Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

La présente affaire concerne un gendarme de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) qui a fait une crise d’épilepsie. Le Tribunal a conclu que la GRC n’a pas fait preuve de discrimination à l’égard du gendarme Desson.
Le gendarme Desson a fait une crise d’épilepsie. Il a ensuite reçu un diagnostic d’épilepsie. Il a commencé à prendre des médicaments pour son épilepsie. Il n’a plus fait de crises. Il ne pensait pas qu’il risquait d’avoir d’autres crises.
Après sa crise, la GRC a limité le travail du gendarme Desson. Il n’était pas autorisé à faire du travail de police de première ligne. Il n’était autorisé qu’à faire du travail de bureau. La politique de la GRC autorisait le gendarme Desson à reprendre son travail de policier de première ligne après cinq ans sans crise.
Le gendarme Desson a déclaré que cette politique de la GRC était discriminatoire parce qu’elle ne tenait pas compte du fait qu’il était très peu probable qu’il fasse une autre crise d’épilepsie. Il a déclaré avoir perdu des heures supplémentaires à cause de cette politique. Il a également déclaré qu’il n’avait pas été promu à cause de cette politique. Le Tribunal a reconnu que le gendarme Desson avait perdu des heures supplémentaires en raison de son épilepsie. Le Tribunal n’a pas reconnu qu’il avait manqué des promotions à cause de son épilepsie.
La GRC a déclaré qu’elle avait besoin de sa politique en matière d’épilepsie pour assurer la sécurité des agents de police et du public. Le Tribunal était d’accord avec la GRC. La politique réduit le risque qu’un policier fasse une crise dans une situation dangereuse. Les preuves médicales montrent que le risque est très faible après cinq ans. La politique de la GRC est semblable à celles d’autres emplois présentant des risques de sécurité similaires. La GRC a tenu compte de façon équitable des antécédents médicaux du gendarme Desson lorsqu’elle a appliqué la politique. La GRC a essayé de trouver au gendarme Desson un travail de bureau utile qu’il pourrait faire jusqu’à ce qu’il puisse retourner aux services de police de première ligne.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 1

Date : le 10 janvier 2023

Numéro du dossier : T2276/3118

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Michael Eric Desson

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Gendarmerie royale du Canada

l’intimée

Décision

Membre : Marie Langlois

 


Table des matières

I. Décision 1

II. Aperçu 1

III. Questions en litige 3

IV. Cadre juridique 3

V. Analyse 7

A. Est-ce que le plaignant possède une ou des caractéristiques protégées par la Loi? 7

B. Si oui, le plaignant a-t-il subi un effet préjudiciable relativement à son emploi? 9

C. La ou les caractéristiques protégées ont-elles été un facteur dans la décision de l’intimée de retirer ses fonctions opérationnelles au plaignant? 11

D. L’intimée a-t-elle justifié sa décision selon l’article 15 de la Loi en établissant que la norme appliquée au gendarme Desson constituait une exigence professionnelle justifiée? 12

Question 1 : La politique de cinq ans a-t-elle été adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause et est-elle raisonnablement nécessaire? 17

Question 2 : L’employeur a-t-il adopté la politique de cinq ans en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime? 32

Question 3 : L’employeur a-t-il pris des mesures d’adaptation à l’égard du plaignant au titre de la politique de cinq ans sans aller jusqu’à subir une contrainte excessive? 33

De juillet 2010 à janvier 2011 34

Du 14 janvier 2011 à janvier 2013 49

De février 2013 à mai 2015 65

E. Si non, quelles sont les mesures de réparation applicables? 72

F. La GRC a-t-elle adopté un comportement abusif et commis une entrave en ne divulguant certains documents qu’au cours de l’audience? 72

G. Si oui, le plaignant a-t-il droit à une indemnité? 76

 


I. Décision

[1] Le Tribunal rejette la plainte de discrimination fondée sur la déficience du gendarme Michael Eric Desson (le « plaignant »). Le Tribunal conclut que, bien que la preuve établisse que le plaignant a fait l’objet d’un traitement défavorable en raison de sa déficience, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a justifié ses actes discriminatoires en démontrant que la norme appliquée au plaignant constituait une exigence professionnelle justifiée.

[2] Le Tribunal rejette la demande d’indemnité présentée par le plaignant relativement au comportement abusif ou à l’entrave de l’intimée pendant l’audience, faute de preuve.

II. Aperçu

[3] Le 28 janvier 2008, la GRC (l’« intimée ») a embauché M. Desson à titre de gendarme. Il a été affecté au détachement de Burnaby, en Colombie-Britannique, où, après avoir terminé sa formation, il a commencé à travailler de façon autonome à partir du mois d’octobre 2008.

[4] Le 14 juillet 2010, alors qu’il conduisait son véhicule personnel pour se rendre au travail, M. Desson a fait une crise d’épilepsie, qui a entraîné un accident.

[5] M. Desson s’est absenté du travail pour cause de maladie jusqu’au 6 novembre 2010, date à laquelle il a entamé un retour progressif au travail. À son retour au travail, ses fonctions opérationnelles lui ont été retirées et il a été affecté à des tâches administratives.

[6] Conformément à une politique de l’intimée (la « politique de cinq ans »), M. Desson ne pouvait réintégrer ses fonctions opérationnelles que cinq ans après la dernière crise d’épilepsie, qu’il prenne ou non des médicaments anticonvulsivants. Dans les faits, il a réintégré ses fonctions opérationnelles juste avant la fin de la période de cinq ans, en mai 2015, alors qu’il prenait des médicaments.

[7] La période allant de novembre 2010 à mai 2015 a été ponctuée d’absences pour trouble psychiatrique, qui, d’après le plaignant, étaient attribuables à sa réaction à la politique de cinq ans qui l’empêchait de réintégrer ses fonctions opérationnelles avant 2015. Le plaignant soutient qu’une autre période de congé pour trouble psychiatrique entre 2017 et 2021 serait également liée à sa réaction à la politique de cinq ans.

[8] Le plaignant est d’avis que la politique de cinq ans lui a causé un préjudice et qu’elle est discriminatoire en ce sens qu’elle s’applique à lui sans égard à ses caractéristiques personnelles et au risque que ses crises se reproduisent.

[9] Le plaignant soutient que la politique s’applique à toute personne ayant eu des crises, qu’elles aient été causées par la maladie ou par la consommation de certains stimulants, comme c’était le cas dans la présente affaire. Selon lui, il a cessé de prendre les stimulants en cause après sa crise de juillet 2010 et aurait pu reprendre ses fonctions opérationnelles six mois plus tard, sur la recommandation de son médecin, le Dr John Diggle, neurologue. Comme il devra prendre des médicaments pour le reste de sa vie, il estime que la politique initiale est encore plus défavorable à son égard, même si c’est en fait la politique révisée qui a été appliquée dans son cas. J’y reviendrai.

[10] Selon le plaignant, l’application de la politique en question l’a également privé de possibilités de formation et d’avancement professionnel, ce qui aurait eu et aurait toujours des répercussions financières importantes pour lui.

[11] La GRC fait valoir que le plaignant ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait d’établir la discrimination prima facie. Elle remet en question la crédibilité et la valeur probante du témoignage du plaignant. Elle soutient que l’application de la politique par l’employeur n’a causé aucun effet préjudiciable au plaignant. Selon elle, c’est l’incapacité du plaignant de reconnaître son état pathologique (l’épilepsie) et sa crainte d’être jugé défavorablement par ses pairs et ses supérieurs qui ont fait en sorte qu’il s’est écoulé un certain temps avant qu’il retourne au travail. L’intimée soutient également que le plaignant a démontré un préjugé apparent à l’égard du comportement discriminatoire.

[12] Subsidiairement, l’intimée soutient que la politique de l’employeur a été appliquée au plaignant à la lumière de sa situation personnelle et qu’elle était justifiée par d’importantes considérations visant à assurer la sécurité du plaignant, de ses collègues et du public, compte tenu de la nature dangereuse des fonctions opérationnelles des agents de la GRC. En somme, la GRC est d’avis que la politique de cinq ans constitue une exigence professionnelle justifiée aux termes des paragraphes 15(1) et 15(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « LCDP » ou la « Loi »).

[13] De plus, dans ses observations écrites, le plaignant demande des dépens pour le comportement abusif et l’entrave de la GRC, parce que l’intimée a omis de divulguer certains documents avant le début de l’audience.

III. Questions en litige

[14] Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Est-ce que le plaignant possède une ou des caractéristiques protégées par la Loi?
  2. Si oui, le plaignant a-t-il subi un effet préjudiciable relativement à son emploi auprès de l’intimée?
  3. Si oui, la ou les caractéristiques protégées ont-elles été un facteur dans la décision de l’intimée de retirer ses fonctions opérationnelles au plaignant?
  4. Si oui, l’intimée a-t-elle justifié sa décision selon l’article 15 de la Loi?
  5. Si non, quelles sont les mesures de réparation applicables?
  6. La GRC a-t-elle adopté un comportement abusif et commis une entrave en ne divulguant certains documents qu’au cours de l’audience?
  7. Si oui, le plaignant a-t-il droit à une indemnité?

IV. Cadre juridique

[15] Le plaignant prétend avoir fait l’objet de discrimination en matière d’emploi fondée sur une déficience, en contravention des articles 7 et 10 de la Loi.

[16] La déficience est un des motifs de distinction illicite énoncés à l’article 3 de la Loi. Elle est définie à l’article 25 :

« déficience » Déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée, y compris le défigurement ainsi que la dépendance, présente ou passée, envers l’alcool ou la drogue.

[17] L’alinéa 7b) de la Loi dispose, entre autres, que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un ou plusieurs des motifs de distinction illicite prévus à l’article 3 de la Loi, le fait de défavoriser un individu en cours d’emploi. L’article 10 dispose que constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite prévu à l’article 3 de la Loi, le fait d’annihiler les chances d’emploi ou d’avancement d’un individu.

[18] Avant d’aborder les questions en litige, il convient de préciser que le fardeau incombe au plaignant d’établir la discrimination prima facie (autrement dit, d’établir une preuve prima facie de discrimination). La preuve est celle qui « porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur [du plaignant], en l’absence de réplique de l’employeur intimé » (Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, [1985] 2 R.C.S. 536 [Simpsons-Sears], au par. 28).

[19] La jurisprudence reconnaît qu’il est difficile de prouver des allégations de discrimination par une preuve directe, puisque la discrimination n’est généralement pas un phénomène qui se manifeste directement et ouvertement. Il appartient donc au Tribunal de tenir compte de l’ensemble des circonstances et d’établir selon la prépondérance des probabilités s’il y a discrimination ou s’il existe, tel qu’il est énoncé dans la décision Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP), de « subtiles odeurs de discrimination ». En somme, le Tribunal peut conclure à la discrimination prima facie lorsque la preuve dont il dispose rend cette conclusion plus probable que les autres conclusions possibles (Béatrice Vizkelety, Proving Discrimination in Canada, Toronto, Carswell, 1987, à la page 142. Voir aussi Khiamal c. Canada (Commission des droits de la personne), 2009 CF 495, au par. 60).

[20] Ainsi, pour s’acquitter de son fardeau, le plaignant doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités (Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, au par. 67 [Bombardier]), qu’il possède une ou des caractéristiques protégées par la Loi, qu’il a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi et que la ou les caractéristiques protégées (appelées « motifs de distinction illicite » dans la Loi) ont constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable (Moore c. Colombie-Britannique (Éducation), 2012 CSC 61, au par. 33).

[21] Pour avoir gain de cause, le plaignant n’a pas à démontrer que l’intimée avait l’intention de faire preuve de discrimination à son endroit, car, comme la Cour suprême du Canada l’a fait remarquer dans l’arrêt Bombardier, certains comportements discriminatoires sont multifactoriels ou inconscients (Bombardier, aux par. 40 et 41). L’intention d’établir une distinction ne devrait donc pas être un facteur déterminant. C’est plutôt le résultat, à savoir l’effet préjudiciable, qui importe (Simpsons-Sears, aux par. 12, 14).

[22] De plus, il n’est pas essentiel que le lien entre le motif de distinction illicite et la décision reprochée soit exclusif, ou qu’il s’agisse d’un lien causal, puisqu’il suffit que le motif de distinction illicite ait joué un rôle dans la décision ou la conduite reprochée. En somme, la preuve doit établir que le motif de distinction illicite a été un facteur dans la décision contestée (Bombardier, aux par. 45-52).

[23] En outre, il suffit que la déficience du plaignant soit l’un des facteurs qui ont joué dans la décision de l’intimée de l’affecter à des fonctions administratives pendant cinq ans (A.B. c. Eazy Express Inc., 2014 TCDP 35 (CanLII), au par. 16).

[24] Une fois la preuve prima facie de discrimination établie, le cas échéant, l’employeur peut justifier sa décision en démontrant, toujours selon la prépondérance des probabilités, qu’elle découle d’exigences professionnelles justifiées aux termes de l’article 15 de la Loi. Le fardeau de la preuve passe alors à l’employeur (Peel Law Association v. Pieters, 2013 ONCA 396 (CanLII), au par. 67).

[25] Les paragraphes 15(1) et 15(2) de la Loi sont ainsi libellés :

15(1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

  • a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

[…]

15(2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

[26] La Cour suprême du Canada a établi un critère à trois volets pour établir s’il existe une exigence professionnelle justifiée au sens des paragraphes 15(1) et 15(2) de la Loi. Le critère est énoncé dans l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3 [Meiorin], au paragraphe 54 :

54 Après avoir examiné les diverses possibilités qui s’offrent, je propose d’adopter la méthode en trois étapes qui suit pour déterminer si une norme discriminatoire à première vue est une [exigence professionnelle justifiée]. L’employeur peut justifier la norme contestée en établissant selon la prépondérance des probabilités :

(1) qu’il a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

(2) qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

(3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail. Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

[27] Comme la Cour l’a énoncé dans la décision Association des pilotes d’Air Canada c. Kelly, 2011 CF 120 [Kelly], aux paragraphes 356 à 358 :

356 Les premier et deuxième volets du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin exigent que l’on évalue la légitimité de l’objet général de la norme, ainsi que l’intention qu’avait l’employeur au moment de l’adopter. Cela a pour but de garantir que la norme, considérée sur le plan aussi bien objectif que subjectif, ne comporte pas de fondement discriminatoire. Le troisième élément du critère consiste à déterminer si la norme est exigée pour réaliser un but légitime, et si l’employeur peut composer avec la plainte sans subir une contrainte excessive : Centre universitaire de santé McGill c. Syndicat des employés de l’Hôpital général de Montréal, 2007 CSC 4, [2007] 1 R.C.S. 161, au paragraphe 14.

357 Comme l’a fait remarquer la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hydro-Québec c. Syndicat des employé-e-s de techniques professionnelles et de bureau d’Hydro-Québec, section locale 2000 (SCFP-FTQ), 2008 CSC 43, [2008] 2 R.C.S. 561, l’emploi du mot « impossible » en rapport avec le troisième élément du critère énoncé dans l’arrêt Meiorin suscite une certaine confusion. La Cour suprême a précisé que ce qui est exigé « n’est pas la démonstration de l’impossibilité d’intégrer un employé qui ne respecte pas une norme, mais bien la preuve d’une contrainte excessive qui, elle, peut prendre autant de formes qu’il y a de circonstances » : au paragraphe 12.

358 Quant à la portée de l’obligation d’accommodement, la Cour suprême a déclaré que « [l]’employeur n’a pas l’obligation de modifier de façon fondamentale les conditions de travail, mais il a cependant l’obligation d’aménager, si cela ne lui cause pas une contrainte excessive, le poste de travail ou les tâches de l’employé pour lui permettre de fournir sa prestation de travail » : Hydro-Québec, au paragraphe 16.

[28] De plus, dans un commentaire à propos du paragraphe 15(2) de la Loi, la Cour fédérale a affirmé dans la décision Kelly qu’il faudrait considérer que cette disposition limite aux coûts, à la santé et à la sécurité les facteurs dont il faut tenir compte dans le cadre d’une analyse de l’accommodement.

V. Analyse

A. Est-ce que le plaignant possède une ou des caractéristiques protégées par la Loi?

[29] Le Tribunal conclut qu’il ne fait aucun doute que le plaignant a une déficience au sens de l’article 3 de la Loi.

[30] En effet, les éléments de preuve au dossier et le témoignage du plaignant et de son médecin traitant, le Dr Diggle, nous permettent de conclure que le plaignant a fait plusieurs crises d’épilepsie (crises de grand mal) depuis 2005.

[31] Les notes prises par le Dr Diggle lors de sa première consultation avec le plaignant le 27 juillet 2010 indiquent que, en 2005, son épouse de l’époque a remarqué [traduction] « l’apparition subite de raideur des quatre extrémités la nuit, quand le patient dort, suivie de tremblements, de myalgie diffuse, d’hémorragies pétéchiales et de morsures de la langue ».

[32] À l’audience, le gendarme Desson a expliqué que, en 2008, lors d’un voyage à Las Vegas pour l’enterrement de vie de garçon d’un ami, il avait consommé beaucoup d’alcool et avait passé la majeure partie de la journée au soleil. L’ami avec qui il partageait la chambre d’hôtel lui a dit qu’il l’avait vu avoir des convulsions généralisées, lesquelles sont décrites par le Dr Singh, neurologue, dans son rapport du 8 février 2011.

[33] Le Dr Diggle mentionne dans son rapport du 27 juillet 2010 que, le 8 mai 2010, le gendarme Desson a eu un autre épisode alors qu’il était seul chez lui. Le gendarme Desson [traduction] « a soudainement commencé à ressentir de l’anxiété, est allé regarder par la fenêtre, puis s’est mis à “fixer” et a commencé à avoir une “vision tubulaire”. Son bras gauche s’est mis à trembler, il a commencé à avoir une “vision tubulaire”, et lorsqu’il est revenu à lui, au moins une heure s’était écoulée. Il avait une coupure au-dessus de l’œil droit. Il a eu besoin de points de suture, mais aucun médicament pour la prophylaxie des crises ne lui a été prescrit ».

[34] Puis, il y a eu la crise d’épilepsie à l’origine de l’accident du 14 juillet 2010.

[35] Le dossier du Tribunal contient également des certificats médicaux délivrés par la Dre Ellie Fasihy, médecin traitant, après le 14 juillet 2010, qui font état de crises.

[36] Les résultats des examens paracliniques comme l’électroencéphalogramme (EEG) ont été jugés anormaux; l’EEG montrait des pointes dans la région temporale antérieure gauche et la région temporale moyenne compatibles avec de l’épilepsie partielle. C’est le diagnostic confirmé par le Dr Diggle. Dans son rapport concernant sa première rencontre avec le gendarme Desson, le 27 juillet 2010, le Dr Diggle a écrit ce qui suit :

[traduction]
IMPRESSION

Épilepsie partielle, avec pensée forcée et anxiété comme symptômes d’aura. Je soupçonne des épisodes d’anxiété ou des crises d’épilepsie partielle, suivis de crises d’épilepsie généralisées de type tonico-clonique. Je présume qu’elles proviennent de la région temporale gauche, compte tenu des pointes dans l’EEG. Le principal diagnostic différentiel serait une épilepsie partielle de l’hémisphère droit, vu l’engourdissement du bras gauche; des foyers bitemporaux sont aussi possibles, bien que cela soit rare.

[37] À la lumière de cette preuve, le Tribunal conclut que le diagnostic d’épilepsie partielle constitue une déficience au sens de l’article 3 de la Loi et un motif de distinction illicite au sens des articles 7 et 10 de la Loi. Par conséquent, le plaignant possède une caractéristique protégée au titre de la Loi.

[38] La réponse à la question A est donc oui. Le gendarme Desson a une déficience au sens de l’article 3 de la Loi.

B. Si oui, le plaignant a-t-il subi un effet préjudiciable relativement à son emploi?

[39] Le Tribunal est d’avis que le gendarme Desson a subi un effet préjudiciable relativement à son emploi.

[40] En effet, en novembre 2010, soit dès que le plaignant a été en mesure de retourner au travail après la crise d’épilepsie et l’accident du 14 juillet 2010, l’intimée a changé son statut, lui retirant ses fonctions opérationnelles pour l’affecter à des tâches administratives.

[41] Le plaignant a déclaré qu’il ne pouvait pas faire d’heures supplémentaires, ou très peu, pendant qu’il était affecté à des tâches administratives. D’après son témoignage, s’il avait continué d’exercer ses fonctions opérationnelles, il aurait accumulé un nombre important d’heures supplémentaires et acquis une expérience qui aurait contribué grandement à son avancement professionnel.

[42] La preuve montre également que le salaire de base du plaignant ne dépendait pas de savoir s’il avait la cote O2 (tâches normales), O4 (tâches administratives) ou O6 (congé de maladie) (le système de cotes sera expliqué plus loin). De fait, pendant toute la durée de son congé de maladie, soit de juillet 2010 à mai 2015, date à laquelle il a repris ses fonctions opérationnelles normales au titre de la catégorie O2, son salaire de base est demeuré le même et il a continué de progresser dans l’échelle salariale.

[43] Le témoignage du plaignant est corroboré par ses avis de cotisation de l’Agence du revenu du Canada et les talons de paye se rapportant à la période précédant mai 2015 et à la période suivant cette date. Il est évident que, dès qu’il a été autorisé à exercer des fonctions opérationnelles, le plaignant a commencé à ajouter des heures supplémentaires à sa semaine de travail normale, parfois jusqu’à 20 ou 25 heures de plus par semaine, ce qui a considérablement augmenté son salaire.

[44] Ces éléments de preuve permettent de conclure que le plaignant a subi un préjudice financier. Le Tribunal estime qu’il n’est pas nécessaire de discuter des autres préjudices allégués par le plaignant, par exemple les occasions manquées de promotion ou l’effet psychologique important que la politique de cinq ans a eu sur lui.

[45] La réponse à la question B est donc oui. Le gendarme Desson a subi un effet préjudiciable.

[46] Le Tribunal a également remarqué que le gendarme Desson a témoigné au sujet de sa perception de discrimination au cours de la période de cinq ans en question. Par exemple, la cause de l’accident du 14 juillet 2010, c’est-à-dire une crise d’épilepsie, a été divulguée à ses collègues, ce qui a été une source de colère et d’humiliation pour lui. En outre, il a dit qu’un collègue lui avait demandé comment il allait dans la tête lorsqu’il est revenu au travail en novembre 2010. Pour lui, c’était humiliant que l’on sache qu’il avait eu une crise; c’était une faiblesse personnelle dont il avait honte.

[47] Le plaignant a expliqué qu’au poste de police de Burnaby, on affichait au mur la photo des gendarmes qui faisaient partie du détachement, mais qui étaient en congé de maladie de longue durée ou qui étaient absents pour d’autres raisons. Pour lui, c’était le [traduction] « mur de la honte » et il ne voulait pas que sa photo s’y retrouve. Pendant son témoignage, il a affirmé que la conseillère en perfectionnement et en renouvellement des ressources humaines, la sergente Cathy Shepherd, l’avait rabaissé lors d’une réunion en lui disant qu’elle avait perdu son mari et qu’elle s’était remise sur pied, laissant entendre qu’il devrait faire de même. Il s’est de nouveau senti humilié et victime de discrimination. En outre, il a raconté que le fait d’être considéré comme l’un des épileptiques de la sergente Shepherd l’avait beaucoup troublé.

[48] Le gendarme Desson a certes eu l’impression qu’il s’agissait de commentaires discriminatoires. Toutefois, le Tribunal conclut qu’il est plus probable qu’improbable que ces commentaires aient été formulés par compassion, et qu’une personne raisonnable les aurait perçus comme tels. Quant au « mur de la honte », la perception du gendarme Desson pourrait découler de sa propre vision déformée de ses collègues en congé. À ce stade-ci, il n’est pas utile d’analyser les perceptions personnelles de chacun et la façon dont elles ont perturbé le gendarme Desson. Cette analyse pourrait être pertinente à l’étape de la réparation, au moment d’évaluer les dommages-intérêts pour préjudice moral.

C. La ou les caractéristiques protégées ont-elles été un facteur dans la décision de l’intimée de retirer ses fonctions opérationnelles au plaignant?

[49] Le Tribunal est d’avis que les crises d’épilepsie et le diagnostic d’épilepsie partielle du gendarme Desson expliquent pourquoi il a été assujetti à la politique de cinq ans, qui l’a empêché d’exercer des fonctions opérationnelles pendant les cinq années suivant sa dernière crise d’épilepsie.

[50] Il ne fait donc aucun doute que la politique appliquée au plaignant, par laquelle ses fonctions opérationnelles lui ont été retirées, lui a causé un préjudice financier important, même s’il a conservé son salaire de base tout au long de la période en question. En effet, il n’a pas eu la possibilité de faire des heures supplémentaires et d’être rémunéré en conséquence.

[51] C’est en raison de la déficience du plaignant que l’intimée lui a retiré ses fonctions opérationnelles, ce qui lui a causé un préjudice financier important. Par conséquent, il existe un lien entre la déficience et l’effet préjudiciable subi par le plaignant relativement à son emploi.

[52] La réponse à la question C est donc oui, et il faut conclure que le plaignant a établi, selon la prépondérance des probabilités, la discrimination prima facie.

[53] La question demeure de savoir si la décision d’interdire au plaignant d’exercer des fonctions opérationnelles entre juillet 2010 et mai 2015 constitue, comme le prétend la GRC, une exigence professionnelle justifiée. Cette question sera examinée dans la prochaine section.

D. L’intimée a-t-elle justifié sa décision selon l’article 15 de la Loi en établissant que la norme appliquée au gendarme Desson constituait une exigence professionnelle justifiée?

[54] Bien que l’interdiction d’exercer des fonctions opérationnelles soit discriminatoire à première vue, il ne s’agit pas d’un acte discriminatoire si la GRC établit, selon la prépondérance des probabilités, que la politique de cinq ans empêchant le plaignant d’exercer des fonctions opérationnelles constitue une exigence professionnelle justifiée au sens des paragraphes 15(1) et 15(2) de la Loi. Pour déterminer si l’intimée s’est acquittée du fardeau de la preuve qui lui incombait, le Tribunal doit répondre aux questions suivantes :

Question 1 : La politique de cinq ans a-t-elle été adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause et est-elle raisonnablement nécessaire?

Question 2 : L’employeur a-t-il adopté la politique de cinq ans en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime?

Question 3 : L’employeur a-t-il pris des mesures d’adaptation à l’égard du plaignant au titre de la politique de cinq ans sans aller jusqu’à subir une contrainte excessive?

 

[55] Avant de répondre aux deux premières questions, le Tribunal juge nécessaire de résumer les tâches des gendarmes aux services généraux et d’expliquer le système de profil médical et la classification des restrictions professionnelles.

a) Les tâches des gendarmes aux services généraux

[56] Les tâches des gendarmes, comme M. Desson, sont décrites dans le répertoire intégré des tâches des gendarmes aux services généraux figurant dans un document désigné comme l’annexe II-1-6. Elles comprennent les tâches suivantes :

a. Poursuivre un suspect qui s’enfuit, à pied ou dans un véhicule approprié (tâche 2.11);

b. Arrêter et maîtriser un suspect qui s’enfuit ou qui résiste ou une personne violente ou déséquilibrée : le pourchasser, le saisir ou l’empoigner; lui passer les menottes ou employer une force meurtrière, et se baser sur ses connaissances des restrictions légales régissant l’emploi de la force et se fier à sa capacité physique, à sa vision et à son ouïe, à sa formation, de même qu’à son jugement personnel afin d’arrêter le suspect en n’utilisant que la force nécessaire (tâche 2.12);

c. Patrouiller dans des zones à criminalité élevée (tâche 3.3);

d. Répondre aux appels par radio, par téléphone ou en personne pour prêter assistance à une personne malade, blessée ou en train de se noyer (tâche 4.1);

e. Répondre aux appels par radio ou provenant de citoyens pour aider à retrouver un enfant, un chasseur, un skieur ou un randonneur perdu, une personne âgée ou désorientée qui a quitté son domicile ou un jeune fugueur (tâche 4.2);

f. Répondre aux demandes d’aide d’ordre général provenant d’une personne ou présentées par radio, p. ex. raccompagner chez elle une personne en état d’ébriété ou secourir un automobiliste en détresse, en se basant sur sa connaissance de la collectivité et en se fiant à sa discrétion personnelle et à son intérêt marqué envers les citoyens afin de fournir une aide générale à la population (tâche 5.1);

g. Améliorer la sécurité routière en arrêtant les contrevenants ou en les poursuivant dans un véhicule de police (tâche 7.2);

h. De sa propre initiative ou suivant les renseignements fournis par le répartiteur, essayer d’arrêter un véhicule automobile qui ne s’arrête pas (tâche 7.3);

i. Poursuivre un véhicule à des vitesses aller jusqu’à 240 km à l’heure (tâche 7.4);

j. Si le répartiteur informe l’agent de l’existence d’un mandat, d’une suspension de permis ou d’une amende impayée, s’approcher du conducteur et des occupants du véhicule et expliquer la situation au conducteur; procéder à son arrestation et au remorquage du véhicule si le conducteur fait l’objet d’une suspension de permis (tâche 7.7)

b) Le système de profil médical

[57] Les documents décrivent ainsi le système de profil médical de l’employeur :

[traduction]
Le système de profil médical décrit la condition physique professionnelle ou les limitations d’un membre quant à sa capacité d’exercer les fonctions de son poste sans compromettre sa propre sécurité, celle de ses collègues et celle du public.

[58] Cinq facteurs sont évalués : l’acuité visuelle (V); la perception des couleurs (CV); l’ouïe (H); la disponibilité géographique des soins de santé (G) et les restrictions professionnelles (O).

[59] Le facteur professionnel (O) décrit la capacité d’un membre d’effectuer les tâches des gendarmes aux services généraux.

[60] Les cotes associées à ce facteur sont les suivantes :

· O1 : Le membre est capable d’exécuter toutes les tâches du gendarme aux services généraux définies à l’ann. II‑1‑6 [Analyse des tâches du gendarme aux services généraux] et peut également exécuter des tâches précises dépassant ce niveau. […]

· O2 (minimum pour les recrues) : Il s’agit du niveau d’entrée du gendarme. Le postulant ou le membre doit exécuter toutes les tâches du gendarme aux services généraux indiquées à l’ann. II-1-6 de façon à ne pas compromettre sa sécurité, ni celle de ses collègues ou du public.

1. Le m.r. qui est O2 doit pouvoir participer pleinement à un appel opérationnel et ne doit être atteint d’aucune maladie ou affection qui présente un risque accru d’apparition d’une incapacité soudaine.

2. Dans le cas du m.c., la cote O2 exige que le postulant ou le m.c. ne soit atteint d’aucune maladie ou affection qui pourrait nuire à l’aptitude à exécuter les tâches pour lesquelles il a été engagé sans compromettre sa sécurité, ni celle de ses collègues ou du public.

· O3 : Cette cote s’applique au membre ou à l’aspirant m.r. qui souffre d’une maladie ou d’une affection qui peut nuire à l’exécution des tâches policières, mais qui ne met pas en péril la sécurité.

1 Il faut énoncer clairement les limitations ou les restrictions de la personne.

2 La personne ne doit être atteinte d’aucune maladie ou affection qui comporte un risque accru d’apparition d’une incapacité soudaine.

3 La personne peut répondre aux appels opérationnels lorsque les limitations ou les restrictions professionnelles s’appliquent.

4 Dans le cas du m.c., le profil O3 décrit une personne atteinte d’une maladie ou d’une affection qui nuit à l’aptitude à exécuter les tâches pour lesquelles elle a été engagée, mais qui ne l’empêche pas d’accomplir le travail, ni ne compromet la sécurité.

· O4 : Cette cote s’applique au membre ou à l’aspirant m.r. qui souffre d’une maladie ou d’une affection qui est incompatible avec l’exécution en toute sécurité du travail policier indiqué à l’ann. II-1-6.

1 On attribue le facteur O4 à la personne qui risque d’être atteinte d’une incapacité soudaine.

2 Ce facteur s’applique à la personne qui souffre d’une maladie ou d’une affection pouvant entraîner un incident qui met en péril sa sécurité ou celle d’un collègue ou du public. Il faut énoncer clairement les limitations ou les restrictions afin d’éviter tout incident de ce genre.

3 La personne qui se voit attribuer la cote O4 ne répond pas aux appels opérationnels.

4 Ce facteur s’applique au m.r. qui souffre d’une maladie ou d’une affection qui l’empêche d’exécuter en toute sécurité les tâches pour lesquelles il a été engagé.

· O5 : Ce facteur s’applique à une personne qui est capable d’exécuter uniquement des fonctions sédentaires.

· O6 : Ce facteur s’applique à une personne qui n’est pas considérée comme employable par la GRC à quelque titre que ce soit à cause d’une maladie ou d’une affection d’ordre physique ou mental.

c) La politique de cinq ans

[61] La politique en cause dans la présente affaire concerne le profil médical des gendarmes aux services généraux qui ont reçu un diagnostic d’épilepsie ou qui ont eu deux crises ou plus. La politique de cinq ans initiale indique que le profil O4 (fonctions non opérationnelles) est attribué au membre qui se trouve dans cette situation. Si le membre a besoin de médicaments pour contrôler les crises, il conserve la cote O4 pour le reste de sa carrière. Si le membre ne prend pas de médicaments et n’a pas eu de crise depuis cinq ans, la cote O2 (fonctions sans restriction) peut être envisagée. Par conséquent, selon la politique écrite initiale, le membre qui aurait besoin de médicaments pour une période indéfinie, comme le gendarme Desson (la question sera traitée plus loin), serait tenu de conserver la cote O4 (fonctions non opérationnelles) pour le reste de sa carrière.

[62] Selon les témoignages des Drs Ross, Johnson, Fieschi et Beaulieu, qui seront décrits plus en détail ci-dessous, en 2010, il a été question d’apporter un changement à la politique, changement qui a été appliqué au gendarme Desson et qui lui a permis de reprendre ses fonctions opérationnelles avant l’expiration de la période de cinq ans, même s’il prend des médicaments anticonvulsivants pour une période indéfinie. La politique écrite n’a toujours pas été modifiée en conséquence.

[63] Certaines des actions du plaignant ont peut-être été motivées par la politique écrite de 1995, mais c’est la politique révisée qui s’appliquait à lui, qui autorise la reprise des fonctions opérationnelles après cinq ans, même si le membre prend encore des médicaments.

[64] Comme le choix d’appliquer la politique initiale ou la politique révisée n’aurait à aucun moment mené à un résultat différent pour ce qui est de la capacité du gendarme Desson d’exercer des fonctions opérationnelles, le Tribunal concentrera la majeure partie de son analyse sur la politique révisée.

Question 1 : La politique de cinq ans a-t-elle été adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause et est-elle raisonnablement nécessaire?

[65] Le Tribunal est d’avis que la politique de cinq ans initiale (tout comme la politique révisée) a été adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause. De plus, la politique de cinq ans est raisonnablement nécessaire.

[66] Pour analyser la question, le Tribunal a tenu compte de l’objet général de la politique de cinq ans et de sa légitimité, autrement dit ce que la politique est censée accomplir. Le Tribunal s’est également penché sur la question de savoir si cet objet pourrait être atteint par d’autres moyens.

a) Les faits

[67] La politique de cinq ans de l’employeur est une politique particulière qui consiste à affecter les agents de police souffrant d’épilepsie à des tâches administratives pendant cinq ans. Le document applicable est l’annexe II-1-5, qui se rapporte aux affections du système nerveux central. C’est la politique qui a été appliquée au gendarme Desson. La justification du profil est expliquée ainsi dans le document :

La classification correspondant à telle ou telle pathologie du [système nerveux central] nécessite que l’on identifie un éventuel risque pour la sécurité du sujet, de ses collègues ou du public. La classification est chose facile si une incapacité soudaine risque d’apparaître. L’effet d’une paralysie est évident. De même, il est évident que le jugement peut être touché lorsqu’il existe des troubles instables de l’affection. Il n’y a pas de problème pour classer un sujet lorsqu’il souffre de troubles cognitifs gravissimes, mais cela peut être difficile lorsqu’il n’existe qu’une légère détérioration des fonctions supérieures. En effet, la limite entre une insuffisance dans l’accomplissement professionnel et une invalidité d’ordre médical n’est pas nette dans ce cas.

L’ouvrage intitulé : « Examen du conducteur - Guide du médecin » de l’Association Médicale Canadienne peut aider à choisir une classification quant à la conduite d’un véhicule. En effet, celle-ci fait vraiment partie intégrante du travail policier. Pour conduire un véhicule de police, il faut un permis de classe 4. Toutefois, ce n’est pas la seule façon dont l’apparition d’une incapacité soudaine peut compromettre la sécurité du public. On n’a pas besoin de tenir compte de l’existence éventuelle de convulsions fébriles dans la petite enfance du sujet, ni de celle d’une crise épileptique à l’occasion d’une intoxication, à condition que le sujet soit complètement guéri. Si le sujet présente une crise épileptique spontanée, il faudrait lui faire un bilan neurologique. On peut annuler toutes limitations éventuelles chez un sujet qui, en l’absence de prise médicamenteuse, n’a pas présenté de crise épileptique depuis douze mois et chez qui l’on n’a pas pu mettre en évidence de foyer épileptiforme. Avant la fin du douzième mois, il convient de choisir une classifica[tion] G2 à G4, O4.

On choisit une classification O4 lorsque le diagnostic d’épilepsie est établi ou lorsque le sujet a présenté au moins deux crises. Lorsqu’il prend un traitement anticonvulsivant, sa classification reste O4. On peut choisir O2 pour le sujet qui, en l’absence de toute prise médicamenteuse, est asymptomatique depuis cinq ans. O2 ou O3 peut convenir pour un sujet qui, depuis cinq ans au moins, ne présente des crises que lorsqu’il dort ou immédiatement après son réveil et qui ne présente pas d’anomalies à l’électroencéphalogramme de l’éveil. Avant d’annuler les restrictions professionnelles pour le sujet qui a bénéficié d’une intervention chirurgicale curative, l’on doit s’assurer qu’il ne présente plus de crises depuis cinq ans au moins sans traitement médicamenteux.

On considère les épisodes de syncope récidivants qui ne sont pas expliqués de la même manière que les troubles convulsifs.

(Non souligné dans l’original.)

[68] La politique de cinq ans (annexe II-1 55) décrit la relation entre les affections générales du système nerveux central et les tâches des membres :

La pathologie du [système nerveux central] peut compromettre le travail policier de plusieurs façons : l’épilepsie risque de faire apparaître une incapacité soudaine; la maladie d’Alzheimer […] Ce sont les effets de la maladie qui déterminent son impact sur le travail policier.

Première crise de convulsion épileptiforme

Lorsqu’il n’y a pas de témoin(s) d’épisode de crise et lorsque le sujet nie sa maladie, le dépistage clinique d’une épilepsie est impossible. Cette pathologie s’accompagne toutefois du risque d’apparition d’une incapacité soudaine. L’apparition d’une crise d’épilepsie pourrait avoir des conséquences désastreuses si elle survenait à l’occasion d’une chasse-poursuite en voiture ou d’une autre situation où la sécurité du public est en jeu. On doit soumettre le sujet à risque à des restrictions professionnelles pour garantir la sécurité du public. Les principales tâches à considérer ici sont les suivantes : 2.11, 2.12, 3.3, 4.1, 4.2, 5.1, 7.2, 7.4 et 7.7 [ces tâches sont décrites au paragraphe 56 de la présente décision]. Il faut également penser aux conséquences qu’aurait une absence soudaine du sujet pendant son travail, et non seulement aux éventuelles conséquences directes d’une crise épileptique.

[69] Deuxième crise de convulsion épileptiforme :

L’on peut considérer qu’un sujet est épileptique lorsqu’il a présenté deux crises de façon spontanée; par conséquent, l’on ne doit pas affecter ce sujet dans un poste où l’apparition soudaine de son incapacité peut mettre en péril la sécurité du public. Si la crise est liée à un autre type de pathologie, il faut déterminer si celle-ci peut être guérie et quelles seront ses séquelles avant de prévoir une durée pour les mesures restrictives quant à l’emploi.

[70] En résumé, la justification exprimée dans la politique écrite se rapporte au risque que pose pour la sécurité du membre, de ses collègues et du public l’incapacité soudaine associée au trouble. La politique de cinq ans est en partie inspirée du guide de l’Association médicale canadienne portant sur l’évaluation de l’aptitude à conduire, puisque la conduite automobile fait partie intégrante du travail policier.

[71] Les éléments de preuve incluent également un document du Conseil canadien des administrateurs en transport motorisé (CCATM) qui comprend les normes médicales pour les conducteurs ayant divers problèmes de santé, notamment ceux qui souffrent de crises et d’épilepsie (chapitre 17).

[72] Le plaignant fait valoir que la section du document du CCATM sur la conduite d’un véhicule commercial n’est pas pertinente en l’espèce, car la GRC n’exige pas que ses gendarmes détiennent un permis de conduire commercial (taxis, limousines, ambulances) (classe 4 en Colombie-Britannique). Elle exige seulement qu’ils détiennent un permis de conduire non commercial (classe 5 en Colombie-Britannique).

[73] Le Tribunal est d’avis que la section du document du CCATM sur la conduite d’un véhicule commercial est, au contraire, très pertinente. Même si la GRC n’exige pas le permis de conduire de classe 4, le risque associé à la façon dont un agent de police doit conduire lors du déclenchement d’un code 3 ressemble davantage au risque associé aux conducteurs de véhicules commerciaux, par exemple une ambulance, voire est plus élevé. En effet, la preuve montre que l’agent de police qui doit répondre à un code 3 peut être appelé à mener une poursuite policière, tout en demeurant en contact avec le service de répartition et en essayant de lire une plaque d’immatriculation ou de vérifier si le conducteur a un casier judiciaire. Les agents de police peuvent rouler jusqu’à 240 km/h lors d’une poursuite policière. Les exigences cognitives nécessaires lors d’une poursuite policière sont très élevées et diffèrent largement de ce qu’exige la conduite d’un véhicule non commercial. Par conséquent, les lignes directrices du CCATM pour les conducteurs de véhicules commerciaux sont pertinentes dans la présente affaire.

[74] Le Tribunal a également accepté cet élément de preuve en raison de la fiabilité du document. En effet, le CCATM est un organisme formé de représentants des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux du Canada qui, au moyen d’un processus consultatif collectif, prend des décisions au sujet de certains aspects administratifs et opérationnels liés à la délivrance de permis, à l’immatriculation, à la réglementation du transport routier et à la sécurité routière.

[75] Le chapitre 17 traite des crises et de l’épilepsie, de leur prévalence, de leurs répercussions sur la conduite, de leur incidence sur la capacité fonctionnelle à conduire et de la compensation et donne des lignes directrices pour l’évaluation.

[76] Il indique entre autres :

[traduction]
La principale préoccupation à l’égard des conducteurs épileptiques est le risque qu’une crise provoque une altération soudaine des fonctions cognitives, motrices ou sensorielles ou une perte de conscience au volant.

(Non souligné dans l’original.)

[77] Il prévoit aussi ce qui suit :

[traduction]
On estime que le risque de récurrence après une première crise non provoquée varie de 2,3 à 71 %, le risque moyen chez les adultes s’établissant à 43 %. Si la crise est de cause inconnue et que l’EEG du patient n’a enregistré aucune activité anormale, ce risque est réduit. Le risque de récurrence est plus élevé chez les personnes qui sont victimes d’une crise partielle et dont l’EEG montre une activité anormale ou qui sont atteintes d’une autre anomalie neurologique. Les antécédents familiaux d’épilepsie augmentent également le risque de récurrence.

[78] Le CCATM ajoute que les lignes directrices applicables aux conducteurs qui souffrent d’épilepsie ou de crises partent du principe que [traduction] « les crises doivent être sous contrôle avant que le conducteur puisse reprendre la roue ». La plupart des lignes directrices exigent qu’il se soit écoulé une certaine période sans crise. Cette exigence applicable aux crises non provoquées vise à [traduction] « prendre le temps nécessaire pour déterminer l’origine des crises et, si un diagnostic d’épilepsie est établi, s’assurer que la bonne dose de médicament a été trouvée, que le médicament empêche la survenue de nouvelles crises et que le conducteur ne ressent pas d’effets secondaires qui pourraient nuire à sa capacité de conduire en toute sécurité. » (Non souligné dans l’original.)

[79] Le CCATM indique que le conducteur d’un véhicule commercial qui est épileptique peut obtenir un permis s’il s’est écouté cinq ans depuis sa dernière crise, qu’il prenne ou non des médicaments, et que les conditions liées à la conservation du permis sont remplies (c.-à-d. qu’il doit suivre le traitement prescrit et les conseils de son médecin pour prévenir les crises et, en cas de crise, arrêter de conduire et en aviser les autorités compétentes et son médecin).

[80] Le conducteur d’un véhicule non commercial qui est épileptique peut pour sa part obtenir un permis s’il s’est écoulé six mois depuis sa dernière crise, qu’il prenne ou non des médicaments, et que les conditions liées à la conservation du permis sont remplies.

[81] En cas de changement de médicaments, le conducteur d’un véhicule commercial peut obtenir un permis s’il s’est écoulé six mois depuis qu’il a changé de médicaments ou cessé de prendre des médicaments, qu’il n’a eu aucune crise pendant cette période et que les conditions liées à la conservation du permis sont remplies. Pour le conducteur d’un véhicule non commercial dans les mêmes conditions, la période est de trois mois.

[82] La Dre Naomi Ross occupait à temps plein le poste de médecin-chef, spécialiste des emplois, pour la GRC durant la période visée par la plainte. Son rôle consistait à évaluer l’aptitude au travail des membres, à gérer les dossiers d’invalidité et à évaluer régulièrement l’état de santé des membres dans la région de la Colombie-Britannique. Elle a témoigné à l’audience. Elle a fait référence à un courriel envoyé le 11 décembre 2013 à Jeff Hurry, officier responsable des Services de santé de la GRC, et à Patti Parker, infirmière en santé au travail, qui indiquait que la politique de cinq ans appliquée au gendarme Desson était conforme aux lignes directrices sur l’aptitude à conduire dans d’autres industries critiques sur le plan de la sécurité.

[83] La Dre Ross a déclaré que la politique de cinq ans de la GRC avait été adoptée en 1995 et qu’elle avait appris, en décembre 2010, après avoir parlé au Dr Marc-André Beaulieu, neurologue spécialisé en épilepsie et conseiller national en matière de santé de la GRC, qu’elle était en cours de révision et que la restriction selon laquelle il fallait avoir cessé de prendre des médicaments avant de réintégrer ses fonctions opérationnelles allait être supprimée. Elle a ajouté que la politique de cinq ans reflétait les lignes directrices de l’Association médicale canadienne sur l’évaluation de l’aptitude à conduire, qui étaient plutôt récentes à l’époque, ayant été adoptées en 2009. Selon elle, la politique de cinq ans ressemblait aussi au Manuel du règlement médical des chemins de fer et au guide de l’American College of Occupational and Environmental Medicine applicable aux agents d’application de la loi.

[84] La Dre Ross a parlé du risque d’incapacité soudaine pour les agents de police. À titre d’exemple, elle a mentionné que le membre pouvait se blesser s’il était seul au moment d’une confrontation avec un délinquant violent et que ses collègues pourraient alors être obligés de choisir entre s’occuper de leur collègue ou intervenir dans la situation critique et protéger le public. Une telle situation pourrait entraîner des conséquences catastrophiques.

[85] La Dre Ross a ajouté que la conduite d’un véhicule commercial est une activité à risque élevé, le risque étant semblable à celui que présente l’agent de police qui doit répondre à un code 3 (conduite à grande vitesse avec la sirène actionnée), de sorte que la comparaison avec les lignes directrices de l’Association médicale canadienne qui portent sur l’évaluation de l’aptitude à conduire est appropriée.

[86] Dans ses commentaires concernant le rapport sur la prophylaxie des crises préparé par le Dr Diggle le 27 juillet 2010, qui indique que la possibilité de récurrence des crises s’établit à 98 % sans médication, compte tenu du fait que le gendarme Desson avait fait quatre crises par le passé, la Dre Ross a mentionné que la GRC tolérait un risque d’incapacité soudaine de 1 % et que le risque diminuait à ce niveau cinq ans après la dernière crise. Le fait que les résultats de l’EEG du gendarme Desson étaient anormaux et confirmaient le diagnostic d’épilepsie augmentait le risque de récurrence des crises. La Dre Ross a recommandé que la cote O4 (tâches administratives) soit attribuée au gendarme Desson.

[87] La Dre Ross a ajouté que, si une personne occupant des fonctions opérationnelles devait changer de médicaments, il lui serait interdit d’exercer des fonctions opérationnelles pendant six mois. En outre, elle a indiqué que les guides de l’Association médicale canadienne, le Manuel du règlement médical des chemins de fer et les guides de l’American College of Occupational and Environmental Medicine applicables aux agents d’application de la loi prévoient la même règle.

[88] La Dre Krista Johnson était elle aussi médecin-chef aux Services de santé de la GRC durant la période visée par la plainte. Elle a été responsable du dossier du gendarme Desson de mai 2011 à septembre 2012, après quoi, la Dre Ross a repris le dossier. Le rôle de la Dre Johnson consistait entre autres à évaluer l’aptitude au travail des agents de la GRC. À l’audience, elle a déclaré que le risque de récurrence pour une personne souffrant d’épilepsie était plus élevé dans les cinq premières années suivant la crise. Elle a ajouté que le gendarme Desson avait cessé de prendre ses médicaments, de sorte qu’il fallait recommencer le calcul de la période de cinq ans sans fonctions opérationnelles et que celle-ci aurait donc pris fin le 27 juin 2017. Le fait d’arrêter de prendre ses médicaments aurait eu pour effet de repartir le compteur à zéro et augmentait le risque de récurrence des crises.

[89] La Dre Isabelle Fieschi, à l’instar des Dres Ross et Johnson, était médecin-chef à la GRC. Elle est intervenue dans le dossier de M. Desson en 2014 et en 2015. D’après son témoignage, au moment de déterminer le statut opérationnel d’une personne, il faut tenir compte du risque d’intervention inadéquate dans une situation d’urgence. Une crise peut entraîner une perte de conscience et peut être très dangereuse. La confusion postcritique et l’altération des facultés pourraient nuire à l’exécution sécuritaire des fonctions policières. Elle a ajouté que les données montrent que le risque de récurrence des crises diminue progressivement avec le temps. Après cinq ans, le risque est réduit à un niveau acceptable, soit le même qu’une personne qui n’a jamais souffert d’épilepsie. D’après ce qu’elle comprend, un agent de police ne peut pas exercer de fonctions opérationnelles pendant six mois à la suite d’un changement de médicaments. Contrairement à ce qu’a affirmé la Dre Johnson lors de son témoignage, la Dre Fieschi a déclaré que le fait de changer de médicament pouvait prolonger la période de cinq ans, mais ne repartait pas le compteur à zéro. Par conséquent, le compteur ne repart pas à zéro après un changement de médicaments. Dans les faits, le compteur n’est pas reparti à zéro quand le gendarme Desson a cessé de prendre ses médicaments pendant un certain temps.

[90] Le Dr Marc-André Beaulieu est neurologue et spécialiste de l’épilepsie. Durant la période visée par la plainte, il était conseiller national en matière de santé pour la GRC. À l’audience, il a déclaré que le retrait, pendant cinq ans, des fonctions opérationnelles des agents de police ayant fait au moins deux crises s’explique par le risque d’incapacité soudaine et de confusion postcritique provoqué par la maladie et par le fait que les agents de police effectuent un travail essentiel à la sécurité. Il a expliqué les risques associés à la survenue d’une crise au volant, surtout pour un agent de police. Dans le cas d’une poursuite ou d’un code 3, une crise pourrait avoir des conséquences graves. Il a ajouté que le fait qu’un agent de police soit frappé d’une incapacité pendant une altercation physique avec un suspect dans le contexte d’une arrestation pourrait également être catastrophique pour l’agent et le public. De plus, le fait que les agents de police portent une arme à feu pose des risques liés à la sécurité en cas d’incapacité. Il a ajouté qu’il existe des risques non seulement pendant l’incapacité, mais aussi après celle-ci, lorsque la personne est totalement confuse. Il a aussi indiqué que les agents de police doivent être très alertes, parce qu’ils sont appelés à prendre rapidement des décisions critiques, notamment la décision de lutter ou de fuir.

[91] Le Dr Beaulieu a expliqué que le risque d’incapacité soudaine diminue avec le temps en l’absence d’autres crises. Après un an, le risque de récurrence pour la personne qui a eu au moins deux crises est de 73 %; après trois ans, il chute à 8 %; après quatre ans, il est de 5 %; après cinq ans, il est de 3 %; et au début de la sixième année, il s’établit à 1 ou 2 %. Par conséquent, lorsqu’il s’est écoulé cinq ans depuis la dernière crise, le risque de récurrence tombe à un niveau acceptable (1 ou 2 %), que la personne prenne ou non des médicaments. La politique de cinq ans initiale permettait à une personne épileptique de réintégrer ses fonctions opérationnelles s’il s’était écoulé cinq ans depuis la dernière crise et qu’elle n’avait pas besoin de médicaments. Si la personne devait prendre des médicaments, la personne était affectée à des tâches administratives pour le reste de sa carrière. Cette restriction a été abolie au cours de l’exercice 2010-2011, de sorte qu’une personne peut réintégrer ses fonctions opérationnelles après cinq ans, qu’elle prenne ou non des médicaments.

[92] Le Dr Beaulieu a expliqué que la GRC avait adopté la politique de cinq ans et l’avait révisée après avoir examiné d’autres politiques. Il a ajouté que la GRC, en tant qu’organisation policière, n’a pas les ressources nécessaires pour refaire le travail des principaux organismes de réglementation. Elle s’est donc basée sur les politiques existantes à titre de pratiques exemplaires. Elle a pris en considération les politiques de l’Association médicale canadienne et des organismes de réglementation dans d’autres industries critiques sur le plan de la sécurité, comme le CCATM, qui exige que les conducteurs de véhicules commerciaux ayant reçu un diagnostic d’épilepsie n’aient pas fait de crises pendant cinq ans, qu’ils prennent ou non des médicaments, avant de reprendre la roue. Le Dr Beaulieu a indiqué que la GRC s’était aussi inspirée d’autres politiques, comme les lignes directrices sur la conduite du Canadien National. Il a également fait remarquer que d’autres services de police, comme la Police provinciale de l’Ontario, ont une politique semblable à la politique de cinq ans. Il a ajouté que dans d’autres pays, comme l’Australie, le Royaume-Uni et les États‑Unis, et en Europe, l’interdiction de conduire un véhicule commercial est de dix ans et il est parfois exigé que le conducteur ne prenne pas de médicaments.

[93] Le Dr John Diggle, neurologue et spécialiste de l’épilepsie, a été le médecin traitant du gendarme Desson de 2010 à 2016. Dans son rapport du 27 juillet 2010, il a écrit que le gendarme Desson avait eu quatre crises par le passé et que son risque de récurrence des crises était de 98 %. Il lui a donc prescrit un médicament anticonvulsivant, le Tégrétol.

[94] Le Dr Diggle a souscrit un affidavit et a été contre-interrogé à l’audience. Il a expliqué ainsi le risque de récurrence de 98 % :

[traduction]
Le calcul est basé sur des données globales bien connues provenant de la littérature médicale, qui fournit des statistiques sur le taux de récurrence des crises chez les personnes ayant reçu un diagnostic d’épilepsie. D’autres neurologues au courant de ces données médicales pourraient conclure que le risque est aussi élevé que 100 % ou être aussi faible que 90 %. Les mêmes données médicales m’ont amené à conclure que M. Desson a 85 % de chances d’être « libéré des crises », c.-à-d. de ne plus faire de crises, s’il prend un seul médicament anticonvulsivant indéfiniment.

[95] Le Dr Diggle a ajouté : [traduction] « Les données médicales établissent qu’environ 15 % des patients qui souffrent d’épilepsie, comme le gendarme Desson, auront une autre crise même s’ils prennent un médicament. » En contre-interrogatoire, le Dr Diggle a expliqué que c’est ce qu’on appelle une crise soudaine, c’est-à-dire une crise qui survient alors que le patient prend un médicament. Certains patients auront besoin de prendre deux médicaments; d’autres auront besoin d’en prendre trois, et [traduction] « un petit pourcentage de patients souffrant d’épilepsie n’arriveront jamais à se libérer des crises, peu importe les médicaments prescrits ».

[96] Le Dr Diggle a précisé que [traduction] « le risque de récurrence ne peut pas être individualisé et est généralisé pour tous les patients qui reçoivent un diagnostic d’épilepsie. Seul le passage du temps sans récurrence des crises permettra de savoir si un patient tombe dans les 85 % de patients qui prennent un seul médicament et qui ne font pas d’autres crises ou dans les 15 % de patients qui subiront d’autres crises ». Son point de vue était principalement lié à l’aspect clinique, c.-à-d. à la question de savoir s’il était nécessaire de prendre un ou deux ou trois médicaments pour éviter la récurrence des crises.

[97] Il a expliqué ce qui suit :

[traduction]
Le risque de récurrence des crises chez les patients épileptiques comme M. Desson est plus élevé juste après une crise. À mesure que le temps passe sans qu’il y ait d’autres crises, le risque de récurrence des crises du patient diminue. À l’époque des faits, compte tenu de la situation de M. Desson, de son profil médical et de ma connaissance des statistiques fournies dans la littérature médicale, j’aurais considéré comme très faible le risque que M. Desson ait une autre crise s’il prenait des médicaments et qu’il n’avait pas de crises depuis trois à cinq ans.

[98] Le Dr Diggle a expliqué que le risque de récurrence des crises est le plus élevé au cours des six premiers mois suivant la crise, puis il diminue de façon exponentielle tout au long de la vie du patient. Ainsi, plus le temps passe depuis la dernière crise, moins le patient est susceptible d’avoir une crise soudaine. Les personnes qui prennent des médicaments ont un très faible risque de récurrence des crises après trois et cinq ans si elles n’ont pas eu de crises pendant cette période.

[99] En outre, le Dr Diggle a expliqué qu’il n’est pas rare que les personnes épileptiques soient confuses et désorientées après une crise et qu’elles peuvent également souffrir de défaillances cognitives temporaires pendant un certain temps (pendant des heures, voire des jours), par exemple des problèmes d’attention ou de concentration, des problèmes de mémoire à court terme et une amnésie rétrograde liée à une certaine période (quelques heures, jusqu’à une journée ou plus dans des cas rares).

[100] Le Dr Diggle n’a pas commenté la politique de cinq ans, affirmant qu’il n’est pas en mesure d’approuver ou d’appuyer ni de nier ou de réfuter des lignes directrices internes. Il a précisé que dans le cas d’un pilote d’avion qui fait une crise, c’est la fédération d’administration de l’aviation qui connaît la tolérance à l’égard du risque. Le principe est le même pour la politique de la GRC.

[101] Le gendarme Desson a admis que l’incapacité soudaine d’un agent de police posait un risque pour la sécurité, entre autres à cause du risque d’être désarmé. Il a également expliqué que le code 3 signifie que l’agent de police conduit avec la sirène actionnée, ne respecte pas le code de la route et dépasse la limite de vitesse, tout en conduisant de façon défensive, en communiquant par radio avec le service de répartition, en lisant la plaque d’immatriculation, en demandant au service de répartition si la personne poursuivie a un casier judiciaire, etc. Dans ces circonstances, le niveau de stress de l’agent de police est assez élevé. Selon le gendarme Desson, ce type de conduite est différent et plus risqué que la conduite d’un véhicule commercial ou personnel.

[102] De plus, le gendarme Desson a déclaré qu’il avait fait des recherches et qu’il avait découvert que, selon la politique du service de police d’Edmonton, il est interdit aux agents de police ayant eu une crise d’exercer leurs fonctions opérationnelles pendant une période de dix ans après la dernière crise, dont cinq ans sans la prise de médicaments. Au service de police de Toronto, l’interdiction dure cinq ans, que l’agent de police prenne ou non des médicaments.

b) Analyse

[103] Premièrement, le Tribunal est convaincu que la preuve démontre que le travail des agents de police est critique sur le plan de la sécurité. Le rôle des agents de police, tel qu’il est décrit dans le répertoire intégré des tâches des gendarmes aux services généraux, consiste essentiellement à protéger le public. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, les agents de police peuvent être appelés à poursuivre, à arrêter et à maîtriser un suspect qui s’enfuit ou qui résiste ou une personne violente ou déséquilibrée; à patrouiller dans des zones à criminalité élevée; à prêter assistance à une personne malade, blessée ou en train de se noyer; à retrouver une personne perdue, désorientée ou en fugue; à répondre aux demandes d’aide d’ordre général; à améliorer la sécurité routière en arrêtant les contrevenants ou en les poursuivant et en procédant à leur arrestation.

[104] Ces tâches précises illustrent la nature cruciale, sur le plan de la sécurité, du travail des agents de police.

[105] Deuxièmement, le Tribunal accepte, compte tenu de la preuve, que la politique de cinq ans est rationnellement liée à son objectif visant à assurer la sécurité du membre, de ses collègues et du public. En effet, la preuve fournie par deux neurologues spécialistes de l’épilepsie, les Drs Diggle et Beaulieu, ainsi que par les Dres Ross, Johnson et Fieschi, médecins-chefs à la GRC, démontre bien le risque d’incapacité et le risque lié à l’état postcritique chez une personne épileptique. En outre, le document du CCATM explique le risque d’incapacité soudaine pendant la conduite de véhicule, qui constitue un aspect important du travail des agents de la GRC.

[106] Même M. Desson a admis qu’une incapacité soudaine, qui surviendrait par exemple pendant une altercation avec un suspect, pourrait être extrêmement dangereuse pour le membre, ses collègues et le public.

[107] Le Tribunal estime probant le fait que, comme il est indiqué dans le document du CCATM, les crises doivent être sous contrôle avant qu’une personne puisse reprendre la roue. Pour que les crises soient sous contrôle, il doit s’être écoulé une certaine période depuis la dernière crise.

[108] La période de cinq ans pendant laquelle les fonctions des agents de police sont limitées aux tâches administratives est également liée à l’exécution du travail en cause, car le risque diminue avec le temps, en l’absence de nouvelles crises et lorsque le patient suit les conseils de son médecin pour ce qui est de la prise de médicaments. Dans le cas d’une personne épileptique, la preuve montre que, après une crise, le risque de récurrence diminue à 15 % si le patient prend ses médicaments, puis tombe à 2 ou 3 % après 3 à 5 ans ou même à 1 % après 5 ans.

[109] Les Drs Ross, Johnson, Fieschi, Diggle et Beaulieu sont tous du même avis : après 5 ans, le risque de récurrence est de 1 %.

[110] La GRC a choisi d’accepter un risque de 1 %. Cette décision est compatible avec celles d’autres pays qui ont adopté des politiques similaires dans le même but. Certaines politiques sont plus restrictives et prévoient une période de dix ans.

[111] La preuve montre que la politique de cinq ans est rationnellement liée à la nature cruciale du travail policier sur le plan de la sécurité.

[112] Le Tribunal ajoute qu’aucun élément de preuve contradictoire ne donne à penser que le risque de récurrence des crises diminue à 1 % avant la fin de la période de 5 ans. De plus, rien n’indique que le seuil de risque de récurrence de 1 % adopté par la GRC est déraisonnablement bas.

[113] Le Tribunal considère également que la politique de cinq ans est raisonnablement nécessaire à l’exécution du travail en cause. La même preuve sur les risques liés à la sécurité démontre que la politique de cinq ans est rationnellement liée à l’exécution du travail en cause et qu’elle est raisonnablement nécessaire pour maintenir des normes de sécurité appropriées pour les agents de la GRC. La preuve montre que le fait pour un agent de police d’avoir une crise pendant qu’il est de service pose un risque pour l’agent, ses collègues et le public.

[114] La politique de cinq ans n’empêche les membres d’exercer des fonctions opérationnelles que lorsque le risque dépasse un certain seuil, qui est d’environ 1 %. Le Tribunal accepte que la GRC a le droit de choisir le niveau de risque qu’elle est prête à accepter et que ce niveau est raisonnable compte tenu des conséquences très graves que pourrait entraîner le fait d’avoir une crise dans un contexte opérationnel. La politique de cinq ans tient bien compte de ce risque, en prévoyant des restrictions adaptées à la situation personnelle du membre et fondées sur les connaissances médicales. En effet, elle limite la restriction de cinq ans aux personnes dont les crises ne sont pas causées par un déclencheur, signe que le risque de récurrence est faible. De plus, la restriction de cinq ans ne peut pas être adaptée davantage au risque que pose un agent, car aucun élément de preuve n’a été déposé pour démontrer qu’il est possible d’évaluer avec précision si un agent de police particulier présente un risque de récurrence plus faible.

[115] Néanmoins, la preuve démontre également que la politique de cinq ans a été appliquée avec souplesse, de manière à tenir compte de la situation personnelle des membres. Même si la politique écrite initiale n’a pas été modifiée, les experts médicaux qui appliquent la politique ont admis qu’une période de cinq ans sans crise était suffisante, même si l’agent de police prenait des médicaments anticonvulsivants pendant cette période. De plus, comme nous le verrons, le gendarme Desson a été évalué individuellement et a été autorisé à réintégrer pleinement ses fonctions opérationnelles un peu avant la fin de la période de cinq ans. Comme en témoignent également la note du 29 décembre 2014 de la Dre Fieschi au sujet de la possibilité de réintégrer pleinement ses fonctions opérationnelles après trois ans et l’examen du comité de médecins-chefs du 13 février 2014, la politique permettait à la GRC de tenir compte de la situation médicale personnelle des agents.

[116] La politique de cinq ans est raisonnablement nécessaire, parce qu’elle est nécessaire pour gérer le risque grave pour la sécurité que présente un agent frappé d’une incapacité à la suite d’une crise dans l’exercice de ses fonctions opérationnelles. Elle est appliquée de manière à tenir compte de la situation personnelle d’un agent et à limiter le moins possible les activités opérationnelles, puisqu’elle peut être adaptée à la situation médicale particulière d’un agent.

[117] Par conséquent, le Tribunal répond par l’affirmative à la première question et conclut que l’intimée a adopté la politique de cinq ans dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause et que la politique est raisonnablement nécessaire.

Question 2 : L’employeur a-t-il adopté la politique de cinq ans en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime?

[118] Le Tribunal est d’avis que l’employeur a adopté la politique de cinq ans en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser son but légitime.

[119] Pour répondre à cette question, le Tribunal doit établir si la GRC a adopté la politique de cinq ans pour un motif caché et discriminatoire. Il est ici question de l’élément subjectif du critère.

[120] Comme la Cour suprême du Canada l’a énoncé dans l’arrêt Meiorin, aux paragraphes 60 et 61, même si l’objet général est rationnellement lié à l’exécution du travail en cause, comme nous l’avons vu dans la section précédente, nous devons vérifier si la politique visait de quelque façon que ce soit à cibler les personnes épileptiques, ou le gendarme Desson lui-même, ou d’autres personnes ayant des caractéristiques semblables.

[121] La politique de cinq ans initiale a été adoptée en 1995, bien avant l’arrivée du gendarme Desson à la GRC, et la version révisée de la politique était à l’avantage du gendarme Desson, puisqu’elle lui a permis de réintégrer ses fonctions opérationnelles. Par conséquent, la politique ne peut pas avoir été adoptée dans le but de cibler le gendarme Desson.

[122] La politique de cinq ans ressemble aux politiques adoptées dans bien d’autres industries critiques sur le plan de la sécurité. En effet, la preuve démontre qu’il existe un large consensus, dans l’ensemble des industries similaires, sur le fait que le risque de récurrence des crises est suffisamment grave pour qu’il faille le gérer. Rien n’indique que ces politiques sont motivées par autre chose que des facteurs liés à l’emploi.

[123] La question est de savoir si la GRC a adopté la norme de bonne foi. Encore une fois, il ne fait aucun doute que la GRC a satisfait à cette exigence. Personne n’a laissé entendre que la GRC avait adopté la norme pour des raisons autres que le maintien de la sécurité dans les forces policières.

[124] Le plaignant soutient que la Dre Ross n’approuvait pas la politique de cinq ans, car elle était d’avis qu’il pourrait reprendre ses fonctions opérationnelles en janvier 2011, à l’exception de la conduite dans un contexte opérationnel. Selon lui, elle a fait preuve de mauvaise foi lorsqu’elle lui a dit qu’il ne pouvait pas exercer de fonctions opérationnelles pendant une période de cinq ans.

[125] Le Tribunal est d’avis que l’erreur de la Dre Ross était attribuable à son manque de connaissance de la politique de cinq ans en 2010. Il ne s’agit pas d’une preuve de mauvaise foi de la part de la GRC à l’égard du gendarme Desson. Le Tribunal conclut qu’aucun élément de preuve n’a été fourni pour démontrer que la politique initiale ou sa version révisée ont été adoptées de mauvaise foi, dans le but d’exclure les personnes épileptiques, ou le gendarme Desson, directement ou arbitrairement, de leurs fonctions opérationnelles.

[126] Au contraire, la preuve démontre que la GRC a fait preuve de bonne foi et que la politique était nécessaire pour réaliser le but légitime lié à la sécurité. En effet, la politique de cinq ans a été adoptée en raison du risque réel que posent, pour la sécurité du membre, de ses collègues et du public, l’incapacité soudaine et la confusion postcritique liées à une crise d’épilepsie.

[127] Le Tribunal conclut que l’employeur a adopté la politique de cinq ans en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser le but légitime qui consiste à protéger la sécurité du membre, de ses collègues et du public. Le Tribunal répond par l’affirmative à la question 2.

Question 3 : L’employeur a-t-il pris des mesures d’adaptation à l’égard du plaignant au titre de la politique de cinq ans sans aller jusqu’à subir une contrainte excessive?

[128] Le Tribunal conclut que la GRC a pris des mesures d’adaptation à l’égard du gendarme Desson sans aller jusqu’à subir une contrainte excessive.

[129] Comme je l’ai mentionné plus tôt, c’est la version révisée de la politique de cinq ans qui a été appliquée dans le cas du gendarme Desson. Celle-ci lui a permis de réintégrer ses fonctions opérationnelles après cinq ans sans crise, même s’il doit prendre des médicaments pour une période indéfinie.

[130] Entre le 14 juillet 2010 et le 6 mai 2015, le gendarme Desson s’est vu attribuer les cotes O6 (lorsqu’il était en congé de maladie) et O4 (lorsqu’il a été en mesure d’effectuer des tâches administratives) :

  • Du 14 juillet 2010 à novembre 2010 : cote O6, congé de maladie;
  • De novembre 2010 à janvier 2011 : cote O4, tâches administratives;
  • De janvier 2011 à février 2013 : cote O6, congé de maladie;
  • De février 2013 à mai 2015 : cote O4, tâches administratives;
  • Depuis le 6 mai 2015 : cote O2, fonctions normales, y compris les fonctions opérationnelles.

[131] Le plaignant est d’avis que, lorsqu’il a été affecté à des tâches administratives de novembre 2010 à janvier 2011, l’employeur ne lui a pas confié de tâches qui auraient pu contribuer à son perfectionnement professionnel. Il croit que l’intimée n’a pas fait suffisamment d’efforts pour le soutenir et prendre des mesures d’adaptation à son égard. Il soutient que l’intimée a appliqué la politique de cinq ans de façon générale sans tenir compte de sa situation personnelle, de la recommandation de la Dre Fasihy et du Dr Diggle, et du fait que ses crises avaient été déclenchées par sa consommation d’éphédra, son régime, son manque de sommeil ou son exercice excessif.

[132] Le plaignant fait également valoir que, entre janvier 2011 et février 2013, il était en congé de maladie en raison d’un trouble psychiatrique, qu’il attribue à sa prise de connaissance de la politique de cinq ans. Il est d’avis que la GRC aurait dû le réintégrer dans ses fonctions opérationnelles au cours de cette période, ce qui lui aurait permis de réduire la durée de son congé de maladie lié à un problème de santé mentale.

De juillet 2010 à janvier 2011

a) Faits

[133] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, le 14 juillet 2010, alors qu’il conduisait son véhicule personnel pour se rendre au travail, M. Desson a fait une crise d’épilepsie. Il ne portait pas son uniforme, mais il portait son arme à feu réglementaire, des munitions et des menottes. Il a heurté une barrière de ciment, et sa voiture s’est arrêtée sans heurter quoi que ce soit d’autre ni blesser qui que ce soit. Un homme a été témoin de l’accident et s’est approché de la voiture pour prêter assistance au conducteur. Il a remarqué que le gendarme Desson tremblait de façon incontrôlable. Une ambulance a été appelée et le gendarme Desson a été conduit à l’hôpital.

[134] Dans leur rapport, les ambulanciers ont indiqué que la GRC était sur les lieux et avait pris l’arme et les menottes du plaignant. Ils ont ajouté que le plaignant conduisait sur l’autoroute et qu’il avait eu un accident mineur causé par une crise d’épilepsie. [traduction] « Le patient a déclaré qu’avant d’embarquer sur l’autoroute, il avait eu une crise d’anxiété et que sa main gauche était devenue engourdie. Le patient a déclaré qu’il aurait dû se ranger sur l’accotement. » Le rapport fait état d’une crise d’épilepsie et d’un état postcritique [état de conscience altéré après une crise].

[135] Le gendarme Desson a déclaré qu’il s’était rendu compte, alors qu’il était dans l’ambulance, qu’il allait être en retard au travail et qu’il en avait donc informé son collègue, Justin Guiel, par message texte. Pendant qu’il attendait à l’urgence, le caporal Fluegal (agent des opérations) et le caporal Stephane Hamel (gestionnaire de district) sont arrivés. Le gendarme Desson a confié au caporal Hamel qu’il avait eu des convulsions par le passé (quelques mois auparavant lorsqu’il était à la maison ainsi que cinq ans plus tôt et, à ce moment-là, il avait perdu son permis de conduire pendant trois mois).

[136] À l’urgence, on a noté que le gendarme Desson ne se souvenait pas de la crise et des instants qui l’ont suivie, et qu’il avait souffert de confusion postcritique. La crise a duré une vingtaine de minutes. Le médecin à l’urgence a demandé que le gendarme Desson soit vu rapidement par un neurologue. Il a écrit : [traduction] « Merci d’examiner cet agent de police de 39 ans qui a fait deux crises en deux mois, dont une au volant. » Le médecin a ajouté que le tomodensitogramme de la tête était normal. En fait, cet examen n’a révélé aucune anomalie intracrânienne grave. Le gendarme Desson a obtenu son congé de l’hôpital.

[137] Ce soir-là, il a été informé que le sergent Rob Lemon avait révélé à l’équipe de nuit ce qui lui était arrivé, c’est-à-dire qu’il avait eu une crise d’épilepsie et un accident. Le gendarme Desson a déclaré qu’il était furieux que ses collègues soient au courant de l’incident. Il éprouvait de la honte d’avoir eu une crise ayant causé un accident, et il avait peur que ses collègues le jugent. Il voulait que personne ne le sache.

[138] Le 16 juillet 2010, le gendarme Desson a été informé par la Dre Ross, lors d’un appel téléphonique, qu’il ne pouvait pas conduire dans un contexte opérationnel pendant douze mois et qu’il ne pouvait pas conduire dans un contexte administratif pendant trois mois. Elle a informé ses gestionnaires (Jane Baptista et Walt Sutherland) que son profil médical avait été mis à jour et que la cote O4 lui avait été attribuée. Ses fonctions devaient donc se limiter au soutien à l’exécution de la loi ou à l’administration; il ne pouvait pas être soumis au rappel pour mobilisation avant le 12 juillet 2011 et il ne pouvait pas conduire dans un contexte administratif avant que son cas soit réexaminé le 13 octobre 2010.

[139] Un EEG a été réalisé le 27 juillet 2010. Les résultats étaient normaux, mais l’EEG montrait [traduction] « des pointes provenant du lobe temporal gauche qui semblent indiquer une prédisposition aux crises du lobe temporal gauche ».

[140] Le 27 juillet 2010, la médecin de famille du plaignant, la Dre Fasihy, l’a déclaré inapte au travail jusqu’au 30 juillet 2011.

[141] Après avoir examiné le rapport concernant l’EEG, le Dr Diggle, neurologue, a examiné M. Desson le 27 juillet 2010. À l’audience et dans son affidavit, il a précisé que c’est le gendarme Desson qui lui avait donné ses antécédents médicaux et qu’il n’avait pas eu accès à ses dossiers médicaux. Le neurologue a noté dans son rapport du 27 juillet 2010 que le gendarme Desson avait eu quelques crises au cours de sa vie. La première est survenue en 2005 en Ontario. Le médecin a qualifié la crise de [traduction] « crise de grand mal ». Son épouse de l’époque a décrit [traduction] « l’apparition subite de raideur des quatre extrémités la nuit, quand le patient dort, suivie de tremblements, de myalgie diffuse, d’hémorragies pétéchiales et de morsures de la langue ». Il a peut-être eu une autre crise en 2007, mais n’a pas consulté un médecin. Il a eu une autre crise le 8 mai 2010, mais encore une fois n’a pas consulté un médecin. Ce jour-là, [traduction] « [i]l a soudainement commencé à ressentir de l’anxiété, est allé regarder par la fenêtre, puis s’est mis à “fixer” et a commencé à avoir une “vision tubulaire”. Son bras gauche s’est mis à trembler, il a commencé à avoir une “vision tubulaire”, et lorsqu’il est revenu à lui, au moins une heure s’était écoulée. Il avait une coupure au-dessus de l’œil droit. Il a eu besoin de points de suture, mais aucun médicament pour la prophylaxie des crises ne lui a été prescrit. »

[142] Dans son affidavit, le Dr Diggle a précisé qu’il avait établi un diagnostic d’épilepsie partielle en se fondant sur les résultats de l’EEG du 27 juillet 2010 (anormaux et révélant une activité épileptiforme), le rapport des ambulanciers et le rapport rempli à l’urgence qui montraient un état postcritique, sur le fait que le plaignant avait eu quatre crises au cours des cinq années précédentes et sur la description des symptômes qu’il avait éprouvés ou que d’autres avaient observés au début de ses crises. Il a ajouté que le gendarme Desson avait manifestement souffert de confusion postcritique. Il a expliqué qu’il n’est pas rare que les personnes épileptiques soient confuses et désorientées après une crise. Ainsi, le patient peut être conscient et en contrôle de ses fonctions corporelles, mais ne pas être bien orienté dans son environnement. Après une crise, la personne peut souffrir de défaillances cognitives temporaires pendant un certain temps (pendant des heures, voire des jours), par exemple des problèmes d’attention ou de concentration, des problèmes de mémoire à court terme et une amnésie rétrograde liée à une certaine période précédant la crise (quelques heures, jusqu’à une journée ou plus dans des cas rares).

[143] Le Dr Diggle a décrit la crise qui s’est produite le 14 juillet 2010 lorsque le gendarme Desson conduisait :

[traduction]
Encore une fois, il a ressenti une soudaine poussée d’anxiété, a commencé à avoir une vision tubulaire importante et des pensées étranges et fuyantes, comme la pression de ses pensées. Son bras gauche est devenu engourdi, puis il a perdu conscience. Lorsqu’il est revenu à lui, des ambulanciers et des agents de la GRC l’entouraient. Il s’est mordu le fond de la langue, à droite. Il n’a pas perdu le contrôle de sa vessie. Il faisait de la myalgie diffuse et était confus et désorienté.

[144] Après avoir effectué son examen médical, le Dr Diggle a décrit son impression ainsi :

[traduction]
Épilepsie partielle, avec pensée forcée et anxiété comme symptômes d’aura. Je soupçonne des épisodes d’anxiété ou des crises d’épilepsie partielle, suivis de crises d’épilepsie généralisée de type tonico-clonique. Je présume qu’elles proviennent de la région temporale gauche, compte tenu des pointes dans l’EEG. Le principal diagnostic différentiel serait une épilepsie partielle de l’hémisphère droit, vu l’engourdissement du bras gauche; des foyers bitemporaux sont aussi possibles, bien que cela soit rare.

[145] Le Dr Diggle a formulé les recommandations suivantes :

[traduction]
1 Examen par IRM de son cerveau, ? sclérose temporale mésiale

2 Interdiction de conduire pendant un an. S’il n’a pas d’autre crise et qu’il prend ses médicaments, le patient pourrait peut-être recommencer à conduire en toute sécurité au bout de six mois, mais cette décision sera prise en temps et lieu.

3 Interdiction de porter une arme à feu ou d’occuper un poste de responsabilité en matière de sécurité publique pendant six mois. Cela pourrait le placer en congé d’invalidité de courte durée, à moins qu’il soit possible de lui trouver d’autres fonctions (c.-à-d. des tâches administratives). S’il n’est pas possible de lui trouver d’autres fonctions, je le considérerais comme invalide pour des raisons médicales. S’il est possible de lui trouver d’autres fonctions, il pourrait retourner au travail avec des tâches modifiées.

4 Prophylaxie des crises. Il a maintenant eu quatre crises. Le risque de récurrence des crises est d’environ 98 %. Je lui ai prescrit du Tégrétol […]

5 Disposition. Je le verrai en rendez-vous de suivi dans trois mois […]

[146] À l’audience, le Dr Diggle a ajouté que, bien que les crises d’épilepsie du gendarme Desson aient pu être causées par des déclencheurs, le gendarme Desson demeurait prédisposé aux crises en raison de l’épilepsie temporale que le Dr Diggle a constatée lors de l’EEG. Il a mentionné au gendarme Desson qu’il était important d’éliminer les déclencheurs connus en modifiant son mode de vie, mais que cela ne l’empêcherait pas complètement d’avoir d’autres crises. Par conséquent, il devrait prendre des médicaments anticonvulsivants indéfiniment.

[147] Le 28 juillet 2010, la Dre Ross a entré une note dans le Système d’information de gestion du soutien de santé (SIGSS) :

[traduction]
Appel téléphonique avec le membre

Il a subi un EEG hier. L’EEG montre une certaine activité épileptique dans le lobe temporal gauche. Le neurologue lui a interdit de conduire (même son véhicule personnel) pendant six mois. Son médecin de famille l’a déclaré totalement inapte au travail pour un an.

Il croit que le pronostic de son médecin de famille est fondé sur le stress […] il est en instance de divorce, il déteste vivre en Colombie-Britannique et maintenant l’idée de prendre l’autobus est tout à fait insultante et entraînera probablement une dépression majeure. Il a déjà eu un épisode de dépression mineure.

Il est mécontent que ses collègues aient été mis au courant de son état de santé (allégation non corroborée) et il a une relation difficile avec certains de ses gestionnaires.

Il a déjà consulté M. Schimpf.

P : J’ai suggéré au membre de communiquer avec M. Bowman, qui pourrait l’aider à formuler un plan et à élaborer des stratégies d’adaptation. Je lui ai expliqué la différence entre le retrait d’une arme à feu pour des raisons médicales et le retrait d’une arme à feu pour des raisons administratives.

[148] Le plaignant a déclaré qu’il était très contrarié de ne pas pouvoir reprendre ses fonctions habituelles et de ne pas pouvoir conduire un véhicule pendant une longue période. Il ressentait beaucoup de stress. Il ne pouvait pas s’imaginer faire des tâches administratives, et il était gêné de devoir prendre l’autobus pour se déplacer.

[149] Le 17 août 2010, la Dre Fasihy a écrit dans le questionnaire d’évaluation de l’invalidité (formulaire de l’intimée) qu’il y avait un risque de collision si le gendarme Desson avait une autre crise au volant. Dans la section relative aux conclusions objectives, elle a noté la crise et la difficulté à se concentrer. Dans la section sur les restrictions et les limitations, elle a mentionné que [traduction] « [l]e patient déclare qu’il est incapable de se concentrer et qu’il est incapable de remplir ses fonctions habituelles ». Elle a ajouté qu’il sera en mesure de reprendre ses fonctions habituelles dans six mois s’il ne fait pas de nouvelle crise.

[150] Le 17 septembre 2010, M. Roland Bowman, psychologue régional à la GRC, a écrit à la sergente d’état-major Regina Lyon pour l’informer que M. Myron Schimpf, le psychologue traitant, était favorable au retour au travail du plaignant avec limitation aux tâches administratives. Il a écrit que le plaignant se sentirait plus à l’aise de retourner dans sa propre section et lui a demandé comment il pourrait lui être utile.

[151] Le 27 septembre 2010, le gendarme Desson a écrit à son superviseur direct, le caporal Babak Dabiri, pour lui dire que, lors de son dernier rendez-vous médical, il avait été décidé qu’il retournerait au travail le 1er novembre 2010.

[152] À l’audience, le gendarme Desson a déclaré qu’il se sentait très mal à l’aise de divulguer ses renseignements médicaux. Il a expliqué que lorsqu’il avait commencé à travailler à Burnaby, il y avait sur le mur la photo des membres qui étaient absents pour diverses raisons. Il a dit qu’il s’agissait du [traduction] « mur de la honte » et qu’il ne voulait pas que sa photo y soit affichée. Le Tribunal estime qu’il s’agissait de sa propre perception. Aucune preuve ne montre que les gendarmes ayant des restrictions médicales étaient stigmatisés de façon générale.

[153] Le 29 septembre 2010, le sergent d’état-major Labossière a déclaré dans un courriel que le gendarme Desson devait revenir au travail le 1er novembre 2010 et qu’il serait affecté à des tâches administratives. Il assisterait le caporal Clark dans le cadre de l’examen des pièces à conviction.

[154] En octobre 2010, la Dre Fasihy a écrit ce qui suit : [traduction] « Il a été incapable de travailler au cours des derniers mois en raison d’une anxiété croissante, de crises récurrentes causées par l’anxiété, d’insomnie, de maux de tête et de douleurs au cou. La récurrence des crises a augmenté récemment et il ne pouvait pas se rendre au travail en voiture. » La Dre Fasihy a fait remarquer que le gendarme Desson [traduction] « signale une augmentation de son anxiété et de son stress depuis 2009, lorsque son ex-épouse, Heidi, l’a appelé pour lui demander de l’argent et l’a menacé d’informer son employeur qu’il avait eu des crises d’épilepsie par le passé, ce qui entraînerait son licenciement ».

[155] Le 22 octobre 2010, le Dr Diggle a écrit que le gendarme Desson avait eu quatre crises de type tonico-clonique (grand mal) non provoquées. Il a précisé qu’il y avait probablement des déclencheurs, soit le manque de sommeil, possiblement le jeûne, l’exercice excessif et la consommation d’éphédrine. Cependant, son EEG présentait des pointes provenant du lobe temporal gauche. Le Dr Diggle a recommandé que le gendarme Desson continue de prendre du Tégrétol indéfiniment et qu’il apporte des changements à son mode de vie pour éliminer les déclencheurs connus. Le Dr Diggle a écrit :

[traduction]
J’ai essayé d’expliquer la différence entre une prédisposition aux crises et les déclencheurs des crises. Je pense qu’il a tout à fait raison d’identifier les déclencheurs et qu’il a reçu un certain nombre de conseils différents d’une nutritionniste, d’autres fournisseurs de soins de santé et au moyen de ses propres recherches. Encore une fois, je pense que les renseignements qu’il possède au sujet des déclencheurs sont tout à fait exacts; cependant, il a une prédisposition sous-jacente/latente aux crises et il devrait continuer à prendre l’anticonvulsivant même s’il contrôle adéquatement ses crises. […] Il n’a pas fait d’autre crise et il continue de prendre ses médicaments, soit une dose stable de Tégrétol. Il peut recommencer à conduire le 14 janvier 2011. Il se sera alors écoulé six mois depuis sa dernière crise.

[156] Le Dr Diggle a écrit que le gendarme Desson pouvait recommencer à conduire le 14 janvier 2011.

[157] Le 6 novembre 2010, le gendarme Desson a entrepris un retour progressif au travail au service de Burnaby. Il a été affecté à des tâches administratives. Certains de ses collègues lui ont demandé comment il allait dans la tête ou comment il se sentait, s’il allait bien et même s’il avait fait d’autres crises d’épilepsie. Le gendarme Desson a déclaré dans son témoignage qu’il est devenu évident pour lui que ses renseignements médicaux avaient été divulgués et que leur confidentialité n’avait pas été respectée. Il a également déclaré que le travail qui lui avait été assigné à son retour au travail (préparer des trousses d’orientation pour les nouveaux membres) était un travail abrutissant qui l’humiliait et qui n’avait aucune utilité pour son avancement professionnel.

[158] Le 18 novembre 2010, le caporal Ferron a envoyé un courriel à différentes personnes au sujet des modalités de retour au travail du gendarme Desson. Comme il lui était interdit de conduire, il était prévu qu’il fasse du covoiturage avec un collègue, le gendarme Guile. Son travail devait se faire au service de Burnaby, sous la supervision du caporal Clark. Il allait s’occuper de l’examen des pièces à conviction et, à temps perdu, il préparerait des trousses d’orientation pour les nouveaux membres. Il a en fait commencé à effectuer les tâches liées à l’examen des pièces à conviction le 16 novembre 2010.

[159] Le 25 novembre 2010, la Dre Fasihy a rempli un certificat médical indiquant que le gendarme Desson n’avait pas eu de crise depuis le 14 juillet 2010. Elle a ajouté qu’il était [traduction] « en mesure de reprendre pleinement ses fonctions policières le 14 janvier 2011 – pathologie résolue ».

[160] Le 7 décembre 2010, la Dre Ross a informé le gendarme Desson qu’elle avait reçu la recommandation de la Dre Fasihy et elle a écrit dans le SIGSS : [traduction] « Nous allons vous autoriser à reprendre toutes vos fonctions, sauf la conduite dans un contexte opérationnel. » Elle a ajouté : [traduction] « Lorsqu’il y a un diagnostic d’épilepsie, les lignes directrices prévoient qu’il faut qu’il se soit écoulé cinq ans depuis la dernière crise, à certaines exceptions près (les recommandations peuvent varier d’un cas à l’autre, pour des motifs exceptionnels). »

[161] Le 10 décembre 2010, la Dre Ross a informé le gendarme Desson que, pour qu’il puisse profiter de l’exception, elle avait besoin d’une lettre du Dr Diggle précisant qu’il était autorisé à conduire dans un contexte opérationnel et expliquant pourquoi il n’était pas nécessaire d’attendre l’expiration de la pleine période recommandée de cinq ans.

[162] À ce moment-là, le gendarme Desson a informé la sergente Baptista qu’il reprendrait rapidement toutes ses fonctions. La sergente Baptista a répondu qu’il n’avait pas été autorisé à conduire un véhicule de police.

[163] Le 23 décembre 2010, la Dre Ross a informé le gendarme Desson qu’elle avait eu une téléconférence avec quelqu’un à Ottawa (le Dr Beaulieu) au sujet de la politique et qu’elle aimerait le rencontrer pour en discuter. La rencontre a eu lieu le 6 janvier 2011.

[164] Le 4 janvier 2011, la Dre Fasihy a déclaré le gendarme Desson inapte au travail jusqu’au 14 janvier 2011, puis elle l’a déclaré inapte au travail du 14 janvier au 29 février 2011 en raison [traduction] « d’étourdissements, de problèmes de concentration, de stress et d’anxiété ». Le congé de maladie a été prolongé jusqu’en 2013.

[165] Le 6 janvier 2011, le Dr Diggle a eu une conversation téléphonique avec le gendarme Desson. Dans son rapport du 6 janvier 2011, il a indiqué que le gendarme Desson lui avait dit que chaque crise avait été précédée de la consommation de stimulants (éphédra et produits à base d’éphédra). Il a écrit :

[traduction]
Bien que les résultats de son EEG laissent entendre qu’il a un seuil épileptogène plus bas que la plupart des gens, toutes ses crises sont associées à des déclencheurs identifiables et immédiats. Bien que je croie que les résultats de l’EEG évoquent une prédisposition, l’examen par IRM n’a révélé aucune anomalie structurelle et les résultats de son examen neurologique sont normaux.

[166] À l’audience, le Dr Diggle a expliqué dans son affidavit que : [traduction] « [l]’épilepsie partielle est causée par une anomalie structurelle ou inflammatoire chez le patient, bien qu’il ne soit pas rare – comme dans le cas de M. Desson – qu’une telle anomalie soit trop petite pour être détectée par imagerie médicale, comme par tomodensitométrie et par IRM ». Il a ajouté que [traduction] « M. Desson présente un risque élevé de récurrence des crises, qui persistera toute sa vie » (non souligné dans l’original).

[167] Le médecin a recommandé que le gendarme Desson continue de prendre un médicament anticonvulsivant (Tégrétol) indéfiniment et qu’il évite les déclencheurs pour être en mesure de reprendre toutes ses tâches opérationnelles et de retrouver un permis de classe 5 complet.

[168] Il a ajouté :

[traduction]
Je pense qu’il est important de faire la distinction entre les déclencheurs immédiats des crises de cet homme. De toute évidence, les résultats de l’EEG évoquent une prédisposition, mais contrairement à bon nombre de patients, ses crises n’étaient pas non provoquées. Elles étaient toutes associées à un déclencheur immédiat, ce qui différencie les crises provoquées et non provoquées. Comme les résultats de l’EEG évoquent une prédisposition, je recommande le Tégrétol.

[169] Le Dr Diggle a ajouté qu’il était disposé à discuter du cas [traduction] « étant donné la présence de déclencheurs immédiats, qui est inhabituelle et qui constitue un facteur pertinent en l’espèce ».

[170] À l’audience, au moyen de son affidavit, le Dr Diggle a ajouté que ce ne sont pas toutes les personnes qui ont une ou plusieurs crises qui souffrent d’épilepsie. Par exemple, les personnes qui ont des convulsions en raison d’un sevrage alcoolique, d’une intoxication par les drogues ou d’une infection comme la méningite, qui ne laissent aucune anomalie durable au cerveau, ne sont pas nécessairement épileptiques. Il a ajouté que le gendarme Desson avait eu quatre crises non provoquées et que la présence de certains déclencheurs ou facteurs précipitants [traduction] « ne change[ait] rien à la conclusion que les crises de M. Desson étaient non provoquées ».

[171] Le même jour, soit le 6 janvier 2011, à 15 h 12, la Dre Ross a discuté au téléphone avec le Dr Diggle. Ses notes indiquent que le Dr Diggle approuvait la politique de cinq ans révisée, alors sous forme d’ébauche.

[172] À l’audience, le Dr Diggle a déclaré qu’il ne se souvenait pas des détails de cette conversation, mais qu’il était peu probable qu’il ait pris position sur des lignes directrices internes concernant le retour au travail, car il ne lui appartenait pas de commenter les politiques des employeurs. Son rôle est d’ordre médical : il doit s’assurer que ses patients reçoivent les meilleurs soins possibles pour éviter que d’autres crises ne surviennent.

[173] Plus tard le 6 janvier 2011, la Dre Ross a envoyé une copie de la note au gendarme Desson et lui a parlé au téléphone. Elle a expliqué que, contrairement à ce qu’elle lui avait dit le 7 décembre 2010, la politique de cinq ans ne lui permettait pas de reprendre ses fonctions normales le 14 janvier 2011, comme il en avait été informé, et qu’il devrait effectuer des tâches administratives pendant cinq ans, conformément à la politique.

[174] Le gendarme Desson était extrêmement déçu. Il a commencé à être méfiant et à faire un peu moins confiance à la Dre Ross.

[175] Le gendarme Desson a déclaré dans son témoignage qu’il avait également eu une conversation avec le Dr Diggle le 6 janvier 2011 et que le médecin lui avait dit qu’il ne voyait pas pourquoi il ne pouvait pas reprendre ses fonctions normales à compter du 14 janvier 2011, comme il avait déjà été décidé.

[176] À l’audience, le Dr Diggle a dit que lorsqu’il avait accepté d’autoriser le gendarme Desson à reprendre l’exercice de ses fonctions en janvier 2011, il ne décidait pas quelles fonctions il pouvait exercer (tâches administratives, fonctions policières normales, code 3). Cette décision ne lui appartenait pas.

[177] Le Dr Diggle a expliqué que le gendarme Desson avait 15 % de chances de ne plus avoir de crises s’il prenait ses médicaments :

[traduction]
[C]ompte tenu du fait que M. Desson a eu quatre crises d’épilepsie et que les résultats de son EEG sont anormaux, son risque de récurrence des crises est de 98 % s’il ne prend pas de médicaments.
Le calcul est basé sur des données globales bien connues provenant de la littérature médicale, qui fournit des statistiques sur le taux de récurrence des crises chez les personnes ayant reçu un diagnostic d’épilepsie. D’autres neurologues au courant de ces données médicales pourraient conclure que le risque est aussi élevé que 100 % ou être aussi faible que 90 %. Les mêmes données médicales m’ont amené à conclure que M. Desson a 85 % de chances d’être « libéré des crises », c.-à-d. de ne plus faire de crises, s’il prend un seul médicament anticonvulsivant indéfiniment.

Les données médicales établissent qu’environ 15 % des patients qui souffrent d’épilepsie, comme le gendarme Desson, auront une autre crise même s’ils prennent un médicament.

[178] Il a ajouté que le risque de récurrence ne peut pas être individualisé et est généralisé pour tous les patients qui reçoivent un diagnostic d’épilepsie. Seul le passage du temps sans récurrence des crises permettra de savoir si un patient tombe dans les 85 % de patients qui prennent un seul médicament et qui ne font pas d’autres crises ou dans les 15 % de patients qui subiront d’autres crises :

[traduction]
17. […]
À mesure que le temps passe sans qu’il y ait d’autres crises, le risque de récurrence du patient diminue. À l’époque des faits, compte tenu de la situation de M. Desson, de son profil médical et de ma connaissance des statistiques fournies dans la littérature médicale, j’aurais considéré comme très faible le risque que M. Desson ait une autre crise s’il prenait des médicaments et qu’il n’avait pas de crises depuis trois à cinq ans.

18. En me fondant sur les déclarations de M. Desson, j’ai d’abord conclu que certains facteurs ou événements avaient peut-être déclenché les crises antérieures de M. Desson. Cependant, j’ai fini par conclure que ces déclencheurs n’avaient pas causé les crises de M. Desson. Ils ont peut-être tout simplement abaissé davantage son seuil épileptogène. Les épileptiques comme M. Desson sont déjà plus vulnérables aux crises que la population en général – leur seuil épileptogène est donc plus bas – et ils présentent un risque beaucoup plus élevé d’incapacité soudaine en raison d’une crise. Certains déclencheurs, comme la consommation de stimulants, l’exercice/l’hyperventilation et le manque de sommeil, peuvent exacerber ce risque plus élevé de crise. Compte tenu du nombre et de la nature des crises antérieures du gendarme Desson, j’ai conclu qu’il ne parviendrait pas à maîtriser son état de santé en se contentant d’éviter les déclencheurs possibles (comme la consommation de stimulants et d’éphédra, le jeûne ou l’exercice excessif). Par conséquent, je lui ai prescrit un médicament anticonvulsivant – le Tégrétol (carbamazépine) – et tout au long du traitement, j’ai recommandé qu’il continue de prendre un médicament anticonvulsivant indéfiniment.

[179] Le 7 janvier 2011, le gendarme Desson a rencontré la Dre Ross, le sergent Whitworth et l’inspectrice Schwartz. La Dre Ross a de nouveau expliqué qu’elle lui avait donné un renseignement erroné lors de leur conversation précédente au sujet du retour à l’exercice des fonctions policières normales et qu’il devait être affecté à des tâches administratives pendant une période de cinq ans. Le gendarme Desson a dit que c’était inconcevable et que sa carrière était, selon lui, ruinée. La Dre Ross a mentionné dans ses notes qu’ils ont discuté de ses options de carrière.

[180] Le 14 janvier 2011, le gendarme Desson a cessé d’exercer ses fonctions administratives et est parti en congé de maladie pendant deux ans pour cause de stress et d’anxiété.

b) Analyse

[181] À la lumière de ces éléments de preuve, pour la période de juillet 2010 à janvier 2011, le Tribunal conclut que le gendarme Desson, contrairement à sa perception, a fait l’objet d’une évaluation individualisée et que la politique de cinq ans n’a pas été appliquée comme une politique générale. La preuve démontre également que la GRC a déployé de nombreux efforts pour lui offrir des mesures d’adaptation lors de son retour au travail.

[182] En effet, le gendarme Desson a déclaré qu’il avait refusé d’admettre qu’il souffrait d’épilepsie malgré l’opinion du Dr Diggle. Selon lui, il avait fait des crises, mais elles étaient entièrement liées à des déclencheurs, soit la consommation d’éphédra, l’exercice excessif et le manque de sommeil. Il a même dit à la Dre Ross en juillet 2010 que c’était la raison pour laquelle la décision de son propre médecin, la Dre Fasihy, de le mettre en congé pendant un an était liée au stress (le divorce, il détestait habiter en Colombie-Britannique et le fait de prendre l’autobus était insultant) et entraînerait probablement un épisode de dépression majeure. Il n’a pas admis qu’il souffre d’épilepsie. Son opinion est demeurée la même, même après que le Dr Diggle, un neurologue spécialiste de l’épilepsie, a confirmé sans l’ombre d’un doute que le gendarme Desson est épileptique et qu’il aura besoin de prendre des médicaments anticonvulsivants pour le reste de sa vie, même s’il évite les déclencheurs connus. La cause de ses crises est une prédisposition à l’épilepsie qui a été démontrée par l’EEG.

[183] Dans son application de la politique de cinq ans, la GRC a tenu compte de la prédisposition du gendarme Desson à l’épilepsie, confirmée par un EEG, et du diagnostic du Dr Diggle. Elle a procédé à une analyse et pris des décisions en fonction de la situation particulière du gendarme Desson. La politique de cinq ans établit une distinction entre les différents types de crises et leur origine. Lorsque l’épilepsie est à l’origine des crises, une procédure particulière est prévue. C’est cette procédure qui a été appliquée au gendarme Desson. Le Tribunal prend également note de l’explication du Dr Diggle selon laquelle le risque de récurrence des crises ne peut pas être personnalisé et seul le temps permet de savoir si une personne aura ou non une nouvelle crise d’épilepsie.

[184] Face à la réalité qu’il aurait à faire du travail administratif et qu’il ne serait pas autorisé à conduire pendant un certain temps, le gendarme Desson a déclaré dans son témoignage qu’il s’était senti non seulement déçu, mais insulté et humilié. Il a eu la même réaction lorsqu’il a appris que certains de ses collègues avaient été informés qu’il avait fait une crise et qu’il avait eu un accident. Il avait l’impression qu’il se retrouverait sur le [traduction] « mur de la honte » et qu’il serait mal vu par ses collègues. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, le Tribunal est d’avis que rien n’étaye le point de vue du gendarme Desson selon lequel il serait l’objet de stigmates.

[185] Malgré le refus du gendarme Desson d’accepter son état de santé et son attitude à l’égard des tâches administratives, la GRC a essayé de répondre à ses besoins de diverses façons. En effet, lorsque le gendarme Desson a informé la Dre Ross que le fait de ne pas exercer de fonctions opérationnelles et de ne pas conduire pourrait l’amener à souffrir d’une dépression majeure, elle lui a suggéré de communiquer avec M. Bowman, psychologue, pour qu’il l’aide à formuler un plan et à élaborer des stratégies d’adaptation, ce qui a été fait, et le gendarme Desson a reçu des soins psychologiques. Dans ses communications avec la sergente d’état-major Lyon au sujet du retour au travail du gendarme Desson, M. Bowman a tenu compte du fait que le gendarme Desson se sentirait plus à l’aise s’il retournait dans sa propre section, comme le recommandait son psychologue, M. Schimpf. Cette recommandation a été suivie, le gendarme Desson ayant entrepris un retour progressif au travail au détachement de Burnaby, où il a été affecté à des tâches administratives. Étant donné que le gendarme Desson ne pouvait pas conduire, la GRC a pris des dispositions pour qu’il se rende au travail avec un collègue. Les horaires ont été planifiés en conséquence.

[186] Le gendarme Desson a déclaré que le travail administratif qui lui a été confié au détachement de Burnaby (examen des pièces à conviction et préparation des trousses d’orientation pour les nouveaux membres) était abrutissant, humiliant et inutile pour son avancement professionnel. Le gendarme Desson a l’impression que les décisions qui ont été prises ont ruiné sa carrière. Le Tribunal n’est pas d’accord.

[187] Le Tribunal est d’avis que la GRC a tenté de répondre aux besoins du gendarme Desson sans subir de contrainte excessive. La GRC a fait des efforts sincères pour envisager toutes les solutions possibles, sans subir de contrainte excessive, étant donné que le gendarme Desson ne pouvait pas exercer de fonctions opérationnelles en application de la politique de cinq ans. La GRC lui a plutôt confié des tâches administratives dans son propre détachement au cours de la période de deux mois de novembre et décembre 2010.

[188] Dans un autre ordre d’idées, le Tribunal fait remarquer que la Dre Ross a commis une erreur importante lorsqu’elle a dit au gendarme Desson que la seule restriction qui s’appliquerait à lui était l’interdiction de conduire dans un contexte opérationnel pendant cinq ans à compter de janvier 2011. Vérification faite auprès du Dr Beaulieu, elle a ensuite expliqué qu’elle s’était trompée et que la politique de cinq ans interdisait l’exercice de toutes les fonctions opérationnelles pendant cinq ans.

[189] L’erreur commise par la Dre Ross a affecté le gendarme Desson. Il a commencé à être méfiant et à faire un peu moins confiance à la Dre Ross. Celle-ci a donc suggéré qu’un autre médecin-chef se charge du dossier du gendarme Desson afin de rétablir la confiance nécessaire entre l’employé et le médecin-chef. Encore une fois, la GRC a réagi à la situation dans l’intérêt du gendarme Desson.

[190] De plus, c’est la politique de cinq ans en tant que telle qui a eu une très grande incidence sur l’état de santé mentale du gendarme Desson. Les choses ont empiré par la suite, car il a été en congé de maladie pendant près de deux ans après avoir appris qu’il ne pouvait pas reprendre ses fonctions opérationnelles en janvier 2011. La prochaine section concerne cette période de deux ans.

Du 14 janvier 2011 à janvier 2013

a) Faits

[191] Pendant la période du 14 janvier 2011 à janvier 2013, le gendarme Desson a consulté la Dre Fasihy et M. Schimpf régulièrement, soit environ une fois par mois.

[192] Le 23 février 2011, M. Bowman, psychologue régional à la GRC, a remarqué que, lorsque le gendarme Desson est retourné au détachement de Burnaby, il avait trouvé très pénible le fait de se trouver dans un service opérationnel, mais d’être affecté à des tâches administratives. M. Bowman a écrit un courriel à la sergente Shepherd, conseillère en perfectionnement et en renouvellement des ressources humaines, pour l’en informer. Voici ce qu’il a écrit :

[traduction]
Sur le plan psychologique, Mike n’est pas pour le moment apte à travailler. Cependant, il m’a dit qu’à son avis il serait possible d’accélérer son rétablissement si un placement professionnel convenable pouvait être trouvé maintenant afin qu’il puisse se concentrer sur un objectif. Cela me semble logique d’un point de vue clinique.

[193] Le 18 mai 2011, M. Schimpf, psychologue traitant, a écrit dans son rapport d’étape que le gendarme Desson [traduction] « aura beaucoup de difficulté à travailler dans un environnement policier qui lui rappelle constamment ce qu’il n’est plus capable de faire, mais en même temps si on pouvait lui trouver des fonctions convenables, cela serait en fin de compte profitable pour lui ». Par conséquent, M. Schimpf a recommandé que le gendarme Desson ne soit pas affecté à un détachement où la présence d’agents de police exerçant des fonctions opérationnelles (en uniforme) lui rappellerait probablement sa situation et aggraverait son état.

[194] Le 15 août 2011, M. Bowman a déclaré qu’il avait eu une longue conversation avec le gendarme Desson et qu’il lui avait suggéré de s’entretenir avec la sergente d’état-major Edna Dechant, chargée de la dotation à Burnaby, pour discuter d’un placement hors détachement.

[195] Le 6 octobre 2011, la sergente Shepherd a demandé à M. Bowman et à la Dre Johnson si le gendarme Desson était prêt à effectuer un retour progressif au travail, indiquant que John Bruer cherchait un membre aux services d’examen. La personne examinerait les dépenses de nature délicate, comme les paiements à des sources de renseignement.

[196] Le 7 octobre 2011, M. Bowman a indiqué que le gendarme Desson ne pensait pas qu’il pourrait retourner au travail de sitôt. Le gendarme Desson n’arrivait tout simplement pas à accepter la décision selon laquelle il était inapte aux tâches opérationnelles. M. Bowman a fait remarquer que le gendarme Desson avait cessé de prendre ses médicaments, notamment ses médicaments anticonvulsivants, de son propre chef. M. Bowman a recommandé qu’il consulte un psychiatre, le Dr Babbage.

[197] M. Bowman a ensuite informé la sergente Shepherd que le gendarme Desson n’était pas prêt à entreprendre un retour progressif au travail.

[198] Le 1er novembre 2011, la Dre Johnson a informé le gendarme Desson qu’il avait été proposé de réviser la politique de cinq ans pour permettre à un membre de reprendre ses fonctions opérationnelles selon certains critères, qu’il prenne ou non des médicaments. Le gendarme Desson a ensuite dit qu’il recommencerait à prendre ses médicaments avec l’aide d’un médecin.

[199] Le 2 novembre 2011, la Dre Johnson a noté que le gendarme Desson avait reçu un appel du psychiatre pour prendre rendez-vous, mais qu’il avait refusé. Le gendarme Desson l’a également informée qu’il avait fait des recherches et qu’il avait décidé de ne pas prendre ses médicaments.

[200] Le 3 novembre 2011, lors d’une conférence téléphonique, le gendarme Desson a informé la Dre Johnson, M. Schimpf et M. Bowman qu’il serait gênant et difficile pour lui de retourner travailler au détachement de Burnaby, parce que les gens savaient qu’il souffrait d’un trouble épileptique. Il aurait trop honte d’y retourner.

[201] M. Bowman a ensuite écrit à la sergente Shepherd pour lui demander de tenir compte du fait que le gendarme Desson ne pouvait pas retourner au détachement de Burnaby et pour lui dire qu’il devrait être placé dans un environnement non opérationnel. Il a ajouté : [traduction] « Je vous saurais gré d’accorder une certaine priorité à ce membre, qui a naturellement beaucoup de difficulté à tolérer l’incertitude entourant sa situation actuelle. »

[202] Le 16 novembre 2011, la Dre Johnson a noté que le gendarme Desson avait eu une conversation avec la sergente Shepherd pour discuter des postes qui pourraient l’intéresser.

[203] Le 29 décembre 2011, M. Bowman a signalé qu’il avait eu une conversation avec le fournisseur de soins de santé du gendarme Desson, qui avait indiqué que celui-ci était apte à travailler dans les limites des restrictions qui lui avaient été imposées.

[204] Le 12 janvier 2012, le gendarme Desson a informé la Dre Johnson que son fournisseur de soins de santé avait recommandé qu’il demeure en arrêt de travail jusqu’au 30 mars 2012. Il l’a également informée qu’il ne voulait pas prendre ses médicaments, parce qu’il préférait l’approche [traduction] « naturelle ».

[205] Au début de 2012, le gendarme Desson a rencontré la sergente Shepherd pour discuter d’un retour progressif au travail. Le gendarme Desson a déclaré dans son témoignage que, pendant cette rencontre, la sergente Shepherd l’avait désigné comme [traduction] « un de [s]es épileptiques ». Le gendarme Desson était très contrarié et ne voulait pas être désigné de cette façon. Le gendarme Desson a déclaré que la sergente Shepherd lui avait même dit que son mari était décédé et qu’elle était retournée au travail rapidement, pour essayer de lui donner de l’espoir et l’encourager à retourner au travail. Le gendarme Desson a déclaré qu’elle l’avait rabaissé et qu’elle l’avait traité avec condescendance. La sergente Shepherd a déclaré dans son témoignage qu’il pleurait, qu’il était frustré et qu’il était très émotif. Elle a affirmé que ses intentions étaient bonnes et qu’elle essayait de trouver des tâches qui seraient gratifiantes pour lui. Elle essayait de l’encourager à retourner au travail et elle était prête à déployer des efforts en ce sens. Le gendarme Desson a dit qu’il n’avait pas été autorisé à retourner au travail.

[206] Le 17 janvier 2012, la sergente Shepherd a mentionné qu’elle avait reçu une demande de la section intégrée des produits de la criminalité qui, selon elle, conviendrait au gendarme Desson. On lui a demandé à quel moment il retournerait au travail. M. Bowman a laissé un message au fournisseur de soins de santé du gendarme Desson pour vérifier si cette possibilité pouvait lui convenir.

[207] Le 22 février 2012, M. Bowman a présenté une nouvelle demande pour que le gendarme Desson soit vu par le Dr Babbage, psychiatre.

[208] Le 28 février 2022, la sergente Shepherd a écrit au gendarme Desson pour lui dire qu’elle avait reçu plusieurs demandes pour pourvoir des postes de retour progressif au travail. L’un de ces postes était dans la section des crimes graves. Elle lui a demandé s’il avait été autorisé à retourner au travail.

[209] Le lendemain, le gendarme Desson a répondu qu’il n’avait pas encore obtenu l’autorisation médicale d’entamer un retour progressif au travail. Il a écrit : [traduction] « Veuillez prendre note que je ne vous donnerai pas de précisions sur mon état de santé et que je ne répondrai à aucune question sur mes antécédents médicaux, car vous savez que ces renseignements sont confidentiels. »

[210] Le 6 mars 2012, le gendarme Desson a été évalué pour la première fois par le Dr Babbage, psychiatre. L’impression du médecin était la suivante : 1) exclure la dépression majeure, légèrement superposée à la dysthymie; 2) exclure la dépression due à l’épilepsie; 3) exclure la possibilité que les médicaments aient un effet sur l’humeur; 4) exclure le trouble d’anxiété généralisée. Le Dr Babbage a continué de traiter le gendarme Desson régulièrement par la suite.

[211] Le 14 mars 2012, M. Bowman a informé la sergente Shepherd que le gendarme Desson ne serait pas en mesure de retourner au travail à quelque titre que ce soit avant trois à six mois.

[212] Dans son rapport du 8 mai 2012, M. Schimpf a expliqué ainsi les restrictions imposées au gendarme Desson :

[traduction]
Il n’y a pas de restrictions psychologiques en ce qui concerne les fonctions opérationnelles normales, mais il y a bien sûr une interdiction médicale à cet égard (voir ci-dessus). La question de l’allégement ou de la modification des tâches est complexe, car le membre a obtenu l’autorisation médicale d’effectuer des tâches administratives, mais c’est ici que les limitations psychologiques deviennent pertinentes. Plus précisément, le membre se définit depuis longtemps en termes de prouesses physiques et athlétiques (il est un ancien culturiste de compétition et a toujours participé activement à diverses activités de nature sportive), et il est extrêmement difficile pour lui d’être empêché de faire ce qui l’a amené à devenir policier. Comme il a été indiqué dans des rapports antérieurs, il aura beaucoup de difficulté à travailler dans un environnement policier qui lui rappelle constamment ce qu’il n’est plus capable de faire, mais en même temps si on pouvait lui trouver des fonctions convenables, cela serait en fin de compte profitable pour lui. Par conséquent, une planification soigneuse et une communication efficace (avec la participation du membre) demeurent impératives. Je réitère la recommandation de ne pas affecter le membre à un détachement où la présence d’agents de police exerçant des fonctions opérationnelles (en uniforme) lui rappellerait probablement sa situation et aggraverait son état.

(Non souligné dans l’original.)

[213] Le 17 mai 2012, M. Bowman a communiqué avec la nouvelle agente de dotation chargée du dossier du gendarme Desson, la sergente Dawn Parker (conseillère en matière de retour au travail et de renvoi pour raisons médicales, Services des relations en milieu de travail, quartier général de la Division E). Il l’a informée que le fournisseur de soins de santé du gendarme Desson l’avait autorisé à accomplir des tâches administratives dans un environnement non opérationnel (sans agents en uniforme).

[214] Le 29 mai 2022, une rencontre a eu lieu au bureau de M. Bowman avec le gendarme Desson et la sergente Parker. M. Bowman a noté : [traduction] « il est clair que Mike a encore beaucoup de mal à s’adapter à son statut de membre non opérationnel ». Il ne voulait pas faire un retour progressif au travail. Il voulait occuper un poste à temps plein, parce qu’il pensait qu’un retour progressif au travail l’exposerait à des stigmates. Il voulait travailler dans une section fédérale, mais il a accepté de garder l’esprit ouvert pour envisager un placement dans un détachement. Il a toutefois été convenu que, à ce stade-ci, ses fournisseurs de soins de santé recommandaient qu’il ne soit pas placé dans un environnement où travaillent des agents en uniforme et qu’il était préférable qu’il soit placé ailleurs que dans un détachement.

[215] Le 6 juin 2012, la sergente Parker a écrit au gendarme Desson pour l’informer que si un poste adapté à ses limitations et à ses restrictions lui était proposé et qu’il le refusait, il serait tenu [traduction] « d’expliquer pourquoi le poste n’[était] pas convenable », car le processus ne pouvait pas se poursuivre indéfiniment. Elle l’a invité à envisager sérieusement les options qui lui étaient présentées.

[216] Le 13 juin 2012, le surintendant Aubry (officier responsable des services à la clientèle au détachement de Burnaby) a écrit à Dave Nassichuck pour lui dire que le gendarme Desson était un jeune agent qui aspirait à travailler comme agent de police de première ligne, dans un poste qui tiendrait compte de sa déficience, et qu’il avait exprimé son intérêt à l’égard de la prise des mesures d’adaptation dans un rôle opérationnel. [traduction] « Je crois qu’il pourrait être un bon candidat pour les Affaires spéciales O, où il pourrait effectuer de la surveillance. »

[217] Le 3 juillet 2012, la sergente Parker a posé des questions à la Dre Johnson, la médecin-chef responsable du dossier du gendarme Desson à cette époque, au sujet des restrictions et limitations du gendarme Desson. Elle a déclaré que, dans le profil médical, la seule restriction mentionnée était la restriction aux tâches administratives, alors que M. Bowman avait mentionné que le fournisseur de soins de santé du gendarme Desson avait dit qu’il pourrait être trop difficile pour lui sur le plan psychologique d’être placé dans un environnement où travaillent des agents en uniforme et avait recommandé qu’il soit placé ailleurs que dans un détachement. La sergente Parker a demandé à la Dre Johnson si elle était d’accord.

[218] Le 13 juillet 2012, la Dre Johnson a rencontré M. Bowman, la sergente Parker et d’autres personnes pour discuter des paramètres du retour au travail du gendarme Desson.

[219] D’autres discussions ont eu lieu avec M. Schimpf, M. Bowman et la sergente Parker afin de trouver un poste convenable pour le gendarme Desson et d’essayer de satisfaire à son désir de ne pas faire un retour progressif au travail et de ne pas être placé dans un environnement où travaillent des agents en uniforme.

[220] Le 4 septembre 2012, une rencontre a eu lieu dans le bureau de M. Schimpf (le psychologue traitant du gendarme Desson) avec la sergente Parker, M. Bowman et le gendarme Desson. Le gendarme Desson a précisé qu’il envisagerait d’occuper un poste au sein d’une section fédérale, des Affaires spéciales O, d’une équipe du Groupe tactique d’intervention (GTI) ou des services de police communautaires à Surrey. La sergente Parker s’est engagée à faire un suivi avec le gendarme Desson après avoir fait plus de recherches sur les emplois disponibles.

[221] Dans une conversation écrite avec la Dre Johnson, la sergente Parker a demandé le profil médical réel du gendarme Desson, étant donné qu’il avait indiqué que ni son médecin ni son psychiatre ne l’avaient déclaré apte au travail, alors que son profil dans le système indiquait toujours la cote O4. Elle a ajouté : [traduction] « On aurait dit que M. Schimpf et le gendarme Desson disaient [à la réunion dans le bureau de M. Schimpf] que son retour au travail ne sera envisagé que lorsqu’on lui aura présenté des options qui lui conviennent ».

[222] Dans un courriel envoyé à M. Bowman le 1er octobre 2012, la sergente Parker a déclaré ce qui suit :

[traduction]
Sections fédérales : En raison principalement des restrictions budgétaires, aucun poste vacant n’est en voie d’être pourvu et, en date de la semaine dernière, 80 postes seront supprimés dans les sections fédérales. Il n’est donc pas possible de lui offrir un poste dans une section fédérale.

GTI : Une demande a été faite auprès du conseiller en perfectionnement et en renouvellement des ressources humaines. Le GTI a besoin de membres opérationnels. Il n’y a pas de travail à confier à un gendarme qui doit être affecté à des tâches administratives.

Affaires spéciales O : J’ai parlé à l’inspecteur ARNOLD. Un peu plus de 60 % des membres exercent des fonctions opérationnelles, compte tenu des membres en congé de maladie et des membres soumis à des restrictions de travail. Il n’est pas en mesure de prendre un autre membre affecté à des tâches administratives.

Détachement de Surrey : L’inspectrice SCHWARTZ a accepté de prendre le gendarme Desson pendant son retour progressif au travail (sur une période de trois mois), mais le gendarme Desson devra retourner au détachement de Burnaby après cette période, qu’il soit revenu à temps plein ou non.

Comme je l’ai mentionné, je n’ai pas encore communiqué ces renseignements au gendarme DESSON. N’hésitez pas à communiquer avec moi si vous avez des questions. J’aimerais parler au gendarme DESSON bientôt, et je vous saurais gré de me transmettre tout nouveau renseignement que vous pourriez obtenir de la part de ses fournisseurs de soins de santé.

[223] Le 11 octobre 2012, M. Bowman a informé la sergente Parker qu’il avait parlé à M. Schimpf, qui avait répété qu’il était recommandé que le gendarme Desson travaille dans un environnement où ses contacts avec des membres en uniforme seraient limités et qu’on lui donne l’assurance qu’il n’aura jamais à retourner à Burnaby. Il a suggéré de vérifier si l’environnement de travail au détachement de Surrey conviendrait au gendarme Desson. Le 5 novembre, il a écrit à la sergente Parker pour lui dire qu’il avait parlé au psychologue du gendarme Desson, M. Schimpf, et que celui-ci était d’avis qu’il était dans l’intérêt du gendarme Desson qu’il retourne au travail le plus tôt possible. M. Schimpf a encouragé le gendarme Desson à envisager sérieusement le poste à Surrey.

[224] Le même jour, la sergente Parker a informé le gendarme Desson que, pour des raisons budgétaires, plusieurs postes, dont des postes de m.r., étaient supprimés ou civiliarisés dans les secteurs d’activité tant fédéraux que provinciaux. Elle a dit :

[traduction]
Il n’y a absolument rien de disponible dans ces deux secteurs d’activité et, en fait, les membres dont le poste a été supprimé ou civiliarisé sont également placés dans des détachements municipaux. Vous avez posé des questions précises au sujet du GTI ou des Affaires spéciales O. Le [conseiller en perfectionnement et en renouvellement des ressources humaines] responsable du GTI a indiqué que le GTI n’était pas en mesure d’accepter un autre membre ayant des limitations et des restrictions permanentes. J’ai également parlé à l’officier responsable des opérations secrètes, qui m’a dit la même chose, en plus du fait qu’il doit éliminer des postes.

L’un des détachements municipaux dont il a été question était celui de Surrey. L’agente administrative a accepté que vous commenciez votre retour progressif au travail à cet endroit. Je lui ai parlé récemment, et les fonctions seront principalement associées aux services au comptoir, donc les demandes de renseignements généraux, l’évaluation des plaintes, certains travaux d’enquête, etc. Le détachement de Surrey est disposé à vous accueillir pendant trois mois (ou jusqu’à ce que vous travailliez 40 heures par semaine), mais vous devrez retourner au détachement de Burnaby par la suite. M. SCHIMPF et M. BOWMAN en ont discuté et le message que j’ai reçu, c’est que vos fournisseurs de soins de santé vous encouragent à accepter ce poste. C’est très près de chez vous, ce qui veut dire que vous n’aurez pas un long trajet à faire pour vous rendre au travail, comme vous l’avez demandé. À tout le moins, ce poste vous permettra de renouer avec le travail policier. Je suis consciente qu’un retour au travail au détachement de Burnaby n’est pas ce que vous souhaitez, mais il n’y a pas vraiment d’autres options à l’heure actuelle. J’espère que vous avez communiqué avec le surintendant AUBRY, comme vous l’a suggéré M. SCHIMPF, pour discuter des possibilités qui s’offrent à vous à cet endroit.

Je vous encourage fortement à accepter ce placement comme point de départ. Comme vous le savez, la situation évolue de jour en jour à la GRC, tout comme les priorités. D’autres occasions pourraient se présenter à tout moment, mais il s’agit d’une bonne occasion de vous faire de nouveaux contacts, de montrer que vous êtes capable et de travailler à la réalisation de certains de vos objectifs.

[225] Le 28 novembre 2012, la Dre Ross a écrit que la sergente Parker ferait un suivi auprès du membre au sujet du poste à Surrey, où l’exposition aux agents en uniforme est extrêmement limitée. Elle a ajouté : [traduction] « M. Bowman examinera la situation à la lumière des rapports de M. Schimpf. Si le seul facteur l’empêchant de travailler est l’intolérance aux uniformes, le profil sera mis à jour et la cote O4 lui sera attribuée, car il s’agit alors d’une question de dotation. »

[226] Le même jour, la sergente Parker a demandé au gendarme Desson s’il avait eu l’occasion d’examiner le courriel envoyé le 5 novembre au sujet de son retour progressif au travail au détachement de Surrey.

[227] Le 29 novembre 2012, le gendarme Desson a répondu à la sergente Parker : [traduction] « Malheureusement, je ne peux excepter (accepter) ce poste ou retourner au détachement de Burnaby. Ces postes ne conviennent pas et entrent en conflit avec les recommandations de mes fournisseurs de soins de santé, qui ont recommandé que je travaille dans un environnement non opérationnel. » Il a ajouté que son retour au travail nécessitait un poste dans un environnement non opérationnel, de préférence dans une section fédérale, comme le recommandait ses fournisseurs de soins de santé.

[228] Le 3 décembre 2012, la sergente Parker a eu une conversation avec le caporal Ferron du détachement de Burnaby. Dans ses notes, elle a écrit que le caporal Ferron communique avec tous ses membres en congé de maladie pour discuter de la façon dont il pouvait contribuer à atténuer l’anxiété liée au retour au travail. Il leur offre de se rendre dans les bureaux de la police communautaire par exemple pour vérifier leurs courriels et garder contact avec d’autres membres du détachement. Il a souligné que, plus le congé d’un membre est long, plus il lui est difficile de revenir au travail. Le caporal Ferron tente également de connaître les attentes des membres à l’égard de leur retour au travail, de façon à répondre le mieux possible à leurs besoins.

[229] Le 6 décembre 2012, la sergente Parker a rencontré le sergent Nassichuk, la sergente Shepherd, le caporal Ferron, le surintendant Aubry et M. Bowman au sujet de la préférence pour un environnement sans agents en uniforme. Tous ont convenu qu’il s’agissait d’une question extrêmement importante pour le gendarme Desson, susceptible de mettre fin à sa carrière s’il était impossible de trouver une solution acceptable. Tous ont reconnu également que le retour au travail après une absence aussi longue serait probablement très difficile, mais ils feraient tout en leur possible pour aider le gendarme Desson. Une possibilité d’emploi à la direction générale du soutien opérationnel serait offerte au gendarme Desson lors d’une rencontre qui devait avoir lui la semaine suivante.

[230] Le 10 décembre 2012, la sergente Parker a écrit à M. Bowman au sujet d’un poste d’examinateur-analyste. Elle a écrit qu’elle reconnaissait que le gendarme Desson était relativement novice et ne possédait pas encore toutes les connaissances, les compétences et les capacités qui sont normalement attendues de la personne occupant ce poste, mais qu’il recevrait tout le soutien et le mentorat nécessaires pour réussir. Elle a dit qu’elle connaissait bien l’unité et qu’elle pensait que le travail était très intéressant et axé sur les opérations.

[231] Elle a envoyé la description de travail à M. Bowman, qui l’a transmise à M. Schimpf. Elle a écrit que les sous-officiers portaient leur uniforme, mais pas tous les jours. [traduction] « Il y a un peu de tout. » La tenue d’hiver serait exigée, ce qui signifie que le gendarme Desson devrait porter une chemise à manches longues, une cravate et un pantalon de ville. Même si ce n’était pas la situation idéale, elle pensait que le travail et l’environnement en général pourraient être une expérience très positive pour lui s’il parvenait à surmonter dans une certaine mesure le problème des agents en uniforme.

[232] Le 13 décembre 2012, le gendarme Desson a assisté à une rencontre avec M. Bowman, la sergente Parker, le sergent Nassichuk, le caporal Ferron, le surintendant Aubry et un représentant de l’association de la police montrée (l’ACPMP), M. Lee Keane. L’objet de la rencontre était de faciliter le retour au travail du gendarme Desson. Toutes les personnes présentes ont fait preuve d’empathie et ont invité le gendarme Desson à s’adresser à l’une ou l’autre d’entre elles s’il avait des questions ou besoin de soutien. Il a été question qu’il entreprenne un retour progressif au travail au service divisionnaire des stratégies opérationnelles, une nouvelle entité dont les bureaux se trouveraient au quartier général.

b) Analyse

[233] À la lumière de cette preuve, le Tribunal fait remarquer que, lorsque M. Bowman s’est rendu compte que le gendarme Desson avait cessé de prendre le médicament anticonvulsivant que le Dr Diggle lui avait prescrit à vie, il lui avait recommandé de consulter un psychiatre. Un rendez-vous lui a été offert, mais le gendarme Desson l’a refusé. Quelques mois plus tard, M. Bowman a présenté une autre demande pour que le gendarme Desson soit vu par un psychiatre. Le Tribunal estime que la GRC a fait les efforts nécessaires pour répondre aux besoins du gendarme Desson en matière de santé mentale en lui donnant l’occasion d’être traité par un spécialiste.

[234] Le Tribunal conclut également que M. Bowman, dans son évaluation du cas du gendarme Desson, a tenu compte de sa réaction lors de son retour au travail au détachement de Burnaby, lorsqu’il était affecté à des tâches administratives. Il a également tenu compte de l’opinion du gendarme Desson sur ce qui constituerait un placement convenable. Il a essayé de répondre aux besoins du gendarme Desson (environnement sans agents en uniforme, environnement non opérationnel, pas au détachement de Burnaby) lorsqu’il a communiqué ses instructions au personnel de la dotation. Dans ses instructions, M. Bowman a également tenu compte de l’opinion de M. Schimpf selon laquelle il n’y avait pas de restrictions psychologiques en ce qui concerne les fonctions opérationnelles normales, mais certaines limitations psychologiques s’appliquaient pendant la période où le gendarme Desson était affecté à des tâches administratives. M. Schimpf a souligné qu’il serait difficile pour le gendarme Desson de travailler dans un environnement policier avec des collègues en uniforme qui exercent des fonctions opérationnelles, parce que cela lui rappellerait ce qu’il n’était pas autorisé à faire. M. Schimpf a toutefois indiqué qu’en fin de compte il serait profitable pour le gendarme Desson qu’on lui trouve d’autres fonctions convenables. Le Tribunal conclut que la GRC, par l’intermédiaire de M. Bowman et de ses instructions à l’intention du personnel de dotation, a tenté dans la mesure du possible de répondre aux besoins du gendarme Desson.

[235] Entre-temps, la sergente Shepherd, à titre d’agente de dotation, a eu plusieurs conversations et une rencontre avec le gendarme Desson. Elle a essayé de lui trouver un placement qui répondrait à ses besoins, tels qu’ils avaient été communiqués par M. Bowman. Elle lui a proposé certains postes qui, à son avis, seraient acceptables compte tenu de ses limitations et de ses préférences, p. ex. un poste aux services d’examen avec John Bruer, un poste au sein de la section intégrée des produits de la criminalité et un poste au sein de la section des crimes graves. Les tentatives de lui trouver un poste convenable ont toutefois échoué, puisque le gendarme Desson n’était pas prêt sur le plan médical à retourner au travail. Dans son témoignage, la sergente Shepherd a déclaré que la rencontre de janvier 2012 ne s’était pas bien déroulée. Le gendarme Desson avait l’impression qu’elle le rabaissait et qu’elle le traitait avec condescendance, mais la sergente Shepherd a déclaré qu’elle essayait de l’encourager à retourner au travail. La Dre Johnson et la Dre Ross ont toutes deux affirmé dans leur témoignage que plus le congé d’une personne est long, plus il lui est difficile de reprendre ses fonctions. Encore une fois, le Tribunal conclut que la GRC a essayé de répondre à ses besoins de diverses façons et que ses efforts ont parfois été perçus négativement par le gendarme Desson.

[236] En septembre 2012, le gendarme Desson a indiqué qu’il aimerait occuper un poste dans une section fédérale ou au sein des Affaires spéciales O ou du GTI. La sergente Parker, la nouvelle agente de dotation, s’est informée, mais aucun placement n’était possible dans ces unités en raison des restrictions budgétaires et de la compression des effectifs, de la nécessité d’avoir un statut opérationnel ou du nombre d’employés déjà assujettis à des restrictions. Elle a proposé au gendarme Desson un poste au détachement de Surrey pour une période de trois mois, après quoi il devait retourner au détachement de Burnaby. Même si le poste proposé au détachement de Surrey n’était pas ce que le gendarme Desson voulait ou ce que M. Schimpf recommandait, le Tribunal constate que la GRC a déployé de nombreux efforts pour appuyer le retour au travail du gendarme Desson.

[237] Compte tenu de l’avis de M. Schimpf selon lequel il était dans l’intérêt du gendarme Desson de retourner au travail le plus tôt possible, M. Bowman a rencontré à nouveau le gendarme Desson, en compagnie de la sergente Parker, du surintendant Aubry et d’autres personnes en décembre 2012. Un autre poste lui a été offert dans une nouvelle entité du service divisionnaire des stratégies opérationnelles, au quartier général. Il semblerait que cette offre ait été jugée acceptable par le gendarme Desson et M. Schimpf. Il en sera question à la prochaine section.

[238] La preuve montre que, de janvier 2011 à janvier 2013, tandis que le gendarme Desson était en congé de maladie, la GRC a continué de déployer des efforts pour tenter de lui trouver un poste convenable. Elle a tenu compte des recommandations de son psychologue traitant, M. Schimpf, ainsi que de ses limitations et restrictions. En février 2013, au même moment où M. Schimpf l’a déclaré inapte à travailler pour des raisons psychologiques, M. Bowman a déclaré que le gendarme Desson lui avait dit qu’à son avis il serait possible d’accélérer son rétablissement si un placement professionnel convenable pouvait être trouvé. Les efforts pour lui trouver un placement professionnel se sont donc poursuivis. M. Schimpf a ajouté qu’il serait préférable que le gendarme Desson ne soit pas placé dans un environnement policier où travaillent des agents en uniforme qui exercent des fonctions opérationnelles, parce que cela lui rappellerait ce qu’il ne pouvait pas faire et aggraverait son état.

[239] Dans les efforts qu’elle a déployés pour trouver un poste acceptable pour le gendarme Desson, la GRC a tenu compte de la recommandation de M. Schimpf, même si cette recommandation limitait considérablement les chances de trouver un placement professionnel acceptable.

[240] En fait, en août 2011, M. Bowman a renvoyé le gendarme Desson à une agente du détachement de Burnaby pour discuter d’un placement hors détachement.

[241] En octobre 2011, la sergente Shepherd avait un poste à lui offrir aux services d’examen, mais elle a été informée que le gendarme Desson n’était pas prêt à entreprendre un retour progressif au travail. En février 2012, elle a écrit au gendarme Desson pour l’informer qu’il y avait quelques postes convenant à un retour progressif au travail à la section des crimes graves, mais il n’était toujours pas autorisé à retourner au travail. La preuve montre qu’il n’arrivait tout simplement pas à accepter la décision selon laquelle il était inapte aux tâches opérationnelles, ce qui minait chaque fois les efforts de la GRC pour lui trouver un placement acceptable.

[242] Le gendarme Desson a aussi exigé de ne pas retourner au détachement de Burnaby, où il travaillait auparavant, parce que ce serait gênant et difficile pour lui de retourner travailler à cet endroit, étant donné que les gens savaient qu’il avait eu une crise et qu’il aurait honte. Le GRC a tenu compte des sentiments de gêne et de honte du gendarme Desson dans ses tentatives de lui trouver un placement professionnel, comme M. Schimpf l’avait suggéré. En effet, M. Schimpf a mentionné à différentes occasions qu’il n’y avait pas de restrictions psychologiques en ce qui concerne les fonctions opérationnelles normales, mais que, dans le cadre d’un retour progressif au travail, le gendarme Desson aurait de la difficulté à travailler dans un environnement policier, car cela lui rappellerait ce qu’il n’était pas autorisé à faire. Toutefois, M. Schimpf a aussi indiqué que si on pouvait lui trouver des fonctions convenables, cela serait en fin de compte profitable pour lui. La GRC en a tenu compte. Étant donné que la plupart des postes se trouvent dans un environnement policier, la GRC a fait des efforts pour trouver une solution qui répondrait à ces besoins, qui n’ont pas été contestés par M. Bowman ou d’autres. Le Tribunal est d’avis que la GRC a déployé de grands efforts pour tenter de répondre aux besoins du gendarme Desson et de lui trouver un placement convenable.

[243] Par l’intermédiaire de M. Bowman, la GRC a déployé de nombreux efforts pour répondre aux besoins du gendarme Desson et respecter ses préférences. M. Bowman a pressé la sergente Shepherd d’accorder la priorité au placement du gendarme Desson, parce qu’il avait [traduction] « naturellement beaucoup de difficulté à tolérer l’incertitude entourant sa situation ». La sergente Shepherd a eu des conversations et une rencontre avec le gendarme Desson pour discuter non seulement des postes disponibles, mais aussi des postes qui l’intéressaient. Elle essayait de trouver un poste qui serait gratifiant pour lui. Elle essayait de l’encourager à retourner au travail et était prête à faire des efforts en ce sens. Le Tribunal conclut que la GRC a démontré une préoccupation réelle non seulement à l’égard des intérêts professionnels en jeu, mais aussi à l’égard des intérêts personnels du gendarme Desson.

[244] Lors de la rencontre qui a eu lieu au début de 2012, le gendarme Desson a eu l’impression que la sergente Shepherd le rabaissait et qu’elle le traitait avec condescendance. À l’audience, la sergente Shepherd a réfuté ces propos et a expliqué qu’elle essayait de l’aider. Le Tribunal est d’avis que, pour décider si la GRC avait pris les mesures d’adaptation nécessaires à l’égard du gendarme Desson, il n’est pas nécessaire d’aborder la question de savoir qui a raison. Ce qui importe, c’est le fait que la rencontre a eu lieu et que ce fait constitue un autre exemple des efforts déployés par la GRC pour trouver un emploi convenable au gendarme Desson, même si ces efforts ont été perçus négativement par le gendarme Desson. Le Tribunal note que, dans son témoignage, le gendarme Desson se stigmatisait lui-même en raison de son état épileptique.

[245] Les sergentes Shepherd et Parker, qui ont pris en charge la recherche d’un placement en vue du retour progressif au travail du gendarme Desson, ont fait de leur mieux pour répondre à ses besoins et à ses désirs. De nombreuses possibilités ont été envisagées. Le gendarme Desson aurait aimé faire un retour progressif au travail dans une section fédérale, mais, comme la sergente Parker l’a indiqué le 1er octobre 2012, c’était impossible en raison des restrictions budgétaires et de la compression des effectifs. Le contexte à l’époque faisait également en sorte qu’un placement dans d’autres sections était impossible (GTI, Affaires spéciales O). Il y avait une possibilité au détachement de Surrey, mais encore une fois ce n’était pas une option viable, parce qu’au bout de trois mois le gendarme Desson aurait dû retourner au détachement de Burnaby, où il avait honte de retourner. La GRC en a tenu compte et a continué de faire des efforts pour lui trouver un placement convenable.

[246] Le Tribunal conclut que, en tentant de trouver un poste administratif convenant à un retour progressif au travail au cours de la période de janvier 2011 à janvier 2013, alors que le gendarme Desson était en congé de maladie, la GRC a répondu aux besoins du gendarme Desson et respecté ses préférences autant que possible. Le Tribunal estime que l’obligation de la GRC n’était pas de créer un emploi. L’affecter à une section fédérale, au GTI ou aux Affaires spéciales O aurait constitué une contrainte excessive pour l’employeur, compte tenu des explications données par la sergente Parker dans son courriel du 1er octobre 2012.

[247] Il convient également de noter que M. Bowman a insisté pour que le gendarme Desson soit vu par un psychiatre en raison de son état mental et qu’il a pris des mesures pour qu’il obtienne un rendez-vous. Selon le Tribunal, il s’agit d’une autre preuve que la GRC avait sincèrement l’intention d’aider le gendarme Desson.

De février 2013 à mai 2015

a) Faits

[248] Le 6 février 2013, M. Bowman a écrit qu’il avait parlé au fournisseur de soins de santé du gendarme Desson, qui était favorable à ce que celui-ci entame progressivement un retour au travail.

[249] Le même jour, la Dre Ross a mentionné que, puisque l’anxiété était un facteur important, il serait préférable que le membre travaille des demi-journées tous les jours, au lieu d’avoir des jours de congé entre ses quarts de travail.

[250] Enfin, le 8 février 2013, le gendarme Desson a amorcé un retour progressif au travail au sein du groupe des interventions opérationnelles, au quartier général de la Division E, dans un rôle administratif.

[251] Dans son rapport du 11 mars 2013, M. Schimpf a mentionné que le gendarme Desson avait fait des progrès [traduction] « attribuables au fait qu’il effectue un retour progressif au travail (dans le cadre duquel il effectue des tâches se rapportant à la fourniture de services de sécurité dans un nouvel immeuble du quartier général de la Division E) et qu’il se sent optimiste ». Le gendarme Desson était assujetti aux restrictions professionnelles suivantes :

[traduction]
Il n’y a pas de restrictions psychologiques en ce qui concerne les fonctions opérationnelles normales, mais il y a une interdiction médicale à cet égard (voir ci-dessus). La question de la modification des tâches est complexe, car le membre a obtenu l’autorisation médicale d’effectuer des tâches administratives, mais c’est ici que les limitations psychologiques deviennent pertinentes. Plus précisément, le membre se définit en termes de prouesses physiques et athlétiques, et il est extrêmement difficile pour lui d’être empêché de faire ce qui l’a amené à devenir policier. Il aura donc beaucoup de difficulté à travailler dans un environnement policier qui lui rappelle constamment rappeler ce qu’il n’est plus capable de faire, mais en même temps si on pouvait lui trouver des fonctions convenables, cela serait en fin de compte profitable pour lui. Je recommande donc que le membre ne soit pas affecté dans un détachement où la présence d’agents de police exerçant des fonctions opérationnelles (en uniforme) lui rappellerait sa situation et aggraverait son état. Cela étant dit, le plan actuel de retour au travail (qui consiste à fournir des services de sécurité au nouveau quartier général de la Division E) est relativement bien accueilli par le membre et est considéré comme une bonne option.

(Non souligné dans l’original.)

[252] Le 22 avril 2013, le caporal Eric Sheppard a informé la Dre Ross qu’il y avait une possibilité de placement dans son unité (sous-officier de service au sein du groupe des interventions opérationnelles). Il a écrit : [traduction] « À ce que je vois, il pourrait y avoir un terrain d’entente qui pourrait répondre aux aspirations du membre ainsi qu’à vos préoccupations au sujet de son statut opérationnel. Le groupe des interventions opérationnelles est unique et pourrait convenir à Mike au cours des prochaines années. »

[253] Le 23 avril 2013, la Dre Ross a répondu au caporal Sheppard pour l’informer que le profil médical associé à l’emploi en question comportait la cote O2 (fonctions opérationnelles normales) alors que la cote O4 (fonctions administratives seulement) serait attribuée au gendarme Desson jusqu’en juillet 2015. Elle a ajouté que la cote O4 ne permet pas au membre d’être en uniforme en public ou de porter une arme à feu dans le contexte du travail policier (c.-à-d. lorsqu’il est en service). Elle a fait quelques suggestions. Elle a proposé que la cote associée au poste soit modifiée et qu’il soit confirmé que le port d’un uniforme ou d’une arme à feu n’était pas requis. Subsidiairement, si une partie des tâches nécessitait le port d’un uniforme ou d’une arme à feu, elle a proposé que les gestionnaires regroupent les tâches du poste de façon à ce que le membre puisse s’acquitter des tâches non opérationnelles. En fin de compte, cette possibilité ne s’est pas concrétisée.

[254] Le 7 janvier 2014, le caporal Sheppard, qui était le superviseur du gendarme Desson dans le cadre de son retour progressif au travail à l’époque, a écrit à la sergente Parker et à d’autres personnes :

[traduction]
Dans le cadre de ses fonctions, il a grandement contribué à l’efficacité des opérations et a été très réceptif et motivé à l’égard de son perfectionnement personnel en tant que membre (du côté de l’administration et de la gestion du groupe des interventions opérationnelles). Depuis son arrivée, j’ai réussi à développer les capacités du gendarme Desson à l’égard de plusieurs de nos compétences organisationnelles et fonctionnelles, au sein du groupe des interventions opérationnelles et par l’entremise du Secrétariat des enquêtes criminelles. Je suis d’avis que Mike est sur la bonne voie en ce qui a trait à son perfectionnement, compte tenu de ses restrictions. Le groupe des interventions opérationnelles/enquêtes criminelles lui fournit également des renseignements à jour sur l’état actuel des opérations au sein de la Force (proximité immédiate des enquêtes criminelles) tout en étant attaché à une unité en uniforme (le groupe des interventions opérationnelles). Je crois fermement que son rôle actuel au sein de mon unité lui donne l’occasion de bien préparer son retour aux opérations et son avenir en tant que superviseur.

Je suis tout à fait en faveur du maintien en poste du gendarme Desson au sein du groupe des interventions opérationnelles du quartier général de la Division E pour toute la période pendant laquelle il aura la cote O4, après quoi nous pourrons réévaluer la situation lorsque son profil fera l’objet d’un réexamen en juillet 2015.

[255] Le 13 février 2014, le comité de médecins-chefs a examiné le dossier et a conclu que, selon les renseignements médicaux disponibles, l’interdiction d’exercer des fonctions opérationnelles devait être maintenue, y compris en ce qui concernait l’utilisation d’une arme à feu. Il a ajouté : [traduction] « À l’heure actuelle, nous ne disposons pas de renseignements médicaux qui justifieraient la prise de mesures spéciales ou l’application d’une exception, compte tenu des pratiques médicales exemplaires en place. Le faire serait également injuste pour les autres membres qui se trouvent dans une situation comparable, mais qui n’ont pas fait l’objet de mesures spéciales. Si une exception était accordée dans ce dossier, il y aurait un risque évident pour les membres et la responsabilité de l’organisation serait engagée. »

[256] Le 20 août 2014, le gendarme Desson a demandé une rencontre avec la Dre Ross pour discuter [traduction] « des politiques et du profil médical tirés des critères du profil médical du Manuel d’administration de la GRC et se rapportant au statut opérationnel des membres. La rencontre sera l’occasion de tenter d’arriver à la résolution rapide de mes griefs en cours ». Le gendarme Desson a joint à son courriel un document expliquant son point de vue sur la question des restrictions qui s’appliquaient à lui et sur la politique de cinq ans.

[257] Il a également commenté la réponse du comité de médecins-chefs. Il a déclaré que le fait que le comité de médecins-chefs avait mentionné qu’il serait injuste pour les autres membres qu’on fasse une exception dans son cas démontrait qu’il n’avait pas été évalué individuellement. Il a écrit :

[traduction]
Chaque membre doit être évalué individuellement, et donc l’équité envers les autres membres ne devrait pas entrer en ligne de compte. Aucun membre, y compris moi-même, ne devrait être comparé à un autre membre, comme je l’ai été. En janvier 2011, une semaine avant la date à laquelle je devais recommencer à exercer l’ensemble de mes fonctions opérationnelles, la Dre ROSS m’a téléphoné et m’a demandé de me rendre à son bureau au quartier général de la Division E pour une rencontre. Au cours de la rencontre, la Dre ROSS m’a dit que je ne pourrais pas recommencer à exercer l’ensemble de mes fonctions opérationnelles avant cinq ans. La Dre ROSS s’est excusée. Elle a déclaré qu’elle s’était trompée et qu’elle ne comprenait pas parfaitement la politique médicale de la GRC concernant les crises. La Dre ROSS a ensuite affirmé qu’un membre de sexe féminin avait également fait des crises, mais que ses fournisseurs de soins de santé refusaient de la déclaré apte au travail, ce qui l’avait mélangée, puisque dans mon cas mes fournisseurs de soins de santé m’avaient autorisé à exercer mes fonctions.

[258] La Dre Ross a répondu le même jour qu’elle ne pouvait pas revenir sur la question. Elle a écrit : [traduction] « J’ai utilisé toutes mes capacités verbales et écrites pour communiquer la politique de la GRC concernant votre état. Je ne sais pas comment d’autre m’y prendre. Si je n’ai pas été en mesure de clarifier la situation jusqu’à maintenant, je n’y arriverai pas. » Elle lui a envoyé une copie de la réponse fournie par le comité de médecins-chefs le 13 février 2014.

[259] Le gendarme Desson a répondu qu’il donnerait suite à ses griefs, à ses plaintes au Collège des médecins et chirurgiens ou à tout litige civil qu’il pourrait intenter. Il a exprimé son désaccord avec le comité de médecins-chefs et a fait valoir qu’il n’avait pas été évalué individuellement.

[260] Le 22 août 2014, la Dre Ross a informé le comité de médecins-chefs qu’elle pensait que le gendarme Desson serait plus heureux si un autre médecin-chef s’occupait de son dossier.

[261] En septembre 2014, la Dre Fieschi a pris la relève de la Dre Ross pour s’occuper du dossier du gendarme Desson. Elle a envoyé un courriel au gendarme Desson pour lui demander de faire remplir certains documents avant qu’il reprenne ses fonctions opérationnelles en juillet 2015. Elle a mentionné que les documents devaient être remplis dans les six mois précédant le retour aux fonctions normales.

[262] Entre-temps, en septembre 2014, le conseiller en perfectionnement et en renouvellement des ressources humaines de la Division E, le caporal Mike Liu, a vérifié le statut opérationnel du gendarme Desson, parce qu’on cherchait à doter un poste au sein du Programme de protection des transporteurs aériens canadiens, qui aurait pu être offert au gendarme Desson s’il avait la cote O2 (fonctions opérationnelles normales).

[263] Le 29 décembre 2014, la Dre Fieschi a écrit ce qui suit :

[traduction]
Le 18 décembre 2014, j’ai discuté de la situation de ce membre avec le Dr Marc-André Beaulieu, directeur médical par intérim de la SDSST, à Ottawa, qui s’adonne à être un neurologue spécialiste de l’épilepsie. Malheureusement, le Dr Beaulieu sera muté à un nouveau poste à l’Agence de la santé publique du Canada dans quelques jours. Il a toutefois fourni une rétroaction utile.

Sans mentionner le nom du membre, je lui ai donné un aperçu des antécédents de crises du membre, j’ai lui ai donné les résultats de l’IRM et de l’EEG au dossier et je lui ai transmis les opinions de ses neurologues, y compris le fait qu’ils estiment que les crises du membre avaient des déclencheurs précis. Je lui ai expliqué qu’au départ la Dre Ross avait uniquement interdit au membre de conduire dans un contexte opérationnel, mais que c’était une erreur et qu’elle avait rapidement dû lui interdire d’exercer l’ensemble de ses fonctions opérationnelles en raison d’une discussion nationale sur les membres ayant eu des crises, conformément aux lignes directrices rédigées par le Dr Beaulieu lui-même.

Le Dr Beaulieu a dit que le fait que le membre n’a pas eu de crise depuis environ quatre ans et demi, depuis qu’il prend des médicaments, est rassurant, et que le traitement semble lui permettre d’éviter les crises, qu’il y ait eu d’autres déclencheurs ou non. Il a dit que le fait que le membre suit son traitement est également rassurant. Selon lui, le membre risque clairement de faire d’autres crises s’il cesse de prendre ses médicaments, puisque l’EEG montre une décharge partielle.

Il a dit que, étant donné qu’il se sera bientôt écoulé cinq ans depuis la dernière crise, il envisagerait de réintégrer le membre dans ses fonctions opérationnelles quelques mois à l’avance, sous réserve d’une réévaluation finale par le neurologue, qui devrait comprendre un nouvel EEG, la confirmation que la dose de médicaments est thérapeutique et un avis clair et récent du neurologue selon lequel le membre ne présente pas un risque accru d’incapacité. J’ai demandé si un nouvel examen par IRM devrait être effectué, et il a répondu que la décision revenait au neurologue, qui pourrait décider d’en effectuer un pour s’assurer que rien n’a changé depuis le premier examen par IRM, dont les résultats étaient normaux. Il a ajouté que si un examen par IRM est effectué, il devrait être rehaussé au gadolinium.

Je lui ai aussi demandé s’il aurait autorisé ce membre à reprendre ses fonctions opérationnelles après trois ans si on lui avait posé la question. Il a répondu qu’il aurait certainement voulu qu’un examen par IRM soit effectué à ce moment-là, mais qu’il ne l’aurait probablement pas autorisé à reprendre l’ensemble de ses fonctions opérationnelles à ce moment-là en raison de la présence d’une décharge épileptique partielle montrée par l’EEG. À ce stade-ci, le temps qui s’est écoulé depuis la dernière crise donne à penser que l’état du membre est stable, ce qui est rassurant. Pour cette raison, il envisagerait la possibilité que le membre retourne sur le terrain quelques mois avant la fin de la période de cinq ans.

[264] Le 19 janvier 2015, elle a informé le gendarme Desson de sa conversation avec le Dr Beaulieu et lui a dit qu’il pourrait reprendre ses fonctions opérationnelles normales avant juillet 2015. Elle a demandé les documents médicaux nécessaires pour modifier son statut opérationnel. Elle l’a également informé que si, à l’avenir, il changeait de médicaments ou cessait de prendre ses médicaments, il serait réaffecté à des tâches administratives (O4) pour une période d’au moins six mois au cours de laquelle il ne devait avoir aucune crise. Les renseignements médicaux étaient nécessaires pour lui permettre de reprendre ses fonctions opérationnelles.

[265] Le 26 mai 2015, le gendarme Desson a repris ses fonctions opérationnelles normales.

b) Analyse

[266] À la lumière de cette preuve, le Tribunal conclut que, en ce qui concerne la période de février 2013 à mai 2015, la GRC a pris des mesures d’adaptation à l’égard du gendarme Desson sans aller jusqu’à subir une contrainte excessive.

[267] En effet, la GRC a tenu compte de l’anxiété du gendarme Desson lorsqu’il a entamé son retour progressif au travail en février 2013, car la Dre Ross a suggéré qu’il travaille des demi-journées tous les jours, au lieu d’avoir des jours de congé entre ses quarts de travail, ce qui serait mieux pour sa santé.

[268] En 2013, la Dre Ross et le caporal Sheppard ont essayé d’organiser un placement au sein du groupe des interventions opérationnelles, à l’égard duquel le gendarme Desson avait manifesté de l’intérêt. Le poste en question exigeait le statut opérationnel, mais même si le gendarme Desson était toujours limité aux tâches administratives, des discussions ont eu lieu entre la Dre Ross et le caporal Shepard à ce sujet. Le Tribunal y voit un autre indice de la bonne volonté de la GRC de répondre aux aspirations du gendarme Desson.

[269] Le gendarme Desson a allégué que la GRC ne l’avait pas évalué individuellement, mais qu’elle avait appliqué une politique générale sans tenir compte de son affection particulière. Comme je l’ai mentionné ci-dessus, le Tribunal ne peut pas accepter ce point de vue. La GRC a tenté de bien des façons de répondre aux aspirations et aux désirs du gendarme Desson. En 2014, lorsqu’un emploi au sein du groupe des interventions opérationnelles a été envisagé, le comité de médecins-chefs a examiné le dossier du gendarme Desson. Il a conclu qu’aucun renseignement médical ne justifiait que les restrictions liées au statut opérationnel du membre soient levées un an avant la fin de la période de cinq ans. Le fait que le comité de médecins-chefs a mentionné, dans sa décision de refuser de modifier la cote opérationnelle du membre en 2014, que ce serait injuste pour les autres membres et que la responsabilité de la GRC serait engagée ne change rien au fait que, tout au long des années 2010 à 2015, le gendarme Desson a été évalué et traité individuellement.

[270] En fin de compte, aucune des démarches entreprises n’a abouti, mais le Tribunal fait remarquer que la GRC essayait toujours de trouver un emploi qui répondrait aux aspirations du gendarme Desson.

[271] En conclusion, le Tribunal conclut que la GRC a prouvé qu’elle avait pris des mesures d’adaptation à l’égard du gendarme Desson sans aller jusqu’à subir une contrainte excessive pendant toute la période comprise entre juillet 2010, date à laquelle le gendarme Desson a été victime d’un accident causé par une crise d’épilepsie, et mai 2015, date à laquelle il a repris ses fonctions opérationnelles normales.

[272] Par conséquent, la réponse à la question D est oui. La GRC a prouvé que la politique de cinq ans constitue une exigence professionnelle justifiée au sens des paragraphes 15(1) et 15(2) de la LCDP.

E. Si non, quelles sont les mesures de réparation applicables?

[273] Étant donné que la GRC a prouvé que la politique de cinq ans constitue une exigence professionnelle justifiée, il n’est pas nécessaire de discuter des mesures de réparation. Par conséquent, aucun des éléments de preuve présentés pour justifier les mesures de réparation, y compris les effets à long terme de l’application de la politique de cinq ans, c’est-à-dire après mai 2015, ne sera analysé.

F. La GRC a-t-elle adopté un comportement abusif et commis une entrave en ne divulguant certains documents qu’au cours de l’audience?

[274] Le plaignant demande une indemnité pour les coûts liés à la conduite de l’intimée à l’étape de la divulgation. Certains documents clés n’ont été divulgués qu’au cours de l’audience, qui a duré 30 jours. L’audience a commencé le 23 février 2021 et s’est conclue le 8 décembre 2021. Les parties ont ensuite présenté leurs arguments écrits, et le Tribunal a pris l’affaire en délibéré après avril 2022.

[275] Le 11 juillet 2021, les Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021) (2021-06-03, Gazette du Canada, partie II, vol. 155, no 13) (les « nouvelles règles ») sont entrées en vigueur pour toutes les nouvelles procédures. Les nouvelles règles ne s’appliquent pas aux affaires renvoyées au Tribunal avant le 11 juillet 2011, à moins que toutes les parties consentent à leur application.

[276] Puisque l’instruction de la présente affaire a débuté le 23 février 2021, ce sont les anciennes Règles de procédure du Tribunal (03-05-04) qui s’appliquent.

[277] Aux termes des alinéas 6(1)d) et 6(1)e) des Règles, chaque partie doit notamment signifier et déposer la liste des divers documents qu’elle a en sa possession et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de l’article 6.

[278] Chaque partie doit également fournir aux autres parties, en vertu du paragraphe 6(4), une copie des documents énumérés dans cette liste, sauf s’ils sont confidentiels.

[279] La jurisprudence établit que les documents doivent être divulgués s’ils sont potentiellement pertinents. Cette norme n’est pas particulièrement difficile à satisfaire pour la partie requérante : « S’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par les parties en cause, les renseignements devraient être divulgués […] » (Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, au par. 6 [Brickner[). Toutefois, la demande ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche » (Guay c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 TCDP 34, au par. 43). Les documents demandés devraient être décrits de manière suffisamment précise (Brickner, au par. 7) et doivent être des documents qui sont en la possession de la partie, auxquels elle a accès et/ou dont elle a le contrôle (Clegg c. Air Canada, 2019 TCDP 3, aux par. 84 à 88). Par conséquent, le Tribunal ne peut ordonner à une partie de générer ou de créer des documents aux fins de la divulgation (Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42, au par. 17).

[280] En principe, les Règles de procédure doivent être interprétées et appliquées de manière à assurer l’instruction non-formaliste et rapide des affaires, conformément au paragraphe 1(1). Elles ont pour objet d’aider les parties à régler les plaintes pour atteinte aux droits de la personne de manière rapide, efficace et équitable.

[281] En application du paragraphe 50(1) de la Loi, le Tribunal doit donner aux parties la possibilité pleine et entière de présenter leur preuve.

[282] Il est donc évident que les documents doivent être divulgués avant le début de l’audience.

[283] En l’espèce, certains documents n’ont pas été divulgués avant l’audience, et le plaignant réclame une indemnité pour entrave au processus décisionnel.

[284] Le 11e jour de l’audience, soit le 4 mai 2021, pendant le contre-interrogatoire du gendarme Desson, qui avait commencé le 4e jour de l’audience, l’avocat de l’intimée a informé le plaignant et le Tribunal que, pendant la préparation de l’un de ses témoins (le Dr Beaulieu) quelques jours avant l’audience du 4 mai 2021, il avait eu connaissance d’un nouveau document pertinent qui n’avait pas encore été divulgué.

[285] Il s’agissait d’un document de 187 pages extrait des dossiers de gestion de cas du SIGSS. Ce document concerne le plaignant et comprend des notes et des conversations liées en partie à la gestion de son dossier médical et à l’application de la politique de cinq ans à son égard. Ces renseignements ont été versés dans le système par le médecin-chef et étaient confidentiels, sauf pour l’équipe du médecin-chef.

[286] Le document de 187 pages renvoie à 83 pièces jointes (fichiers PDF) qui ont également été produites par l’intimée le 17e jour de l’audience, soit le 29 juin 2021, lorsque le plaignant a clos sa preuve.

[287] Le plaignant soutient que l’intimée a entravé le processus décisionnel. Il renvoie à la décision sur requête Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada, 2019 TCDP 1 (Société de soutien), rendue par le Tribunal, et à l’arrêt Tipple c. Canada, 2012 CAF 158 [Tipple], rendu par la Cour d’appel fédérale.

[288] Dans la décision sur requête Société de soutien, le Tribunal a reconnu qu’il demeurait lié par l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2011 CSC 53, où la Cour suprême du Canada a jugé que le Tribunal n’avait pas le pouvoir d’adjuger des dépens aux plaignants ayant eu gain de cause au titre des « “dépenses entraînées par l’acte [discriminatoire]” aux termes de l’alinéa 53(2)c) de la LCDP ». C’est la règle générale.

[289] Dans la décision sur requête Société de soutien, le Tribunal a affirmé que les dépens demandés dans cette affaire en raison de la conduite abusive ou de l’entrave en cause ne découlaient pas du pouvoir du Tribunal d’accorder le remboursement de dépenses en vertu de l’alinéa 53(2)c) de la LCDP, mais plutôt de ce que la Cour d’appel fédérale a décrit dans l’arrêt Tipple comme « le pouvoir inhérent d’un tribunal de contrôler sa propre procédure ».

[290] Ces deux décisions concernent des faits très particuliers.

[291] En effet, dans l’affaire Société de soutien, les parties avaient déposé conjointement une requête écrite auprès du Tribunal dans le but d’obtenir une ordonnance sur consentement selon laquelle le Canada verserait une indemnité aux plaignants et à la partie intéressée en raison de son entrave au déroulement de la procédure du Tribunal en 2013, comme convenu entre les parties.

[292] Dans cette affaire, les parties reconnaissaient que le Canada avait sciemment omis de divulguer 90 000 documents, dont certains étaient préjudiciables à sa cause et très pertinents, et le Tribunal a conclu que le Canada avait omis de l’aviser et d’aviser les parties de ce fait à la première occasion. Les plaignants et la partie intéressée ont engagé des frais inutilement en raison de la divulgation tardive de ces 90 000 documents par le Canada et du report de trois mois de l’audience sur le fond qui en a découlé.

[293] Dans l’affaire Tipple, le ministère des Travaux publics et des Services gouvernementaux du Canada (TPSGC), l’intimé, avait commis une entrave en refusant de façon répétée de respecter les ordonnances de divulgation du Tribunal, ce qui a entraîné pour M. Tipple des frais juridiques inutiles pour faire exécuter les ordonnances de l’arbitre. TPSGC a adopté un comportement l’amenant à s’exécuter tardivement et de façon insuffisante, et il n’a remédié à ce comportement qu’à la suite d’une pression incessante exercée par l’avocat de M. Tipple.

[294] Les faits sur lesquels reposent la décision sur requête Société de soutien et l’arrêt Tipple sont très différents de ceux de la présente affaire.

[295] En l’espèce, les parties n’admettent pas toutes que la GRC a adopté un comportement abusif, comme c’était le cas dans l’affaire Société de soutien, et il n’y a non plus aucune preuve de comportement abusif ou d’entrave de la part de la GRC, comme c’était le cas dans l’affaire Tipple. En fait, l’avocat de la GRC a informé le Tribunal et le plaignant dès qu’il s’est rendu compte de l’existence du document du SIGSS, pendant qu’il préparait un de ses témoins au cours de l’audience. Le Tribunal se serait attendu à ce que ces renseignements importants aient été découverts et divulgués avant le début de l’audience, mais il estime que l’omission est probablement attribuable à un manque de préparation et à la découverte tardive du document ou à une erreur de bonne foi. Le Tribunal est d’avis que la GRC n’a pas adopté intentionnellement un comportement abusif ou commis intentionnellement une entrave, comme dans les affaires Société de soutien et Tipple.

[296] De plus, une bonne partie du document du SIGSS avait déjà été divulguée dans les deux volumes du recueil conjoint de documents.

[297] Le Tribunal estime que les décisions Société de soutien et Tipple sont très particulières et sont fondées sur des faits très particuliers, qui sont exceptionnels. Les faits en l’espèce sont différents.

[298] Par conséquent, le Tribunal conclut qu’aucuns dépens ne seront adjugés.

G. Si oui, le plaignant a-t-il droit à une indemnité?

[299] Compte tenu de la conclusion qui précède, aucune indemnité n’est accordée au plaignant.

Signée par

Marie Langlois

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 10 janvier 2023

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2276/3118

Intitulé de la cause : Michael Eric Desson c Gendarmerie royale du Canada

Date de la décision du Tribunal : Le 10 janvier 2023

Dates et lieu de l’audience : 23 et 24 février 2021
30 mars et 1 er avril 2021
26-29 avril 2021
3-6 mai 2021
26-28 mai 2021
29 juin 2021
6-8 juillet 2021
20-21 juillet 2021
26-27 juillet 2021
28-29 septembre 2021
3-5 novembre 2021
7-8 décembre 2021
4 avril 2022

Par vidéoconférence

Comparutions :

Jeff Sanders, pour le plaignant

Graham Stark, pour l’intimée

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