Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Monsieur Houle (le plaignant), navigant dans la marine marchande, a reçu en 1992 un diagnostic de schizophrénie paranoïde. Depuis 1995, il contrôle son état par la prise continue de médicaments. Après une pause de quelques années, monsieur Houle reprend la navigation entre 1995 et 1999 sans aucun souci de santé. Entre 1999 et 2001, il fait un autre travail, puis en 2001, il souhaite revenir à la navigation. Transports Canada refuse d’abord de renouveler le certificat médical requis en raison de la schizophrénie paranoïde. Puis il le délivre avec des restrictions qui obligent monsieur Houle à naviguer en eaux territoriales, à occuper des fonctions d’officier de quart, à continuer de prendre ses médicaments et à se soumettre à un suivi médical tous les quatre mois. Monsieur Houle cesse alors de travailler comme navigant. En 2012, il souhaite de nouveau revenir à la navigation. Cependant, à compter de 2012, Transports Canada lui délivre des certificats médicaux de la marine comportant les mêmes restrictions. Monsieur Houle conteste une nouvelle fois les certificats, sans succès. Il porte alors plainte à la Commission canadienne des droits de la personne pour actes discriminatoires commis par Transports Canada à compter du 4 septembre 2012. Sa plainte est ensuite envoyée au Tribunal. À compter de 2015, monsieur Houle reprend le service en mer tout en respectant les restrictions imposées dans le certificat médical délivré par Transports Canada. Même s’il obtient dès 1995 un brevet de capitaine au long cours, dont une attestation en 2001 et un renouvellement en 2015 par Transports Canada, il n’a jamais pu travailler comme capitaine en raison des restrictions.

La preuve médicale montre que l’état de monsieur Houle est stable depuis 1995, qu’il ne présente aucun symptôme et qu’il est apte à tout travail pour lequel il est formé. La preuve révèle aussi que les certificats médicaux avec restrictions ont été établis sans tenir compte de la situation particulière de monsieur Houle. Les restrictions sont imposées à un navigant dès qu’il y a un diagnostic de schizophrénie paranoïde. Transports Canada soutient que la norme qu’il applique est nécessaire pour assurer la sécurité du navire et des personnes à son bord. Selon lui, cette norme ne peut pas être respectée si un navigant a reçu un tel diagnostic. Transports Canada estime que délivrer un certificat avec restrictions constitue en soi un accommodement raisonnable et qu’aller au-delà constituerait une contrainte excessive pour lui.

Le Tribunal confirme que la schizophrénie constitue une déficience et que la délivrance du certificat médical de la marine constitue un service destiné au public conformément à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Le Tribunal conclut également que Transports Canada n’avait aucun motif justifiable de refuser la délivrance du certificat médical sans restrictions. En effet, Transports Canada avait l’obligation d’effectuer une évaluation individuelle de monsieur Houle, tenant compte de ses caractéristiques personnelles plutôt que de présumées caractéristiques de groupe. En ce sens, Transports Canada n’a pas établi qu’il aurait fait face à une contrainte excessive s’il n’avait pas appliqué sa norme à monsieur Houle, compte tenu de la condition et de la stabilité de celui-ci depuis 30 ans.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 22

Date : 19 avril 2024

Numéro du dossier : T2660/3621

Entre :

Gaétan Houle

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Transports Canada

l’intimé

Décision

Membre : Marie Langlois


Table des matières

I. DÉCISION 1

II. APERÇU 1

III. QUESTIONS EN LITIGE 3

IV. ANALYSE 4

(i) Question 1 : Le plaignant a-t-il établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 5 de la LCDP parce que l’intimé a refusé de lui délivrer un certificat médical de la marine sans restrictions? 4

a. Est-ce que le plaignant possède une ou des caractéristiques protégées par la LCDP? 4

b. Si oui, a-t-il subi un effet préjudiciable en raison de la délivrance de certificats avec restrictions? 5

c. Si oui, est-ce que la ou les caractéristiques protégées ont été un facteur dans la décision de l’intimé relativement à la délivrance du certificat médical de la marine? 8

(ii) Question 2 : Transports Canada a-t-il établi qu’il avait un motif justifiable de refuser la délivrance du certificat convoité par monsieur Houle? 8

a. La schizophrénie 10

b. Contexte légal de la délivrance des certificats médicaux de la marine 13

c. Processus administratif de la délivrance des certificats médicaux de la marine 16

d. Étape 1 : Transports Canada a-t-il adopté la norme dans un but ou objectif rationnellement lié aux fonctions exercées lors de la délivrance du certificat et la norme est-elle raisonnablement nécessaire? 27

e. Étape 2 : Transports Canada a-t-il adopté la norme de bonne foi, en croyant qu’elle était nécessaire pour réaliser le but ou l’objectif rationnellement lié à la fonction de délivrance des certificats? 28

f. Étape 3 : Transports Canada a-t-il démontré que la délivrance du certificat sans restrictions lui aurait causé une contrainte excessive? 29

(iii) Question 3 : Si l’intimé n’a pas justifié sa décision selon le paragraphe 15(2) de la LCDP, quelles sont les mesures de redressement applicables? 34

a. L’indemnité pour pertes de salaires (alinéa 53(2)c) de la LCDP) 35

b. L’indemnité pour préjudice moral (alinéa 53(2)e) de la LCDP) 39

c. L’indemnité spéciale (paragraphe 53(3) de la LCDP) 40

d. Les intérêts (paragraphe 53(4) de la LCDP) 41

V. ORDONNANCE 42

 

 


I. DÉCISION

[1] Le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») accueille la plainte pour discrimination fondée sur la déficience (schizophrénie) de monsieur Gaétan Houle (le « plaignant »). Le Tribunal estime que le plaignant s’est acquitté de son fardeau de la preuve et que Transports Canada (l’« intimé ») n’a pas réussi à justifier ses actes discriminatoires (refus de délivrer un certificat médical de la marine sans restrictions) en démontrant qu’il existait un motif justifiable de le faire. Les motifs de la décision sont les suivants.

II. APERÇU

[2] Monsieur Houle a occupé un poste de navigant dans la marine marchande de 1975 à 1990.

[3] À compter du 16 août 1990, monsieur Houle cesse de naviguer en raison de maladie. Il reçoit un diagnostic de schizophrénie et se fait prescrire des médicaments. En 1994, monsieur Houle cesse de prendre ses médicaments. Les symptômes de schizophrénie réapparaissent.

[4] Monsieur Houle recommence à naviguer le 23 août 1995, et ce, jusqu’au 13 novembre 1999. Il arrête alors de naviguer et commence à travailler à la ferme de son frère.

[5] À compter de 2001, il souhaite reprendre le service en mer.

[6] En 2005, Transports Canada le déclare inapte au service en mer en raison de son diagnostic de schizophrénie. Monsieur Houle conteste cette décision.

[7] La commission d’appel formée en vertu de l’article 73 du Règlement sur l’armement en équipage des navires infirme ultimement la décision d’inaptitude au service en mer le 21 juin 2005 (contestation d’un certificat médical révisé). La commission d’appel délivre un certificat médical de la marine avec restrictions, dont celle d’exercer les fonctions d’officier de quart (ce qui exclut la fonction de capitaine) au cours d’un voyage local (tel qu’il est défini par règlement, à savoir à moins de 200 milles marins des côtes) en plus de devoir continuer à prendre ses médicaments et à faire un suivi auprès de son médecin tous les quatre mois.

[8] Transports Canada porte cette décision en contrôle judiciaire. La Cour fédérale (2006 CF 497) rejette la requête en contrôle judiciaire de sorte que la décision de la commission d’appel est maintenue.

[9] Ainsi, Transports Canada délivre un certificat médical de la marine avec les restrictions précisées par la commission d’appel. Le certificat est valide à compter du 21 juin 2005.

[10] À compter de 2012, Transports Canada délivre des certificats médicaux de la marine comportant ces mêmes restrictions. Monsieur Houle conteste à nouveau le certificat. Les restrictions sont maintenues en révision par une décision du Tribunal d’appel des transports du Canada le 14 juin 2014 (2014 TATCF 19 et 20) et en appel le 18 février 2016 (2016 TATCF 3).

[11] Le 29 janvier 2013, monsieur Houle dépose une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne pour des actes discriminatoires commis par Transports Canada à compter du 4 septembre 2012, c’est ce dont le présent Tribunal est saisi.

[12] Par ailleurs, monsieur Houle reprend le service en mer à compter du 13 février 2015 selon les restrictions dans son certificat délivré par Transports Canada.

[13] Au fil de sa carrière, il occupe les fonctions de premier, second et troisième officier sur des pétroliers, des cargos, des chimiquiers ou autres bâtiments, dont certains transportaient des matières dangereuses. Il n’a jamais exercé la fonction de capitaine.

[14] Devant le présent Tribunal, il soutient que la conduite de Transports Canada est discriminatoire et que la politique de celui-ci d’imposer des restrictions aux certificats médicaux de la marine des personnes souffrant de schizophrénie s’applique à lui sans distinction de ses caractéristiques personnelles et de son propre risque de récidive d’épisode de schizophrénie.

[15] Transports Canada, pour sa part, plaide qu’octroyer un certificat sans restrictions à monsieur Houle constitue un risque trop élevé pour la sécurité du navigant, des membres de l’équipage, des passagers, du bâtiment, de sa cargaison et de l’environnement. Il soutient que les restrictions permettent de réduire les risques qu’un problème de santé peut présenter. Transports Canada se fonde sur la réglementation applicable de même que sur ses obligations nationales et internationales. Il considère que la délivrance d’un certificat avec restrictions constitue un accommodement raisonnable et qu’aller au-delà constituerait une contrainte excessive pour lui.

III. QUESTIONS EN LITIGE

[16] Les questions en litige sont les suivantes :

(i) Question 1 : Le plaignant a-t-il établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (LCDP) parce que l’intimé a refusé de lui délivrer un certificat médical de la marine sans restrictions?

a) Est-ce que le plaignant possède une ou des caractéristiques protégées par la LCDP?

b) Si oui, a-t-il subi un effet préjudiciable en raison de la délivrance de certificats avec restrictions?

c) Si oui, est-ce que la ou les caractéristiques protégées ont été un facteur dans la décision de l’intimé relativement à la délivrance du certificat avec restrictions?

(ii) Question 2 : Transports Canada a-t-il établi qu’il avait un motif justifiable de refuser la délivrance du certificat convoité par monsieur Houle?

a) Transports Canada a-t-il adopté la norme dans un but rationnellement lié à la délivrance du certificat et la norme est-elle raisonnablement nécessaire?

b) Transports Canada a-t-il adopté la norme en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser le but ultime lié au certificat?

c) La norme était-elle raisonnablement nécessaire pour atteindre ce but ou cet objectif, en ce sens qu’il était impossible pour Transports Canada de délivrer le certificat convoité par monsieur Houle sans subir une contrainte excessive?

(iii) Question 3 : Si l’intimé n’a pas justifié sa décision selon le paragraphe 15(2) de la LCDP, quelles mesures de redressement sont applicables?

IV. ANALYSE

(i) Question 1 : Le plaignant a-t-il établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 5 de la LCDP parce que l’intimé a refusé de lui délivrer un certificat médical de la marine sans restrictions?

[17] Monsieur Houle a écrit dans son exposé des précisions avoir subi de la discrimination au sens de l’article 7 de la LCDP, mais il n’a pas établi de relation d’emploi avec Transports Canada. Il n’y a jamais travaillé ou tenté d’y travailler. D’ailleurs, la jurisprudence du Tribunal confirme que pour que les dispositions de l’article 7 de la LCDP puissent s’appliquer, il faut qu’une relation d’emploi existe entre un employé et un employeur (voir Temate c. Agence de santé publique du Canada, 2022 TCDP 31, aux par. 65 et 66).

[18] Dans ces circonstances, le Tribunal ne traitera que de la question de la fourniture de service au sens de l’article 5 de la LCDP, qui se lit comme suit :

5. Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

a) d’en priver un individu;

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

[19] En réponse à la question 1, le Tribunal est d’avis que monsieur Houle a établi par preuve prima facie, selon la norme de la prépondérance de la preuve, avoir subi de la discrimination du fait que Transports Canada a refusé de lui délivrer un certificat sans restrictions. C’est ce qui ressort des réponses aux questions a), b) et c) ci-dessous.

a. Est-ce que le plaignant possède une ou des caractéristiques protégées par la LCDP?

[20] Le Tribunal estime qu’il ne fait aucun doute que le plaignant a une déficience au sens de l’article 3 de la LCDP.

[21] En effet, la preuve au dossier de même que les témoignages du docteur Girard, psychiatre traitant de monsieur Houle depuis 1995, et celui du docteur Jean-Robert Turcotte, psychiatre, expert de l’intimé, permettent de retenir que celui-ci souffre de schizophrénie. Cette maladie constitue une déficience au sens de l’article 3 de la LCDP. Cet aspect n’est d’ailleurs pas contesté par Transports Canada.

[22] Il faut donc répondre oui à la question a).

b. Si oui, a-t-il subi un effet préjudiciable en raison de la délivrance de certificats avec restrictions?

[23] Le Tribunal conclut que les certificats délivrés par Transports Canada entre 2012 et 2023 avec restrictions, soit d’exercer les fonctions d’officier de quart (ce qui exclut la fonction de capitaine) au cours d’un voyage local (tel qu’il est défini par règlement, à savoir à moins de 200 milles marins des côtes) en plus de devoir continuer sa médication et son suivi chez son médecin tous les quatre mois, ont entraîné un effet préjudiciable pour monsieur Houle en ce sens qu’ils l’ont empêché d’exercer le métier de capitaine au long cours.

[24] La preuve démontre qu’un navigant ne peut exercer les fonctions de capitaine au long cours avec les restrictions du certificat que Transports Canada a délivré à monsieur Houle, et ce, même s’il possède un brevet valide, comme c’est le cas de monsieur Houle.

[25] En effet, la preuve démontre que monsieur Houle a suivi avec succès les formations nécessaires pour obtenir le brevet de capitaine au long cours. En avril 1995, Transports Canada délivre au nom du plaignant un brevet de capitaine d’un navire à vapeur au long cours. Le 18 décembre 2001, Transports Canada délivre un visa attestant la délivrance d’un brevet de capitaine au nom de monsieur Houle sans restrictions. En novembre 2015, Transports Canada délivre à nouveau un brevet d’aptitude de capitaine au long cours sans restrictions.

[26] De plus, le témoignage du capitaine Cédric Baumelle établit que la rémunération que peut obtenir un capitaine au long cours est plus élevée que celle d’officier de quart restreint aux eaux territoriales. Cet aspect n’est pas contesté.

[27] Cependant, Transports Canada soutient que le plaignant ne subit pas d’effet préjudiciable puisqu’il détient un certificat lui permettant de travailler comme navigant. Il peut naviguer dans les eaux territoriales et occuper des fonctions d’officier de quart. Transports Canada plaide que monsieur Houle n’a pas été privé ou défavorisé dans la fourniture d’un service au sens de l’article 5 de la LCDP.

[28] Examinons maintenant si c’est réellement le cas. Comme il est mentionné précédemment, l’article 5 de la LCDP prévoit qu’un acte discriminatoire est commis si une personne est défavorisée lors de la fourniture d’un service en raison d’un motif de discrimination illicite.

[29] Dans l’affaire West c. Cold Lake First Nations, 2021 TCDP 1, le Tribunal canadien des droits de la personne se penche sur le sens de « service » à l’article 5 de la LCDP. Il mentionne qu’afin de déterminer si nous sommes en présence d’un « service », il faut définir et analyser précisément l’acte, l’action ou l’activité qui est reproché. Il ajoute que le « service » prévu à l’article 5 de la LCDP s’entend comme quelque chose d’avantageux, un bénéfice, qui est offert ou mis à la disposition du public (Watkin c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 170 [Watkin] et Gould c. Yukon Order of Pioneers, 1996 CanLII 231 (CSC), [1996] 1 RCS 571 [Gould]).

[30] Le Tribunal doit donc déterminer si l’acte reproché est un « service » et si ce « service » est généralement destiné au public comme le prévoit l’article 5 de la LCDP. Dans l’affirmative, il faut vérifier si monsieur Houle a subi un effet préjudiciable relativement à la fourniture de ce service en raison d’un motif de distinction illicite. Il s’agit du test applicable (Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), [2012] 3 RCS 360, au par. 33).

[31] Dans la présente affaire, le Tribunal estime que la délivrance par Transports Canada d’un certificat médical de la marine permettant d’exercer le travail de capitaine au long cours constitue un service au sens de l’article 5 de la LCDP en ce qu’il produit un avantage ou un bénéfice à celui qui le possède. En l’absence d’un tel certificat, une personne ne peut pas exercer les fonctions de capitaine au long cours. Un avantage est donc consenti par Transports Canada lorsqu’il délivre le certificat convoité par monsieur Houle, à savoir la possibilité d’exercer ce métier.

[32] S’agit-il d’un service destiné au public? Dans l’affaire Watkin, la Cour d’appel fédérale rappelle que l’exigence prévue à l’article 5 de la LCDP, selon laquelle le service doit être « destiné au public », est habituellement satisfaite dans les affaires mettant en cause une discrimination attribuable à des mesures prises par le gouvernement. Ainsi, puisque Transports Canada est une entité gouvernementale, cette exigence est également respectée, de sorte que la délivrance par Transports Canada du certificat médical de la marine sans restrictions permettant d’exercer les fonctions de capitaine au long cours constitue un service destiné au public au sens de l’article 5 de la LCDP.

[33] En revanche, Transports Canada plaide que dans les faits, la preuve établit que, même si une personne a le certificat lui permettant d’exercer le travail de capitaine au long cours, rien ne garantit qu’elle exercera le poste en question. En effet, d’autres conditions doivent être remplies. Il est aussi nécessaire d’avoir le brevet de capitaine au long cours, qui est la reconnaissance que les formations ont été suivies avec succès. De plus, la preuve établit que pour agir en tant que capitaine au long cours, même en ayant le certificat et le brevet, une personne doit avoir navigué comme capitaine ou comme premier officier ou second officier dans les mois ou quelques années précédents. En effet, le témoignage du capitaine Cédric Baumelle à l’audience établit qu’une compagnie souhaitant embaucher un capitaine au long cours ne se fiera donc pas uniquement au certificat et au brevet, mais exigera une expérience pertinente et récente.

[34] Le Tribunal n’accepte pas cet argument de l’intimé puisque le rôle de celui-ci est de délivrer le certificat qui constitue l’autorisation de naviguer et non pas de garantir un emploi conforme au certificat. Le refus de délivrer le certificat médical de la marine sans restrictions empêche une personne d’exercer le métier de capitaine au long cours de façon légale. Il s’agit d’un prérequis. Le certificat en question est considéré comme un avantage ou un bénéfice, conformément à l’interprétation de la jurisprudence sur la notion de service à l’article 5 de la LCDP (Watkin et Gould). L’avantage du certificat médical de la marine sans restrictions est indéniable, et son absence, dans les circonstances du présent dossier, entraîne un préjudice pour monsieur Houle, qui le convoite.

[35] Il faut donc répondre oui à la question b).

c. Si oui, est-ce que la ou les caractéristiques protégées ont été un facteur dans la décision de l’intimé relativement à la délivrance du certificat médical de la marine?

[36] Le Tribunal conclut que c’est en raison de la déficience de monsieur Houle que celui-ci s’est vu refuser le certificat médical de la marine permettant d’exercer la fonction de capitaine au long cours.

[37] En effet, tant la preuve documentaire que le témoignage des docteurs Lelièvre et Gomez (médecins examinateurs de la marine), de la docteure Goulet de l’Unité de médecine maritime et de monsieur Najha, directeur exécutif de l’Unité de médecine maritime, confirment que c’est à cause de la déficience de monsieur Houle, à savoir la schizophrénie, que des restrictions ont été ajoutées au certificat.

[38] Par conséquent, le Tribunal conclut que monsieur Houle a établi une preuve prima facie de discrimination à son endroit.

(ii) Question 2 : Transports Canada a-t-il établi qu’il avait un motif justifiable de refuser la délivrance du certificat convoité par monsieur Houle?

[39] Le Tribunal rappelle que lorsque le plaignant établit la preuve prima facie de discrimination, comme c’est le cas ici, le fardeau de la preuve est transféré à l’intimé. Transports Canada doit donc démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que l’allégation de discrimination est justifiée conformément à l’article 15 de la LCDP.

[40] La question est alors de savoir si les restrictions du certificat médical de la marine délivré à monsieur Houle reposent sur un motif justifiable au sens de l’article 15 de la LCDP. Le Tribunal estime que ce n’est pas le cas.

[41] L’alinéa 15(1)g) de la LCDP est reproduit ci-dessous :

15(1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

g) le fait qu’un fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public, ou de locaux commerciaux ou de logements en prive un individu ou le défavorise lors de leur fourniture pour un motif de distinction illicite, s’il a un motif justifiable de le faire.

[Gras ajouté.]

[42] Cette disposition s’interprète à la lumière de la méthode en trois étapes que la Cour suprême du Canada a définie dans l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 [Meiorin] et précisé, en contexte de services, dans l’arrêt Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), 1999 CanLII 646 (CSC) [Grismer]. Ainsi, selon la méthode établie par la Cour suprême du Canada, pour démontrer l’existence d’un motif justifiant la discrimination, l’intimé doit prouver :

a) qu’il a adopté la norme dans un but ou un objectif rationnellement lié aux fonctions exercées;

b) qu’il a adopté la norme de bonne foi, en croyant qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif;

c) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser son but ou objectif, c’est-à-dire qu’il doit démontrer qu’il ne peut pas composer avec les personnes qui ont les mêmes caractéristiques que le plaignant sans subir une contrainte excessive.

[43] La LCDP précise que la contrainte excessive peut s’exprimer en matière de coûts, de santé et de sécurité. Le paragraphe 15(2) se lit comme suit :

15 (2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[Gras ajouté.]

[44] Avant de répondre à ces questions, il y a lieu de s’attarder à la maladie elle-même, puis de préciser le contexte légal de la délivrance des certificats par Transports Canada de même que le processus administratif de la délivrance de ces certificats.

a. La schizophrénie

[45] Le psychiatre Jean-Robert Turcotte a témoigné à l’audience en tant que médecin expert à la demande de l’intimé. Il a aussi produit un rapport d’expertise après avoir examiné monsieur Houle. Il explique qu’on ne connaît pas la cause de la schizophrénie. Les catégories de diagnostics psychiatriques sont élaborées à partir de l’observation épidémiologique/statistique/longitudinale de larges populations et de l’avis d’experts cliniciens. L’observation permet aux experts de dégager des tendances communes relatives aux symptômes. Certains symptômes sont « positifs » (comme les hallucinations et le délire), d’autres sont « négatifs », comme l’affect. Il y a également des symptômes cognitifs, tels que la capacité à se concentrer, la mémoire, l’attention et la capacité exécutive. La maladie provoque aussi des symptômes affectifs comportant notamment l’état dépressif ou anxieux. Le comportement du patient est souvent désorganisé.

[46] Auparavant, la communauté scientifique croyait que la maladie évoluait mal. Maintenant, elle est d’avis que 50 % des malades vont évoluer favorablement. Le traitement précoce a un effet positif sur l’évolution du malade. En revanche, la consommation de drogue a un effet négatif sur l’évolution. Les études longitudinales montrent bien que l’évolution de cette maladie n’est pas uniforme et qu’il y a un sous-groupe avec une évolution très favorable. Le docteur Turcotte indique que c’est probablement le cas de monsieur Houle.

[47] Les personnes souffrant de la maladie sont plus sensibles aux stresseurs extérieurs, comme les deuils, les problèmes financiers, les conflits interpersonnels et autres stresseurs psychosociaux. Le docteur Turcotte mentionne que le risque de décompensation peut augmenter comparativement à la population non soumise à ces nouveaux stresseurs. Les connaissances médicales ne lui permettent pas de définir d’avance face à quels stresseurs une personne va décompenser. Seule l’expérience de chacune des personnes peut répondre à cette question. Cependant, il n’a jamais vu une personne schizophrène décompenser en raison de la présence de stresseurs.

[48] Le docteur Turcotte précise, concernant monsieur Houle, que le dossier médical de celui-ci indique qu’il présentait encore de petits symptômes résiduels au moins jusqu’en 2005. Il écrit ce qui suit : « Le plus loin que nous puissions aller est de dire qu’il serait probablement plus fragile aux stresseurs extérieurs qu’une personne de la population générale qui n’aurait jamais souffert de psychose ».

[49] Le docteur Turcotte mentionne que monsieur Houle n’a pas vécu de décompensation depuis près de trente ans malgré les stresseurs qu’il a vécus. Dans l’avenir, monsieur Houle pourrait faire face à de nouveaux stresseurs. Par conséquent, le risque de décompensation pourrait augmenter. Il est toutefois impossible de prévoir l’effet véritable de ces nouveaux stresseurs sur une décompensation éventuelle. Pour le futur, avec de nouveaux stresseurs, le risque augmente, mais on ne peut pas dire qu’il y aura un effet sur une décompensation possible.

[50] Quant à savoir si ce diagnostic comporte des limitations ou restrictions dans la vie de monsieur Houle et dans le cadre de son emploi, le docteur Turcotte indique ne pas pouvoir donner une réponse complète à cette question. Il note que monsieur Houle n’a jamais occupé l’emploi de capitaine de bateau et que monsieur Théorêt, expert maritime à l’emploi de Transports Canada, écrit dans une lettre du 25 mai 2005 que les capitaines doivent pouvoir élaborer des plans d’urgence, organiser et diriger l’équipage et aussi la prestation de soins médicaux à bord. Le docteur Turcotte suppose que ces compétences exigent souplesse et rapidité de pensée et des fonctions cognitives sans aucun déficit. À cause des petits symptômes résiduels, le docteur Turcotte indique ne pas être certain que monsieur Houle aurait pu répondre à ces exigences au début des années 2000. Monsieur Houle se décrit comme un « leader autocratique », ce qui est selon lui le meilleur type de leader en cas d’urgence. Selon le docteur Turcotte, monsieur Houle pourrait donc avoir tendance à prendre ses décisions seul sans trop consulter, ce qui est peut-être le signe d’une certaine rigidité de la pensée. Pour en savoir plus, le docteur Turcotte ajoute qu’une évaluation psychiatrique simple n’est pas suffisante. Pour avoir une réponse plus précise relativement aux capacités fonctionnelles et cognitives de monsieur Houle, un ergothérapeute spécialisé devrait évaluer ses capacités fonctionnelles et un neuropsychologue devrait évaluer ses capacités cognitives.

[51] Concernant la médication, le docteur Turcotte constate que monsieur Houle aurait un risque de rechute s’il arrêtait de prendre ses médicaments, même s’il évolue favorablement.

[52] Le docteur Turcotte explique la différence entre « rémission » et « rétablissement » face à la maladie. Une personne est en rémission si elle n’a plus de symptômes ou si elle a des symptômes de très faible intensité, au point où ses symptômes n’influencent plus son comportement. On parle de rétablissement lorsque la personne a retrouvé sa capacité de fonctionner normalement dans la communauté sur les plans social et professionnel et n’a pratiquement plus de symptômes. Généralement, le terme « rétablissement » implique un meilleur fonctionnement que le terme « rémission ». Dans le cas de monsieur Houle, il s’agit de rétablissement.

[53] Par ailleurs, la maladie s’atténue avec l’âge. La maladie de monsieur Houle ne semble pas l’affecter. Plus la personne vieillit, plus la dose de médicaments peut diminuer. La maladie est toujours présente, mais elle est contrôlée par la médication. Si celle-ci est arrêtée, le risque de rechute est important.

[54] Le docteur Turcotte conclut que l’examen mental est dans les limites de la normale. Il écrit ceci : « Dans les grandes lignes, il est assez clair que Monsieur ne présente plus de symptômes significatifs de sa maladie depuis le début des années 2000. Il ne constate aucune préoccupation ésotérique ». Le docteur Turcotte confirme le diagnostic de schizophrénie de type paranoïde, avec un épisode unique, qui est actuellement en rémission complète.

[55] Le docteur Turcotte a assisté au témoignage de monsieur Houle, qui a mentionné que, s’il se concentre, il peut sentir la présence d’extraterrestres. Selon le médecin, cette déclaration n’influence pas le fait que monsieur Houle est en rémission complète de la maladie. Dans son expertise écrite, il avait mentionné que ce type de préoccupation pourrait n’entraîner aucune conséquence pathologique, mais il pourrait aussi s’agir d’un élément qui indique qu’il y a toujours un léger trouble de la pensée et possiblement une fragilité plus grande chez cette personne comparativement à une personne qui n’a jamais souffert de psychose.

[56] Selon les informations disponibles, les rapports médicaux et son témoignage, le docteur Turcotte est d’avis que monsieur Houle fonctionne normalement dans sa vie professionnelle et personnelle et qu’il a une bonne autocritique.

b. Contexte légal de la délivrance des certificats médicaux de la marine

[57] La délivrance des certificats médicaux de la marine est encadrée par la Loi de 2001 sur la marine marchande du Canada, L.C. 2001, ch. 26 (LMMC), et le Règlement sur le personnel maritime, DORS/2007-115 (RPM).

[58] Le ministre des Transports est responsable de la délivrance de tous les documents maritimes incluant les brevets et les certificats (art. 2 et 16 de la LMMC).

[59] Un employeur maritime ne peut embaucher un navigant qui ne possède pas de certificat médical valide attestant de son aptitude à effectuer le travail pour lequel il doit être employé et à effectuer le voyage que le navire doit entreprendre (art. 269 du RPM).

[60] Le ministre des Transports désigne les médecins examinateurs de la marine qui effectuent les examens médicaux périodiques des gens de mer (art. 268 du RPM). Ces médecins ont la responsabilité de délivrer des certificats médicaux provisoires d’aptitude au service en mer (aptitudes physique et mentale) avec ou sans restrictions.

[61] Lorsqu’ils évaluent l’aptitude au service en mer, les médecins examinateurs de la marine doivent tenir compte des normes médicales prévues dans la publication de l’Organisation internationale du Travail et de l’Organisation maritime internationale intitulée Directives relatives à la conduite des examens médicaux d’aptitude précédant l’embarquement et des examens médicaux périodiques des gens de mer, qui a été remplacée par les Directives relatives aux examens médicaux des gens de mer (les « Directives »). Ils doivent également tenir compte des normes prévues au RPM, dont le fait que le navigant doit posséder les aptitudes physiques et mentales pour satisfaire aux exigences occupationnelles et opérationnelles du poste qu’il occupe ou cherche à occuper (art. 270 du RPM).

[62] Les Directives s’appliquent aux gens de mer conformément aux normes de la Convention du travail maritime, 2006 (MLC, 2006) et de la Convention internationale sur les normes de formation des gens de mer, de délivrance des brevets et de veille adoptée par l’Organisation maritime internationale en 1978 (STCW), telle qu’elle a été modifiée. Selon l’intimé, les Directives ont pour objectif d’offrir aux administrations maritimes un ensemble de critères reconnus internationalement qui peuvent servir de référence aux autorités compétentes. Ces critères peuvent soit être utilisés tels quels ou être utilisés en vue de l’élaboration de normes nationales d’examen médical compatibles avec les exigences internationales (art. 270 du RPM).

[63] Les Directives sont intégrées par référence au RPM. De plus, Transports Canada a élaboré un guide pour les médecins examinateurs de la marine qui vise à uniformiser les examens médicaux (le « guide canadien ») et qui a été approuvé en mars 2013.

[64] Après avoir fait l’examen médical, le médecin examinateur de la marine fournit au ministre des Transports un certificat médical provisoire qui peut comporter ou non des restrictions (art. 275 du RPM).

[65] Le navigant peut demander au ministre de réexaminer sa décision (art. 278 du RPM). Dans cette situation, si le ministre estime que le certificat provisoire est incomplet ou erroné, il peut notamment ordonner des examens ou tests médicaux, consulter un expert ou nommer un comité de réexamen (par. 278(3) du RPM), ce qui n’a pas été fait entre 2012 et 2023 dans le cas de monsieur Houle.

[66] Puis, après avoir examiné le certificat médical provisoire et tenu compte de l’état de santé du navigant, le ministre délivre le certificat médical déclarant le navigant apte au service en mer avec ou sans restrictions, telles qu’elles sont précisées dans le certificat, le cas échéant (par. 278(4) du RPM).

[67] En somme, pour qu’un certificat soit délivré par Transports Canada, un navigant doit fournir le rapport d’évaluation du médecin examinateur de la marine qui délivre le certificat médical provisoire et un rapport de son propre médecin.

[68] Pour rendre une décision quant à un certificat médical, le ministre s’appuie sur les exigences occupationnelles et opérationnelles du poste que le navigant occupe ou cherche à occuper de même que sur le niveau de risque que comporte ce poste pour le navigant, les autres navigants, les passagers, le bâtiment et la santé et la sécurité du grand public (al. 278(5)a) et b) du RPM). Le RPM prévoit aussi que le ministre doit tenir compte des considérations pertinentes liées aux droits de la personne qui sont énoncées dans la Charte canadienne des droits et libertés et dans la Déclaration canadienne des droits (al. 278(5)c) du RPM). La docteure Goulet, de l’Unité de médicine maritime de Transports Canada, a témoigné à l’audience et a indiqué que cette obligation signifie que la personne a droit au travail.

[69] Selon Transports Canada, la norme médicale qui est appliquée par le médecin examinateur de la marine et par le ministre est énoncée dans le guide canadien et dans les Directives.

[70] Le guide canadien prévoit qu’un navigant qui a reçu un diagnostic de schizophrénie est automatiquement jugé inapte à recevoir un certificat, alors que les Directives permettent la délivrance d’un certificat qui pourrait être assujetti à des restrictions. Rappelons que les Directives sont intégrées au RPM.

[71] Les Directives présentent un tableau sur la détermination de l’aptitude en présence d’une affection commune. Ce tableau a entre autres une section sur les troubles mentaux et du comportement (Code de diagnostic F00-99) dont une sous-section qui s’intitule « Troubles mentaux et du comportement (troubles aigus) - qu’ils soient organiques, schizophréniques ou qu’ils relèvent d’une autre catégorie reprise dans la CIM [Classification internationale des maladies]. Troubles bipolaires (maniaco-dépressifs) » (Code de diagnostic F20-31).

[72] La troisième colonne de ce tableau prévoit une incompatibilité temporaire (3 mois) avec les tâches en mer si l’épisode unique est associé à des facteurs de perturbation. Si l’épisode unique n’est pas associé à des facteurs de perturbation, l’incompatibilité est alors permanente.

[73] La quatrième colonne prévoit une aptitude limitée dans le temps et restreinte à une navigation côtière, avec l’exclusion de la fonction de capitaine responsable du navire ou d’un emploi sans supervision étroite et suivi médical continu. Cette aptitude limitée est conditionnelle à ce que l’intéressé ait conscience de son état, qu’il suive son traitement et que ses médicaments ne produisent pas d’effets secondaires.

[74] La cinquième colonne prévoit une aptitude à accomplir dans le monde entier l’ensemble des tâches. Dans ce cas, l’évaluation doit se faire au cas par cas au moins un an après l’épisode, à condition que les facteurs perturbateurs puissent être et soient toujours évités.

[75] Selon la documentation au dossier, la docteure Sully a d’abord classé monsieur Houle dans la troisième colonne, incompatibilité permanente puis, dans la quatrième colonne : aptitude limitée excluant la fonction de capitaine.

c. Processus administratif de la délivrance des certificats médicaux de la marine

[76] Tel qu’il a été vu précédemment, monsieur Houle souffre de schizophrénie depuis 1990. Il est hospitalisé pour une cure fermée en 1992. Il prend des médicaments, mais cesse de le faire pour une courte période en 1994. Les symptômes réapparaissent. Par la suite, lorsqu’il recommence sa médication, le docteur Girard, son médecin psychiatre traitant, confirme le diagnostic de schizophrénie résiduelle. L’état de monsieur Houle se stabilise. Il n’a vécu aucune rechute depuis 1994.

[77] Déjà en avril 2002, le docteur Girard précise que monsieur Houle est en rémission complète des symptômes depuis plusieurs années. Il indique qu’il est peu probable que des périodes de stress pouvant être vécues en mer puissent faire réapparaître ses symptômes s’il continue sa médication.

[78] En 2005, le docteur Gauthier, médecin psychiatre, évalue monsieur Houle à la demande de Transports Canada. Il conclut que monsieur Houle est inapte au service en mer et produit un rapport d’examen médical de la marine en ce sens. Transports Canada refuse alors de délivrer un certificat. Monsieur Houle conteste cette décision, qui est annulée par la commission d’appel. La commission d’appel déclare que monsieur Houle est apte au service en mer avec restrictions et lui délivre un certificat médical de la marine avec restrictions (officier de quart au cours d’un voyage local, prise de ses médicaments et suivi avec son médecin spécialiste aux quatre mois). Transports Canada demande le contrôle judiciaire de cette décision. En 2006, la Cour fédérale (Canada (Procureur Général) c. Houle, 2006 CF 497 (CanLII)) rejette la demande de contrôle judiciaire de sorte que la décision de la commission d’appel, c’est-à-dire la délivrance d’un certificat médical avec restrictions, est maintenue.

[79] Le 4 février 2010, le docteur Girard écrit dans une lettre qu’il assure le suivi médical de monsieur Houle depuis 1995 et qu’il le rencontre tous les trois ou quatre mois. Il écrit ce qui suit :

« Monsieur Houle connait un fonctionnement normal y compris dans son travail. Il a continué à prendre une médication par mesure préventive soit du Stélazine et du Kémadrin. Il s’est toujours présenté à ses rendez-vous. Il n’a jamais été hospitalisé depuis 1995.

Nous conservons ces dernières années un diagnostic de schizophrénie résiduelle. Le fonctionnement de monsieur Houle démontre qu’il est capable de travailler, qu’il n’a aucune limitation ou restrictions particulières au plan psychiatrique, sinon que nous lui recommandons de poursuivre sa médication au long cours. Monsieur continue de bénéficier d’un suivi avec nous aux trois à quatre mois ».

[80] Lors de son témoignage, le docteur Girard indique qu’il communique avec Transports Canada depuis plus d’une vingtaine d’années à raison d’une fois par année ou aux deux ans. Il traite monsieur Houle depuis presque 30 ans. Il ne constate aucun symptôme psychotique actif. Il explique que la médication qu’il prescrit à monsieur Houle vise à éviter les rechutes. Monsieur Houle prend sa médication et n’a eu aucune rechute. Il ne peut pas guérir de cette maladie, mais il est stable et dans son état normal avec la médication préventive. Quant aux préoccupations ésotériques, il ne s’agit pas d’idées délirantes ni d’une indication de la maladie. D’ailleurs, plusieurs personnes ont de telles préoccupations.

[81] Le 16 mai 2012, le docteur Louis Robert, médecin examinateur de la marine, effectue l’examen médical de monsieur Houle et remplit un rapport d’examen médical provisoire de la marine le déclarant apte. Le docteur n’ajoute aucune restriction dans le certificat provisoire.

[82] Le 4 septembre 2012, après avoir reçu le rapport du 7 février 2010 du docteur Girard et le rapport provisoire du 16 mai 2012 du docteur Robert, lesquels déclarent que monsieur Houle est apte au service en mer, la docteure Sully, agente principale de la médecine de la marine pour Transports Canada, décide que monsieur Houle est inapte à l’obtention d’un certificat médical de la marine en raison de sa schizophrénie paranoïde. Elle écrit que, « [m]alheureusement par sa nature, la schizophrénie paranoïde peut avoir des épisodes de récidives imprévisibles et les symptômes peuvent survenir malgré le traitement. Les répercussions concevables des signes et symptômes d’un épisode psychotique à bord d’un navire peuvent être très sérieux [sic] et sont sources de grandes préoccupations pour la sécurité maritime ». Elle ajoute que l’article 113 de la LMCC stipule que « chaque membre d’équipage à bord d’un navire doit s’acquitter de ses tâches et fonctions d’une manière qui ne compromette pas la sécurité du navire ou toute personne à bord. De ce fait, une personne ayant une diagnostique [sic] schizophrénie paranoïde ne répond pas à ce standard ». [Gras ajouté]

[83] Monsieur Houle demande alors le réexamen de la décision de la docteure Sully. En octobre 2012, la docteure Sully demande au docteur Girard un rapport à jour détaillé sur monsieur Houle. Le dernier rapport était de février 2010.

[84] Le 26 octobre 2012, le docteur Girard répond que depuis qu’il a commencé à assurer le suivi de monsieur Houle en 1995, ils ont eu des rencontres régulières tous les trois ou quatre mois. Monsieur Houle n’a jamais été réhospitalisé depuis 1995 ni a connu de périodes d’invalidité en lien avec la schizophrénie. Il a continué sa médication de façon préventive. Avec son autorisation, monsieur Houle a diminué de moitié la dose de ses médicaments. Il s’est toujours présenté à ses rendez-vous et s’est montré stable. Le docteur Girard précise : « Au point de vue de ses symptômes, monsieur ne présente aucun symptôme psychotique actif. Il ne présente pas non plus de limitation ou restriction particulière face au travail ». Il ajoute : « [l]e pronostic concernant monsieur Houle est très bon, compte tenu de l’absence de rechute depuis plus de quinze ans, une bonne autocritique, un fonctionnement normal et une prise de régulière de la médication ».

[85] Le 5 novembre 2012, la docteure Sully note avoir une préoccupation sur le fait que le docteur Girard indique que monsieur Houle a diminué sa dose de médicaments. Elle se demande si une période d’observation serait nécessaire vu la diminution de la dose. Elle tente alors de joindre le docteur Girard le lendemain, sans succès, celui-ci est absent. Le 9 novembre, le docteur Girard laisse un message vocal pour la docteure Sully. La docteure Sully tente à nouveau de joindre le docteur Girard les 19 et 20 novembre, de même que les 6, 10 et 14 décembre 2012, sans succès.

[86] Entre-temps, le 7 novembre 2012, monsieur Houle informe la docteure Sully de ses intentions de revalider son brevet de capitaine au long cours et, le 17 décembre suivant, il l’informe qu’il souhaite travailler comme capitaine dans les eaux territoriales du Canada et accepterait donc une limitation pour les eaux internationales.

[87] Le 20 décembre 2012, la docteure Sully rejette la demande de monsieur Houle et délivre un certificat médical déclarant monsieur Houle apte à être officier de quart pour des voyages limités en eaux contiguës. Elle justifie sa décision par la décision de 2006 de la Cour fédérale. Monsieur Houle conteste la décision de la docteure Sully qui est finalement maintenue par le Tribunal d’appel des transports du Canada le 11 juin 2014. Monsieur Houle demande la révision de cette décision.

[88] Le 12 décembre 2013, le docteur Girard confirme à Transports Canada que monsieur Houle ne présente toujours pas de symptôme actif de sa maladie depuis 1995. Il continue sa médication, n’a aucun symptôme ni limitation qui l’empêche de faire tout travail.

[89] Malgré le rapport du docteur Girard, le 15 janvier 2014, la docteure Sully délivre un certificat avec restrictions (officier de quart et voyages limités en eaux contiguës).

[90] Le 8 mai 2014, le docteur Robert, médecin examinateur de la marine, délivre un certificat médical provisoire déclarant monsieur Houle apte sans restrictions.

[91] À la lumière du rapport du docteur Girard et du certificat médical provisoire du docteur Robert, monsieur Houle indique, dans une lettre à la docteure Sully du 12 mai 2014, qu’il désire postuler un emploi de capitaine de remorqueurs, de petits navires de croisière ou de traversiers. Il lui demande de délivrer le certificat médical sans restrictions ou du moins un certificat pour capitaine de bâtiment d’une jauge brute de 3 000, voyage à proximité du littoral, classe 1.

[92] Le 5 juin 2014, la docteure Sully note que les contestations auprès du Tribunal d’appel des transports du Canada n’ont pas encore été tranchées et qu’elle délivrera un certificat avec les mêmes restrictions qu’auparavant qui empêchent monsieur Houle d’agir en tant que capitaine. Le lendemain, elle lui envoie une lettre dans laquelle elle confirme sa décision et précise qu’il n’y a pas de nouvel élément à évaluer, et donc qu’elle se conforme à la décision de la Cour fédérale de 2006. Elle délivre le certificat avec restrictions (officier de quart, eaux contiguës et rapport médical confirmant la prise de médicaments, les suivis cliniques et la stabilité de sa condition).

[93] Le 6 juin 2014, la docteure Sully écrit au docteur Robert indiquant que l’article 113 de la LMMC prévoit qu’une personne ayant un risque d’épisode psychotique ne répond pas au « standard » selon lequel chaque membre d’équipage à bord d’un navire doit s’acquitter de ses tâches et fonctions d’une manière à ne pas compromettre la sécurité du navire ou de toute personne à bord. Elle fait aussi référence au tableau sur les troubles mentaux définis à la ligne F20-31 apparaissant aux Directives. Elle précise que, dans certaines circonstances, un certificat est délivré, mais accompagné de plusieurs restrictions, comme dans le cas de monsieur Houle.

[94] Le docteur Robert a témoigné à l’audience. Il a retenu, après l’examen et la révision du dossier, que monsieur Houle était apte au service en mer, sans restrictions. Il précise qu’un diagnostic de schizophrénie ne disqualifie pas automatiquement un candidat pour l’aptitude de navigant. Si la maladie est bien contrôlée, qu’il n’y a pas eu de récidive dans le passé, il considère inadéquat de déclarer la personne inapte. Pour en arriver à ses conclusions, il s’intéresse surtout à la condition du patient et à ses antécédents. Il ne se souvient pas de monsieur Houle comme tel, mais indique qu’il a assurément procédé de cette façon pour faire son évaluation et conclure à son aptitude sans restrictions en 2012 et 2014.

[95] Le 11 juin 2014, le Tribunal d’appel des transports du Canada rend une décision en révision. Il maintient la décision de délivrer un certificat avec restrictions que Transports Canada avait rendue en septembre 2012. Cette décision est ensuite confirmée par un comité d’appel le 18 février 2016, qui rejette l’appel de la décision du 11 juin 2014 (Houle c. Canada (Ministre des Transports), 2016 TATCF 3 (appel)).

[96] Le 10 février 2015, monsieur Houle demande à la docteure Sully d’ajuster son certificat médical pour lui permettre d’être capitaine, jauge brute de 150, d’un bateau-pilote aux Escoumins, au Québec. La docteure Sully refuse cette demande le 10 mars 2015.

[97] Le 4 mai 2015, monsieur Houle transmet à la docteure Sully un nouveau rapport médical du docteur Girard du 28 avril 2015. Le rapport confirme l’état stable et asymptomatique de monsieur Houle, qui se présente à ses rendez-vous médicaux aux trois à quatre mois et continue sa médication régulièrement sans effets secondaires. Le docteur Girard conclut que, « [d]u point de vue psychiatrique, nous le jugeons tout à fait apte à travailler, et ce, sans restriction ».

[98] Le 28 mai 2015, la docteure Sully émet un certificat avec les mêmes restrictions. Elle justifie sa décision du fait qu’il n’y a pas de nouvel élément et se base sur la décision de la Cour fédérale de 2006.

[99] Le 29 février 2016, le docteur Girard écrit que monsieur Houle est toujours suivi pour un diagnostic initial de schizophrénie qui demeure en phase résiduelle depuis environ 20 ans. Monsieur Houle continue ses suivis réguliers aux trois à quatre mois et prend ses médicaments, ce qui n’a pas changé depuis 20 ans. Il écrit : « À mon avis, monsieur Houle fonctionne tout à fait normalement et lors des rencontres nous ne notons rien de particulier à l’examen mental qui pourrait indiquer une décompensation. Aussi, monsieur ne présente aucun trouble de la pensée. Il n’y a rien de particulier au contenu de la pensée également. L’énergie psychomotrice est normale. Les fonctions cognitives sont également normales et monsieur présente une excellente autocritique ». Le docteur Girard conclut : « Nous désirons donc vous informer de la stabilité de ce patient que je connais depuis maintenant une vingtaine d’années et selon moi, son état est stable et il est apte à faire tout type de travail ».

[100] Le 11 mars 2016, le docteur Picher, médecin examinateur de la marine, délivre un certificat médical provisoire déclarant monsieur Houle apte sans restrictions. Le même jour, monsieur Richard Garber (directeur exécutif, Normes du personnel maritime, pilotage et médecine de Transports Canada) délivre un certificat médical d’officier de quart avec restrictions limité aux eaux contiguës, justifiant sa décision de la même façon que l’a fait la docteure Sully.

[101] Le 21 novembre 2016, monsieur Garber émet un certificat médical avec les mêmes restrictions et les mêmes justifications qu’avait énoncées la docteure Sully, à savoir l’absence de nouvel élément et la décision de la Cour fédérale de 2006. Monsieur Houle demande la révision de ce certificat médical.

[102] Le 24 septembre 2017, monsieur Houle fait parvenir à Transports Canada une lettre du docteur Girard du 1er septembre 2017. Dans cette lettre, le docteur Girard écrit qu’au plan psychiatrique, il considère toujours que monsieur Houle ne présente aucune limitation fonctionnelle objectivable qui l’empêcherait de travailler en région éloignée ou sur des navires.

[103] Le 20 octobre 2017, le certificat est octroyé par monsieur Garber avec les restrictions et les justifications habituelles. Ce certificat est valide du 11 mars 2016 au 11 mars 2018.

[104] Le 19 mars 2018, le docteur Girard écrit que monsieur Houle est suivi depuis 1995 pour schizophrénie résiduelle. Il est asymptomatique, prend les mêmes médicaments depuis et demeure stable. Il est apte à faire toute forme de travail.

[105] Le 23 mars 2018, le docteur Picher, médecin examinateur de la marine, délivre un certificat médical provisoire de la marine déclarant monsieur Houle apte sans restrictions.

[106] Le 23 mars 2018, madame Julie Bédard (directrice, programmes de pilotage et de médecine maritime de Transports Canada) délivre un certificat avec les mêmes restrictions et justifications. Ce certificat est valide du 23 mars 2018 au 23 mars 2020.

[107] Le 17 septembre 2018, madame Élisabeth Bertrand (directrice exécutive, Normes du personnel maritime, pilotage et médecine de Transports Canada) délivre un certificat avec les mêmes restrictions et justifications, valide du 23 mars 2018 au 17 septembre 2019.

[108] Le 27 mars 2019, le docteur Girard confirme que monsieur Houle est apte à faire un travail dans les transports. Il est assidu avec ses rendez-vous et sa médication. Il ne présente aucune limitation sur le plan psychiatrique.

[109] À l’audience, madame Bédard explique qu’elle est d’avis que le rapport du docteur Girard n’est pas complet en ce qu’il manque la fréquence des visites médicales, la date de la dernière rencontre, le nom et le dosage du médicament. Par ailleurs, elle admet que ces informations n’ont pas été demandées spécifiquement au docteur Girard. Elle ajoute que les cas qui sont plus complexes sont discutés en groupe avec les autres personnes de l’unité maritime. Elles ont en tête les situations les plus critiques comme l’évacuation d’un navire. Elle indique que les droits de la personne doivent être pris en compte dans la décision de délivrer un certificat conformément à l’alinéa 278(5)c) du RPM. Pour ce faire, elle indique que c’est le droit de travailler qui est visé par cette disposition.

[110] Le 25 avril 2019, madame Bédard délivre le certificat médical avec les mêmes restrictions. Ce certificat expire le 23 mars 2020.

[111] Le 24 mai 2019, monsieur Houle conteste ce certificat médical restreint.

[112] Le 30 janvier 2020, le docteur Girard confirme à Transports Canada que monsieur Houle est apte à faire son travail dans les transports sans limitations ni restrictions au plan psychiatrique.

[113] Le 2 mars 2020, le docteur Gomez, médecin examinateur de la marine, délivre un certificat médical provisoire avec les restrictions (officier de quart). Lors de son témoignage à l’audience, le docteur Gomez indique que son examen de l’état de santé mental de monsieur Houle était normal en 2020. Il a consulté la lettre du docteur Girard, l’avis de Transports Canada et la décision de la Cour fédérale de 2006. Il spécifie que c’est le jugement de la Cour qui détermine la présence de restrictions, de sorte qu’il a imposé lesdites restrictions au certificat provisoire de 2020.

[114] Le 2 septembre 2020, madame Bédard écrit à monsieur Houle avoir pris connaissance des rapports du docteur Girard du 19 mars 2018, du 27 mars 2019 et du 30 janvier 2020. Elle indique que le docteur Girard ne précise pas la fréquence des rendez-vous, ni la date de la dernière consultation, ni le nom et le dosage des médicaments. Elle conclut qu’en conformité avec la décision de 2006 de la Cour fédérale, le certificat doit comporter les mêmes restrictions. Le certificat est donc délivré par madame Bédard pour la période du 2 mars 2020 au 2 mars 2021, puis prolongé jusqu’au 2 juin 2021.

[115] Le 14 janvier 2021, la docteure Josée Perreault écrit à Transports Canada que monsieur Houle a été libéré de la psychiatrie l’an passé. Il demeure apte à faire son travail dans les transports, est assidu à ses rendez-vous annuels et à son traitement. Il ne présente aucune limitation sur le plan psychiatrique.

[116] Le 18 mars 2021, le docteur Girard écrit à Transports Canada confirmant que monsieur Houle est son patient depuis 1995, qu’il l’a rencontré trois ou quatre fois par année, qu’il présente un état stable et résiduel depuis 1995. Il n’a présenté aucune nouvelle hospitalisation ni invalidité depuis 1995. Il respecte sa médication de Stélazine, 10 mg une fois par jour, sans effet secondaire. Il ne présente aucune limitation ni aucun symptôme et il est apte à faire tout travail pour lequel il a la formation.

[117] Le 20 avril 2021, monsieur Houle écrit à Transports Canada demandant de modifier son certificat médical pour lui permettre de travailler comme premier maître ou comme capitaine sur un traversier.

[118] Le 29 avril 2021, le docteur Lelièvre, médecin examinateur de la marine, délivre un certificat médical provisoire comportant les mêmes restrictions. Il écrit que la lettre du docteur Girard de mars 2021 ne contient pas d’information permettant de dire que la condition médicale pour laquelle ces restrictions ont été imposées a changé depuis la précédente certification de 2020. Il ajoute que ces restrictions sont en conformité avec la décision de 2006 de la Cour fédérale. Il précise qu’il a discuté du cas avec la docteure Marie Goulet, médecin chez Transports Canada.

[119] Lors de son témoignage à l’audience, le docteur Lelièvre mentionne qu’il ne se souvient pas non plus précisément de monsieur Houle, mais son examen était normal selon ses notes. Il s’est aussi dit lié par la décision de la Cour fédérale de 2006 et a ajouté les restrictions qui y étaient prévues dans son certificat provisoire de 2021. Sans cette décision, il aurait déclaré monsieur Houle inapte puisque c’est ce que prévoit le guide canadien. En effet, comme vu précédemment, dans le guide canadien, un navigant avec un diagnostic de schizophrénie est déclaré inapte.

[120] Le 10 octobre 2021, madame Julia Murphy, directrice intérimaire, Certification du personnel maritime, Sécurité et sûreté maritimes chez Transports Canada, délivre le certificat médical comportant les restrictions et justifications habituelles, valide pour la période du 29 avril 2021 au 10 octobre 2022.

[121] Le 22 mars 2022, monsieur Houle envoie à Transports Canada le rapport du docteur Girard du 17 mars précédent confirmant à nouveau que monsieur Houle ne présente aucun symptôme ou limitation et est apte à tout travail pour lequel il a la formation.

[122] Le 14 avril 2022, monsieur Houle désire offrir sa candidature pour le poste de capitaine sur un navire de recherche scientifique (le Coriolis II). Ce poste est alors disponible.

[123] Le 18 août 2022, madame Julia Murphy, directrice, Certificat des marins, Sécurité et sûreté maritimes pour Transports Canada, écrit à monsieur Houle que la lettre du docteur Girard du mois de mars précédent ne comporte pas l’information sur la fréquence de leurs rencontres ni la date de leur dernière rencontre. Elle délivre un certificat médical comportant les mêmes restrictions et justifications, valide jusqu’au 29 avril 2023.

[124] Le 9 février 2023, le docteur Girard écrit à Transports Canada qu’il assure le suivi médical depuis 1995 et que les visites sont aux 6 à 12 mois à ce moment. Il répète que monsieur Houle est stable, qu’il n’a eu aucune décompensation ni période d’invalidité depuis. Il ne présente aucune limitation ni aucun symptôme. Il est apte à tout travail.

[125] Le docteur Doré, médecin examinateur de la marine, examine monsieur Houle et produit un rapport le 4 avril 2023. Il déclare monsieur Houle apte sans restrictions et délivre un certificat médical provisoire.

[126] Le 21 juin 2023, madame Murphy, remet un certificat médical temporaire avec les restrictions habituelles. Dans sa lettre, elle précise que les limitations imposées sont conformes à la décision de la Cour fédérale de 2006.

[127] En résumé, le docteur Girard, médecin psychiatre traitant de monsieur Houle, a informé Transports Canada, à de multiples reprises depuis 2010, que monsieur Houle est apte au travail sans aucune restriction ni limitation au plan psychiatrique. Nulle part, il n’impose de limitation pour le travail de capitaine ni pour aucun autre travail. Monsieur Houle est apte pour tout travail.

[128] En somme, les médecins examinateurs de la marine ont remis des certificats médicaux provisoires comme suit :

  • -Dr Robert, le 16 mai 2012, apte sans restrictions

  • -Dr Robert, le 8 mai 2014, apte sans restrictions

  • -Dr Picher, le 11 mars 2016, apte sans restrictions

  • -Dr Picher, le 23 mars 2018, apte sans restrictions

  • -Dr Gomez, le 2 mars 2020, apte avec restrictions

  • -Dr Lelièvre, le 29 avril 2021, apte avec restrictions

  • -Dr Doré, le 4 avril 2023, apte sans restrictions

[129] Entre 2012 et 2023, Transports Canada a remis des certificats comportant les restrictions imposées par la Cour fédérale en 2006, sans égard envers les certificats provisoires délivrés par le docteur Robert en 2012 et 2014, le docteur Picher en 2016 et 2018, et le docteur Doré en 2023. Il n’a pas non plus tenu compte des conclusions du docteur Girard, produites à plus de dix reprises entre la période de 2010 à 2023, selon lesquelles monsieur Houle est apte au travail en mer sans restrictions.

[130] À l’audience, Transports Canada plaide que les impératifs de sécurité justifient sa décision et que la délivrance du certificat avec restrictions constitue un accommodement raisonnable. Qu’en est-il?

[131] Tel qu’il a été vu précédemment, dans l’arrêt Grismer, la Cour suprême du Canada a établi un test en trois étapes :

d. Étape 1 : Transports Canada a-t-il adopté la norme dans un but ou objectif rationnellement lié aux fonctions exercées lors de la délivrance du certificat et la norme est-elle raisonnablement nécessaire?

[132] Les « fonctions exercées » s’entendent dans le présent dossier de la délivrance de certificats médicaux de la marine. La norme à étudier est celle selon laquelle Transports Canada n’accorde pas de certificat sans restrictions à un navigant ayant un diagnostic de schizophrénie.

[133] Transports Canada soutient que le transport maritime est un domaine fortement réglementé où la sécurité maritime est un impératif incontournable. Il soutient que la sécurité maritime est le but de l’adoption de la norme.

[134] D’ailleurs, le RPM prévoit que le ministre fonde sa décision relative à tout certificat médical sur les exigences occupationnelles et opérationnelles du poste que le navigant occupe ou cherche à occuper et sur le niveau de risque que comporte le poste visé pour le navigant, les autres navigants, les passagers, le bâtiment et la santé et la sécurité du grand public (al. 278(5)a) et b) du RPM). Cette disposition confère au ministre un pouvoir discrétionnaire considérable, qui doit prendre en compte l’ensemble des facteurs, dont la sécurité maritime pour la délivrance des certificats.

[135] De plus, comme vu précédemment, le guide canadien prévoit qu’un navigant qui reçoit un diagnostic de schizophrénie est automatiquement jugé inapte à recevoir un certificat. Cependant, les Directives permettent la délivrance du certificat, qui pourrait être soumis à des restrictions. Les Directives sont intégrées au RPM.

[136] Lors de l’audience, le capitaine Cédric Baumelle témoigne. Il explique que le capitaine d’un navire est la plus haute autorité à bord. Il est appuyé par le premier officier qui est l’officier supérieur, et par les deuxième et troisième officiers de même que par l’ingénieur en chef. Si le capitaine devient inapte au cours d’un voyage, le premier officier prend le contrôle jusqu’à l’ancrage sécuritaire du navire, lorsqu’un nouveau capitaine prendra la relève.

[137] Il précise que plusieurs risques sont afférents à la navigation, par exemple, les conditions météo, les tempêtes, la circulation des autres navires, la proximité des côtes, la gestion d’équipage malade et leur évacuation de même que la gestion disciplinaire, les bris d’équipement, les incendies, les débordements, l’évacuation du navire ainsi que toutes les situations exceptionnelles pouvant se produire en mer. Le travail de capitaine est très exigeant.

[138] Le plaignant ne remet pas en question le fait que la sécurité maritime est un objectif suffisamment important pour justifier qu’une norme soit établie pour la délivrance du certificat.

[139] À la lumière de ces éléments, le Tribunal conclut que le but (à savoir la sécurité maritime) de Transports Canada par l’adoption de la norme visée (à savoir l’imposition de restrictions en cas de diagnostic de schizophrénie) est rationnellement lié à la fonction de délivrance des certificats.

e. Étape 2 : Transports Canada a-t-il adopté la norme de bonne foi, en croyant qu’elle était nécessaire pour réaliser le but ou l’objectif rationnellement lié à la fonction de délivrance des certificats?

[140] Le Tribunal est d’avis que la preuve ne démontre pas que Transports Canada aurait établi la norme de mauvaise foi.

[141] Comme la Cour suprême du Canada l’a énoncé dans l’arrêt Grismer, qui cite l’arrêt Meiorin, même si l’objet général est rationnellement lié à la délivrance du certificat en cause, comme nous l’avons vu dans la section précédente, nous devons vérifier si le choix de cette norme était effectué de bonne foi ou de manière légitime.

[142] Rien dans la preuve ne démontre que la norme qui est d’application générale a été adoptée de mauvaise foi ou motivée par une animosité discriminatoire. Rien ni personne ne laisse entendre que Transports Canada a choisi la norme en cause dans un autre but que la sécurité maritime.

[143] De plus, cette norme fait partie des normes internationales.

[144] Le Tribunal conclut que Transports Canada a adopté la norme en croyant sincèrement que cela était nécessaire pour réaliser le but ultime qui consiste à protéger la sécurité du navigant, des membres d’équipage, des passagers, du bâtiment, de sa cargaison et de l’environnement. D’ailleurs, le plaignant est d’accord.

f. Étape 3 : Transports Canada a-t-il démontré que la délivrance du certificat sans restrictions lui aurait causé une contrainte excessive?

[145] Le Tribunal est d’avis que Transports Canada n’a pas prouvé que la délivrance d’un certificat sans restrictions à monsieur Houle lui aurait causé une contrainte excessive.

[146] Dans l’arrêt Grismer, la Cour suprême du Canada insiste sur l’importance de faire une évaluation individuelle pour établir si l’intimé, en n’appliquant pas sa norme à une personne en particulier dans des circonstances particulières, aurait fait face à une contrainte excessive.

[147] Dans cet arrêt, la Cour suprême indique que l’intimé doit tenir compte dans ses normes des caractéristiques des personnes touchées par la norme. Elle précise que l’accommodement assure que chaque personne est évaluée selon ses caractéristiques personnelles plutôt qu’en fonction de présumées caractéristiques de groupe.

[148] Dans la présente affaire, le Tribunal constate que les décisions d’imposer des restrictions au certificat médical de la marine de monsieur Houle, tant par la docteure Sully, que par monsieur Garber, madame Bédard, madame Bertrand et madame Murphy, ont été rendues sans évaluer la situation particulière de monsieur Houle. Ils ont décidé d’écarter l’opinion très claire que le docteur Girard a émise à de nombreuses reprises sur l’aptitude de Monsieur Houle, sans utiliser les outils à leur disposition, à savoir une évaluation psychiatrique, une évaluation fonctionnelle et une évaluation neuropsychologique, ni aucune autre évaluation qui aurait pu infirmer, confirmer ou nuancer l’opinion du docteur Girard.

[149] De plus, Transports Canada a également écarté les opinions des médecins examinateurs de la marine, c’est-à-dire les docteurs Robert, en 2012 et 2014, Picher, en 2016 et 2018 et Doré, en 2023, en se basant sur les restrictions émises en 2005 par la commission d’appel, dont la décision avait été maintenue par la Cour fédérale en 2006, comme vu précédemment. D’ailleurs, les lettres de la docteure Sully à monsieur Houle le 4 septembre 2012 sont éloquentes. La docteure Sully retient que la schizophrénie, de par sa nature même, peut entraîner des épisodes de récidives imprévisibles et les symptômes peuvent survenir malgré le traitement. Elle indique qu’une personne souffrant de schizophrénie ne répond pas au « standard » de la LMMC. Elle n’évalue pas la condition spécifique de monsieur Houle, mais se fie à des généralités de la maladie même. En 2014, la docteure Sully confirme qu’il n’y a pas de nouvel élément et se conforme à la décision de 2006 de la Cour fédérale, encore une fois, sans évaluer la condition particulière de monsieur Houle. La docteure Sully maintient son opinion en 2015.

[150] Le Tribunal constate que Transports Canada, par l’intermédiaire de sa représentante, la docteure Sully, ne tient aucunement compte de la situation particulière de monsieur Houle. La docteure Sully justifie sa décision par la maladie même sans se préoccuper de monsieur Houle, ni du temps écoulé depuis le dernier épisode, de son assiduité à l’égard de la médication et de l’absence de symptômes. Elle écarte complètement l’opinion du spécialiste Girard qui le traite depuis 1995. Celui-ci l’a vu deux, trois ou quatre fois par année pendant toutes ces d’années. Le docteur Girard répète depuis près de trente ans que monsieur Houle ne présente aucune limitation au plan psychiatrique et qu’il peut effectuer tout travail pour lequel il est formé. Déjà en 2002, le docteur Girard indiquait qu’il était peu probable que des périodes de stress telles que celles rencontrées en mer puissent faire réapparaître les symptômes de monsieur Houle s’il continuait sa médication. Certes, le docteur Girard n’est pas le spécialiste pour évaluer les risques précis du travail de capitaine de navire, mais, en tant que psychiatre traitant, il est le mieux placé pour évaluer la condition psychiatrique spécifique de monsieur Houle. L’opinion du docteur Girard selon laquelle il ne présente aucun symptôme de sa maladie n’est pas contredite.

[151] Puis, monsieur Garber, madame Bédard, madame Bertrand et madame Murphy suivent la même logique que la docteure Sully jusqu’en 2023, de sorte que des certificats de la marine ont été délivrés avec restrictions, ce qui a empêché monsieur Houle d’exercer le métier de capitaine de navires, et ce, sans jamais évaluer sa condition spécifique.

[152] Il y a lieu d’ajouter que même le docteur Turcotte, psychiatre expert de l’intimé, a expliqué à l’audience les nuances d’évolution de la maladie selon les individus. Certains évoluent de façon très favorable et peuvent mener une vie tout à fait normale comme monsieur Houle. Sa condition n’est pas seulement en rémission, mais en rétablissement, c’est-à-dire qu’il a retrouvé sa capacité de fonctionner normalement dans la communauté sur le plan social et professionnel et n’a plus de symptômes, et ce, même s’il n’est pas guéri de sa maladie, puisqu’il devra maintenir sa médication tout au long de sa vie.

[153] Pour quels motifs Transports Canada n’a-t-il pas utilisé les outils à sa disposition pour faire une évaluation spécifique de monsieur Houle? La docteure Goulet, agente principale de l’Unité de médecine maritime de Transports Canada, l’explique, pour ainsi dire, à l’audience.

[154] La docteure Goulet indique que son travail vise à recevoir les rapports des médecins examinateurs de la marine et des médecins traitants et qu’elle discute des dossiers avec les infirmiers de son unité. Puis, si le dossier présente une complexité, il est discuté en réunion avec la directrice de l’unité, madame Murphy (à l’époque où la docteure Goulet est à l’Unité de médecine maritime), qui décide de la délivrance du certificat. Elle explique s’appuyer sur le cadre légal, à savoir le guide canadien, les Directives, le paragraphe 270(1) du RPM qui détaille les exigences pour l’aptitude au service en mer, et le paragraphe 278(3) du RPM, qui permet de demander des informations supplémentaires. L’Unité de médecine maritime ne fait aucun examen du navigant. La réglementation lui permet de demander des expertises ou des tests paracliniques, mais la docteure Goulet considère que ce sont des mesures exceptionnelles qui, dans le cas de monsieur Houle, n’étaient pas nécessaires compte tenu de la décision de 2005 de la commission d’appel, laquelle avait évalué le risque et s’était prononcée sur les restrictions à imposer, décision qui a été maintenue par la Cour fédérale en 2006.

[155] Elle confirme qu’elle n’a jamais évalué le risque de récidive spécifiquement pour monsieur Houle, se fiant sur la littérature médicale qui prévoit le risque de décompensation pour les personnes souffrant de la maladie. Selon elle, le risque est le même pour toutes les personnes souffrant de schizophrénie. Elle ne sait pas si monsieur Houle a présenté un épisode unique de schizophrénie ou s’il en a eu plusieurs.

[156] La docteure Goulet commente les rapports du docteur Girard en indiquant qu’ils sont répétitifs et ne sont pas très informatifs. Elle aurait aimé avoir plus d’informations, notamment sur son hygiène de vie personnelle, ses accomplissements personnels, ce qu’il fait en dehors du travail, ses relations sociales et amicales, etc. Elle aurait aimé savoir comment monsieur Houle réagissait en présence d’un grand stress. Elle n’a cependant jamais tenté de communiquer avec le docteur Girard à ce sujet.

[157] Elle commente aussi les rapports provisoires de 2012 et 2014 du docteur Robert, médecin examinateur de la marine, qui déclarait monsieur Houle apte. Elle indique que ces rapports sont incomplets. Quant aux rapports de 2016 et 2018 du docteur Picher, médecin examinateur de la marine, elle considère que ces rapports ne répondent pas aux attentes puisque l’opinion est différente de ce qui se trouve dans le guide canadien. Il en est de même pour le rapport provisoire du docteur Doré, qui déclarait aussi monsieur Houle apte sans restrictions.

[158] En somme, la docteure Goulet rappelle que le capitaine est la plus haute autorité sur le navire et que le stress de la fonction est très important. Elle estime que les risques pour la sécurité sont trop importants pour permettre à monsieur Houle d’exercer la fonction, en raison de sa maladie, qui selon la littérature médicale peut entraîner des épisodes de décompensation et de perte de contact avec la réalité. Le risque de récidive est documenté dans la littérature. Elle indique que le niveau de risque est le même pour toute personne souffrant de schizophrénie.

[159] Elle admet en revanche n’avoir jamais évalué le risque spécifique de rechute ou de récidive d’épisodes psychotiques chez monsieur Houle. Elle justifie les décisions d’imposer des restrictions par la décision de 2006 de la Cour fédérale, laquelle a maintenu la décision de la commission d’appel qui avait fait l’évaluation du risque.

[160] À la lumière de l’ensemble de la preuve, le Tribunal constate que Transports Canada ne s’est pas acquitté de son obligation d’effectuer une évaluation individuelle, comme la Cour suprême du Canada l’impose dans l’arrêt Grismer. Transports Canada n’a pas évalué monsieur Houle selon ses caractéristiques personnelles plutôt qu’en fonction de présumées caractéristiques de groupe qu’on retrouve dans le guide canadien. Comme cette évaluation n’a pas été faite, Transports Canada n’a pas établi devant le présent Tribunal qu’il aurait fait face à une contrainte excessive en n’appliquant pas sa norme à monsieur Houle compte tenu de sa condition et de la stabilité de celle-ci depuis 30 ans.

[161] Le rôle du Tribunal n’est pas de déterminer si monsieur Houle a droit à un certificat médical avec ou sans restrictions, mais plutôt de savoir si Transports Canada a fait une évaluation individuelle de monsieur Houle avant de prendre sa décision. Le Tribunal constate que cela n’a pas été fait, contrairement aux obligations légales en matière de droits de la personne.

[162] D’ailleurs, selon les témoignages de la docteure Goulet et de monsieur Najha, ceux-ci interprètent l’obligation imposée par l’alinéa 278(5)c) du RPM en matière de droits de la personne comme étant restreinte au droit au travail, en tenant compte des risques professionnels liés au travail du navigant. Le Tribunal constate qu’il s’agit d’une vision extrêmement étroite, incompatible avec la LCDP et tout le corpus jurisprudentiel des droits de la personne. Comme l’énonçait avec justesse le Tribunal des droits de la personne dans la décision Duverger c. 2553-4330 Québec Inc. (Aéropro), 2019 TCDP 18 : « Nous ne le répéterons jamais assez : la LCDP a pour objectif de garantir, à tout individu, la jouissance du droit à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesure visant la satisfaction de ses besoins, dans la mesure compatible avec ses devoirs et obligations au sein de la société, et ce, indépendamment de quelconques considérations fondées sur des motifs de distinction illicite protégés par la LCDP (voir article 2 LCDP) ».

[163] Par conséquent, le Tribunal conclut que Transports Canada n’a pas démontré qu’il aurait subi une contrainte excessive s’il avait accordé à monsieur Houle un certificat médical de la marine sans restrictions. Il n’a donc pas établi avoir un motif justifiant ses actes discriminatoires, de sorte qu’il ne peut bénéficier de l’exception prévue aux paragraphes 15(1) et (2) de la LCDP.

[164] La plainte de discrimination de monsieur Houle est donc fondée.

(iii) Question 3 : Si l’intimé n’a pas justifié sa décision selon le paragraphe 15(2) de la LCDP, quelles sont les mesures de redressement applicables?

[165] Comme la plainte est fondée, le Tribunal peut ordonner à l’intimé coupable de l’acte discriminatoire en question différentes mesures de redressement en application de l’article 53 de la LCDP, notamment d’indemniser la victime pour les pertes de salaire (alinéa 53(2)c)) et le préjudice moral (alinéa 53(2)e)) et de lui payer une indemnité supplémentaire si l’acte discriminatoire a été délibéré ou inconsidéré (paragraphe 53(3)).

[166] Le plaignant réclame 1 114 627 $ au chapitre des pertes de revenus, dont 386 764 $ en intérêts, 20 000 $ en dommages moraux et 20 000 $ pour l’indemnité supplémentaire, pour un total de 1 154 627 $.

[167] Qu’en est-il?

[168] Les dispositions suivantes de la LCDP s’appliquent à la présente affaire :

53(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

[…]

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaires et des dépenses entraînées par l’acte;

[…]

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert d’un préjudice moral.

53(3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

53(4) Sous réserve des règles visées à l’article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts pour l’indemnité au taux et pour la période qu’il estime justifiés.

a. L’indemnité pour pertes de salaires (alinéa 53(2)c) de la LCDP)

[169] Le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire d’accorder des indemnités pour la totalité ou une fraction des pertes de salaires entraînées par l’acte discriminatoire. Certains principes guident le Tribunal en cette matière.

[170] La Cour d’appel fédérale nous rappelle, dans la décision Chopra c. Canada (Procureur général) (C.A.F.), 2007 CAF 268, au par. 40 [Chopra], qu’il doit exister un lien de causalité entre l’acte discriminatoire et les pertes entraînées par l’acte. Elle ajoute que le principe de l’atténuation des dommages s’applique. La Cour d’appel fédérale précise que le choix d’une date donnée au moment d’indemniser pour pertes de salaires doit également être justifié (Tahmourpour c. Canada, 2010 CAF 192, au par. 47).

[171] Monsieur Houle réclame 727 863 $ à titre de perte de salaire pour la période entre le 29 janvier 2013, date de la plainte à la Commission des droits de la personne, et le 15 septembre 2023, date de fin des audiences, plus le montant de l’intérêt légal. Il explique sa demande par la différence entre ses revenus bruts annuels entre 2013 et 2023 et le salaire de capitaine qu’il évalue à 150 000 $ annuellement.

[172] Afin de déterminer l’indemnité pour perte de salaires, le Tribunal est d’avis qu’il ne faut tenir compte que des périodes de service en mer entre 2013 et 2023. Avec les certificats médicaux de la marine qui lui ont été délivrés, monsieur Houle aurait pu être navigant pendant ces 10 années même s’il ne pouvait pas occuper la fonction de capitaine. Le manque à gagner doit donc être reflété dans ce calcul.

[173] Il n’y a pas lieu de tenir compte des différences salariales avec d’autres emplois que monsieur Houle aurait occupés ni des périodes où il n’aurait pas travaillé. En effet, le certificat médical de la marine qui lui avait été accordé ne l’empêchait aucunement de travailler à titre de navigant. Il ne lui permettait certes pas d’être capitaine, mais il pouvait occuper d’autres fonctions sur les navires, ce qu’il a d’ailleurs fait à plusieurs reprises. Il y a donc lieu de ne considérer que les salaires gagnés à titre de navigant et de calculer le manque à gagner sur cette base. Le lien de causalité entre l’acte discriminatoire et le salaire réellement gagné se situe dans les fonctions de navigant.

[174] Afin d’identifier le montant d’indemnité, il y a lieu d’estimer le salaire de capitaine.

Combien gagne un capitaine?

[175] Monsieur Houle témoigne que, à sa connaissance, un capitaine gagne autour de 150 000 $ annuellement. Son témoignage est confirmé par le capitaine Simon Perreault, qui a également témoigné à l’audience. Simon Perreault a précisé que le salaire de base se situe à environ 150 000 $ sur une base de 180 jours en mer depuis 2023 (850 $ × 180 jours). En 2008, il se situait plutôt autour de 100 000 $ (550 $ × 180 jours). À ce salaire s’ajoutent des primes en fonction de la grosseur du navire, de la dangerosité de la cargaison, des eaux à naviguer, du nombre de passagers ou d’équipage et autres considérations.

[176] Le plaignant a déposé quelques offres d’emploi à l’audience.

[177] Une offre d’emploi de l’entreprise Transports Desgagné pour le poste de capitaine sur le N/C Harbour Fashion pour opérer sur les Grands Lacs et dans l’est du Canada est déposée. Ce poste était offert pour une période temporaire de deux mois à compter d’août 2022. Le salaire offert était de 66,77 $ pour les 40 premières heures de travail et de 101,66 $ par la suite pour 8 heures par jour, 7 jours par semaine. Les semaines de travail sont donc de 56 heures, pour 8 semaines, de sorte que le nombre d’heures total est de 448 heures. Les 40 premières heures sont au salaire de 66,77 $, pour un montant de 2 670,80 $ et les 408 autres heures sont au salaire horaire de 101,66 $ pour une somme de 41 477,28 $. Le total du salaire pour les deux mois de travail est donc de 44 148,08 $. Si l’on considère que le capitaine navigue six ou sept mois par année (autour de 180 jours), le salaire annuel se situe autour de 150 000 $.

[178] On retrouve également sur le site Web de Métiers maritimes qu’un capitaine peut gagner entre 90 000 et 150 000 $ par année.

[179] En somme, le Tribunal retient que le salaire de capitaine pour la période en jeu aux fins du calcul du manque à gagner est de 150 000 $ annuellement, d’autant qu’aucune preuve à l’effet contraire n’a été soumise.

Quelles périodes doivent être considérées aux fins de la détermination de l’indemnité pour pertes salariales?

[180] Pendant la période de 2013 à 2023, monsieur Houle a navigué pendant une certaine période, vu que ses certificats médicaux le lui permettaient.

[181] En 2013 et 2014, il a témoigné qu’il a refait les cours nécessaires pour reprendre la navigation. Le Tribunal estime qu’il n’a pas eu de manque à gagner en raison des certificats médicaux de la marine ou, en d’autres termes, ce ne sont pas les restrictions imposées de façon discriminatoire qui l’auraient empêché d’exercer les fonctions de capitaine pendant cette période, de sorte qu’il n’y a pas de manque à gagner compensable pendant cette période.

[182] En 2015, monsieur Houle reprend le service en mer. Selon son dossier de service en mer, il a navigué du 13 février au 15 mars 2015, du 15 mars au 21 mars 2015, du 25 mars au 22 avril 2015, du 14 mai au 5 juillet 2015, du 29 juillet au 12 août 2015, du 15 août au 7 octobre 2015, du 11 décembre 2015 au 20 janvier 2016, du 21 janvier au 19 février 2016, du 9 avril au 8 juillet 2016, du 5 août au 26 septembre 2016 et du 16 décembre 2016 au 8 janvier 2017. Selon ses déclarations de revenus, il aurait gagné un salaire de 78 490,61 $ en 2015 et de 76 911,36 $ en 2016.

[183] S’il avait été capitaine en 2015 et 2016, monsieur Houle aurait gagné autour de 150 000 $ par année, selon la preuve retenue. Ainsi, son manque à gagner est de 71 509,39 $ pour l’année 2015 et de 73 088,64 $ pour l’année 2016.

[184] Les années 2018 et 2019, monsieur Houle travaille sur un vraquier, le Jean-Joseph, selon son témoignage. Pendant ces deux années, il aurait pu travailler comme capitaine de navire s’il avait eu son certificat médical de la marine sans restrictions. Il aurait gagné 150 000 $ par année. Selon ses déclarations de revenus, il a plutôt gagné, comme navigant, 67 576,05 $ en 2018 et 81 895,31 $ en 2019, de sorte que le manque à gagner s’élève à 82 424,95 $ en 2018 et 68 104,69 $ en 2019.

[185] À l’été 2021, monsieur Houle témoigne avoir navigué sur le Georges Alexandre Lebel, qui transportait des trains. Comme l’été a 4 mois, le Tribunal retient que monsieur Houle a travaillé 4 mois de l’année sur 12 comme navigant et qu’il aurait pu pendant cette période travailler comme capitaine et aurait gagné 50 000 $ (4÷12 × 150 000 = 50 000). Selon sa déclaration de revenus, il a gagné 26 714 $ à titre de revenus d’emploi, ce qui montre un manque à gagner de 23 286 $.

[186] En avril 2022, il y a un échange de courriels entre monsieur Houle et la superviseure des opérations chez Reformar (gestion de navires et équipements scientifiques). L’entreprise souhaite embaucher un capitaine permanent sur un navire de recherche scientifique (le Coriolis II). Monsieur Houle se dit intéressé, mais informe l’entreprise de ses limitations en raison de son certificat médical de la marine. Il n’est pas embauché. Le Tribunal est d’avis que l’absence de certificat médical sans restrictions est à tout le moins en partie responsable du fait que monsieur Houle n’a pas accédé au poste qu’il convoitait chez Reformar, de sorte qu’il y a un manque à gagner à compter du mois de mai 2022. Ce manque à gagner peut se calculer au salaire de capitaine pour la période d’avril à décembre 2022, à savoir huit mois (8÷12 × 150 000 = 100 000). Les revenus d’emploi de l’année 2022 étaient de 37 500 $. En faisant l’hypothèse que ce montant de 37 500 $ a été gagné pendant la période d’avril à décembre 2022, le manque à gagner est donc de 62,500 $ pour l’année 2022.

[187] Pour l’année 2023, monsieur Houle a gagné comme navigant pour Croisières AML, pour la période du 9 au 22 juillet 2023, un salaire horaire de 27,00 $. Il a fait des gains de 2 875,15 $. Il indique qu’il aurait travaillé 17 semaines chez Croisières AML, pour un salaire de 24 438,69 $. S’il avait été capitaine, il aurait travaillé environ 180 jours, soit 26 semaines, de sorte qu’il aurait gagné 98 076,92 $ (17÷26 × 150 000 = 98 076,92). Le manque à gagner pour 2023 est donc de 73 638,23 $.

[188] L’ensemble du manque à gagner admissible au titre du salaire est donc de 454 551,90 $.

b. L’indemnité pour préjudice moral (alinéa 53(2)e) de la LCDP)

[189] Monsieur Houle réclame un montant de 20 000 $ à titre de dommages moraux.

[190] La LCDP prévoit que le Tribunal peut accorder un montant maximal de 20 000 $ pour compenser le préjudice moral subi par une victime de discrimination, en application de l’alinéa 53(2)e).

[191] La jurisprudence établit que cette somme maximale n’est accordée que dans les cas les plus graves, quand l’étendue et la durée du préjudice moral justifient l’octroi du plein montant (Closs c. Fulton Forwarders Incorporated et Stephen Fulton, 2012 TCDP 30 (CanLII), au par. 81).

[192] Afin d’établir le montant juste du dommage moral, le Tribunal doit donc évaluer, entre autres, les conséquences émotionnelles, la frustration, la déception, la perte d’estime et de confiance de soi, le chagrin, le bien-être affectif, le stress, l’anxiété et parfois même la dépression, les idées suicidaires et autres manifestations de nature psychologique résultant de l’acte discriminatoire. Ce type de démonstration n’est pas nécessairement facile à faire.

[193] Rappelons que le dossier médical peut parfois être utile pour faire la preuve de l’état émotionnel de l’individu, mais il n’est certes pas obligatoire pour établir le préjudice moral. Dans certains cas, un dossier médical pourra étayer la preuve des conséquences sur la santé mentale de la victime de discrimination, et, dans d’autres cas, les témoignages de la victime elle-même, de ses collègues de travail ou de ses proches pourront éclairer l’étendue, le degré, l’intensité et la durée du préjudice moral subi par la victime.

[194] Dans le présent dossier, seul le témoignage de monsieur Houle donne un certain éclairage à ce sujet. Monsieur Houle témoigne du fait qu’il s’est senti déprécié, comme s’il était puni à cause de sa maladie. Il sentait qu’il avait perdu son grade de capitaine. Il a par ailleurs continué à travailler et à vivre sa vie normalement sans autres séquelles psychologiques. La preuve ne démontre ni l’étendue, ni le degré, ni l’intensité et la durée du préjudice moral. Il a en effet été affecté, mais sans plus, selon la preuve présentée à l’audience.

[195] Dans ces circonstances, le Tribunal estime qu’un montant de 250 $ est une compensation juste pour le dommage moral subi par monsieur Houle.

c. L’indemnité spéciale (paragraphe 53(3) de la LCDP)

[196] Une indemnité spéciale pouvant aller jusqu’à 20 000 $ peut être accordée dans les cas où le Tribunal conclut que l’acte discriminatoire a été délibéré ou inconsidéré, en application du paragraphe 53(3) de la LCDP.

[197] Cette disposition a notamment pour but de dissuader, de décourager et par conséquent, de prévenir, comme le retenait la Cour fédérale dans la décision Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113 (CanLII), au paragraphe 155, qui a été confirmée par la Cour d’appel fédérale (2014 CAF 110 (CanLII).

[198] Comme le rappelait le Tribunal canadien des droits de la personne dans l’affaire Bilac c. Abbey, Currie et NC Tractor Services Inc., 2023 TCDP 43 [Bilac], les lois sur les droits de la personne, incluant la LCDP, ne sont pas punitives, mais réparatrices et préventives (voir l’arrêt British Columbia Human Rights Tribunal c. Schrenk, 2017 CSC 62, au par. 31). En fait, le Tribunal indique, dans l’affaire Bilac, que le caractère dissuasif du paragraphe 53(3) de la LCDP et son effet décourageant, pour ceux qui se livrent ou voudraient se livrer à des actes discriminatoires de manière inconsidérée ou délibérée, sont cohérents avec l’objectif préventif de la LCDP.

[199] Dans les faits, le plaignant plaide que la conduite de Transports Canada était inconsidérée en ce que, à plusieurs reprises, l’intimé a rejeté l’expertise médicale de ses propres examinateurs pour imposer, à la place, une conception rigide et stéréotypée de la schizophrénie et des risques qui y sont associés. Ce faisant, Transports Canada adoptait une conduite inconsidérée, gravement préjudiciable à monsieur Houle.

[200] Transports Canada plaide au contraire qu’il n’a aucunement agi de façon intentionnelle, n’a pas témoigné de mépris ou d’indifférence quant aux conséquences, ni agi d’une manière téméraire ou insouciante.

[201] Le Tribunal est d’avis que l’acte discriminatoire n’a pas été intentionnel. Certes, Transports Canada a maintenu sa vision des choses sans tenir compte de la situation individuelle de monsieur Houle, ayant ainsi commis son acte discriminatoire, mais rien dans la preuve ne démontre qu’il agissait sciemment en contravention des droits de la personne. Les différents acteurs ont agi en croyant sincèrement, mais erronément, qu’ils se conformaient à leurs obligations.

[202] Par conséquent, le Tribunal conclut que l’acte discriminatoire n’a pas été délibéré ou inconsidéré, de sorte que monsieur Houle ne peut pas bénéficier d’une indemnité spéciale au sens du paragraphe 53(3) de la LCDP.

d. Les intérêts (paragraphe 53(4) de la LCDP)

[203] Le montant total d’indemnité est de 454 801,90 $, soit 454 551,90 $ à titre d’indemnité pour perte de salaire et 250 $ à titre de préjudice moral.

[204] Il y a lieu de préciser que les intérêts courus ne devraient pas donner une indemnité totale qui dépasse le maximum prescrit par la LCDP (voir Christoforou c. John Grant Haulage Ltd., 2021 TCDP 15, au par. 112). Dans le présent cas, la somme des montants pour le préjudice moral, c’est-à-dire 250 $, et son intérêt ne dépassent pas le maximum prescrit par la LCDP, à savoir 20 000 $ pour préjudice moral (alinéa 53(2)e) de la LCDP). Quant à l’indemnité pour pertes de salaires, la LCDP ne précise pas de maximum de sorte que les intérêts doivent être appliqués sur le montant d’indemnité accordé, à savoir 454 551,90 $.

[205] Ainsi, l’intérêt s’applique sur le montant total d’indemnité, soit 454 801,90 $ accordé à titre de redressement, en application du paragraphe 53(4) de la LCDP. Les intérêts doivent être calculés selon la règle 46 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), donc au taux simple équivalant au taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada, et courent de la date où l’acte discriminatoire a été commis jusqu’à la date de versement de l’indemnité.

[206] Dans sa plainte déposée à la Commission canadienne des droits de la personne le 29 janvier 2013, monsieur Houle indique que la discrimination a débuté le 4 septembre 2012. Ainsi, l’intérêt devra courir à compter du 4 septembre 2012, et ce, jusqu’à la date du versement de l’indemnité.

V. ORDONNANCE

[207] La plainte de monsieur Gaétan Houle est jugée fondée, donc le Tribunal canadien des droits de la personne ordonne à Transports Canada de lui :

  • -VERSER une somme de 454 551,90 $ à titre d’indemnité pour perte de salaire;

  • -VERSER des intérêts sur la somme de 454 551,90 $ à compter du 4 septembre 2012 jusqu’à la date du versement de l’indemnité;

  • -VERSER une somme de 250 $ à titre d’indemnité pour préjudice moral;

  • -VERSER des intérêts sur la somme de 250 $ à compter du 4 septembre 2012 jusqu’à la date du versement de l’indemnité.

Signée par

Marie Langlois

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 19 avril 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier : T2660/3621

Intitulé de la cause : Gaétan Houle c. Transports Canada

Date de la décision du Tribunal : Le 19 avril 2024

Date et lieu de l’audience : 11 au 15 septembre 2023

Québec (Québec)

Comparutions :

Jean-François Labadie, pour le plaignant

Chantal Labonté et Nadia Hudon, pour l'intimé

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