Tribunal canadien des droits de la personne

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Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 29

Date : le 7 juillet 2023

Numéro du dossier : T2664/4021

Entre :

K. L.

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Société canadienne des postes

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I. Contexte de la demande

[1] Il s’agit d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») tranchant une requête de la plaignante et de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») visant à ce que des mesures soient mises en place afin de s’assurer de la confidentialité de l’instruction, conformément au paragraphe 52(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP »).

[2] Sans entrer dans tous les détails, la plaignante demande, en raison de la violence conjugale exercée par un ancien partenaire contre elle et les risques pour sa sécurité et celle de ses enfants, que son nom ainsi que ses autres informations d’identification personnelle soient protégés.

[3] Quant à la Commission, elle présente plusieurs ordonnances précises au Tribunal et qui peuvent être résumées de la manière suivante :

  1. Une interdiction de publication;
  2. L’anonymisation du nom de la plaignante, des témoins, des lieux géographiques et des informations d’identification personnelle;
  3. La mise sous scellé du dossier du Tribunal;
  4. Le dépôt de nouveaux exposés des précisions anonymisés;
  5. L’interdiction de divulgation/distribution des enregistrements;
  6. La rétention de compétence du Tribunal sur la question de la confidentialité.

[4] La Société canadienne des postes (la « Société » ou l’« intimée ») s’oppose à la requête. Elle plaide que la requête est prématurée puisqu’elle serait fondée sur des éléments de preuve qui ne sont pas pertinents à l’égard du dossier. Elle estime aussi que le risque invoqué est spéculatif.

[5] De plus, la Société plaide que, si le Tribunal accordait la requête, les mesures de confidentialité demandées par la plaignante et la Commission seraient trop larges et devraient être considérablement limitées à l’anonymisation de l’adresse de la plaignante et de sa situation géographique actuelle, entre autres.

II. Question en litige

[6] Existe-t-il des circonstances particulières permettant au Tribunal d’ordonner des mesures afin d’assurer la confidentialité de l’instruction en raison :

  • -d’un risque sérieux d’atteinte au droit de la plaignante à une instruction équitable, de sorte que la nécessité d’empêcher la divulgation de renseignements l’emporte sur l’intérêt qu’a le public à ce que l’instruction soit publique?

  • -d’un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres, de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt de la plaignante l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique?

  • -d’une sérieuse possibilité que la vie ou la sécurité de la plaignante et de ses enfants puisse être mise en danger par la publicité des débats?

III. Décision

[7] Pour les raisons suivantes, le Tribunal accorde de la requête, en partie.

IV. Analyse

[8] La règle générale veut que les procédures judiciaires, dont celle du Tribunal, soient soumises au principe de la publicité des débats. L’article 52 de la LCDP est clair et se résume essentiellement à ceci : les procédures du Tribunal sont publiques.

[9] Néanmoins, la publicité des débats n’est pas un principe absolu et il peut exister des cas précis permettant de prendre des mesures afin d’assurer la confidentialité des débats judiciaires lorsque les circonstances l’exigent.

[10] À ce titre, la jurisprudence du Tribunal est constante. Afin de pouvoir ordonner de telles mesures, il doit exister des motifs les justifiant, et ce, conformément au paragraphe 52(1) de la LCDP (voir par exemple Woodgate et al. c. Gendarmerie royale du Canada, 2021 TCDP 20 (CanLII); A.B. et Gracie c. Service correctionnel du Canada, 2022 TCDP 15 (CanLII)).

[11] Le paragraphe 52(1) de la LCDP prévoit ces exceptions et établit les critères à respecter permettant au Tribunal d’ordonner des mesures de confidentialité. Ils peuvent être résumés de la manière suivante, soit :

  • -Il existe un risque sérieux en matière de sécurité publique [alinéa a)];

  • -Il existe un risque sérieux d’atteinte à l’équité de l’instruction [alinéa b)];

  • -Il existe un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres et leur protection l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique [alinéa c)];

  • -Il existe une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne soit mise en danger [alinéa d)].

[12] Dans l’arrêt Sherman (Succession) c. Donovan, 2021 CSC 25 (CanLII), au paragraphe 38, la Cour suprême a clarifié l’analyse en trois critères à respecter afin de limiter la publicité des débats judiciaires, c’est-à-dire :

1) La publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important;

2) L’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence, car d’autres mesures raisonnables ne permettront pas d’écarter ce risque; et

3) Du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs.

[13] Le Tribunal a récemment confirmé que l’analyse modifiée de la Cour suprême du Canada appuie déjà les critères traditionnels établis par le paragraphe 52(1) de la LCDP (SM, SV et JR c. Gendarmerie royale du Canada, 2021 TCDP 35 (CanLII), au par. 8). Il faut donc en comprendre que l’analyse prévue à l’article 52 de la LCDP n’est pas en contradiction avec la Cour suprême du Canada.

[14] Enfin, le Tribunal a également énoncé dans White c. Laboratoires Nucléaires Canadiens Ltée, 2020 TCDP 37 [White] que l’article 52 de la LCDP exige une analyse qui balance l’intérêt de la société à un débat judiciaire public et l’intérêt personnel de la partie qui demande la confidentialité de l’instruction en tout ou en partie (White, au par. 54). Autrement dit, il existe un fardeau à satisfaire afin qu’une ordonnance de confidentialité soit accordée.

[15] Comme le prévoit le paragraphe 52(1) de la LCDP, le membre doit être convaincu qu’une ordonnance est nécessaire pour assurer la confidentialité de la procédure. Quant à Sherman, la Cour suprême du Canada nous rappelle qu’il faut être convaincu que la mesure de confidentialité est nécessaire pour écarter le risque sérieux en question, et qu’aucune autre mesure raisonnable – autrement dit, aucune autre mesure moins restrictive – ne peut être prise afin d’écarter ce risque.

[16] Enfin, l’analyse de l’article 52 de la LCDP et de l’arrêt Sherman permet d’écarter d’emblée les cas où les ordonnances de confidentialité seraient demandées par une partie parce que c’est utile ou pratique ou parce qu’elle estime que la publication des informations serait source d’inconvénients et d’embarras. L’analyse écarte également les situations où les parties consentiraient toutes à la demande ou les situations où il y aurait absence d’opposition à la requête en confidentialité, sans toutefois que les critères de l’article 52 de la LCDP et de l’arrêt Sherman soient respectés (White, au par. 50).

[17] En raison de ce qui précède, le Tribunal estime que la requête de la plaignante et de la Commission est conforme aux alinéas 52(1)b), c) et d) de la LCDP et à l’analyse prévue dans l’arrêt Sherman, avec quelques adaptations nécessaires quant aux mesures à prendre afin de pondérer le principe de la publicité des débats judiciaires et les intérêts de la plaignante relativement à sa sécurité et celle de ses enfants. Le Tribunal abordera de front quelques arguments de la Société et expliquera pourquoi il n’y souscrit pas.

[18] La Société estime que la requête de la plaignante et de la Commission est fondée sur la présomption que la plaignante devra témoigner sur les allégations de violence conjugale dont elle a fait l’objet. Selon elle, la plaignante n’a pas établi la pertinence des informations relatives à la violence conjugale qu’elle aurait subie.

[19] Les parties se sont expressément entendues afin que les motifs de distinction illicite du sexe et du statut familial soient ajoutés à la plainte. L’objectif de cet ajout était de permettre à la plaignante de plaider que la violence genrée, dont la violence conjugale, est une forme de discrimination. À cet effet, elle a déposé un exposé des précisions modifié le 16 décembre 2021, avec l’accord des parties et du Tribunal, dans lequel elle expose sa position à cet égard, au paragraphe 21.

[20] Il est fort surprenant d’entendre la Société plaider maintenant que ni la plaignante ni la Commission n’ont établi la pertinence des allégations de violence conjugale. Contrairement à ce que plaide la Société, les allégations de violence conjugale sont actuellement présentes dans la plainte et sont pertinentes. La plaignante plaide notamment que lorsqu’elle a révélé à son employeur, la Société, qu’elle était victime de violence conjugale, elle a subi un traitement défavorable par ce dernier durant son emploi et son contrat de travail n’aurait pas été renouvelé.

[21] Le Tribunal ne comprend pas non plus l’argument de la Société selon lequel la question de la pertinence des allégations de violence conjugale doit être décidée avant la requête en confidentialité et, que de ce fait, la demande serait prématurée. La Société complexifie la procédure inutilement, alors que la plainte, comme il a été mentionné précédemment, concerne notamment la violence conjugale subie par la plaignante, les effets de celle-ci sur son emploi et le traitement défavorable qu’elle aurait subi après la révélation de cette information à son employeur.

[22] Il est clair, depuis le début de ce dossier, que la violence conjugale est un enjeu dans la plainte et son instruction. Il n’est pas nécessaire pour le Tribunal de traiter de la pertinence de ces allégations de manière préliminaire puisque le tout figure déjà dans l’exposé des précisions modifié de la plaignante. De ce fait, le Tribunal devra inévitablement entendre de la preuve sur la violence conjugale subie par la plaignante.

[23] Dans la même veine, un autre argument de la Société est que la plaignante et la Commission n’ont pas demandé au Tribunal d’introduire en preuve les allégations de violence conjugale à cette étape-ci de la procédure. Autrement dit, la requête en confidentialité serait basée sur des éléments qui n’ont pas encore été admis en preuve, qui n’ont pas encore été établis ou prouvés. Le Tribunal reste perplexe à l’égard d’un tel argument.

[24] D’abord, comme le Tribunal l’a déjà mentionné, les allégations de violence conjugale sont incluses dans la plainte. Maintenant, le Tribunal devra entendre ce qui est ultimement nécessaire relativement aux allégations de violence conjugale, ce qui n’ouvre pas la porte au dépôt d’éléments de preuve qui ne sont pas pertinents ni nécessaires à l’égard de la plainte. Il existe des limites, comme le plaide la Société. La plaignante et la Commission pourront alors se concentrer sur les éléments de la violence conjugale qui sont nécessaires relativement à la plainte et il n’est peut-être pas nécessaire pour le Tribunal de recevoir tous les détails de la violence qu’aurait subie la plaignante.

[25] Cela dit, la plaignante n’est pas représentée par avocat et le Tribunal est un tribunal administratif, qui doit nécessairement faire preuve de souplesse (paragraphe 48.9(1) de la LCDP). Le Tribunal lui donnera la flexibilité nécessaire pour qu’elle témoigne sur son expérience et qu’elle puisse raconter son histoire et ce qu’elle a vécu alors qu’elle travaillait pour la Société. Inévitablement, le Tribunal estime qu’elle parlera de son expérience de violence conjugale. Maintenant, cette situation n’enlèvera pas l’occasion à la Société de contre-interroger la plaignante, de plaider dans ses arguments finaux du poids ou de la pertinence à accorder à la preuve présentée par la plaignante, tout comme cela ne lui enlève pas l’occasion de plaider que la violence conjugale n’est pas couverte par la LCDP contrairement à l’argument de la plaignante et de la Commission.

[26] Ensuite, selon la connaissance du Tribunal, les requêtes qui sont déposées avant l’administration de la preuve qui, elle, se fait à l’audience, se fondent généralement sur des éléments qui n’ont pas encore été testés à l’audience, ce qui tombe naturellement sous le sens. C’est pourquoi une partie qui dépose une requête déposera également certains éléments afin de l’appuyer, par exemple le dépôt d’un affidavit. C’est exactement ce que la plaignante a fait. Dans cet affidavit, qui a par ailleurs été fait sous serment en bonne et due forme, la plaignante explique être une survivante de violence conjugale infligée par un ancien partenaire et a fourni beaucoup de détails sur ce qu’elle a vécu et les effets de cette violence sur elle et ses enfants.

[27] Afin de rassurer la Société, le Tribunal n’est pas, à cette étape-ci, à évaluer la preuve au dossier. L’administration de la preuve se fera à l’audience. Le Tribunal n’en est pas non plus à déterminer si la violence conjugale devrait être couverte par la LCDP. Le Tribunal entendra également les parties à ce sujet à l’audience. Toutefois, l’objectif de cette décision vise uniquement à déterminer si des mesures de confidentialité devraient être accordées pour assurer la sécurité de la plaignante et de ses enfants.

[28] À ce stade-ci, le Tribunal détient un affidavit produit par la plaignante au soutien de sa demande et de celle de la Commission. La Société n’a pas demandé de contre-interroger la plaignante sur cet affidavit, ce qu’elle aurait pu faire. Ainsi, le Tribunal peut donner foi aux faits fournis par la plaignante dans son affidavit et peut les considérer comme vraies, aux fins de la requête. Toutefois, ces allégations ne constituent pas des éléments de preuve pour l’audience. Si la plaignante décide de présenter les éléments contenus dans son affidavit à l’audience, elle devra les prouver et le Tribunal évaluera la preuve en temps opportun. La Société, quant à elle, aura l’occasion de les contester, par exemple, en contre-interrogatoire de la plaignante ou en plaidant sur le poids ou la pertinence à accorder à la preuve présentée.

[29] De même, le Tribunal n’est pas non plus en accord avec la Société, qui soutient que les allégations de violence conjugale de la plaignante, ses craintes et les actions qu’elle a dû poser afin de se protéger et protéger ses enfants sont spéculatives. Les mêmes raisons énoncées précédemment s’imposent dans les circonstances. La plaignante a déposé un affidavit qui n’a pas été contesté par la Société. En conséquence, les faits qui y sont inclus peuvent être tenus pour vrais par le Tribunal, aux fins de la requête. Cet affidavit de la plaignante est clair et catégorique quant aux risques sérieux existants et à l’absence de mesures raisonnables permettant d’écarter ces risques (par. 52(1) de la LCDP et arrêt Sherman, précité).

[30] Dans son affidavit, la plaignante explique être une survivante de violence conjugale infligée par un ancien partenaire et a produit des détails sur ce qu’elle a vécu. Elle affirme avoir été victime de violence physique et verbale et de menaces en personne, par téléphone, par message texte et sur les réseaux sociaux. Son ancien partenaire a été arrêté et accusé de plusieurs crimes en lien avec de la violence conjugale, accusations que la plaignante a retirées par la suite en raison de la pression vécue. Elle confirme qu’il a, cependant, d’autres antécédents judiciaires liés à de la violence conjugale contre d’autres femmes.

[31] La plaignante ajoute que son ancien partenaire lui a confié qu’il tuerait toute femme qui le dénoncerait à la police et qu’il est toujours recherché par la police pour de la violence infligée à une autre femme.

[32] La plaignante confirme avoir déménagé à plusieurs reprises dans les dernières années en raison de ses craintes pour sa vie et sa sécurité. Elle a également confié la garde de ses enfants à une autre personne afin de les protéger. Elle ajoute qu’elle ne croit pas que, à ce jour, son ancien partenaire connaît l’endroit où elle demeure actuellement et qu’il n’a aucune connaissance de ses coordonnées, dont son numéro de téléphone, son adresse courriel ou ses réseaux sociaux. La plaignante ne connaît pas les allées et venues de son ancien partenaire. Elle tente, dans la mesure du possible, de ne pas attirer son attention ou de l’empêcher de la retrouver.

[33] La plaignante plaide avoir subi un traitement défavorable en cours d’emploi de la part de son ancien employeur, la Société, lorsqu’elle lui a révélé être victime de violence conjugale. Son contrat de travail n’a pas non plus été renouvelé. Elle affirme qu’elle témoignera à l’audience sur la violence conjugale qu’elle a subie et ses effets sur elle, son bien-être, son rendement au travail et ses interactions avec son ancien employeur à la fin de son emploi.

[34] Elle craint donc le fait que l’instruction du Tribunal est publique, ce qui comprend, par exemple, les décisions futures du Tribunal qui contiendraient son nom, les avis publics d’audience sur son site Internet, et le fait que cela peut attirer l’attention de son ancien partenaire, des amis ou de la famille de celui-ci. Elle craint également que son dossier attire l’attention des médias, qui pourraient publier son nom et ses autres informations personnelles.

[35] La plaignante est également au courant que des organisations ont déposé au Tribunal des demandes pour assister à titre de personnes intéressées à l’instruction, en raison des allégations relatives à la violence conjugale. Elle craint que l’intérêt de ces organisations attire l’attention du public et des médias sur son dossier.

[36] Elle croit que si son ancien partenaire apprend l’existence de sa procédure devant le Tribunal, il pourrait faire une demande d’accès à l’information concernant le dossier officiel afin d’avoir accès aux documents dans son dossier. Elle croit également qu’il reconnaîtra sa voix sur les enregistrements du Tribunal s’il demandait à y avoir accès.

[37] Elle craint pour sa sécurité et celle de ses enfants si son ancien partenaire prend connaissance de ses allégations de violence conjugale. Elle redoute aussi que, si ses informations personnelles ne sont pas protégées, il soit en mesure de la retrouver elle ou ses enfants, dans le but de leur faire du mal ou de lui extorquer de l’argent.

[38] La plaignante a ajouté qu’elle veut également témoigner de la relation d’amitié qu’elle a eue avec une personne proche de son ancien partenaire et qui a essayé de la protéger. Elle affirme que son ancien partenaire n’est pas au courant de cette amitié entre elle et cette personne et que s’il apprend l’existence de cette relation, il s’en prendra nécessairement à elle.

[39] Enfin, elle croit que si ses informations personnelles ne sont pas protégées, elle ne se sentira pas suffisamment en sécurité pour témoigner librement et franchement devant le Tribunal. Elle craint que son ancien partenaire, s’il apprenait l’existence de cette procédure, puisse avoir accès à de l’information qui lui permettrait de la retrouver elle ou ses enfants. La seule solution qu’elle entrevoit, si ses informations ne sont pas protégées, sera de se relocaliser après l’audience du Tribunal, ce qui entraînera notamment des conséquences sur sa vie, ses finances et ses accès avec ses enfants.

[40] Le Tribunal est sensible aux informations qui ont été fournies par la plaignante et il détient suffisamment d’informations justifiant la mise en place de protections afin d’assurer la sécurité de la plaignante et de ses enfants au titre des alinéas 52(1)b), c) et d) de la LCDP. Le cas de la plaignante est un bon exemple des raisons pour lesquelles l’article 52 de la LCDP existe.

[41] Le Tribunal reconnaît que la violence conjugale est un fléau auquel le système de justice doit porter une attention particulière. Les cours et tribunaux ont nécessairement un rôle à jouer afin de s’assurer que les victimes de violence conjugale puissent se sentir en sécurité dans le cadre des procédures judiciaires auxquelles elles participent. Même si le risque zéro n’existe pas, il faut tenter de limiter autant que possible de mettre ou de remettre en danger la sécurité des victimes de violence conjugale lorsqu’elles doivent partager de l’information sur leur agresseur et la violence vécue.

[42] Selon les allégations fournies par la plaignante, ce qui inclut des menaces de mort, il est clair que les avantages de protéger la plaignante et ses enfants l’emportent sur les intérêts de la société à ce que le débat soit public.

[43] Lorsque le Tribunal doit analyser le risque sérieux au titre du paragraphe 52(1) de la LCDP, ce risque doit être évalué à la lumière de ce qui pourrait se produire. Autrement dit, lorsque le Tribunal soupèse l’intérêt de la société à ce que le débat judiciaire soit public, il doit aussi le faire au regard du risque sérieux existant si des mesures de confidentialité n’étaient pas ordonnées et si ce risque devait réellement se concrétiser.

[44] Dans ce cas-ci, il n’est pas question de simples craintes de la plaignante d’être embarrassée si ses informations se retrouvaient dans la sphère publique. Sous serment, la plaignante nous expose les risques sérieux pour sa sécurité et celle de ses enfants, tant sur les plans psychologique, émotif et financier que sur le plan physique. La plaignante a subi de la violence de la part de son ancien partenaire, a été victime de menaces, a dû se cacher, changer d’adresse de résidence à plusieurs reprises, se réfugier dans des refuges pour femmes en raison de cette violence et des agissements de son ancien partenaire. Il l’a cherchée, l’a retrouvée et l’a menacée par téléphone, par message texte ou sur les réseaux sociaux.

[45] La plaignante a tenté, et tente encore à ce jour, d’échapper à l’emprise de son ancien partenaire et d’éviter d’attirer son attention. Le Tribunal est inquiet lorsque la plaignante affirme que son agresseur lui a également confié qu’il tuerait toute femme qui le dénoncerait. Les mots sont forts, inquiétants et il est impossible de les ignorer.

[46] La plaignante craint fondamentalement pour sa vie si son ancien partenaire devait être mis au courant de ses procédures devant le Tribunal, s’il apprenait qu’elle allait raconter ce qu’elle a subi sous son joug. Elle craint pour sa sécurité et celle de ses enfants et affirme que sa participation à l’audience serait considérablement réduite si ses informations n’étaient pas raisonnablement protégées.

[47] C’est au regard de ces risques que le Tribunal doit évaluer la demande et il ne lui en faut pas plus afin de conclure que des ordonnances visant à protéger l’identité de la plaignante sont nécessaires en application des alinéas 52(1)b), c) et d) de la LCDP, et ce, en vue d’assurer sa protection, sa sécurité et celle de ses enfants. Ce que la plaignante affirme n’est pas anodin et il n’y a aucune chance à prendre lorsqu’il est question de la vie de quelqu’un, de sa sécurité, et surtout lorsque la sécurité d’enfants est en jeu.

[48] Enfin, la Société a déposé des copies de certains réseaux sociaux de la plaignante dans lesquels son nom complet et son emplacement actuel apparaîtraient. La Société plaide que des photos d’elle et de ses enfants se trouvent dans les réseaux sociaux de la plaignante, et qu’il existe des manières de la contacter et de lui envoyer des messages.

[49] Le Tribunal comprend que la Société plaide que le fait que les informations de la plaignante se trouvent déjà dans la sphère publique et qu’elles sont déjà accessibles par le public sèment des doutes quant à l’existence d’un risque réel et sérieux au sens du paragraphe 52(1) de la LCDP (voir par exemple A.B. et Gracie c. Service correctionnel du Canada, 2022 TCDP 15, au par. 39).

[50] À ce sujet, la Commission a précisé que la plaignante lui a confirmé que les informations contenues dans ses réseaux sociaux ne sont plus à jour. Une simple lecture des copies des réseaux sociaux de la plaignante déposées par la Société montre que les informations de la plaignante datent de plusieurs années alors que nous sommes en 2023. Selon la Commission, la plaignante a aussi confirmé ne plus demeurer à l’emplacement mentionné dans ses réseaux sociaux. Comme les réseaux sociaux de la plaignante datent de plusieurs années, sans qu’il soit possible d’établir que les informations aient été mises à jour, et que la plaignante a confirmé qu’elle ne demeure pas aux endroits mentionnés dans ses réseaux sociaux, le poids à accorder aux arguments de la Société à ce sujet se retrouve considérablement réduit. De plus, le Tribunal constate qu’il n’y a aucune référence dans ses réseaux sociaux quant à son emplacement de travail chez la Société.

[51] De plus, le Tribunal est en accord avec l’argument de la Commission selon lequel l’objectif d’une ordonnance en confidentialité n’est pas d’effacer toute existence de la plaignante dans la sphère publique. Il ne revient pas au Tribunal de le faire et celui-ci n’a aucun contrôle sur ce qui existe déjà dans la sphère publique. Le rôle du Tribunal est de déterminer s’il existe un risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence (Sherman) si la divulgation d’informations se produisait dans le cadre de sa propre procédure. Autrement dit, le Tribunal doit déterminer si la divulgation des informations de la plaignante dans sa propre procédure pose un risque sérieux au titre du paragraphe 52(1) de la LCDP, ce à quoi le Tribunal répond par l’affirmative dans les circonstances.

[52] En effet, dans le cas en question, le risque sérieux existe notamment dans les liens que peut faire l’ancien partenaire de la plaignante entre cette dernière et ses informations personnelles qui se trouveraient dans la sphère publique en raison de la procédure devant le Tribunal. L’objectif des ordonnances de confidentialité vise notamment à éviter que l’ancien partenaire puisse croiser suffisamment de données pour lui permettre de retrouver la plaignante ou ses enfants ou de susciter chez lui un désir ou une intention de tenter de la retrouver.

[53] Enfin, la Société a aussi plaidé que les mesures demandées par la Commission et la plaignante sont trop larges et devraient se limiter notamment à l’adresse de la plaignante ou à sa situation géographique. Le Tribunal pense qu’il est effectivement possible d’équilibrer l’intérêt qu’a la société à ce que le débat soit public, tout en protégeant suffisamment la plaignante et ses enfants, notamment au regard du risque sérieux existant.

[54] Le Tribunal rappelle que dans ce cas-ci, le risque sérieux se rapporte à la violence psychologique, émotive et financière possible, mais aussi à la violence physique, dont des menaces de mort qui ont été proférées par l’ancien partenaire envers les femmes qui le dénonceraient. Compte tenu du risque sérieux existant et de l’absence d’autres mesures permettant de diminuer ce risque, le Tribunal estime qu’il doit mettre en place des ordonnances afin de protéger la plaignante et ses enfants, avec quelques adaptations, afin de trouver un équilibre avec l’intérêt qu’a la société à ce que le débat judiciaire soit public.

(i) Anonymisation des procédures et protection des informations personnelles, passées et futures

[55] La première mesure qui protégera considérablement la plaignante est son anonymisation dans toute la procédure du Tribunal. L’anonymisation de la plaignante réduira considérablement le risque que son ancien partenaire puisse faire un lien entre elle et la procédure devant le Tribunal. De ce fait, l’anonymisation de la procédure permet d’atteindre en grande partie la protection qui est recherchée et diminuera considérablement le risque sérieux existant.

[56] Ainsi, aux fins de cette procédure, la plaignante sera nommée par les lettres K. L. Il n’est pas nécessaire de protéger l’identité de l’intimée dans les circonstances. Les parties devront déposer de nouveaux exposés des précisions, dans lesquels ils auront retiré toutes les références au nom de la plaignante et les auront remplacées par les lettres K. L. Les anciens exposés des précisions seront retirés du dossier du Tribunal et les nouvelles versions les remplaceront.

[57] La demande de la Commission voulant que l’entièreté du dossier du Tribunal jusqu’à ce jour soit scellée est faite parce que c’est utile ou pratique, et non par nécessité. Rien ne justifie une telle limitation au sens du paragraphe 52(1) de la LCDP ni au sens de l’arrêt Sherman. Si une demande d’accès au dossier officiel du Tribunal est faite par un membre du public ou un média, toute référence passée ou future quant au nom de la plaignante sera remplacée par K. L., dans tous les documents demandés, ce qui inclut les correspondances, les instructions, les sommaires des téléconférences de gestion d’instance, ou autres.

[58] De plus, le Tribunal estime que toutes les informations personnelles relatives à K. L. doivent être protégées, ce qui comprend l’adresse courriel, l’adresse de résidence, le numéro de téléphone et autres informations d’identification personnelle. Ainsi, pour tous les documents qui seront déposés dans le dossier du Tribunal à l’avenir, les parties devront s’assurer de caviarder toutes les informations d’identification de la plaignante, dont son adresse courriel, son adresse de résidence et son numéro de téléphone. Si ces informations devaient avoir une incidence sur la preuve, les parties et le Tribunal exploreront d’autres solutions, par exemple déposer des copies non caviardées des documents en question, mais qui pourront alors être scellées.

[59] De plus, si une demande d’accès au dossier officiel du Tribunal est faite par un membre du public ou un média, toute référence passée ou future quant à ces informations sera également protégée.

[60] Compte tenu de l’affidavit déposé par la plaignante, des observations des parties et des pièces qui y ont été jointes, le Tribunal ordonne que les observations des parties et les documents déposés au soutien de cette requête en confidentialité soient scellés en vertu du paragraphe 52(2) de la LCDP.

[61] Toute décision future du Tribunal, toute correspondance, tout courriel et tout sommaire des téléconférences de gestion d’instance nommeront la plaignante par les lettres K.L., ce qui inclut les décisions relatives aux demandes d’interventions de tierces personnes.

[62] Les correspondances futures des parties, les requêtes ou les autres documents envoyés au Tribunal ne doivent pas inclure le nom de la plaignante. Le nom de la plaignante et ses informations d’identification personnelle devront également avoir été caviardés dans les documents qui seront déposés aux fins de l’audience.

[63] Conformément à la Politique sur l’accès aux dossiers officiels du Tribunal canadien des droits de la personne, les enregistrements des téléconférences de gestion d’instance ne font pas partie du dossier officiel du Tribunal et ne sont pas accessibles à tous. Le Tribunal ordonne tout de même l’interdiction de distribution de ces enregistrements puisque le nom de la plaignante, les témoins, les emplacements géographiques, etc., y ont déjà été nommés. Si les parties ont déjà demandé l’accès à ces enregistrements des téléconférences, le Tribunal leur interdit de les distribuer à quiconque.

(ii) Noms des témoins

[64] Le Tribunal a consulté la liste de témoins de la plaignante et il reconnaît que certains témoins pourraient effectivement poser certains problèmes, notamment le nom d’un membre de la famille de la plaignante. Non seulement le nom de cet individu pose un problème, mais il faut éviter que le croisement des informations qui se retrouveraient dans la sphère publique, notamment le nom de témoins et leur emplacement de travail au sein de la Société au moment des faits allégués, ne permette à l’ancien partenaire d’identifier cette dernière et de la retrouver. Le Tribunal est également conscient qu’il faut éviter de susciter chez l’ancien partenaire une réaction qui le pousserait à tenter de retrouver la plaignante et ses enfants, et ce, en raison des enjeux de sécurité dans ce dossier.

[65] Encore une fois, le Tribunal rappelle que le risque sérieux dans le présent dossier n’est pas qu’un simple embarras si l’identité de la plaignante et ses informations personnelles devaient être divulguées. Il existe, dans notre cas, des risques quant à la sécurité de la plaignante et de ses enfants, ce qui inclut des menaces de mort qui ont été proférées par l’ancien partenaire envers les femmes qui le dénonceraient. Il faut éviter, dans le meilleur des mondes, que la procédure du Tribunal remette la plaignante et ses enfants dans une situation de danger.

[66] Pour ce faire, l’identité des témoins de toutes les parties sera protégée. Lorsque les parties déposeront leur exposé des précisions et leur liste de témoins, elles devront les identifier par les initiales de leur prénom et de leur nom de famille. Les initiales des noms des témoins doivent également être utilisées dans l’ensemble des correspondances, documents et éléments de preuve qui sont déposés au dossier du Tribunal à l’avenir. Les noms des témoins dans les correspondances du Tribunal, les sommaires de gestion d’instance, les courriels, etc. seront remplacés par leurs initiales si une demande d’accès au dossier est faite.

[67] Comme il en sera question plus loin, les noms des témoins pourront être utilisés lors des téléconférences de gestion d’instance et durant l’audience, sous certaines conditions, qui seront expliquées plus loin.

(iii) Emplacements géographiques

[68] Le Tribunal croit qu’il existe un risque sérieux que si l’ancien partenaire de la plaignante devait apprendre l’emplacement de son emploi chez la Société, il puisse être en mesure de faire le lien entre elle, la procédure du Tribunal et les allégations de violence conjugale qui le concernent. L’objectif est effectivement d’éviter que le croisement d’informations permette à cet homme de retrouver la plaignante et ses enfants, et de susciter chez lui le désir de la retrouver.

[69] Afin d’équilibrer la demande de la plaignante et l’intérêt qu’a la société à ce que le débat judiciaire soit public et transparent, le Tribunal évitera de faire référence au lieu d’emploi de la plaignante dans sa décision finale. S’il doit le faire, il utilisera l’emplacement géographique de la province en question dans ce dossier.

[70] Si les parties ou les personnes intéressées, le cas échéant, doivent mentionner un emplacement, le Tribunal demande qu’elles utilisent l’emplacement géographique de la province en question dans ce dossier.

[71] Pour le dossier officiel du Tribunal jusqu’à ce jour, si une demande d’accès au dossier est faite par un membre du public ou un média, le Tribunal retirera toute référence à un emplacement géographique, à l’exception de la province.

[72] Les parties devront, lorsqu’elles déposeront une nouvelle version de leur exposé des précisions, une liste de documents, les noms des témoins, les résumés de leur témoignage et tous les documents futurs déposés dans le dossier du Tribunal, retirer les emplacements géographiques, à l’exception de la province.

[73] Pour les éléments de preuve qui seront déposés à l’audience, les parties et les personnes intéressées, le cas échéant, devront retirer tous les emplacements géographiques qui y sont mentionnés, à l’exception de la province.

(iv) Interdiction de publication

[74] Bien qu’aucun média n’ait manifesté un intérêt pour la présente procédure, le Tribunal estime qu’un risque sérieux – c’est-à-dire pour la sécurité de la plaignante et de ses enfants, notamment au regard des menaces de mort qui ont déjà été proférées par cet ancien partenaire envers les femmes qui le dénonceraient – existe et qu’il est dans l’intérêt de la plaignante et de ses enfants que ses informations personnelles soient protégées. Le Tribunal ordonne une interdiction de publication à l’égard des noms de la plaignante et de ses enfants, de leurs informations personnelles, des noms des témoins et des emplacements géographiques pertinents, à l’exception de la province en question dans ce dossier.

[75] Afin de trouver cet équilibre avec l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique, et comme il en sera question dans la prochaine section, les membres du public et les médias seront autorisés à regarder et écouter l’audience. Cependant, l’interdiction de publication les empêche de divulguer les informations identifiées par le Tribunal à l’extérieur de l’audience afin de protéger l’identité de la plaignante et de ses enfants.

(v) Enregistrement des audiences

[76] Le Tribunal conclut qu’il existe aussi un risque sérieux lié à l’accessibilité des enregistrements audios de l’audience par l’ancien partenaire et le risque qu’il soit en mesure de croiser des informations qui lui permettraient d’identifier la plaignante et de la retracer. Encore une fois, le risque, dans ce dossier-ci, est important.

[77] Afin de permettre un équilibre entre l’intérêt qu’a la société à ce que le débat judiciaire soit public et afin de protéger suffisamment la plaignante et ses enfants, et compte tenu des risques sérieux qui existent dans ce dossier, notamment quant aux menaces de mort qui ont été proférées, le Tribunal permettra au public et aux médias de regarder et écouter l’audience, sous réserve de l’interdiction de publication en vigueur.

[78] Durant l’audience, afin de s’assurer que la plaignante, ses témoins et ceux de la Société puissent parler sans réserve et afin de permettre que l’audience se déroule de la manière la plus fluide que possible, le Tribunal permettra à tous les participants d’utiliser les noms de toutes les personnes impliquées dans la procédure et pourront aussi faire référence aux emplacements géographiques qui sont pertinents en l’instance. Le Tribunal veut que les participants puissent présenter leur preuve pleinement et entièrement et sans retenue.

[79] Cependant, les enregistrements audios de l’audience seront scellés et inaccessibles aux publics et aux médias jusqu’à la destruction du dossier par le Tribunal. Les noms de la plaignante, de ses enfants, ses informations personnelles, les noms des témoins, les emplacements géographiques pertinents dans ce dossier, à l’exception de la province, sont également frappés d’une interdiction de publication. Autrement dit, aucun participant à l’audience, membre du public ou média ne peut publier ces informations.

[80] Quant aux procès-verbaux d’audience, ils seront également accessibles au public et aux médias (alinéa 47(1)(l) des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne, 2021, DORS/2021-137), mais ils devront respecter les ordonnances du Tribunal quant à l’interdiction de publication, l’utilisation des noms de la plaignante, de ses enfants et des témoins, et la protection de ses informations personnelles et des emplacements géographiques.

[81] La seule exception est la suivante : les parties et les personnes intéressées dans le dossier pourront avoir accès aux enregistrements audios, le cas échéant, mais il leur est interdit de distribuer de tels enregistrements à quiconque, à l’exception des cours de supervision si un contrôle judiciaire de la décision finale du Tribunal devait être demandé.

(vi) Audience en personne

[82] Le Tribunal estime qu’une autre mesure pour protéger la plaignante serait de tenir une audience en personne dans des bureaux fédéraux, à un lieu à déterminer, afin que les allées et venues des membres du public puissent être contrôlées.

[83] Malheureusement, les audiences virtuelles ne permettent pas un contrôle aussi strict qu’en personne. Le Tribunal rappelle qu’il est interdit aux membres du public et aux médias d’intervenir dans l’audience, d’ouvrir leur caméra et leur microphone. Même si le Tribunal tient une liste des individus ayant demandé l’accès à ses audiences virtuelles et même s’il peut émettre une ordonnance d’exclusion des témoins, il est plus difficile de contrôler qui se trouve réellement derrière la caméra en virtuel comparativement à une audience en personne.

[84] Ainsi, et sans trancher sur la question, le Tribunal proposera aux parties que l’audience se tienne en personne, à un lieu à déterminer. Cette proposition sera discutée avec les parties ultérieurement. Le Tribunal est soucieux du fait que le mode d’audience doit avoir du sens pour les parties et qu’il peut être nécessaire d’accommoder les participants à l’audience, dans la mesure du possible.

(vii) Rétention de compétence et applicabilité des ordonnances

[85] La demande de la Commission selon laquelle le Tribunal retient sa compétence sur la question de la confidentialité est inutile. De même, il n’est pas nécessaire pour le Tribunal d’ordonner que ses ordonnances demeurent applicables malgré la fin du dossier.

[86] Les ordonnances du Tribunal s’appliquent pour le passé, le présent et le futur dans le dossier, et ce, jusqu’à la destruction du dossier officiel du Tribunal conformément à ses politiques en la matière. Le Tribunal peut formuler ses ordonnances pour en assurer la pérennité sans pourtant avoir à mentionner qu’elles demeureront en vigueur malgré la fin de l’instruction. Une telle ordonnance est donc inutile.

[87] Quant à la rétention de compétence, le Tribunal note qu’il conserve l’entière compétence sur sa procédure tant et aussi longtemps que l’instruction n’est pas terminée et que le Tribunal n’a pas disposé de la plainte. Une fois que le dossier de plainte a été fermé et que le Tribunal a épuisé son mandat en vertu de la LCDP, il est alors dessaisi de sa compétence (functus officio).

[88] Sauf dans des circonstances exceptionnelles, comme l’a établi la Cour suprême dans Chandler c. Alberta Association of Architects, 1989 CanLII 41 (CSC), [1989] 2 RCS 848, sur la notion de functus officio qui s’applique aussi aux décideurs administratifs, le Tribunal ne peut revenir sur ses décisions déjà rendues alors qu’il a rempli le mandat confié et qu’il a accompli sa raison d’être au titre de la LCDP.

[89] Ce faisant, le soussigné n’accepte pas de garder la compétence sur la question de la confidentialité pour le futur, ce qui voudrait autrement dire que le Tribunal ne garderait pas la porte ouverte afin de traiter de la confidentialité dans ce dossier, et ce, après que la plainte ait été tranchée et qu’une décision finale ait été rendue.

[90] Toutefois, les parties peuvent toujours soumettre des demandes additionnelles en matière de confidentialité durant la procédure, si cela est nécessaire, ou demander au Tribunal de reconsidérer durant la procédure certaines ordonnances s’il existe des motifs ou des circonstances spéciales justifiant la reconsidération de la présente ordonnance.

V. Ordonnance

[91] En résumé, le Tribunal émet les ordonnances suivantes, qui doivent être lues à la lumière des motifs expliqués dans cette décision pour plus de détails.

[92] Anonymisation de la plaignante et protection de ses informations personnelles :

  1. Dans toute la procédure, la plaignante doit être identifiée par les lettres K. L.;
  2. Dans toute la procédure, les informations personnelles de la plaignante, ce qui inclut notamment son adresse courriel, son adresse de résidence, son numéro de téléphone et autres informations d’identification personnelle, seront protégées;
  3. Pour tout document futur déposé dans le dossier du Tribunal, les parties doivent s’assurer de caviarder toutes les informations identifiant la plaignante, notamment son adresse courriel, son adresse de résidence, son numéro de téléphone et autres informations d’identification personnelle;
  4. En cas de demande d’accès au dossier officiel du Tribunal, toute référence passée ou future au nom de la plaignante sera remplacée par K. L. et toute autre information personnelle qui se trouve dans les documents demandés, ce qui pourrait inclure les correspondances, instructions et sommaires de téléconférence de gestion d’instance, sera protégé;
  5. Les observations et les pièces relatives à cette décision sont scellées au titre du paragraphe 52(2) de la LCDP;
  6. L’ensemble des décisions, correspondances, courriels et sommaires des téléconférences de gestion d’instance futurs du Tribunal nommeront la plaignante par les lettres K. L.;
  7. Les enregistrements des conférences de gestion d’instance seront scellés et seront inaccessibles. Si les parties ont déjà reçu des copies de ces enregistrements, il leur est interdit de les distribuer.

[93] Anonymisation des témoins :

  1. L’identité des témoins de toutes les parties sera protégée;
  2. Dans les exposés des précisions des parties et leur liste de témoins, le nom des témoins doit être remplacé par les premières lettres de leur prénom et nom de famille;
  3. Les initiales des noms des témoins doivent être utilisées dans l’ensemble des correspondances, documents, éléments de preuve ou autres documents qui sont déposés au dossier du Tribunal à l’avenir;
  4. Si une demande d’accès au dossier officiel du Tribunal est faite, les noms des témoins dans les correspondances, les sommaires de gestion d’instance, les courriels du Tribunal, etc. seront remplacés par les initiales de leurs noms et prénoms.

[94] Emplacements géographiques :

  1. Dans les procédures et les documents connexes, les emplacements géographiques sont protégés, et seulement le nom de la province peut être utilisé;
  2. Pour le dossier du Tribunal jusqu’à ce jour, si une demande d’accès au dossier est faite, les emplacements géographiques seront retirés, à l’exception de la province;
  3. Pour tous les documents futurs qui seront déposés dans le dossier du Tribunal, ce qui inclut les nouveaux exposés des précisions des parties, les listes de témoins, les résumés de témoignages, les éléments de preuve à l’audience, ou autres, les emplacements géographiques, à l’exception de la province, doivent être protégés.

[95] Interdiction de publication :

  1. Il est interdit de publier les noms de la plaignante et de ses enfants, ses informations personnelles, les noms des témoins et les emplacements géographiques pertinents, à l’exception du nom de la province.

[96] Enregistrements audios de l’audience et procès-verbaux :

  1. Les enregistrements audios de l’audience seront scellés et inaccessibles à tous, à l’exception des parties et des personnes intéressées, le cas échéant, et il leur sera interdit de les distribuer, à l’exception des cours de supervision en cas de contrôle judiciaire;
  2. Les procès-verbaux de l’audience seront également accessibles au public et aux médias, mais la plaignante sera nommée par les initiales K. L. et les témoins seront nommés par les initiales de leur prénom et nom de famille, et les informations personnelles de la plaignante, le nom de ses enfants et les emplacements géographiques, à l’exception de la province, seront protégés.

[97] Participation du public et des médias à l’audience :

  1. L’audience sera ouverte au public, sous réserve de l’interdiction de publication;
  2. Les noms de la plaignante et de ses enfants et les emplacements géographiques peuvent être utilisés durant l’audience, sous réserve de l’interdiction de publication à l’extérieur de l’audience.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 7 juillet 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2664/4021

Intitulé de la cause : K.L. v. Canada Post Corporation

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 7 juillet 2023

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Observations écrites par:

K.L. , pour elle même

Brian Smith, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Jennifer Hodgins , pour l'intimé

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