Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

M. Richards voulait que le Tribunal modifie sa décision afin qu’il puisse avoir accès à un ordinateur portatif dans sa cellule, mais le Tribunal a refusé. Réexaminer une décision du Tribunal est un recours extraordinaire. Le Tribunal ne le fait généralement pas, sauf s’il existe des arguments convaincants, comme une preuve de manquement à l’équité procédurale.

M. Richards a décidé de ne pas lire les documents du Service correctionnel du Canada parce qu’il voulait protéger sa santé mentale. Le Tribunal a déclaré que cela n’était pas injuste. M. Richards aurait pu déposer une réponse ou demander une prolongation.

Selon la Commission, le ramadan était un grand changement parce que personne ne s’attendait à ce qu’il soit plus difficile pour M. Richards de se préparer pour l’audience. Le Tribunal n’était pas d’accord, car tout le monde connaissait ces dates d’audience depuis un certain temps. Permettre à M. Richards d’avoir accès à un ordinateur portatif 24 heures sur 24 n’est pas la seule façon de répondre à ses besoins en matière de santé et de religion.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 19

Date : Le 9 avril 2024

Numéros des dossiers : T2218/4017, T2282/3718, T2395/5419, T2647/2321

Entre :

Ryan Richards

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel du Canada

l’intimé

Décision sur requête

Membre : Jennifer Khurana

 


I. APERÇU

[1] Ryan Richards, le plaignant, est un détenu purgeant une peine de ressort fédérale qui s’identifie comme un musulman soufi de race noire. En bref, M. Richards soutient que le Service correctionnel du Canada (le « SCC »), l’intimé, lui a fait subir de la violence physique excessive, du harcèlement sexuel, des représailles et diverses formes de discrimination et de harcèlement fondées sur les motifs interreliés que sont le sexe, la religion, la race, la couleur et/ou la déficience. Les faits allégués de discrimination individuelle et systémique, qui sont exposés dans quatre plaintes regroupées, s’étendent sur plus d’une décennie et concernent de multiples incidents qui auraient eu lieu dans divers établissements correctionnels fédéraux.

[2] Dans la décision sur requête 2024 TCDP 12 [la « décision visée par la demande de réexamen »], j’ai rejeté la requête par laquelle M. Richards demandait au Tribunal d’ordonner au SCC de lui fournir un ordinateur portatif et d’autres appareils. J’ai conclu que, bien que M. Richards ait le droit de se préparer à l’audience et d’avoir un accès raisonnable aux outils nécessaires pour ce faire, la solution proposée par le SCC de fournir à M. Richards des copies papier des documents divulgués était raisonnable et ne compromettait pas l’équité procédurale. Les considérations liées à la sécurité en milieu carcéral doivent être soupesées par rapport au droit de M. Richards de se préparer pour son audience.

[3] Le 19 mars 2024, M. Richards m’a demandé de réexaminer cette décision sur requête. Selon lui, toute autre façon de procéder retardera davantage l’instruction d’une affaire qui est en cours depuis déjà une décennie. La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») appuie la demande de réexamen de M. Richards. Elle affirme qu’un changement important dans la situation est survenu, de sorte qu’il est justifié que je modifie ma décision sur requête. Le SCC s’oppose à la demande de réexamen.

II. DÉCISION

[4] La demande de réexamen est rejetée. M. Richards n’a pas été privé de son droit à la justice naturelle, et il n’y a eu aucun changement important dans la situation qui justifierait la modification de la décision sur requête. Si M. Richards n’est pas en mesure de se préparer équitablement pour son audience ou s’il a besoin de mesures d’adaptation pour des motifs religieux ou médicaux ou pour d’autres motifs, il peut le demander. Lui fournir un ordinateur portatif et l’autoriser à s’en servir dans sa cellule n’est pas le seul moyen de veiller à ce qu’il puisse participer pleinement et équitablement à la présente instance.

III. ANALYSE

[5] Les tribunaux administratifs peuvent réexaminer leurs propres décisions lorsqu’elles ont été rendues sans égard à la justice naturelle (Harrison c. Première Nation de Curve Lake et Société canadienne des postes, 2019 TCDP 36, au par. 15, citant Aubut c. Ministre du Revenu national, [1990] A.C.F. no 1100, à la p. 2). Encore faut-il que le dossier soit constitué de manière à révéler les atteintes à la justice naturelle (Aubut, au par. 8).

[6] Les tribunaux administratifs sont maîtres de leur procédure et peuvent réexaminer leurs décisions. Toutefois, déposer une demande afin qu’ils reconsidèrent, réexaminent ou tranchent à nouveau des questions déjà jugées est un recours extraordinaire. Généralement, le Tribunal n’a pas pour pratique de réexaminer une question qui a déjà été tranchée. S’il en était autrement, ce type de requête pourrait porter atteinte aux principes relatifs au caractère définitif des décisions rendues par les tribunaux judiciaires et administratifs ainsi qu’à l’intégrité de l’administration de la justice (Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2018 TCDP 8, aux par. 5 et 6).

[7] M. Richards affirme qu’il n’interjette pas appel de la décision sur requête du Tribunal, et que celle-ci était correcte compte tenu des circonstances. Il affirme que c’est sa faute s’il n’a pas répondu aux observations du SCC et s’il a présumé que le Tribunal se prononcerait en sa faveur. Cependant, il soutient que l’affidavit souscrit par le directeur de l’établissement, qui accompagnait les observations du SCC, était rempli de déclarations fausses. Il fait également valoir que son courrier ne lui a pas été remis en temps opportun et qu’il jeûne pendant le ramadan, ce qui signifie qu’il a peu d’énergie et qu’il ne dort pas bien. M. Richards soutient que tout temps passé dans sa cellule devrait être consacré à la recherche et à la préparation en vue de son audience et qu’il devrait à cette fin avoir accès, sans restriction, à un ordinateur portatif, comme cela a été autorisé dans le cas d’un autre détenu. Selon M. Richards, toute autre façon de procéder porterait atteinte à son droit à l’équité procédurale et lui causerait un préjudice indu.

Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale ou à la justice naturelle

[8] Le Tribunal a reçu la requête de M. Richards en vue d’obtenir un ordinateur portatif et d’autres appareils le 11 janvier 2024, et il a fixé l’échéancier des réponses et des répliques. Le SCC devait transmettre sa réponse au plus tard le 9 février 2024. M. Richards et la Commission devaient transmettre leurs répliques au plus tard le 16 février 2024.

[9] Le SCC a envoyé sa réponse par messagerie à l’établissement correctionnel le 8 février 2024. L’établissement l’a transmise à M. Richards le matin du 9 février 2024, comme en témoignent les dossiers de l’établissement. Cette réponse contenait l’affidavit du directeur de l’établissement, David Dunk.

[10] Dans sa demande de réexamen, M. Richards affirme que, le 18 mars 2024, il a informé la Commission qu’il n’avait pas reçu l’affidavit, mais que c’était faux. Il admet qu’il n’a pas lu les documents transmis par le SCC et qu’il a présumé que le Tribunal se prononcerait en sa faveur. Il affirme qu’il était préoccupé par sa santé mentale générale et que si le SCC avait préparé une table des matières il aurait vu l’affidavit du directeur de l’établissement et l’aurait lu.

[11] M. Richards devait transmettre sa réplique au plus tard le 16 février 2024. Il n’a pas déposé de réplique dans le délai prescrit. Dix jours plus tard, soit le 26 février 2024, par excès de prudence et pour veiller à ce que M. Richards ait amplement l’occasion de répondre, le Tribunal a communiqué avec lui pour lui demander s’il avait l’intention de déposer une réplique. La Commission a écrit aux parties et au Tribunal et a confirmé que M. Richards déposerait sa réplique le 4 mars 2024. M. Richards n’a pas déposé de réplique.

[12] M. Richards fait valoir que, bien que ce soit sa faute si le Tribunal a rejeté sa requête, le Tribunal devrait réexaminer sa décision sur requête au nom de l’équité procédurale, parce que le SCC n’a pas respecté son code de discipline, parce qu’il a vécu beaucoup d’expériences traumatisantes et qu’il doit protéger sa santé mentale, et parce qu’il a d’autres obligations liées notamment à son plan correctionnel, à son emploi, à sa religion, aux programmes et à d’autres dossiers juridiques. Il me demande aussi de tenir compte du fait qu’il a peu d’énergie et qu’il jeûne parce que c’est le ramadan, et que l’ensemble de ces facteurs lui cause un préjudice indu.

[13] Je suis d’avis qu’il n’y a eu aucun manquement à la justice naturelle ou à l’équité procédurale. L’allégation selon laquelle la réponse du SCC et l’affidavit du directeur de l’établissement ont été remis tardivement à M. Richards ou étaient incomplets est sans fondement, comme en témoignent les observations de M. Richards lui-même et la confirmation de la remise des documents qui a été fournie par le SCC. M. Richards reconnaît qu’il a reçu la réponse du SCC, y compris l’affidavit, dans le délai prescrit. Bien qu’il ait choisi de ne pas lire les observations, en partie du moins pour des raisons liées à sa santé mentale et à son bien-être, il n’a demandé aucune prolongation de délai pour cette raison ou pour une autre raison. Le Tribunal lui a – de sa propre initiative – accordé plus de temps pour déposer sa réplique après l’expiration du délai prescrit pour le faire, et bien que la Commission ait informé le Tribunal que M. Richards déposerait sa réplique au plus tard le 4 mars 2024, celui-ci a choisi de ne pas le faire.

[14] Compte tenu des dates du ramadan et de l’échéancier de la requête en obtention d’un ordinateur portatif, le fait que M. Richards observe le ramadan n’aurait eu aucune incidence sur sa capacité de déposer une réplique. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, dans le contexte de la requête, la réponse du SCC et les répliques devaient toutes être déposées en février. Même si l’on tient compte du délai supplémentaire que le Tribunal a accordé à M. Richards pour lui permettre de déposer sa réplique le 4 mars 2024, toutes les observations devaient être déposées avant le début du ramadan.

[15] À mon avis, le fait que M. Richards n’a pas lu la réponse du SCC ne soulève aucune question liée à l’équité procédurale ou à la justice naturelle. Si M. Richards avait besoin de mesures d’adaptation pour des motifs religieux, médicaux ou autres en plus du délai supplémentaire que le Tribunal lui avait déjà accordé, il n’en a pas informé le Tribunal. De plus, il admet qu’il n’a pas lu la réponse du SCC parce qu’il pensait que le Tribunal se prononcerait en sa faveur.

Il n’est survenu aucun changement important dans la situation qui justifierait la modification de la décision sur requête

[16] La Commission fait valoir qu’il est [traduction] « parfaitement clair qu’un changement important dans la situation est survenu, de sorte qu’il est justifié que le Tribunal réexamine sa décision sur requête antérieure ». Selon elle, [traduction] « le Tribunal se doit de reconnaître le changement important dans la situation qui découle du ramadan, et d’en tenir compte, afin de veiller à l’équité de la procédure et au respect des droits fondamentaux de M. Richards ». La Commission soutient que le Tribunal peut prendre connaissance d’office du fait que le dernier mois était le mois sacré du ramadan et que le jeûne peut entraîner de la fatigue, surtout lorsqu’il est question d’accomplir des tâches exigeantes sur le plan mental, comme examiner un grand volume d’éléments de preuve ou analyser des documents juridiques. La Commission est d’avis que M. Richards pourrait devoir prioriser ses tâches, notamment en ce qui a trait à son plan correctionnel, aux programmes et à ses pratiques religieuses, qui lui laissent peu de temps pour se reposer et récupérer, ce qui rend sa participation à une instance judiciaire plus difficile. Elle affirme que le ramadan a débuté le 11 mars 2024 et [traduction] « [qu’]aucune partie ne s’est penchée sur l’incidence du jeûne et des obligations religieuses additionnelles du plaignant sur sa capacité d’examiner le contenu de 31 boîtes de documents ».

[17] La Commission soutient en outre que ce n’est qu’après avoir reçu les 31 boîtes de documents que M. Richards s’est rendu compte du nombre de documents à examiner, une tâche qu’il n’avait pas anticipée lorsqu’il a déposé sa requête.

[18] Dans ses observations, M. Richards affirme qu’il a des problèmes aux pieds et au dos qui entravent sa mobilité et qu’il a besoin de soins de santé. Il ajoute qu’il entend jeûner jusqu’à la fin du ramadan.

[19] Je ne souscris pas aux observations de la Commission selon lesquelles il y a eu un changement important dans la situation qui justifie la modification de ma décision sur requête. L’audience dans la présente affaire a été fixée il y a plusieurs mois, sur le fondement de la disponibilité des parties et des avocats. M. Richards a affirmé à maintes reprises qu’il souhaite que l’audience débute le plus tôt possible étant donné que l’instance est en cours depuis si longtemps. Il y a plusieurs mois, soit en novembre 2023, le Tribunal a rendu une décision sur requête portant sur le déroulement et les dates de l’audience (2023 TCDP 51).

[20] Autrement dit, tous les participants connaissent depuis des mois les dates de l’audience, qui ont été fixées après consultation des parties. La divulgation des documents est en cours depuis des années. Il n’est donc pas étonnant qu’un si grand nombre de documents ait été divulgué. Toujours est-il qu’une audience de cette envergure nécessite beaucoup de préparation, ce qui ne correspond pas à une situation nouvelle ou à un changement important dans la situation. Bien que je constate que M. Richards était auparavant représenté par un membre de sa famille, qui a reçu les documents divulgués, le Tribunal a explicitement affirmé, aux paragraphes [36] et [53] de la décision sur requête visée par la demande de réexamen, que M. Richards pouvait demander d’autres mesures de réparation, par exemple une prolongation du délai pour examiner la preuve communiquée et préparer des observations, au besoin.

[21] De plus, comme le SCC l’a confirmé, les 31 boîtes ne contiennent pas que des nouveaux documents. Certaines contiennent une deuxième copie de documents déjà transmis à M. Richards, ainsi que deux copies des documents divulgués par la Commission.

[22] Le Tribunal doit veiller ce que des mesures raisonnables soient prises pour satisfaire aux besoins des parties liés à une caractéristique protégée, comme la religion et la déficience, de façon à ce que les parties puissent participer pleinement et équitablement à l’instance. Or, cela ne signifie pas nécessairement que M. Richards devrait être autorisé à avoir un ordinateur portatif dans sa cellule, comme M. Richards et la Commission semblent le faire valoir.

[23] Lors de conférences téléphoniques préparatoires, j’ai soulevé la question des mesures d’adaptation qui pourraient être demandées. La dernière conférence téléphonique préparatoire s’est terminée plus tôt que prévu et la suite de la discussion a été reportée, parce que M. Richards a expliqué qu’il observait le ramadan et qu’il se sentait très fatigué et faible. Si M. Richards n’est pas en mesure d’examiner les documents divulgués en raison de ses problèmes de santé ou de ses pratiques religieuses, comme il le prétend dans ses observations, il peut soulever la question et demander un ajournement. Le cas échéant, je donnerai aux autres parties l’occasion de se faire entendre avant de prendre une décision à cet égard. Jusqu’à maintenant, lorsqu’on lui a demandé s’il avait besoin de plus de temps pour se préparer, compte tenu des problèmes qu’il a soulevés relativement au jeûne et à sa santé, M. Richards a répondu qu’il souhaitait que l’audience débute à la date prévue.

[24] Je rejette aussi l’argument de la Commission selon lequel le fait que le SCC a fourni à des détenus un ordinateur portatif pour qu’ils puissent visionner des enregistrements vidéo divulgués sous forme de CD-ROM constitue un changement important dans la situation. Il ne s’agit pas d’un changement important ou d’une situation exceptionnelle qui justifierait que je réexamine ma décision sur requête ou que je rende une ordonnance permettant à M. Richards d’avoir accès 24 heures sur 24 à un ordinateur portatif dans sa cellule. À mon avis, les considérations liées à la sécurité qui ont été soulevées par le SCC continuent de s’appliquer, et le fait que le CSC a permis à des détenus d’avoir accès à un ordinateur pour visionner des enregistrements vidéo ne justifie pas que je modifie ma décision sur requête.

[25] Enfin, même si M. Richards avait déposé des observations en réplique et présenté à cette occasion les arguments qu’il a présentés dans le contexte de la présente demande de réexamen, ma décision aurait été la même. Le fait que des détenus aient ou non eu accès à des CD-ROM à l’extérieur de leur cellule dans d’autres établissements n’a aucune incidence sur ma décision d’accorder ou non l’accès à un ordinateur portatif dans une cellule. Comme je l’ai déjà affirmé, même dans un contexte criminel, les tribunaux ont reconnu que les conditions ne sont pas toujours idéales pour que les détenus se préparent en vue d’une procédure judiciaire. La fourniture par le SCC de copies papier des documents est équitable et raisonnable. Bien que M. Richards ait fait valoir que le directeur de l’établissement est sur le point de prendre sa retraite, ce fait n’est pas pertinent. La preuve qui m’a été présentée ne me permet pas de conclure que M. Dunk a menti, comme il est allégué par M. Richards.

IV. ORDONNANCE

[26] La demande présentée par M. Richards en vue du réexamen de la décision sur requête du Tribunal est rejetée. Les parties doivent se conformer aux directives et aux décisions sur requête du Tribunal et se préparer en vue de l’audience qui aura lieu le 23 avril 2024.

Signée par

Jennifer Khurana

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 9 avril 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Numéros des dossiers du Tribunal : T2218/4017, T2282/3718, T2395/5419, T2647/2321

Intitulé de la cause : Ryan Richards c. Service correctionnel du Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 9 avril 2024

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Ryan Richards , pour son propre compte

Ikram Warsame , Sameha Omer et Laure Prévost pour la Commission canadienne des droits de la personne

Dominique Guimond , Sonia Bédard et Penelope Karavelas pour l’intimé

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