Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 71

Date : Le 8 mai 2024

Numéro du dossier : T2571/12820

Entre :

Mahdi Yousefi Koopaei

la partie plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Jennifer Khurana


I. Aperçu

[1] La partie plaignante, Mahdi Yousefi Koopaei, qui est une ressortissante iranienne, a déposé une plainte à l’encontre d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (IRCC), l’intimé. En résumé, elle y allègue qu’IRCC a retardé le traitement de sa demande.

[2] En 2020 et 2021, la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») a renvoyé au Tribunal la présente plainte, de même que 56 autres plaintes individuelles similaires, mais distinctes, qui ne sont pas jointes à la présente. La Commission a également renvoyé une plainte connexe déposée par un groupe de personnes alléguant avoir été victimes de discrimination de la part d’IRCC. Le même groupe a aussi déposé des plaintes semblables à l’encontre de trois autres organismes gouvernementaux intimés, pour un total de quatre plaintes. Ces plaintes collectives font également l’objet d’une instruction distincte.

[3] À la suite du renvoi au Tribunal par la Commission, l’intimé a demandé à la Commission de transmettre la plainte à l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR) en vertu de l’alinéa 45(2)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « Loi »). Le Tribunal a suspendu l’instruction de la plainte ainsi que tous les délais, en attendant l’achèvement du processus de l’OSSNR.

[4] Le 13 mars 2023, l’OSSNR a communiqué son rapport à la Commission. L’intimé a alors demandé à la Commission de s’abstenir de traiter la plainte jusqu’à l’issue de la demande de contrôle judiciaire qu’il avait présentée pour contester l’équité procédurale du processus devant l’OSSNR. La Commission a indiqué qu’elle traiterait la plainte pour ensuite décider s’il y avait lieu de la renvoyer au Tribunal. Elle a ainsi étudié la plainte de mars à octobre.

[5] En octobre 2023, la Commission a informé le Tribunal qu’elle avait pris une décision en vertu de l’alinéa 46(2)a) de la Loi, elle qu’elle avait décidé de procéder à un deuxième renvoi de la plainte au Tribunal (le « renvoi renouvelé »). Par ailleurs, la Commission a modifié la plainte en y incluant des motifs différents de ceux que la partie plaignante avait, semble-t-il, précisés dans le formulaire de plainte initial déposé auprès d’elle.

[6] Dans une lettre datée du 20 octobre 2023, le Tribunal a informé les parties qu’étant donné que le processus devant l’OSSNR était terminé, le sursis l’était également, et la plainte serait maintenant instruite dans le cadre de l’instance devant le Tribunal.

[7] L’intimé demande au Tribunal de rétablir la suspension de l’instance jusqu’à ce que la Cour fédérale ait tranché toutes les questions qui lui ont été soumises, ce qui, selon lui, ne prendra que quelques mois. Il fait valoir que le processus de l’OSSNR était inéquitable sur le plan procédural, et affirme qu’une éventuelle réouverture de ce processus pourrait influer sur la décision de la Commission de renvoyer la plainte ou non. Comme il sera expliqué ci-dessous, toutes les parties à la présente plainte sont également parties aux demandes de contrôle judiciaire portées devant la Cour. L’OSSNR a également sollicité auprès de celle-ci la permission d’intervenir dans la demande d’autorisation de contrôle judiciaire présentée par l’intimé à l’encontre du processus de l’OSSNR.

[8] La Commission s’oppose à la demande de l’intimé. Elle soutient qu’il n’y a pas, en l’espèce, de circonstances exceptionnelles justifiant l’octroi d’un sursis et qu’il n’est pas dans « l’intérêt de la justice » de le faire.

[9] Dans leurs observations, les parties utilisent aussi bien le verbe « surseoir » que le terme « suspendre ». Je ne me pencherai pas sur la différence entre ces termes, ni sur la question de savoir s’ils devraient être utilisés de manière interchangeable, car cet exercice n’est pas nécessaire pour statuer sur la demande de l’intimé. Quels que soient les termes utilisés, la demande de l’intimé est claire. Il souhaite que le Tribunal suspende l’instruction de la plainte jusqu’à ce que toutes les questions dont la Cour est actuellement saisie soient tranchées.

II. DÉCISION

[10] La demande de l’intimé est rejetée. Je ne suis pas persuadée qu’en l’espèce, il existe des circonstances exceptionnelles qui justifieraient la suspension de l’instance, ni qu’il est dans l’intérêt de la justice d’attendre que les multiples questions dont la Cour fédérale est saisie soient résolues. Les délais relatifs aux demandes de contrôle, de même que l’issue de celles-ci, sont incertains, et la partie plaignante attend depuis des années que sa plainte soit instruite par le Tribunal. Il reste toutefois un certain nombre de questions en suspens concernant la plainte, vu la manière dont elle a été traitée et renvoyée, et j’ai dressé une liste préliminaire de points à examiner avec les parties dans le cadre de la gestion de l’instance. D’autres points s’ajouteront probablement.

III. CONTEXTE

[11] L’historique procédural de la plainte est inhabituel, et la chronologie des demandes et requêtes adressées à la Cour fédérale par la Commission et les parties est complexe. Bien qu’à ce stade-ci, la seule question que je doive trancher est celle de savoir si l’instruction de la plainte devrait être suspendue, j’ai exposé ci-dessous les questions toujours pendantes devant la Cour fédérale, dans la mesure où une telle mise en contexte est pertinente par rapport à ma décision et aux prochaines étapes de l’instance.

État des renvois renouvelé

[12] J’ai demandé aux parties — à commencer par la Commission — de présenter des observations sur l’état du droit concernant le « renvoi renouvelé » d’une plainte. Plus précisément, j’ai demandé à la Commission d’expliquer pour quelle raison elle avait renvoyé la plainte une deuxième fois, et comment, selon elle, le Tribunal devrait traiter ce renvoi, étant donné que le dossier de la plainte est ouvert depuis près de quatre ans.

[13] La Commission a expliqué que, dès le moment où elle avait reçu le rapport de l’OSSNR, elle n’avait que deux possibilités en regard de l’alinéa 46(2)a) de la Loi. Elle pouvait soit rejeter la plainte, soit l’« étudier » en vertu des pouvoirs que lui confère la partie III de la Loi. La Commission a décidé de traiter la plainte selon sa procédure habituelle, puis elle l’a renvoyée comme s’il s’agissait d’une toute nouvelle plainte.

[14] Le Tribunal n’a pas ouvert de nouveau dossier après avoir été saisi du renvoi renouvelé, puisque le dossier de la plainte initialement renvoyée au Tribunal n’avait jamais été clos, non plus que la plainte n’avait été retirée ou tranchée d’une autre manière. La Commission n’a pas demandé à ce que la plainte initiale soit déclarée nulle ou soit close.

[15] La Commission reconnaît qu’il est inhabituel de renvoyer deux fois la même plainte devant le Tribunal. Elle affirme que cette situation tient au fait que l’intimé avait demandé que l’affaire soit transmise à l’OSSNR alors que le Tribunal avait déjà commencé l’instruction, et qu’il n’existait aucune jurisprudence qui puisse indiquer la façon dont la Commission et les parties devaient procéder dans les circonstances.

[16] Selon la Commission, le renvoi d’octobre 2023 devrait définir la portée de l’instruction du Tribunal et se substituer au renvoi initial. La Commission soutient qu’aucun poids ne devrait être accordé à sa décision de renvoi initiale. Les autres parties n’ont pas présenté d’observations à ce sujet ni n’ont répondu à cet argument en particulier.

[17] Dans le cadre de la présente décision sur la demande de suspension, il n’est pas essentiel de savoir que faire des renvois renouvelés. Quoi qu’il en soit, cette question pourrait être soumise à la Cour fédérale, car l’intimé a demandé une prorogation de délai pour permettre le contrôle judiciaire de la décision, prise par la Commission, de renvoyer la plainte pour la deuxième fois, au motif que le processus de l’OSSNR comportait des lacunes et n’était pas équitable sur le plan procédural. L’intimé ne semble pas avoir demandé le contrôle judiciaire de la première décision de la Commission de renvoyer la plainte avant le déclenchement du processus d’enquête de l’OSSNR. Le Tribunal abordera cette question dans le cadre des conférences de gestion préparatoires tenues avec les parties.

Les demandes de contrôle judiciaire en instance

(i) La demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimé à l’encontre du rapport d’enquête de l’OSSNR

[18] En mars 2023, l’intimé a déposé une demande de contrôle judiciaire visant le rapport d’enquête de l’OSSNR, demande où il alléguait un manque d’équité procédurale dans l’enquête de l’OSSNR (dossier de la Cour fédérale nT-427-23). L’intimé demandait également que le rapport d’enquête de l’OSSNR soit annulé, et l’affaire, transmise de nouveau à l’OSSNR. Selon l’intimé, si la demande de contrôle judiciaire devait être accueillie, l’enquête de la Commission sur la plainte serait rouverte en conséquence, ce qui pourrait avoir une incidence sur la décision de la Commission de renvoyer la plainte au Tribunal. L’intimé avance que les prochaines étapes de l’instruction du Tribunal seront fondées sur un dossier qui [traduction] « se révélera en fin de compte inexact », et qu’il en résultera une perte de temps et d’argent pour toutes les parties.

[19] L’intimé soutient que l’instruction de la demande de contrôle judiciaire est très avancée, que l’audience aura lieu sous peu et qu’elle [traduction] « devrait se dérouler au printemps 2024 », advenant que la requête en radiation présentée par la Commission soit rejetée.

[20] Selon le résumé de l’état d’avancement des procédures en instance devant la Cour fédérale fourni par la Commission le 16 avril 2024, la demande de contrôle judiciaire est suspendue, en attendant que soit tranchée la requête de la Commission visant à la faire radier au motif qu’elle est prématurée, comme je l’expliquerai ci-dessous. L’OSSNR a également déposé une requête en autorisation d’intervenir dans la demande de contrôle judiciaire introduite par l’intimé.

(ii) La requête de la Commission visant à faire radier la demande de l’intimé pour cause de prématurité

[21] Le 7 juillet 2023, la Commission a présenté à la Cour fédérale une requête visant à faire radier la demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimé à l’encontre du rapport d’enquête de l’OSSNR, au motif que cette demande était prématurée. La Commission a fait valoir que le rapport de l’OSSNR ne constituait qu’un élément du processus décisionnel de la Commission, et qu’il ne pouvait être examiné isolément. La Commission a soutenu que l’intimé devait plutôt attendre le résultat de la procédure de la Commission. Dans l’intervalle, la Commission a pris sa décision et a renvoyé la plainte de nouveau en octobre 2023.

[22] Selon les renseignements fournis le 16 avril 2024 par les parties, la requête en radiation de la Commission a été débattue le 30 janvier 2024, des observations supplémentaires ont été déposées le 4 mars 2024, et une décision de la Cour fédérale est pendante.

[23] La Commission a expliqué que, si sa requête en radiation de la demande devait être accueillie, la contestation du processus de l’OSSNR serait résolue. En revanche, si cette requête devait être rejetée, il faudrait alors traiter la demande d’intervention de l’OSSNR. Que la demande d’intervention de l’OSSNR soit accordée ou refusée, la demande de contrôle judiciaire ira de l’avant. La Cour fixera alors de nouveaux délais pour le dépôt des observations et des affidavits de toutes les parties, y de compris l’OSSNR s’il est autorisé à intervenir et à déposer des documents. Elle mettra également au rôle l’audience relative au contrôle judiciaire.

(iii) La demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimé à l’encontre des décisions de renvoi de la Commission et la requête en prorogation du délai imparti pour le dépôt de cette demande

[24] Le 5 décembre 2023, l’intimé a déposé une demande de contrôle judiciaire visant la décision de la Commission de renvoyer à nouveau la plainte au Tribunal pour instruction (dossier de la Cour fédérale n 23-T-129). Comme sa demande était tardive, l’intimé a dû présenter une requête afin d’obtenir une prorogation du délai pour la déposer. À la date de la mise à jour fournie par l’intimé le 16 avril 2024, les documents relatifs à la requête étaient signifiés et déposés, et la décision de la Cour était pendante. Selon l’intimé, si sa demande de contrôle judiciaire est accueillie, l’affaire sera renvoyée à la Commission pour réexamen, dans l’attente d’un nouveau rapport d’enquête de l’OSSNR.

IV. ANALYSE

[25] Ce n’est que dans les circonstances les plus exceptionnelles qu’il y a lieu de suspendre l’instruction des plaintes (Bailie et al. c. Air Canada et Association des pilotes d’Air Canada, 2012 TCDP 6, au par. 22, et L’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry et Acoby c. Service correctionnel du Canada, 2019 TCDP 30, au par. 14).

[26] La Loi exige que le Tribunal établisse un équilibre entre les principes de justice naturelle et l’impératif consistant en ce que les plaintes soient instruites de façon expéditive (paragraphe 48.9(1)). Lorsqu’il examine la possibilité de suspendre l’instance, le Tribunal peut se demander s’il est dans « l’intérêt de la justice » de le faire (Laurent Duverger c. 2553-433-Québec Inc. (Aeropro), 2018 TCDP 5, aux par. 58 à 60 [Duverger]). Cette approche repose sur une évaluation raisonnable et souple des facteurs applicables aux demandes de suspension de l’instance, notamment les principes d’équité procédurale, l’existence d’une question sérieuse de fait ou de droit à juger, la notion de préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients entre les parties et l’intérêt du public à ce que les plaintes en matière de droits de la personne soient instruites avec rapidement. Les facteurs et les intérêts que le Tribunal doit prendre en considération peuvent varier en fonction des circonstances de chaque affaire (Williams c. Banque de Nouvelle-Écosse, 2021 TCDP 24, au par. 38, et Duverger, au par. 58).

[27] Il n’est généralement pas dans l’intérêt de la justice que le Tribunal accorde une suspension en attendant l’issue du contrôle judiciaire d’une décision de la Commission de renvoyer une plainte au Tribunal (Duverger, aux par. 68 et 71).

[28] Il incombe à la partie qui demande la suspension de l’instance de présenter des éléments de preuve clairs et non hypothétiques établissant qu’un préjudice irréparable sera causé si sa requête est rejetée (Canada (Procureur général) c. Amnesty international Canada, 2009 CF 426, au par. 29).  La perte de temps, le gaspillage de ressources financières et l’impossibilité d’obtenir le remboursement des coûts, de même que le stress et l’anxiété inhérents à la participation à des procédures judiciaires et quasi-judiciaires, ne causent pas automatiquement de préjudice irréparable pour les parties (Duverger, aux par. 64, 65 et 70, citant Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, (1997) 127 FTR 44, 1997 CanLII 4851 (CF) [Bell Canada], au par. 40).

[29] À mon avis, il est dans l’intérêt de toutes les parties, et dans l’intérêt public, que d’aller de l’avant à ce stade-ci pour éviter tout retard supplémentaire. L’historique procédural et les circonstances de la présente plainte sont complexes et inédits. Mais, en l’espèce, sur la base des renseignements limités dont je dispose, il ne me paraît pas exister de circonstances exceptionnelles qui justifieraient de rétablir la suspension de l’instance. À l’heure actuelle, les circonstances de la plainte et les renseignements portés à la connaissance du Tribunal ne justifient pas l’octroi d’un sursis.

[30] L’intimé allègue avoir été privé de la possibilité de présenter des observations à l’OSSNR au cours de l’enquête, ce qui a eu pour effet de vicier le rapport d’enquête et, par conséquent, la décision de la Commission de renvoyer les plaintes au Tribunal. Bien que je sois disposée à accepter, compte tenu des renseignements limités dont je dispose, que l’intimé a soulevé une question sérieuse concernant l’équité procédurale du processus de l’OSSNR, je ne suis pas persuadée que l’instance devant le Tribunal devrait être interrompue sur le fondement de spéculations au sujet des décisions qui seront rendues à l’issue des contrôles judiciaires et du moment où elles le seront.

[31] L’intimé soutient qu’il subirait un préjudice irréparable si la plainte était instruite devant le Tribunal. Il soutient que l’instance entraînerait un gaspillage de temps et d’argent irrécupérable pour toutes les parties, vu que celles-ci auraient à se préparer et à participer à ce qui pourrait s’avérer être une audience inutile, advenant que la Cour fédérale statue que le processus d’enquête de l’OSSNR était inéquitable sur le plan procédural, et que la décision de la Commission de renvoyer la plainte était fondée sur un dossier erroné. L’intimé avance en outre qu’il subirait un préjudice irréparable en cas de conclusions contradictoires de la part de la Cour fédérale et du Tribunal.

[32] Le Tribunal a déjà rejeté des arguments similaires au motif que le l’allégation de préjudice formulée était fondée sur la prémisse hypothétique que la Cour fédérale accueillerait les demandes de contrôle judiciaire (Duverger, au par. 64, et Williams, au par. 43). Le gaspillage de temps et d’argent invoqué par l’intimé ne suffit pas en soi à établir l’existence d’un préjudice irréparable. L’intimé n’a pas fourni les éléments de preuve clairs et non hypothétiques requis pour établir qu’il subirait un préjudice irréparable si l’instruction de la plainte allait de l’avant.

[33] Je constate que l’intimé conteste ce qu’il allègue être des processus d’enquête de l’OSSNR et de la Commission entachés d’un vice de procédure, et que la Cour fédérale est actuellement saisie de la question. Toutefois, le contenu de l’enquête de la Commission n’est pas un élément produit en preuve auprès du Tribunal, et l’instance du Tribunal en est une de novo. En termes très simples, à ce stade-ci, ce que la Commission a effectué comme enquête ou ce qu’elle a décidé est une question qui appartient au passé, et qui n’a aucune incidence sur l’instruction du Tribunal. Bien que l’enquête de la Commission soit essentielle à sa décision de renvoyer ou non une plainte, une fois celle-ci renvoyée au Tribunal, l’instruction commence. Les parties peuvent présenter leurs arguments au Tribunal comme elles l’entendent. La partie plaignante doit faire valoir sa cause, et la partie intimée peut se défendre contre l’allégation de discrimination formulée et faire valoir tous les arguments qu’elle souhaite mettre de l’avant.

[34] Je rejette également l’affirmation de l’intimé voulant que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de la Couronne, et que le niveau de stress et d’anxiété que la partie plaignante pourrait éprouver en raison d’un retard de quelques mois dans l’instruction du Tribunal ne doive pas être plus élevé que celui que l’intimé connaîtrait, advenant que l’instruction suive son cours. Selon l’intimé, si la demande de contrôle judiciaire visant le rapport d’enquête de l’OSSNR est rejetée, l’instruction de la plainte par le Tribunal pourra reprendre dans quelques mois. Il considère qu’il devra investir beaucoup plus de temps et d’énergie si le Tribunal refuse de mettre l’affaire en suspens que la partie plaignante n’aura à le faire si le sursis est accordé.

[35] Je n’accepte pas les arguments de l’intimé concernant le stress et l’anxiété auxquels il est exposé, ni la manière dont il laisse entendre que ces pressions sont ressenties de la même façon par lui et par la partie plaignante.

[36] L’intimé est une partie institutionnelle de grande taille représentée par des avocats du ministère de la Justice. Il apparaît en revanche que la partie plaignante agit pour son propre compte dans une plainte qu’il a déposée il y a plusieurs années afin de demander réparation pour la discrimination dont il allègue avoir été victime. L’intimé a formulé de simples affirmations concernant le « stress et l’anxiété » qu’il éprouverait comparativement à la partie plaignante, étant donné qu’il aurait à se défendre contre des allégations fondées sur la Loi. Or, comparer ainsi leurs ressources relatives, mais aussi le stress et l’anxiété que chacun vivra, est pour le moins fallacieux.

[37] Je rejette également la thèse de l’intimé selon laquelle [traduction] « toutes les questions en instance devant la Cour fédérale » seront résolues « d’ici quelques mois ». Il pourrait s’agir là d’une sous-estimation importante, compte tenu de la complexité des questions soulevées par les demandes de contrôle judiciaire, de l’incertitude qui subsiste et de la possibilité que des demandes d’appel soient introduites par la suite. « Quelques mois » se sont déjà écoulés depuis que l’intimé a déposé la présente demande, en décembre dernier, et les questions ne sont pas encore toutes tranchées, comme l’ont signalé l’intimé et la Commission le 16 avril 2024.

[38] De plus, la partie plaignante et le public ont tout intérêt à ce que les plaintes pour atteinte aux droits de la personne soient instruites avec célérité, et les retards inutiles compromettent par ailleurs la préservation des éléments de preuve (Duverger, au par. 68).

[39] Enfin, rappelons que, d’un point de vue juridique, la manière dont il convient de traiter les renvois renouvelés n’est même pas claire, pas plus que ne le sont les conséquences d’une décision de rejeter ou de ne pas traiter une plainte dont le Tribunal est déjà saisi. De même, il n’est pas évident de savoir quelles sont les conséquences d’une demande de contrôle judiciaire visant un renvoi renouvelé, dans la mesure où aucune demande de ce type n’a été présentée au moment du renvoi initial de la plainte, il y a quatre ans.

[40] La plainte initiale n’a pas été déclarée nulle ni retirée, et le Tribunal poursuivra sa tâche, qui consiste à instruire les plaintes que la Commission lui renvoie. Il n’appartient pas au Tribunal d’évaluer si, quand ou comment la Commission aurait dû renvoyer la plainte. En tout état de cause, le Tribunal n’a pas compétence pour examiner l’exercice que fait la Commission de son pouvoir discrétionnaire.

V. PROCHAINES ÉTAPES

[41] Le Tribunal enverra aux parties une lettre indiquant les dates limites pour le dépôt des exposés des précisions, la communication de la preuve et les listes de témoins prévus.

[42] À partir d’un examen des quelques documents contenus dans le dossier en l’espèce, le Tribunal a dressé ci-dessous une liste, non exhaustive, de questions préliminaires à trancher. Une fois que leurs exposés des précisions auront été reçus, le Tribunal sondera les parties en vue d’organiser une téléconférence de gestion préparatoire qui sera consacrée à l’examen de ces questions. Les parties en auront peut-être d’autres à ajouter; le cas échéant, elles pourront, si elles le souhaitent, écrire au Tribunal pour lui faire part des questions préliminaires qu’elles souhaitent voir examiner.

  • Pertinence de la plainte initiale par rapport à celle renvoyée de nouveau : portée de la plainte, à la lumière des modifications apportées par la Commission à la plainte initiale
  • Confidentialité et protection des renseignements personnels
  • Possibilité d’une jonction avec d’autres plaintes

VI. ORDONNANCE

[43] La demande de suspension de l’instance présentée par l’intimé est rejetée. Le greffe enverra une première lettre établissant un calendrier pour le dépôt des exposés des précisions et des listes de témoins, et pour la communication de la preuve.

Signée par

Jennifer Khurana

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 8 mai 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : T2571/12820

Intitulé de la cause : Mahdi Yousefi Koopaei c. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 8 mai 2024

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Christine Singh et Sarah Chênevert-Beaudoin , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sandy Graham, Helen Gray, Alexander Gay, Jennifer Francis et Alexandra Pullano , pour l’intimé

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