Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Dans la présente décision sur requête, le Tribunal a autorisé la partie plaignante, Mx Dinardo, à apporter des modifications à son exposé des précisions. Ce document expose les faits et les questions qu’une partie veut soulever au cours d’une audience du Tribunal. Le Tribunal peut autoriser des modifications à un exposé des précisions lorsque celles-ci sont liées aux principales questions défendues par une partie. Pour ce faire, le Tribunal examine si le fait d’autoriser les modifications causerait un préjudice à l’autre partie.

Le Tribunal a accepté deux des modifications proposées. Par conséquent, Mx Dinardo peut discuter de ces deux modifications durant l’audience, mais le Tribunal n’a pas encore déterminé si ses allégations sont fondées.

Le Tribunal a approuvé ce qui suit :
• les modifications pour tenir compte du fait que Mx Dinardo n’est plus en détention;
• les modifications visant à augmenter l’indemnité demandée par Mx Dinardo.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 80

Date : Le 9 mai 2024

Numéros des dossiers : T2747/12321; HR-DP-2868-22

Entre :

Nicholas Dinardo

la partie plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel du Canada

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Catherine Fagan


I. APERÇU DES MODIFICATIONS DEMANDÉES

[1] Nicholas Dinardo, la partie plaignante en l’espèce, utilise des pronoms neutres et s’identifie comme une femme autochtone, juive, bispirituelle et transféminine.

[2] La partie plaignante a déposé auprès du Tribunal deux plaintes pour atteinte aux droits de la personne à l’encontre du Service correctionnel du Canada (le « SCC »), l’intimé (numéros des dossiers du Tribunal T2747/12321 et HR-DP-2868-22). Le Tribunal a regroupé les deux plaintes pour qu’elles fassent l’objet d’une seule et même instruction. Dans ces plaintes réunies, la partie plaignante allègue qu’elle a été victime de harcèlement et de discrimination alors qu’elle se trouvait sous la garde du SCC, et qu’elle continue de l’être.

[3] Le 15 janvier 2024, la partie plaignante a présenté une demande écrite au Tribunal en vue d’obtenir l’autorisation d’apporter de nombreuses modifications à son exposé des précisions. Dans une décision sur requête rendue le 29 janvier 2024, le Tribunal a statué sur les demandes de modification qui visaient la suppression de certaines allégations et l’ajout d’allégations de représailles (voir Dinardo c. Service correctionnel du Canada, 2024 TCDP 3).

[4] Les autres demandes de modification non encore traitées le seront dans la présente décision sur requête. Il s’agit des modifications visant :

[5] La partie plaignante, le SCC et la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») ont présenté par écrit au Tribunal leurs observations sur les modifications proposées. Les parties intéressées, qui participent seulement aux aspects systémiques des plaintes, n’ont pas pris position.

[6] Pour les motifs énoncés ci-après, les modifications seront autorisées.

II. CADRE JURIDIQUE

[7] Dans les décisions sur requête Peters c. Première Nation de Peters, 2023 TCDP 58 (au par. 9) [Peters] et Blodgett c. GE-Hitachi Nuclear Energy Canada Inc., 2013 TCDP 24 (aux par. 16 et 17), le Tribunal a souligné le pouvoir discrétionnaire considérable qui lui est conféré par le paragraphe 48.9(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C (1985), ch. H-6 (la « LCDP ») relativement à l’instruction des plaintes. Ce pouvoir concerne notamment le fait de faire droit à des requêtes en modification d’une plainte ou de rejeter celles-ci. Comme il est énoncé au paragraphe 9 de la décision sur requête Peters (citant Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313, au par. 30 [Parent]), le Tribunal dispose du pouvoir discrétionnaire d’autoriser des modifications, en particulier si cette autorisation sert les intérêts de la justice en aidant à déterminer les questions en litige.

[8] Toutefois, le Tribunal doit évaluer soigneusement tout préjudice que l’autorisation de la modification pourrait causer à d’autres parties. Le paragraphe 10 de la décision Peters précise que l’autre partie ne subira pas de préjudice si elle est en mesure de se préparer et de faire valoir sa position sur les nouvelles questions soulevées (voir également Parent, au par. 40).

[9] En outre, les modifications ne doivent pas transformer la plainte en une plainte entièrement nouvelle. Cela signifie qu’il doit exister un lien, en fait et en droit, entre la plainte initiale et la modification proposée (Peters, au par. 10 et Tran c. l’Agence du revenu du Canada, 2010 TCDP 31, aux par. 17 et 18).

[10] Enfin, dans la décision sur requête Temate c. Agence de santé publique du Canada, 2022 TCDP 31, au paragraphe 17 [Temate], le Tribunal a confirmé qu’une demande de modification peut être rejetée lorsqu’il est manifeste et évident que les allégations n’ont aucune chance de succès.

[11] En règle générale, lorsque le Tribunal est appelé à déterminer s’il y a lieu d’autoriser des modifications, il doit adopter une démarche équilibrée. Autrement dit, les modifications seront accordées si la prépondérance des inconvénients penche en faveur de la partie qui a demandé les modifications (Peters, au par. 9).

III. MODIFICATIONS CONCERNANT L’ÉCHÉANCIER

[12] Le SCC a fait savoir au Tribunal qu’il consentait aux modifications concernant l’échéancier. De ce fait, le Tribunal les autorise.

IV. MODIFICATION CONCERNANT LE MONTANT À ACCORDER

[13] La partie plaignante demande à pouvoir supprimer et ajouter des passages comme suit, au paragraphe 253 de son exposé des précisions modifié (les éléments à supprimer sont biffés, et les éléments à ajouter sont soulignés) :

[traduction]

En outre, la partie plaignante réclame une indemnité d’un montant total de 80 000 $ 720 000 $, ce qui correspond à : a) l’indemnité pour le préjudice moral dont elle a souffert par suite des actes discriminatoires commis par le SCC; b) une indemnité spéciale, car les actes discriminatoires commis par le SCC étaient soit délibérés, soit inconsidérés, ou les deux à la fois. Ce montant représente 40 000 $ pour chacune des deux plaintes pour atteinte aux droits de la personne déposées par la partie plaignante (ou, subsidiairement, 40 000 $ pour l’allégation fondée sur l’article 5 de la LCDP, et 40 00 $ pour celle fondée sur l’article 14); 40 000 $ pour chaque incident de recours à la force pour lequel des éléments de preuves sont présentés (15 incidents); ainsi que 40 000 $ pour les représailles subies. Le Tribunal a déjà reconnu, dans l’affaire Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, qu’il peut accorder plusieurs indemnités au montant maximal habituel de 40 000 $, afin de tenir compte de l’effet cumulatif des infractions à la LCDP. De plus, la jurisprudence du Tribunal a établi que le fait d’exercer des représailles constitue « un “acte discriminatoire” spécialisé et distinct » et que, par conséquent, « [elles] oblige[nt] à prendre en considération un chef distinct de dommages-intérêts ».

[14] Par cette modification, la partie plaignante cherche à faire passer de 80 000 $ à 720 000 $ le montant total de l’indemnité qu’elle réclame en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP. Comme il est expliqué au nouveau paragraphe 254 proposé, la somme plus élevée est demandée afin de prendre en considération l’effet cumulatif des multiples actes présumés de harcèlement, de discrimination et de représailles commis à l’endroit de la partie plaignante par le SCC.

(i) Résumé des positions des parties

[15] La partie plaignante soutient que la modification concernant le montant à accorder devrait être autorisée parce que l’ajout demandé ne causerait pas de préjudice ni d’injustice au SCC. Elle souligne que la modification : 1) ne soulève aucun fait nouveau; 2) ne change pas la teneur de sa plainte; et 3) ne nécessite aucune divulgation additionnelle de documents. La partie plaignante affirme que le SCC aura amplement le temps de se pencher sur la modification. En effet, ce dernier ne devra présenter ses observations au sujet du montant de toute réparation qu’à la fin de l’audience, c’est-à-dire, dans plusieurs mois.

[16] La partie plaignante fait également valoir qu’autoriser cette modification servirait les intérêts de la justice, parce qu’elle lui permettrait de réclamer une indemnisation complète pour les nombreux actes de discrimination et de violence commis à son endroit par le SCC. Elle allègue que le refus de cette modification lui causerait un préjudice grave.

[17] Le Tribunal ne se prononce pas sur le bien-fondé des modifications demandées lorsqu’il est appelé à décider s’il convient de les autoriser ou non. Cependant, la partie plaignante soutient que le Tribunal a reconnu, dans la décision sur requête Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et autres c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2019 TCDP 39, au paragraphe 257 (la décision « Société de soutien »), qu’il peut accorder plusieurs indemnités au montant maximal habituel de 40 000 $, afin de tenir compte de l’effet cumulatif d’un comportement discriminatoire. Dans l’affaire en question, le Tribunal a accordé, aux parents et aux grands-parents pourvoyeurs de soins, 40 000 $ pour chaque enfant qui leur avait été retiré par l’intimé (soit 20 000 $ pour préjudice moral et 20 000 $ pour conduite délibérée et inconsidérée). Le Tribunal a par la suite déclaré que l’ordonnance d’indemnisation avait pour objectif de reconnaître « l’effet combiné sur un parent ou un grand-parent pourvoyeur de soins qui a déjà vécu le préjudice moral causé par le retrait d’un enfant, et qui subit de nouveau le préjudice énorme de perdre un ou plusieurs autres enfants en raison de la discrimination raciale systémique. » (voir la décision sur requête Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations et al. c. Procureur général du Canada (représentant le ministre des Affaires autochtones et du Nord canadien), 2022 TCDP 41, au par. 356).

[18] Enfin, la partie plaignante affirme que les mesures de représailles constituent [traduction] « un acte discriminatoire spécialisé et distinct » et que, par conséquent, elles obligent à prendre en considération un chef distinct de dommages-intérêts.

[19] En revanche, l’intimé soutient que la modification concernant le montant à accorder devrait être refusée, parce qu’il est manifeste et évident qu’elle n’a aucune chance de succès. Plus précisément, il prétend que la demande de modification va à l’encontre du libellé clair de la LCDP, qui prévoit une indemnité maximale précise, sans égard au nombre de présumés incidents de discrimination visés par les plaintes réunies.

[20] L’alinéa 53(2)e) et le paragraphe 53(3) de la LCDP se lisent comme suit :

(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[…]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

[Gras ajouté]

[21] Le SCC ajoute que, dans la décision Société de soutien, l’indemnité maximale accordée n’a pas dépassé le plafond fixé à 40 000 $ par victime. Selon le SCC, la décision Société de soutien était unique, en ce sens que les deux plaignantes en cause étaient des organisations d’intérêt public et qu’elles n’étaient pas elles-mêmes des victimes de la discrimination. L’approche du Tribunal, dans le cadre de cette affaire, a permis à des parents ou grands-parents qui ont eu plus d’un enfant retiré de leur foyer de recevoir plusieurs indemnisations. Pourtant, le SCC soutient que cette approche, qui a donné lieu aux ordonnances d’indemnisation, découle simplement des circonstances exceptionnelles et de la nature unique, aux allures de recours collectif, de la plainte. Le SCC affirme que, contrairement à l’affaire qui précède, la présente plainte ne concerne qu’une seule partie plaignante, soit la prétendue victime du comportement discriminatoire. Pour ces raisons, il estime que le plafond de 40 000 $ s’applique.

[22] Le SCC mentionne que, depuis la décision Société de soutien, le Tribunal a continué d’appliquer, de manière claire et constante, la limite de 40 000 $ prévue par la LCDP, même lorsque plus d’un cas de discrimination était prouvé.

[23] La Commission ne s’oppose pas à la modification concernant le montant à accorder. Elle est d’avis que celle-ci n’étendra pas la portée de l’instruction, et qu’elle devrait, par conséquent, être autorisée. Elle précise que le critère relatif au caractère « manifeste et évident » énoncé dans la décision Temate — selon lequel des modifications ne devraient pas être autorisées si les allégations n’ont aucune chance de succès — devrait seulement s’appliquer à l’examen de questions de proportionnalité lorsque la portée de l’instruction se trouve à être étendue par la modification. Vu que tel n’est pas le cas en l’occurrence, la Commission soutient que ce critère ne s’applique pas.

[24] La Commission affirme, en outre, que le critère relatif au caractère « manifeste et évident » est limité, en ce sens qu’il s’applique aux nouvelles allégations qui n’ont aucune chance de succès. Étant donné qu’en l’espèce, la modification concernant le montant à accorder n’ajoute pas de nouvelles allégations (c.-à-d., de nouveaux motifs de distinction illicite ou actes discriminatoires), encore une fois, le critère ne trouve pas application.

V. Analyse

[25] Je suis d’accord avec la Commission pour dire que le critère relatif au caractère « manifeste et évident », dont il est question dans la décision Temate, ne s’applique pas à la présente demande puisque la modification concernant le montant à accorder n’étend pas la portée de l’instruction et n’ajoute aucune nouvelle allégation. En fait, la portée factuelle de la plainte en l’espèce demeure en grande partie inchangée par cette modification. La partie plaignante ne prétend pas non plus ajouter de nouveaux motifs de distinction illicite ni de nouveaux actes discriminatoires. Compte tenu du fait que le critère relatif au caractère « manifeste et évident » n’est pas applicable, je n’ai pas besoin d’entreprendre un examen approfondi des arguments selon lesquels la demande de modification concernant le montant à accorder devrait être refusée parce qu’elle n’a aucune chance raisonnable de succès. Il s’agit d’une question juridique qui devra être traitée à la lumière d’un dossier complet appuyé par des observations juridiques exhaustives.

[26] Je conviens aussi qu’il existe un lien entre la modification concernant le montant à accorder et les plaintes, puisque les mesures de réparation modifiées sont reliées aux actes discriminatoires allégués, tels qu’ils sont décrits dans les plaintes initiales.

[27] L’intimé disposera de suffisamment de temps pour se préparer et faire valoir ses positions. Par conséquent, je partage l’avis de la Commission et de la partie plaignante selon lequel l’autorisation de la modification concernant le montant à accorder ne causera aucun préjudice au SCC.

[28] Vu qu’il existe un lien entre la modification demandée et les plaintes, et que l’autorisation de la modification n’entraînera aucun préjudice pour les parties, j’estime que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l’accueil de la demande.

[29] Il convient de souligner que, pour le Tribunal, le fait d’autoriser la modification concernant le montant réclamé ne revient pas à se prononcer sur le bien-fondé, en fait et en droit, de la demande elle-même. Les questions au sujet de l’indemnité et de ce qui est permis en vertu de l’alinéa 53(2)e) et du paragraphe 53(3) de la LCDP seront traitées au moment de la décision finale sur les plaintes réunies de la partie plaignante, si le Tribunal conclut qu’il y a eu discrimination.

VI. ORDONNANCE

[30] Par conséquent, le Tribunal rend les ordonnances suivantes :

  • a)Sur consentement des parties, les modifications à apporter à l’exposé des précisions de la partie plaignante concernant l’échéancier sont autorisées;

  • b)La modification à apporter à l’exposé des précisions de la partie plaignante concernant le montant à accorder est autorisée;

  • c)Compte tenu de ce qui précède et de la décision sur requête 2024 TCDP 3, l’ensemble des modifications proposées par la partie plaignante dans son exposé des précisions modifié, déposé le 15 janvier 2024, sont autorisées.

Signée par

Catherine Fagan

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 9 mai 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéros des dossiers du Tribunal : T2747/12321; HR-DP-2868-22

Intitulé de la cause : Nicholas Dinardo c. Service correctionnel du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 9 mai 2024

Date et lieu de l’audience : Observations orales seulement

Comparutions :

Nicole Kief, Jessica Magonet, David Taylor et Christopher Trivisonno, pour la partie plaignante

Ezra Park, Matt Huculak et Charmaine De Los Reyes, pour l’intimé

Geneviève Colverson , pour la Commission canadienne des droits de la personne

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