Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Résumé :

Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que la Ville d’Ottawa n’avait pas agi de façon discriminatoire contre Cheryl Bezoine.

Mme Bezoine était conductrice d’autobus pour la Ville d’Ottawa. Pendant sa période d’essai, elle a manqué de nombreux jours de travail. La Ville d’Ottawa a congédié Mme Bezoine en raison de huit absences injustifiées. Mme Bezoine a affirmé que ses problèmes de santé avaient contribué à ces absences injustifiées et que sa déficience avait donc constitué un facteur dans la décision de la congédier.

Mme Bezoine a manqué cinquante deux jours de travail entre la date de son embauche, le 23 septembre 2009, et la date de son congédiement, en juin 2010. La plupart de ces absences étaient liées à une blessure subie dans le cadre d’un emploi antérieur. Pour certaines absences, Mme Bezoine a fourni à la Ville d’Ottawa un billet médical. Ces absences étaient justifiées et ne faisaient pas partie des raisons pour lesquelles la Ville d’Ottawa a congédié Mme Bezoine.

Le Tribunal a conclu que Mme Bezoine n’avait pas démontré que ses huit absences injustifiées étaient liées à une déficience. Mme Bezoine n’a pas démontré que ses problèmes de santé l’avaient empêchée de déclarer ses absences à son employeur. Le Tribunal a aussi conclu que Mme Bezoine n’avait pas établi que ses absences injustifiées étaient liées à son accident de travail ou à ses problèmes de santé. De façon générale, le Tribunal n’a pas jugé convaincantes les explications que Mme Bezoine a données au sujet de ses huit absences injustifiées. Par conséquent, Mme Bezoine n’a pas établi que la décision de la Ville d’Ottawa de la congédier en raison de ses absences injustifiées était fondée sur une déficience.

Le Tribunal a décidé d’examiner les questions dans cette affaire même si les faits sont survenus il y a plus de dix ans. Il y avait suffisamment d’éléments de preuve pour rendre une décision juste, malgré le temps qui s’est écoulé.

Contenu de la décision

Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2022 TCDP 9

Date : le 25 mars 2022

Numéro du dossier : T1941/2113

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Cheryl Lynn Bezoine

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Ville d’Ottawa

l’intimée

Décision

Membre : Lisa Gallivan

 



I. Résumé des conclusions

[1] Je ne crois pas que le délai qui s’est écoulé dans la présente affaire ait causé un préjudice suffisant à l’une ou l’autre des parties pour justifier l’arrêt des procédures.

[2] Je conclus que, lorsque l’intimée a congédié la plaignante le 22 juin 2010 en raison de son défaut d’assurer une présence régulière et fiable au travail, elle avait le droit d’agir ainsi en tant qu’employeur et n’a pas fait preuve de discrimination.

[3] Je conclus que, même si la plaignante avait manifestement des problèmes de santé pendant son emploi, la preuve est insuffisante en l’espèce pour établir qu’elle était atteinte d’une déficience au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la « LCDP ») au moment de la cessation de son emploi. De plus, rien n’indique qu’une affection médicale l’empêchait d’aviser son employeur de son incapacité de se présenter au travail.

[4] La décision de mettre fin à la relation d’emploi était fondée sur le fait que la plaignante n’avait pas assuré une présence régulière et fiable au travail. Elle a eu huit (8) absences volontaires pendant sa période d’essai. Elle a également manqué à son obligation de respecter la procédure établie pour aviser l’intimée de son incapacité de se présenter au travail, une obligation dont elle était bien consciente, comme son comportement en fait foi. La plaignante savait ce qu’elle devait faire si elle ne pouvait pas se rendre au travail et comprenait les conséquences d’un manquement à cette obligation.

[5] Une présence régulière et fiable au travail constitue un élément essentiel de la relation de travail, surtout lorsque l’employé occupe un poste où son défaut d’aviser son employeur de son incapacité de se présenter à un quart de travail prévu risque de compromettre le service au public et d’entraîner l’annulation de certains itinéraires d’autobus.

[6] De plus, il ressort clairement de la preuve que la plaignante n’a pas indiqué qu’elle avait besoin de mesures d’adaptation, ni demandé à l’intimée de prendre de telles mesures à son égard, dans le contexte de ses absences volontaires et inexpliquées. On ne peut donc pas reprocher à l’intimée de ne pas avoir pris de mesures d’adaptation. Dans les circonstances, comme rien n’indiquait que la plaignante avait besoin de mesures d’adaptation, je ne crois pas que la prise de mesures d’adaptation était nécessaire ou que le congédiement de la plaignante en raison de ses absences volontaires et de son défaut de respecter la procédure établie lorsqu’elle s’absentait du travail était discriminatoire.

II. Aperçu

[7] Cheryl Bezoine est la plaignante en l’espèce. Elle allègue avoir été victime de discrimination fondée sur une déficience, au sens de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C (1985), ch. H-6 (la « LCDP »), lorsque l’intimée, la Ville d’Ottawa, a mis fin à son emploi en raison de ses absences liées à sa déficience.

[8] La plaignante allègue que, au moment de la cessation de son emploi, elle souffrait d’une déficience et que ce fait a constitué un facteur dans la décision de mettre fin à son emploi.

[9] L’intimée affirme que la plaignante a été congédiée en raison de son défaut d’assurer une présence régulière et fiable au travail. L’intimée affirme également que la plaignante n’a pas établi qu’une caractéristique protégée avait constitué un facteur dans la décision de mettre fin à son emploi. De plus, l’intimée soutient que la plaignante n’est pas parvenue à établir un lien entre une déficience et son congédiement, qui, selon elle, était fondé uniquement sur ses absences non motivées, et que la plaignante n’est donc pas parvenue à établir que le congédiement était discriminatoire.

[10] La plaignante a comparu pour son propre compte lors de l’instruction. L’intimée était représentée par un avocat. L’instruction a commencé à Ottawa, en Ontario, en novembre 2015 et s’est terminée virtuellement le 21 septembre 2021. Deux requêtes ont été présentées au cours de cette période. Les requêtes, des problèmes de production de documents, la non-disponibilité de l’avocat pour cause de maladie et la pandémie de COVID-19 ont tous contribué au temps qu’il a fallu pour conclure l’instruction. La Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») n’a pas participé à l’audience. La plaignante et l’intimée ont toutes deux présenté des éléments de preuve et appelé des témoins à comparaître.

[11] L’instruction de la plainte a été scindée en deux parties : l’une portant sur le fond de la plainte et l’autre sur la réparation. La présente décision porte sur le fond de la plainte.

III. Contexte

[12] La plaignante a été embauchée par l’intimée en août 2009 en tant que conductrice d’autobus à l’entraînement. Après avoir suivi avec succès un programme de formation rémunéré de six (6) semaines, elle a été embauchée comme conductrice d’autobus à l’essai le 23 septembre 2009. Le même jour, elle est devenue membre du Syndicat uni du transport, section locale 279 (le « Syndicat »).

[13] La convention collective conclue entre l’intimée et le Syndicat exige que les employés aient neuf (9) mois d’emploi continu avant que l’emploi soit considéré comme permanent. Cette période peut être prolongée d’une période d’au plus trois (3) mois pour un motif raisonnable, pourvu qu’un avis soit donné au Syndicat.

[14] La convention collective prévoit également que l’employeur doit faire passer un examen final pour déterminer si un employé a terminé sa période d’essai de façon satisfaisante, et que les employés doivent réussir cet examen pour acquérir des droits d’ancienneté, qui sont alors rétroactifs à la date d’embauche.

[15] Les conducteurs d’autobus sont évalués régulièrement par leur chef de section pendant leur période d’essai. Un chef de section est un gestionnaire qui supervise de 400 à 500 conducteurs d’autobus. Le chef de section de la plaignante, Wayne McKinnon, a témoigné à l’audience.

[16] La plaignante a manqué environ cinquante-deux (52) jours de travail pendant sa période d’essai. Environ trente-cinq (35) jours d’absence étaient liés à une blessure à la main qu’elle avait subie dans le cadre d’un emploi antérieur. Elle a subi plusieurs interventions chirurgicales pour cette blessure, dont une pendant son emploi auprès de l’intimée. En raison de cette blessure, la plaignante avait présenté une demande à la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (la « CSPAAT ») alors qu’elle travaillait pour son ancien employeur. Les absences liées à cette blessure ont eu lieu principalement entre le 14 octobre et le 29 novembre 2009. La plaignante a été opérée pour cette blessure le 14 octobre 2009. Par la suite, et suivant les recommandations de son chirurgien et de son physiothérapeute, la plaignante a demandé à effectuer des tâches modifiées. L’intimée n’ayant pas de telles tâches à offrir à la plaignante, cette dernière a obtenu l’autorisation de prendre un congé non payé.

[17] En plus des trente-cinq (35) jours de travail manqués en raison de la blessure couverte par la CSPAAT, la plaignante a manqué, pendant sa période d’essai, neuf (9) jours de travail qui ont été jugés être des absences involontaires et pour lesquels un congé de maladie payé lui a été accordé, ainsi que huit (8) jours de travail qui ont été jugés être des absences volontaires et non motivées.

[18] La plaignante n’avait aucun problème de rendement, hormis son incapacité d’assurer une présence régulière et fiable au travail.

[19] En octobre 2009, la plaignante a développé des problèmes gynécologiques. Elle a témoigné qu’elle avait eu des saignements vaginaux, des gonflements et des douleurs qui étaient exacerbés par le fait qu’elle devait rester assise pendant de longues périodes lorsqu’elle conduisait et par le port du pantalon ajusté de son uniforme de conductrice d’autobus.

[20] Le 9 octobre 2009, la plaignante s’est absentée du travail et a omis d’informer l’intimée qu’elle serait absente ou de fournir un document justifiant son absence, comme l’exige la convention collective.

[21] Elle s’est également absentée du travail les 17 et 24 décembre 2009, le 25 février 2010 et le 24 avril 2010, ainsi que les 11, 13 et 22 mai 2010. Ces absences ont été jugées volontaires et la plaignante n’a pas été rémunérée pour ces jours de travail manqués.

[22] En novembre 2009, les symptômes de la plaignante se sont aggravés à un point tel qu’elle a demandé une aide médicale d’urgence. Elle a été traitée à deux reprises à l’urgence de l’Hôpital Montfort. Elle a témoigné qu’elle a également demandé une aide médicale pour ses problèmes gynécologiques le 30 décembre 2009 à la clinique de soins urgents Orléans. À ce moment-là, on lui a diagnostiqué des polypes et on lui a indiqué qu’elle aurait besoin d’une intervention chirurgicale. La plaignante s’est absentée du travail du 30 décembre 2009 au 1er janvier 2010 en raison de ces problèmes médicaux. Elle a fourni des documents pour justifier son absence et a été rémunérée pour cette période.

[23] Le 22 décembre 2009, la plaignante a fait l’objet d’une évaluation du rendement après trois mois d’emploi à l’essai. Il s’agissait de sa première évaluation. On y notait que la plaignante avait une excellente assiduité générale, qu’elle n’avait manqué qu’une demi-journée en raison d’un congé de maladie et qu’elle avait perdu [traduction] « d’autres journées en raison d’une ancienne blessure couverte par la CSPAAT ». La plaignante avait en fait manqué une autre journée – le 17 décembre 2009 –, mais cette absence n’a pas été mentionnée à la rencontre parce qu’elle n’avait pas encore été consignée dans le système de l’intimée et n’apparaissait donc pas dans le dossier qui avait été remis à son chef de section.

[24] La plaignante s’est absentée du travail le 19 janvier 2010, du 10 au 12 février 2010, du 10 au 12 mars 2010 et le 18 mai 2010, mais elle a été payée pour ces jours de travail. Pour chacune de ces absences, elle a fourni des documents justificatifs. L’intimée a accepté les documents médicaux fournis et a accordé un congé de maladie payé à la plaignante pour ces journées.

[25] Le 19 avril 2010, la plaignante a fait l’objet d’un examen du rendement après six mois d’emploi à l’essai. À ce moment-là, il a été noté qu’elle avait manqué sept jours de travail supplémentaires, mais qu’elle avait par ailleurs assuré une présence raisonnable. Son rendement a été qualifié de [traduction] « très bon ».

[26] Le 20 avril 2010, la plaignante a été informée que sa période d’essai serait prolongée de trois mois en raison de son congé prolongé couvert par la CSPAAT afin que l’intimée ait le temps d’évaluer correctement ses compétences en tant que conductrice d’autobus. Elle a également été informée que la prolongation de sa période d’essai n’aurait aucune incidence sur sa progression salariale.

[27] Cette prolongation n’a pas fait l’objet d’un grief et n’a pas été soulevée devant le Tribunal jusqu’à ce qu’elle soit mentionnée dans les plaidoiries finales.

[28] En mai 2010, la plaignante a consulté un médecin pour une affection sans rapport avec ses problèmes gynécologiques. À la suite de ce rendez-vous, il lui a été recommandé de porter un masque. La plaignante a témoigné qu’elle avait fourni à son superviseur, M. McKinnon, un billet du médecin confirmant l’obligation de porter un masque et que M. McKinnon lui avait demandé de se rendre au service de la santé et du mieux-être. Elle a obtenu une journée de congé de maladie après avoir fourni les documents médicaux.

[29] Le 21 juin 2010, la plaignante a rencontré M. McKinnon, à sa demande, pour discuter de son assiduité pendant sa période d’essai. Le représentant syndical, Michel Fecteau, était également présent à cette rencontre. M. Fecteau n’a pas été appelé à témoigner à l’audience. M. McKinnon a conservé des notes de cette rencontre. M. McKinnon a déclaré qu’il avait pris connaissance en juin 2010 du trop grand nombre d’absences volontaires que la plaignante avait accumulées pendant sa période d’essai. Il a témoigné que l’objet de la rencontre était de permettre à la plaignante d’expliquer ses huit (8) absences volontaires, ce que la plaignante a confirmé dans son témoignage.

[30] L’objet de la rencontre du 21 juin 2010 est décrit ainsi dans les notes de M. McKinnon :

[traduction]

Cette réunion a été tenue pour examiner l’assiduité au travail de Mme Bezoine, conductrice, du 5 octobre 2009 à aujourd’hui. Au total et après suivi, Mme Bezoine a manqué dix-sept (17) jours de travail, répartis ainsi :

1. Absences involontaires = neuf (9) jours

2. Absences volontaires = huit (8) jours

De plus, Mme Bezoine a manqué trente-cinq (35) jours de travail au total en raison d’une blessure subie dans le cadre d’un emploi antérieur et couverte par la Commission de la sécurité professionnelle et de l’assurance contre les accidents du travail (CSPAAT).

[31] Les absences involontaires et volontaires sont décrites ainsi :

Absences involontaires – Absences liées à l’utilisation de congés de maladie payés pour lesquelles une demande a été présentée et un certificat médical a été fourni.

Absences volontaires – Absences non rémunérées pour lesquelles aucune demande n’a été présentée ou aucun certificat médical n’a été fourni.

[32] Le compte rendu de cette rencontre indique également que les absences liées à la blessure couverte par la CSPAAT n’ont pas été prises en compte dans le total des absences de la plaignante.

[33] Lors de cette rencontre, la plaignante a été invitée à expliquer ses absences volontaires. Elle n’a pas été en mesure de le faire et a demandé que la rencontre soit ajournée jusqu’au lendemain afin qu’elle puisse examiner son agenda.

[34] La plaignante a témoigné avoir été choquée d’apprendre que l’intimée était préoccupée par son assiduité. Elle a affirmé qu’on n’avait jamais abordé la question avec elle avant la rencontre du 21 juin 2010 et qu’on ne lui a pas dit, lors de cette rencontre, que son emploi était menacé.

[35] Le 22 juin 2010, la rencontre a repris. M. McKinnon a témoigné que la plaignante n’avait fourni aucune justification médicale pour ses absences et n’avait donné que des réponses vagues à ses questions sur le motif de ses absences. La plaignante a témoigné qu’elle avait fourni ce jour-là des documents justifiant ses absences, y compris une note de la clinique dentaire Mer Bleue et un dossier de l’Hôpital Montfort. Elle a ajouté qu’elle avait informé M. McKinnon qu’elle était en attente d’une intervention chirurgicale. M. McKinnon a témoigné qu’il n’avait reçu aucun document et que si la plaignante avait fourni des documents médicaux, elle aurait reçu l’instruction de les transmettre au service de la santé et du mieux-être. Cette déclaration concorde avec le témoignage selon lequel M. McKinnon a demandé à la plaignante de s’adresser au service de la santé et du mieux-être lorsqu’elle avait eu besoin d’un masque en raison d’un problème respiratoire. Rien dans les notes de M. McKinnon n’indique que des documents médicaux ou autres lui ont été fournis lors de cette rencontre. Les notes de McKinnon indiquent que la plaignante a invoqué divers motifs pour justifier ses huit (8) absences volontaires :

  1. dans deux cas, elle pensait qu’elle avait travaillé;
  2. dans deux cas, elle a affirmé être allée chez le dentiste;
  3. dans un cas, elle a affirmé qu’elle était en congé couvert par la CSPAAT;
  4. dans un cas, elle a affirmé qu’elle était malade, mais n’avait pas demandé un congé de maladie;
  5. à une occasion, elle était trop bouleversée pour conduire (la veille de Noël);
  6. l’absence du 9 octobre n’est pas mentionnée.

[36] La plaignante a témoigné qu’elle avait informé M. McKinnon pendant cette rencontre qu’elle présenterait des demandes de congé de maladie pour certaines des absences volontaires. Elle a aussi informé M. McKinnon que la date de son intervention chirurgicale avait été fixée. Les notes de Marg White prises lors de l’audience d’arbitrage indiquent aussi que la plaignante a témoigné qu’elle avait informé M. McKinnon, lors de cette rencontre, qu’elle aurait besoin d’un congé pour une intervention chirurgicale. M. McKinnon a témoigné qu’il n’avait reçu aucun document à l’appui de cette demande.

[37] À la fin de la rencontre du 22 juin 2010, et donc avant d’avoir terminé avec succès la période d’essai prolongée, la plaignante a été avisée de son congédiement.

[38] Deux jours plus tard, le 24 juin 2010, la plaignante a reçu une lettre confirmant la cessation de son emploi. Le motif invoqué pour le congédiement de la plaignante était son [traduction] « défaut d’assurer une présence régulière et fiable au travail ». La lettre énumère toutes les absences de la plaignante, y compris les absences involontaires pour lesquelles un congé de maladie payé lui a été accordé, les absences volontaires pour lesquelles elle n’a pas été payée et les 35 jours de congé liés à la blessure couverte par la CSPAAT :

[traduction]

Au cours de votre période d’essai, vos absences involontaires, pour lesquelles un congé de maladie payé vous a été accordé, étaient les suivantes :

1. du 30 décembre 2009 au 1er janvier 2010 – trois (3) jours payés, absence justifiée

2. le 19 janvier 2010 – 2,85 heures payées, absence justifiée

3. du 10 au 12 février 2010 – 2,5 jours payés, absence justifiée

4. du 10 au 12 mars 2010 – 2,5 jours payés, absence justifiée

5. le 18 mai 2010 – 8 heures payées, absence justifiée.

Vos absences volontaires, pour lesquelles vous n’avez pas été payée, étaient les suivantes :

1. le 9 octobre 2009 – 5,5 heures non payées

2. le 17 décembre 2009 – cette journée n’a pas été payée; elle était liée à une blessure subie dans le cadre d’un emploi antérieur et couverte par la CSPAAT, et vous avez déclaré que cette journée perdue avait été payée par la CSPAAT

3. le 24 décembre 2009 – 9,48 heures non payées

4. le 25 février 2010 – 4,88 heures non payées – vous avez affirmé que cette absence était elle aussi liée à la blessure subie dans le cadre d’un emploi antérieur et couverte par la CSPAAT, et vous avez déclaré que cette journée perdue avait été payée par la CSPAAT

5. le 24 avril 2010 –10,40 heures non payées

6. le 11 mai 2010 – 7,5 heures non payées – vous avez déclaré que cette absence était liée à l’obtention de services dentaires pour lesquels vous alliez maintenant demander un congé de maladie

7. le 13 mai 2010 – 4,84 heures non payées – vous avez déclaré que cette absence était liée à l’obtention de services dentaires pour lesquels vous alliez maintenant demander un congé de maladie

8. le 22 mai 2010 –10,40 heures non payées.

[39] La lettre se poursuit :

[traduction]

En raison de ce qui précède, vous n’avez pas terminé avec succès la période d’essai, et je dois donc vous informer que votre emploi à titre de conductrice d’autobus pour la Ville d’Ottawa prend fin immédiatement pour défaut d’assurer une présence régulière et fiable au travail.

[40] Le 29 juin 2010, le Syndicat a déposé un grief concernant la cessation d’emploi de la plaignante.

[41] Le grief a été soumis à l’arbitrage. Une audience s’est déroulée les 6 avril, 24 mai et 8 juin 2011 devant l’arbitre Christine Schmidt. La plaignante a témoigné sous serment. Il n’existe pas de transcription du témoignage donné lors de cette audience, mais Marg White, une employée de l’intimée qui était présente, a pris des notes détaillées, qui ont été présentées en preuve en l’instance.

[42] En juin 2011, l’intimée et le Syndicat ont réglé le grief de la plaignante. Ils ont convenu que le congédiement serait remplacé par une démission aux seules fins des références professionnelles et qu’une référence neutre serait fournie en réponse à toute demande présentée en ce sens par un employeur. La plaignante a initialement accepté le règlement le ou vers le 8 juin 2011, soit la dernière journée de l’audience, mais a par la suite retiré son accord à un moment donné avant la signature du procès-verbal de règlement, le 15 juin 2011.

[43] Le procès-verbal de règlement a été signé le 15 juin 2011 aux conditions suivantes :

[traduction]

[…]

ATTENDU QUE la plaignante a soutenu que le congédiement était à la fois injustifié et discriminatoire au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne;

[…]

ATTENDU QUE, après la présentation des observations finales du Syndicat et une discussion avec l’arbitre Schmidt, les parties, y compris la plaignante, se sont entendues sur le règlement du grief et de la plainte pour atteinte aux droits de la personne dont la Commission canadienne des droits de la personne est actuellement saisie;

ATTENDU QUE la plaignante a par la suite informé le Syndicat qu’elle ne souhaitait plus régler ni son grief ni sa plainte pour atteinte aux droits de la personne;

ATTENDU QUE le Syndicat, dans l’intérêt du maintien de relations de travail positives et harmonieuses, n’est pas disposé à continuer de plaider un grief qui a été résolu;

POUR CES MOTIFS, les parties conviennent de ce qui suit :

1. Le congédiement de la plaignante, Cheryl Bezoine, est par la présente retiré et remplacé par une démission à compter de la même date, aux seules fins de son dossier d’emploi et des références professionnelles qui pourraient être données à des employeurs éventuels.

2. La Ville d’Ottawa fournira une référence neutre au sujet de la plaignante à tout employeur éventuel. Plus précisément, tout employeur éventuel qui demandera des renseignements sur la plaignante sera informé uniquement des dates de son emploi, de la nature de ses fonctions et du fait qu’elle a démissionné de son poste auprès de la Ville en date du 24 juin 2010.

3. Les parties conviennent que la preuve présentée à l’arbitre Schmidt passait en revue la question de la déficience et celle de savoir si la plaignante avait été victime de discrimination de la part de la Ville au sens de la Loi canadienne sur les droits de la personne.

4. Les parties conviennent que rien dans le présent procès-verbal de règlement n’empêche la Ville d’opposer une défense à la plainte déposée par la plaignante auprès de la Commission canadienne des droits de la personne.

5. En contrepartie des paragraphes 1 et 2 ci-dessus, le Syndicat accepte de retirer le grief no T-65-10 daté du 29 juin 2010.

[44] Le procès-verbal de règlement indique également que la plaignante [traduction] « a par la suite informé le Syndicat qu’elle ne souhaitait plus régler ni son grief ni sa plainte pour atteinte aux droits de la personne ».

[45] Étant donné que l’affaire a été réglée, l’arbitre n’a pas rendu de décision définitive sur la question de savoir si la plaignante avait été victime de discrimination fondée sur la déficience ou sur un autre motif de la part de l’intimée. Rien n’indique qu’elle en soit arrivée à une décision à cet égard.

[46] Le 20 août 2010, la plaignante a déposé une plainte pour atteinte aux droits de la personne.

[47] Le 8 septembre 2011, l’intimée a demandé que la plainte soit rejetée au titre de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP au motif que les questions soulevées dans la plainte avaient été traitées dans le cadre du processus de règlement des griefs.

[48] Le 8 décembre 2011, la Commission a publié un rapport fondé sur les articles 40 et 41 recommandant qu’elle statue sur la plainte en vertu du paragraphe 41(1) de la LCDP, car elle n’était pas convaincue qu’on avait traité dans l’autre processus des allégations de discrimination.

[49] Le 17 février 2012, la Commission a adopté le rapport fondé sur les articles 40 et 41 et a informé les parties qu’elles disposaient de 30 jours pour demander le contrôle judiciaire de la décision. Aucune des parties n’a déposé de demande de contrôle judiciaire.

[50] Le 23 juin 2014, l’intimée a déposé un exposé des précisions, dans lequel elle affirmait que la plainte constituait un abus de procédure étant donné que le grief avait été réglé. L’intimée s’est opposée à l’instruction de la plainte au motif qu’il s’agissait d’un abus de procédure.

[51] Le Tribunal a jugé que les arguments sur cette question devraient être présentés après l’audition des témoins et que la requête ne pouvait pas être traitée de manière préliminaire.

[52] Une audience a eu lieu en novembre 2015.

[53] Le 5 novembre 2015, après le témoignage de la plaignante, mais avant que tous les autres témoins ne soient appelés, l’intimée a sollicité le rejet de la demande au motif que le grief avait été réglé et qu’il s’agissait d’un abus de procédure.

[54] Le 4 décembre 2015, l’intimée a déposé une requête en rejet de la plainte pour cause d’abus de procédure.

[55] Le 25 janvier 2017, le Tribunal a rejeté la requête en rejet de la plainte pour cause d’abus de procédure.

IV. Questions en litige

[56] La question que doit trancher le Tribunal consiste à savoir si l’intimée a fait preuve de discrimination à l’égard de la plaignante au sens de l’article 7 de la LCDP lorsqu’elle a mis fin à son emploi en raison de ses absences du travail.

[57] Pour trancher la question, le Tribunal doit se demander :

  1. si Mme Bezoine avait une déficience au sens de la LCDP;
  2. dans l’affirmative, si elle a subi un effet préjudiciable en raison de cette déficience;
  3. si la déficience a été un facteur dans la décision de mettre fin à son emploi.

[58] En raison des éléments de preuve contradictoires présentés à l’audience, il faudra également tirer des conclusions en matière de crédibilité.

V. Analyse

A. Conclusions en matière de crédibilité

[59] Étant donné qu’il y a eu à l’audience plusieurs divergences entre les témoignages et les éléments de preuve documentaire et entre les témoins, la crédibilité constitue un élément important dans la présente affaire.

[60] Lors de l’évaluation de la crédibilité, il est important de reconnaître que le comportement d’un témoin n’est qu’un aspect de la crédibilité. Pour évaluer la crédibilité, il est également important, voire plus important, d’examiner le contexte et le contenu du témoignage, d’examiner ce que le témoin a dit, fait et, en l’occurrence, écrit au moment des faits ayant mené à la plainte, par rapport à l’ensemble des éléments de preuve présentés. Il est par ailleurs important de reconnaître que la crédibilité d’un témoin ne signifie pas que tout ce que le témoin dit ou écrit est accepté ou rejeté.

[61] Dans l’affaire Faryna c. Chorny, 1951 CanLII 252 (C.A. C.‑B.), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a décrit ainsi, aux pages 356 et 357 de sa décision, l’approche à adopter pour évaluer la crédibilité :

[traduction]

Les possibilités qu’avait le témoin d’être au courant des faits, sa capacité d’observation, son jugement, sa mémoire et son aptitude à décrire avec précision ce qu’il a vu et entendu contribuent, de concert avec d’autres facteurs, à ce qu’on appelle la crédibilité.

La crédibilité des témoins intéressés ne peut être évaluée, surtout en cas de contradiction des dépositions, en fonction du seul critère consistant à se demander si le comportement du témoin permet de penser qu’il dit la vérité. Le critère applicable consiste plutôt à déterminer si son récit est compatible avec les probabilités qui caractérisent les faits en l’espèce. Bref, pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité dans un cas de cette nature, il faut déterminer si le témoignage est compatible avec celui qu’une personne sensée et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu de la situation et des circonstances. […] En outre, il peut arriver qu’un témoin dise ce qu’il croit sincèrement être la vérité, mais se trompe en toute honnêteté.

[62] La crédibilité est problématique dans la présente affaire, parce que le témoignage sous serment fourni par la plaignante à l’audience diffère à certains égards de celui qu’elle a fourni dans le cadre de la procédure d’arbitrage antérieure, de la preuve documentaire présentée à l’audience, y compris les déclarations écrites antérieures de la plaignante, et du témoignage sous serment d’autres témoins à l’audience.

[63] Voici quelques exemples de divergences qui nuisent à la crédibilité de la plaignante dans la présente affaire :

  1. Lors de l’audience devant moi, elle a témoigné qu’elle avait remis à son superviseur, Wayne McKinnon, un billet du Dr Moreau lors d’une rencontre en juin 2010. Or, le témoignage du Dr Moreau et la preuve documentaire montrent que le billet n’avait pas encore été rédigé au moment de cette rencontre. Le DMoreau a témoigné qu’il n’avait pas rédigé le billet en question avant le 2 juillet 2010, soit après le congédiement de la plaignante, ce qui signifie que celle-ci n’aurait pas pu fournir le billet à M. McKinnon en juin 2010.
  2. Lors de la procédure d’arbitrage en 2011, la plaignante a déclaré qu’elle ne se souvenait pas d’avoir remis le billet du Dr Moreau à M. McKinnon lorsqu’on lui a dit que ce dernier témoignerait qu’il n’avait pas reçu la note. Or, à l’audience devant moi, elle a témoigné qu’elle avait remis le billet à M. McKinnon en juin 2010.
  3. Lors de l’audience devant moi, la plaignante a témoigné que M. McKinnon l’avait renvoyée chez elle le 24 décembre 2009, ce qui contredit le témoignage de M. McKinnon selon lequel il n’était pas au travail ce jour-là. Le témoignage de Zahid Chaudhari confirme également que M. McKinnon n’était pas au travail le 24 décembre 2009 et que c’est lui qui avait rencontré la plaignante et l’avait renvoyée chez elle ce jour-là.
  4. Il y avait également des divergences dans le témoignage de la plaignante quant aux dates de ses absences et aux raisons pour lesquelles elle s’est absentée du travail.

[64] En raison de ces divergences et d’autres divergences dans le témoignage de la plaignante, j’estime que, à de nombreux égards, la plaignante n’était pas crédible et que son témoignage n’était pas fiable. Le témoignage de la plaignante à l’audience était souvent en contradiction avec celui d’autres témoins, avec son propre témoignage sous serment antérieur et avec la preuve documentaire présentée à l’audience. Bien que je ne pense pas que la plaignante ait intentionnellement tenté d’induire le Tribunal en erreur, je conclus qu’elle n’était pas crédible.

[65] Les autres témoins qui ont témoigné à l’audience sont le Dr Moreau, Wayne McKinnon, Marg White, Zahid Chaudhari et Andrea Alegio. Je conclus que tous ces témoins étaient crédibles et que leurs témoignages étaient généralement fiables. Bien que chacun ait déclaré à l’occasion ne pas pouvoir se souvenir de quelque chose en réponse à une question, tous ont répondu succinctement à la grande majorité des questions qui leur ont été posées, et leurs témoignages concordaient généralement avec la preuve documentaire dont je dispose. Trois de ces témoins, soit le Dr Moreau, Marg White et Wayne McKinnon, avaient pris des notes concernant l’objet de leurs témoignages au moment des faits. Ces notes ont été déposées en preuve et ces témoins ont consulté leurs notes pendant leur témoignage devant moi.

[66] Pour ces motifs, j’estime que, dans les cas où il y a des divergences dans la preuve qui m’a été présentée, le témoignage de la plaignante n’est pas fiable, et j’ai choisi de m’appuyer plutôt sur le témoignage d’autres témoins et sur la preuve documentaire dont je dispose.

B. Délai

[67] Avant de traiter de la question de la discrimination, je dois d’abord me pencher sur celle du délai. L’intimée a fait valoir que la présente affaire devait être rejetée pour cause de délai déraisonnable, en partie parce qu’il s’est écoulé plus de dix ans entre le dépôt de la plainte et le moment où elle a été en mesure de présenter une preuve en défense. Elle a avancé que ce délai a porté atteinte à sa capacité de répondre aux allégations. L’intimée prétend que ce préjudice est démontré par le fait que les témoins ont été incapables de se souvenir de certains faits et qu’elle a été incapable de trouver certains éléments de preuve documentaire.

[68] Lors de l’examen du délai, il est important de noter que le délai ne justifie pas, à lui seul, un arrêt des procédures. La Cour suprême du Canada l’a confirmé le 5 octobre 2000 dans l’arrêt Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307 (CSC). À la page 64 de la décision, la Cour suprême a déclaré ce qui suit :

Selon moi, le droit administratif offre des réparations appropriées en ce qui concerne le délai imputable à l’État dans des procédures en matière de droits de la personne. Cependant, le délai ne justifie pas, à lui seul, un arrêt des procédures comme l’abus de procédure en common law. Mettre fin aux procédures simplement en raison du délai écoulé reviendrait à imposer une prescription d’origine judiciaire. [Non souligné dans l’original]

[69] L’intimée s’est aussi fondée sur les décisions Nulla Holdings v. BC, 2000 CarswellBC 1887, et Grover c. Conseil national de recherches du Canada, 2009 TCDP 1, dans lesquelles la Cour suprême de la Colombie-Britannique et le Tribunal, respectivement, se sont chacun penchés sur la question du délai.

[70] Dans la décision Grover, le Tribunal a confirmé que, avant de rejeter une affaire pour cause de délai déraisonnable, il faut conclure à l’existence d’un préjudice « assez important pour nuire à l’équité de l’audience » :

La Cour suprême a précisé au paragraphe 101 de l’arrêt Blencoe que « le délai ne justifie pas, à lui seul, un arrêt des procédures ». Le délai doit être tel qu’il entraînerait nécessairement une audience à laquelle il manquerait les éléments essentiels de l’équité. Des preuves doivent être présentées pour démontrer que le préjudice subi est « assez important pour nuire à l’équité de l’audience » (Blencoe, au paragraphe 104; Ford Motor Co. of Canada c. Ontario (Human Rights Comm.), [1995 CarswellOnt. (C. div. Ont.)] 1995 CanLII, au paragraphe 16).

[71] Il ne fait aucun doute qu’il y a eu des retards dans le traitement de ce dossier depuis le dépôt des plaintes, leur renvoi au Tribunal et leur traitement jusqu’à la présente décision. Je crois cependant, comme la Cour suprême l’a affirmé dans l’arrêt Blencoe, que le délai ne justifie pas, à lui seul, un arrêt des procédures. Pour les motifs qui suivent, je ne crois pas que la preuve dont je dispose montre que le délai a causé un préjudice « assez important pour nuire à l’équité de l’audience ».

[72] La plaignante a témoigné à l’audience devant moi. Elle a aussi témoigné lors de la procédure d’arbitrage, qui a eu lieu avant. Les notes prises par Marg White lors de la procédure d’arbitrage ont été déposées en preuve. Les notes que la plaignante avait prises au moment des faits ont également été consultées. À certains égards, le témoignage de la plaignante concorde généralement avec ces notes. À d’autres égards, son témoignage contredit ces notes et le témoignage d’autres témoins. Selon moi, il s’agit plus vraisemblablement d’une question de crédibilité que d’une absence de souvenir.

[73] La plaignante a appelé le Dr Moreau à témoigner. Le Dr Moreau s’est appuyé sur ses dossiers médicaux répondre avec précision aux questions qui lui ont été posées. Son témoignage était fiable et crédible. Il est le seul professionnel de la santé qui a été appelé à témoigner.

[74] L’intimée a appelé quatre autres témoins : Andrea Alegio, Marg White, Wayne McKinnon et Zahid Chadourie. L’intimée prétend que, en raison du délai, ces témoins n’ont plus un souvenir précis des événements et des questions de preuve en litige dans la présente affaire. Ayant entendu ces témoins, je conclus que, même s’ils ne se souviennent pas parfaitement des événements en question, ils semblent avoir une bonne connaissance et un bon souvenir des événements principaux qui ont donné lieu à la plainte qui nous occupe. Ils ont été en mesure de témoigner de manière indépendante, et certains avaient pris des notes au moment des faits, auxquels ils ont sont référés pendant leur témoignage. Les témoignages donnés et les notes prises dans le contexte du grief qui a été instruit peu après le congédiement de la plaignante ont également été mis en preuve. Par conséquent, je n’accepte pas que le délai en l’espèce ait causé à l’intimée un préjudice important au point de justifier le rejet de la demande pour cause de délai déraisonnable. Je ne crois pas non plus que la situation est telle qu’il serait impossible d’assurer l’instruction équitable de la demande.

[75] J’examinerai maintenant le fond de la demande.

C. Discrimination

L’intimée a-t-elle fait preuve de discrimination à l’égard de la plaignante au sens de l’article 7 de la LCDP lorsqu’elle a mis fin à son emploi le 22 juin 2010 en raison de ses absences du travail?

[76] La plaignante allègue que l’intimée a fait preuve à son égard de discrimination fondée sur une déficience au sens de l’article 7 de la LCDP lorsqu’elle a mis fin à son emploi le 22 juin 2010 en raison de ses absences liées à sa déficience. La lettre de congédiement remise à la plaignante indique que celle-ci a été congédiée en raison de son défaut d’assurer une présence régulière et fiable au travail. La preuve révèle que la plaignante a manqué environ cinquante-deux (52) jours de travail au cours de sa période d’essai : trente-trois (33) jours pour une blessure couverte par la CSPAAT, neuf (9) jours jugés être des absences involontaires et huit (8) jours jugés être des absences volontaires.

[77] L’intimée fait valoir que le congédiement n’était pas discriminatoire et que la preuve ne permet pas d’établir que la plaignante avait une déficience au moment de son congédiement. L’intimée fait également valoir que la plaignante n’a jamais soulevé l’existence d’une déficience avant son congédiement. Comme il en est question plus en détail ci-dessous, sur ces points, je suis du même avis que l’intimée.

[78] L’article 7 de la LCDP définit un acte discriminatoire comme « le fait […] de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu [ou] de le défavoriser en cours d’emploi » s’il est fondé sur un motif de distinction illicite. Les motifs de distinction illicite sont énoncés au paragraphe 3(1) de la LCDP et comprennent la déficience.

[79] La Cour suprême du Canada s’est penchée sur la question de la discrimination dans l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 RCS 143, et a tiré la conclusion suivante :

[…] la discrimination peut se décrire comme une distinction, intentionnelle ou non, mais fondée sur des motifs relatifs à des caractéristiques personnelles d’un individu ou d’un groupe d’individus, qui a pour effet d’imposer à cet individu ou à ce groupe des fardeaux, des obligations ou des désavantages non imposés à d’autres ou d’empêcher ou de restreindre l’accès aux possibilités, aux bénéfices et aux avantages offerts à d’autres membres de la société.

[80] Le critère permettant de conclure que l’on a établi l’existence d’une discrimination a été défini par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985 CanLII 18 (CSC), [1985] 2 RCS 536, aux pages 546 et 547 [O’Malley], dans lequel la Cour suprême a conclu que la preuve suffisante est :

celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé.

[81] Dans l’arrêt Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30 (CanLII), la Cour suprême a exposé selon le cadre qui suit les exigences à respecter pour établir l’existence d’une discrimination :

Pour établir l’existence d’une discrimination prima facie, « les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le [Human Rights Code] contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable » : Moore, par. 33. La discrimination peut revêtir de nombreuses formes, notamment la « discrimination ‟indirecteˮ » lorsque des politiques par ailleurs neutres peuvent léser certains groupes […]. La preuve de l’intention discriminatoire de l’employeur n’est pas requise pour démontrer l’existence d’une discrimination prima facie […].

[82] C’est au plaignant qu’incombe le fardeau de prouver les allégations de discrimination. La Cour d’appel fédérale l’a confirmé dans l’arrêt Développement social Canada c. Canada (Commission des droits de la personne), 2011 CAF 202, au paragraphe 16 :

Il est bien établi en droit que le fardeau de la preuve dans un contexte de droits de la personne est le même que dans un contexte de droit civil : le fardeau de prouver selon la prépondérance des probabilités incombe à celui ou celle qui réclame l’exécution d’une obligation […].

[83] Ainsi, pour établir l’existence de discrimination, la plaignante doit démontrer :

  1. qu’elle possédait une caractéristique protégée par la LCDP contre la discrimination;
  2. qu’elle a subi un effet préjudiciable;
  3. que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

[84] Dans l’arrêt Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, au paragraphe 56, la Cour suprême a conclu qu’il n’est pas nécessaire d’établir un « lien causal », mais qu’un simple « lien » ou « facteur » est suffisant :

[56] […] bien […] que l’on exige du [demandeur], non pas la preuve d’un « lien causal » mais plutôt d’un simple « lien » ou « facteur », il n’en demeure pas moins que le demandeur doit démontrer, par prépondérance des probabilités, l’existence des trois éléments constitutifs de la discrimination. Pour cette raison, l’existence du « lien » ou du « facteur » doit être établie par preuve prépondérante.

[85] La Cour suprême a ensuite expliqué que, lorsqu’un plaignant établit l’existence des trois éléments constitutifs de la discrimination, l’intimé doit présenter soit des éléments de preuve réfutant l’allégation de discrimination, soit une défense justifiant la discrimination, ou les deux. En l’absence de justification établie par l’intimé, la présentation d’une preuve prépondérante à l’égard de ces trois éléments sera suffisante pour conclure à la violation de la LCDP. Si l’intimé parvient à justifier sa décision, il n’y a pas de violation de la LCDP.

[86] Le Tribunal examinera d’abord si la plaignante a établi qu’elle avait une déficience au moment de son congédiement.

La plaignante avait-elle une déficience au sens de la LCDP?

[87] L’article 25 de la LCDP définit la « déficience » comme une « [d]éficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée […] ».

[88] Dans l’arrêt Desormeaux c. Ottawa (Ville), 2005 CAF 311 (CanLII), au paragraphe 15, la Cour d’appel fédérale a défini la déficience comme « un handicap physique ou mental, qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associé à la perception d’un handicap ».

[89] Il est clair en droit que les affections médicales ne constituent pas toutes des déficiences.

[90] Dans la présente affaire, la plaignante ne s’est pas présentée au travail et, à au moins une occasion, le 9 octobre 2009, elle n’a pas informé son employeur de son incapacité à travailler. À d’autres occasions, elle n’a pas fourni de motifs ou de justification pour son absence jusqu’à ce qu’elle soit contrainte de le faire lors d’une rencontre disciplinaire.

[91] J’examinerai d’abord si la plaignante était atteinte d’une déficience qui l’aurait empêchée de déclarer ses absences, comme l’intimée l’exigeait.

[92] Dans la décision Riche c. Conseil du Trésor, 2013 CRTFP 35, au paragraphe 130, la Commission a conclu que, pour établir l’existence d’une déficience dans des cas où la déclaration de l’absence est en cause, il doit y avoir une preuve que l’affection était si grave qu’elle limitait la capacité de l’employé à se conformer à la condition de déclaration :

Le fait qu’un individu vive de tels troubles n’établit pas une apparence de droit suffisante de l’existence d’un handicap ni, encore moins, de l’existence d’une discrimination fondée sur une incapacité. Il fallait en l’espèce établir en preuve que ces affections étaient à ce point sévères qu’elles résultaient en un handicap ou sinon une restriction de la capacité du fonctionnaire à se conformer aux conditions de déclaration. Or, le fonctionnaire n’a présenté aucune preuve de la sorte, si ce n’est pour affirmer l’existence de ces troubles.

[93] Rien n’indique dans la présente affaire que la plaignante souffrait d’une affection ayant entraîné une déficience qui l’empêchait de se conformer aux conditions de déclaration. L’affection pour laquelle elle a appelé un médecin à témoigner était une affection gynécologique qui, selon son témoignage, faisait en sorte qu’il lui était difficile de rester assise pendant de longues périodes et de porter un uniforme ajusté. Elle n’a fourni aucun élément de preuve établissant que cette affection, ou une autre affection, l’empêchait de déclarer ses absences à son employeur. Je ne peux donc pas conclure qu’une affection médicale l’a empêchée de déclarer son absence à l’intimée le 9 octobre 2009.

[94] J’examinerai maintenant si la preuve qui m’a été présentée établit l’existence d’une déficience dans le contexte des huit (8) absences volontaires de la plaignante.

[95] Dans la décision Bodnar c. Conseil du Trésor, 2016 CRTEFP 71, au paragraphe 106 (infirmée pour d’autres motifs), la Commission a conclu qu’une simple affirmation à cet égard ou la production d’un bref billet médical ne constituait pas une preuve suffisante pour établir l’existence d’une déficience :

À l’audience, on ne peut établir l’existence d’une déficience simplement au moyen d’une affirmation de l’employé à cet égard ou par la production d’un bref billet médical sans le témoignage du médecin.

[96] Bien qu’il y ait eu le témoignage d’un médecin, en l’occurrence le Dr Moreau, je conclus que ce témoignage ne suffit pas pour établir l’existence d’une déficience. Le Dr Moreau a confirmé l’affection dont souffrait la plaignante. Il a également justifié une absence d’environ 2,5 jours et confirmé que la plaignante aurait besoin d’une intervention chirurgicale. Il n’a pas confirmé que les huit (8) absences volontaires et inexpliquées de la plaignante étaient liées à cette affection, ni que le défaut de la plaignante d’aviser l’intimée de son incapacité de se présenter au travail découlait d’une déficience.

[97] Il est bien établi en droit que le simple fait de mentionner de la douleur ou des symptômes ne suffit pas pour établir l’existence d’une déficience (Canada c. Gatien, 2016 CAF 3, au par. 48, citant Crowley v. Liquor Control Board of Ontario, 2011 HRTO 1429, aux par. 57 à 65).

[98] La preuve en l’espèce établit que la plaignante souffrait de douleurs liées à une affection médicale pendant son emploi et qu’elle avait besoin d’une chirurgie pour soigner cette affection, chirurgie qu’elle a subie environ trois semaines après la cessation de son emploi. Toutefois, ce fait n’établit pas à lui seul qu’elle souffrait d’une déficience au moment de son congédiement, surtout compte tenu du fait que, selon le témoignage de la plaignante, ses absences volontaires n’avaient aucun lien avec l’affection en cause. De fait, la plaignante a déclaré dans son témoignage qu’elle avait été absente pour diverses raisons : blessure couverte par la CSPAAT, rendez-vous chez le dentiste, frustration liée à des problèmes de paye; d’autres absences n’ont pas été expliquées. Aucune de ces explications n’est liée à l’affection gynécologique de la plaignante ou, à l’exception peut-être de sa blessure couverte par la CSPAAT, à toute autre affection qui établirait l’existence d’une déficience. De plus, ces explications ont toutes été fournies bien après les faits, et seulement lorsque la plaignante a été convoquée à une rencontre disciplinaire.

[99] La plaignante a témoigné que ses problèmes gynécologiques avaient commencé en octobre 2009, lorsqu’elle a développé des acrochordons de l’hymen qui lui causaient beaucoup de douleur, laquelle était aggravée par le fait qu’elle devait rester assise pendant de longues périodes lorsqu’elle conduisait son autobus. Elle a également témoigné qu’elle avait consulté un médecin en novembre et décembre 2009 pour cette affection. À ces occasions, elle a signalé son incapacité de se présenter au travail à l’intimée, a fourni des documents médicaux pour justifier son absence et a obtenu des congés de maladie payés. Ces jours n’ont pas été inclus dans les absences volontaires.

[100] Le témoignage de son médecin traitant et celui de son chirurgien corroborent les symptômes et les affectations alléguées par la plaignante et expliquent son absence d’environ 2,5 jours du 10 au 12 février 2010. Ils n’établissent cependant pas l’existence d’une déficience. Le Dr Moreau n’a pas établi que la plaignante avait des limitations liées à l’exécution de ses fonctions ou qu’elle avait besoin d’autres mesures d’adaptation de la part de son employeur en dehors de cette période. Son témoignage justifie l’absence de la plaignante pendant ces deux jours et demi, mais il ne justifie aucune autre absence pendant son emploi auprès de l’intimée. Cela n’établit pas l’existence d’une déficience dans le contexte des absences volontaires et n’explique pas non plus les autres absences volontaires de la plaignante qui, comme la plaignante en a témoigné elle-même, étaient attribuables à d’autres causes.

[101] Je ne nie pas qu’il aurait été difficile pour une conductrice d’autobus de composer avec les symptômes décrits par la plaignante. Il est concevable que, lorsque la plaignante souffrait de poussées de symptômes liés à son affection gynécologique, l’obligation de rester assise pendant de longues périodes et de porter un uniforme ajusté lui ait causé des difficultés. Toutefois, la question n’est pas de savoir si l’affection causait des difficultés à la plaignante, mais plutôt de savoir si cette affection était à ce point invalidante qu’elle établissait l’existence d’une déficience et si cette déficience ou une autre déficience était la raison pour laquelle la plaignante n’avait pas pu se présenter au travail les jours en cause. D’après la preuve dont je dispose, je conclus que ce n’est pas le cas.

[102] Ayant analysé le dossier dont je disposais à l’audience et la jurisprudence applicable, je conclus que la preuve ne permet pas d’établir que, au moment de la cessation de son emploi en juin 2010, la plaignante souffrait d’une déficience au sens de la LCDP qui expliquerait les huit (8) absences volontaires pour lesquelles aucun document justificatif n’avait été fourni à l’intimée à la date du congédiement de la plaignante.

La plaignante a-t-elle subi un effet préjudiciable?

[103] Puisque j’ai conclu que la plaignante ne souffrait pas d’une déficience au moment de la cessation de son emploi, je n’ai pas à déterminer si elle a subi un effet préjudiciable. Cependant, je conclus que même dans l’éventualité où la plaignante souffrait d’une déficience, elle n’a pas subi d’effet préjudiciable.

[104] Le droit est clair : un plaignant doit démontrer l’existence d’un véritable effet préjudiciable pour satisfaire au deuxième volet du critère.

[105] Dans l’arrêt Bodnar, la Cour d’appel fédérale a conclu que les employeurs ont le droit de surveiller les absences des employés et que le calcul des absences, même s’il inclut les absences attribuables à une déficience, ne constitue pas en soi un traitement défavorable (Canada (Procureur général) c. Bodnar, 2017 CAF 171, aux par. 26 à 33). Je conclus que l’intimée était en droit, en tant qu’employeur, de surveiller les absences de la plaignante, et que c’est ce qu’elle a fait.

[106] Il ressort clairement de la preuve dont je dispose que, à aucun moment avant la cessation de son emploi, la plaignante n’a informé l’intimée qu’elle souffrait d’une déficience; elle l’a elle-même confirmé dans son témoignage.

[107] Les tribunaux ont clairement indiqué qu’une déficience ne peut pas être un facteur de traitement défavorable si l’employeur n’a pas connaissance de la déficience. Dans l’arrêt Central Okanagan School District No. 23 c. Renaud, 1992 CanLII 81 (CSC), la Cour suprême a rejeté la demande parce que l’employé n’avait pas demandé de mesures d’adaptation ni avisé l’employeur qu’il souffrait d’une déficience. La même conclusion s’applique dans la présente affaire.

[108] Bien qu’elle n’ait pas soulevé la question dans sa plainte, la plaignante a fait valoir que la prolongation de sa période d’essai permet de conclure qu’elle a subi un effet préjudiciable. Je ne suis pas de cet avis. La décision de prolonger la période d’essai a été prise en raison des absences de la plaignante pendant sa période d’essai et pour donner à l’intimée le temps d’évaluer ses capacités en tant que conductrice d’autobus. La prolongation n’a pas eu d’incidence sur la progression salariale de la plaignante ou sur tout autre avantage lié à son emploi. À mon avis, les éléments de preuve dont je dispose, y compris celui-ci, ne suffisent pas pour établir que la plaignante a subi un effet préjudiciable.

Y avait-il un lien entre le congédiement de la plaignante et sa déficience?

[109] Puisque j’ai conclu que la plaignante ne souffrait pas d’une déficience, aucun lien ne peut être établi dans la présente affaire. Je fais cependant remarquer que le simple fait qu’une personne souffre d’une déficience n’empêche pas son employeur de prendre des mesures disciplinaires à son égard ou de mettre fin à son emploi si cette décision n’est pas fondée sur la déficience. Ce principe a été confirmé dans l’arrêt Stewart c. Elk Valley Coal Corp., 2017 CSC 30, dans lequel la Cour suprême a confirmé le congédiement d’un employé et conclu que rien n’indiquait que la déficience en question, la dépendance, empêchait l’employé d’aviser l’employeur qu’il consommait de la drogue, comme l’exigeait la politique de sécurité.

[110] Les éléments de preuve présentés à l’audience ont montré que la plaignante s’est absentée du travail pendant environ cinquante-deux (52) jours au cours des neuf premiers mois de son emploi. Environ trente-trois (33) de ces jours d’absence étaient liés à une blessure subie au cours d’un emploi antérieur et visée par une demande présentée à la CSPAAT. Les témoignages ont montré qu’aucune de ces absences n’a été prise en compte dans le congédiement de la plaignante. Ils ont également permis de confirmer que la rencontre disciplinaire qui a conduit au congédiement de la plaignante était axée sur les absences volontaires de cette dernière.

[111] La plaignante a témoigné que certaines de ses absences étaient attribuables à une blessure subie dans le cadre d’un emploi antérieur et couverte par la CSPAAT. Elle a également témoigné qu’elle souffrait de problèmes gynécologiques douloureux qui lui rendaient très difficile de rester assise pendant de longues périodes pour conduire un autobus. Elle a présenté un témoignage de vive voix et une preuve médicale à cet égard. Elle a déclaré qu’elle avait consulté un spécialiste, le Dr Moreau, au sujet de son affection. Elle a appelé le Dr Moreau à témoigner. Le Dr Moreau a déclaré qu’il avait diagnostiqué chez la plaignante des acrochordons de l’hymen gonflés. Il a affirmé que ceux-ci seraient douloureux en position assise et que son état serait aggravé par le port de l’uniforme ajusté des conducteurs d’autobus. Il a recommandé qu’elle subisse une intervention chirurgicale pour soigner cette affection. Il a également recommandé qu’elle prenne un congé. La plaignante a demandé un congé payé à son employeur, qu’elle a obtenu après avoir présenté des documents justifiant sa demande. Ce n’est que lorsqu’elle a omis de demander congé que des mesures disciplinaires ont été prises et, ultimement, qu’elle a été congédiée. En outre, comme il a été mentionné ci-dessus, il semble que les absences en cause n’étaient pas liées à cette affection.

[112] Je dispose d’éléments de preuve selon lesquels la plaignante a demandé l’autorisation de s’absenter du travail à environ neuf (9) reprises en raison de problèmes médicaux et de sa blessure couverte par la CSPAAT. On lui a accordé des congés de maladie payés pour les absences involontaires.

[113] La plaignante n’a pas fourni d’explication pour les huit (8) jours d’absence volontaire qu’elle a accumulés pendant son emploi jusqu’à ce qu’elle y soit contrainte lors d’une rencontre disciplinaire en juin 2010. Il est clair qu’elle savait qu’elle devait informer son employeur de son incapacité de se rendre au travail, puisqu’à de nombreuses autres occasions elle avait suivi la politique de l’employeur et l’avait informé de son absence. La plaignante et son superviseur, Wayne McKinnon, ont tous deux témoigné que les rencontres de juin 2010, qui ont finalement conduit au congédiement de la plaignante, portaient sur les absences volontaires de la plaignante. M. McKinnon a témoigné que le congédiement de la plaignante était fondé sur ses absences volontaires. La plaignante a corroboré ce témoignage. La plaignante n’a jamais expliqué dans son témoignage pourquoi elle n’avait pas informé son employeur de ces absences ou fourni des documents médicaux pour les justifier, ni comment son affection l’avait empêchée de respecter la procédure établie et d’informer son employeur de son incapacité de se présenter au travail. C’est son défaut de le faire qui a conduit à son congédiement. Par conséquent, je conclus qu’il n’y avait pas de lien entre le congédiement et toute déficience que la plaignante aurait pu avoir.

[114] Je note que j’ai aussi tenu compte de la décision Todd c. La Ville d’Ottawa, 2020 TCDP 26, rendue récemment par le Tribunal et sur laquelle la Commission s’est appuyée dans ses observations. Dans cette affaire, le Tribunal a conclu que les absences de M. Todd liées à sa déficience avaient été incluses dans la justification de son congédiement, ce qui n’était pas contesté. J’estime que la présente affaire est nettement différente, compte tenu du témoignage de M. McKinnon selon lequel la rencontre disciplinaire de juin 2010 portait sur les absences volontaires de la plaignante, et non sur les absences liées à la blessure couverte par la CSPAAT ou les absences involontaires. Au moment du congédiement de la plaignante, l’intimée était préoccupée par ses absences volontaires. La plaignante elle-même a corroboré ce témoignage. J’estime donc que les éléments de preuve dont je dispose ne permettent pas de conclure que les absences involontaires, bien qu’elles soient mentionnées dans la lettre de congédiement de même que les absences liées à la blessure couverte par la CSPAAT, faisaient partie des motifs du congédiement.

VI. Conclusion

[115] Pour toutes les raisons qui précèdent, je conclus que l’intimée n’a pas agi de manière discriminatoire lorsqu’elle a congédié la plaignante en raison de son incapacité d’assurer une présence régulière et fiable au travail.

VII. Décision

[116] Je conclus que la plainte est rejetée.

[117] Au début de l’audience, il a été convenu de scinder l’instruction de la plainte en deux parties, l’une portant sur le fond et l’autre sur la réparation. Étant donné que j’ai conclu que la plainte n’est pas fondée, il n’est pas nécessaire de présenter des observations supplémentaires sur la réparation.

Signée par

Lisa Gallivan

Membre(s) du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 25 mars 2022


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T1941/2113

Intitulé de la cause : Cheryl Lynn Bezoine c. Ville d’Ottawa

Date de la décision du Tribunal : Le 25 mars 2022

Date et lieu de l’audience : Du 2 au 5 novembre 2015; le 13 septembre 2017; les 11, 12 et 13 janvier 2021; et le 21 septembre 2021

Ottawa (Ontario) et par vidéoconférence

Comparutions :

Cheryl Lynn Bezoine, pour elle-même

Ikram Warsame , pour la Commission canadienne des droits de la personne

David Patacairk, pour l’intimée

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