Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Dans la présente décision sur requête, il est question d’une demande de la Gendarmerie royale du Canada concernant une audience qui se tiendrait en personne à Burns Lake (Colombie-Britannique), en novembre 2023. L’audience a commencé en mai 2023 en présence des parties et du Tribunal à Burns Lake. La plupart des témoins des plaignants y ont témoigné pendant deux semaines. L’audience s’est ensuite poursuivie pendant quatre semaines de plus en mai et juin 2023 au moyen de la plateforme de vidéoconférence Zoom. Le Tribunal a planifié presque cinq semaines supplémentaires d’audience pour l’automne 2023. Le Tribunal y entendra les témoignages de plusieurs témoins qui répondront à la preuve concernant l’une des réparations demandées par les plaignants. L’intimé, la Gendarmerie royale du Canada, a fait part de son intention d’appeler comme témoins certains officiers supérieurs du district du Nord de la Colombie-Britannique et une personne de son unité de police autochtone à Burns Lake.

L’intimé soutient que Zoom n’est pas un substitut adéquat à une audience en personne et que faire témoigner ses témoins en personne aurait plusieurs avantages. En particulier, tenir une audience en personne montrerait que le Tribunal et les parties sont déterminés à être présents dans la communauté pendant le processus d’audience et permettrait aussi aux personnes d’entendre et de voir les preuves dans leur communauté ainsi que de voir et d’entendre les officiers directement.

Les plaignants et la Commission canadienne des droits de la personne se sont opposés à cette requête et ont demandé que l’audience se déroule par vidéoconférence. Le Tribunal examine les demandes d’audience en personne au cas par cas, tout en tenant compte des préférences et des intérêts des parties, de l’équité et de l’accessibilité de la forme d’audience, et des exigences en matière de santé et de sécurité. De plus, le Tribunal prend en considération le coût, le temps et les efforts pour les parties et pour le Tribunal par rapport à la nature de la procédure. Dans ce cas-ci, le Tribunal a estimé qu’il était préférable de tenir l’audience par Zoom. Il a donc rejeté la requête de l’intimé et l’audience se tiendra sur Zoom.

Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Tribunal's coat of arms

Canadian Human Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 42

Date : 15 septembre 2023

Numéro du dossier : T2459/1620

Entre :

Cathy Woodgate, Richard Perry, Dorothy Williams, Ann Tom, Maurice Joseph et Emma Williams

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Gendarmerie royale du Canada

l’intimée

Décision sur requête

Membre : Colleen Harrington

 



I. Contexte

[1] L’audience sur la plainte est en cours. Elle a commencé avec les parties et le Tribunal en personne à Burns Lake, en Colombie-Britannique, où la plupart des témoins des plaignants ont témoigné sur une période de deux semaines, du 1er au 12 mai 2023. L’audience s’est ensuite poursuivie au moyen de la plate-forme de vidéoconférence Zoom pendant quatre semaines supplémentaires en mai et en juin 2023. Le Tribunal n’a pas encore entendu tous les éléments de preuve que les parties ont l’intention de présenter. Plusieurs témoins doivent encore être convoqués, notamment en ce qui a trait à une réparation particulière revendiquée par les plaignants pour laquelle le Tribunal a dû rendre une décision sur requête, dans laquelle il a accepté de leur permettre de rouvrir leur dossier (2023 TCDP 21). Par conséquent, presque cinq semaines supplémentaires d’audience ont été prévues à l’automne 2023. Le reste de l’audience devrait avoir lieu par vidéoconférence.

[2] La GRC a demandé au Tribunal de tenir une autre portion de l’audience en personne à Burns Lake en novembre 2023, afin d’entendre trois de ses témoins. Bien que la GRC ait demandé antérieurement au Tribunal d’entendre certains de ses témoins en personne à Vancouver ou à Burns Lake, cette demande a fini par être abandonnée.

[3] Dans la présente décision sur requête, il est question de la deuxième demande de la GRC concernant une audience en personne qui se tiendrait à Burns Lake en novembre 2023. Les plaignants et la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») s’opposent à la demande et demande à ce que l’audience ait lieu par vidéoconférence.

II. Demande d’audience en personne de la GRC

[4] La demande actuelle de la GRC a été présentée pour la première fois au Tribunal et aux parties lors d’une conférence téléphonique préparatoire tenue le 12 juin 2023. Selon le résumé de cette conférence téléphonique, la GRC a fait part de son intention de convoquer à titre de témoins des officiers supérieurs du district du Nord de la Colombie-Britannique et une personne de son unité de police autochtone à Burns Lake. L’intention était de convoquer ces témoins en réponse aux éléments de preuve des plaignants concernant une des réparations qu’ils revendiquent, dont il sera question vers la fin de l’audience. La GRC a indiqué qu’elle voudrait peut-être aussi faire témoigner un expert en réponse aux éléments de preuve supplémentaires des plaignants.

[5] Durant la conférence téléphonique préparatoire tenue le 12 juin, la GRC a indiqué qu’elle voulait que ces témoins comparaissent en personne à Burns Lake afin que la communauté puisse entendre leurs témoignages. L’avocate des plaignants s’y est opposée, soulignant que le coût pour les plaignants de faire revenir leur avocate à Burns Lake serait vraisemblablement prohibitif. Le Tribunal s’est demandé pourquoi il serait nécessaire d’entendre ces témoins en personne, puisque les membres de la communauté ne pourraient être obligés d’entendre les témoignages en personne et que ceux qui souhaitent visionner l’audience pourraient continuer de le faire par vidéo, comme ils le font depuis la fin mai. Toutefois, j’ai indiqué que cette demande pourrait être examinée plus en détail plus tard.

[6] Le 20 juillet 2023, la GRC a écrit au Tribunal et aux parties pour demander que trois de ses témoins, qui seront convoqués en réponse aux éléments de preuve supplémentaires des plaignants concernant les réparations, soient autorisés à témoigner en personne à Burns Lake. Ces trois témoins ont été identifiés comme étant le surintendant Dee Stewart de la division E, le surintendant principal Warren Brown, le commandant divisionnaire du district du Nord et un des trois officiers des services de police autochtones à Burns Lake, dont le nom n’a pas été indiqué à ce moment-là. La GRC a dit comprendre que les éléments de preuve des plaignants concernant les réparations commenceraient à être présentés le 14 novembre 2023, de sorte que ses trois témoins comparaîtraient vraisemblablement à un moment ou à un autre au cours de l’audience prévue du 14 au 24 novembre 2023.

[7] La GRC affirme que le témoignage en personne de ces trois témoins aurait plusieurs avantages, notamment les suivants : [traduction] « Les gens entendraient et verraient une fois de plus les éléments de preuve dans leur communauté et, plus particulièrement, entendraient et verraient directement les officiers. Cela montrerait aussi que le Tribunal et les parties sont déterminés à être présents dans la communauté durant l’audience et que les officiers, et la GRC, sont visibles et responsables devant la communauté et le public canadien ».

[8] La GRC soutient que Zoom n’est pas un substitut adéquat, car [traduction] « une comparution en personne lie les témoignages des officiers à la communauté et aux préoccupations éventuelles de la population. Elle permet à tous de voir et d’être vus. Elle permet de dialoguer après les témoignages ».

III. Positions des parties

[9] Le Tribunal a entendu les autres parties en ce qui a trait à la demande de la GRC de se réunir de nouveau en personne en novembre. Les plaignants et la Commission s’opposent à la demande de la GRC.

[10] Les plaignants affirment que les coûts qu’ils auraient à assumer afin que leur avocate soit présente lors de l’audience en personne à Burns Lake seraient considérables et, à leur avis, inutiles. Ils demandent au Tribunal de reconnaître que les plaignants ont des ressources financières extrêmement limitées, surtout en comparaison de la GRC. Les plaignants soulignent que la GRC est au courant de leur situation, puisqu’ils en ont déjà fait état lors de la conférence téléphonique préparatoire tenue le 12 juin 2023 lorsque la GRC a fait cette demande pour la première fois. Je fais remarquer que, durant la conférence téléphonique préparatoire tenue le 12 juin 2023, j’ai demandé à l’avocat de la GRC si sa cliente envisagerait de payer les frais de déplacement et d’hébergement de l’avocate des plaignants. Il a répondu qu’il examinerait la question. Aucune autre information n’a été fournie concernant cette demande, dont il n’a pas non plus été question dans les observations écrites de la GRC.

[11] Les plaignants indiquent aussi que les questions sur lesquelles s’appuie la demande de la GRC visant à reprendre l’audience en personne peuvent être traitées autrement. Ils affirment que si la GRC veut que les officiers soient visibles à Burns Lake, ces derniers n’ont pas à attendre l’audience du Tribunal pour le faire : [traduction] « Ils peuvent se rendre visibles et responsables devant la communauté de Burns Lake et le public canadien de nombreuses autres façons sans faire peser le coût d’une audience en personne sur les plaignants autochtones ».

[12] De même, les plaignants soutiennent que si la GRC cherche un [traduction] « dialogue naturel » après les témoignages de ses témoins, [traduction] « qu’elle n’hésite pas à faire en sorte que ses officiers soient présents dans la communauté alors qu’ils témoignent par [Z]oom et à inviter la communauté à une rencontre par la suite ».

[13] Les plaignants soutiennent que la tenue de l’audience sur Zoom permet en fait à plus de gens dans plus de communautés d’avoir accès à l’audience que si elle est tenue en personne à Burns Lake. Ils affirment que l’affaire est suivie sur Zoom dans l’ensemble de la Colombie-Britannique et dans plusieurs autres provinces. Une audience en personne tenue à Burns Lake exclurait les personnes qui n’y vivent pas.

[14] Les plaignants soulignent que la raison pour laquelle ils avaient demandé à ce que l’audience se tienne en personne à Burns Lake pendant les deux premières semaines, au cours desquelles la plupart de leurs témoins ont témoigné, était parce que bon nombre des 14 témoins qui ont témoigné n’avaient pas accès à Internet et/ou nécessitaient un soutien en personne de la part des conseillers de l’Indian Residential School Survivors Society (l’« IRSSS »), qui étaient présents durant l’audience. Les plaignants soulignent que les officiers que la GRC a proposé de convoquer en novembre 2023 n’ont ni ces difficultés ni ces besoins.

[15] La Commission est d’accord avec les plaignants sur le fait que les dates d’audience en question doivent avoir lieu par vidéoconférence plutôt qu’en personne. Elle partage les préoccupations des plaignants, surtout en ce qui a trait aux obstacles à la participation qui pourraient se dresser si l’audience est tenue en personne, étant donné l’incapacité du Tribunal de diffuser la procédure en personne sur Zoom. La Commission s’inquiète aussi du fait que le temps alloué à cette portion de l’audience serait réduit si l’audience a lieu en personne, puisque les parties pourraient avoir à se rendre à Burns Lake et à en revenir durant la semaine.

IV. Décision

[16] Pour les motifs énoncés ci-dessous, je rejette la demande de la GRC de se réunir en personne à Burns Lake pour entendre les témoignages de trois de ses témoins en réponse aux éléments de preuve des plaignants concernant une des réparations qu’ils demandent.

V. Motifs

[17] Avant mars 2020, le Tribunal tenait la plupart, voire la totalité, de ses audiences en personne dans les communautés du Canada. Compte tenu de la crise sanitaire mondiale causée par la COVID-19, le Tribunal, comme de nombreux autres tribunaux et cours au pays, s’est rapidement tourné vers des plates-formes de vidéoconférence pour tenir ses audiences. Depuis lors, le Tribunal tient la plupart de ses audiences par vidéoconférence, puisqu’il estime que cette technologie est économique et facile à utiliser et lui permet de mener ses enquêtes sur les plaintes de façon juste et efficace.

[18] L’assouplissement des restrictions en matière de santé publique a permis au Tribunal de recommencer à offrir des audiences en personne sur demande, ainsi que des audiences hybrides, bien que la majorité des audiences continuent de se tenir entièrement par vidéoconférence.

[19] Le Tribunal a déjà déterminé que la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 [LCDP] exige du Tribunal qu’il « s’assur[e] que le lieu de l’audition respecte les normes de la LCDP qui exigent un processus d’instruction équitable, informel, expéditif et ouvert, où chaque partie a la possibilité pleine et entière de comparaître, de présenter des éléments de preuve et de faire des observations (voir les paragraphes 48.9(1), 50(1) et 52(1) de la LCDP) » (Temple c. Horizon International Distributors, 2016 TCDP 20 (CanLII) au par. 11). Le Tribunal a conclu que les audiences par vidéoconférence respectent ces exigences (Hugie c. T-Lane Transportation and Logistics, 2020 TCDP 25 (CanLII) [Hugie]).

[20] Le Tribunal a déterminé que l’utilisation de la vidéoconférence est une alternative tout à fait appropriée à une audience en personne, qui est juste et équitable et qui sauvegarde les principes de justice naturelle et d’équité procédurale (Hugie au par. 21; Duverger c. 2553-4330 Québec Inc. (Aéropro), 2018 TCDP 12 (CanLII) [Duverger] aux par. 27 à 36).

[21] Toutefois, cela ne signifie pas que le Tribunal ne prendra pas en considération les demandes comme celle de la GRC. Dans Duverger, le Tribunal a indiqué ce qui suit :

[D]ans certaines circonstances, le Tribunal [peut] décider que l’utilisation de la visioconférence n’est pas appropriée, par exemple lorsqu’une personne est atteinte de certaines déficiences, lorsque le dossier est d’une grande complexité ou lorsque les technologies disponibles ne permettent pas d’avoir une qualité de visioconférence suffisante. Ces exemples ne sont pas limitatifs et le Tribunal devra évaluer les circonstances et rendre une décision au cas par cas (au par. 38).

[22] En effet, les demandes d’audience en personne sont évaluées au cas par cas, le Tribunal tenant compte des préférences et des intérêts des parties, de l’équité et de l’accessibilité de la forme d’audience et des exigences en matière de santé et de sécurité. La proportionnalité est aussi un facteur, ce qui signifie que le Tribunal examinera le coût, le temps et les efforts pour les parties et pour le Tribunal par rapport à la nature de la procédure.

A. Il est injuste pour la GRC que ses témoins comparaissent par vidéoconférence.

[23] Dans ses observations en réponse, la GRC affirme ce qui suit : [traduction] « Puisque le Tribunal a fait droit à la demande des plaignants visant à ce que leurs témoins ordinaires témoignent en personne à Burns Lake et a en réalité rejeté notre demande visant la même chose pour le sergent Mackie, il doit faire droit à la présente demande afin d’assurer l’équité et l’équilibre de l’audience ».

[24] La GRC laisse entendre que l’équité exige que le Tribunal doive traiter toutes les parties de la même façon. Une telle approche ne concorde pas avec l’exigence d’examiner chaque requête ou demande sur la base de ses propres faits.

[25] La demande des plaignants visant à ce que leurs témoins soient entendus en personne, qui a été présentée en novembre 2022, était fondée en partie sur leurs traditions autochtones pour [traduction] « transmettre les connaissances oralement et en personne ». La demande indiquait ce qui suit :

[traduction]

Les traditions des Autochtones veulent que lorsque nous parlons, nous nous réunissions en cercle et nous organisions des cérémonies qui honorent les raisons pour lesquelles il importe tant de dire la vérité et aussi d’écouter les autres. Le « système judiciaire » et le Canada n’ont pas écouté. Nous essayons depuis de nombreuses décennies de raconter ces histoires.

Nous ne voulons pas que la personne qui décide si ce que nous disons est vrai ou faux soit à l’extérieur de notre cercle. La plupart des gens n’ont pas d’ordinateur – nous ne pouvons nous joindre à la conversion par [Z]oom. Nous raconterons nos histoires et nous nous attendons à ce que la personne qui les écoute soit aussi là en personne.

Cathy Woodgate n’est plus des nôtres. Elle n’a pas pu raconter son histoire au tribunal des droits de la personne. Elle, Emma Williams et Ann Tom — qui ont été certaines des braves personnes à déposer la plainte contre la GRC — sont maintenant décédées. D’autres témoins, frères, sœurs et amis ne sont plus en vie. En leur honneur, en l’honneur de dizaines d’autres personnes qui sont mortes avant de pouvoir raconter leurs histoires concernant les écoles des diocèses et en notre honneur, nous demandons que la membre Harrington respecte notre culture traditionnelle et nous rencontre et nous parle en personne.

[26] Le Tribunal a fait droit à la demande des plaignants de tenir l’audience en personne, avec le consentement de toutes les parties. Des cérémonies ont eu lieu durant cette portion en présentiel de l’audience, et toutes les parties en ont profité.

[27] Outre l’argument de la GRC selon lequel le Tribunal doit entendre certains de ses témoins en personne parce qu’il a entendu de cette façon la plupart des témoins des plaignants, son argument concerne principalement son désir de faire entendre, au sein même de la communauté, ses éléments de preuve aux plaignants et à la communauté de Burns Lake. La GRC veut montrer qu’elle s’emploie à y être présente et qu’elle est visible et responsable devant la communauté et le public canadien.

[28] Dans ses observations en réponse, la GRC soutient que sa demande va de pair avec la décision sur requête du Tribunal à l’égard de la demande des plaignants d’être entendus en personne. Elle affirme que les éléments de preuve liés à la communauté doivent être entendus dans la communauté, concluant que le surintendant Dee Stewart, le surintendant principal Warren Brown et le sergent Joe Garcia [traduction] « témoigneront au sujet de la sensibilisation et du travail de la GRC au sein de la communauté de Burns Lake et des communautés des Premières Nations ».

[29] La GRC n’a pas besoin que trois de ses témoins comparaissent à Burns Lake pour que la population de Burns Lake ou du Canada assiste à leurs témoignages. En fait, la portion de l’audience par vidéoconférence a été beaucoup plus accessible au public que ne l’a été la portion en personne. Le Tribunal n’a pas pu diffuser l’audience en personne à Burns Lake, de sorte que les témoignages oraux qui y ont été faits n’ont été entendus que par les personnes présentes. Depuis lors, quiconque ayant voulu visionner l’audience tenue sur Zoom a pu le faire, dans la mesure où cette personne n’est pas assujettie à une ordonnance d’exclusion de témoins et qu’elle convient de respecter les modalités de l’ordonnance de confidentialité qui est en place.

[30] Des membres de la communauté de Burns Lake et des alentours, ainsi que d’autres personnes au Canada, ont visionné la portion de l’audience tenue par vidéoconférence, y compris les témoignages de tous les témoins de la GRC jusqu’à maintenant. Les personnes à Burns Lake qui n’ont pas d’appareil ou d’Internet pour visionner l’audience à la maison ou qui souhaitent le faire avec d’autres et avec les conseillers de l’IRSSS présents pour offrir du soutien peuvent se rendre dans la salle que le Tribunal a réservée à cette fin au bureau de la bande Ts’il Kaz Koh.

[31] En ce qui concerne le [traduction] « dialogue » que la GRC souhaite avoir avec la communauté, ce n’est pas la raison d’être première d’une audience contradictoire devant le Tribunal. Cependant, la GRC et la communauté sont bien entendu libres d’engager un tel dialogue de leur propre chef. Il n’y a probablement aucune raison pour laquelle les témoins de la GRC ne pourraient être présents à Burns Lake pour témoigner par Zoom s’ils le désirent. Je ferais remarquer, toutefois, que même si le Tribunal retournait à Burns Lake pour l’audience, rien ne garantit que les membres de la communauté viendraient entendre les éléments de preuve de la GRC en personne.

[32] Je suis aussi en désaccord avec la position de la GRC selon laquelle Zoom n’est pas un substitut adéquat à la comparution en personne. Dans Hugie, précité, le Tribunal a indiqué ce qui suit :

[28] En effet, lors d’une audience virtuelle qui utilise la visioconférence, le témoin est en direct devant le membre et le membre est en direct devant lui. Au même titre que lorsque le témoin apparait en personne devant le membre, ce dernier est en mesure de non seulement constater les signes non-verbaux du témoin, mais également de s’assurer et de contrôler que les procédures appropriées sont suivies en matière de témoignage [...].

[33] D’ailleurs, les parties n’ont eu aucune difficulté à communiquer leurs objections durant l’interrogatoire de la plupart des témoins au cours de la portion de l’audience tenue par vidéoconférence.

[34] Enfin, il est difficile de comprendre l’argument de la GRC selon lequel les témoignages du surintendant Stewart, du surintendant principal Brown et du sergent Garcia [traduction] « concerneront [plus] la communauté » que tout autre élément de preuve présenté par les témoins de la GRC, y compris les témoignages des enquêteurs et de leurs superviseurs. Aucun de ces trois témoins ne figurait sur la liste de témoins de la GRC jusqu’à bien après le début de l’audience, en dépit de l’exigence de fournir une liste de témoins avant l’audience et du fait que la GRC était au courant des réparations revendiquées par les plaignants bien avant l’audience. Bien que le Tribunal soit impatient d’entendre leurs témoignages, je ne vois aucune raison impérieuse pour le Tribunal et les parties d’être présents physiquement à Burns Lake pour le faire.

[35] Je souligne que la GRC ne soutient pas qu’elle subirait un préjudice si ces trois témoins doivent témoigner par vidéo plutôt qu’en personne. Tous ses témoins ont jusqu’à maintenant témoigné par vidéoconférence sans problème. Je ne vois aucun préjudice causé à une partie en exigeant que l’audience se poursuive par le biais de la vidéoconférence comme nous l’avons si bien fait depuis quatre semaines déjà.

[36] Un préjudice réel serait toutefois causé aux plaignants s’ils avaient à assumer le coût important d’une nouvelle réunion en personne. Le paragraphe 50(1) de la LCDP exige du Tribunal qu’il s’assure que toutes les parties ont la possibilité pleine et entière de présenter, en leur nom ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve et leurs observations. Le fait de témoigner en personne n’est pas un prérequis pour que cette exigence soit remplie. En effet, dans ce cas particulier, l’acceptation de la demande de la GRC pourrait désavantager les plaignants à cet égard. La position des plaignants est que le coût pour que leur avocate comparaisse de nouveau en personne à Burns Lake serait très important et que leurs moyens sont modestes. Il est tout à fait possible que, si la demande de la GRC est accordée, la possibilité des plaignants de présenter, par l’intermédiaire de leur avocate, des éléments de preuve et leurs observations pourrait être compromise.

[37] Le Tribunal est aussi conscient des coûts supplémentaires engendrés pour les contribuables canadiens si le Tribunal, la GRC et la Commission devaient retourner à Burns Lake pour entendre trois témoins.

B. La demande précédente de la GRC n’a pas été, [traduction] « en réalité, rejetée » par le Tribunal.

[38] Je suis en désaccord avec l’affirmation de la GRC selon laquelle le Tribunal a, en réalité, rejeté sa demande visant à ce que le sergent Mackie témoigne en personne à Burns Lake. La GRC a initialement demandé, durant la conférence téléphonique préparatoire tenue le 17 janvier 2023, que ses témoins témoignent à Vancouver, puisque les témoins des plaignants témoigneraient à Burns Lake. Il s’agit de la première demande d’une audience en personne présentée par la GRC. Dans mes directives écrites du 8 février 2023, j’ai rejeté cette demande en indiquant que, à ce moment-là, c’était encore l’exception, plutôt que la règle, de tenir des audiences en personne. Cependant, j’ai ajouté que s’il y avait une raison autre que la préférence de l’avocat, de son client ou de ses témoins de tenir une partie de l’audience en personne à Vancouver, comme il y en avait une dans le cas de la demande des plaignants, la GRC pouvait en faire la demande par écrit.

[39] Le 23 février 2023, la GRC a demandé par écrit que deux ou trois de ses témoins, notamment le sergent Mackie et le gendarme Cox, témoignent à Burns Lake en mai ou juin. Cette demande a été faite pour trois raisons.

[40] La première raison, décrite comme étant la plus importante, était la [traduction] « réconciliation ». La GRC disait que l’enquête qui est l’objet de la présente plainte pour atteinte aux droits de la personne avait été menée de manière [traduction] « rigoureuse et prudente » et qu’elle voulait que la communauté entende les enquêteurs témoigner à cet égard en personne et [traduction] « voie l’esprit dans lequel ils ont procédé à l’enquête ».

[41] La deuxième raison était qu’une vidéoconférence n’est pas un substitut de l’observation d’un témoin en personne. Étant donné que les officiers Cox et Mackie auraient beaucoup d’éléments de preuve à présenter, compte tenu qu’ils ont mené l’enquête qui est l’objet de la présente plainte, la GRC demandait au Tribunal de les entendre en personne, plutôt que par le biais d’un écran.

[42] La troisième raison était l’équité. La GRC indiquait que, pour que justice soit faite, le Tribunal devait entendre ses témoins en personne. Son argument était le même que dans le cadre de la présente demande, à savoir que le fait d’entendre les éléments de preuve de la GRC par vidéoconférence alors que le Tribunal a entendu les témoins des plaignants en personne pouvait donner la perception d’une inégalité.

[43] La demande de la GRC a fait l’objet d’une discussion lors de la conférence téléphonique préparatoire tenue le 27 février 2023. Le résumé de cette conférence indique que la GRC voudrait vraisemblablement convoquer ses témoins en personne à un moment ou à un autre au cours de l’audience prévue en juin. L’avocate des plaignants a souligné qu’il serait trop cher pour ses clients qu’elle assiste pour une deuxième fois à l’audience en personne à Burns Lake, puisqu’elle y serait déjà présente pendant deux semaines en mai, mais qu’elle leur demanderait s’ils s’opposaient à ce que la GRC témoigne en personne à Burns Lake. J’ai indiqué que la question pourrait faire l’objet d’une discussion ultérieure afin de déterminer comment et où ces officiers témoigneraient.

[44] Lors de la conférence téléphonique préparatoire suivante tenue le 14 avril 2023, l’avocate des plaignants a indiqué que les plaignants préféraient qu’aucun membre du personnel de la GRC n’assiste à l’audience, même s’ils comprenaient que la GRC était une partie et qu’elle avait le droit de le faire.

[45] Selon le résumé de la conférence téléphonique préparatoire tenue le 27 février 2023, la discussion s’est poursuivie sur la façon dont les officiers témoigneraient et sur le lieu de leur témoignage. Bien après le début de l’audience, la GRC a fait savoir que deux des trois enquêteurs, les gendarmes Cox et Hanley, ne pourraient pas du tout témoigner à l’audience en raison de problèmes de santé. La GRC a indiqué que le sergent Mackie témoignerait par vidéoconférence, ce qu’il a fait pendant plusieurs jours en juin 2023. Puisque les plaignants ont mis un peu plus de temps que prévu à finir de présenter leur preuve, toutes les parties et les témoins de l’intimée, y compris le sergent Mackie, se sont montrés collaboratifs et flexibles afin de veiller à ce que tous les témoins puissent être entendus. Je souligne qu’il a été demandé au Tribunal et aux parties de s’adapter à l’horaire du sergent Mackie, car il devait se rendre à des rendez-vous, et cela a été fait.

[46] Nous avons pu composer assez facilement avec ces problèmes d’horaire parce que l’audience se tenait par vidéoconférence. Je fais aussi remarquer que l’avocat de la GRC a confirmé, lorsque le Tribunal lui a directement demandé, que la première demande de la GRC visant les témoignages en personne de ses témoins avait été abandonnée.

VI. Conclusion

[47] Je suis d’avis que le fait de finir l’audience par vidéoconférence acquitte le Tribunal de son obligation de procéder de façon équitable et expéditive, conformément au paragraphe 48.9(1) de la LCDP.

[48] La demande de la GRC est rejetée.

Signé par

Colleen Harrington

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

15 septembre 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2459/1620

Intitulé de l’affaire : Woodgate et al. c. GRC

Date de la décision sur requête du Tribunal : 15 septembre 2023

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites par :

Karen Bellehumeur et Angeline Bellehumeur , pour les plaignants

Christine Singh et Jonathan Bujeau, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Whitney Dunn, Mitchell Taylor KC, Nima Omidi, Zahida Shawkat, Jennifer Rogers et Spencer Slipper , pour l’intimée

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