la jurisprudence a établi que le « public » au sens de l’article 5 de la LCDP ne signifie pas nécessairement l’ensemble du public (voir Université de la Colombie-Britannique c. Berg, [1993] 2 RCS 353 [Berg], aux p. 374 à 388; Gould, le juge La Forest, au par. 68)[1]. Une relation « publique » est plutôt créée en vertu du fait que le « service » est offert par le fournisseur de services (voir Gould, le juge La Forest, au par. 55).

[59] Dans l’arrêt Gould, la Cour suprême a déclaré que « [c]haque service a son propre public, qu’il convient de définir au moyen de critères d’admissibilité non discriminatoires » (le juge La Forest, au par. 57). Cela signifie que les bénéficiaires d’un service donné « peuvent constituer un segment très important ou très restreint du “public” » (Société de soutien 2016, au par. 31). Une fois que le public a été défini au moyen de critères d’admissibilité, la LCDP interdit la discrimination au sein de ce public.

[60] Selon les éléments de preuve présentés par Canoe Lake, le rassemblement annuel est un service offert aux membres de la communauté âgés de 60 ans et plus. La politique sur les avantages offerts aux Aînés de décembre 2021, approuvée par le chef et les conseillers de Canoe Lake après que Mme Iron eut déposé sa plainte pour atteinte aux droits de la personne, précise que le rassemblement annuel est un élément de la stratégie visant [traduction] « à offrir des avantages supplémentaires aux [Aînés] et à favoriser la certitude pour la Première Nation, ses membres et les Aînés ». La politique sur les avantages offerts aux Aînés définit un « Aîné » comme [traduction] « toute personne âgée de soixante (60) ans ou plus à la date du rassemblement, qui réside sur les terres de réserve [de la Première Nation crie de Canoe Lake] ».

[61] Bernice Iron a affirmé que la politique reflète la pratique ou la coutume de longue date de Canoe Lake, à savoir que le rassemblement annuel est destiné aux personnes qui sont âgées d’au moins 60 ans et qui résident sur le territoire de Canoe Lake. Dans ses observations finales, Canoe Lake a indiqué que le rassemblement annuel est traditionnellement destiné aux membres âgés d’au moins 60 ans et que la politique sur les avantages offerts aux Aînés de 2021 avait simplement codifié cette exigence relative à l’âge.

[62] Le rassemblement annuel n’est pas un service destiné à toutes les personnes qui pourraient être considérées comme des « Aînés » au sens plus traditionnel du terme. Il n’est destiné qu’aux personnes âgées de plus de 60 ans. Par conséquent, ceux qui pourraient recevoir cette marque de respect pour leur sagesse et les conseils prodigués à d’autres membres de la communauté, mais qui n’ont pas encore 60 ans, ne seraient pas autorisés à assister à la partie du rassemblement annuel réservée aux personnes âgées de 60 ans et plus, même s’ils sont membres du groupe de KMC.

[63] La Commission a fait valoir que la plainte de Mme Iron fait intervenir l’article 1.2 de la Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.C. (2008), ch. 30, qui prévoit que Tribunal doit tenir compte des traditions juridiques et des règles de droit coutumier des Premières Nations lorsqu’il interprète et applique les dispositions de la LCDP. La Commission affirme que cette disposition d’interprétation est une lentille à travers laquelle il faut interpréter la LCDP et qu’elle prévoit une analyse contextuelle des motifs de discrimination, des actes discriminatoires et des moyens de défense. L’article 1.2 de la Loi modifiant la Loi canadienne sur les droits de la personne est ainsi libellé :

Dans le cas d’une plainte déposée au titre de la [LCDP] à l’encontre du gouvernement d’une première nation, y compris un conseil de bande […] qui offre ou administre des programmes et des services sous le régime de la Loi sur les Indiens, la présente loi doit être interprétée et appliquée de manière à tenir compte des traditions juridiques et des règles de droit coutumier des Premières Nations et, en particulier, de l’équilibre entre les droits et intérêts individuels et les droits et intérêts collectifs, dans la mesure où ces traditions et règles sont compatibles avec le principe de l’égalité entre les sexes.

[64] Je ne suis pas convaincue que les éléments de preuve présentés dans la présente affaire appuieraient la conclusion selon laquelle le fait que Canoe Lake se fonde sur la définition d’un Aîné comme étant une personne âgée de 60 ans ou plus constitue une « tradition juridique » ou « une règle de droit coutumier » pour l’application de cet article. Toutefois, j’estime que cette disposition est conforme à la jurisprudence qui préconise une méthode « relationnelle » de définition du public.

[65] Dans l’arrêt Berg, la Cour suprême a cité avec approbation à un arrêt de la Cour d’appel de la Saskatchewan qui appuie cette méthode relationnelle (Saskatchewan (Human Rights Commission) v. Saskatchewan (Department of Social Services), 1988 CanLII 212 (CA Sask)). Dans cet arrêt, la Cour d’appel a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Le fait qu’un service soit offert au public ne signifie pas qu’il doit être offert à tous les membres du public. Le gouvernement peut imposer des conditions d’admissibilité pour s’assurer que le programme ou les services soient offerts au groupe client visé. La seule restriction est que le gouvernement ne peut pas établir, au sein du groupe client, c’est-à-dire, les personnes âgées, les nécessiteux ou les autres, des distinctions fondées sur les caractéristiques énumérées dans [la législation sur les droits de la personne] (au par. 31).

[66] Dans l’arrêt Berg, la Cour suprême a ensuite donné l’exemple des prestations du Régime de pensions du Canada ou du Régime des rentes du Québec, qui sont versées à des millions de Canadiens, mais pas au nombre tout aussi grand de Canadiens qui n’ont pas encore atteint l’âge requis.

[67] Le chef et les conseillers de Canoe Lake forment un gouvernement élu et sont chargés d’affecter les fonds limités aux membres de la Première Nation de manière à équilibrer les droits et les intérêts des différents membres de la communauté. Les Aînés sont un groupe respecté dans les communautés des Premières Nations, et le rassemblement annuel offert par Canoe Lake à ses membres plus âgés constitue un événement spécial visant à honorer, à célébrer et à écouter ces membres respectés de la communauté. Comme l’a affirmé Bernice Iron, ce sont les Aînés, en collaboration avec le chef et les conseillers, qui ont fixé l’âge minimal de 60 ans pour la participation au rassemblement annuel. Rien n’indique que Canoe Lake a agi de manière arbitraire ou injustifiée pour exclure des personnes sur la base d’un motif protégé (par exemple le sexe ou la déficience) au sein de ce public particulier de résidents âgés de 60 ans ou plus lorsqu’elle a offert le service que constitue le rassemblement annuel.

[68] Mme Iron est d’avis que la politique sur les avantages offerts aux Aînés de 2021 est discriminatoire à l’égard des Aînés qui vivent hors des réserves. La politique n’existait pas au moment des faits, et elle n’est pas visée par la plainte pour atteinte aux droits de la personne de Mme Iron. La politique n’est pertinente à l’égard de la plainte que dans la mesure où elle indique officiellement l’âge minimal fixé il y a longtemps par la communauté pour la participation au rassemblement annuel. Quoi qu’il en soit, la plainte renvoyée au Tribunal comporte une allégation de discrimination fondée sur l’âge; elle ne comporte aucune allégation de discrimination contre les personnes qui vivent hors des réserves.

[69] Malgré le fait qu’il n’existait aucune politique écrite officielle, en décembre 2018, qui définissait qui était un Aîné aux fins de la participation au rassemblement annuel de Canoe Lake, il ressort des éléments de preuve que l’âge requis était, depuis plusieurs années à cette époque, de 60 ans. J’accepte que le public visé par le rassemblement annuel est et était, en décembre 2018 et avant, composé de membres de Canoe Lake qui résident dans Canoe Lake et qui ont 60 ans ou plus.

b) Mme Iron peut-elle établir une preuve prima facie de discrimination fondée sur l’âge?

[70] Non, Mme Iron ne peut prétendre qu’elle a subi un effet préjudiciable à l’occasion de la fourniture d’un service offert au public parce qu’elle n’était pas une bénéficiaire visée du rassemblement annuel.

[71] Mme Iron laisse entendre qu’elle aurait dû être autorisée à assister à toutes les parties du rassemblement parce qu’elle était membre du groupe de KMC ou parce qu’elle accompagnait son père. Toutefois, le rassemblement annuel ne s’adressait pas à tous les grands-parents, seulement à ceux qui avaient 60 ans et plus.

[72] Étant donné que Mme Iron avait 49 ans en décembre 2018, elle ne faisait pas partie du public visé par le service offert, soit la partie du rassemblement annuel réservée aux Aînés, même si elle était une kokum et qu’elle assistait aux réunions du groupe de KMC. Même si elle résidait dans Canoe Lake à l’époque, elle n’avait pas 60 ans. Il ressort clairement des éléments de preuve que les membres du groupe de KMC n’étaient pas tous âgés de 60 ans ou plus et que l’appartenance au groupe de KMC ne faisait pas partie des critères d’admissibilité pour participer au rassemblement annuel.

[73] Il est possible que, à l’occasion de la fourniture du service que constitue le rassemblement annuel aux résidants de Canoe Lake âgés de plus de 60 ans, Canoe Lake fasse preuve de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite, par exemple si elle ne permettait qu’aux femmes d’y assister ou si elle empêchait les personnes ayant une déficience d’y assister. Toutefois, je ne peux conclure que le fait d’empêcher une personne âgée de moins de 60 ans de participer à une activité du rassemblement annuel réservée aux Aînés est discriminatoire, parce que l’âge constitue un des critères d’admissibilité qui définit le public visé. Selon moi, ce critère d’admissibilité n’est pas discriminatoire. Il permet de s’assurer que le service n’est offert qu’aux bénéficiaires visés et d’éviter l’épuisement inutile des ressources limitées de Canoe Lake.

[74] En effet, le témoignage et les enregistrements audio de Mme Iron montrent qu’elle a demandé la permission d’accompagner son père, qui était âgé de plus de 60 ans, au rassemblement annuel, permission qui lui a été accordée. Mme Iron ne cherchait donc pas à assister à la réunion à titre d’Aînée. Elle était plutôt là pour soutenir son père, qui était un membre du public à qui l’avantage était offert, étant un résident de Canoe Lake âgé de plus de 60 ans. Elle a été autorisée à accompagner son père, ce qui signifie qu’elle devait s’assurer qu’il se rende au rassemblement annuel. Son père n’a pas été empêché de participer à la réunion réservée aux Aînés, et la présence de Mme Iron à titre de proche aidante n’était pas nécessaire parce que les organisateurs avaient payé des personnes pour s’occuper des Aînés qui assistaient à la réunion. Mme Iron a été autorisée à assister au banquet qui a eu lieu le deuxième soir, auquel étaient conviés les membres de la famille plus jeunes des Aînés.

[75] L’argument de Mme Iron porte principalement sur le fait qu’elle a été traitée de façon défavorable en raison de son rôle de défenseure de certains membres de la communauté, à propos desquels elle a écrit sur sa page Facebook. Dans ses observations finales, Mme Iron a dit : [traduction] « J’allègue que l’acte de m’expulser d’un lieu public et de m’empêcher de participer au rassemblement des aînés en tant que conductrice, accompagnatrice et proche aidante pour mon père âgé constituait des représailles. Ils ont eu une “discussion” à mon sujet avec le chef et les conseillers et ils ont décidé que je n’étais pas la bienvenue à la réunion en raison de ce que j’écris sur Facebook et de ce que je pourrais faire ou dire, mais des membres plus jeunes de la bande étaient présents parce que le rassemblement était payé en partie par des fonds découlant du principe de Jordan ». Selon la preuve, les membres plus jeunes n’étaient présents qu’au banquet, auquel Mme Iron était la bienvenue étant donné qu’elle avait accompagné son père à Prince Albert, avec l’autorisation de Canoe Lake.

[76] En ce qui concerne l’allégation de Mme Iron selon laquelle elle a été empêchée de participer au rassemblement annuel en raison de ce qu’elle avait écrit, il ne s’agit pas d’un motif de distinction illicite aux termes de la LCDP. Même si, selon le témoignage de Bernice Iron, certains des Aînés étaient contrariés par ce que Mme Iron avait publié sur Facebook, cela ne signifie pas que la plaignante avait une caractéristique protégée au sens de l’article 3 de la LCDP. De plus, je fais remarquer qu’à la fin de l’enregistrement, Bernice Iron dit en fait que la plaignante peut rester et assister à la réunion avec son père.

c) Conclusion

[77] Je conclus que le rassemblement annuel crée une relation publique avec les Aînés qui résident dans Canoe Lake et qui sont âgés d’au moins 60 ans. La plaignante n’avait que 49 ans au moment du rassemblement annuel en 2018. Elle ne faisait pas partie du public auquel le service était offert. Mme Iron ne cherchait pas à participer au rassemblement annuel à titre d’Aînée; elle cherchait plutôt à y participer à titre d’accompagnatrice et de proche aidante de son père.

[78] De même, la réunion réservée aux Aînés qui a eu lieu dans le cadre du rassemblement annuel n’était pas un avantage offert en tant que service aux personnes âgées de moins de 60 ans, comme Mme Iron. Puisqu’elle ne faisait pas partie du public auquel Canoe Lake offrait le service, elle ne peut soutenir qu’on lui a refusé le service pour un motif discriminatoire.

[79] Étant donné que Mme Iron n’a pas établi que le fait de refuser qu’elle assiste à une partie du rassemblement annuel n’était pas un acte discriminatoire, je rejette cet élément de sa plainte.

B. Deuxième question en litige : Mme Iron a-t-elle été victime de discrimination à l’occasion de la fourniture d’un logement, au sens de l’article 6 de la LCDP?

[80] Non, Mme Iron n’a pas établi qu’elle a été victime de discrimination fondée sur l’âge ou sur la situation de famille, au sens de l’article 6 de la LCDP, en étant privée d’un logement.

[81] Mme Iron affirme que Canoe Lake l’a privée d’un logement, parce qu’elle était célibataire, n’avait pas d’enfants à charge et n’était pas une personne âgée. Elle dit qu’il s’agit de discrimination fondée sur la situation de famille et l’âge, car Canoe Lake accorde la priorité en matière de logement aux familles et aux Aînés.

[82] Canoe Lake nie avoir fait preuve de discrimination à l’encontre de Mme Iron à l’occasion de la fourniture d’un logement.

[83] Le Tribunal a déjà conclu que les décisions des Premières Nations concernant l’attribution des logements sont assujetties à un examen en vertu de l’article 6 de la LCDP (Ledoux c. La Première Nation de Gambler, 2018 TCDP 26 [Ledoux]; voir aussi Ka-Nowpasikow c. Nation crie Poundmaker, 2023 TCDP 38, au par. 48, rendue après le dépôt des observations finales des parties).

[84] À l’instar de son argument fondé sur l’article 5 de la LCDP, Mme Iron doit établir, selon la prépondérance des probabilités, une preuve prima facie de discrimination. Elle doit montrer qu’elle a subi un effet préjudiciable relativement à un logement fourni par Canoe Lake ou qu’elle a été privée de l’occupation d’un logement et qu’un motif de distinction illicite a constitué un facteur dans le refus ou le traitement défavorable.

[85] Selon le témoignage de Mme Iron, elle a demandé un logement lorsqu’elle a redéménagé dans Canoe Lake en 2018. Sa demande de logement, datée de septembre 2018, a été produite en preuve à l’audience. Dans cette demande, Mme Iron a déclaré qu’elle avait quitté la ville parce qu’elle n’avait pas les moyens d’y acheter une maison, qu’elle cherchait une [traduction] « petite garçonnière » avec [traduction] « une chambre ou moins » et qu’elle n’avait actuellement pas de logement.

[86] Sous la rubrique [traduction] « Autres commentaires ou renseignements », elle a écrit que le chef lui avait dit que Canoe Lake construisait des maisons pour des ménages à une personne et qu’elle pourrait en avoir une si elle en faisait la demande. Elle a par la suite déclaré que, quand est venu le temps d’attribuer ces maisons, elle n’en a pas obtenu une. En contre-interrogatoire, le chef Francis Iron a affirmé que ces maisons pour des ménages à une personne n’avaient pas été construites. Il a nié avoir eu une conversation avec Mme Iron au sujet du fait qu’elle voulait un logement et a dit qu’il ne lui avait jamais rien promis. Il a dit qu’il ne pouvait faire de promesses à personne parce que ce serait inapproprié et que ce n’est pas ainsi que les choses fonctionnent dans Canoe Lake. Selon le témoignage du chef Iron, lorsque les personnes leur font part, à lui ou aux conseillers de la bande, de préoccupations ou présentent des demandes, ils les transmettent aux responsables des secteurs concernés pour qu’ils s’en occupent. Si un problème ou une demande doit être soumis au chef et aux conseillers, les directeurs doivent d’abord présenter la question au conseiller chargé du portefeuille visé.

[87] Mme Iron a présenté une demande de logement en septembre 2018 et elle a quitté Canoe Lake au printemps 2021. Elle a affirmé que, pendant cette période, elle vivait dans une cabane sans eau courante ni électricité. Elle a indiqué que, pendant qu’elle vivait dans Canoe Lake, elle avait communiqué avec un certain nombre de conseillers et avec le coordonnateur du logement au sujet de sa demande de logement de 2018. Elle a dit qu’on lui avait répondu qu’il n’y avait pas d’argent pour les logements, ce qui a été corroboré par le témoignage du chef Iron. Selon le chef Iron, la situation du logement au sein de Canoe Lake est terrible depuis des années et la Première Nation ne reçoit que 295 000 $ par année du gouvernement fédéral pour répondre aux besoins en matière de logement et pour effectuer des rénovations. Il a indiqué que ce montant n’était pas suffisant pour construire le nombre de maisons requis pour répondre aux besoins de la communauté ou pour effectuer les réparations nécessaires aux maisons existantes. Le chef Iron a affirmé qu’en plus du fait que de nombreuses maisons sont surpeuplées, plusieurs autres maisons ont été condamnées pour diverses raisons.

[88] Je fais remarquer que le règlement administratif de 2005 sur le logement de Canoe Lake, qui était en vigueur pendant la période pertinente, prévoit, dans la section portant sur la fourniture et l’attribution des logements, que le logement est un droit issu d’un traité, ce qui signifie que chaque [traduction] « unité familiale visée par un traité » a droit à un logement adéquat et aux commodités de base. Toutefois, le règlement administratif sur le logement précise que, parce que [traduction] « le Canada ne s’acquitte pas nécessairement de ses obligations découlant des traités […] le financement du Programme de logement accordé à la Nation crie de Canoe Lake est insuffisant ». Il indique aussi que, même si la Première Nation s’efforce d’aider le Canada à honorer ses obligations issues de traités, le chef et les conseillers doivent composer avec la réalité et utiliser les fonds qu’ils reçoivent pour le programme de logement [traduction] « à leur discrétion, de manière impartiale et équitable, et en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’ensemble de la Première Nation ».

[89] PJ Iron était le coordonnateur du logement de 1997 à 2020, date à laquelle il a été nommé directeur de l’Infrastructure communautaire, le secteur chargé du logement dans la communauté. Mme Iron a déclaré dans son témoignage que PJ Iron lui avait dit qu’il y avait des logements disponibles dans la réserve lorsqu’elle est retournée y vivre en 2018 et qu’il avait laissé entendre qu’elle pourrait avoir la maison d’une personne décédée. Mme Iron a déclaré qu’elle avait dit à PJ Iron qu’elle ne voulait pas la maison d’une personne décédée, mais qu’elle était disposée à réparer elle-même une maison pour la rendre habitable.

[90] PJ Iron ne se souvenait pas d’avoir eu une conversation avec Mme Iron au sujet du logement et a dit qu’il n’avait pas le pouvoir de donner une maison à qui que ce soit, donc même s’ils avaient parlé de la possibilité que Mme Iron rénove une maison, il n’avait pas le pouvoir de lui en attribuer une. Il a également affirmé que c’est un inspecteur du conseil tribal de Meadow Lake qui inspecte les maisons de Canoe Lake et qui décide si elles doivent être condamnées, après quoi le chef et les conseillers prennent la décision finale à ce sujet. Si la maison peut être réparée, elle le sera, mais PJ Iron ne croyait pas qu’il y avait de logements vides dans la réserve lorsque Mme Iron y vivait, sauf des maisons condamnées.

[91] PJ Iron a déclaré dans son témoignage que le travail du coordonnateur du logement consiste à recueillir et à compiler les demandes pour le comité du logement (aussi appelé la régie du logement), qui est composé de membres de la communauté. PJ Iron et Melissa Bouvier, qui a été coordonnatrice du logement après PJ Iron, ont déclaré que ce n’était pas eux qui formulaient les recommandations quant à l’attribution des logements : c’était le comité du logement qui prenait les décisions en fonction des besoins. PJ Iron et Mme Bouvier ont affirmé que le comité du logement examinait les demandes et appliquait les priorités en matière d’attribution énoncées dans le règlement administratif de 2005 sur le logement de Canoe Lake afin de déterminer qui devrait être recommandé pour recevoir un logement. Selon leur témoignage, les priorités du comité du logement consistaient à s’attaquer au problème de surpeuplement causé par le fait d’avoir plusieurs familles dans un même logement, à trouver un nouveau logement aux familles dont la maison était condamnée et à loger les Aînés.

[92] Ces priorités sont toutes énoncées dans le règlement administratif de 2005 sur le logement de Canoe Lake, qui comprend une liste de facteurs à considérer au moment de l’attribution d’un logement. Ces facteurs sont présentés [traduction] « sans ordre particulier » et méritent une considération égale lors de l’attribution d’un logement. Ils comprennent la taille de l’unité familiale du demandeur, sa résidence actuelle, l’existence d’autres options de logement, l’atténuation du problème de surpeuplement dans les logements existants dans la Première Nation, l’état du logement actuel, la prise en compte des personnes âgées et le rapatriement des citoyens des Premières Nations. Le règlement administratif sur le logement prévoit que le fait que plus d’un facteur s’applique au demandeur est pertinent. Il indique également que certains événements peuvent avoir une incidence sur ces facteurs, par exemple si une maison est détruite par une inondation ou un incendie, si l’occupant d’une maison tombe gravement malade et a besoin d’un logement adapté ou si une maison est condamnée.

[93] Comme l’exige le règlement administratif de 2005 sur le logement de Canoe Lake, les recommandations du comité du logement quant à l’attribution d’un logement devaient être soumises à l’approbation du chef et des conseillers. Ces approbations étaient consignées dans les procès-verbaux des réunions du chef et des conseillers. À la date de l’audience, le règlement administratif de 2005 sur le logement était toujours en vigueur, mais une nouvelle politique sur le logement avait été présentée et faisait l’objet d’un examen. Suivant la nouvelle politique sur le logement, sur laquelle les membres de Canoe Lake devaient encore voter, le chef et les conseillers ne seraient plus chargés de la responsabilité d’approuver les recommandations relatives à l’attribution des logements.

[94] Le nom de Mme Iron figure sur la liste des personnes qui avaient présenté une demande de logement dans Canoe Lake en 2018 et qui attendaient un logement, liste qui a été produite en preuve. Les autres noms sur la liste sont caviardés. Le nom de Mme Iron figure également sur la liste d’attente de 2019. Les autres noms sur cette liste sont eux aussi caviardés. Toutefois, le nom de Mme Iron ne figure pas sur la liste d’attente de 2020, qui est un document intitulé [traduction] « Demandes de logement de 2020 ». Contrairement aux listes d’attente de 2018 et de 2019, les noms sur la liste d’attente de 2020 n’ont pas été caviardés. De plus, la liste de 2020 est beaucoup plus complète : il s’agit d’une feuille de calcul contenant des colonnes pour la situation actuelle du demandeur en matière de logement, le nombre de personnes à charge, le statut d’emploi, la date de réception de la demande et d’autres renseignements. Les listes de 2018 et de 2019 semblent n’inclure que le nom de la personne et l’endroit où elle souhaiterait vivre.

[95] La liste des demandes de logement de 2020 montre que 56 personnes attendaient un logement dans Canoe Lake et 17 personnes attendaient un logement dans Eagles Lake. Certaines personnes avaient présenté une demande dès 2019. La plus récente demande de logement figurant sur la liste de 2020, malgré l’année indiquée dans le titre du document, date de mars 2021. L’âge des demandeurs ne figure pas sur la liste. Même si la liste des demandes de logement de 2020 comprend le nom de 73 demandeurs, elle montre que plus de 200 personnes attendaient un logement, si l’on tient compte des personnes à charge des demandeurs.

[96] Mme Bouvier ne savait pas pourquoi le nom de Mme Iron ne figure pas sur la liste des demandes de logement de 2020, mais elle a affirmé qu’elle met la liste à jour sur une base presque quotidienne. Mme Bouvier recommande aux gens de soumettre une nouvelle demande de logement chaque année, même si le règlement administratif de 2005 sur le logement de Canoe Lake ne l’exige pas, afin qu’elle sache qu’ils attendent toujours un logement. Dans son témoignage, elle a affirmé qu’elle garde les noms au bas de la liste d’attente pendant quelques années, mais qu’elle finit par les radier si elle ne reçoit pas une nouvelle demande. Elle a déclaré qu’elle avait vu la demande de logement de 2018 de Mme Iron dans les dossiers du secteur du logement, mais qu’elle n’avait reçu aucune autre demande logement depuis. Mme Bouvier a déclaré qu’elle n’avait pas vu les listes d’attente de 2018 et de 2019, qui ont été déposées en preuve à l’audience, avant de préparer la liste des demandes de logement de 2020. Elle n’est devenue coordonnatrice du logement qu’en 2020. Auparavant, elle était commis aux logements.

[97] Mme Iron a déclaré qu’elle avait présenté une autre demande de logement en 2020. Elle a déposé en preuve une copie d’une demande datée du 11 octobre 2020 qu’elle dit avoir soumise au secteur du logement, quoique PJ Iron et Mme Bouvier ont tous deux affirmé ne pas l’avoir reçue. Cette demande ne figurait pas dans leurs dossiers et personne ne se souvenait de l’avoir reçue. Mme Iron elle-même ne se souvenait pas de la date à laquelle elle l’avait présentée ni à qui, alors qu’elle se souvenait de ces détails concernant sa demande de 2018.

a) Mme Iron n’a pas établi de discrimination prima facie

[98] Mme Iron a satisfait au premier volet du critère de la preuve prima facie. Elle a établi qu’elle était célibataire et qu’elle n’avait pas de personnes à charge qui vivaient avec elle et que, comme elle dans la fin quarantaine à l’époque, elle n’était pas une personne âgée. Les caractéristiques protégées aux termes de l’article 3 de la LCDP que sont la situation de famille et l’âge entrent donc en jeu.

[99] Toutefois, je conclus que Mme Iron n’a pas satisfait aux deuxième et troisième volets du critère de la preuve prima facie. Le deuxième volet du critère exige que Canoe Lake ait privé Mme Iron de l’occupation d’un logement ou qu’elle l’ait autrement défavorisée à l’occasion de la fourniture d’un logement. Je dois donc conclure que Canoe Lake fournissait des logements au moment où Mme Iron en cherchait un. Ce qui a été établi dans la présente instance, c’est que Canoe Lake recueillait les noms des membres qui souhaitaient obtenir un logement et les conservait sur une liste. Le nom de Mme Iron figurait sur la liste d’attente de 2018 et sur celle de 2019. Toutefois, aucun élément de preuve n’a été présenté pour montrer qu’une personne dont le nom figurait sur l’une ou l’autre liste d’attente a été recommandée pour obtenir un logement ou a réellement obtenu un logement. Selon les témoignages présentés à l’audience, une réunion du chef et des conseillers était convoquée chaque fois qu’un logement devenait disponible afin de s’assurer qu’une personne figurant sur la liste d’attente puisse être logée et que la décision à cet égard soit consignée. Or, aucun procès-verbal d’une telle réunion n’a été déposé en preuve dans la présente instance.

[100] Selon la preuve présentée par Canoe Lake, celle-ci disposait d’environ 390 maisons pour 3000 membres de la bande et, lorsqu’un logement devenait disponible, la priorité était accordée aux familles comptant des enfants à charge et aux personnes âgées. Cependant, aucun élément de preuve n’a été déposé pour montrer qu’un logement est devenu disponible pendant que Mme Iron en attendait un. En l’absence d’éléments de preuve concernant les logements que Canoe Lake aurait effectivement fournis ou attribués à l’époque où Mme Iron vivait dans Canoe Lake et se cherchait un logement, je ne peux conclure que Mme Iron a satisfait au deuxième élément du critère de la preuve prima facie.

[101] Le simple fait que Canoe Lake avait fixé certaines priorités pour l’attribution des logements ne signifie pas que l’application de ces priorités aurait nécessairement eu un effet préjudiciable sur Mme Iron, surtout si elle était considérée comme une personne ayant désespérément besoin d’aide. PJ Iron a affirmé que, d’après les photos de la cabane de Mme Iron qu’elle a déposées en preuve, sa situation aurait dû être considérée comme urgente. Toutefois, il a aussi affirmé qu’il n’y avait pas de logements vides dans Canoe Lake à l’époque où Mme Iron y vivait, à l’exception des maisons condamnées. Le simple fait que la priorité en matière de logement était accordée à certains groupes de personnes ne constitue pas la preuve que le fait qu’aucun logement n’a été fourni à Mme Iron constituait un acte discriminatoire, surtout que rien n’indique qu’il y avait des logements disponibles.

[102] Même si j’acceptais que des logements ont été attribués pendant la période où Mme Iron vivait dans Canoe Lake et qu’elle a été privée de l’occupation d’un logement, le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve établissant que la décision de ne pas lui offrir un logement était liée à un motif protégé aux termes de la LCDP. Le troisième volet du critère de la discrimination prima facie exigeait que Mme Iron présente des éléments de preuve pour établir que le fait d’être célibataire ou de ne pas être une personne âgée avait à tout le moins constitué un facteur dans le fait qu’elle n’a pas obtenu un logement. Le Tribunal a fait remarquer à maintes reprises qu’il est souvent difficile d’établir la discrimination au moyen d’une preuve directe. Étant donné que la discrimination est rarement flagrante, le Tribunal a affirmé que « les membres devraient tenir compte de toute la preuve circonstancielle pour déterminer s’il en ressort ce qui est décrit comme “de subtiles odeurs de discrimination” » (Ledoux, au par. 59, citant Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP)). Dans la présente affaire, il serait utile d’examiner qui a réellement obtenu un logement pendant que Mme Iron en attendait un, mais rien n’indique qu’un logement a été fourni à qui que ce soit pendant cette période.

[103] Le seul élément de preuve montrant que des personnes auraient été recommandées pour obtenir un logement au cours de la période pendant laquelle Mme Iron vivait dans Canoe Lake est la liste de demande de logements de 2020. Le mot [traduction] « Recommandé » figure à côté de cinq noms sur la liste. Aucun élément de preuve n’a été présenté quant à la raison pour laquelle ces personnes ont été recommandées pour obtenir un logement ni quant à savoir si le chef et les conseillers ont approuvé les recommandations. La liste des demandes de logement de 2020 comprend le nom de ceux qui ont présenté une demande de logement de 2019 jusqu’au printemps 2021, date à laquelle Mme Iron a dit avoir quitté Canoe Lake. Bien que cette liste constitue le seul élément de preuve établissant que des recommandations pour l’attribution de logements ont été faites pendant que Mme Iron vivait dans Canoe Lake, son nom n’y figure pas. Je me pencherai plus loin sur la question de savoir si la radiation de son nom de la liste d’attente pour un logement constituait une mesure de représailles pour avoir déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne. Quoi qu’il en soit, même si son nom avait figuré sur la liste de 2020, le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve concernant l’âge des personnes qui ont été recommandées pour obtenir un logement. Suivant la liste des demandes de logement de 2020, trois des cinq personnes recommandées pour obtenir un logement avaient des personnes à charge. Les deux autres, comme Mme Iron, n’en avaient pas. Aucun élément de preuve n’a été présenté quant à la question de savoir si ces deux personnes étaient des personnes âgées ou non. Rien dans la preuve n’indique que le chef et les conseillers ont approuvé les cinq recommandations. Selon Mme Bouvier, il arrive que le chef et les conseillers ne souscrivent pas aux recommandations du comité du logement.

[104] Mme Iron a également soutenu que, comme elle vivait dans une cabane sans eau courante ni électricité, on aurait dû lui accorder la priorité en matière de logement. Même si sa situation en matière de logement était manifestement inacceptable, il ne s’agit pas d’un motif protégé aux termes de la LCDP. Je tiens également à souligner qu’il y avait une personne sur la liste des demandes de logement de 2020 qui avait deux personnes à charge et dont la situation en matière de logement était [traduction] « sans abri ». Cette personne avait présenté une demande de logement en novembre 2019, mais elle ne faisait pas partie des cinq personnes recommandées pour l’obtention d’un logement. Je le souligne simplement pour mettre en évidence le fait que nous ne savons tout simplement pas comment les personnes recommandées ont été évaluées en fonction des priorités énoncées dans le règlement administratif de 2005 sur le logement de Canoe Lake. Même si Mme Iron fait valoir qu’elle avait désespérément besoin d’un logement et que la priorité aurait donc dû lui être accordée, rien dans la preuve n’indique que la priorité ne lui a pas été accordée en raison d’un motif de distinction illicite.

[105] Sans savoir si des logements ont été attribués à des personnes dont le nom figurait sur la liste des demandes de logement de 2020 pendant que Mme Iron vivait dans Canoe Lake et si ces personnes étaient des personnes âgées, si elles étaient célibataires ou si elles avaient des enfants à charge, il n’y a même pas de preuve circonstancielle permettant au Tribunal de conclure que Mme Iron a été victime de discrimination. Les éléments de preuve ne soulèvent même pas de subtiles odeurs de discrimination.

[106] Mme Iron allègue également qu’elle a subi un traitement défavorable de la part des dirigeants de Canoe Lake en raison de ses activités de défense des intérêts d’autrui. Si c’est bel et bien le cas, il ne s’agit pas d’un motif de distinction illicite aux termes de la LCDP. Par exemple, elle a déclaré qu’elle n’avait pas obtenu une maison parce que le chef et les conseillers étaient en colère contre elle en raison des messages qu’elle avait publiés sur sa page Facebook (Blackstone CLCC), mentionnés ci-dessus, et de sa participation à des reportages négatifs sur Canoe Lake. Sur la page Blackstone CLCC, elle a publié des messages portant sur les problèmes de logement dans la communauté et elle indique avoir aidé les gens, y compris les Aînés, à régler leurs problèmes de logement. Dans un message, elle a dit qu’elle vivait dans une cabane sans eau ni électricité pendant que le chef se bâtissait une nouvelle maison près du lac. Une grande partie de ses éléments de preuve, des questions qu’elle a posées en contre-interrogatoire et de ses observations finales portait sur la nouvelle maison du chef.

[107] Mme Iron a déposé en preuve un article daté du 16 août 2019 tiré d’une publication appelée Post Millennial. L’article n’a pas été rédigé par Mme Iron, mais il contient des allégations qu’elle et d’autres personnes ont faites au sujet de la corruption dans Canoe Lake. L’article présente le point de vue de Mme Iron sur les conditions de vie dans Canoe Lake et des photos de la maison de son père, qui était en mauvais état. L’article cite Mme Iron : [traduction] « Les conseillers ont construit dix nouvelles maisons pour les membres de leur famille tout en négligeant les membres vivant dans la réserve ». Mme Iron aurait aussi dit que, lorsqu’elle avait appris les mauvaises conditions de logement dans Canoe Lake, elle savait qu’elle devait [traduction] « réagir ». Elle a ensuite affirmé que le chef n’avait réparé ou rénové aucune maison dans Canoe Lake depuis deux ans en raison d’un manque de fonds, mais qu’il s’était construit une maison près du lac en utilisant les employés et les ressources de la bande. En ce qui concerne la construction de sa propre maison, le chef Iron a affirmé qu’il avait payé la totalité des coûts à même ses fonds personnels.

[108] Même si la preuve avait démontré que dix nouvelles maisons avaient été construites dans Canoe Lake pendant la période visée par la plainte, ce qui n’est pas le cas, la prétention que les maisons ont été attribuées à des proches du conseil de bande n’étaye pas la plainte de discrimination de Mme Iron fondée sur le fait qu’elle était célibataire ou qu’elle n’était pas une personne âgée.

b) Conclusion

[109] Il incombe à Mme Iron d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle n’a pas obtenu le logement qu’elle avait demandé en raison, du moins en partie, de son âge ou de sa situation de famille, étant une célibataire plus jeune, sans personnes à charge. Toutefois, aucun élément de preuve n’a été présenté au Tribunal pour montrer qui, le cas échéant, avait obtenu un logement au cours de la période pendant laquelle Mme Iron en attendait un. Mme Iron n’a pas établi qu’une maison avait été attribuée à qui que ce soit pendant qu’elle vivait dans Canoe Lake. En l’absence de preuve montrant que Canoe Lake a réellement fourni un logement à qui que ce soit pendant la période où Mme Iron vivait dans Canoe Lake et avait présenté une demande de logement, il est impossible de conclure que Mme Iron a été privée de l’occupation d’un logement pour un motif discriminatoire.

[110] Étant donné qu’elle n’a pas établi une preuve prima facie de discrimination selon la prépondérance des probabilités, je rejette cette plainte.

C. Troisième question en litige : Mme Iron a-t-elle fait l’objet de représailles, au sens de l’article 14.1 de la LCDP, de la part de Canoe Lake pour avoir déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne?

[111] Non, je conclus que Mme Iron n’a pas fait l’objet de représailles, au sens de l’article 14.1 de la LCDP, ni lorsque son nom a été radié de la liste d’attente pour un logement ni lorsque Canoe Lake a refusé qu’elle assiste à la partie du rassemblement annuel réservée aux Aînés.

[112] La Commission affirme que Mme Iron a établi une preuve prima facie de représailles à l’égard des deux allégations, mais elle n’a fourni aucune preuve à l’appui en ce qui a trait au fait que Canoe Lake a refusé que Mme Iron assiste à la partie du rassemblement annuel réservée aux Aînés. Canoe Lake souligne que le rassemblement annuel a eu lieu en décembre 2018, soit avant que Mme Iron ne dépose sa plainte pour atteinte aux droits de la personne, en mars 2019. Par conséquent, selon Canoe Lake, le fait d’avoir refusé qu’elle assiste à une partie du rassemblement annuel ne peut pas constituer une mesure de représailles pour avoir déposé la plainte. Je suis d’accord avec Canoe Lake. Par conséquent, je n’examinerai pas davantage cette allégation.

[113] En ce qui concerne l’allégation relative au logement, la Commission affirme que le nom de Mme Iron figurait sur la liste d’attente pour un logement lorsqu’elle a déposé sa plainte pour atteinte aux droits de la personne, en mars 2019. Après le dépôt de sa plainte, son nom a été radié de la liste. Il ne figurait pas sur la liste des demandes de logement de 2020.

[114] La Commission affirme que PJ Iron n’a pas été en mesure d’expliquer pourquoi le nom de Mme Iron avait été radié de la liste d’attente. Il a déclaré que son nom n’aurait pas dû être radié, car elle avait présenté une demande de logement en 2018. La Commission soutient qu’en l’absence d’explication, il est plus probable qu’improbable que des représailles ont été exercées contre elle pour avoir déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne.

[115] Canoe Lake nie avoir exercé des représailles contre Mme Iron pour avoir déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne. En réponse à l’argument de la Commission, Canoe Lake affirme que PJ Iron ne participait pas aux activités quotidiennes du secteur du logement en 2020, puisqu’il était devenu directeur de l’Infrastructure. C’est Mme Bouvier qui a préparé la liste des demandes de logement de 2020 qui a été déposée en preuve à l’audience, en sa qualité de coordonnatrice du logement, et elle a déclaré qu’elle la mettait régulièrement à jour.

a) Aucune preuve prima facie de représailles

[116] Le premier élément du critère de la preuve prima facie de représailles au sens de l’article 14.1 de la LCDP a été satisfait. Mme Iron a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne contre Canoe Lake auprès de la Commission en mars 2019.

[117] J’accepte que Mme Iron a également satisfait au deuxième élément du critère : elle a fait l’objet d’un traitement défavorable de la part de Canoe Lake après le dépôt de sa plainte pour atteinte aux droits de la personne en 2019. Le fait que son nom a été radié de la liste d’attente pour un logement, qui a été confirmé par la preuve documentaire de Canoe Lake, a donné lieu à un traitement défavorable. Puisque son nom ne figurait pas sur la liste des demandes de logement de 2020, Mme Iron a été privée de l’occasion d’être prise en considération si un logement approprié devenait disponible. Toutefois, compte tenu de ma conclusion ci-dessus selon laquelle rien n’indique qu’un logement est devenu disponible en 2020-2021, je ne peux conclure que Mme Iron a réellement été privée d’un logement. Le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve montrant que les cinq personnes figurant sur la liste des demandes de logement de 2020 qui ont été recommandées pour obtenir un logement en ont effectivement obtenu un. Le traitement défavorable dont Mme Iron a fait l’objet est donc plus théorique que réel, puisque le fait que son nom ne figurait pas sur la liste n’a pas entraîné la perte d’un avantage tangible.

[118] La jurisprudence du Tribunal indique clairement que pour établir le troisième élément du critère de la preuve prima facie, il incombe au plaignant d’établir l’existence d’un lien entre le dépôt de sa plainte pour atteinte aux droits de la personne et le traitement défavorable qu’il a subi. Si ce lien n’est pas démontré de manière complète et suffisante, le plaignant ne se sera pas acquitté de son fardeau de la preuve. En d’autres termes, il ne suffit pas de prouver qu’une plainte a été déposée et qu’un traitement défavorable a été subi. Un lien temporel ne suffit pas. La preuve dont dispose le Tribunal « doit démontrer l’existence d’un lien, d’un rapport entre le traitement défavorable et le dépôt de la plainte » (Dixon c. Première Nation de Sandy Lake, 2018 TCDP 18 [Dixon], au par. 23).

[119] Comme c’est le cas pour d’autres actes discriminatoires interdits par la LCDP, il est rare qu’il existe une preuve directe de représailles, et une telle preuve n’est pas requise. Toutefois, lorsqu’il examine la question de savoir la perception d’un plaignant selon laquelle une plainte pour atteinte aux droits de la personne était au moins en partie responsable du traitement défavorable qu’il a subi, le Tribunal doit conclure que cette perception est raisonnable. Le Tribunal a déclaré que le caractère raisonnable de la perception du plaignant doit être évalué de façon à ne pas tenir l’intimé responsable de « l’angoisse ou des réactions exagérées de ce plaignant » (Dixon, au par. 25).

[120] Dans Bressette c. Conseil de bande de la Première Nation de Kettle et de Stony Point, 2004 TCDP 40 [Bressette], le Tribunal a souligné que, lorsqu’il existe un conflit entre les parties, il peut être difficile de discerner si certains incidents se sont produits en raison de ce conflit persistant ou en raison de la plainte pour atteinte aux droits de la personne (au par. 52). Le Tribunal a indiqué, dans Bressette, que dans une telle situation il faut d’abord se pencher sur la question de savoir si le plaignant a établi une preuve prima facie que sa plainte pour atteinte aux droits de la personne était au moins un des facteurs ayant motivé le traitement défavorable qu’il a subi. Si c’est le cas, le fardeau de la preuve se déplace alors sur l’intimé qui doit fournir une explication crédible quant au traitement réservé au plaignant.

[121] Selon moi, Mme Iron n’a pas établi une preuve prima facie que la plainte pour atteinte aux droits de la personne qu’elle a déposée en mars 2019 a été un facteur dans la radiation de son nom de la liste d’attente pour un logement. La perception de Mme Iron selon laquelle le dépôt de sa plainte pour atteinte aux droits de la personne a entraîné la radiation de son nom de la liste d’attente n’est pas à mon avis raisonnable. La séquence des événements – c’est-à-dire le fait que son nom a été radié de la liste d’attente après le dépôt de sa plainte pour atteinte aux droits de la personne – n’est pas suffisante en soi pour établir l’existence de représailles prima facie. Le fait que PJ Iron n’a pas pu expliquer la raison pour laquelle son nom ne figurait pas sur la liste des demandes de logement de 2020 n’est pas suffisant non plus. Selon la preuve dont dispose le Tribunal, PJ Iron ignorait la raison pour laquelle le nom de Mme Iron ne figurait pas sur la liste des demandes de logement de 2020 et il n’avait jamais vu cette liste auparavant. Au moment de la préparation du document, il n’occupait plus le poste de coordonnateur du logement et n’était donc plus responsable des listes d’attente pour un logement.

[122] C’est Mme Bouvier qui a préparé la liste des demandes de logement de 2020. Elle a affirmé qu’elle n’avait pas préparé les listes de 2018 ou de 2019 et qu’elle ne les connaissait pas bien. Elle a déclaré qu’elle mettait la liste des demandes de logement de 2020 à jour sur une base quotidienne et qu’elle déplaçait au bas de la liste le nom de ceux qui ne présentaient pas de nouvelle demande, même si le règlement administratif de 2005 sur le logement de Canoe Lake n’exigeait pas que les membres soumettent une demande de logement chaque année. Elle avait l’habitude de radier de la liste d’attente le nom de ceux qui, au bout de quelques années, n’avaient pas présenté une nouvelle demande pour confirmer qu’ils avaient toujours besoin d’un logement.

[123] Ce témoignage semble être étayé par la liste des demandes de logement de 2020 qui a été déposée en preuve à l’audience, qui ne comprend aucune demande présentée avant janvier 2019, quoique certaines entrées ne précisent pas la date de la demande. Aucune personne figurant sur la liste de 2020 n’a présenté une demande en 2018, comme c’était le cas de Mme Iron. Il est possible que certaines des personnes figurant sur la liste de 2020 aient également déposé des demandes antérieures. Elles auraient pu figurer sur les listes de 2018 ou de 2019 sur lesquelles le nom de Mme Iron figurait, puis déposer une nouvelle demande de logement pour demeurer sur la liste. Toutefois, comme tous les autres noms figurant sur les listes de 2018 et de 2019 ont été caviardés, il est impossible de le confirmer. Le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve sur la question de savoir si certaines personnes figurant sur la liste de 2020 ont présenté une demande avant la date indiquée sur cette liste, de sorte qu’ils se seraient trouvés dans une situation semblable à celle de Mme Iron.

[124] Même si Mme Iron a affirmé avoir déposé une nouvelle demande auprès du secteur du logement en 2020, Mme Bouvier et PJ Iron ont tous les deux affirmé que celle-ci ne se trouve pas dans leurs dossiers et ni l’un ni l’autre ne se souvient de l’avoir reçue. Ils ont tous les deux affirmé que leurs dossiers ne comprennent qu’une seule demande de logement de la part de Mme Iron, soit celle de 2018.

[125] Mme Iron elle-même ne se souvenait pas de la date à laquelle elle avait remis sa demande de 2020, ni à qui elle l’avait remise. Elle ne se rappelait pas si elle l’avait présentée en personne ou par courriel. J’accepte la preuve de Canoe Lake selon laquelle elle n’a pas reçu la demande de 2020 de Mme Iron. Mme Iron se rappelait bien à qui elle avait remis sa demande en 2018, soit deux ans auparavant. Compte tenu de son incapacité à se rappeler comment et quand elle a déposé la demande de 2020, et des éléments de preuve selon lesquels cette demande ne figure pas dans les dossiers du secteur du logement, je conclus qu’il est plus probable qu’improbable qu’elle n’a pas présenté de demande de logement à Canoe Lake en 2020.

[126] Même sans savoir exactement comment le nom de Mme Iron a été radié de la liste d’attente pour un logement, la preuve étaye le fait que son nom ne figurait plus sur la liste des demandes de logement de 2020. Compte tenu de la pratique consistant à radier de la liste le nom des personnes qui n’avaient pas présenté une nouvelle demande, il est raisonnable que la demande de logement présentée en 2018 par Mme Iron ne figure pas sur la liste des demandes de logement de 2020, étant donné que les demandes qui y figurent sont datées de janvier 2019 à mars 2021.

[127] Aucun élément de preuve n’indique qui a radié le nom de Mme Iron de la liste d’attente, de sorte qu’il ne figurait pas sur la liste de 2020, qui a été préparée après le dépôt de sa plainte pour atteinte aux droits de la personne, en mars 2019. Bien que l’hypothèse selon laquelle son nom a été radié parce qu’elle avait déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne « [puisse] suffire pour une enquête ou une médiation, cela ne suffit pas pour pouvoir conclure à des représailles au sens de l’article 14.1 de la LCDP devant le Tribunal » (Dixon, au par. 65).

[128] Pour obtenir gain de cause devant le Tribunal, il faut des éléments de preuve, et non seulement des soupçons ou des présomptions. Je reconnais qu’il peut être difficile d’établir qu’il y a eu des représailles, car celles-ci sont rarement exercées ouvertement, mais « cela ne saurait l’emporter sur l’obligation d’étayer les allégations de discrimination par des preuves et non par de simples hypothèses » (Dixon, au par. 67). La prépondérance des probabilités dans la présente affaire ne favorise pas l’argument de Mme Iron selon lequel elle a été victime de représailles discriminatoires lorsque son nom a été radié de la liste d’attente pour un logement.

b) Conclusion

[129] Je conclus que Mme Iron n’a pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que Canoe Lake a exercé des représailles contre elle au sens de l’article 14.1 de la LCDP. La preuve présentée dans la présente affaire n’était pas complète ni suffisante pour conclure que le nom de Mme Iron a été radié de la liste des demandes de logement de 2020 du moins en partie parce qu’elle avait déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne.

Signée par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 10 mai 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T2718/9421

Intitulé de la cause : Iron c. Première Nation crie de Canoe Lake

Date de la décision du Tribunal : Le 10 mai 2024

Date et lieu de l’audience : Du 31 août au 2 septembre 2022

Audience par vidéoconférence Zoom

Comparutions :

Judith Iron, pour la plaignante

Christine Singh, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Lorne R. Fagnan et Sydney A. Young, pour l’intimée

 



[1] Dans les arrêts Gould et Berg, la Cour suprême a conclu que le terme « public » dans la LCDP et les termes utilisés dans les dispositions similaires des lois provinciales sur les droits de la personne étaient des synonymes fonctionnels.

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