Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Une employée du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne contre le SCRS. Le SCRS a demandé une ordonnance de confidentialité pour garder confidentiels les noms de tous ses employés, y compris le nom de la personne qui a déposé la plainte.

Le SCRS ne peut pas communiquer le nom des employés qui participent à des activités opérationnelles cachées. La loi ne dit rien sur les noms des employés du SCRS qui ne participent pas aux opérations secrètes. Par conséquent, le Tribunal a délivré une ordonnance de confidentialité qui s’applique seulement aux noms des employés du SCRS qui effectuent des opérations secrètes.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 27

Date : Le 3 mai 2024

Numéro du dossier : HR-DP-2972-23

Entre :

CB

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service canadien du renseignement de sécurité

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Athanasios Hadjis

 


[1] La plaignante a déposé auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») une plainte pour atteinte aux droits de la personne dans laquelle elle alléguait avoir été victime de discrimination alors qu’elle était à l’emploi de l’intimé, le Service canadien du renseignement de sécurité (le « SCRS »). La Commission a par la suite demandé au Tribunal d’instruire la plainte.

[2] L’intimé demande au Tribunal de rendre une ordonnance de confidentialité visant à maintenir l’anonymat de la plaignante ainsi que de tout autre employé, actuel ou ancien, du SCRS. La Commission et le plaignant ont déclaré qu’ils ne présenteraient pas d’observations au sujet de la requête de l’intimé.

[3] Pour les motifs qui suivent, je ferai droit à la demande d’ordonnance, mais sous réserve de certaines conditions.

[4] Dans une autre instance mettant en cause le SCRS, c’est-à-dire, dans la décision sur requête AB c. Service canadien du renseignement de sécurité, 2023 TCDP 5 [AB c. SCRS], aux paragraphes 5 et suivants, j’ai déjà souligné que, selon le paragraphe 52(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « LCDP »), les instructions du Tribunal sont publiques. La même disposition reflète le principe de publicité des débats judiciaires. Ce principe est protégé par le droit constitutionnel à la liberté d’expression, et, à ce titre, il représente un élément fondamental d’une démocratie libérale (Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 [Sherman (Succession)], au par. 1).

[5] Toutefois, il peut y avoir des circonstances exceptionnelles où des intérêts opposés justifient de restreindre le principe de la publicité des débats judiciaires (Sherman (Succession), au par. 3). Ainsi, en vertu de l’alinéa 52(1)a) de la LCDP, les membres du Tribunal peuvent prendre toute mesure et rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’ils sont convaincus qu’il existe un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique. L’analyse que le Tribunal doit réaliser dans le cadre de requêtes en confidentialité fondées sur l’article 52 de la LCDP s’inspire du critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 [Sierra Club] (AB c. SCRS, au par. 14)

[6] Selon le critère de l’arrêt Sierra Club, la personne qui demande à une cour de justice ou à un tribunal administratif d’exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à limiter la présomption voulant que les audiences se déroulent en public doit établir que :

  • la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

  • l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter le risque;

  • du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

[7] La plainte dans l’affaire AB c. SCRS était similaire à la présente. AB, une ancienne employée du SCRS, alléguait avoir été victime de discrimination en cours d’emploi. J’ai observé, dans ma décision sur requête, que l’article 18(1) de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, L.R.C. 1985. ch. C-23 (« Loi sur le SCRS ») dispose que nul ne peut sciemment communiquer des informations qui permettraient de découvrir l’identité d’un employé qui a participé, participe ou pourrait vraisemblablement participer à des activités opérationnelles cachées du SCRS. Enfreindre cette disposition constitue une infraction (art. 18(3) de la Loi sur le SCRS).

[8] Après avoir appliqué le critère énoncé dans l’arrêt Sierra Club, j’ai conclu qu’il existerait un risque sérieux pour un intérêt public important si le nom de personnes visées à l’article 18 de la Loi sur le SCRS était divulgué. En effet, une telle divulgation entraînerait un risque sérieux que des questions touchant la sécurité publique soient divulguées (AB c. SCRS, au par. 15). Toujours dans la décision sur requête AB c. SCRS, j’ai statué que l’ordonnance d’anonymisation était nécessaire, car d’autres mesures raisonnables ne permettraient pas d’écarter le risque sérieux pour l’intérêt public important (AB c. SCRS, au par. 16). Les avantages de l’ordonnance l’emportaient sur ses effets négatifs (AB c. SCRS, au par. 20).

[9] Il n’y a pas de véritable différence entre les circonstances de la présente plainte et celles de l’affaire AB c. SCRS. Tout comme dans cette affaire, je suis convaincu, en l’espèce, que d’après le titre du poste qu’occupait la plaignante au SCRS, et qui est mentionné dans sa plainte, cette dernière a pris part à des activités répondant au critère du paragraphe 18(1). Les trois éléments du critère de l’arrêt Sierra Club sont également respectés; ainsi, il y a lieu de rendre une ordonnance de confidentialité en vertu de l’article 52 de la LCDP.

[10] Toutefois, l’intimé a demandé à ce que l’ordonnance s’applique à tous les employés, passés et présents, du SCRS. Cette demande a une portée trop large. L’ordonnance ne devrait s’appliquer qu’aux employés participant à des activités opérationnelles cachées, suivant le paragraphe 18(1) de la Loi sur le SCRS (voir AB c. SCRS, au par. 17).

Ordonnance

[11] Pour les motifs qui précèdent, j’ordonne ce qui suit :

  1. toute information qui identifie la plaignante ou tout autre employé, actuel ou passé, du SCRS qui a participé, participe ou pourrait vraisemblablement participer à des activités opérationnelles cachées du SCRS, ou toute personne qui a été un employé du SCRS et qui a participé à de telles activités (un « employé de confiance du SCRS ») est désignée comme étant confidentielle (l’« information confidentielle ») en application de l’article 52 de la LCDP;
  2. la plaignante ne sera identifiée que par les initiales aléatoires « CB » dans tous les documents et actes de procédure déposés auprès du Tribunal, dans toute correspondance entre les parties et avec le Tribunal et dans toutes les décisions sur le fond et décisions sur requête du Tribunal, jusqu’à nouvelle ordonnance du Tribunal;
  3. les employés de confiance seront identifiés seulement et systématiquement par les mêmes initiales aléatoires ou par un autre pseudonyme dans tout document ou acte de procédure déposé auprès du Tribunal;
  4. à la demande de la plaignante ou de la Commission, le nom complet d’un employé de confiance du SCRS doit être divulgué lorsque le titre de son poste et les autres informations fournies ne suffisent pas, à eux seuls, pour l’identifier et déterminer la part qu’il a prise à un incident en cause;
  5. si le nom complet d’un employé de confiance du SCRS est dévoilé à la plaignante ou à la Commission, elles doivent garder l’information confidentielle et ne peuvent la rendre publique ni l’inclure dans aucun document présenté au Tribunal;
  6. les parties sont tenues de respecter la confidentialité des renseignements en s’abstenant de mentionner toute information confidentielle dans le cadre d’instances publiques et en ne désignant les employés de confiance du SCRS que par les initiales aléatoires ou les autres pseudonymes qui leur sont attribués.

par

Athanasios Hadjis

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 3 mai 2024


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : HR-DP-2972-23

Intitulé de la cause : CB c. Service canadien du renseignement de sécurité

Date de la décision du Tribunal : Le 3 mai 2024

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Samantha Lamb , pour la plaignante

Aby Diagne, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Kevin Palframan , pour l’intimé

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.