Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Le Service correctionnel du Canada (SCC) ne veut pas que certains documents qu’il prévoit utiliser lors de l’audience soient accessibles au public. Le Tribunal a décidé de ne pas se prononcer sur cette question pour l’instant et de l’aborder lors de l’audience.

Actuellement, le SCC a transmis les documents au Tribunal parce qu’il pourrait les utiliser lors de l’audience. Ces documents sont des « pièces proposées » et ne sont pas accessibles au public. Le public aura accès à ces documents seulement s’ils sont utilisés à l’audience comme « pièces ». Vu que le public n’a pas accès aux pièces proposées, il est trop tôt pour que le Tribunal se prononce sur la demande de confidentialité du SCC.

Le Tribunal a également demandé au SCC de préciser quels documents il veut garder confidentiels. Par exemple, une demande concernait plus de 1 000 pages, dont plusieurs ne sont pas contestées.

Le Tribunal a également dit aux parties qu’elles doivent être plus précises lors de l’audience. Elles ne peuvent pas présenter un document de plus de 1 400 pages comme une seule pièce si la plupart des pages ne sont pas pertinentes.

La Commission canadienne des droits de la personne s’est opposée à certains passages caviardés par le SCC. Le Tribunal a dit que la Commission aurait dû le faire plus tôt. Le Tribunal peut encore examiner ces caviardages lors de l’audience.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 21

Date : Le 12 avril 2024

Numéros des dossiers : T2218/4017, T2282/3718, T2395/5419 et T2647/2321

Entre :

Ryan Richards

le plaignant

‑ et ‑

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

‑ et ‑

Service correctionnel du Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Jennifer Khurana

 


I. APERÇU

[1] Ryan Richards, le plaignant, est un détenu purgeant une peine de ressort fédéral qui s’identifie comme étant un musulman soufi de race noire. Il réside à l’Établissement de Warkworth, un établissement à sécurité moyenne. Dans l’ensemble, M. Richards prétend que le Service correctionnel du Canada (le « SCC »), l’intimé, lui a fait subir de la violence physique excessive, du harcèlement sexuel, des représailles et diverses formes de discrimination et de harcèlement fondées sur les motifs interreliés que sont le sexe, la religion, la race, la couleur et la déficience. Les faits allégués de discrimination systémique et individuelle énoncés dans quatre plaintes regroupées s’étendent sur plus de dix ans et comprennent de multiples incidents qui auraient eu lieu dans divers établissements correctionnels fédéraux.

[2] Le début de l’audience a été fixé au 23 avril 2024. Le SCC a déposé une requête dans laquelle il demande au Tribunal d’ordonner que six des pièces proposées soient traitées comme étant confidentielles, ne fassent pas partie du dossier public et ne soient pas autrement accessibles au public, jusqu’à nouvelle ordonnance du Tribunal. Les pièces en question sont : un affidavit qui fait référence à des renseignements médicaux sur M. Richards; quatre pièces comportant des extraits du dossier médical de celui-ci; et une lettre concernant des mesures disciplinaires imposées à un employé du SCC pour sa conduite envers M. Richards (la « lettre disciplinaire »).

[3] M. Richards s’oppose à la requête. Il affirme que tous les renseignements qui le concernent, et qui ne mettent en danger aucun détenu ni membre du personnel du SCC actuel ou ancien encore vie, devraient être accessibles au public. Il souhaite que d’autres organisations de défense des droits de la personne ainsi que des groupes de soutien aux détenus aient un accès illimité aux renseignements sur sa santé. Il s’oppose également à la mise sous scellés de la lettre disciplinaire. De façon générale, M. Richards affirme que les contribuables canadiens devraient savoir comment et où le SCC a dépensé les fonds publics relativement à ses soins et à sa garde au cours des 20 dernières années.

[4] La Commission ne prend pas position au sujet des extraits du dossier médical de M. Richards. Elle s’oppose toutefois à la demande visant la lettre disciplinaire.

II. DÉCISION

[5] La requête est rejetée. La demande d’ordonnance de confidentialité est prématurée. Les pièces proposées en vue de l’audience ne font pas partie du dossier officiel, et les documents n’ont pas été admis en preuve, pas plus qu’ils ne sont accessibles au public. Le SCC pourra renouveler sa demande si l’une ou l’autre des pièces proposées est admise en preuve.

III. ANALYSE

[6] L’article 47 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021), DORS/2021‑137 (les « Règles de pratique ») énonce les éléments qui composent le dossier officiel. Précisons que, sous réserve des mesures de confidentialité ou des ordonnances rendues au titre de l’article 52 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H‑6 (la « Loi »), le public a accès aux dossiers officiels du Tribunal, selon les conditions précisées par le président (au par. 47(2)).

[7] Le dossier officiel est ainsi composé des documents suivants :

a) la plainte;

b) la demande de la Commission au président de désigner une formation pour instruire la plainte;

c) les exposés des précisions et toute réponse et réplique;

d) les documents relatifs aux requêtes;

e) la correspondance entre le greffier et les parties;

f) le sommaire des conférences de gestion préparatoires;

g) les recueils des textes à l’appui;

h) les observations écrites;

i) les ordonnances et décisions;

j) les pièces mises en preuve;

k) les enregistrements de l’audience et toute transcription de ces enregistrements;

l) tout autre document désigné par la formation.

(Par. 47(1) des Règles.)

[8] Même si, aux termes du paragraphe 47(1) des Règles de pratique du Tribunal, les documents relatifs à la requête font partie du dossier officiel, le SCC, en raison de la taille des documents, n’a pas joint les pièces proposées dont il souhaitait que le Tribunal ordonne la mise sous scellés afin de les rendre inaccessibles au public.

[9] Le SCC pourra renouveler sa demande, advenant qu’il souhaite présenter en preuve à l’audience les six pièces proposées.

Les demandes d’ordonnance de confidentialité doivent être précises, et les parties doivent circonscrire le contenu de leurs pièces

[10] Si le SCC présente de nouveau sa demande d’ordonnance de confidentialité, il doit également préciser les pages ou les parties des pièces qu’il souhaite voir mettre sous scellés. La pièce R‑500, soit l’affidavit de Martin Turcotte, compte 68 pages. Les pièces jointes, elles, totalisent 1 414 pages, et les pièces proposées R‑504 et R‑505 comptent 361 pages et 483 pages, respectivement. Comme le dit la Commission, il se peut que certains de ces documents contiennent ce que le SCC soutient être des renseignements de nature délicate, mais tel n’est pas le cas de nombreuses autres pages. Par exemple, la pièce R‑501 comprend différentes versions des directives du commissaire, un guide de l’utilisateur et ce qui semble être des renseignements publics sur les programmes de gestion de la nutrition.

[11] Si le SCC n’a l’intention de présenter que quelques pages des pièces proposées, le reste des documents actuellement déposés auprès du greffe sera supprimé, et ne fera pas partie du dossier officiel.

[12] De plus, si tant est que les pièces proposées concernant le dossier médical de M. Richards contiennent effectivement ce que le SCC considère comme des renseignements de nature délicate sur la santé de celui-ci, le SCC devra expliquer pour quelles raisons il demande une ordonnance de confidentialité à l’égard des dossiers de santé du plaignant. D’autant plus que M. Richards a lui‑même fait savoir qu’il n’éprouvait aucune inquiétude quant au fait que les renseignements sur sa santé soient rendus publics.

Les parties doivent circonscrire leurs arguments et délimiter la portée de tout élément de preuve proposé

[13] En plus d’exiger des parties qu’elles formulent leurs demandes d’ordonnance de confidentialité d’une manière précise, en fournissant les motifs à l’appui, le Tribunal exigera qu’elles délimitent le contenu des pièces qu’elles souhaitent présenter en preuve. Par exemple, elles ne doivent pas s’attendre à présenter plus de 1 400 pages de documents en tant que pièce unique alors que seule une fraction de ces documents est même pertinente par rapport aux questions en litige en l’espèce. Il incombe aux parties de présenter leurs éléments de preuve de manière proportionnelle et efficace. Le défaut de respecter la directive du Tribunal sur ce point retardera et prolongera davantage ce qui est déjà une instance complexe, et ne servira ni l’intérêt public, ni les intérêts de quiconque.

[14] Il s’agit en l’espèce de plaintes qui ont une large portée, et qui portent sur un certain nombre d’allégations. Elles soulèvent d’importantes questions d’intérêt public. Toutefois, les pièces proposées par la Commission, dont celles qu’elle entend présenter dans le cadre du témoignage de M. Richards, représentent 717 documents. La liste actuelle des pièces proposées par le SCC, quant à elle, compte 525 documents. Au même titre qu’il est intenable de procéder avec des listes de témoins totalisant actuellement plus de 70 témoins de part et d’autre, les parties devront faire des choix dans les éléments de preuve documentaire qu’ils proposent, de façon à établir un équilibre entre leur droit de présenter leur cause de manière équitable et la nécessité de procéder promptement. L’audience en l’espèce n’est pas un processus illimité, et les ressources du Tribunal ne le sont pas non plus.

[15] Je comprends que les parties ne présenteront peut-être pas la majorité des centaines de documents qu’elles ont déposés auprès du Tribunal en prévision de l’audience, comme l’exigent les Règles de pratique du Tribunal. La Commission a peut‑être aussi ratissé large et péché par excès d’inclusion, étant donné qu’elle dirigera l’interrogatoire de M. Richards.

[16] Cependant, après avoir pris connaissance du volume des pièces proposées, je rappelle aux parties la directive que je leur ai donnée dans la décision sur requête 2023 TCDP 51 (la « décision sur requête ») au sujet du déroulement de l’audience. Même s’il appartient au Tribunal de s’assurer que l’instruction des plaintes soit menée sans formalisme et de façon équitable et expéditive conformément à la Loi, l’atteinte de ce but dépend également des parties (décision sur requête, aux par. 27 à 29).

[17] De plus, M. Richards et les autres parties ont tous intérêt à ce que l’audience en l’espèce commence et se termine le plus tôt possible. Or, cela ne se produira pas avec les listes de témoins actuelles, la portée des éléments de preuve proposés et l’absence d’effort important de la part de toutes les parties pour préciser, réduire et délimiter leurs approches, au lieu de préparer une présentation exhaustive de tous les éléments de preuve et documents susceptibles de se rapporter de manière incidente à la plainte. Dans ma décision sur requête relative à la gestion de l’instance, j’ai également indiqué que le Tribunal est un tribunal administratif et que, bien que les plaintes de M. Richards aient une portée étendue, la présente instruction n’est pas la seule dont le Tribunal soit saisi. Le témoignage de M. Richards doit durer quatre jours, après quoi nous passerons à ses autres éléments de preuve. Il n’est que le premier témoin dans la présente instance. Les parties n’ont pas droit à une durée d’audience infinie.

Demande de la Commission visant l’obtention d’une copie non caviardée de la lettre disciplinaire

[18] En plus de s’opposer à la demande d’ordonnance de confidentialité du SCC concernant la lettre disciplinaire, la Commission demande une version non caviardée du document. La Commission a écrit au SCC pour lui demander une copie non caviardée de la lettre, que le SCC n’a pas fournie.

[19] Le SCC reconnaît avoir commis une erreur en ne fournissant pas de réponse complète aux questions de la Commission. Il convient que toute décision du Tribunal sur les caviardages projetés devrait être rendue après que les parties auront eu l’occasion de présenter des observations sur la nature et la portée des caviardages projetés. Il confirme qu’il ne cherchera pas à présenter la lettre disciplinaire pendant le contre‑interrogatoire de M. Richards, et propose de reporter toutes observations et toute décision concernant une version caviardée de la lettre disciplinaire jusqu’à ce que la question soit soulevée à l’audience.

[20] Comme je l’ai indiqué ci‑dessus, la lettre disciplinaire est une pièce proposée, et elle n’est pas accessible au public tant qu’elle n’est pas produite en preuve. Elle n’a pas été jointe aux documents des parties relatifs à la requête, qui font partie du dossier officiel et qui sont accessibles au public.

[21] Même si le SCC a confirmé qu’il ne chercherait pas à présenter la lettre disciplinaire à l’audience en avril, dans l’éventualité où cette lettre ferait partie des pièces proposées par la Commission, le SCC devra apporter des copies non caviardées au Tribunal et à chacune des parties à l’audience, et les parties me feront savoir s’il existe un différend au sujet des caviardages proposés.

Caviardage d’autres documents

[22] Le SCC soutient que les parties échangent des documents dans le cadre de la présente instance depuis au moins 2020. Certains documents ont été caviardés pour des raisons de sécurité ou parce qu’ils contiennent des renseignements de tiers qui ne sont pas pertinents pour les fins de l’instance. Le SCC affirme qu’il a l’intention de présenter en tant que pièces certains documents comportant des passages caviardés. Dans la plupart des cas, il soutient que les raisons qui sous‑tendent les caviardages sont évidentes et qu’il ne prévoit pas que ces caviardages poseront problème aux parties ou au Tribunal.

[23] Le SCC propose que toute question susceptible d’être soulevée au sujet des documents caviardés qu’il entend présenter soit traitée au cours de l’audience, au cas par cas et au besoin.

[24] Je suis du même avis. Si des objections sont soulevées au sujet de l’admissibilité des éléments de preuve proposés ou de tout caviardage projeté, les parties pourront m’exposer leurs arguments à cet égard le moment venu. Toutefois, comme le fait remarquer le SCC, les parties échangent déjà depuis des années des documents dans le cadre du processus de communication de la preuve. S’il y avait eu un problème de caviardage, il aurait fallu le soulever le plus tôt possible lors de l’examen des éléments de preuve communiqués. La question ne devrait pas être soulevée à la veille d’une audience, au risque de compromettre ainsi des dates d’audience fixées de longue date.

IV. ORDONNANCE

[25] La requête est rejetée.

Signée par

Jennifer Khurana

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 12 avril 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéros des dossiers du Tribunal : T2218/4017, T2282/3718, T2395/5419 et T2647/2321

Intitulé de la cause : Ryan Richards c. Service correctionnel du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 12 avril 2024

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Ryan Richards , pour son propre compte

Ikram Warsame , Sameha Omer et Laure Prévost, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Dominique Guimond , Sonia Bédard et Penelope Karavelas, pour l'intimé

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