Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

La plaignante, Joanne Johnson, a déposé une plainte contre la Première Nation de Membertou. Elle y indique que la Première Nation a fait preuve de discrimination à son égard dans son emploi en raison de sa couleur, de son origine nationale ou ethnique et de sa race.

La plaignante a été embauchée comme directrice générale chez Lanes Bowling Alley, une nouvelle installation appartenant à la Première Nation. Cet emploi avait une période d’essai de six mois. À la fin de cette période, le chef de l’exploitation a évalué son rendement et prolongé sa période d’essai. Cependant, la Première Nation a finalement renvoyé Mme Johnson avant l’expiration de la prolongation.

La plaignante n’est ni Autochtone ni membre de la Première Nation. Elle soutient qu’une politique de la Première Nation fixe un ensemble de règles préférentielles différentes pour les Autochtones. Selon la plaignante, le fait qu’elle n’est pas Autochtone a joué un rôle dans la façon dont la Première Nation a géré son emploi et son renvoi.

La Première Nation a expliqué que Mme Johnson avait été congédiée pendant sa période d’essai en raison de son rendement et de son insubordination. La décision de la Première Nation n’a tenu compte d’aucun motif de distinction illicite. La Première Nation a soutenu que Mme Johnson avait de la difficulté à encadrer, motiver et gérer le personnel de Lanes Bowling Alley. Son attitude envers les tentatives de son supérieur pour améliorer son rendement était quelque peu conflictuelle. Elle a aussi fait preuve de désobéissance et d’insubordination.

Le Tribunal a estimé que les motifs de la Première Nation pour avoir renvoyé la plaignante étaient entièrement liés à sa perception de son rendement à titre de directrice générale. Le Tribunal a conclu que la preuve ne soutient pas les allégations de Mme Johnson selon lesquelles son origine nationale ou ethnique, sa race ou sa couleur étaient des facteurs dans la décision de la Première Nation de la renvoyer. Mme Johnson n’a pas non plus démontré l’existence d’une politique d’emploi de la Première Nation qui est discriminatoire et donne la priorité aux Autochtones ou aux membres de celle-ci.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 16

Date : Le 21 mars 2024

Numéro(s) du/des dossier(s) : HR-DP-2832-22

Entre :

Joanne Johnson

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Première Nation de Membertou

l'intimée

Décision

Membre : Athanasios Hadjis


Table des matières

I. APERÇU 1

II. DÉCISION 1

III. CONTEXTE 1

IV. ALLÉGATION FONDÉE SUR L’ARTICLE 7 4

A. QUESTIONS EN LITIGE AU TITRE DE L’ARTICLE 7 4

B. PREUVE 6

(i) Éléments positifs du rendement de Mme Johnson 7

(ii) Les actes et les manquements de la PNM en ce qui concerne la gestion des Lanes par Mme Johnson démontrent, selon elle, que la PNM l’a traitée de façon préjudiciable puisqu’elle n’était pas une personne autochtone 10

a. Le défaut par la PNM de répondre aux demandes de Mme Johnson 11

b. Le peu d’empressement de la PNM pour répondre aux préoccupations relatives à un employé s’il est autochtone 14

c. Le manquement par la PNM de fournir un document d’encadrement à Mme Johnson 16

d. Éléments de preuve sur la période postérieure au renvoi 17

e. Le traitement préférentiel d’AB par la PNM et le processus ayant mené au congédiement de Mme Johnson 18

(iii) Les préoccupations de la PNM concernant le rendement de Mme Johnson à titre de directrice générale 24

C. ANALYSE – AUCUNE PREUVE PRIMA FACIE DE DISCRIMINATION AU SENS DE L’ARTICLE 7 N’A ÉTÉ ÉTABLIE 31

(i) Mme Johnson possède des caractéristiques protégées par la LCDP 31

(ii) Mme Johnson a subi un effet préjudiciable 32

(iii) La couleur, l’origine nationale ou ethnique et la race de Mme Johnson n’étaient pas des facteurs dans les situations donnant lieu à un effet préjudiciable 35

a. La période d’essai et le document d’encadrement 35

b. Le congédiement 37

V. ALLÉGATION FONDÉE SUR L’ARTICLE 10 41

VI. CONCLUSIONS 43

VII. ORDONNANCE 44

 


I. APERÇU

[1] L’intimée, la Première Nation de Membertou (la « PNM »), a renvoyé la plaignante, Joanne Johnson, de son poste de directrice générale de sa salle de quilles. La plaignante allègue qu’une politique de la PNM fixe un ensemble de règles préférentielles différentes pour les personnes autochtones. Selon Mme Johnson, le fait qu’elle n’est pas autochtone a joué un rôle dans la gestion par la PNM de son emploi et de son renvoi, ce qui a donné lieu à un acte discriminatoire fondé sur sa couleur, son origine nationale ou ethnique et sa race.

[2] La PNM nie les allégations de Mme Johnson et soutient que celle-ci a été congédiée pendant sa période d’essai en raison de son rendement et de son insubordination. La PNM affirme que les motifs de distinction illicite ne constituaient pas des facteurs dans sa décision.

II. DÉCISION

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que Mme Johnson n’a pas démontré que sa couleur, son origine nationale ou ethnique ou sa race étaient des facteurs dans la façon dont la PNM l’a traitée ou dans son renvoi, ou que la politique d’emploi de la PNM était discriminatoire et donnait la priorité aux personnes autochtones ou aux membres de la PNM.

III. CONTEXTE

[4] La PNM est une communauté micmaque située au Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Elle exploite plusieurs entreprises sur son territoire par l’intermédiaire de la Membertou Development Corporation, y compris une installation de jeux. En 2011, la PNM a embauché Mme Johnson pour être caissière dans l’installation de jeux. Celle-ci n’est pas autochtone et n’est pas membre de la PNM. Après environ quatre ans, Mme Johnson a été promue à un poste de supervision comme chef caissière, et elle remplaçait de temps à autre le gestionnaire.

[5] En 2018, la PNM a ouvert une nouvelle installation, son centre de famille et de divertissement connu sous le nom de Lanes Bowling Alley (les « Lanes »), qui comportait une salle de quilles, des simulateurs de sports ainsi qu’un bar et un restaurant à service complet.

[6] Mme Johnson a vu une affiche sur laquelle était annoncé le poste de directeur général des Lanes. Elle a présenté sa candidature en croyant que le poste lui conviendrait en raison de son expérience et de sa formation. Elle possède un diplôme en administration des affaires de l’Université St. Francis Xavier et ce diplôme correspondait à une qualification de préférence selon l’affiche.

[7] Mme Johnson a été embauchée en juillet 2018, après une entrevue par un comité de trois membres. Le 19 juillet 2018, elle a signé la lettre d’offre de la PNM qui indiquait qu’une période d’essai de six mois serait applicable à son emploi. Au terme de cette période, une évaluation serait effectuée par le chef de l’exploitation (le « CE »). Une clause précisait qu’elle pourrait être renvoyée si sa période d’essai n’était pas concluante.

[8] La première journée de Mme Johnson à ce poste était le 1er août 2018. La construction des Lanes n’était pas terminée, mais elle a immédiatement commencé à préparer la dotation de l’installation. Finalement, 68 employés ont été embauchés en tout pour les Lanes, la plupart travaillant à temps partiel. Mme Johnson et les superviseurs des Lanes ont présenté des recommandations au service des ressources humaines (les « RH ») de la PNM concernant les candidats, mais seules les RH avaient le pouvoir de les embaucher.

[9] Les Lanes ont ouvert leurs portes au public en novembre 2018. Mme Johnson affirme que, avant l’ouverture et au cours des mois suivants, elle a eu des problèmes avec la haute direction et le personnel, ce que j’expliquerai davantage plus loin dans la présente décision. Mme Johnson était particulièrement préoccupée par le comportement d’une employée, que je nommerai « AB » (initiales fictives) dans la présente décision. La PNM avait nommé AB pour superviser les relations avec la clientèle et les événements dans les Lanes. AB était autochtone et était membre de la PNM. Elle n’a pas été appelée à témoigner à l’audience.

[10] La période d’essai de six mois de Mme Johnson devait se terminer le 3 février 2019. Peu avant cette date, elle a rencontré le CE de la PNM, Richard Paul. Celui-ci a rempli un formulaire standard d’évaluation anuelle du rendement de la PNM pour les titulaires des postes de direction, de gestion et de supervision afin d’évaluer le rendement de Mme Johnson à ce jour. Dans plusieurs des catégories de l’évaluation, il a indiqué que son rendement laissait à désirer et, dans d’autres, qu’elle répondait aux attentes. La cote sommaire totale de Mme Johnson était de 64 %. Selon le formulaire, la fourchette de 62 % à 74 % [traduction] « répond[ait] aux attentes ».

[11] M. Paul a commenté sur le formulaire, au sujet du rendement global de Mme Johnson, qu’elle avait fait [traduction] « du bon travail dans certains domaines » et qu’elle commençait à comprendre le rôle important que jouait la gestion du temps, des personnes et des opérations dans son poste. Il a ajouté que sa période d’essai était prolongée de trois mois, décision difficile que les « cadres d’entreprise et les RH » avaient prise. M. Paul a précisé que Richard Stevens, le gestionnaire des RH, et lui-même fourniraient à Mme Johnson « un document d’encadrement et [effectueraient] un suivi ». Il a présenté de nombreuses recommandations pour son amélioration.

[12] Le 3 mai 2019 devait être la dernière date de la prolongation de la période d’essai. La date est passée et Mme Johnson n’avait toujours pas de nouvelles de la PNM au sujet du statut de son emploi. Le 8 mai 2019, elle a parlé à M. Paul après une réunion générale et lui a demandé [traduction] « Où en sommes-nous? » Elle a témoigné qu’il lui a dit « Tu es OK ». Elle s’est ensuite rendue à Toronto pour visiter une installation de quilles bien établie, à des fins de recherche pour améliorer l’intégration des données des systèmes au point de vente des Lanes.

[13] Alors qu’elle était à Toronto, M. Paul et elle ont échangé des courriels concernant AB, dans lesquels Mme Johnson a expliqué ses préoccupations liées au rendement d’AB en tant qu’employée. L’échange a continué lorsqu’elle est retournée au cap Breton la semaine suivante. Le dernier courriel de Mme Johnson dans cet échange était le soir du 23 mai 2019. Le jour suivant, le 24 mai 2019, elle a reçu un courriel auquel était jointe une lettre l’informant que son emploi prenait fin immédiatement et que, en tant qu’employée en période d’essai, elle n’avait pas droit à un préavis. Cependant, pour l’aider dans sa transition vers un nouvel emploi, la PNM lui donnait deux semaines de rémunération en guise et lieu de préavis.

[14] La lettre indiquait qu’elle pouvait interjeter appel de son renvoi directement au chef et au conseil de la PNM par écrit dans les quinze jours suivant sa réception. Mme Johnson a présenté un appel, mais elle a indiqué dans son témoignage que la PNM ne lui a jamais répondu. Les témoins de la PNM étaient incapables d’expliquer ce qui s’était produit avec son appel, mais le renvoi n’a jamais été annulé.

[15] Étant une femme dans la cinquantaine, il était difficile pour Mme Johnson de trouver un autre emploi. Elle a témoigné que, dans les entrevues, elle devait expliquer l’interruption de son cheminement de carrière. La communauté où elle réside est petite et tout le monde se demandait pourquoi elle n’était plus employée par la PNM après toutes ces années. Un an et demi a été nécessaire pour que Mme Johnson trouve finalement un autre emploi dans une résidence pour personnes âgées. Elle indique qu’elle était dévastée émotionnellement et financièrement.

IV. ALLÉGATION FONDÉE SUR L’ARTICLE 7

A. QUESTIONS EN LITIGE AU TITRE DE L’ARTICLE 7

[16] Mme Johnson allègue que sa couleur, son origine nationale ou ethnique et sa race, soit des motifs de distinction illicite au sens de l’article 3 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »), étaient des facteurs dans la façon dont la PNM l’a traitée au cours de son emploi et dans la décision de la PNM de la renvoyer. Mme Johnson a affirmé dans sa plainte qu’elle a fait l’objet de discrimination dans le cadre de son emploi au sens de l’article 7 de la LCDP en conséquence de lignes de conduite, au sens de l’article 10. J’examinerai d’abord l’allégation fondée sur l’article 7 et j’examinerai plus loin dans la décision de l’allégation fondée sur l’article 10.

[17] Selon l’alinéa 7a) de la LCDP, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects, de refuser de continuer d’employer un individu. L’alinéa 7b) prévoit que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects de défavoriser cet individu en cours d’emploi.

[18] Mme Johnson doit établir une preuve prima facie de discrimination, c’est-à-dire qu’elle doit démontrer que l’acte allégué était, à première vue, discriminatoire.

[19] Pour établir une preuve prima facie, Mme Johnson doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il est plus probable qu’improbable :

1) qu’elle possède une caractéristique protégée par la LCDP (c.-à-d. qu’elle est visée par un motif de distinction illicite);

2) qu’elle a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi;

3) que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable

(voir l’arrêt Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, au par. 69).

[20] Mme Johnson n’est pas tenue de démontrer que la PNM avait l’intention de commettre un acte discriminatoire à son endroit (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 [Bombardier], aux par. 40 et 41). C’est le résultat ou l’effet préjudiciable qui importe (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 RCS 536, aux par. 12 et 14).

[21] Il n’est pas nécessaire que la caractéristique protégée soit le seul facteur ayant contribué au traitement défavorable (Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2, au par. 25).

[22] Pour décider s’il y a eu discrimination, le Tribunal prend en considération les éléments de preuve présentés par toutes les parties. Si la plaignante établit selon la prépondérance des probabilités les trois volets du critère de la preuve prima facie de discrimination, l’intimé a alors le fardeau de justifier la discrimination. Dans les affaires d’emploi, la justification le plus souvent invoquée est l’existence d’une exigence professionnelle justifiée, c’est-à-dire véritable ou réelle (Bombardier, aux par. 36-38). En l’absence de justification établie par l’intimé, la plainte sera jugée fondée (Bombardier, au par. 64).

[23] Par conséquent, les questions à trancher en ce qui concerne l’allégation de discrimination de Mme Johnson sont les suivantes :

1) Mme Johnson a-t-elle établi une preuve prima facie de discrimination? C’est-à-dire,

a. Mme Johnson possède-t-elle une caractéristique protégée par la LCDP?

b. Mme Johnson a-t-elle subi un effet préjudiciable relativement à l’emploi?

c. Les caractéristiques protégées de Mme Johnson ont-elles constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable?

2) Si Mme Johnson a établi une preuve prima facie de discrimination, la PNM a-t-elle établi une justification valable pour l’acte discriminatoire et en particulier une exigence professionnelle justifiée?

B. PREUVE

[24] Il est utile d’examiner tous les éléments de preuve liés à l’emploi de Mme Johnson et de son renvoi des Lanes avant d’évaluer si tous les volets de l’analyse ont été démontrés.

[25] Les éléments de preuve de Mme Johnson comportaient essentiellement deux aspects. Elle a d’abord souligné les nombreux éléments positifs de son rendement à titre de directrice générale. Elle a ensuite présenté des éléments de preuve qui, selon elle, démontrent que la PNM critiquait ou compromettait son travail sans motif valable et que la PNM traitait mieux les employés autochtones. Mme Johnson affirme que, en fin de compte, ce traitement a mené à la décision de la PNM de la renvoyer.

[26] Dans ses éléments de preuve, la PNM affirme que Mme Johnson a présenté des problèmes de rendement dès le début de sa première période d’essai. La PNM affirme qu’elle ne l’a pas traitée de manière différente. Ce sont ses problèmes de rendement qui ont mené à son congédiement. Je présente ci-après les domaines du rendement de Mme Johnson qui, selon elle, étaient positifs et ceux à l’égard desquels elle estime que la PNM l’a traitée de façon préjudiciable quant à ses efforts pour gérer les Lanes. Je présente ensuite les éléments de preuve de la PNM en réponse à ces affirmations, notamment ses préoccupations concernant le rendement de la plaignante.

(i) Éléments positifs du rendement de Mme Johnson

[27] Mme Johnson a présenté dans son témoignage de nombreux exemples de réalisations en matière de rendement, qui démontrent la passion qu’elle avait pour son emploi.

[28] Dès le début de son emploi, elle savait qu’elle devait acquérir des connaissances propres au domaine des quilles pour que les activités des Lanes soient couronnées de succès. Donc, par exemple, la PNM l’a envoyée à d’autres installations de quilles à Boston, à Toronto et à l’Île-du-Prince-Édouard pour qu’elle apprenne des pratiques exemplaires.

[29] Mme Johnson souligne qu’elle a toujours gardé à l’esprit la nécessité de réduire les coûts. Par exemple, lorsqu’elle s’est rendue à Boston avec deux techniciens des Lanes qui devaient recevoir une formation, elle a recherché toutes les options de déplacement et a constaté que la façon la plus économique de s’y rendre était de conduire, au lieu de voler, ce qui a occasionné d’importantes économies pour la PNM.

[30] Au cours des mois précédant l’ouverture des Lanes en novembre 2018, Mme Johnson a recherché le personnel que la PNM devrait embaucher pour les activités de l’entreprise. Les entrevues ont eu lieu conformément aux politiques d’embauche de la PNM en octobre 2018 pour sélectionner les quelque 60 employés nécessaires. Une semaine avant la journée d’ouverture, les employés devaient venir au travail pour être formés. Cependant, seuls 36 employés se sont présentés, ce qui signifiait que l’entreprise n’aurait pas suffisamment d’employés à l’ouverture. Mme Johnson a dû embaucher des gens [traduction] « de façon impromptue » selon ses mots. Elle avait déjà organisé l’embauche de trois étudiants internationaux de l’université. Elle a pris l’initiative de leur demander s’ils avaient des amis qui seraient prêts à travailler. Dix étudiants internationaux se sont présentés et sept ont été embauchés. Dans le cadre de cette initiative et d’autres initiatives, les Lanes ont embauché suffisamment de personnes et, en fin de compte, 68 travailleurs ont été embauchés en tout.

[31] Mme Johnson souligne que, pour l’ensemble des autres entreprises de la PNM, elle était la personne qui gérait le plus grand nombre d’employés. Elle s’est rendu compte que l’application logicielle de la PNM destinée à l’établissement des horaires n’était pas adéquate pour attribuer leurs quarts aux travailleurs. Elle a fait des recherches et a acquis un bon produit pour le faire. M. Paul était tellement impressionné par le fonctionnement de l’application qu’il a demandé à Mme Johnson de la communiquer aux gestionnaires des autres entreprises de la PNM.

[32] Les Lanes étaient extrêmement populaires à leur ouverture et il y avait de longues files de clients qui n’avaient pas réservé de piste. Mme Johnson devait trouver rapidement une manière de gérer la situation et, après une recherche rapide, elle a trouvé une application logicielle que le personnel pouvait utiliser. Elle a pris l’initiative d’acheter une tablette sur laquelle l’application a été installée pour mettre en œuvre le système.

[33] Pareillement, il y avait une grande demande de la part de grands groupes de clients qui, en plus de jouer aux quilles, voulaient que de la nourriture leur soit servie. Mme Johnson avait vu que l’une des autres salles de quilles qu’elle avait visitées utilisait une application à cet effet. Elle a acquis le logiciel et a organisé la formation du personnel pour l’utiliser.

[34] Mme Johnson a observé pendant la construction qu’il n’y avait aucun espace privé et sécurisé réservé pour que le personnel compte l’argent. Elle a donc parlé à l’architecte des Lanes et a organisé la construction d’un centre de caisse juste à côté du comptoir de la salle de quilles. Elle a également remarqué que, si les clients marchaient avec leurs bottes d’hiver dans la zone des pistes de quilles, les planchers pourraient être endommagés et les planchers mouillés pourraient présenter un danger. Par conséquent, elle a organisé l’installation d’un vestiaire près du comptoir de la salle de quilles où la clientèle pouvait laisser ses bottes et ses vêtements d’extérieur.

[35] Puisque la PNM n’avait pas de plan pour le recyclage, Mme Johnson en a mis un en œuvre pour la gestion des déchets des Lanes. Elle a organisé l’achat de breuvages en canettes au lieu de bouteilles, puisqu’il était plus facile de les entreposer et de les retourner pour obtenir le remboursement de la consigne. Mme Johnson a utilisé l’argent du remboursement de la consigne pour acheter un mélangeur pour permettre au personnel de préparer des boissons saines au lieu de consommer des aliments et des boissons moins sains. Elle a également utilisé cet argent pour acheter des cartes-cadeaux de 50 $ qui étaient remises chaque semaine à un employé.

[36] Afin d’éviter l’accumulation des déchets, Mme Johnson a retiré toutes les poubelles de l’immeuble et les a remplacées uniquement par des bacs de recyclage. Aucun papier n’était donné aux clients. Une laveuse-sécheuse a été installée pour nettoyer les linges à vaisselle, éliminant la nécessité d’utiliser du papier essuie-tout. Elle a même utilisé une partie du budget des Lanes pour acheter des bouteilles thermos aux membres du personnel afin de les encourager à ne pas utiliser de contenants jetables pour le café et les boissons. Mme Johnson affirme qu’elle a donc été capable de réduire au minimum les déchets des Lanes et son empreinte carbone. Seulement un sac de déchets de taille standard était généré chaque semaine.

[37] Les Lanes avaient 40 écrans dans l’installation, qui devaient être nettoyés régulièrement. Mme Johnson a parlé à un chimiste universitaire qui a recommandé un nettoyant d’écran respectueux de l’environnement.

[38] Mme Johnson a déposé en preuve un courriel qu’elle avait envoyé à M. Paul en avril 2019, dans lequel elle l’informait de ses activités à venir. Elle signalait la possibilité de créer un menu pour emporter et de commencer une campagne de marketing visant les adolescents. Mme Johnson indiquait qu’elle examinait les finances des Lanes et élaborait un plan pour réduire les coûts de personnel. Elle mentionnait la formation à l’intention du personnel sur l’utilisation du logiciel acquis pour les Lanes et ses plans pour utiliser la paye pour distribuer les pourboires.

[39] Mme Johnson a témoigné qu’elle se donnait également pour mission dans son travail d’aider les autres à avoir un emploi enrichissant dans les Lanes et à se sentir bien. Une personne qu’elle a embauchée comme technicienne de piste y travaille encore et est considérée comme une leader parmi les membres du personnel. Mme Johnson a également obtenu l’embauche d’une autre employée qui éprouvait des difficultés avec son emploi dans un autre secteur de la PNM. L’employée a prospéré à son emploi aux Lanes. Une autre personne, qui était membre de la communauté de la PNM, était aux prises avec des difficultés de dépendance à des substances. Elle a embauché cette personne qui l’a remerciée de l’attention qu’elle lui portait.

[40] Mme Johnson a appelé Shannon MacAuley à témoigner à l’audience. Selon cette dernière, Mme Johnson avait remarqué, à la suite de son embauche aux Lanes, que son curriculum vitæ faisait état de qualifications pour l’administration de bureau et la conception graphique. Mme Johnson était la première employeuse qui a reconnu ses qualifications et lui a attribué du travail dans ces domaines. Mme MacAuley a indiqué dans son témoignage estimer qu’il y avait [traduction] « quelque chose de magique » dans le travail aux Lanes avec Mme Johnson. Elle se sentait chez elle, à un endroit qui pouvait lui offrir une carrière. Mme MacAuley a ajouté que Mme Johnson avait « ouvert ses horizons ».

[41] Mme Johnson a également appelé John Miller à témoigner. Il a occupé divers postes auprès de la PNM au fil des ans, y compris celui de directeur des finances. La PNM lui a demandé de contribuer aux opérations des Lanes compte tenu de son expertise en comptabilité. Par conséquent, M. Miller a travaillé étroitement avec Mme Johnson. Selon lui, elle était une bonne personne qui faisait un excellent travail.

[42] Mme Johnson affirme que ces éléments de preuve démontrent qu’elle était dévouée à son travail qui la passionnait et que son rendement au travail était au-dessus de la moyenne.

(ii) Les actes et les manquements de la PNM en ce qui concerne la gestion des Lanes par Mme Johnson démontrent, selon elle, que la PNM l’a traitée de façon préjudiciable puisqu’elle n’était pas une personne autochtone

[43] Mme Johnson allègue avoir accompli ses réalisations dans le cadre de son travail malgré les actes et les manquements de la PNM en ce qui concerne la gestion des Lanes. Selon elle, ces actes et manquements démontrent que la PNM a commis à son égard de la discrimination fondée sur des caractéristiques protégées.

[44] J’expose ci-après non seulement ces actes et ces manquements, mais aussi, des éléments de preuve présentés par la PNM en réponse à ces allégations.

a. Le défaut par la PNM de répondre aux demandes de Mme Johnson

[45] Tout d’abord, Mme Johnson souligne de nombreuses situations dans lesquelles la PNM n’a pas répondu à ses demandes en vue d’améliorer les opérations des Lanes.

[46] Par exemple, le 12 décembre 2018, elle a envoyé un courriel à M. Stevens pour lui demander ceci : [traduction] « Veuillez m’inscrire à une séance de formation sur la rédaction de documents d’encadrement et la prestation d’avertissements verbaux et écrits, etc., […] au cas où j’aurais besoin de ces éléments. » Personne n’a répondu à ce courriel et elle n’a pas reçu la formation demandée.

[47] La PNM réplique que l’article 7.1 de sa politique relative au personnel présentait clairement les mesures à prendre en ce qui concerne les mesures disciplinaires. À la première infraction, les gestionnaires doivent donner un avertissement verbal et l’inscrire dans le dossier personnel. Les gestionnaires ou les directeurs remettent un deuxième avertissement écrit en cas de deuxième infraction. Pour une troisième infraction, l’employé reçoit un avis de renvoi une fois que le dossier fait l’objet de discussions avec le CE. À titre de directrice générale, Mme Johnson aurait dû se renseigner sur la politique et aurait dû savoir comment la suivre. Elle n’aurait pas dû avoir besoin de formation à ce sujet. Selon la description du poste, elle avait l’obligation de respecter la politique la PNM relative au personnel. Mme Johnson a reconnu qu’elle ne gardait pas un exemplaire de la politique dans son bureau et qu’elle ne la consultait pas pour les questions de dotation. M. Paul a indiqué dans son témoignage qu’il n’avait pas à expliquer les politiques aux gestionnaires dans les autres entreprises de la PNM.

[48] En février 2019, Mme Johnson a envoyé un courriel à M. Stevens au sujet d’un déficit de plus de 400 $ dans la caisse d’une employée. Mme Johnson lui a demandé quelles mesures devaient être prises pour renvoyer l’employée et recouvrer les fonds. Au lieu de renvoyer l’employée, il a simplement déduit la somme manquante du chèque de paye suivant de l’employée et l’a noté dans son dossier personnel. Aucune mesure disciplinaire n’a été prise contre l’employée, qui était membre de la PNM, et elle n’a pas été renvoyée.

[49] La PNM souligne, cependant, que les actes de M. Stevens étaient entièrement conformes à la politique relative au personnel de la PNM. Selon l’article 3.4 de la politique, les employés sont responsables de tout montant manquant de leur caisse pendant les heures de travail. Cet article précise que ce montant est déduit de leur rémunération. Selon le témoignage de M. Paul, avant de renvoyer quelqu’un, une enquête en bonne et due forme, dont les conclusions sont fondées sur les données probantes, doit être menée. En fin de compte, il peut être nécessaire d’appeler la police à enquêter. Cette procédure est conforme à la politique relative au personnel. L’employée a démissionné avant qu’une enquête ait pu être menée, selon Mme Johnson.

[50] Toujours en février 2019, Mme Johnson a envoyé un courriel à M. Stevens pour lui demander d’embaucher une autre personne à temps partiel pour le poste de superviseur au centre de caisse et aux opérations de quilles pour renforcer davantage les procédures financières des Lanes. Elle soupçonnait que le personnel ne saisissait pas les données correctement. M. Stevens et la PNM n’ont jamais répondu à sa demande de dotation.

[51] Mme Johnson a déposé en preuve un échange de courriels de février 2019 avec M. Stevens qui, selon elle, démontre ce que faisait la haute direction de la PNM pour l’empêcher d’effectuer son travail correctement. Dans son courriel, Mme Johnson expliquait à M. Stevens qu’elle avait précédemment envoyé une demande directement au chef et au conseil visant une augmentation du salaire d’une employée qui avait été promue au poste de technicienne de piste pour refléter ce changement de classification. Elle a témoigné qu’elle n’avait jamais été formée officiellement sur la façon de modifier la classification d’un employé. Dans son courriel, Mme Johnson a écrit que sa demande avait été redirigée à diverses personnes, mais que personne ne l’avait approuvée. Pourtant, lorsque l’employée, qui est autochtone et membre de la PNM, a personnellement demandé au chef et au conseil que sa rémunération reflète le travail qu’elle effectuait, l’augmentation a été approuvée.

[52] Cependant, comme l’a souligné la PNM, l’ensemble des courriels échangés présente la justification de ne pas accorder d’augmentation automatique de la rémunération lorsque les tâches d’un poste changent. M. Paul a expliqué à Mme Johnson dans un autre courriel que le simple fait que les affectations de travail d’une personne changent ne signifie pas que la personne a été [traduction] « promue ». Vouloir promouvoir des travailleurs et les maintenir en poste est compréhensible, mais les coûts opérationnels doivent toujours être pris en compte. C’est la raison pour laquelle toutes les promotions et augmentations salariales doivent d’abord être approuvées par le CE.

[53] M. Paul a indiqué dans son témoignage qu’il y a un comité de révision salariale. Ce comité est composé de conseillers, d’un représentant des RH et de lui-même. Le comité évalue d’abord toutes les demandes d’augmentation de la rémunération, et recommande ensuite sa décision au conseil. Mme Johnson n’a jamais présenté de demande au comité. En ce qui concerne les promotions, il existe un processus pour les annoncer et permettre à tous les employés d’y postuler.

[54] En mars 2019, Mme Johnson a envoyé un courriel à M. Stevens pour l’informer que l’un des techniciens de piste partirait en congé pendant plusieurs semaines en mai. Elle lui demandait de créer une offre d’emploi interne pour remplacer cette personne pendant son congé. Selon Mme Johnson, M. Stevens n’a rien fait pour l’aider à trouver un remplaçant.

[55] En avril 2019, le financement d’un programme d’aide à l’emploi qui permettait de payer le salaire d’une personne qui était une très bonne employée a pris fin. Mme Johnson a envoyé un courriel à M. Paul dans lequel elle proposait de maintenir en poste cette personne. Elle a entamé un examen des recettes et des dépenses des Lanes pour trouver une source de financement pour préserver cet emploi. Après avoir demandé des renseignements supplémentaires au départ, M. Paul et la PNM n’ont pas effectué de suivi. La personne a trouvé un emploi ailleurs et les Lanes ont perdu quelqu’un qui travaillait bien.

[56] Mme Johnson a envoyé un courriel à M. Stevens le 21 avril 2019 pour lui demander s’il était disponible pour une rencontre avec elle et une employée qui avait manqué de nombreux quarts et qui avait à plusieurs reprises quitté son poste avant la fin de son quart. M. Stevens n’a jamais répondu au courriel. Mme Johnson a souligné dans son témoignage que ce dernier ne lui avait toujours pas fourni d’encadrement sur la façon de donner des avertissements aux employés, ce qu’elle lui avait demandé dans un courriel de décembre 2018. C’est pour cette raison qu’elle lui avait demandé de participer à cette rencontre.

[57] Comme je l’ai déjà mentionné, la PNM soutient que ce sont des questions qui correspondent exactement aux responsabilités d’un directeur général et que Mme Johnson aurait dû savoir comment les gérer elle-même, conformément à la politique relative au personnel.

b. Le peu d’empressement de la PNM pour répondre aux préoccupations relatives à un employé s’il est autochtone

[58] Dans son témoignage, Mme Johnson a décrit un incident qui concernait une employée que je nommerai « CD » (initiales fictives). En mai 2019, Mme Johnson et M. Miller se sont rendus à une installation de quilles à Toronto pour observer ses opérations de gestion de l’argent aux côtés de l’expert de cette salle de quilles. Une partie de l’exercice comprenait la visualisation des enregistrements des caméras de sécurité des Lanes et leur comparaison aux données générées par les terminaux au point de vente des Lanes. Ils ont observé que CD avait commandé de la nourriture et de l’alcool pour des clients sans recueillir leur argent. Le 16 mai 2019, Mme Johnson a envoyé un courriel à M. Stevens, et une copie conforme à M. Paul, pour les informer de la découverte et de la nécessité de prendre des mesures avant le quart suivant de CD. Lors de son interrogatoire principal, Mme Johnson a témoigné que la seule réponse que M. Paul lui a envoyée par courriel était [traduction] « [CD] est-elle autochtone? » AB a reçu une copie conforme du courriel de M. Paul et elle lui a répondu par la négative. Le témoignage de Mme Johnson était son seul élément de preuve à l’appui de cette allégation. Elle n’a pas déposé de copie de cet échange de courriels tel qu’elle le décrit.

[59] Cependant, en contre-interrogatoire, la PNM a déposé en preuve une chaîne de courriels comportant 20 messages, dont la ligne d’objet était [traduction] « Preuve de vol ». La chaîne commence par ce qui semble être le courriel initial de Mme Johnson envoyé à M. Paul le jeudi 16 mai 2019, à 14 h 48. Contrairement au témoignage de Mme Johnson, dans sa première réponse, 22 minutes plus tard, M. Paul lui demandait simplement de lui envoyer la preuve. M. Paul ajoutait qu’une enquête devait être commencée immédiatement et que l’on devait empêcher CD d’avoir accès à davantage d’argent. Ce jour-là, Mme Johnson et M. Paul ont échangé une série d’autres courriels. Elle y fournissait davantage de détails concernant ses observations. AB a également reçu une copie des courriels puisqu’elle était directrice intérimaire pendant l’absence de Mme Johnson.

[60] Ils ont continué l’échange de courriels le jour suivant, le vendredi 17 mai 2019. À 6 h 59, AB a écrit à Mme Johnson et à M. Paul pour leur demander les instructions qu’ils avaient à lui donner. Un court message de M. Paul en réponse à 9 h 42 demandait [traduction], « [CD] est-elle une membre d’une bande ou une membre de la communauté? » AB a répondu cinq minutes plus tard que « Non, elle ne l’est pas ». Huit autres courriels se sont ajoutés à la chaîne de courriels entre Mme Johnson, M. Paul, M. Stevens et AB, dans lesquels ils ont discuté de stratégies et d’options pour répondre à la situation avec CD. La chaîne de courriels a pris fin le samedi 18 mai 2019 à 17 h 13.

[61] Mme Johnson soutient qu’il y a eu un courriel plus tôt de M. Paul mentionnant l’appartenance autochtone, puisqu’elle se souvient qu’elle s’est tournée vers M. Miller immédiatement après l’avoir reçu et lui avoir dit [traduction] « Peux-tu le croire? » Cet échange n’aurait pu avoir lieu que le jeudi 16 mai 2019, puisque M. Miller n’était plus à Toronto le vendredi 17 mai 2019 et qu’elle ne lui avait pas parlé ce jour-là. Je remarque cependant que M. Miller n’a pas mentionné cette conversation dans son témoignage, et Mme Johnson ne lui a posé aucune question à ce sujet. Plus tard, elle a indiqué que M. Miller n’aurait pas été capable de se souvenir de cette conversation de toute façon, puisqu’elle avait eu lieu quatre ans auparavant. Néanmoins, la question ne lui a jamais été posée à l’audience.

[62] Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve, je ne suis pas convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que M. Paul a formulé son commentaire de la manière alléguée par Mme Johnson. La preuve documentaire ne soutient simplement pas cette allégation. Mme Johnson a affirmé que la PNM avait modifié certains courriels ou ne les avait pas communiqués en totalité, mais aucun élément de preuve ne soutient cette allégation. La PNM et son avocat ont affirmé sans équivoque qu’ils avaient divulgué l’ensemble de l’échange de courriels, alors que Mme Johnson n’a déposé aucun courriel pour contrer cette affirmation.

[63] Il ne faut pas conclure pour autant que rien de semblable à ce dont se souvient Mme Johnson ne s’est produit. M. Paul a clairement demandé si l’employée était une membre de la PNM. Il a expliqué les motifs de sa question dans son témoignage. Si l’employée était une membre, M. Paul aurait dû en informer le chef et le conseil, puisque les membres ont le droit de leur présenter directement leurs plaintes et leurs griefs. M. Paul a souligné que certains membres de la PNM ne sont pas autochtones. Par exemple, certains sont membres en raison de leur mariage. Sa question concernant le statut de membre de CD ne visait pas à suggérer qu’un traitement préférentiel devrait être accordé à celle-ci.

[64] Je comprends que Mme Johnson se souvient que la conversation avait dû avoir lieu le jeudi, mais rien d’autre ne soutient son affirmation. Personne n’a demandé à M. Miller de le confirmer. Je remarque également que, selon les souvenirs de Mme Johnson communiqués lors de son interrogatoire principal, avant que la chaîne de courriels lui ait été présentée en contre-interrogatoire, seuls trois courriels avaient été échangés entre elle, AB et M. Paul. La preuve documentaire indique clairement que l’échange a été bien plus long, s’étendant sur une période de deux jours.

[65] Il n’a donc pas été démontré que M. Paul a formulé le commentaire allégué.

c. Le manquement par la PNM de fournir un document d’encadrement à Mme Johnson

[66] Dans le rapport d’évaluation du rendement qu’il a préparé à la fin de la période d’essai initiale de Mme Johnson en février 2019, M. Paul a indiqué que la période en question était prolongée de trois mois et que M. Stevens et lui-même l’aideraient et lui fourniraient [traduction] « un document d’encadrement et [effectueraient] un suivi ».

[67] Le document d’encadrement n’a en fait jamais été fourni à Mme Johnson avant son congédiement en mai 2019. Mme Johnson a indiqué à l’audience que, même si aucun document d’encadrement n’avait été préparé, la PNM aurait au moins dû lui fournir un plan d’action pour les Lanes. M. Paul a indiqué dans son témoignage qu’il se serait attendu qu’elle élabore elle-même le plan d’action pour qu’il l’approuve. En contre-interrogatoire, M. Stevens a semblé contredire cette affirmation, lorsqu’il a dit qu’il comprenait que le supérieur immédiat d’un employé était la personne chargée de rédiger un plan d’action. Cependant, je remarque qu’un examen attentif des témoignages démontre que l’interrogatoire n’indiquait pas clairement ce dont il était question – si l’« encadrement » et les « plans d’action » étaient considérés comme synonymes ou non. J’hésite par conséquent à rendre une conclusion de contradiction à cet égard.

d. Éléments de preuve sur la période postérieure au renvoi

[68] Mme Johnson affirme que la conduite de la PNM après son renvoi en mai 2019 soutient ses allégations de discrimination. Mme MacAuley a indiqué dans son témoignage qu’après le congédiement de Mme Johnson, AB lui a dit de ne pas lui parler, l’avertissant que le contraire risquait d’entraîner des répercussions sur son emploi. Mme MacAuley en a été inquiétée, mais elle l’a, en fin de compte, ignoré. Elle n’a pas saisi qu’il s’agissait d’une menace. Elle n’a pas cessé d’être amie avec Mme Johnson, malgré le commentaire d’AB, qu’elle décrivait comme [traduction] « inapproprié ». Mme MacAuley a indiqué dans son témoignage que personne d’autre ne lui a fait de commentaires semblables.

[69] Mme Johnson affirme que d’autres employés avaient été avertis de ne pas lui parler après qu’ils ont reçu le message écrit de M. Paul adressé au personnel dans lequel il annonçait que Mme Johnson ne serait plus la directrice générale. Cependant, ces autres employés n’ont pas été appelés à témoigner et le témoignage de Mme Johnson à cet égard constitue par conséquent du ouï-dire. Si le Tribunal peut recevoir et accepter une preuve par ouï-dire, je ne juge pas opportun d’attribuer un poids à ces déclarations par ouï-dire autrement non corroborées.

[70] Mme Johnson indique également que la façon dont l’appel de son renvoi a été traité était un autre élément démontrant le traitement discriminatoire dont elle a fait l’objet. Dans la lettre de congédiement du 24 mai 2019, M. Stevens indiquait que, conformément à la politique relative au personnel, Mme Johnson pouvait interjeter appel du renvoi devant le chef et le conseil par écrit dans les quinze jours suivant son renvoi. Elle leur a envoyé sa lettre d’appel le 1er juin 2019. Cependant, elle n’a jamais reçu de réponse.

[71] M. Paul a confirmé dans son témoignage que ce type de lettre d’appel est généralement vérifié par le chef à titre de chef de la direction afin de déterminer si la question justifie de la présenter à une réunion du chef et du conseil ou si elle sera réglée en dehors du conseil. Dans son témoignage, M. Paul n’a pas pu expliquer ce qui s’était produit avec l’appel de Mme Johnson.

[72] Mme Johnson affirme également que, si elle avait été membre de la PNM, elle aurait pu se plaindre au sujet de sa situation au chef et au conseil. M. Paul a témoigné que les membres de la PNM avaient le droit, en cette qualité, de communiquer avec leurs conseillers pour se plaindre de n’importe quelle préoccupation qu’ils pourraient avoir sur n’importe quel sujet et de leur demander que leur problème soit présenté à une réunion du chef et du conseil.

e. Le traitement préférentiel d’AB par la PNM et le processus ayant mené au congédiement de Mme Johnson

[73] Selon les allégations présentées dans la plainte de Mme Johnson, la PNM a embauché trois gestionnaires pour surveiller les opérations des Lanes avant leur ouverture, à savoir une personne responsable des aliments et des boissons (qui est partie pour des raisons personnelles en février 2019), AB (qui était la superviseure des relations avec la clientèle et des événements) et Mme Johnson (qui était la directrice générale). Selon la description de poste d’AB, son travail consistait à collaborer avec les clients pour organiser des fêtes et des événements et à prendre des mesures de façon proactive pour attirer de nouveaux clients. Ce travail nécessitait qu’elle communique avec des clients en leur offrant [traduction] « un service exceptionnel de façon amicale, rapide, efficace, exacte et sécuritaire ».

[74] Mme Johnson allègue qu’AB a été impliquée dans de nombreux incidents d’incompétence, d’insubordination et d’absentéisme. Pourtant, la PNM n’a pas soutenu Mme Johnson pour imposer à AB des mesures disciplinaires et a plus tard insisté pour la promouvoir au poste de directrice adjointe, ce que Mme Johnson ne pouvait pas accepter en son âme et conscience. Mme Johnson a plutôt cru qu’AB aurait dû être renvoyée conformément à la politique de la PNM.

[75] Le traitement d’AB par la PNM est essentiel au dossier de Mme Johnson puisque l’emploi de cette dernière a pris fin après un échange de courriels avec M. Paul et M. Stevens en ce qui concerne le rôle d’AB.

[76] Dans son témoignage, Mme Johnson a affirmé qu’elle avait eu des préoccupations relatives à AB avant l’ouverture des Lanes. Le 9 novembre 2018, Mme Johnson a rencontré M. Paul pour en discuter. Elle lui a parlé d’un appareil de réanimation cardio-pulmonaire achetée pour les Lanes. Il existait un programme de remboursement et Mme Johnson a demandé à AB de présenter une demande à cet effet en août 2018. Elle a appris plusieurs mois plus tard que les documents nécessaires n’avaient pas été présentés.

[77] Mme Johnson a également expliqué qu’une autre installation de quilles de la Nouvelle-Écosse lui avait envoyé un courriel l’informant qu’elle avait tenté de communiquer avec AB à maintes reprises pour organiser une visite des Lanes, mais qu’AB n’avait pas répondu. La messagerie vocale d’AB était pleine et elle avait répondu à ses messages textes.

[78] Les clients avaient commencé à réserver leurs fêtes de Noël. Une grande société cliente voulait réserver l’installation, mais puisque personne ne répondait à ses appels à AB, elle a appelé directement Mme Johnson.

[79] De plus, Mme Johnson a parlé à M. Paul d’un incident concernant les sept étudiants internationaux qui avaient été embauchés à la dernière minute avant l’ouverture des Lanes. Les documents avaient été remplis pour leur emploi et AB devait les présenter au bureau de la paye de la PNM. Un mois plus tard, le bureau de la paye a communiqué avec Mme Johnson pour lui demander les documents des étudiants. D’une manière ou d’une autre, le bureau n’avait jamais reçu ces documents.

[80] Ayant communiqué toutes ces préoccupations à M. Paul, Mme Johnson lui a demandé quel était son plan d’action. Il n’a imposé aucune mesure disciplinaire à AB et s’est contenté de confirmer à Mme Johnson qu’AB avait eu des problèmes de rendement semblables au sein d’une autre entreprise de la PNM où elle avait travaillé.

[81] En janvier 2019, un autre problème a été dévoilé concernant AB. Plusieurs employés ont signalé à Mme Johnson qu’AB avait bu de l’alcool aux Lanes sans payer. Elle disait également au personnel, à titre de superviseure, d’activer des pistes pour des gens qui n’avaient pas payé. Mme Johnson a présenté le problème à M. Paul et à M. Stevens. Elle a indiqué dans son témoignage qu’ils n’ont rien fait et qu’ils ne l’ont pas informée des prochaines étapes.

[82] Le jour du Super Bowl, en février 2019, AB a été impliquée dans un autre incident. Mme Johnson était en congé ce jour-là, mais elle s’est connectée au système de caméra des Lanes pour voir si de l’aide était nécessaire. AB était au bar et Mme Johnson a vu qu’elle consommait de la bière. Il y avait un tirage au sort de quelques prix pour les clients vers 21 h. À un moment donné, AB a quitté le bar pour procéder au tirage et un client, qui semblait en état d’ébriété, a couru derrière le bar. Un autre employé l’a vu et lui a ordonné de quitter les lieux. AB a couru après le client et l’a ramené à l’intérieur, ce que Mme Johnson a jugé très dangereux pour le personnel et les autres clients.

[83] Plus tard, Mme Johnson a parlé à AB de sa conduite, sans en faire part à la haute direction. Mme Johnson ne pensait pas que ce serait utile, puisque personne n’a répondu à ses plaintes précédentes contre AB. Elle attendait des directives sur la façon de gérer ce type de problème.

[84] Cependant, selon Mme Johnson, un barman des Lanes, membre de la PNM, qui avait observé certaines des plus graves inconduites d’AB, les a communiquées directement au chef et au conseil. Ce n’est qu’à ce moment que M. Stevens a réagi en envoyant un document d’encadrement à AB le 19 février 2019 pour lui dire de ne pas boire alors qu’elle travaillait aux Lanes. Mme Johnson a également signé le document. Mme Johnson indique que cette séquence d’événements démontre le traitement préférentiel accordé aux membres de la PNM, comme au barman, par rapport à elle, une personne qui n’était pas autochtone.

[85] La preuve de M. Stevens à cet égard diffère quelque peu. Plusieurs employés lui ont dit avoir vu AB boire alors qu’elle travaillait. Il a préparé un document d’encadrement qui indiquait clairement à AB qu’elle ne devait pas boire lorsqu’elle se trouvait aux Lanes, sauf si elle s’y trouvait en tant que cliente et qu’elle l’indiquait clairement au personnel. Le document devait être un document disciplinaire et également servir d’exemple pour tout le personnel en montrant que cette conduite ne serait pas tolérée. Mme Johnson et lui-même l’ont tous deux signé. C’est la première étape du processus disciplinaire présenté dans la politique relative au personnel.

[86] Mme Johnson reconnaît que la conduite d’AB s’est améliorée après que M. Stevens lui a donné le document d’encadrement. Elle a cessé de boire aux Lanes. Mme Johnson a préparé le rapport d’évaluation du rendement d’AB en mars 2019. Elle a indiqué qu’AB répondait aux attentes et aux exigences de son poste ou les dépassait. Le pointage total d’AB était de 69 % et, selon les commentaires de Mme Johnson, AB était une employée appréciée qui continuait de s’améliorer dans son poste, présentant des qualités de leadership et de bonnes compétences en matière de prise de décision. En ce qui concerne les domaines à améliorer, Mme Johnson a noté qu’au fur et à mesure qu’AB comprenait mieux les opérations quotidiennes, l’établissement de l’ordre de priorité et la gestion du temps [traduction] « devraient se mettre en place simultanément ». Dans son témoignage, Mme Johnson a précisé qu’elle voulait présenter des points positifs dans son rapport d’évaluation du rendement, puisqu’elle avait observé une amélioration au cours des semaines précédentes.

[87] Cependant, il y avait toujours des problèmes liés à la gestion des réservations par AB. Par exemple, en avril 2019, AB avait accepté une réservation pour un grand groupe pour un événement qui devait avoir lieu un mardi. En prévision de cet événement, l’équivalent de 1 800 $ en aliments a été commandé. Personne ne s’est présenté. Il s’est avéré que l’événement devait avoir lieu le jour suivant. Mme Johnson tient AB responsable de la méprise puisqu’elle a refusé d’utiliser le logiciel de réservation pour le suivi des réservations. Mme Johnson avait déclaré l’incident à M. Paul et à M. Stevens, mais, encore, aucune mesure disciplinaire n’a été imposée à AB. La plaignante affirme que M. Paul a dit qu’il préparerait un autre document d’encadrement pour AB, ce qui n’a pas été fait.

[88] Malgré ces problèmes liés au rendement d’AB, Mme Johnson a fait remarquer que, non seulement la PNM n’a-t-elle pas imposé de mesures disciplinaires à AB pour corriger sa conduite, mais qu’elle l’a placée sur la voie d’une promotion.

[89] Comme je l’ai déjà mentionné, Mme Johnson et M. Miller visitaient une grande installation de quilles à Toronto la semaine du 13 mai 2019. Alors qu’elle s’y trouvait, Mme Johnson a reçu un courriel de M. Paul le 15 mai 2019. Il y mentionnait divers points évoqués lors d’une réunion qu’il avait organisée avec Mme Johnson et d’autres cadres supérieurs des Lanes le 8 mai 2019. Le courriel de M. Paul comprenait le passage suivant :

[traduction]

Voici les tâches à accomplir avant la fin de la journée : 1 – Informer le personnel que [AB] est la deuxième dans la hiérarchie; 2 – Permettre à [AB] d’accéder à votre bureau et de l’utiliser lorsqu’elle agit en tant que directrice, pour des raisons professionnelles, de confidentialité, d’image, etc. J’espère que vous considérerez que je m’efforce de régler la situation, et non de l’empirer. Faites-moi savoir si vous souhaitez envoyer un message à la directrice intérimaire. Avez-vous des objections à ce que [AB] travaille de votre bureau?

[Traduit tel que reproduit dans la version anglaise.]

[90] La PNM affirme que, lorsqu’il parlait de [traduction] « deuxième dans la hiérarchie », M. Paul faisait référence à la promotion d’AB en tant que directrice adjointe de Mme Johnson. Mme Johnson n’est pas d’accord. Elle affirme que la seule chose qui avait été évoquée à la réunion du 8 mai était qu’AB la remplacerait à titre intérimaire pendant son absence. Mme Johnson a répondu par courriel environ une heure plus tard en indiquant qu’AB n’aurait pas besoin d’espace de bureau supplémentaire si elle nettoyait simplement l’espace dont elle disposait déjà. Mme Johnson a continué en disant ceci : « Je vais vous faciliter les choses, Richard… Je vais être de retour lundi prochain, et je vais retirer tous mes articles personnels de mon bureau et vous pouvez donner mon bureau à [AB] de façon permanente. »

[91] Que le poste de directrice adjointe ait été mentionné ou non dans cet échange, il a clairement été le sujet des discussions dans une deuxième série d’échanges entre Mme Johnson et M. Paul environ une semaine plus tard, après son retour au Cap-Breton. Le 22 mai 2019, Mme Johnson a écrit un courriel à M. Paul en lui présentant les renseignements qu’elle voulait lui communiquer [traduction] « après avoir sollicité des conseils de plusieurs sources » qu’elle n’a pas précisées. Le seul sujet du courriel était AB. Mme Johnson a indiqué qu’elle avait consigné 23 incidents où des clients l’ont appelée pour se plaindre qu’AB n’avait pas répondu à leurs appels pour réserver des événements. Mme Johnson a également dit qu’AB lui avait « menti » quatre fois, par exemple, lorsqu’elle lui avait dit qu’elle serait en retard à cause d’un rendez-vous chez le dentiste alors qu’en fait, elle participait à une réunion au bureau de la PNM. Plus loin dans son courriel, Mme Johnson fait référence aux incidents précédemment mentionnés liés à la consommation d’alcool d’AB, son défaut de payer ses repas et l’erreur de réservation ayant coûté 1 800 $. Mme Johnson résume le tout dans son courriel comme « des exemples innombrables d’insubordination et d’incompétence ».

[92] Mme Johnson conclut son courriel en affirmant qu’elle ne peut pas accorder sa confiance à AB et que, bien qu’elle soit prête à travailler avec AB pour réinstaurer cette confiance, elle ne peut pas le faire alors que cette dernière est sa directrice adjointe. Mme Johnson termine en indiquant que, pour qu’elle continue dans son rôle de directrice générale des Lanes, elle a besoin que la personne qui occupe le rôle de directrice adjointe soit une personne en qui elle peut avoir confiance.

[93] M. Paul a répondu le jour suivant, en mentionnant les [traduction] « nombreuses réunions » que M. Stevens et lui-même ont eues avec Mme Johnson pour l’aider à comprendre les nombreux domaines de la gestion du personnel, y compris les politiques et les procédures. M. Paul a ajouté que, lors de la réunion du 8 mai 2019, il a été décidé de donner à AB le pouvoir de diriger en tant que directrice adjointe et d’assurer le leadership en l’absence de Mme Johnson.

[94] Cependant, dans sa réponse suivante, une heure plus tard, Mme Johnson a précisé qu’elle voulait effectivement que la PNM embauche un directeur adjoint, mais elle voulait que ce soit une [traduction] « personne différente d’[AB] ». AB pourrait alors se concentrer sur le travail pour lequel elle avait été embauchée, conformément à sa description de poste. Une heure plus tard, Mme Johnson a écrit à M. Paul et à M. Stevens pour déclarer un incident supplémentaire où AB avait bu aux Lanes la fin de semaine précédente et « donné des ordres aux gens ».

[95] Mme Johnson avait apparemment été en congé pour stress depuis son retour de Toronto. M. Paul lui avait donc envoyé un courriel le soir du 23 mai 2019 pour lui demander si elle présenterait une note du médecin. Elle a répondu qu’elle ne le ferait pas, puisqu’elle s’était rendu compte que la décision de nommer AB à titre de directrice adjointe était définitive. Voici le texte de ce courriel :

[traduction]

Aucune note du médecin ne sera nécessaire… Je vous ai expliqué mes préoccupations, et vous y avez répondu. Vous avez dit que vous alliez nommer [AB] au poste de directrice adjointe demain matin. Vous avez pris la décision. Il est inutile de prolonger la situation davantage. Comme je l’ai indiqué, je suis incapable de travailler avec une directrice adjointe qui a démontré à de nombreuses reprises qu’elle est indigne de confiance et incompétente. Personne ne devrait avoir à travailler dans ces conditions, c’est courir au désastre. Toutes les personnes à qui j’ai demandé conseil m’ont conseillé de ne pas le faire. J’avais de bonnes intentions quand je me suis lancée dans cette aventure, et j’avais l’impression que je pourrais vraiment influencer le cours des choses, en particulier pour les employés, et je sais dans mon cœur que leur intérêt supérieur a toujours été une priorité pour moi et que j’ai vraiment fait la différence pour la plupart d’entre eux.

Cordialement,

Joanne Johnson

[96] Mme Johnson a été congédiée le jour suivant.

(iii) Les préoccupations de la PNM concernant le rendement de Mme Johnson à titre de directrice générale

[97] La PNM affirme que Mme Johnson avait des difficultés à encadrer et à motiver le personnel des Lanes et à interagir avec lui. Son attitude envers les tentatives de son supérieur pour améliorer son rendement était quelque peu conflictuelle. Elle a fait preuve de désobéissance et d’insubordination, en particulier en ce qui concerne la situation avec AB, et a donc été congédiée. La PNM affirme que les caractéristiques protégées de Mme Johnson n’étaient pas des facteurs dans les incidents relatifs à son emploi et à son congédiement.

[98] Tout d’abord, la PNM souligne qu’elle l’a promue à un poste de chef caissière à son emploi précédent au casino.

[99] Aux Lanes, elle a été sélectionnée pour le poste de directrice générale par un comité d’embauche composé entièrement de membres de la PNM, y compris M. Paul. Elle faisait partie d’un bassin de 11 candidats. Trois des autres candidats étaient membres de la PNM, pourtant c’est elle qui avait été sélectionnée. M. Paul a témoigné qu’il était en faveur de sa nomination au moment de son embauche. Il a souligné que les deux directeurs généraux qui ont succédé à Mme Johnson après son renvoi n’étaient ni autochtones ni membres de la PNM.

[100] Mme Johnson a reconnu dans son témoignage que, pendant son emploi aux Lanes, elle n’a jamais été témoin de déclarations dérogatoires fondées sur la race ou l’origine nationale ou ethnique à son égard. Elle a également convenu que, dans ses communications avec la PNM, y compris son appel au chef et au conseil au sujet de son congédiement, elle n’a jamais allégué qu’elle avait fait l’objet de discrimination fondée sur un motif de distinction illicite. Mme Johnson a confirmé dans son témoignage savoir que la PNM a également renvoyé des employés autochtones. Elle a également reconnu qu’elle ne disposait ni de statistiques ni de chiffres qui présentent le nombre d’employés embauchés ou renvoyés par la PNM qui n’étaient pas membres ou qui n’étaient pas autochtones.

[101] La PNM soutient que des préoccupations liées au rendement de Mme Johnson ont été suscitées dès le début de sa période d’essai.

[102] Le 31 octobre 2018, le directeur des RH a écrit un courriel à M. Paul pour se plaindre de Mme Johnson, indiquant que la manière dont elle l’avait traité était [traduction] « inacceptable » et irrespectueuse. Elle avait contesté ses décisions d’embauche, ce qui ne relevait pas de son pouvoir. Il a déclaré que Mme Johnson lui avait parlé d’un ton ferme et sarcastique et qu’elle avait fait des commentaires qui l’avaient « choqué et surpris ».

[103] Mme Johnson a témoigné que personne ne lui avait montré ce courriel et qu’elle ne se souvenait pas d’avoir eu une telle conversation avec le directeur des RH. Toutes ses communications étaient avec M. Stevens, le gestionnaire des RH.

[104] Le 26 novembre 2018, M. Stevens a envoyé un courriel à M. Paul, en indiquant en objet [traduction] « Préoccupations de la journée relatives aux Lanes ». Ce courriel comprenait une liste de 11 éléments, dont les suivants :

  • Mme Johnson embauchait des personnes « sur-le-champ », sans attendre la présence ou la participation du chef et du conseil.
  • Mme Johnson substituait les fonctions des employés, leur offrait des postes de supervision, puis retirait les offres, affirmant qu’il s’agissait d’une plaisanterie.
  • Les employés n’avaient pas leurs pauses obligatoires prévues par la loi.
  • Les employés n’avaient pas vu leur description de poste et ne savaient pas quoi faire.
  • AB agissait comme si elle était gestionnaire, donnant des ordres aux gens, même lorsqu’elle ne travaillait pas et buvait au bar.
  • Les employés se sentaient diminués et rabaissés.

[105] M. Stevens a conclu le courriel en indiquant que, selon lui, Mme Johnson devait s’informer des normes du travail applicables pour qu’elle sache ce qu’elle pouvait, ou ne pouvait pas, dire ou faire.

[106] M. Paul a témoigné que le courriel était fondé sur des plaintes que M. Stevens avait reçues à titre de gestionnaire des RH. M. Paul n’a pas effectué de suivi et d’enquête sur ces événements, puisqu’aucun des employés qui se plaignaient n’avait présenté de plainte par écrit. Mme Johnson a confirmé que ces plaintes, sauf celle de la consommation d’alcool par AB au bar, ne lui avaient pas été communiquées. En ce qui concerne les autres incidents, elle ne se souvenait pas que des employés aient présenté ces plaintes. Elle souligne que le courriel avait été envoyé quelques jours après l’ouverture et que les Lanes étaient très fréquentées.

[107] Le 14 janvier 2019, le directeur des RH a écrit encore une fois à M. Paul pour se plaindre de Mme Johnson. Il affirmait qu’elle envoyait des lettres d’offres pour des emplois temporaires qui n’étaient pas professionnelles. Le directeur des RH a indiqué que des membres du personnel lui disaient qu’elle les effrayait et qu’ils ne voulaient pas présenter de plainte puisqu’ils craignaient d’être mis à pied. Dans sa réponse, M. Paul a défendu les mesures de dotation prises par Mme Johnson en indiquant qu’elle avait eu pour directive de doter rapidement les Lanes pour leur ouverture. Le directeur des RH a répondu qu’elle manquait néanmoins toujours de respect envers le personnel. Il affirmait que ce type d’attitude et de style de gestion était contraire à toutes les politiques sur le respect et au code de conduite de la PNM.

[108] Mme Johnson a répété dans son témoignage qu’elle ne se souvenait pas d’avoir manqué de respect au directeur des RH.

[109] Ces préoccupations ont en fin de compte été reflétées dans le rapport d’évaluation du rendement annuel de Mme Johnson, préparé par M. Paul en février 2019. Comme je l’ai déjà mentionné, le rapport précisait que la période d’essai de Mme Johnson serait prolongée de trois mois.

[110] Le rapport d’évaluation présentait également un grand nombre de manquements dans le rendement de Mme Johnson. Ces manquements comprenaient les suivants :

  • Dans la catégorie [traduction] « Leadership », ses messages aux employés devaient être conformes aux plans et aux objectifs du CE et des cadres d’entreprise. Certains employés ont fait part de problèmes en indiquant qu’ils avaient l’impression que rien n’était fait. Selon la note attribuée, Mme Johnson devait s’améliorer en ce qui concerne l’uniformité au moment d’appliquer et de suivre les politiques.
  • Dans la catégorie [traduction] « Efficacité opérationnelle – planification et priorités », M. Paul a recommandé qu’elle se concentre sur le fonctionnement et l’exploitation des Lanes et qu’elle prépare une liste de priorités de ce qui est important et de ce que d’autres personnes peuvent faire. M. Paul a témoigné qu’elle ne lui a jamais fourni la liste de priorités.
  • Dans la catégorie [traduction] « Connaissances et compétences liées à l’emploi », M. Paul a écrit qu’il lui avait parlé de ce qu’il fallait faire et ne pas faire en ce qui concerne les politiques et les procédures et qu’il lui avait présenté des suggestions, mais que, en fin de compte, elle a agi comme si ces discussions n’avaient jamais eu lieu. Il a recommandé que Mme Johnson prenne la responsabilité des problèmes qui se présentaient aux Lanes.
  • Dans la catégorie [traduction] « Traiter avec des personnes au caractère difficile », M. Paul a fait remarquer que Mme Johnson adoptait parfois un ton irrité dans ses interactions avec des employés et des clients. Il a mentionné « l’incident des chiens » où un couple de clients avait laissé ses chiens dans sa voiture à l’extérieur. Mme Johnson a décrit la voiture par le système de sonorisation et a dit que son propriétaire devrait immédiatement s’occuper de ses chiens, à défaut de quoi, le propriétaire serait immédiatement renvoyé des Lanes et la SPCA serait appelée. Le couple a envoyé une lettre de plainte officielle au chef et au conseil concernant la façon dont il a été traité. Selon la recommandation formulée pour cette catégorie, Mme Johnson devrait poser des questions avant de faire des déclarations, réfléchir davantage avant de prendre des décisions et évaluer s’il existait une autre solution. M. Paul a reconnu dans son témoignage qu’il s’agissait de la seule plainte concernant Mme Johnson qui a été présentée au chef et au conseil.
  • Dans la catégorie [traduction] « Encadrement et discipline », il a été indiqué que certains employés avaient fait part de commentaires indiquant qu’ils se sentaient menacés et avaient des préoccupations. Il a été recommandé que Mme Johnson réponde de manière plus uniforme aux problèmes et aux demandes des employés. M. Paul a indiqué dans son témoignage que certains employés estimaient qu’ils n’étaient pas traités équitablement. Ils étaient mieux traités s’ils étaient dans ses « bonnes grâces ». Il a ajouté que ce commentaire devait « informer » Mme Johnson que c’est ce que les employés disaient et qu’elle devait prendre des mesures en conséquence.
  • Dans la section des commentaires généraux et des recommandations, M. Paul a souligné que la décision de prolonger la période d’essai de Mme Johnson n’a pas été facile à prendre. Il a recommandé que Mme Johnson favorise une meilleure compréhension des politiques de la PNM et qu’elle comprenne le moment où les appliquer et la façon de le faire équitablement, ainsi que la nature de son rôle et de ses pouvoirs. Elle devrait se renseigner sur tous les secteurs de l’entreprise.

[111] M. Paul a indiqué qu’il s’attendait à ce que la personne qui occupait le poste de directeur général, en particulier en ce qui concerne les compétences de leadership, reste humble et qu’elle accepte ses responsabilités au lieu de les détourner sur les autres, comme Mme Johnson le faisait. Il se demandait pourquoi Mme Johnson ne respectait pas les politiques applicables, alors que les autres gestionnaires qui relevaient de lui mémorisaient pratiquement les cahiers de politiques pour éviter les problèmes.

[112] Dans l’ensemble, M. Paul indiquait que son évaluation se situait entre le positif et le négatif. Cette évaluation devait donner à Mme Johnson des indications pour être une bonne gestionnaire et une bonne leader.

[113] Il a cependant été surpris par les [traduction] « Commentaires de l’employée » manuscrits qu’elle a ajoutés lorsqu’elle a reçu son rapport d’évaluation du rendement. Elle a écrit ce qui suit :

[traduction]

Une période d’essai n’est pas seulement une période pendant laquelle la direction décide si un employé convient à l’organisation, c’est aussi une période pendant laquelle l’employé décide si l’organisation lui convient. Lorsque j’ai accepté ce poste, je me suis constamment concentrée sur l’habilitation, le rendement et le mieux-être des employés. J’ai établi mes priorités en tenant compte de cet objectif. Ce type de vision correspond à mon style de gestion, qui est de fournir aux employés un plan de relève leur permettant d’atteindre tout leur potentiel en améliorant leur rendement, et ce, tout en gardant à l’esprit les avantages sur le plan des coûts associés à la réduction du roulement du personnel.

(Non souligné dans l’original)

[114] M. Paul a interprété ces commentaires comme étant formulés par une personne qui n’accepte pas la responsabilité de son rendement et des améliorations nécessaires qu’elle doit faire. Dire qu’elle avait le droit d’évaluer l’employeur pendant la période d’essai était dérogatoire pour un employeur qui tentait de l’aider. Cette attitude démontrait que Mme Johnson [traduction] « ne comprenait pas » que tout se trouvait dans la politique relative au personnel de la PNM et que toute personne devait être traitée de façon équitable et égale, et qu’elle ne devait pas toujours demander aux RH et à lui-même de lui fournir des conseils qui lui avaient déjà été donnés, dans des cas où les procédures à suivre étaient clairement définies dans la politique en question.

[115] M. Paul a parlé dans son témoignage d’une réunion qu’il avait organisée avec le personnel des Lanes, y compris Mme Johnson, le 20 février 2019. En raison des plaintes concernant les opérations des Lanes, il sentait qu’il n’avait pas d’autre choix que d’organiser la réunion et de réitérer les politiques de la PNM puisqu’il avait l’impression qu’elles n’étaient pas suivies. Cette orientation aurait dû relever du rôle de la directrice générale, mais il semblait que ces renseignements n’étaient pas communiqués. Mme Johnson avait la responsabilité de transmettre ces messages à ses subordonnés. Faire de tels rappels ne fait pas partie des fonctions habituelles d’un CE, et M. Paul n’a jamais eu à tenir de telles réunions dans les autres entreprises de la PNM. Les points qui devaient y être abordés comprenaient des détails qu’il n’aurait normalement pas dû aborder en tant que CE, par exemple, la communication des serveurs avec la cuisine, le traitement des remboursements par carte de crédit et les rôles des superviseurs dans la préparation des documents d’encadrement à l’intention des membres de leur personnel.

[116] Au cours des mois suivants, M. Paul avait encore l’impression que ses préoccupations concernant les opérations des Lanes n’avaient pas été réglées. Il a conclu qu’il était devenu important de tenir des réunions mensuelles et qu’il devrait y assister. Par conséquent, il a décidé d’organiser la réunion du personnel du 8 mai 2019, mentionnée plus haut dans la présente décision.

[117] M. Paul a indiqué que son plan de mettre au point une structure organisationnelle dans laquelle Mme Johnson figurait au sommet et AB y était sa directrice adjointe figurait parmi les points qu’il a présentés à la réunion. Il affirme que personne ne s’est opposé à ses instructions pendant la réunion. Selon ses notes de la réunion, AB devait préparer un organigramme pour refléter la structure que M. Paul mettait en place.

[118] Le 15 mai 2019, M. Paul a envoyé un courriel à Mme Johnson pour faire un suivi de la réunion. Il l’a informée qu’il avait commencé à mettre en œuvre certains des points abordés à la réunion du personnel pendant qu’elle effectuait son voyage d’affaires à Toronto. Le courriel comprenait le paragraphe cité plus haut, qui indiquait qu’AB serait [traduction] « deuxième dans la hiérarchie » et qu’elle aurait accès au bureau de Mme Johnson lorsqu’elle agirait en tant que directrice intérimaire. M. Paul a indiqué dans son témoignage que le bureau d’AB était essentiellement un placard qui manquait d’intimité et qu’elle avait donc besoin d’un espace professionnel pour rencontrer les gens lorsqu’elle remplaçait Mme Johnson.

[119] M. Paul a témoigné que la réaction de Mme Johnson qui a dit avoir décidé de [traduction] « retirer tous [s]es articles personnels de [s]on bureau » à son retour l’a surpris. Il estimait que c’était puéril. Selon lui, cela signifiait qu’elle donnait sa démission. Aucun employé, au cours des 40 années pendant lesquelles M. Paul a supervisé du personnel, ne lui a jamais parlé de cette façon.

[120] Il était encore plus choqué par l’échange de courriels qui a commencé le 23 mai 2019. La liste d’incidents que Mme Johnson avait compilée concernant AB démontrait qu’elle montait un dossier contre AB pour s’en servir à l’avenir. M. Paul s’est rendu compte que Mme Johnson ne faisait absolument pas confiance à AB. Si le rendement d’AB présentait des lacunes, il était de la responsabilité de Mme Johnson de lui parler et de l’encadrer.

[121] M. Paul a considéré comme un ultimatum la déclaration de Mme Johnson dans son dernier courriel ce jour-là, selon laquelle [traduction] « Personne ne devrait avoir à travailler dans ces conditions » avec une directrice adjointe qui est « indigne de confiance et incompétente ». Elle lui disait qu’elle ne serait plus directrice générale, à moins qu’il change sa décision sur l’organisation des Lanes. M. Paul a témoigné qu’il avait décidé à ce moment-là de mettre fin à la période de probation et de congédier Mme Johnson. Cependant, il a consulté le chef et le conseil avant de mettre sa décision en œuvre.

[122] Selon M. Paul, le fait que Mme Johnson n’était pas membre de la PNM ni autochtone n’a joué aucun rôle dans sa décision. Malgré les orientations à répétition qu’il lui a communiquées et ses conseils pour qu’elle respecte les politiques, elle n’a jamais admis qu’il lui revenait de faire bouger les choses aux Lanes et que ce n’était pas la responsabilité du CE. M. Paul souligne que la personne embauchée pour remplacer Mme Johnson au poste de directeur général était une personne d’origine libanaise qui a plus tard été remplacée par une femme d’origine jamaïcaine. Aucune de ces personnes n’était autochtone ni membre de la PNM.

C. ANALYSE – AUCUNE PREUVE PRIMA FACIE DE DISCRIMINATION AU SENS DE L’ARTICLE 7 N’A ÉTÉ ÉTABLIE

[123] J’ai présenté les éléments de preuve de la présente affaire. Permettent-ils d’établir à première vue l’existence de discrimination au sens de l’article 7 de la LCDP? Pour les motifs qui suivent, je conclus que Mme Johnson a seulement établi les deux premiers volets du critère. Elle n’a pas établi le troisième volet, c’est-à-dire que les motifs de distinction illicite étaient des facteurs dans la façon dont elle a été traitée pendant son emploi et dans le cadre de son congédiement.

[124] J’analyserai chacun des trois volets du critère.

(i) Mme Johnson possède des caractéristiques protégées par la LCDP

[125] Personne ne conteste que Mme Johnson n’est pas membre de la PNM et qu’elle n’est pas autochtone. Mme Johnson ne se considère pas comme une personne racisée. En contre-interrogatoire, elle a indiqué qu’elle n’alléguait pas avoir été renvoyée parce qu’elle était « blanche ». Cependant, elle soutient que le fait qu’elle ne possède pas des caractéristiques qui ont trait à la race, à la couleur ou à l’origine nationale ou ethnique a joué un rôle dans la décision de la PNM de la renvoyer, ce qui suffit à établir qu’elle possède des caractéristiques protégées au sens de la LCDP. La LCDP ne fait aucune distinction entre les personnes qui sont victimes de discrimination parce qu’elles sont membres d’un groupe protégé particulier et celles qui sont victimes de discrimination parce qu’elles ne sont pas membres d’un tel groupe (Deschambeault c. Cumberland House Cree Nation, 2008 TCDP 48, au par. 39). Le premier volet d’une preuve prima facie a été établi.

(ii) Mme Johnson a subi un effet préjudiciable

[126] La notion de traitement défavorable sous-entend l’existence d’un élément « préjudiciable, dommageable ou mauvais » (Tahmourpour c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 192, au par. 12), bien qu’une définition assez large et permissible de « défavorable » s’harmonise avec l’esprit de la LCDP (Kelsh c. Chemin de fer du Canadien Pacifique, 2019 TCDP 51, au par. 112).

[127] Mme Johnson a clairement subi un effet préjudiciable lorsque la PNM a mis fin à son emploi de directrice générale des Lanes. Le congédiement est sans aucun doute préjudiciable à la relation d’emploi d’une personne.

[128] Mme Johnson allègue cependant qu’elle a également été traitée de manière préjudiciable pendant son emploi. Dans ses observations finales, elle a fait référence à plusieurs exemples de ce traitement.

[129] Mme Johnson a souligné le fait que sa période d’essai avait été prolongée pour une période de trois mois supplémentaires en conséquence de son rapport d’évaluation du rendement après six mois, ce qui n’a pas été le cas pour AB. En outre, dans ses commentaires en guise de conclusion au rapport d’évaluation du rendement de Mme Johnson, M. Paul a déclaré que M. Stevens et lui-même l’aideraient en lui fournissant un document d’encadrement et effectueraient un suivi. En fin de compte, ce document ne lui a jamais été fourni avant son renvoi, alors qu’AB en a reçu un.

[130] Je suis prêt à accepter que l’obligation de rester en période d’essai peut être considérée comme préjudiciable en raison de l’incertitude relative à l’emploi et que le défaut de fournir à Mme Johnson le document d’encadrement qui lui avait été promis limitait sa capacité à améliorer son rendement. Je suis convaincu qu’il s’agissait d’un effet préjudiciable pour Mme Johnson.

[131] Pour illustrer davantage le traitement défavorable qu’elle a subi pendant son emploi, Mme Johnson a fait référence à la situation où elle a présenté une demande d’augmentation de salaire pour une auxiliaire de piste qui avait commencé à travailler comme technicienne de piste, poste normalement rémunéré à un taux supérieur. Mme Johnson affirme que sa demande a été refusée sans raison, mais que, lorsque l’employée, en tant que membre de la PNM, a présenté un appel au chef et au conseil, l’augmentation de salaire a été approuvée. Mme Johnson affirme que cela démontre un traitement préjudiciable. Je ne suis pas convaincu par cet argument. D’abord, comme l’a affirmé la PNM dans ses observations finales, aucun élément de preuve indépendant n’a été présenté pour démontrer que les événements se sont produits comme l’allègue Mme Johnson. L’employée en question n’a pas témoigné et aucun document n’a été déposé à l’appui des affirmations de Mme Johnson concernant l’attribution de l’augmentation de salaire. La PNM affirme également que le processus de révision salariale est complexe et nécessite le recours à un comité de révision salariale composé en partie de conseillers. Je ne suis donc pas convaincu que l’augmentation n’ait été accordée qu’en raison d’un simple appel de l’employée présenté au chef et au conseil. En outre, même si les événements se sont produits comme l’allègue Mme Johnson, elle n’a pas été lésée par le fait que l’employée ait réussi là où elle avait échoué. Je ne considère pas qu’il s’agisse d’un traitement préjudiciable.

[132] Mme Johnson affirme que la haute direction de la PNM a refusé de prendre des mesures lorsqu’elle a présenté pour la première fois les problèmes liés à la consommation d’alcool par AB alors qu’elle était en fonction, lorsque cette dernière a laissé des amis utiliser des pistes gratuitement et qu’elle n’a pas payé ses repas. Mme Johnson affirme que M. Paul ne lui a pas permis de remettre un document d’encadrement à AB conformément aux politiques de la PNM puisqu’elle était toujours en période d’essai. Cependant, lorsque le barman, qui est membre de la PNM, a déclaré aux RH qu’AB avait bu, M. Paul a accepté de permettre à Mme Johnson de présenter un document d’encadrement à AB. En réalité, Mme Johnson allègue que la PNM ne lui a permis d’exercer son autorité de direction que lorsqu’un membre de la PNM intervenait, mais qu’elle ne pouvait pas le faire autrement. Là encore, je ne vois pas comment une telle situation était préjudiciable à Mme Johnson. Le fait que la direction réagissait lorsqu’une personne ou un membre donné présentait une plainte au sujet d’AB ne lésait pas nécessairement Mme Johnson.

[133] Mme Johnson a également fait référence à l’incident qui mettait en cause l’employée CD et la question que M. Paul aurait posée sur son statut d’autochtone, laissant entendre que les employés n’étaient pas traités équitablement. J’ai déjà conclu que les éléments de preuve ne soutiennent pas ses souvenirs de ce qui s’est produit. En outre, même si c’était le cas, je ne vois pas de quelle manière cet incident a lésé Mme Johnson ou a démontré de l’hostilité à son égard.

[134] En dernier lieu, Mme Johnson invoque ses circonstances après son congédiement. Elle souligne le fait que le chef et le conseil n’ont pas répondu à l’appel qu’elle a présenté dans les quinze jours suivant son renvoi, conformément à sa lettre de congédiement et aux droits que lui conférait la politique relative au personnel de la PNM. Les éléments de preuve ne comprenaient aucune explication du défaut par la PNM de fournir une réponse à l’appel de Mme Johnson. M. Paul a expliqué que de tels appels sont normalement vérifiés par le chef de la PNM et que, selon le bien-fondé de l’appel présenté, la question peut être renvoyée au conseil pour évaluation. Même si, en l’espèce, le chef avait constaté qu’il n’y avait aucune raison d’effectuer un suivi de l’appel, je suis d’accord qu’une réponse aurait dû être envoyée à Mme Johnson. L’avocat de la PNM a offert des excuses officielles à l’audience pour cette omission.

[135] Cependant, je ne suis pas convaincu que la simple absence d’une réponse constitue un traitement préjudiciable. L’absence de réponse à sa demande constituait en fait un rejet de l’appel, en conséquence de quoi Mme Johnson aurait pu exercer n’importe quel recours qui pouvait normalement s’offrir à elle, comme à tout autre employé renvoyé dont l’appel à la haute direction est rejeté. Elle n’a pas été lésée par l’absence de réponse officielle.

[136] Mme Johnson affirme que, si elle avait été membre de la PNM, elle aurait également eu le droit de présenter une requête au chef et au conseil au sujet de la décision de la congédier. Selon elle, l’absence de ce droit en ce qui la concerne constitue un traitement préjudiciable. M. Paul a confirmé que les membres de la PNM ont le droit de parler à leur conseiller de n’importe quel problème qu’ils peuvent avoir avec les activités de la PNM. Cependant, aucun élément de preuve ne démontre que ce recours aurait donné un résultat qui aurait pu avoir un effet sur le renvoi de Mme Johnson ou de tout employé. Il s’agit simplement d’un droit qu’ont les membres de présenter une plainte à leurs conseillers élus à n’importe quel sujet. Aucun élément de preuve n’indique que ce droit s’apparente à un processus d’appel lié à l’emploi, comme celui qui est présenté dans la politique relative au personnel. Les observations de Mme Johnson sont uniquement fondées sur des suppositions.

[137] En résumé, Mme Johnson a donc démontré avoir subi un effet préjudiciable, mais uniquement en raison de la prolongation de sa période d’essai et de l’absence de document d’encadrement et en raison de son congédiement.

(iii) La couleur, l’origine nationale ou ethnique et la race de Mme Johnson n’étaient pas des facteurs dans les situations donnant lieu à un effet préjudiciable

[138] Je conclus que la couleur, l’origine nationale ou ethnique et la race de Mme Johnson n’étaient pas des facteurs dans les situations suivantes qui ont donné lieu à un effet préjudiciable.

a. La période d’essai et le document d’encadrement

[139] Je ne suis pas convaincu par les prétentions de Mme Johnson selon lesquelles la décision de prolonger sa période d’essai ou le défaut de lui fournir un document d’encadrement reposaient sur des motifs de distinction illicite.

[140] Tout d’abord, l’article 2.8 de la politique relative au personnel de la PNM indique explicitement qu’une évaluation du rendement est effectuée après une période de six mois et qu’après cette évaluation, la PNM peut décider de confirmer l’emploi, de prolonger la période d’essai, de rétrograder l’employé ou de mettre fin à son emploi. Dans la présente affaire, la PNM a décidé de prolonger la période d’essai de Mme Johnson. Les motifs sont clairement énoncés dans le rapport d’évaluation du rendement de Mme Johnson préparé par M. Paul où de nombreuses lacunes du rendement de cette dernière sont présentées pour diverses catégories. Les commentaires généraux et les recommandations soulignent la nécessité pour Mme Johnson d’améliorer sa compréhension des politiques de la PNM et de la façon de les appliquer équitablement.

[141] Mme Johnson remet en question les raisons pour lesquelles sa période d’essai a été prolongée alors que celle d’AB ne l’a pas été. AB a été promue en quelques mois. Le fait que la période d’essai d’AB n’a pas été prolongée ne démontre pas que des motifs de distinction illicite étaient des facteurs dans la décision de prolonger la période d’essai de Mme Johnson. Les notes respectives des deux employées pour l’évaluation n’étaient pas nécessairement comparables, en raison de l’écart de 5 % entre les pointages (64 % et 69 %). Plus important, la nature des emplois est différente. Mme Johnson avait le poste le plus élevé aux Lanes et il est compréhensible que les préoccupations relatives à son rendement aient un effet sur la décision de la PNM de confirmer son emploi ou non. Le poste d’AB se situait à un échelon inférieur.

[142] En outre, le rapport d’évaluation du rendement d’AB, rédigé par Mme Johnson, indiquait dans toutes les catégories qu’AB répondait aux normes et les dépassait même dans certaines catégories. Mis à part quelques commentaires concernant [traduction] « quelques problèmes de gestion du temps » et le fait qu’elle n’avait pas communiqué de renseignements aux gestionnaires au besoin, le reste des commentaires étaient positifs, soulignant qu’AB était une employée appréciée. Mme Johnson a indiqué dans son témoignage que les commentaires positifs reflétaient une amélioration encourageante au cours des semaines précédentes.

[143] D’autre part, le rapport d’évaluation du rendement de Mme Johnson soulignait qu’une amélioration était nécessaire dans au moins quatre domaines : équité et uniformité, ouverture à la rétroaction, communication verbale et respect des politiques. Quelle que soit la motivation de Mme Johnson, le fait demeure que les commentaires dans l’évaluation du rendement d’AB n’étaient pas aussi préoccupants que ceux formulés dans le rapport d’évaluation du rendement de Mme Johnson.

[144] Quant à la question du document d’encadrement, je remarque que le document d’encadrement d’AB lui a été remis un mois avant la préparation de son rapport d’évaluation du rendement et seulement parce que son inconduite justifiait la prise de mesures disciplinaires. Le document d’encadrement n’a pas été remis dans le cadre du processus d’évaluation d’AB. Cependant, Mme Johnson n’a jamais fait l’objet d’une mesure disciplinaire qui justifiait un document d’encadrement. Il est vrai que M. Paul n’a jamais fait de suivi par la préparation d’un document d’encadrement à l’intention de Mme Johnson, contrairement à ce qu’il avait indiqué qu’il ferait, et ce manquement n’a pas été expliqué dans la preuve. La PNM a affirmé que, puisque Mme Johnson a été renvoyée quelques mois après avoir signé le rapport d’évaluation du rendement, elle n’a pas eu le temps de préparer le document. Aucun élément de preuve n’a été présenté à l’appui de cet argument. Cependant, cette omission ne prouve pas en soi que la race, la couleur ou l’origine nationale ou ethnique de Mme Johnson étaient des facteurs quelconques dans le fait que le document n’a pas été préparé.

[145] Par conséquent, je ne peux pas conclure que Mme Johnson et AB ont été traitées différemment en ce qui concerne leurs périodes d’essai et les documents d’encadrement, et encore moins qu’il s’agissait d’un traitement différentiel fondé sur des motifs de distinction illicite au sens de l’alinéa 7b) de la LCDP.

b. Le congédiement

[146] Je suis convaincu que les motifs de la PNM pour avoir congédié Mme Johnson étaient entièrement reliés à sa perception de son rendement à titre de directrice générale. Les éléments de preuve ne soutiennent simplement pas l’allégation de Mme Johnson selon laquelle son origine nationale ou ethnique, sa race ou sa couleur étaient des facteurs dans la décision de la renvoyer.

[147] Comme je l’ai déjà indiqué, Mme Johnson a été sélectionnée pour le poste, même si d’autres candidats dans la course étaient membres de la PNM. M. Paul faisait partie du jury de sélection et soutenait sa candidature. La PNM espérait qu’elle réussirait à gérer les nouvelles activités de la PNM aux Lanes, comme le démontre le financement de sa formation à d’autres installations de quilles au Canada et aux États-Unis.

[148] Cependant, la haute direction de la PNM a rapidement été informée de problèmes liés à son rendement. Le directeur des RH a présenté à M. Stevens et à M. Paul une longue liste de problèmes qui se sont présentés avant l’ouverture prévue des Lanes.

[149] De plus, M. Paul a témoigné qu’il était ennuyé par le fait que Mme Johnson présentait constamment les problèmes qu’elle rencontrait en gérant le personnel à M. Stevens et à lui-même, au lieu de les régler elle-même au fur et à mesure par l’application des politiques de la PNM déjà en place. Mme Johnson affirme qu’on lui a dit qu’elle n’avait pas le droit de prendre des décisions disciplinaires de son propre chef alors qu’elle était en période d’essai. M. Paul nie cette affirmation. Cependant, quoi qu’il en soit, même si ces instructions ont été données, il est évident que Mme Johnson ne savait pas clairement ce qu’elle devait faire dans certaines situations et qu’elle a demandé des renseignements et de l’encadrement. La PNM attendait d’elle, en tant que directrice générale, qu’elle soit capable de s’en occuper elle-même.

[150] Les préoccupations de la PNM ont en fin de compte été présentées à Mme Johnson dans son rapport d’évaluation du rendement de février 2019. Le rapport était loin d’être élogieux. Il y était mentionné que, selon ce que la haute direction entendait des employés, Mme Johnson n’appliquait ni ne suivait de manière uniforme les politiques et les règlements pour tous les employés et que la rétroaction qu’elle donnait manquait de cohérence. Il y était précisé que Mme Johnson n’acceptait pas volontiers la rétroaction et qu’elle n’appliquait pas les conseils sur les choses [traduction] « à faire et à ne pas faire » selon les politiques. Le ton irrité que prenait Mme Johnson avec les clients et les employés soulevait des préoccupations. Selon l’une des recommandations rédigées par M. Paul, Mme Johnson devait accepter la responsabilité des problèmes qui se présentaient aux Lanes.

[151] M. Paul était préoccupé par la tendance de Mme Johnson à refuser d’accepter sa responsabilité et à rejeter le blâme, qui a été confirmée par la réponse qu’elle a donnée à son rapport d’évaluation du rendement. Au lieu d’accepter la responsabilité de ses manquements dans la gestion des Lanes, elle a retourné la discussion et a fait valoir à la PNM que l’un des objectifs de la période d’essai était de lui permettre de décider si l’organisation lui conviendrait.

[152] Mme Johnson peut en effet avoir l’impression que la période d’essai a également cet objectif, mais le témoignage de M. Paul me convainc qu’il a interprété cette réponse comme un affront à son autorité et une confirmation qu’elle refusait d’accepter la responsabilité de ses actes.

[153] Du point de vue de M. Paul, les choses ne se sont pas améliorées au cours des mois suivants, de sorte qu’il a dû convoquer une réunion pour régler des questions banales qu’il n’aurait généralement pas eu à régler en tant que CE. Mme Johnson affirme que, néanmoins, à la fin de sa période d’essai, M. Paul a affirmé que sa situation était [traduction] « OK ». Il a nié avoir dit une telle chose et il a précisé que ces décisions étaient en fin de compte prises après une consultation du chef et du conseil, ce qui n’avait pas été fait dans le cas de Mme Johnson. Quoiqu’il en soit, toute opinion que M. Paul aurait pu avoir avant que Mme Johnson parte en voyage d’affaires à Toronto a évidemment changé à la suite des courriels échangés plus tard au sujet d’AB.

[154] M. Paul et M. Stevens avaient le pouvoir exclusif de nommer des employés aux divers postes aux Lanes. En tant que CE, M. Paul a décidé de nommer AB au poste de directrice adjointe. Clairement, Mme Johnson n’a pas approuvé cette décision. Selon elle, AB n’était pas prête pour le poste, en particulier compte tenu de la liste des incidents compilés par Mme Johnson à son encontre. Mme Johnson n’était pas prête à accepter la décision de M. Paul. Elle a répondu qu’AB pouvait avoir son bureau [traduction] « de façon permanente » et, plus tard, qu’elle ne pouvait pas travailler dans les conditions qui lui étaient imposées.

[155] Je juge qu’il est compréhensible et raisonnable pour M. Paul d’avoir considéré que ces réponses étaient un ultimatum – si AB ne partait pas, ce serait Mme Johnson qui partirait. Il a considéré que l’ultimatum était une forme d’insubordination. M. Paul estimait que le lien de confiance entre la PNM et Mme Johnson à titre de directrice générale des Lanes était rompu et que la relation ne pouvait plus être maintenue.

[156] La décision de M. Paul de mettre fin à la relation d’emploi avec Mme Johnson était raisonnable. Rien dans les éléments de preuve concernant les événements ayant mené à la décision ne prouve ou n’établit selon la prépondérance des probabilités que l’origine nationale ou ethnique, la race ou la couleur de Mme Johnson étaient des facteurs dans la conclusion à laquelle était arrivée la PNM.

[157] Avant de clore l’analyse de l’allégation fondée sur l’article 7, je dois également faire référence à plusieurs incidents mentionnés par Mme Johnson dans son témoignage, qu’elle n’a pas expressément cités dans ses observations finales comme des incidents de discrimination. Mme Johnson a témoigné que les RH n’avaient pas assuré le suivi de ses demandes pour obtenir des employés à temps partiel et un travailleur de remplacement. Elle s’est également plainte que la PNM n’avait fait aucun effort pour renouveler le financement d’un programme d’aide à l’emploi pour maintenir en poste une personne qui était une bonne employée. M. Paul et M. Stevens n’ont pas abordé spécifiquement cet élément de preuve dans leur témoignage. Par conséquent, les éléments de preuve de Mme Johnson ne sont pas contestés. Il n’y a aucune raison pour douter de sa version des faits, et j’accepte donc que ces manquements aient eu lieu conformément aux allégations.

[158] Cependant, rien dans la preuve ne relie ces manquements à un motif de distinction illicite. Il est fort possible que M. Paul ait commis une grave erreur qui a eu des conséquences sur les opérations des Lanes lorsqu’il n’a pas assuré le suivi des demandes de Mme Johnson, comme elle l’affirme. Cependant, ce simple fait n’est pas suffisant pour établir que des motifs de distinction étaient des facteurs dans ces manquements.

[159] Mme Johnson a témoigné des commentaires négatifs qui auraient été faits à son sujet après son départ. J’ai déjà indiqué que je ne me fierais pas à des éléments de preuve par ouï-dire de ce que des tiers auraient pu entendre. Mme MacAuley a fait part dans son témoignage d’une remarque d’AB selon laquelle elle ne devait pas parler à Mme Johnson. Cependant, rien ne démontre qu’il s’agissait de plus qu’une déclaration personnelle de la part d’AB. Rien n’associe ces propos aux cadres supérieurs (M. Paul et M. Stevens) ou à la PNM en tant qu’organisation. Qui plus est, la remarque peut être une indication de la relation tendue entre AB et Mme Johnson, sans qu’il existe nécessairement un lien avec un motif de distinction illicite.

[160] Enfin, je remarque en passant qu’il semblerait que la période d’essai de Mme Johnson ait pris fin quelques semaines avant que la lettre de congédiement lui ait été envoyée. Aucune date exacte pour la fin de la deuxième période n’a été précisée dans le rapport d’évaluation du rendement ou dans tout autre document déposé en preuve, à l’exception de la période de trois mois. Je ne sais pas quelles seraient les conséquences d’un renvoi plusieurs jours après la fin d’une période d’essai en ce qui concerne les droits de Mme Johnson prévus par le droit du travail. La PNM lui a apparemment versé une somme tenant lieu de préavis, même si elle affirmait que Mme Johnson était toujours en période d’essai. Quoi qu’il en soit, le fait que le congédiement était postérieur à la période d’essai n’a pas de conséquence sur ma décision selon laquelle les caractéristiques protégées de Mme Johnson au sens de la LCDP n’étaient pas des facteurs dans la décision de la renvoyer. Selon les éléments de preuve, les seuls facteurs dans la décision avaient trait à l’évaluation par la PNM de son rendement.

[161] Pour tous les motifs qui précèdent, je conclus que Mme Johnson n’a pas établi que la PNM s’est livrée à des pratiques discriminatoires au sens de l’article 7 de la LCDP.

V. ALLÉGATION FONDÉE SUR L’ARTICLE 10

[162] Mme Johnson a écrit dans sa plainte que la PNM [traduction] « a une politique d’embauche qui accorde la priorité aux personnes autochtones (communauté de Membertou ». Elle a ajouté qu’il existait un ensemble de règles pour les employés autochtones et un autre ensemble de règles pour les employés non autochtones. Mme Johnson a alors donné comme exemple le courriel que M. Paul lui aurait envoyé et dans lequel il demandait si CD était autochtone.

[163] Apparemment, en raison de cette allégation, le formulaire de résumé de la plainte, préparé par la Commission canadienne des droits de la personne et joint à la plainte, précise que les articles de la LCDP applicables à la présente affaire sont l’article 10 ainsi que l’article 7.

[164] L’article 10 porte sur la discrimination systémique (Emmett c. Agence du revenu du Canada, 2018 TCDP 23 [Emmett], aux par. 69-70). Aux termes de l’alinéa 10a) de la LCDP, la disposition applicable aux allégations dans la présente affaire, constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite et s’il est susceptible d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu ou d’une catégorie d’individus, le fait, pour l’employeur, de fixer ou d’appliquer des lignes de conduite.

[165] Mme Johnson doit donc établir, selon la prépondérance des probabilités, que la PNM a appliqué des lignes de conduite qui étaient susceptibles d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement de personnes non autochtones (Emmett, au par. 71)

[166] Rien ne démontre que les chances d’emploi ou d’avancement de Mme Johnson ont été annihilées pendant son emploi, encore moins en conséquence de lignes de conduite. Elle a évidemment été congédiée, ce qui aurait pu être considéré comme le refus ultime de lui accorder un avancement, mais j’ai déjà conclu que les motifs de distinction illicite n’étaient pas des facteurs dans le renvoi. Rien ne démontre qu’il existait des lignes de conduite qui ont mené à son congédiement, mis à part une décision de mettre fin à son emploi en conséquence de problèmes de rendement, qui n’est pas reliée à un motif de distinction illicite.

[167] Aucun élément de preuve n’a été présenté concernant une autre personne à qui une chance d’emploi ou d’avancement a été refusée en fonction d’un motif illicite. En fait, les éléments de preuve concernant les successeurs de Mme Johnson au poste de directeur général établissent le contraire, puisqu’aucun des deux n’était ni autochtone ni membre de la PNM.

[168] Mme Johnson a fait référence dans ses observations finales au « processus » qui permettait aux membres de la PNM d’obtenir l’approbation de leurs demandes par le chef et le conseil, alors que les demandes semblables de Mme Johnson à la haute direction n’avaient pas été approuvées. À titre d’exemple, elle a présenté le cas d’une employée dont le salaire aurait été ajusté après que cette dernière a directement parlé au chef et au conseil. Cependant, comme je l’ai déjà fait remarquer, j’estime que les éléments de preuve présentés à l’appui de cette allégation ne sont pas convaincants.

[169] Je conclus donc que Mme Johnson n’a pas démontré qu’il existait des lignes de conduite susceptibles d’annihiler les chances d’emploi des personnes non autochtones.

VI. CONCLUSIONS

[170] À la fin de l’audience, j’ai été heureux d’être témoin d’un échange sincère et amiable entre M. Paul et Mme Johnson. Ils ont dit qu’ils se considéraient toujours comme des amis. Mme Johnson a affirmé tout au long de l’audience qu’elle avait toujours à cœur les intérêts supérieurs des Lanes. Personne ne conteste les réussites qu’elle a présentées dans ses éléments de preuve. Je suis convaincu qu’elles sont réelles. Elle a fourni à Mme MacAuley une excellente occasion de carrière et elle a aidé d’autres employés. Toutes les mesures visant à améliorer les opérations des Lanes ont été prises de bonne foi.

[171] Mais, en fin de compte, la plainte de Mme Johnson se résume essentiellement à son opinion qu’AB ne méritait pas d’être promue au poste de directrice adjointe. Cette promotion l’a vraiment chamboulée. Elle estimait qu’AB n’avait pas les compétences nécessaires pour le poste. Je ne doute pas de l’authenticité de cette croyance qui était ancrée dans une sincère préoccupation quant aux intérêts supérieurs des Lanes. Cependant, Mme Johnson n’était aucunement habilitée à prendre des décisions d’embauche. Ce pouvoir revenait aux RH et, en fin de compte, à M. Paul. Quelle qu’ait été sa motivation, M. Paul estimait, en tant que CE de l’entreprise de la PNM, que cette promotion était appropriée. La mesure de dotation n’aurait pas eu d’effets sur l’emploi de Mme Johnson. Son travail n’en aurait pas été touché. Cependant, elle n’était simplement pas d’accord avec la décision et a sensiblement donné à M. Paul ce qu’il considérait comme un ultimatum : [traduction] « Si AB ne part pas, ce sera moi qui partirai ». M. Paul a choisi la seconde option.

[172] Par conséquent, la relation d’emploi a pris fin. Les motifs de distinction n’en étaient pas des facteurs.

VII. ORDONNANCE

[173] Pour les motifs qui précèdent, la plainte est rejetée.

Signée par

Athanasios Hadjis

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 21mars 2024


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéro du dossier du Tribunal : HR-DP-2832-22

Intitulé de la cause : Joanne Johnson c. Première Nation de Membertou

Date de la décision du Tribunal : Le 21mars 2024

Date et lieu de l’audience : Par vidéoconférence du 3 au 6 avril 2023

Observations écrites les 8 et 14 avril 2023

Comparutions :

Joanne Johnson, pour la plaignante

Tony Mizik K.C., pour l'intimée

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