Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Une fois que les parties ont présenté toutes leurs preuves, elles devaient soumettre leurs arguments finaux dans quelques semaines. Pendant ce temps, les plaignants, Christopher Coyne et Penny Way, ont appris que l’intimée, la Première Nation de Salt River, avait envoyé une lettre à ses membres. Les plaignants affirment que la lettre a été envoyée en guise de représailles contre eux pour avoir déposé leurs plaintes pour atteinte aux droits de la personne. Ils ont demandé au Tribunal d’ajouter une allégation de représailles à leurs plaintes et de rouvrir l’audience pour présenter de nouvelles preuves. Le Tribunal a accepté cette demande.

En novembre 2023, la Première Nation a distribué la lettre aux membres lors d’un dîner où elle a versé des fonds à chaque habitant membre qui était présent. Elle a également envoyé des copies de la lettre à ses membres. La lettre indiquait que la Première Nation avait rédigé cette lettre pour répondre aux questions sur ces fonds. De plus, la lettre décrivait cette plainte pour atteinte aux droits de la personne et une affaire devant la Cour fédérale concernant les fonds versés à chaque habitant, qui est actuellement en appel. La lettre identifiait les plaignants et leurs témoins par leur nom. Les plaignants affirment que certaines parties de la lettre étaient intimidantes et constituaient des représailles pour cette plainte.

Le Tribunal peut autoriser l’ajout d’une allégation de représailles lorsque cette allégation est liée à la plainte initiale et est crédible. L’intimée doit être informée suffisamment à l’avance pour pouvoir se défendre contre l’allégation.

Le lien entre la lettre et la plainte était évident dans son contenu. Il n’était pas clair que la plainte pour représailles n’aboutirait pas. La Première Nation était au courant de la lettre.

Le Tribunal a accepté d’accorder des jours d’audience supplémentaires pour examiner les preuves liées à la lettre. Ces preuves pourraient influencer le résultat de l’affaire et les plaignants n’auraient pas pu les obtenir avant l’audience en faisant des efforts raisonnables. Le Tribunal a conclu qu’il pouvait répondre aux préoccupations en matière d’équité concernant la réouverture de l’audience.

Le Tribunal entendra les preuves aux dates d’audience prévues pour les conclusions finales. Les parties auront suffisamment de temps pour se préparer, compte tenu de la spécificité de la question. Le Tribunal n’acceptera que des preuves concernant les représailles, ce qui ne causera pas de retard excessif.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2024 TCDP 11

Date : Le 8 mars 2024

Numéros des dossiers : T2673/4921 et T2674/5021

Entre :

Christopher Coyne et Penny Way

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Première Nation de Salt River

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Athanasios Hadjis

 

 



I. APERÇU

[1] Les parties ont terminé de présenter tous leurs éléments de preuve dans la présente affaire, et ils devaient présenter leurs exposés finaux dans quelques semaines. Toutefois, entre-temps, les plaignants, Christopher Coyne et Penny Way, ont appris que l’intimée, la Première Nation de Salt River (la « PNSR »), avait envoyé une lettre à ses membres, ce qui, selon les plaignants, constitue une forme de représailles à leur encontre pour avoir déposé leurs plaintes pour atteinte aux droits de la personne. Ils ont déposé des requêtes pour demander au Tribunal, d’une part, l’autorisation de modifier leurs plaintes pour y ajouter une allégation de représailles au sens de l’article 14.1 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (la « LCDP »), et d’autre part, de rouvrir l’audience afin de permettre la présentation d’éléments de preuve au sujet de la lettre.

[2] La PNSR s’oppose aux requêtes. La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission »), pour sa part, y consent.

II. DÉCISION

[3] Pour les motifs qui suivent, j’accueille les requêtes des plaignants.

III. CONTEXTE

[4] Les plaignants sont membres de la PNSR, dont le territoire est situé près de la ville de Fort Smith, dans les Territoires du Nord-Ouest. La PNSR distribue à ses membres des paiements annuels, appelés des paiements de la distribution per capita (« DPC »), qui proviennent d’une fiducie établie en vertu d’une entente de règlement de la revendication issue d’un traité conclue avec le Canada en juin 2002. La PNSR a cessé de distribuer ces paiements aux plaignants en 2017. Elle soutient que seules les personnes qui figuraient sur la liste des membres au moment de la signature de l’entente, ou les descendants de ces personnes qui sont nés après juin 2002, ont droit aux paiements.

[5] M. Coyne, dont la mère biologique est membre de la PNSR, a été adopté en bas âge par une famille non autochtone, et n’a été ajouté à la liste des membres de la PNSR qu’en 2012. Quant à Mme Way, sa grand-mère paternelle était membre de la PNSR, mais elle avait perdu son statut d’« Indien[ne] » au sens de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I‑5, lorsqu’elle avait épousé un non-Autochtone. Elle n’avait pas pu transmettre le statut au père de Mme Way, qui n’a acquis le statut et n’est devenu membre de la PNSR qu’après l’adoption de la Loi modifiant la Loi sur les Indiens, L.C. 1985, ch. 27, aussi connue sous le nom de projet de loi C-31. Toutefois, il n’était pas pour autant autorisé à transmettre le statut à ses enfants. Cette restriction a par la suite été annulée par l’adoption de la Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens, L.C. 2010, ch. 18, également connue sous le nom de projet de loi C-3, et Mme Way a obtenu le statut d’Indienne inscrite en 2011. Les deux plaignants sont nés avant 2002.

[6] Ils allèguent que leur situation de famille, qui est un motif de distinction illicite, a été un facteur dans la décision de la PNSR de leur refuser les paiements de la DPC.

[7] L’instruction de leurs plaintes a eu lieu en personne, à Edmonton, du 30 octobre au 10 novembre 2023. L’audience s’est poursuivie par vidéoconférence les 9 et 10 janvier 2024, avec le témoignage du dernier témoin de la PNSR. Elle a ensuite été ajournée aux 26 et 27 mars 2024, dates auxquelles les parties devaient présenter leurs arguments finaux par vidéoconférence, après avoir préalablement partagé les grandes lignes de leurs observations par écrit.

[8] Le 14 février 2024, les plaignants ont déposé les présentes requêtes. Ils ont expliqué qu’un membre de la PNSR résidant à Fort Smith les avait récemment informés qu’il avait reçu une lettre par la poste. Cette lettre avait été envoyée dans une enveloppe arborant le logo de la PNSR. Comme l’explique la PNSR dans ses observations concernant les requêtes, elle avait d’abord fourni des copies de cette lettre aux membres qui avaient participé à un dîner organisé à Edmonton, en novembre 2023, à l’occasion duquel on avait distribué les paiements de la DPC aux membres présents. La PNSR a également fait parvenir des copies de la lettre à ses membres par la poste. La PNSR organise habituellement ce genre de dîner annuel pour rencontrer les membres qui résident à l’extérieur de Fort Smith afin de leur distribuer les paiements annuels de la DPC.

[9] La lettre indiquait qu’elle visait à répondre aux questions que le chef et le conseil de la PNSR avaient reçues au sujet des [traduction] « demandes en cours concernant les paiements de la DPC ». Elle visait aussi à expliquer non seulement ce qui se passait dans la présente affaire, mais aussi ce qui s’était passé dans une affaire mettant en cause un autre membre qui s’était adressé à la Cour fédérale, également au sujet des paiements de la DPC. La Cour fédérale s’est prononcée en faveur de ce membre, mais la PNSR a interjeté appel de la décision devant la Cour d’appel fédérale, où l’affaire est toujours en instance.

[10] La lettre nomme les plaignants en l’espèce et leurs témoins. Mme Way fait valoir que le ton de la lettre ressemble à une attaque contre les plaignants et les personnes qui les ont aidés. Elle allègue que certaines parties de la lettre visent à intimider ou à menacer toutes les personnes concernées par sa cause. M. Coyne reconnaît se sentir lui aussi intimidé et mis à l’écart par la lettre de la PNSR. Ils soutiennent tous deux que celle-ci constitue une forme de représailles au sens de l’article 14.1 de la LCDP, et qu’il s’agit par conséquent d’un acte discriminatoire.

IV. QUESTIONS EN LITIGE

[11] Je dois examiner les deux questions suivantes :

  1. Les plaignants devraient-ils être autorisés à modifier leurs plaintes pour y inclure une allégation selon laquelle la PNSR a commis un acte discriminatoire en usant de représailles contre les plaignants, au sens de l’article 14.1 de la LCDP?

  2. L’audience devrait-elle être rouverte pour permettre aux plaignants de présenter des éléments de preuve concernant la lettre?

V. ANALYSE

A. Les plaignants peuvent modifier leurs plaintes pour y ajouter une allégation fondée sur l’article 14.1

[12] Le Tribunal a le pouvoir de modifier une plainte pour y ajouter une allégation de représailles (Saviye c. Afroglobal Network Inc., 2016 TCDP 18, au par. 14). Une modification devrait être autorisée si l’allégation de représailles est, de par sa nature, liée à la plainte initiale et peut être considérée comme soutenable (Virk c. Bell Canada (Ontario), 2004 TCDP 10, au par. 7). La modification ne devrait pas être autorisée s’il est manifeste et évident que l’allégation ne saurait être jugée fondée. Un préavis suffisant doit être donné à l’intimé afin de ne pas lui causer préjudice et de lui permettre de se défendre de façon appropriée (Bressette c. Conseil de bande de la Première nation de Kettle et Stony Point, 2004 TCDP 2, aux par. 5 et 6).

[13] En l’espèce, le lien entre les plaintes initiales et l’allégation de représailles est évident. La lettre traite explicitement des plaintes. Elle fournit des détails sur l’audience, y compris sur les personnes qui y ont témoigné, et à quel moment. Elle expose le point de vue de la PNSR sur les faits qui ont mené à sa décision de cesser de verser des paiements de la DPC aux plaignants et à d’autres membres dont la situation est similaire. La lettre se termine en informant les membres de ce qui, selon la PNSR, serait les conséquences possibles pour la PNSR et ses membres si les plaintes étaient jugées fondées. Je suis convaincu que le lien est établi.

[14] La question suivante est celle de savoir si l’allégation de représailles est soutenable. Les plaignants soulignent le ton de la lettre et le fait qu’elle ressemble à une attaque contre eux, d’autant plus qu’elle les identifie nommément. Selon la lettre, les témoins de Mme Way ont témoigné [traduction] « contre la PNSR », et les témoins appelés par la PNSR, eux, ont témoigné [traduction] « pour la PNSR ». La Commission soutient que ces affirmations pourraient avoir pour effet de retourner des membres de la communauté contre les plaignants et d’isoler davantage ces derniers de la communauté. La lettre pourrait aussi être une tactique d’intimidation visant à dissuader les membres de témoigner dans le cadre de futures demandes relatives aux paiements de la DPC.

[15] La lettre indique également que, si les plaintes sont accueillies, le montant des paiements de la DPC versé aux membres diminuera, et certains paiements pourraient ne pas être effectués. Les plaignants ne sont pas d’accord pour dire que tel serait le cas, et ajoutent que cette déclaration ne fera qu’inciter encore davantage d’autres membres à se retourner contre eux. M. Coyne soutient que le fait de le nommer, dans la lettre, en tant que personne dont la plainte relative aux droits de la personne risque d’entraîner la perte de paiements de la DPC pour les membres, constitue une tentative de salir sa réputation. Mme Way affirme qu’elle craint des représailles supplémentaires de la part d’autres membres en raison de la perception qu’ils pourraient avoir d’elle par suite des affirmations faites dans la lettre. Elle ajoute que la PNSR tente d’inciter les membres à s’élever contre elle et M. Coyne. Selon Mme Way, la lettre changera la perception que les membres auront de chaque personne nommée. Mme Way évoque également le moment où la lettre a été envoyée, et soulève la question de savoir si on a fait en sorte d’exercer les présumées représailles une fois que les preuves des plaignants ont été closes, ce qui rendrait plus difficile la modification de leurs plaintes ou le dépôt en preuve de la lettre.

[16] La PNSR réplique en soulignant que, pour qu’une plainte de représailles soit accueillie, le plaignant doit établir qu’il a subi un traitement défavorable, et que sa plainte en matière de droits de la personne a été un facteur dans la manifestation de ce traitement (Beattie c. Affaires autochtones et du Nord Canada, 2019 TCDP 45, au par. 128, conf. par Bangloy c. Canada (Procureur général), 2021 CAF 245). La PNSR soutient qu’il est manifeste et évident que l’allégation ne peut donner lieu à aucune conclusion de traitement défavorable. Selon elle, la lettre fournit simplement un compte rendu factuel de ce qui s’est produit dans la présente instance et dans celle devant la Cour fédérale, en indiquant les noms des plaignants et des témoins. Il s’agit de renseignements publics.

[17] En ce qui concerne l’utilisation des termes [traduction] « pour » et [traduction] « contre », la PNSR souligne qu’il s’agit d’[traduction] « expressions courantes » utilisées dans un litige pour dire qu’un témoin appelé par une partie témoigne pour cette partie, et contre la partie adverse. Aucun effet préjudiciable n’en résultera.

[18] Dans ses observations, la Commission a renvoyé à la décision Dixon c. La Première Nation de Sandy Lake, 2018 TCDP 18 [Dixon], où le Tribunal avait examiné le bien-fondé d’une plainte de représailles fondée sur l’article 14.1. Le Tribunal a conclu que l’affichage, sur un tableau, de la décision de la Commission de ne pas renvoyer la plainte relative aux droits de la personne du plaignant constituait un traitement défavorable. La PNSR allègue que les faits dans l’affaire Dixon se distinguent de ceux de l’espèce. L’affiche divulguait des renseignements sur l’enquête de la Commission qui n’étaient pas publics, contrairement aux détails sur l’audience des plaignants, tenue publiquement.

[19] Enfin, la PNSR conteste l’allégation des plaignants selon laquelle la lettre laisse planer une menace au sujet de la distribution future de paiements de la DPC. La lettre elle-même ne refuse aucun paiement, et n’en révoque aucun. Elle ne fait que réitérer la position publique officielle de la PNSR, que cette dernière a exprimée tout au long de l’instance, et selon laquelle les membres subiront un préjudice indu si le revenu de la fiducie de règlement finit par s’épuiser considérablement, ce qui entraînera une réduction des paiements de la DPC.

[20] Par conséquent, la PNSR affirme que l’allégation de représailles avancée par les plaignants n’est pas soutenable. Je ne suis pas convaincu. La PNSR a certainement soulevé des arguments importants sur lesquels elle peut s’appuyer pour faire valoir que l’allégation de représailles ne devrait pas être jugée fondée. Toutefois, à ce stade-ci, il n’est ni manifeste ni évident que l’allégation devrait être rejetée. Il est possible, pour les plaignants, de présenter des éléments de preuve et de faire valoir que le contenu de la lettre, son ton et l’interprétation à en faire, à la lumière de l’ensemble du contexte, y compris la façon dont elle a été diffusée, constituait un traitement défavorable.

[21] En ce qui concerne la dernière question du préavis suffisant à donner, il ne fait aucun doute que la PNSR est suffisamment au courant de la lettre. Elle a été envoyée en novembre 2023. Comme je l’expliquerai plus loin dans la présente décision, j’autoriserai la réouverture de l’audience afin de prendre connaissance des éléments de preuve concernant la lettre, et nous utiliserons les dates d’audience que nous avions déjà réservées pour les observations finales (les 26 et 27 mars 2024). J’ai déjà annulé les dates initialement prévues pour l’échange d’observations écrites et les arguments oraux finaux. Par conséquent, les arguments finaux ne pourront vraisemblablement pas être entendus avant mai 2024, au plus tôt. Compte tenu de ce délai, je suis convaincu que l’ajout de l’allégation de représailles aux plaintes ne causera aucun préjudice à la PNSR.

[22] Je suis donc persuadé que le critère à remplir pour obtenir l’autorisation d’ajouter une allégation de représailles en vertu de l’article 14.1 de la LCDP a été respecté. Il y a lieu d’accueillir les demandes des plaignants.

B. L’audience devrait être rouverte pour permettre la présentation d’éléments de preuve concernant l’allégation de représailles

[23] Les facteurs à prendre en considération avant de rouvrir une audience ont été précisés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., 2001 CSC 59 (CanLII), [2001] 2 R.C.S. 983 [Sagaz]. La Cour a conclu qu’un tribunal doit se demander si l’issue de l’affaire aurait vraisemblablement été différente si les éléments de preuve en cause avaient été présentés, et s’il aurait été possible d’obtenir les éléments de preuve avant le procès en faisant preuve de diligence raisonnable. Dans la décision Dorais c. Canadian Armed Forces, 2023 TCDP 6 [Dorais], le Tribunal a réitéré ces facteurs et a fait observer qu’un troisième élément d’analyse est apparu dans la jurisprudence, à savoir s’il existe des circonstances exceptionnelles justifiant que le tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire d’admettre des éléments de preuve supplémentaires.

[24] L’arrêt Sagaz concernait une requête en réouverture présentée après qu’un jugement eut été rendu. Comme l’a fait observer la Cour fédérale dans la décision Varco Canada Limited c. Pason Systems Corp., 2011 CF 467, au par. 17 [Varco], le premier volet du critère de l’arrêt Sagaz devrait être modifié dans le cas où le procès est terminé, mais où l’affaire est toujours en délibéré, comme en l’espèce. La première question qu’il convient de se poser, dans de telles circonstances, est celle de savoir si les éléments de preuve, s’ils avaient été présentés, auraient pu influer sur l’issue de l’affaire.

[25] Par conséquent, à mon avis, lorsqu’une décision ou des motifs définitifs n’ont pas encore été rendus, le Tribunal devrait se poser les questions suivantes :

  1. Les éléments de preuve, s’ils avaient été présentés, auraient-ils pu influer sur l’issue de l’affaire?

  2. Aurait-il été possible d’obtenir les éléments de preuve avant le procès en faisant preuve de diligence raisonnable?

  3. Existe-t-il des circonstances exceptionnelles justifiant que le Tribunal exerce son pouvoir discrétionnaire pour admettre des éléments de preuve supplémentaires?

(i) Les éléments de preuve pourraient influer sur l’issue de l’affaire

[26] Étant donné que j’ai accueilli les demandes des plaignants visant à modifier leurs plaintes afin d’y inclure une allégation de représailles, les éléments de preuve proposés concernant la lettre de la PNSR à ses membres pourraient sans aucun doute influencer l’issue de l’affaire. Si les plaignants réussissent à prouver qu’ils respectent les critères pour établir le bien-fondé de leur cause, comme il a été mentionné plus haut, l’issue de l’affaire sera alors « influencée » par les nouveaux éléments de preuve.

(ii) Il n’aurait pas été possible d’obtenir les éléments de preuve avant le procès en faisant preuve de diligence raisonnable

[27] Les plaignants n’ont pris connaissance de l’envoi de la lettre qu’après la fin de l’audition des témoignages, en janvier 2024. M. Coyne a informé le Tribunal qu’il présenterait vraisemblablement une requête en modification de sa plainte dans les jours suivant la date à laquelle il avait appris l’existence de la lettre. La PNSR indique que la lettre a été envoyée aux personnes présentes au dîner de novembre 2023, à Edmonton, au cours duquel les paiements de la DPC avaient été distribués. Apparemment, les plaignants n’étaient pas présents. Je ne dispose d’aucun élément de preuve indiquant s’ils ont été informés de ce dîner ou si, dans les circonstances, ils auraient été à l’aise d’y assister. Une chose est assez certaine, au regard des éléments de preuve déjà produits en l’espèce : la PNSR ne comptait distribuer de paiement de la DPC à aucun des deux plaignants. Je suis convaincu que les plaignants n’étaient pas au courant de la lettre au moment de l’audience, et qu’ils n’auraient pas pu en prendre connaissance plus tôt en faisant preuve de diligence raisonnable.

(iii) Circonstances exceptionnelles

[28] Compte tenu de mes conclusions concernant les deux premiers volets du critère, il n’est pas nécessaire d’examiner la question de savoir s’il existe des circonstances exceptionnelles justifiant d’accueillir la requête en réouverture. Quoi qu’il en soit, étant donné que j’ai autorisé les plaignants à modifier leurs plaintes pour présenter des éléments de preuve qui n’ont été disponibles qu’après la clôture de leurs preuves, les circonstances justifient assurément qu’on leur donne la possibilité de présenter ces éléments de preuve.

(iv) Autres facteurs

[29] Comme il l’a fait observer dans la décision Dorais, le Tribunal doit également examiner les questions du préjudice et de la justice naturelle pour déterminer s’il convient de rouvrir une audience. Je suis convaincu qu’en l’espèce, ces préoccupations sont dûment prises en compte.

[30] Les éléments de preuve seront présentés aux dates d’audience que nous avions déjà réservées aux observations finales (les 26 et le 27 mars 2024). Il s’agit d’un délai suffisant pour permettre aux parties de préparer des éléments de preuve concernant la question précise pour laquelle l’instruction sera rouverte, soit la lettre de la PNSR et la question de savoir si elle constitue des représailles donnant aux plaignants le droit à quelque réparation en vertu de la LCDP. Les parties ne seront pas autorisées à présenter des éléments de preuve échappant à la portée de cette question. Le Tribunal ne sera pas « distrait » ni « confus » par les éléments de preuve supplémentaires, pour reprendre les termes de la jurisprudence à laquelle la PNSR a renvoyé. L’instance ne sera pas indûment retardée, puisque les délais prévus pour les observations écrites et orales finales seront vraisemblablement reportés d’au plus deux mois. Même si toutes les parties devront inévitablement utiliser des ressources additionnelles pour composer avec la présentation d’éléments de preuve supplémentaires, il est dans l’intérêt de la justice de rouvrir l’audience.

[31] Dans leurs observations sur les requêtes, les parties ont discuté de la question de savoir si les éléments de preuve concernant la lettre seront pertinents quant aux demandes de réparation existantes des plaignants, particulièrement celle fondée sur le paragraphe 53(3) de la LCDP. Il s’agit d’une question qui pourra être tranchée dans le cadre des arguments finaux. Elle ne devrait avoir aucune incidence sur le temps requis pour présenter les éléments de preuve supplémentaires à la réouverture de l’audience.

VI. ORDONNANCE

[32] Les demandes des plaignants visant à modifier leurs plaintes pour ajouter une allégation de représailles en vertu de l’article 14.1 de la LCDP sont accueillies.

[33] Les demandes des plaignants visant à rouvrir l’audience pour permettre l’examen de l’allégation de représailles sont accueillies.

[34] L’audience reprendra les 26 et 27 mars 2024, par vidéoconférence.

[35] Les plaignants présenteront leur preuve principale, sous réserve d’un contre‑interrogatoire et d’un réexamen. La Commission participera à l’audience de la même manière qu’antérieurement en l’espèce. La PNSR aura le droit de produire, dans le cours normal de la procédure, des éléments de preuve en réponse si elle le souhaite.

[36] Au plus tard le 15 mars 2024, les plaignants devront fournir des résumés des témoignages anticipés de tout témoin qu’ils ont l’intention de faire témoigner à la réouverture de l’audience concernant leur allégation fondée sur l’article 14.1. Au plus tard à la même date, ils devront également fournir une déclaration détaillée des réparations qu’ils pourraient réclamer concernant l’allégation fondée sur l’article 14.1, et divulguer tout document supplémentaire qu’ils ont en leur possession et qui pourrait être pertinent par rapport à l’allégation.

[37] Au plus tard le 22 mars 2024, la Commission et la PNSR devront indiquer si elles ont l’intention d’appeler des témoins, et, dans l’affirmative, fournir des résumés de témoignages anticipés en ce qui les concerne. Elles devront également divulguer tout document qu’elles ont en leur possession, et qui pourrait être pertinent quant à l’allégation de représailles.

Signée par

Athanasios Hadjis

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 8 mars 2024

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossiers du Tribunal : T2673/4921 et T2674/5021

Intitulé de la cause : Christopher Coyne c. Première Nation de Salt River – T2673/4921, et Penny Way c. Première Nation de Salt River – T2674/5021

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 8 mars 2024

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par :

Christopher Coyne et Penny Way , pour leur propre compte

Sophia Karantonis et Jonathan Bujeau , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Colleen Verville et Jessica Buhler , pour l'intimée

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