Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 29

Date : le 9 septembre 2022

Numéro du dossier : T2517/7420

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Giuseppe Clemente

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Air Canada

l’intimée

Décision sur requête

Membre : Marie Langlois

 



I. Requête en divulgation

[1] Il s’agit d’une décision portant sur la requête en divulgation de documents présentée par M. Giuseppe Clemente (le « plaignant ») le 11 juillet 2022.

[2] Par sa requête, le plaignant demande au Tribunal d’ordonner à Air Canada (l’« intimée ») de divulguer ce qui suit :

  1. une liste des divers documents, visés ou non par la revendication d’un privilège de non-divulgation;

  2. les courriels et documents échangés entre avril 2016 et décembre 2016, notamment ceux mentionnés dans les notes de gestion d’Air Canada;

  3. les noms et les titres de poste des employés d’Air Canada désignés dans les notes de gestion d’Air Canada par les initiales DM, EP, JM, MH, GI, RM et CM.

[3] La Commission canadienne des droits de la personne a informé le Tribunal qu’elle convenait que les parties devaient déposer leur liste de documents conformément aux Règles de procédure. Toutefois, elle ne se prononce pas sur les deux autres questions soulevées dans la requête du plaignant.

II. Cadre juridique

[4] Aux termes du paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6 (la « LCDP »), le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») doit donner aux parties la possibilité pleine et entière de faire valoir leurs arguments.

[5] Le 11 juillet 2021, les Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne (2021-06-03, Gazette du Canada partie II, vol. 155, no 13) (les « nouvelles règles) sont entrées en vigueur et elles s’appliquent à toutes les nouvelles procédures engagées sous le régime de la LCDP.

[6] Selon le paragraphe 2(1) de ce texte réglementaire, les affaires renvoyées devant le Tribunal avant la date d’entrée en vigueur des nouvelles règles, soit le 11 juillet 2021, ne sont pas visées par celles-ci. Toutefois, l’article 2 précise que les nouvelles règles s’appliqueront si toutes les parties y consentent.

[7] Comme le Tribunal a été saisi de l’affaire avant le 11 juillet 2021, le greffe a envoyé une lettre aux parties le 29 juillet 2021. Dans cette lettre, il était demandé aux parties si elles voulaient, ou non, adhérer aux nouvelles règles. Seule la Commission a fait savoir au Tribunal qu’elle souhaitait voir appliquer les nouvelles règles. Vu que les autres parties n’y ont pas consenti, ce sont les anciennes règles, c’est-à-dire les Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne ((03-05-04) (les « Règles de procédure »), qui s’appliquent en l’espèce.

[8] Aux termes des alinéas 6(1)d) et 6(1)e) des Règles de procédure, chaque partie doit notamment signifier et déposer une liste des divers documents qu’elle a en sa possession — qu’un privilège de non-divulgation soit invoqué à leur égard ou non —, et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de l’article 6.

[9] Une copie des documents mentionnés dans la liste doit également être fournie aux autres parties, à l’exception des documents pour lesquels un privilège de non-divulgation est invoqué, conformément au paragraphe 6(4) des Règles de procédure.

[10] Selon la jurisprudence, si le document en cause est potentiellement pertinent, il doit être divulgué. La norme de la « pertinence potentielle » n’est pas une norme particulièrement élevée à satisfaire pour la partie requérante : « s’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés […], les renseignements devraient être divulgués » (Brickner c. Gendarmerie royale du Canada, 2017 TCDP 28, au par. 6 [Brickner]). Toutefois, la demande de divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une « partie de pêche » (Guay c. Canada (Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 34, au par. 42). Les documents demandés devraient être décrits de manière suffisamment précise (Brickner, au par. 7) et doivent être des documents qui sont en la possession de la partie, auxquels elle a accès et dont elle a le contrôle (Clegg c. Air Canada, 2019 TCDP 3, aux par. 84 à 88). Par conséquent, le Tribunal ne peut ordonner à une partie de générer ou de créer des documents aux fins de la communication (Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42, au par. 17).

III. Analyse et décision

[11] Le Tribunal accueille en partie la requête du plaignant pour les motifs suivants.

A. Liste des divers documents visés ou non par la revendication d’un privilège de non-divulgation

[12] Le plaignant demande au Tribunal d’ordonner à l’intimée de fournir une liste des divers documents, qu’un privilège de non-divulgation soit invoqué à leur égard ou non.

[13] L’intimée soutient qu’il serait plus efficace de fournir les documents eux-mêmes que de simplement en fournir une liste et que cette démarche exigerait beaucoup de temps.

[14] Le 20 octobre 2021, l’intimée a fourni au plaignant une série de documents totalisant 114 pages et, le 18 mai 2022, elle a joint 237 autres pages à son exposé des précisions. Elle n’a jamais remis de liste.

[15] Le Tribunal est d’avis que la liste des documents doit être remise aux parties et au Tribunal, comme le prévoient les alinéas 6(1)d) et 6(1)e) des Règles de procédure.

[16] En principe, les Règles de procédure doivent être interprétées et appliquées de manière à assurer l’instruction informelle et expéditive de l’affaire, conformément au paragraphe 1(1). Elles ont pour objet d’aider les parties à régler les plaintes pour atteinte aux droits de la personne de manière rapide, efficace et équitable.

[17] Obliger une partie à fournir une liste des documents pertinents permet aux autres parties et au Tribunal d’avoir un aperçu de ce que contiennent les documents et aide les autres parties à savoir s’il manque des documents ou s’il y a des doublons.

[18] En l’espèce, l’intimée a remis plus de 350 documents au plaignant en deux fois. Il est donc important que les parties fournissent la liste, car elle permet d’avoir une idée claire de ce qui a été produit.

[19] En ce qui concerne les documents visés par un privilège de non-divulgation, les Règles de procédure prévoient que les documents eux-mêmes n’ont pas à être présentés, bien évidemment dans le but de préserver leur confidentialité. Il est donc d’autant plus important de fournir une liste et de préciser le fondement du privilège revendiqué afin de permettre aux autres parties d’obtenir l’information voulue et, si nécessaire, de contester le privilège. Sans cette liste, qui indique également le fondement du privilège, le droit des parties de défendre leur cause et de présenter leurs arguments pourrait être violé.

[20] Par conséquent, le Tribunal ordonne à l’intimée de signifier et de déposer auprès des parties et du Tribunal :

  • une liste des divers documents qu’elle a en sa possession et qui sont pertinents à un fait mentionné dans la plainte ou à une question qui y est soulevée, conformément à l’alinéa 6(1)d) des Règles de procédure;

  • une liste des divers documents pour lesquels un privilège de non-divulgation est invoqué, et le fondement de ce privilège, conformément à l’alinéa 6(1)e) des Règles de procédure.

B. Courriels et documents échangés entre avril 2016 et décembre 2016, notamment ceux mentionnés dans les notes de gestion d’Air Canada

[21] L’intimée a divulgué au plaignant et à la Commission une dizaine de pages d’extraits des notes de gestion d’Air Canada portant sur le plaignant pour la période du 30 août 2006 au 28 août 2017. L’intimée leur a également transmis des courriels et des documents qui font état de certains renseignements figurant dans les notes de gestion d’Air Canada. Le plaignant a fait remarquer que l’intimée n’avait fourni aucun courriel ou document pour la période d’avril 2016 à décembre 2016. D’après sa requête, c’est pendant cette période qu’il aurait progressivement repris le travail dans la salle des radios et dans la salle de repos.

[22] Le 4 août 2021, le Tribunal a accueilli la requête du plaignant sur la portée de la plainte et a conclu que la plainte visait le processus d’appel d’offres lié à la salle des radios, la question de savoir si le poste à la salle des radios était un poste excédentaire et l’incident impliquant Bonnie Hanson.

[23] Dans sa réponse à la requête proprement dite, l’intimée soutient qu’à sa connaissance, tous les documents en sa possession ou sous son contrôle, qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties, ont été communiqués au plaignant et à la Commission. Toutefois, l’intimée a de nouveau sondé ses gestionnaires au courant de l’affaire et a demandé au service informatique d’Air Canada de l’aider à trouver des documents. Ce faisant, elle a trouvé 13 autres documents, qui ont été communiqués au plaignant et à la Commission. Si d’autres documents sont repérés, l’intimée s’engage à les divulguer rapidement.

[24] Le Tribunal fait observer que l’intimée ne conteste pas la pertinence potentielle de ces documents, qu’elle en a fourni certains et qu’elle est prête à en fournir d’autres rapidement advenant qu’ils soient découverts.

[25] Par conséquent, le Tribunal n’a pas besoin de rendre une ordonnance, et il prend acte de l’engagement de l’intimée.

C. Noms et titres de poste des employés d’Air Canada désignés dans les notes de gestion d’Air Canada par les initiales DM, EP, JM, MH, GI, RM et CM

[26] Dans ses observations, le plaignant mentionne que, dans les notes de gestion d’Air Canada visant la période comprise entre juillet 2016 et le 28 octobre 2016, certaines personnes ne sont désignées que par leurs initiales. Dans ces notes sont rapportées des discussions et des décisions concernant le départ à la retraite du plaignant et la cessation de son emploi. Le plaignant ne sait pas qui sont ces personnes ni quel est le titre de leur poste. Ces initiales ne concordent pas avec la liste de témoins fournie par l’intimée. Il demande donc la divulgation du nom et du titre de ces personnes.

[27] L’intimée soutient que rien dans les Règles de procédure ne l’oblige à expliquer le contenu des documents fournis et qu’une telle démarche n’y est pas non plus prévue. Elle ajoute que le Tribunal ne dispose d’aucune procédure d’enquête préalable qui permettrait au plaignant de demander des explications sur les documents de la manière indiquée dans sa requête.

[28] Le Tribunal fait observer que les Règles de procédure prévoient la divulgation et la production de documents. Comme il est indiqué dans la décision Nur c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2019 TCDP 5, aux paragraphes 221 et suivants [Nur], les pouvoirs et la compétence du Tribunal ne découlent pas des Règles de procédure, mais de la LCDP.

[29] La LCDP prévoit, à l’alinéa 48.9(2)e), que le président du Tribunal peut établir des règles de procédure régissant notamment les enquêtes préalables. À ce jour, le président du Tribunal n’a pas établi de règles précises en la matière. Ainsi qu’il est mentionné dans la décision Nur, « [n]éanmoins, cela ne veut pas dire qu’il ne peut pas exercer ses pouvoirs et sa discrétion à ce sujet ». En fait, le législateur a accordé au Tribunal un large pouvoir discrétionnaire pour créer des règles de pratique (voir Desormeaux c. Commission de transport régionale d’Ottawa-Carleton, 2002 CanLII 52584) qui ne se limitent pas à la liste figurant au paragraphe 48.9(2) de la LCDP.

[30] Les Règles de procédure doivent être interprétées et appliquées de façon à permettre de trancher la plainte sur le fond de façon équitable, informelle et rapide (au par. 1(1)). Conformément au paragraphe 1(2) des Règles de procédure, une formation du Tribunal peut notamment déroger aux règles si cela permet d’atteindre l’objectif énoncé au paragraphe 1(2). Par conséquent, les règles ne sont ni exhaustives ni limitatives.

[31] À ce titre, le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire de statuer sur une question de procédure.

[32] Le paragraphe 48.9(1) de la LCDP prévoit que l’instruction des plaintes se fait sans formalisme et de façon expéditive, dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique.

[33] À la lumière de ces principes, le Tribunal est d’avis que le plaignant devrait être en mesure d’identifier les personnes concernées autrement que par leurs initiales. Selon les notes de gestion d’Air Canada pour la période d’avril à octobre 2016, ces personnes ont participé aux discussions et aux décisions concernant la retraite ou la cessation d’emploi du plaignant. Les allégations de retraite ou de cessation d’emploi forcée sont au cœur de la plainte. Les personnes qui ont pris part aux discussions et aux décisions devraient être identifiées afin de permettre au plaignant de contester le contenu des notes de gestion d’Air Canada ou de décider s’il veut faire témoigner ces personnes, entres autres fins destinées à faire valoir ses arguments. Autrement, le plaignant pourrait être privé de son droit de défendre sa cause et de présenter ses arguments en vertu du paragraphe 50(1) de la LCDP.

[34] Le plaignant demande donc que sept personnes — DM, EP, JM, MH, GI, RM et CM — soient identifiées avec leur nom et leur titre de poste. L’intimée n’a pas présenté de preuve ou d’argument en ce qui concerne le temps nécessaire pour identifier les personnes ou la difficulté de cette tâche. Faute de preuve ou d’argument pour justifier le contraire, le Tribunal juge que la démarche et le temps nécessaires pour identifier les personnes citées dans le système de gestion administrative de l’intimée ne sont pas déraisonnables. La recherche requise serait probablement succincte.

[35] Par conséquent, le Tribunal ordonne à l’intimée d’identifier les noms et les titres de poste des personnes — DM, EP, JM, MH, GI, RM et CM — mentionnées dans les notes de gestion d’Air Canada qui ont été précédemment divulguées.

IV. Ordonnances

Pour les motifs ci-dessus, le Tribunal accueille en partie la requête du plaignant et, par la présente :

ORDONNE à l’intimée de signifier et de déposer auprès des parties et du Tribunal, dans les 30 jours suivant la date de notification de la présente décision :

  • une liste des divers documents qu’elle a en sa possession et qui sont pertinents à un fait mentionné dans la plainte ou à une question qui y est soulevée, conformément à l’alinéa 6(1)d) des Règles de procédure;

  • une liste des divers documents pour lesquels un privilège de non-divulgation est invoqué et le fondement de ce privilège, conformément à l’alinéa 6(1)e) des Règles de procédure.

PREND ACTE du fait que l’intimée fournira rapidement d’autres documents potentiellement pertinents, y compris des courriels ou des documents pour la période d’avril 2016 à décembre 2016, advenant qu’elle en trouve;

ORDONNE à l’intimée de signifier et de déposer auprès des parties, dans les 30 jours suivant la date de notification de la présente décision :

  • les noms et les titres de poste de DM, EP, JM, MH, GI, RM et CM, les personnes citées dans les notes de gestion d’Air Canada précédemment divulguées.

Signée par

Marie Langlois

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 9 septembre 2022

 


Tribunal canadien
des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T2517/7420

Intitulé de la cause : Giuseppe Clemente c. Air Canada

Date de la décision sur requête du Tribunal : Le 9 septembre 2022

Requête traitée par écrit, sans comparution des parties

Observations écrites :

Matthew Langer, pour le plaignant

Aby Diagne, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Jackie Vandermeulen, pour l’intimée

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