Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2023 TCDP 2

Date : le 12 janvier 2023

Numéro du dossier : T2252/0718

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Stacy White

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Laboratoires Nucléaires Canadiens ltée

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Jennifer Khurana

 


I. Contexte

[1] Stacy White, la plaignante, travaillait pour l’intimée, Laboratoires Nucléaires Canadiens ltée (« LNC »). Lors d’un incident en milieu de travail, Sue Fleming, une collègue, l’a prise au cou. Mme White allègue qu’en raison de cet incident, et de ses précédentes interactions avec Mme Fleming, elle a commencé à éprouver des problèmes de santé nécessitant la prise de mesures d’adaptation, lesquelles consistaient notamment à assurer qu’elle demeure physiquement séparée de Mme Fleming. Mme White affirme que LNC n’a pas tenu compte de ses besoins liés à sa déficience puisqu’elle l’a contrainte à revoir Mme Fleming, ce qui a eu pour effet d’aggraver son état de santé. LNC soutient qu’elle ne savait pas, et ne pouvait raisonnablement savoir, que la plaignante avait une déficience pouvant nécessiter la prise de mesures d’adaptation.

[2] L’instruction de la présente affaire doit commencer le 16 janvier 2023. Le 10 janvier 2023, LNC et Mme White ont chacune demandé au Tribunal d’ordonner à l’autre de produire des documents qui, à leur avis, sont potentiellement pertinents quant aux questions en litige en l’espèce.

[3] LNC a envoyé sa demande par courriel. Ont ensuite suivi de nombreux courriels, qui comportaient plusieurs allégations graves au sujet des avocats. Au moyen d’une directive, j’ai ordonné aux parties de préciser leurs demandes de divulgation et leurs réponses respectives. Elles ont obtempéré à cette directive.

[4] La Commission n’a pas participé à cet échange de courriels si ce n’est pour confirmer qu’elle avait satisfait à ses obligations de divulgation. Elle n’a pas pris position à l’égard des demandes de production.

Conduite des avocats

[5] Les commentaires suivants ne mettent aucunement en cause la Commission canadienne des droits de la personne ou ses avocats, anciens ou actuels.

[6] Le 10 janvier 2023, les parties ont envoyé plusieurs courriels au Tribunal. Le premier courriel envoyé par LNC comportait une brève demande d’ordonnance de production. Avant que le Tribunal n’ait pu donner une directive aux autres parties et leur demander de présenter leurs observations, l’avocate de Mme White a répondu. Son courriel contenait un récit préoccupant au sujet des interactions entre son cabinet, l’avocat de LNC et le cabinet de celui‑ci, de même que des allégations graves concernant l’avocat. Mme Roth a également indiqué que, si une ordonnance de divulgation devait être rendue à l’encontre de Mme White, elle serait contestée, et que [traduction] « dans ce cas, l’audience sera sans doute ajournée jusqu’à ce que la décision soit examinée ». La demande de production de Mme White a également été envoyée pour la première fois dans ce courriel de réponse.

[7] Après avoir reçu sept courriels des avocats pour le compte de Mme White et de LNC, j’ai dû donner une directive ordonnant aux parties de cesser immédiatement d’écrire au Tribunal, à moins que ce ne soit pour faire une demande précise d’intervention de ma part ou pour obtempérer à une directive du Tribunal. Je leur ai également ordonné de faire preuve de respect l’une envers l’autre, envers le Tribunal et à l’égard de son mandat. J’ai souligné que le Tribunal a l’obligation de conduire ses procédures de façon équitable et rapide, mais aussi que les avocats ont un rôle à jouer dans tout cela. J’ai rappelé que [traduction] « le fait d’obliger les ressources déjà limitées à lire des courriels, à y répondre et à régler les questions qu’ils soulèvent, alors que ce n’est peut-être même pas nécessaire pour trancher les questions en litige dans la présente plainte, ne favorise pas un dénouement rapide de l’affaire ».

[8] J’ai finalement ordonné au greffe de trier les courriels des parties et de cesser de me transférer les messages, à moins qu’ils ne soient conformes à ma directive, soulignant que les messages qui s’adressaient uniquement aux avocats ne tombaient pas dans cette catégorie. J’ai indiqué que tous les documents qui ne respectaient pas ces paramètres seraient renvoyés aux parties et ne seraient pas versés au dossier du Tribunal.

[9] Malheureusement, ce n’est pas la première fois que je dois rappeler aux avocats d’agir avec respect et courtoisie dans la présente instance. Ce type de comportement n’aide pas le Tribunal dans sa tâche et constitue un gaspillage de nos ressources collectives. [traduction] « Une conduite incivile, abrasive, hostile ou récalcitrante nuit forcément à la réalisation de l’objectif de régler les conflits de façon rationnelle, pacifique et efficace et cause plutôt des retards, voire des dénis de justice […] » (Groia c. Barreau du Haut-Canada, 2018 CSC 27, au par. 64, citant K. A. Nagorney, « A Noble Profession? A Discussion of Civility Among Lawyers » (1999) 12 Geo. J. Legal Ethics 815, à la p. 817) [Groia].

[10] Les parties peuvent présenter des demandes visant à obtenir une ordonnance du Tribunal, notamment une demande d’ordonnance de production. Mais il est inacceptable que les réponses et la correspondance subséquente contiennent des propos incendiaires et accusateurs qui sont loin de correspondre à la civilité, à la courtoise et au respect dont j’ai ordonné aux parties de faire preuve. J’en parlerai aux avocats au début de l’audience. « Pratiquer le droit avec civilité comporte de nombreux avantages, tant pour les individus en cause que pour la profession dans son ensemble. À l’inverse, l’incivilité nuit à l’équité du procès et à l’administration de la justice de plusieurs façons » (Groia, au par. 63). Je m’attends à ce que Ies avocats choisissent judicieusement leurs batailles, agissent de façon proportionnée dans le traitement du dossier et s’abstiennent de toute incivilité à l’avenir.

DÉCISION

[11] La demande de LNC est accueillie. La demande de Mme White est rejetée.

MOTIFS

[12] Les parties doivent avoir la possibilité pleine et entière de faire valoir leurs arguments (par. 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « Loi »)). Elles ont notamment droit à la divulgation de tous les renseignements potentiellement pertinents que détient la partie adverse afin que chacune des parties connaisse la preuve qu’elle doit réfuter et puisse se préparer pour l’audience. Voir Egan c. Agence du revenu du Canada, 2019 TCDP 8, au paragraphe 4. Les Règles du Tribunal exigent que chaque partie divulgue une copie de tous les documents qu’elle a en sa possession relativement à un fait, à une question ou à une forme de redressement demandée dans l’affaire, y compris ceux mentionnés par d’autres parties (alinéa 19(1)e) des Règles). Il s’agit d’une obligation continue (par. 24(1)(2) des Règles).

[13] Le critère applicable à la divulgation est celui de la pertinence possible ou potentielle. Bien qu’il ne s’agisse pas d’un critère particulièrement strict, la partie qui demande la production d’un document doit quand même démontrer qu’il existe un lien rationnel entre le document demandé et les questions soulevées dans la plainte (T.P. c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 19, au par. 11; Turner c. ASFC, 2018 TCDP 1, au par. 30 [Turner]). Les demandes de divulgation ne doivent pas être spéculatives ou équivaloir à une partie de pêche (Egan c. Agence du revenu du Canada, 2017 TCDP 33, aux par. 31-32 [Egan], et Turner, au par. 30).

[14] Le fait que des documents soient divulgués ne signifie pas qu’ils seront admis en preuve à l’audience. Si une partie s’oppose à l’élément de preuve proposé, elle peut soulever la question à l’audience et présenter des observations sur le poids que le décideur devrait accorder à cet élément s’il est admis en preuve à l’audience.

La demande d’ordonnance de production de LNC

[15] LNC veut que le Tribunal ordonne à Mme White de produire une copie des notes qu’elle a prises au sujet du harcèlement en milieu de travail dont elle aurait été victime. LNC affirme qu’elle n’a découvert l’existence de ces notes que le 10 janvier 2023 lorsque l’un de ses représentants juridiques a examiné les originaux de documents déjà divulgués au cabinet de Mme Roth, l’avocate de Mme White. Le représentant juridique de LNC a remarqué une série de pages agrafées dans la copie imprimée du cahier de notes de Mme White qui ne semblaient pas avoir été divulguées auparavant. L’avocat de LNC a demandé à les examiner sous toutes réserves pour en déterminer la pertinence.

[16] Mme White s’oppose à cette demande. Elle a d’abord affirmé que les notes demandées étaient de nature personnelle. Elle a par la suite ajouté que ces notes se rapportaient au harcèlement que lui aurait fait subir son ancienne collègue, mais qu’elles n’étaient pas potentiellement pertinentes quant aux questions en litige. Selon Mme White, les notes ne font allusion à rien de ce qu’elle a discuté avec ses gestionnaires et ses superviseurs. Les notes ne permettront pas selon elle au Tribunal de décider si l’obligation de LNC de se renseigner sur les possibles mesures d’adaptation a été déclenchée, si elle s’est renseignée, si elle a pris des mesures d’adaptation en raison d’une déficience ou si elle a manqué à ces obligations. Mme White affirme que [traduction] « seul le harcèlement signalé » est pertinent quant aux questions en litige en l’espèce, et non pas le moindre incident qu’elle n’a pas signalé ou fait connaître à son employeur. Enfin, Mme White soutient que la demande de LNC constitue une partie de pêche, vise à discréditer Mme White et est spéculative, et que LNC voulait les notes avant d’apprendre qu’elles portaient sur le harcèlement.

[17] À mon avis, les notes sont potentiellement pertinentes et doivent être divulguées. Mme White ne demande pas au Tribunal de tirer des conclusions sur du harcèlement au sens de l’article 14 de la Loi, et le harcèlement dont fait état Mme White n’est pas fondé sur un motif de distinction illicite. Toutefois, Mme White allègue dans sa plainte que LNC n’a pas tenu compte d’une déficience qui, affirme-t-elle, a été causée – ou exacerbée – par du harcèlement en milieu de travail, qui obligeait LNC à prendre des mesures d’adaptation à son égard en veillant à ce qu’elle ne se retrouve pas en présence de la collègue qui l’avait agressée et harcelée. Bien qu’elle ait d’abord tenu compte des problèmes de santé de Mme White, LNC soutient qu’elle n’a pas sciemment omis de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de Mme White parce qu’elle ne savait pas qu’elle éprouvait encore d’importants problèmes de santé liés à l’incident mettant en cause sa collègue.

[18] En raison de la nature des allégations et de la réponse de LNC, je suis d’avis que les notes sur le harcèlement sont potentiellement pertinentes quant aux questions en litige en l’espèce. Mme White allègue que le harcèlement a causé sa déficience ou aggravé son état de santé, et LNC soutient que ce n’est pas le cas, et qu’elle ne pouvait raisonnablement être au courant de ses problèmes de santé continus ou de l’existence d’une déficience. Compte tenu de la façon dont la caractéristique protégée en l’espèce – la déficience – est si étroitement liée aux incidents et aux allégations de harcèlement en milieu de travail, les notes sont potentiellement pertinentes et doivent être produites. Je ne crois pas que la demande constitue une partie de pêche, et LNC a exposé les faits l’ayant amenée à croire que les documents existent et sont pertinents quant aux questions en litige.

[19] De plus, comme les parties le savent très bien, les notes ne constituent pas un élément de preuve soumis au Tribunal et n’ont pas été admises en preuve.

La demande de Mme White

[20] Mme White demande au Tribunal d’ordonner à LNC de produire [traduction] « tous les cahiers de notes de 2012 à 2015 de : Caroline Allen, Marty Kapitan, Andrea Denby, Laura Dykstra, Sandra Faught, Karry LeBlanc, Barry Lamirande, Steven Anderson, Daniel Sullivan et Robert Thistle ».

[21] Elle affirme que LNC a divulgué des notes limitées de Caroline Allen qui portent sur le signalement du harcèlement par Mme White, l’agression et les mesures d’adaptation dont elle avait besoin. Mme White affirme également qu’en se préparant à l’audience, elle a eu des entretiens avec des témoins qui travaillaient pour LNC au cours des périodes pertinentes. Elle a appris que [traduction] « tous les incidents et signalements concernant le harcèlement, ainsi que la santé et les préoccupations de Mme White ont notamment été rapportés à Mme Allen, à M. Kapitan, à Mme Dykstra et à Mme Denby » et [traduction] « ont été consignés dans leurs cahiers de notes respectifs ». Mme White soutient que les superviseurs et les gestionnaires appliquaient également cette pratique consistant à tenir un cahier de notes. Selon Mme White, ces notes n’ont pas été fournies, et LNC n’a jamais fait état de cette pratique et de l’existence de ces cahiers de notes.

[22] LNC s’oppose à cette demande. Elle affirme que la demande de Mme White constitue une partie de pêche, qu’elle n’a pas indiqué avec qui elle a eu des entretiens ni à quel moment. LNC soutient que l’affirmation voulant que tous les incidents aient été consignés dans tous les cahiers de notes est absurde à première vue, dans la mesure où il est très peu probable que les témoins aient vu chacune des dix personnes dont les cahiers de notes sont demandés consigner les détails de tous les incidents de harcèlement dont Mme White aurait été victime. Enfin, LNC fait valoir qu’elle a déjà passé tous ses documents au peigne fin plus tôt dans l’instance et produit tout ce qu’elle pouvait produire. Mme White n’a appuyé sa demande sur aucun élément concret tendant à indiquer que les cahiers de notes existent ou contiennent des renseignements pertinents qui n’ont pas été produits.

[23] Mme White soutient que ces notes sont pertinentes quant aux interactions de ses superviseurs et gestionnaires entre eux et avec d’autres concernant le harcèlement dont elle aurait été victime, sa déficience et les préoccupations qu’elle-même et d’autres personnes disent avoir exprimées à leurs superviseurs et gestionnaires. Elle soutient que ces renseignements aideront le Tribunal à déterminer la teneur des renseignements qui ont été communiqués par Mme White et d’autres personnes à ce sujet, vraisemblablement pour aider à établir l’obligation de se renseigner et de prendre des mesures d’adaptation à l’égard de Mme White en raison de sa déficience. Elle soutient qu’il ne s’agit pas d’une demande spéculative ni d’une partie de pêche.

[24] La demande de Mme White est rejetée. Comme les parties le savent, l’obligation de divulgation est continue. Si une partie découvre des documents potentiellement pertinents quant aux questions en litige dans le présent dossier, elle est tenue de les divulguer. Mais je ne suis pas disposée à ordonner la production de trois années de notes consignées dans les cahiers de dix personnes en me fondant sur la déclaration qu’un témoin a pu faire au cours de la préparation à l’audience à ce state avancé de l’instance, notamment parce qu’il n’apparaît pas clairement que les cahiers de notes existent, ou que ce qu’ils contiennent pourra même aider le Tribunal dans sa tâche. La demande est spéculative, et je ne vois aucun motif suffisant pour ordonner la production ou une autre recherche dans l’ensemble des documents de LNC en me fondant sur ce que Mme White a présenté à l’appui de sa demande.

ORDONNANCE

[25] La demande de LNC est accueillie. Mme White doit fournir une copie électronique lisible des notes demandées dans leur intégralité aux autres parties au plus tard à midi, heure de l’Est, le vendredi 13 janvier 2023. Elle doit également envoyer au Tribunal une confirmation indiquant qu’elle a obtempéré à la présente ordonnance.

[26] Si une partie entend présenter ce document en preuve, elle devra en envoyer une copie au greffe du Tribunal pour inclusion dans le cahier de preuve documentaire conjoint au plus tard le lundi 16 janvier 2023 et j’examinerai la question à l’audience, au besoin.

[27] La demande de Mme White est rejetée.

Signée par

Jennifer Khurana

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 12 janvier 2023


 

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2252/0718

Intitulé de la cause : Stacy White c. Laboratoires Nucléaires Canadiens ltée

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 12 janvier 2023

Demandes traitées par écrit sans comparution des parties

Observations écrites :

M. Christine Roth , pour la plaignante

Kevin MacNeill , pour l'intimée

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.