Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 37

Date : le 23 novembre 2022

Numéro du dossier : T2682/5821

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Melissa Paton

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Spearing Service L.P.

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Jennifer A. Orange

 

 

 

Table des matières

I. Aperçu 1

II. Contexte 1

III. Questions en litige 2

IV. Analyse 2

A. Le Tribunal a-t-il compétence pour instruire la présente requête? 2

B. Autorité de la chose jugée et préclusion découlant d’une question déjà tranchée 4

(i) La décision arbitrale 6

C. Abus de procédure 9

V. Ordonnance 10

 


I. Aperçu

[1] L’intimée, Spearing Service L.P. (Spearing), a présenté une requête pour que la plainte que Melissa Paton a déposée contre elle soit suspendue ou rejetée au motif qu’il y a chose jugée sur le fondement de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou d’un abus de procédure, ou des deux. Pour les motifs exposés ci-dessous, je rejette la requête.

II. Contexte

[2] La plaignante prétend qu’elle a fait l’objet de discrimination de la part de son ancien employeur, Spearing, en raison de son sexe et de sa situation de famille, en contravention des alinéas 7a) et 10a), ainsi que des paragraphes 11(1) et 11(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « LCDP » ou la « Loi »). Elle a déclaré, dans son exposé des précisions, qu’après son retour d’un congé de maternité en 2016, elle a subi un traitement défavorable, à savoir une réduction de salaire de 20 %, une interdiction de faire des heures supplémentaires ainsi qu’une rétrogradation, et qu’elle a été mal traitée par les gestionnaires. Elle affirme qu’elle [traduction] « n’a eu d’autre choix que de démissionner » en raison de ce mauvais traitement [1] .

[3] Or, dans son exposé des précisions, l’intimée nie avoir fait preuve de discrimination à l’égard de la plaignante en contravention de la LCDP et explique pourquoi elle a modifié le salaire et les responsabilités de la plaignante. Elle soutient que Mme Paton a démissionné de son emploi, ce qu’un arbitre a confirmé dans une décision rendue en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le « CCT »).

[4] J’ai examiné et pris en compte les documents présentés par les parties dans le cadre de la requête et je vais maintenant résumer les faits pertinents à la présente décision sur requête. Les parties ne contestent pas qu’après sa démission, Mme Paton a déposé une plainte au titre de l’article 240 du CCT dans laquelle elle alléguait avoir fait l’objet d’un congédiement injuste, plus particulièrement d’un congédiement déguisé. L’arbitre a tenu une audience le 16 février 2018 et, dans une décision datée du 4 mars 2018, il a conclu que Spearing n’avait pas congédié Mme Paton de façon déguisée, mais que Mme Paton avait démissionné (la « décision arbitrale ») [2] . Mme Paton n’a pas demandé le contrôle judiciaire de la décision arbitrale, et les parties ne contestent pas son caractère définitif.

[5] Spearing soutient dans la présente requête que, pour déterminer si Mme Paton avait fait l’objet d’un congédiement déguisé, l’arbitre a examiné les mêmes faits et s’est penché sur les mêmes questions sous-jacentes que ceux qui se trouvent dans la plainte déposée par Mme Paton en vertu de la LCDP. Spearing soutient que la plainte vise à remettre en litige des questions déjà tranchées dans la décision arbitrale et qu’elle devrait être radiée ou rejetée, en tout ou en partie.

III. Questions en litige

[6] Le Tribunal a-t-il compétence pour instruire la présente requête?

[7] La décision arbitrale de 2018 fait-elle obstacle à l’instruction de la plainte au motif qu’il y a chose jugée en raison de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, ou, subsidiairement, la plainte constitue-t-elle un abus de procédure au motif qu’elle a déjà fait l’objet d’une décision définitive rendue à l’issue d’un autre processus décisionnel?

IV. Analyse

A. Le Tribunal a-t-il compétence pour instruire la présente requête?

[8] La plaignante soutient que le Tribunal n’a pas compétence pour instruire la présente requête puisqu’il est préclus de le faire à cause de la décision par laquelle la Commission canadienne des droits de la personne (la « CCDP ») a renvoyé l’affaire au Tribunal pour instruction. La plaignante soutient que la CCDP a compétence, en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, pour refuser de renvoyer une plainte au Tribunal pour instruction si elle juge que la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi [3] .

[9] Dans le même ordre d’idées, la CCDP soutient que la présente requête est une contestation indirecte de la décision par laquelle elle a décidé de statuer sur la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d) [4] . Essentiellement, l’argument de la CCDP tient au fait que lorsqu’un plaignant dépose une plainte et qu’un autre organisme a déjà rendu une décision sur la base de faits similaires, la CCDP est tenue de procéder à sa propre appréciation des circonstances afin de déterminer si les questions relatives aux droits de la personne ont été traitées [5] . Dans le cadre de cette appréciation, conformément à l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, la CCDP peut rejeter une plainte jugée futile, vexatoire ou entachée de mauvaise foi.

[10] En l’espèce, la CCDP a examiné la décision arbitrale et a conclu que [traduction] « [v]u les circonstances, il n’est pas possible de conclure que les autres allégations contenues dans la plainte ont déjà été examinées par un autre décideur [6] ». Les [traduction] « autres allégations » sont celles relatives à la discrimination dans le cadre de l’emploi, mais ne sont pas celles qui ont trait (1) à la désactivation du compte de courriel de la plaignante, (2) à son exclusion des avis et des réunions du comité de santé et de sécurité au travail, et (3) à la décision concernant son congédiement déguisé [7] .

[11] Les deux parties soutiennent que Spearing aurait pu déposer auprès de la Cour fédérale une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la CCDP a renvoyé la plainte au Tribunal. Or, elle ne l’a pas fait.

[12] En bref, Spearing soutient que, une fois qu’une affaire est renvoyée au Tribunal, celui-ci peut décider d’étendre la portée des plaintes qui lui sont transmises ou de la limiter [8] .

[13] C’est lorsque la CCDP renvoie une plainte au Tribunal que la compétence d’instruire la plainte prend naissance [9] . Le paragraphe 50(2) de la Loi confère au Tribunal le pouvoir de trancher toutes les questions de fait et de droit dans les affaires dont il est saisi. Alors, le fait que Spearing ait pu avoir la possibilité de contester la décision de renvoi de la CCDP n’empêche pas le Tribunal d’exercer son pouvoir et d’examiner la portée de la plainte [10] .

[14] J’estime que le Tribunal a compétence pour définir l’étendue des questions soulevées dans la plainte, telles qu’elles sont énoncées dans la décision par laquelle la Commission a renvoyé la plainte au Tribunal. Je conclus donc que le Tribunal a compétence pour instruire la présente requête.

[15] Je passe maintenant à la question de savoir si la plainte devrait être rejetée sur la base de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou parce qu’elle constitue un abus de procédure.

B. Autorité de la chose jugée et préclusion découlant d’une question déjà tranchée

[16] Le principe de la chose jugée empêche l’instruction de questions qui ont déjà été tranchées par un forum ayant une compétence concurrente [11] . La préclusion, c’est-à-dire l’interdiction de réexaminer des questions qui ont déjà été tranchées, est un principe de la chose jugée. Le principe de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée peut s’appliquer à des procédures juridictionnelles comme la plainte déposée au titre de la LCDP [12] .

[17] L’objectif d’une « doctrine relative au caractère définitif des décisions » comme la préclusion découlant d’une question déjà tranchée consiste à prévenir l’iniquité en empêchant les recours abusifs. Comme l’a déclaré le Tribunal dans la décision Jamison Todd c. La Ville d’Ottawa, les « valeurs jumelles que sont le caractère définitif et l’équité sont au cœur de ces doctrines [13] ».

[18] En expliquant l’objet de ces principes, la juge Abella a écrit ce qui suit dans l’arrêt Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52 [Figliola] :

Toutes ces questions visent à déterminer s’il [traduction] « a été statué de façon appropriée » sur le fond de la plainte. Il s’agit, en définitive, de se demander s’il est logique de consacrer des ressources publiques et privées à la remise en cause de ce qui est essentiellement le même litige. [14]

[19] Dans l’arrêt Danyluk, la Cour suprême du Canada a établi trois conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée :

  1. que la même question ait été décidée;

  2. que la décision judiciaire invoquée comme créant la préclusion soit finale; et

  3. que les parties dans la décision judiciaire invoquée soient les mêmes que les parties engagées dans l’affaire où la préclusion est soulevée. [15]

[20] Pour ce qui est de la première étape du critère établi dans l’arrêt Danyluk, Spearing soutient que, même si l’arbitre a explicitement indiqué que la question était celle de savoir si Spearing avait adopté un comportement qui équivalait au congédiement déguisé de Mme Paton, il s’est par le fait même penché sur la question de savoir si Spearing avait, en violation de la LCDP, fait preuve de discrimination à l’égard de Mme Paton en raison de son sexe et de sa situation de famille [16] .

[21] Par ailleurs, Mme Paton soutient que, bien qu’il puisse y avoir certains [traduction] « chevauchements factuels » entre l’affaire dont était saisi l’arbitre et celle dont est saisi le Tribunal, l’arbitre a appliqué un critère juridique différent dans sa décision parce qu’il s’agissait d’une question de droit différente [17] . Autrement dit, le critère applicable au congédiement déguisé tel que défini dans le CCT est différent du critère applicable à la discrimination dont il est question aux alinéas 7a) et 10a), et aux paragraphes 11(1) et 11(2) de la LCDP.

[22] De plus, la CCDP soutient que l’arbitre n’était pas saisi des mêmes questions que celles dont est saisi le Tribunal. La Commission a déclaré :

[traduction]
Le Tribunal doit déterminer si l’intimée a fait preuve de discrimination à l’égard de Mme Paton en raison de son sexe (i) lorsqu’elle a négligé de lui offrir le poste de contrôleur de l’inventaire, (ii) lorsqu’elle a injustement refusé de lui confier le poste de gestionnaire des Pièces et du Parc automobile, (iii) lorsqu’elle l’a rétrogradée du poste de gestionnaire des Pièces, (iv) lorsqu’elle a réduit son salaire et a changé le titre de son poste à son retour de congé de maternité, (v) lorsqu’elle a mis en œuvre des procédures de contrôle d’inventaire et de sécurité qui ont eu pour effet de modifier les tâches de Mme Paton et son accès aux aires de travail, (vi) lorsqu’elle a harcelée et intimidée Mme Paton à son retour de congé de maternité. Le Tribunal doit également se prononcer sur la question de savoir quelles mesures de réparation personnelles et systémiques devraient être accordées si la plainte de Mme Paton est jugée fondée. [18]

[23] Toutes les parties s’appuient sur le texte de la décision arbitrale. Spearing soutient que les faits sur lesquels l’arbitre s’est prononcé sont les mêmes que ceux en cause dans la présente plainte, de sorte que le Tribunal est préclus de les réexaminer [19] . Spearing soutient que l’arbitre a conclu que [traduction] « les mesures prises par Spearing étaient considérées comme des décisions purement financières et opérationnelles et, surtout, comme étant non discriminatoires [20] ». Elle affirme que l’arbitre n’a trouvé aucun élément de preuve lui permettant de croire que Mme Paton avait été congédiée de façon déguisée par Spearing ou qu’elle a été traitée de manière [traduction] « délibérément malveillante » après son retour de congé de maternité [21] . Mme Paton et la CCDP soutiennent que, même si bon nombre des faits rapportés à l’arbitre sont les mêmes que dans la présente plainte, ce dernier n’était pas saisi de la question de droit qui est soulevée dans la présente plainte et il ne l’a donc pas tranchée [22] .

(i) La décision arbitrale

[24] Je vais maintenant examiner la décision arbitrale. Après avoir examiné les éléments de preuve et les observations des parties, l’arbitre a commencé son analyse en précisant les quatre allégations de fait formulées par Mme Paton : (1) la diminution de son salaire et le changement du titre de son poste constituaient une rétrogradation; (2) l’employeur a mis en œuvre des procédures de contrôle d’inventaire et de sécurité qui ont eu pour effet de modifier ses tâches et de réduire la portée de son emploi; (3) elle a été harcelée et intimidée à son retour de son congé de maternité, ce qui coïncide avec la mise en place des nouvelles procédures d’inventaire et de sécurité, et (4) on lui a refusé injustement une promotion [23] .

[25] L’arbitre a ensuite résumé l’argumentation de Mme Paton en ces termes : « le comportement des employeurs constituait un congédiement déguisé, ne lui laissant d’autre choix que de démissionner [24] ».

[26] L’arbitre a ensuite énoncé le critère juridique applicable au congédiement déguisé en citant l’arrêt Potter c. Commission des services d’aide juridique du Nouveau‑Brunswick, 2015 CSC 10, de la Cour suprême du Canada, et a appliqué le droit aux faits qui lui étaient présentés [25] . Il a conclu ce qui suit : « [c]ompte tenu de ce qui précède, je conclus que Mme Paton n’a pas fait l'objet de congédiement déguisé, mais qu’elle a démissionné de son emploi [26] ».

[27] Dans sa décision, comme Spearing le souligne dans les documents produits à l’appui de la requête, l’arbitre fait quelques constats qui pourraient permettre de conclure qu’il n’y a pas eu de discrimination au sens de la LCDP. À la page 18, il souligne qu’il a été établi en preuve que Spearing s’était dotée d’une politique pour lutte contre le harcèlement et que tous les employés devaient « approuver » la politique. À la page 19, l’arbitre a écrit que, bien qu’il soit possible que les représentants de la gestion n’aient pas été au courant de l’incidence de leur comportement sur une femme qui travaille dans un milieu majoritairement masculin, « aucune preuve ne permet d’établir que cela a été fait délibérément ». Il a ajouté « [qu’]aucun élément de preuve ne démontre que Mme Parton a fait l’objet de discrimination lorsqu’elle cherchait à être nommée au poste de gestionnaire des Pièces et du Parc automobile [27] ».

[28] Dans la section intitulée « Décision », l’arbitre a déclaré que « [m]ême si la gestion n’était pas sensible à la réalité d’une femme travaillant dans un milieu majoritairement masculin, aucun élément de preuve ou aucune intention malicieuse délibérée n’ont été établis [28] ».

[29] Dans ses observations en réplique, Spearing soutient que les conclusions de fait que l’on retrouve dans la décision arbitrale ne peuvent être remises en litige dans la présente instance. Bien qu’il y ait certains chevauchements factuels entre la décision arbitrale et la présente plainte, j’estime que les questions de droit sont différentes et que l’arbitre n’a tiré aucune conclusion en ce qui concerne la discrimination au sens de la LCDP. L’arbitre a explicitement énoncé le critère juridique permettant de déterminer s’il y a eu congédiement déguisé, mais il n’a pas énoncé le critère applicable à la discrimination au sens de la LCDP ni même mentionné la Loi dans son analyse.

[30] Je ne souscris pas à l’argument de Spearing selon lequel l’arbitre s’est implicitement penché sur la question de savoir si Spearing a fait preuve de discrimination à l’égard de Mme Paton en raison de son sexe et de sa situation de famille, en violation de la LCDP [29] . Les critères sont différents et il se peut fort bien que les éléments de preuve requis pour conclure à la discrimination au sens de la LCDP soient différents de ceux requis pour conclure à un comportement qui constitue un congédiement déguisé.

[31] Je ne suis pas convaincue que les conclusions de l’arbitre selon lesquelles il n’y avait aucune preuve d’intention malveillante délibérée étaient fondées sur la LCDP. Il ne s’agissait pas simplement d’une mauvaise application du critère. Pour reprendre l’expression de la juge Abella, je ne crois pas que l’arbitre a « statué de façon appropriée » sur le critère applicable à la discrimination dont il est question aux alinéas 7a) et 10a) et aux paragraphes 11(1) et 11(2) de la LCDP [30] .

[32] Ma conclusion à ce sujet est renforcée par le fait que, dans les observations des parties et dans le résumé de la preuve qui figurent dans la décision arbitrale, il n’y aucun élément de preuve ni aucune observation portant sur l’application de la LCDP. À la page 10 de sa décision, l’arbitre semble s’être adressé à Roberta Taylor, représentante des Ressources humaines de Spearing, lorsqu’il a déclaré ce qui suit : « Vous êtes assujetti au Code canadien du travail et à la Loi canadienne sur les droits de la personne. Avez-vous un manuel de l’employé? » En réponse, Mme Taylor a confirmé que Spearing avait un manuel de politiques, lequel contient une politique en matière de harcèlement [31] . Aucune observation n’a été faite au sujet de la discrimination au sens de la LCDP.

[33] Comme le Tribunal l’a déclaré dans la décision Todd : « [t]oute perte de ressources judiciaires occasionnée par l’examen par le Tribunal des éléments de preuve qui faisaient partie de la [décision] est contrebalancée par l’élément plus important qui consiste à veiller à ce que la plainte fasse l’objet d’une audience complète et équitable sur le plan de la procédure [32] ». Je suis convaincue que la présente plainte doit faire l’objet d’une audience complète pour assurer l’équité procédurale.

[34] Par conséquent, je conclus que Spearing ne satisfait pas à la première condition du critère d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, en ce sens que la présente plainte ne porte pas sur une question qui a déjà été tranchée par l’arbitre. Les parties conviennent que la deuxième condition est satisfaite, en ce sens que la décision arbitrale était définitive. Les parties ne s’entendent pas à savoir si le fait que la CCDP soit partie à la présente plainte, mais qu’elle ne l’était pas à l’arbitrage sous le régime du CCT, revient à dire que les parties ne sont pas les mêmes pour les besoins de la troisième condition. Cependant, comme j’ai conclu que la première condition n’est pas respectée, il n’est pas nécessaire que je tire une conclusion au sujet de la troisième. La préclusion découlant d’une question déjà tranchée n’est pas établie.

C. Abus de procédure

[35] Spearing soutient en outre que procéder à l’instruction de la plainte constituerait un abus de procédure [33] .

[36] Même lorsque les conditions d’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne sont pas réunies, le Tribunal peut appliquer à la doctrine de l’abus de procédure pour empêcher le réexamen d’une question lorsqu’il serait abusif de le faire [34] .

[37] Dans l’arrêt Figliola, la Cour suprême du Canada a confirmé plusieurs principes clés qui doivent être pris en compte dans l’analyse de l’abus de procédure, à savoir « l’économie des ressources judiciaires, la cohérence, le caractère définitif des instances et l’intégrité de l’administration de la justice [35] ».

[38] L’application des doctrines consacrant le caractère définitif des décisions judiciaires, comme la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’abus de procédure, est un exercice hautement discrétionnaire, qui repose sur les besoins de la justice substantielle et de la justice procédurale. Comme la Cour suprême l’a déclaré dans l’arrêt Danyluk et qu’elle l’a réitéré, à la majorité, dans l’arrêt Penner c. Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19, « [u]ne doctrine élaborée par les tribunaux dans l’intérêt de la justice ne devrait pas être appliquée mécaniquement et donner lieu à une injustice [36] ».

[39] J’ai déjà conclu que l’arbitre n’a pas tranché la question dont le Tribunal est saisi, de sorte que ce dernier ne risque pas de contrevenir aux principes de l’économie, de la cohérence, du caractère définitif des instances et de l’intégrité de l’administration de la justice. Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la plainte ne constitue pas un abus de procédure.

V. Ordonnance

[40] Pour tous les motifs qui précèdent, le Tribunal rejette la requête de Spearing.

 

Signée par

Jennifer A. Orange

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 23 novembre 2022

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2682/5821

Intitulé de la cause : Melissa Paton c. Spearing Service L.P.

Date de la décision sur requête du tribunal : le 23 novembre 2022

Requête traitée par écrit sans comparution des parties

Observations écrites :

Andrea C. Johnson , pour la plaignante

Ikram F. Warsame, pour la Commission canadienne des droits de la personne

David R. Foster , pour l'intimée



[1] Exposé des précisions de la plaignante, par. 3-17.

[2] Arbitrage en vertu de la section XIV de la partie III du Code canadien du travail, plainte pour congédiement injuste, Mme Melissa R. Paton contre Spearing Service L.P. Sask., le 4 mars 2018.

[3] Mémoire du droit et des arguments de la plaignante, Melissa Paton, par. 35-36, citant la décision Tweten c. RTL Robinson Enterprises Ltd, 2004 TCDP 8.

[4] Observations écrites de la Commission canadienne des droits de la personne, par. 25 à 27.

[5] Observations écrites de la Commission canadienne des droits de la personne, par. 26.

[6] Mémoire du droit et des arguments de la plaignante, Melissa Paton, par. 35, citant la décision de la Commission du 26 février 2020, onglet 10, recueil des textes à l’appui de la plaignante.

[7] Décision de la Commission, 26 février 2020, onglet 10, recueil des textes à l’appui de la plaignante.

[8] Réponse de Spearing, par. 16.

[9] Karas c. Société canadienne du sang et Santé Canada, 2021 TCDP 2, par. 14; LCDP, art. 49 et 50; réponse de Spearing, par. 16.

[10] Karas, par. 20.

[11] Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44 [Danyluk].

[12] Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola 2011 CSC 52, par. 27.

[13] Jamison Todd c. La Ville d’Ottawa, 2017 TCDP 23 [Todd], par. 27.

[14] Figliola, par. 37.

[15] Danyluk, par. 25.

[16] Avis de requête de Spearing, par. 32.

[17] Mémoire du en droit et des arguments de la plaignante, Melissa Paton, par. 40.

[18] Observations écrites de la Commission canadienne des droits de la personne (en réponse à la requête de l’intimée visant à faire rejeter la plainte au motif qu’il y a chose jugée en raison de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de l’abus de procédure, ou les deux), par. 19.

[19] Réponse de Spearing, par. 4.

[20] Avis de requête de Spearing, par. 5.

[21] Avis de requête de Spearing, par. 48, faisant référence à la décision du Conseil canadien des relations industrielles (CCRI), p. 15-17.

[22] Mémoire du droit et des arguments de la plaignante, Melissa Paton, par. 40; observations écrites de la Commission canadienne des droits de la personne, par. 17.

[23] Décision arbitrale, p. 17.

[24] Décision arbitrale, p. 17.

[25] Décision arbitrale, p. 17.

[26] Décision arbitrale, p. 19.

[27] Décision arbitrale, p. 19.

[28] Décision arbitrale, p. 19.

[29] Avis de requête de Spearing, par. 32.

[30] Figliola, par. 37.

[31] Décision arbitrale, p. 9.

[32] Todd, par. 76.

[33] Avis de requête de Spearing, par. 66.

[34] Todd; Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2019 TCDP 49, par. 111-112 et 133-137.

[35] Figliola, par. 33; Todd, par. 68.

[36] Danyluk, par. 1; Penner, par. 30.

 

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