Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 28

Date : le 12 septembre 2022

Numéros des dossiers : HR-DP-2794-22 et HR-DP-2795-22

 

Entre :

Mohammed Choudhary

le plaignant

- et -

Greg Scott

l’intimé

- et -

Nation Kinistin Saulteaux

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I. Contexte de la demande

[1] Il s’agit d’une décision du Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») tranchant une demande déposée par la Nation Kinistin Saulteaux (la « Nation » ou l’« intimée ») visant à suspendre la procédure du Tribunal jusqu’à ce que la Cour fédérale du Canada (la « Cour fédérale ») décide de sa demande en révision judiciaire.

[2] Dans sa révision judiciaire, la Nation demande (1) la révision de décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») de renvoyer la plainte devant le Tribunal pour son instruction et (2), la révision de la décision de la Commission de demander au Tribunal une instruction commune des plaintes visant la Nation et celle d’une autre partie intimée, M. Greg Scott (« M. Scott » ou l’« intimé »).

[3] La Nation a déposé sa demande le 29 avril 2022 sans fournir de représentations extensives à son soutien. Le 13 mai 2022, le Tribunal a demandé aux parties de fournir des représentations au sujet de cette demande, ce que la Nation a fait le 2 juin 2022 et M. Choudhary, le 14 juin 2022. La Nation a déposé une courte réplique le 13 juillet 2022.

[4] M. Greg Scott a reçu signification des représentations des parties comme il appert des preuves de signification fournies par la Nation et M. Choudhary, mais n’a pas participé à la présente requête et n’a soumis aucune observation. M. Scott n’a pas non plus communiqué avec le Tribunal d’aucune manière, bien qu’il ait été invité à le faire. Le Tribunal n’a pas non plus été en mesure de communiquer avec M. Scott depuis le renvoi de la plainte, malgré ses différentes tentatives à cet effet.

[5] Le Tribunal est satisfait que M. Scott a bien reçu signification de la présente requête, qu’il a alors eu l’occasion de présenter pleinement et entièrement ses observations (paragraphe 50(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (« LCDP »)) et qu’il s’est abstenu de le faire. En l’absence d’une réponse de sa part, le Tribunal rend sa décision.

II. Décision

[6] Pour les motifs qui suivent, le Tribunal accorde la demande de la Nation et suspend la procédure le temps que la Cour fédérale tranche la demande en révision judiciaire portant le numéro de dossier T-517-22 et énonce d’autres ordonnances dans la section VII intitulée « Ordonnances ».

III. Question en litige

[7] Le Tribunal doit décider s’il est dans l’intérêt de la justice de suspendre sa procédure le temps que la Cour fédérale tranche la révision judiciaire déposée par la Nation.

IV. Remarque préliminaire – Retard dans le dépôt de la réplique de la Nation

[8] Dans une correspondance au Tribunal datée du 2 août 2022, le plaignant s’est plaint du dépôt tardif de la réplique de la Nation qui devait être déposée le 24 juin 2022 alors qu’elle l’a été le 13 juillet 2022. Par conséquent, il demande que le Tribunal ne tienne pas compte de la réplique tardive de la Nation.

[9] Dans un premier temps, le Tribunal doit mentionner que dans sa directive du 27 mai 2022, le délai de la Nation afin de déposer sa réplique a été prolongé au 4 juillet 2022 ; le 24 juin 2022 était le premier délai prévu dans la première directive du Tribunal du 13 mai 2022.

[10] Cela étant dit, la Nation allègue, au soutien de sa réplique, qu’elle s’attendait peut-être à ce que le Tribunal confirme l’absence de réponse de la part de M. Scott, l’autre partie intimée impliquée dans la procédure. Le Tribunal abordera cet argument de la Nation de front.

[11] Il était clair des ordonnances du Tribunal datée du 13 et 27 mai 2022 que si M. Scott, décidait de répondre à la requête de la Nation relativement à la suspension de la procédure, il devait signifier ses représentations aux autres parties, incluant la Nation, au plus tard le 24 juin 2022. À cette date, la Nation devait donc s’attendre à recevoir une signification des représentations de M. Scott à la date ordonnée par le Tribunal. Ce dernier a décidé de ne pas participer à la requête, bien que signifié.

[12] La Nation mentionne qu’elle avait anticipé une confirmation de non-réception des représentations de M. Scott de la part du Tribunal. D’une part, l’obligation de signification de la requête et des représentations appartenait aux parties elles-mêmes et non pas au Tribunal. D’autre part, aucune confirmation de non-réception des représentations d’une partie n’était requise de la part du Tribunal ou de son greffe.

[13] La Nation n’a rien reçu de la part de M. Scott le 24 juin 2022. Elle pouvait donc commencer à préparer sa réplique, sachant que ce dernier ne lui avait rien signifié. Si la Nation avait des doutes à ce sujet, elle avait l’occasion de s’enquérir de la situation entre le 24 juin et le 4 juillet 2022 auprès du greffe, ce qu’elle n’a pas fait. La Nation aurait donc dû s’en tenir à l’ordonnance du Tribunal et déposer sa réplique dans les délais prescrits, c’est-à-dire au plus tard le 4 juillet 2022.

[14] Cela étant précisé, il est vrai que les délais ordonnés par le Tribunal sont péremptoires et que la non-conformité d’une ordonnance, par exemple l’imposition de délais afin de déposer des représentations, peut entrainer des conséquences (voir Règle 9 des Règles de pratique du Tribunal canadien des droits de la personne, DORS/2021-137 (« les Règles »)). Néanmoins, la LCDP commande que les procédures du Tribunal soient traitées de la manière la plus expéditive et informelle que possible (paragraphe 48.9(1) de la LCDP). Ce principe est également repris à la règle 5 des Règles du Tribunal.

[15] Dans le cas actuel, le Tribunal estime que d’admettre la réplique de la Nation, quoique tardive, ne porte pas préjudice ni à M. Choudhary ni à aucune autre partie dans la procédure. Le Tribunal constate que la réplique de la Nation reprend essentiellement les mêmes informations fournies dans sa demande principale et ne contient donc pas d’éléments ayant un impact décisif et déterminant sur la décision du Tribunal au regard des circonstances.

[16] En l’absence de cette réplique, le Tribunal parviendrait à la même conclusion soit celle d’accorder la demande en suspension de procédure pour des motifs se retrouvant aussi dans la demande principale de la Nation.

[17] Enfin, M. Choudhary a soulevé avoir eu des discussions avec le greffe de la Cour fédérale quant à sa participation à la procédure de révision judiciaire enclenchée par la Nation. À ce stade-ci, l’honorable Kathleen Ring, protonotaire de la Cour fédérale, a décidé que le dossier déposé par la Nation devant la Cour fédérale soit fixé pour audition, tel qu’il appert du plumitif du dossier devant cette cour.

[18] Bien que le Tribunal soit sensible aux représentations de M. Choudhary relativement à son implication dans le dossier de la Cour fédérale, qu’il y ait participation ou non de sa part dans le dossier de la Cour fédérale n’est pas non plus un élément déterminant dans les circonstances. Ce qui importe ici est plutôt l’impact potentiel de la décision de la Cour fédérale elle-même sur les procédures du Tribunal, justifiant alors la suspension de sa procédure. Cet élément sera abordé dans les motifs du Tribunal se retrouvant plus loin dans la présente décision.

V. Cadre juridique applicable

[19] Il est incontesté que le Tribunal a le pouvoir de suspendre sa propre procédure (Laurent Duverger c. 2553-4330 Québec inc. (Aéropro), 2018 TCDP 5 (CanLII) [Duverger], au par. 33). En se fondant largement sur l’analyse de notre Tribunal dans l’affaire Duverger, mon collègue membre Lustig a récemment résumé dans Williams c. Banque de NouvelleÉcosse, 2021 TCDP 24 (CanLII) [Williams] les principes directeurs en matière de suspension des procédures. Il a écrit aux paragraphes 31 à 38 de sa décision ce qui suit :

[31] Dans l’exercice de sa compétence, le Tribunal a l’obligation générale d’agir sans formalisme et de façon expéditive, conformément aux principes de justice naturelle et d’équité procédurale et au régime de la LCDP (paragraphes 48.9(1) de la LCDP et 1(1) des Règles).

[32] Il est également entendu que le Tribunal n’a pas compétence pour réviser la décision de renvoi de la Commission. Les mandats de la Commission et du Tribunal sont différents. La Commission décide s’il y a lieu de renvoyer la plainte au Tribunal pour instruction et détermine la portée du renvoi. Une fois le renvoi effectué, le Tribunal tranche la plainte sur le fond (voir Banda c. Service correctionnel du Canada, 2021 TCDP 19, aux paragraphes 20 à 22).

[33] Toutefois, le Tribunal, dans le cadre de son instruction de la plainte, peut être appelé à évaluer des éléments de preuve qui ont été examinés par la Commission lors de son enquête et à trancher les questions qui en découlent, compte tenu de la portée de l’affaire dont il a été saisi.

Suspension de l’instruction – Critère applicable

[34] La suspension de l’instruction ne devrait être accordée que dans des circonstances exceptionnelles (Bailie et al. c. Air Canada et Association des pilotes d’Air Canada, 2012 TCDP 6, au paragraphe 22; Hughes c. Transports Canada, 2020 TCDP 21, au paragraphe 20 [Hughes], citant L’Association canadienne des Sociétés Elizabeth Fry et Acoby c. Service correctionnel du Canada, 2019 TCDP 30, au paragraphe 14).

[35] La décision sur requête rendue par le Tribunal dans l’affaire Duverger est la décision la plus complète faisant autorité sur la question de savoir si le Tribunal devrait suspendre son instruction en attendant l’issue d’un contrôle judiciaire. De fait, toutes les parties à la présente affaire se sont appuyées sur cette décision.

[36] Dans la décision Duverger, le Tribunal a rejeté une requête en suspension de l’instruction en attendant l’issue d’un contrôle judiciaire. Pour ce faire, il a adopté le critère de l’intérêt de la justice utilisé dans le contexte des demandes d’ajournement et l’a élargi :

[58] À mon avis, l’intérêt de la justice permet un examen plus large des considérations relatives à une demande en suspension incluant les principes de justice naturelle, d’équité procédurale et de célérité qui sont notamment prévus au paragraphe 48.9(1) de la Loi. De plus, comme énoncé par la Cour d’appel fédérale au paragraphe 26 de l’arrêt Clayton, le Tribunal pourrait aussi prendre en considération certains facteurs élaborés dans l’arrêt RJRMacDonald (existence dune question sérieuse de fait ou de droit à juger, préjudice irréparable, prépondérance des inconvénients).

[59] Or, il va sans dire que l’intérêt de la justice inclut les intérêts de toutes les parties. Elle inclut aussi les intérêts du public. Rappelons que les plaintes déposées devant le Tribunal concernent des individus qui estiment que leurs droits de la personne ont été violés. Ces allégations sont sérieuses et exigent d’agir avec célérité. Chaque fois que des allégations de discrimination enfreignant la LCDP sont invoquées, l’intérêt du public est forcément impliqué (voir Federation of Women Teachers’ Associations of Ontario v. Ontario (Human Rights Commission) (Ont. Div. Ct.), 1988 CanLII 4794 (ON SC)). Sans contredit, les intérêts du public commandent, entre autres, que les plaintes en matière de discrimination soient traitées de manière expéditive (voir Bell Canada v. Communication, Energy and Paperworkers Union of Canada (1997), 127 FTR 44, 1997 CanLII 4851 (FC), [Bell Canada], voir également le paragraphe 48.9(1) LCDP).

(Duverger, aux paragraphes 58 et 59)

[Souligné dans l’original.]

[37] Pour répondre à la question visant à déterminer si l’intérêt de la justice milite en faveur de la suspension de l’instance, le tribunal doit tenir compte du régime législatif, qui prévoit la mise en équilibre des principes de justice naturelle et de célérité énoncés au paragraphe 48.9(1) de la LCDP.

[38] De plus, le Tribunal a récemment déclaré ce qui suit :

L’approche de « l’intérêt de la justice » [...] repose sur une « évaluation […] raisonnable et souple des facteurs applicables aux demandes d’arrêt des procédures, notamment les principes de justice naturelle et d’équité procédurale, la notion de préjudice irréparable, la prépondérance des inconvénients entre les parties et l’intérêt du public à ce que les plaintes en matière de droits de la personne soient instruites rapidement ». Les facteurs et les intérêts que le Tribunal doit prendre en considération peuvent varier en fonction des circonstances de chaque affaire.

(Hugues, au paragraphe 21.)

[20] Les parties n’ont présenté aucun argument permettant au Tribunal de s’éloigner de l’application de cette analyse. C’est alors en gardant ces principes à l’esprit que le Tribunal rend sa décision.

VI. Position des parties et analyse

[21] Le Tribunal a pris connaissance des observations de la Nation et de M. Choudhary et concentrera son analyse sur les arguments nécessaires, essentiels et pertinents afin de trancher la requête de manière concise et efficace (Turner c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 159 (CanLII), au par. 40; Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 3 (CanLII), au par. 54; Karas c. Société canadienne du sang et Santé Canada, 2021 TCDP 2, au par. 32).

A. Équité procédurale, justice naturelle et décisions de la Commission

[22] Le 9 février 2022, la Commission a rendu une décision renvoyant les plaintes de M. Choudhary impliquant la Nation et M. Scott pour leur instruction par le Tribunal au titre du paragraphe 49(1) de la LCDP. Elle a, par le fait même, décidé de demander au Tribunal d’instruire la plainte contre les deux parties intimées dans une seule et même instruction au titre du paragraphe 40(4) de la LCDP.

[23] Le 9 mars 2022, la Nation a déposé une demande en révision judiciaire de la décision de la Commission. Elle conteste deux composantes de cette décision : (1) le renvoi de sa plainte au Tribunal et (2), la demande d’instruction commune des deux plaintes. Le 19 avril 2022, la Nation a demandé au Tribunal de suspendre sa procédure le temps que la Cour fédérale rende sa décision sur sa demande en révision judiciaire.

[24] L’un des arguments principaux de la Nation est que la décision de la Commission ne respecte pas le principe d’équité procédurale. Elle argue que M. Choudhary a déposé deux plaintes, l’une contre elle et l’autre contre M. Scott, qui était l’un de ses anciens employés. Durant son enquête, la Nation affirme que la Commission n’a pas été en mesure de contacter M. Scott, malgré plusieurs tentatives à cet effet. Elle allègue donc que la Commission a rendu une décision basée seulement sur les informations reçues de M. Choudhary et d’autres individus, mais pas de M. Scott, en raison de son absence dans le processus d’enquête.

[25] La Nation ajoute que le Tribunal, lui aussi, a tenté de contacter cet individu à plusieurs reprises, mais en vain. Elle estime que le Tribunal a aussi agi inéquitablement en décidant unilatéralement d’assigner un numéro de dossier impliquant M. Scott et en demandant aux parties (la Nation et M. Choudhary) de lui signifier leurs représentations quant à la présente demande en suspension de procédure.

[26] À cet égard, cet argument sera abordé de front puisque la Nation fait une interprétation erronée de la situation et il est clair pour le Tribunal qu’il n’y a aucune atteinte aux principes de justice naturelle et d’équité de la procédure dans sa procédure.

[27] D’abord, la Commission a non seulement décidé de renvoyer les plaintes de M. Choudhary impliquant la Nation et M. Scott pour leur instruction devant le Tribunal, mais elle a aussi formellement demandé leur instruction commune. À juste titre, la Nation a attiré l’attention du Tribunal à la décision Gullason et Attaran c. Secrétariat des programmes interorganismes à l’intention des établissements, 2018 TCDP 21 (CanLII) [Gullason]. Sans entrer dans tous les détails de cette décision, ma collègue membre Harrington a déjà conclu qu’une fois la décision de la Commission rendue au titre des paragraphes 40(4) et 49(1) et (2) de la LCDP – concernant son pouvoir de renvoyer conjointement (ou de manière commune) des plaintes – le Tribunal doit se conformer à cette demande.

[28] Il suffit de reproduire sa conclusion faite au paragraphe 38 de la décision Gullason où elle écrivait :

[38] À mon avis, lorsque lu conjointement avec les paragraphes 49(1) et 49(2), le paragraphe 40(4) de la Loi donne effectivement des directives législatives claires au président du Tribunal. Lorsque la Commission demande au président du Tribunal d’ordonner une instruction commune en vertu du paragraphe 40(4) de la Loi, le Tribunal doit se conformer à cette demande.

[Emphase non présente dans l’original]

[29] Contrairement à ce que plaide la Nation, il n’y a eu aucune atteinte à l’équité procédurale lorsque le Tribunal a assigné un numéro de dossier à la plainte de M. Scott. Au contraire, le Tribunal devait assigner un numéro de dossier à la plainte impliquant l’intimé suivant la décision de la Commission. Le Tribunal est lié par cette décision et doit procéder à l’instruction des deux plaintes lors d’une seule et même instruction ce qui inclut alors trois parties : M. Choudhary, la Nation, et aussi M. Scott.

[30] De plus, le Tribunal rappelle qu’il n’a pas pour rôle de réviser les décisions de la Commission (Williams, au par. 32; Oleson c. Première Nation de Wagmatcook, 2019 TCDP 35 (CanLII) [Oleson], au par. 34; Canada (Commission des droits de la personne) c. Warman, 2012 CF 1162 (CanLII) [Warman], au par. 56; Leonard c. Canadian American Transportation Inc. et Penner International Inc., 2022 TCDP 20, aux par. 61 et 62). Ainsi, dès le renvoi par la Commission, l’instruction des plaintes doit suivre son cours. Toutes les parties au dossier ont le droit de présenter une défense pleine et entière comme le prévoit le paragraphe 50(1) de la LCDP et M. Scott détient tout autant ce droit en tant que partie intimée.

[31] Maintenant, la Nation est en droit de plaider devant la Cour fédérale que la Commission a commis une erreur dans l’interprétation de ses pouvoirs. Le cas échéant, ce sera à cette cour de trancher cette question lors de la révision judiciaire, si elle décide de le faire. Il n’est pas du ressort du Tribunal de trancher cette question.

[32] Cela étant dit, et comme l’affirme la Nation, le Tribunal conçoit que la question sur la jonction de plaintes au stade de la Commission est importante et pourrait constituer une question sérieuse au sens de l’arrêt RJR-MacDonald (voir RJR-Macdonald Inc. c. Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC) [1994] 1 RCS 311). À ce sujet, la décision de la Cour fédérale et ses orientations sur la question, si elle décide de la trancher, pourrait avoir non seulement des impacts importants sur la procédure du Tribunal dans ce dossier précisément, mais aussi sur les futures plaintes qui lui seront renvoyées par la Commission.

[33] Il faut aussi dire que la requête en suspension de procédure de la Nation et ses impacts peuvent aussi affecter les droits et les obligations de M. Scott relativement à la procédure qui le concerne. À plus forte raison, et contrairement à ce que plaide la Nation, il était procéduralement équitable que le Tribunal exige que M. Scott reçoive aussi signification de la présente requête et des représentations des parties. Il serait difficile pour le Tribunal d’en conclure autrement. Le Tribunal ajoute que la signification des représentations des parties s’est faite par courriel comme le permettent ses Règles de pratique. Il n’y a certainement eu aucun préjudice ni pour la Nation ni pour M. Choudhary à signifier leurs représentations à M. Scott afin qu’il soit informé de la situation et il lui appartient alors de décider s’il y participe ou non.

[34] La Nation ajoute également que la décision de la Commission de renvoyer les plaintes de façon commune au Tribunal, en plus d’avoir assigné un numéro de dossier à la plainte de M. Scott alors qu’il ne participe pas à la procédure, a pour conséquence de placer l’entière responsabilité de défendre les deux plaintes sur ses épaules. Le Tribunal n’est pas convaincu par cet argument.

[35] Lorsque le Tribunal mènera son instruction, la Nation aura l’occasion de déposer un exposé des précisions dans lequel elle pourra présenter sa théorie de sa cause et les éléments de preuve à son soutien. Elle aura l’occasion de présenter une défense pleine et entière comme le prévoit le paragraphe 50(1) de la LCDP. Si elle veut plaider qu’elle n’est pas responsable de la discrimination alléguée par M. Choudhary, il lui sera toujours possible de le faire.

[36] M. Choudhary, quant à lui, devra tout de même prouver selon la prépondérance des probabilités une preuve à première vue de discrimination. La Nation pourra alors présenter des éléments de preuve réfutant ses prétentions. Et si M. Choudhary est en mesure de rencontrer son fardeau, il sera du ressort de la Nation de présenter une défense au titre de l’article 15 de la LCDP, si elle désire le faire. Non seulement cela, mais elle pourra aussi tenter de renverser la présomption prévue au paragraphe 65(1) de la LCDP pour les actes qui auraient été commis, par exemple, par l’un de ses employés ou mandataires.

[37] Ce faisant, le Tribunal estime qu’il n’y a alors aucune iniquité dans les circonstances et il sera en mesure de déterminer à l’audience (1) s’il existe de la discriminatoire à première vue, si oui (2) si la Nation a été en mesure de présenter une défense au titre de l’article 15 de la LCDP et si (3), la Nation a été en mesure de renverser la présomption prévue au paragraphe 65(1) de la LCDP pour les actes commis par son employé. Et c’est à la suite de toute cette analyse que le Tribunal pourra déterminer, le cas échéant, de la responsabilité de l’auteur ou des auteurs de l’acte discriminatoire allégué et dans quelle mesure leur responsabilité respective est engagée.

[38] Enfin, la Nation plaide un autre manquement à l’équité procédurale dans le processus de la Commission. Elle soutient qu’à sa connaissance, la Commission n’a pas rendu de décision concernant la plainte impliquant M. Scott et qu’il n’existe aucune base légale pour ne pas avoir rendu une telle décision. Cet argument de l’intimée, au regard du dossier du Tribunal, est erroné.

[39] Dans un premier temps, le Tribunal rappelle qu’il acquiert sa compétence au moment où la Commission lui renvoie une plainte pour son instruction et il ne peut agir sans ce renvoi (Karas c. Société canadienne du sang et Santé Canada, 2021 TCDP 2 (CanLII) [Karas], au par. 14; Warman, au par. 55; Oleson, au par. 34); AA c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 33 (CanLII), au par. 59 ; Connors c. Forces armées canadiennes, 2019 TCDP 6 (CanLII) [Connors], au par. 28). La Commission peut, à toute étape postérieure au dépôt de la plainte, la renvoyer au Tribunal pour son instruction si les circonstances le justifient (paragraphe 49(1) de la LCDP) et ce renvoi se fait sous la forme d’une lettre qui est adressée à la présidence du Tribunal (Karas, au par. 18; Connors, aux par. 42 et 43). Comme l’a écrit le Tribunal dans Karas, au paragraphe 19 :

[19] Comme le soutient la Commission au paragraphe 26 de ses représentations, le Tribunal comprend qu’elle transmet deux lettres différentes: une lettre énonçant la décision de la Commission et qui est envoyée aux parties ainsi qu’une lettre qui est envoyée au président du Tribunal confirmant le renvoi pour instruction. C’est sur la base de cette seconde lettre que le Tribunal agit (Itty c. Agence des services frontaliers du Canada, 2013 TCDP 33, aux par. 47 et 48 [Itty]).

[Emphase non présente dans l’original]

[40] Le Tribunal a bien reçu la décision de la Commission datée du 9 février 2022. Toutefois, il a également reçu la lettre de la Commission adressée à la présidente du Tribunal, Mme Jennifer Khurana, datée du 16 février 2022 et demandant (1) une instruction des plaintes de M. Choudhary contre la Nation (20181210) et M. Scott (20181284) au titre du paragraphe 49(1) de la LCDP et (2), demandant une instruction commune de ces deux plaintes au titre du paragraphe 40(4) de la LCDP.

[41] Le Tribunal reproduit le contenu de cette lettre de la Commission :

[traduction] Chère Mme. Khurana :

Je vous écris afin de vous informer que la Commission canadienne des droits de la personne a révisé les plaintes (20181210) de Mohammed Choudhary contre la Première Nation Kinistin Saulteaux et (20181284) de Mohammed Choudhary contre Greg Scott.

La Commission a décidé, au titre du paragraphe 49(1) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de demander que vous meniez une instruction relativement aux plaintes puisque la Commission est convaincue, compte tenu de toutes les circonstances relatives aux plaintes, qu’une instruction est justifiée.

La Commission a aussi décidé, au titre du paragraphe 40(4) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, de demander que vous meniez une instruction commune des plaintes puisque la Commission est satisfaite que les allégations et les questions soulevées dans les plaintes sont essentiellement les mêmes en fait et en droit.

[…]

[Emphase non présente dans l’original]

[42] Contrairement à ce que prétend la Nation, et en se basant sur la lettre de la Commission du 16 février 2022, il ne fait aucun doute que les deux plaintes, incluant celle impliquant M. Scott, ont bel et bien été renvoyées pour une instruction commune au Tribunal à la demande de la Commission. Maintenant, si la Nation a des arguments à présenter à cet effet à la Cour fédérale, elle est toujours libre de le faire.

[43] Finalement, les autres arguments de la Nation quant à l’iniquité de la décision de la Commission – incluant ses représentations sur ses politiques et procédures d’appel interne – doivent être présentés à la Cour fédérale puisque le Tribunal ne peut réviser les décisions de la Commission (Williams, au par. 32; Oleson, au par. 34; Warman, au par. 56; Leonard c. Canadian American Transportation Inc. et Penner International Inc., 2022 TCDP 20, aux par. 61 et 62). Bien que ces points soient intéressants, le Tribunal ne considère pas qu’ils s’agissent-là de questions suffisamment sérieuses en elles-mêmes, militant en la faveur d’une suspension de procédure.

B. Célérité et abus de procédure

[44] Cela étant précisé, la Nation plaide que sa demande en suspension de la procédure jusqu’à ce que la Cour fédérale tranche la demande en révision judiciaire n’empêchera pas le Tribunal d’instruire les plaintes de manière expéditive.

[45] Elle explique par ailleurs que ni M. Choudhary, ni le Procureur général du Canada, ni la Commission n’ont déposé d’oppositions quant à sa demande en révision judiciaire. Elle estime alors que la demande procédera de manière expéditive.

[46] Dans ses représentations, M. Choudhary précise qu’il a déposé une opposition à la demande en révision judiciaire. Il dit avoir envoyé par courriel son formulaire 305 de la Cour fédérale visant à s’opposer à la demande le 18 mars 2022.

[47] La Nation affirme que le plaignant n’a pas envoyé son avis à la Cour fédérale, mais aux bureaux du département de Justice de Saskatoon. Elle ajoute que M. Choudhary n’a pas déposé d’affidavit, n’a pas demandé de contre-interroger la Nation sur son affidavit et n’a pas déposé son dossier du défendeur. En conséquence, elle croit que le plaignant ne prend pas au sérieux la procédure devant la Cour fédérale et qu’il n’a pas l’intention d’y participer. Elle ajoute avoir déposé sa demande d’audience et est en attente d’une date à cet effet.

[48] Il appert effectivement du plumitif de la Cour fédérale et de la décision du 18 juillet 2022 de l’honorable Mme Ring, protonotaire de la Cour fédérale, qu’à ce stade-ci, M. Choudhary n’a pas pris de mesures afin de participer à la procédure en révision judiciaire. Il appert également du plumitif à jour déposé par la Nation, pour donner suite à la demande du Tribunal, qu’une audience aura lieu dans un avenir rapproché.

[49] La Nation ajoute qu’il n’y aura pas d’impact sur les parties si la procédure du Tribunal était suspendue le temps que la Cour fédérale rende sa décision sur la révision judiciaire. Elle affirme que l’absence d’implication et de participation de la part de M. Choudhary dans cette procédure en dit long sur l’absence d’impact qui pourrait y avoir pour lui. Quant à l’absence de participation du Procureur général du Canada et de la Commission, encore une fois, la Nation mentionne que cela est révélateur de l’absence de conséquences pour le public.

[50] La participation ou non de M. Choudhary (ou de la Commission ou du Procureur général du Canada) n’est pas réellement déterminant dans les circonstances. Le Tribunal comprend bien qu’en l’absence d’opposition, il est possible de s’attendre à ce qu’un dossier procède de manière plus expéditive devant la Cour fédérale. Cela dit, il ne s’agit pas là de l’argument le plus convaincant dans les circonstances. Le Tribunal peut se fonder sur d’autres motifs permettant amplement de justifier une suspension temporaire de la procédure, notamment les impacts potentiels sur sa propre procédure d’une décision de la Cour fédérale sur la jonction des plaintes par la Commission.

[51] À ce sujet, la Nation estime qu’il est important que la Cour fédérale se penche sur la mauvaise interprétation qu’a faite la Commission du paragraphe 40(4) de la LCDP et de son pouvoir de joindre des plaintes impliquant des parties intimées différentes. Elle estime que le Tribunal devrait tout de même suspendre sa procédure puisque des questions de droit et des questions mixtes de faits et de droit devront nécessairement être tranchées par la Cour fédérale à ce sujet.

[52] Comme il l’a été mentionné précédemment, le Tribunal n’a aucune compétence afin de réviser la décision de la Commission. Toutefois, le Tribunal croit qu’effectivement, la question concernant la jonction de parties au stade du renvoi par la Commission et ses potentiels impacts sur le Tribunal, la Commission et tout le système de gestion des plaintes prévu à la LCDP peut être considérés comme une question suffisamment sérieuse au sens de RJR-MacDonald militant alors en la faveur d’une suspension de la procédure.

[53] Quant à M. Choudhary, il croit que tant la demande en révision judiciaire que la requête de l’intimée en suspension de la procédure sont, en fait, des tactiques visant à entraver la présente procédure. Il argue que la Nation tente de prolonger l’instruction afin de voir s’il abandonnera finalement sa plainte. M. Choudhary avance aussi que les arguments de la Nation à l’encontre des conclusions de la Commission sont simplement de faux arguments ou des arguments d’homme de paille. Selon lui, le but de la Nation est de multiplier les tentatives en ayant pour espoir que l’une d’entre elles ait du succès. Il ajoute aussi que la Nation et M. Scott l’ont lésé dans ses droits et que les plaintes qu’il a déposées à la Commission contre les deux intimés forment un tout.

[54] Ces arguments sont niés par la Nation et elle estime qu’elle était en droit de contester les décisions de la Commission à la Cour fédérale. Elle estime avoir tout autant le droit de déposer une demande de suspension de la procédure devant le Tribunal et que M. Choudhary a eu l’occasion d’y répondre. Quant à l’argument que M. Choudhary ait été lésé par les parties intimées, la Nation précise qu’il revient au Tribunal d’en décider et que cela n’a aucun lien avec la demande de suspension de procédure.

[55] Le Tribunal est sensible aux prétentions de M. Choudhary lorsqu’il affirme que ses droits ont été lésés par les parties intimées et qu’il désire que sa procédure procède le plus rapidement possible. Le Tribunal comprend tout autant son argument voulant qu’il ait l’impression que la Nation tente de prolonger ou de frustrer sa procédure.

[56] D’une part, il est clair que le Tribunal sera en mesure de déterminer de l’existence de discrimination au regard de la preuve qui sera déposée à l’audience et ce faisant, de déterminer si ses droits ont été lésés par les parties intimées. D’autre part, le Tribunal juge qu’à cette étape-ci, rien ne lui permet de conclure que la Nation tente d’abuser de la procédure. La démonstration d’un abus de procédure doit se faire par le dépôt d’éléments de preuve tangibles et prépondérants, ce que le Tribunal ne détient pas à ce stade-ci.

C. Préjudice et autres considérations

[57] La Nation allègue que si le Tribunal ne suspend pas sa procédure, elle en subira des impacts. À cet effet, elle argue qu’elle devra se défendre de la plainte non seulement contre elle, mais aussi contre celle déposée contre son ancien employé. Elle croit que cela pourrait créer un précédent négatif pour les futures affaires devant le Tribunal.

[58] Elle ajoute que le fait de ne pas corriger les mauvaises interprétations de la Commission sur des questions de droit ou des questions mixtes de faits et de droit pourrait aussi créer un précédent négatif. Enfin, elle plaide que la majorité des membres du conseil de la Nation, qui sont actuellement en fonction, n’ont aucune implication dans la plainte de M. Choudhary.

[59] M. Choudhary, de son côté, n’aborde pas ces arguments de front. Il ne plaide pas la notion de préjudice de manière directe, mais plaide plutôt la prolongation indue de la procédure, les délais additionnels occasionnés et le fait que les parties intimées ont porté atteinte à ses droits.

[60] Concernant le préjudice réel qui pourrait être occasionné aux parties et les autres considérations soulevées dans leurs représentations, le Tribunal juge que ni les arguments de la Nation ni ceux de M. Choudhary ne sont convaincants dans les circonstances. Quant au préjudice qui pourrait leur être occasionné, il n’est pas soutenu par une preuve prépondérante. À cette étape-ci, le préjudice demeure incertain, potentiel, voire hypothétique.

D. Intérêt de la justice de suspendre la procédure

[61] Considérant la position des parties et les arguments qu’elles ont présentés, le Tribunal estime qu’il est dans l’intérêt de la justice, à ce stade peu avancé de l’instruction, de suspendre la procédure le temps que la Cour fédérale se penche sur la demande en révision judiciaire portant le numéro T-517-22.

[62] D’abord, comme le Tribunal l’a mentionné précédemment, les arguments de la Nation sur les manquements à l’équité procédurale sont peu convaincants et sont peu utiles pour le Tribunal afin de trancher la requête. La Nation pourra plaider sa cause devant la Cour fédérale, qui aura la compétence afin d’entendre ses prétentions.

[63] Maintenant, le Tribunal tient à mentionner qu’il comprend les représentations et les inquiétudes de M. Choudhary. Le Tribunal est sensible au fait que le dépôt de ses plaintes remonte à septembre 2018 et qu’il est impatient que son dossier procède promptement. Toutefois, le Tribunal estime qu’il existe de raisons convaincantes pour suspendre la procédure, la plus importante étant la présence de deux parties intimées et la possibilité que son instruction soit scindée selon la décision que rendra la Cour fédérale.

[64] Sur ce point, ce n’est pas le fait que la Nation ait contesté la décision de la Commission de renvoyer les plaintes au Tribunal pour instruction qui crée des difficultés. À ce sujet, le Tribunal est peu enclin à octroyer une suspension de procédure dans ce genre de situation (voir par exemple les décisions Duverger ou Williams, précitées). C’est plutôt la potentielle décision de la Cour fédérale sur la jonction des plaintes par la Commission – si cette décision veut que cette dernière n’ait pas dû joindre les plaintes – qui pourrait avoir des impacts majeurs sur l’instruction du Tribunal, la procédure et son déroulement. Une telle décision de la Cour fédérale affectera la procédure dans ses fondements.

[65] En effet, si la procédure avance à ce stade-ci, les parties devront procéder au dépôt de leur exposé des précisions et à la divulgation des documents potentiellement pertinents au litige, à l’identification des témoins ordinaires et des témoins experts, ce qui inclut toutes les étapes à ces sujets. Si le Tribunal procède actuellement, les parties s’engageront dans toutes ces étapes en prenant en considération que la Nation et M. Scott sont les parties intimées dans la même instruction. Cela a des conséquences multiples sur la procédure.

[66] La théorie de la cause, la manière dont les éléments de preuve seront réfléchis et présentés par les parties seront affectées par la présence de deux intimées. Et si la Cour fédérale infirme la décision de joindre les plaintes, et advenant que le Tribunal débute la procédure, il faudra alors envisager de modifier ce qui a déjà été déposé au dossier du Tribunal. Autrement dit, il faudra, d’une certaine façon, revenir en arrière dans la procédure afin de corriger le tir. Procéder de la sorte aurait nécessairement pour effet de complexifier l’instruction inutilement et de la prolonger.

[67] De plus, la divulgation au préalable des documents sera nécessairement affectée. À ce sujet, les parties ont l’obligation de s’échanger entre elles tous les documents potentiellement pertinents au litige. Cette divulgation entre le plaignant, la Nation et M. Scott sera nécessairement différente si l’instruction était, le cas échéant, scindée par la Cour fédérale. Il est possible d’éviter que les parties s’échangent entre elles des documents qu’elles ne devraient pas recevoir à la base, si leur dossier procédait séparément. Tant la Nation que M. Scott devront s’échanger des documents qu’ils ne devraient peut-être pas s’échanger et ces documents contiendront nécessairement des informations qui pourraient, dans certains cas, être sensibles, voire confidentielles.

[68] Il faut nécessairement ajouter que la non-participation de M. Scott vient inévitablement augmenter les difficultés, la complexité de la procédure. Le Tribunal est clair : ce n’est ni la faute de M. Choudhary ni de la Nation si M. Scott ne participe pas à l’instruction. Néanmoins, l’absence d’une partie malheureusement crée certainement des difficultés additionnelles dans une procédure judiciaire ou quasi judiciaire comme la nôtre.

[69] Cela a forcément pour effet d’engager le Tribunal et les parties dans des étapes et procédures additionnelles qui n’auraient pas lieu si M. Scott participait à l’instruction. Nous pouvons nommer par exemple la notification à la partie absente des requêtes et procédures, des documents, des exposés des précisions, des listes des témoins ordinaires et experts, ainsi que la notification de tout autre document relatif à la procédure. Cela oblige aussi à s’assurer que la partie absente ait reçu notification de l’avis d’audience afin que le Tribunal soit satisfait qu’elle ait été dûment avisée de la tenue d’une audience l’impliquant (Règle 35 des Règles).

[70] Bref, si la Cour fédérale infirmait la décision de la Commission de joindre les deux plaintes, cela aurait nécessairement un impact significatif sur la participation de M. Choudhary et de la Nation à l’instruction. Advenant que l’instruction suive son cours, le Tribunal y voit alors plusieurs difficultés procédurales. Il juge que de suspendre la procédure le temps que la Cour tranche la question permettra d’éviter une complexification de la procédure qui est possible d’éviter.

[71] Le Tribunal ajoute que l’argument de la Nation voulant que la révision judiciaire présentement devant la Cour fédérale soulève une question sérieuse au sens de RJR-MacDonald est un autre élément militant en la faveur d’une suspension. Comme mentionné précédemment, la décision de la Cour fédérale quant au pouvoir de la Commission de joindre des plaintes impliquant deux parties intimées différentes au titre du paragraphe 40(4) de la LCDP pourrait avoir des impacts majeurs non seulement sur la présente instruction, mais aussi sur toutes les futures plaintes qui seront renvoyées par la Commission au Tribunal pour leur instruction. Ainsi, le Tribunal estime que le potentiel impact de la décision de la Cour fédérale peut constituer une question suffisamment sérieuse justifiant la suspension au sens de RJR-MacDonald.

[72] Maintenant, le Tribunal réitère que le préjudice qui pourrait être occasionné aux parties – outre le temps qui passe, le désir de M. Choudhary de voir sa procédure avancer contre les deux parties intimées de manière expéditive et que ses droits auraient été lésés – n’est ni réel ni manifeste à ce stade-ci. M. Choudhary n’a pas présenté d’éléments convaincants permettant au Tribunal de conclure que la suspension de la procédure lui serait irréparablement préjudiciable.

[73] De plus, bien que l’intérêt de la justice, qui inclut aussi l’intérêt du public, commande que les plaintes en matière des droits de la personne soient traitées de la manière la plus expéditive possible, le Tribunal n’est pas convaincu qu’il serait plus expéditif de faire avancer la procédure à ce stade-ci si la Cour fédérale décidait finalement d’infirmer la décision de la Commission de joindre les plaintes. Comme le Tribunal l'a conclu précédemment, agir de la sorte nécessiterait alors de faire marche arrière afin de corriger la situation, d’amender les procédures, de corriger la divulgation, etc., ce qu’il est dans l’intérêt de tous de prévenir.

[74] Finalement, le Tribunal rappelle que la procédure du Tribunal en est une de novo ; il s’agit d’une procédure indépendante de celle de la Commission. Ainsi, une fois le renvoi fait, le dossier recommence à zéro et l’instruction, à cette étape-ci, n’en est encore qu’à ses tout débuts. Bien que M. Choudhary estime que la Nation tente de frustrer la procédure du Tribunal, tant par le dépôt de sa demande en révision judiciaire à la Cour fédérale que par le dépôt de sa demande en suspension de la procédure, rien ne permet au Tribunal de conclure que les actions de la Nation constituent des manœuvres dilatoires, vexatoires, frustratoires ou abusives. La Nation a déposé une révision judiciaire comme la loi lui permet de le faire et a déposé une demande en suspension des procédures en bonne et due forme.

[75] Cela étant dit, le Tribunal veut apaiser les inquiétudes de M. Choudhary : il s’agit d’une suspension temporaire visant à attendre le résultat de la Cour fédérale. Une fois la décision rendue, la procédure reprendra son cours de la manière la plus expéditive que possible.

VII. Ordonnances

[76] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal ACCORDE la demande de la Nation et SUSPEND la procédure jusqu’à ce que la décision devant la Cour fédérale dans le dossier T-517-22 soit rendue et le Tribunal ORDONNE à la Nation de l’informer des motifs et de la décision de la Cour fédérale lorsque ceux-ci sont connus, sans délai. À la suite de la réception cette information, et selon les conclusions de la Cour fédérale, le Tribunal lèvera sa suspension et la procédure pourra suivre son cours, selon les conclusions de cette cour, le cas échéant.

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 12 septembre 2022


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : HR-DP-2794-22 et HR-DP-2795-22

Intitulé de la cause : Mohammed Choudhary c. Greg Scott et Kinistin Saulteaux Nation

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 12 septembre 2022

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Mohammed Choudhary, pour lui-même

Bruce Slusar, pour l'intimée Nation Kinistin Saulteaux

Aucune représentation écrite pour l'intimé Greg Scott

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