Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2021 TCDP 34

Date : le 28 septembre 2021

Numéro du dossier : T1656/01111

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Chris Hughes

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Transports Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Olga Luftig

 



[1] Il s’agit d’une décision (la « décision sur requête ») portant sur une requête déposée par M. Chris Hughes (le « plaignant » ou « M. Hughes ») le 7 décembre 2020 relativement à la plainte qu’il avait présentée contre Transports Canada (l’« intimé » ou « Transports Canada »). Cette plainte a un long historique puisqu’elle a été portée devant le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal »), la Cour fédérale du Canada et la Cour d’appel fédérale. Je résumerai la chronologie du dossier dans la section « Contexte » ci-après.

I. Remarques préliminaires

Membre saisi de la présente requête

[2] Le plaignant a adressé la requête au président du Tribunal. Cependant, ce dernier n’a pas de compétence inhérente pour statuer sur des affaires qui ne lui ont pas été confiées (Chris Hughes c. Agence des services frontaliers du Canada, 2021 TCDP 17 (CanLII), au par. 2 [Hughes TCDP 1]). Conformément au paragraphe 49(2) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, ch. H-6 (la « Loi »), le président doit désigner un membre du Tribunal pour instruire chaque plainte. Une fois que cette désignation a été faite, le président « n’a plus de responsabilité à l’égard de l’affaire (à moins qu’il ne se soit désigné lui-même) » (Hughes TCDP 1, au par. 2). Ainsi, la désignation d’un membre du Tribunal met fin à toute compétence du président à l’égard de l’affaire « et permet de préserver le principe selon lequel le membre qui préside l’audience tranche la plainte dont il est saisi en toute indépendance » (Hughes TCDP 1, au par. 2).

[3] En février 2015, le président du Tribunal m’a confié la gestion de l’instance et m’a chargée de présider l’audience sur les réparations.

[4] Le 1er juin 2018, j’ai rendu une décision sur les réparations, dont la référence est Hughes c. Transports Canada, 2018 TCDP 15 (CanLII) [la « décision sur les réparations »], et j’ai conservé ma compétence pour deux périodes de temps (décision sur les réparations, aux par. 408 et 409). Bien que mon mandat ait pris fin en décembre 2020, le président m’a permis, avant son expiration et conformément au paragraphe 48.2(2) de la Loi, de terminer plusieurs affaires dont j’étais saisie, dont celle-ci.

II. Contexte

[5] M. Hughes a déposé la plainte auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») en janvier 2008, et la Commission l’a renvoyée au Tribunal en mars 2011. À la demande des parties, l’ancien membre du Tribunal Robert Malo a mené l’audience et a rendu sa décision uniquement sur la responsabilité (Hughes c. Transports Canada, 2014 TCDP 19 (CanLII), au par. 343 (la « décision sur la responsabilité »)).

[6] L’ancien membre Malo a déterminé que l’intimé avait fait preuve de discrimination à l’égard de M. Hughes, au sens de l’alinéa 7a) de la Loi, dans le cadre d’un processus de dotation en personnel visant à pourvoir un poste alors appelé « analyste de la sûreté maritime », lequel appartenait au groupe et au niveau PM-04. Dans la présente décision sur requête, je parle du poste d’« analyste du renseignement, PM-04 » puisque telle était son appellation au moment de l’audience. Le poste est aussi désigné ainsi dans la décision sur la responsabilité.

[7] La Cour fédérale a annulé la décision sur la responsabilité dans Hughes c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1302 (CanLII). En appel, la Cour d’appel fédérale l’a rétablie dans l’arrêt Hughes c. Canada (Procureur général), 2016 CAF 271 (CanLII).

Décision sur les réparations

[8] Robert Malo n’était plus membre du Tribunal au moment de l’audience sur les réparations. Le président m’a donc confié la gestion de l’instance et m’a chargée de présider l’audience sur les réparations.

[9] Dans la décision sur les réparations, j’ai notamment ordonné ce qui suit (l’« ordonnance d’intégration ») :

L’intimé intégrera le plaignant, sous réserve de la cote de sécurité requise, à la première occasion raisonnable et sans concours, au poste d’analyste du renseignement au groupe et au niveau PM-04, de pair avec tous les avantages sociaux connexes. Le poste sera situé à Esquimalt (Colombie-Britannique) ou à Vancouver (Colombie-Britannique), à la condition que le plaignant soit disposé à déménager. (Décision sur les réparations, partie XVI, au par. 1)

[10] Il a également été ordonné à l’intimé de verser au plaignant une indemnité pour perte de salaire et d’avantages sociaux ainsi que de rémunération du temps supplémentaire pour une période déterminée et d’autres avantages. De plus, l’intimé doit verser au plaignant une somme à titre d’indemnité pour préjudice moral et pour cause d’acte discriminatoire inconsidéré.

[11] Aux paragraphes 408 et 409 de la décision sur les réparations, j’ai aussi ordonné le maintien de la compétence du Tribunal aux conditions énoncées ci-dessous :

408. Le Tribunal s’attend à ce que les parties tentent de négocier le règlement de tout litige que les mesures de redressement ordonnées sont susceptibles de causer. Cela dit, il conserve par la présente la compétence de trancher tout litige pouvant survenir à l’égard de la quantification ou de la mise en œuvre de l’une quelconque des mesures de redressement ordonnées. La partie qui demandera au Tribunal de trancher les questions qui précèdent est tenue de signifier et de déposer un avis à cet effet, et ce, au plus tard un an après la date de la présente décision.

409. Le Tribunal s’attend également à ce que les parties tentent de négocier et d’adopter le règlement des demandes relatives aux congés de décès, aux congés de maladie, aux jours fériés, aux congés de vacances, aux congés pour obligations familiales, aux congés de bénévolat et aux autres demandes relatives aux soins médicaux, dentaires, pharmaceutiques et autres services de santé qui s’appliquent au cours de la période de compensation salariale du 8 mai 2006 au 7 mai 2011. Si les parties n’arrivent pas à s’entendre sur le règlement des demandes relatives aux congés et aux services de santé qui précèdent, le Tribunal demeure compétent pour trancher tout litige que ces demandes sont susceptibles de causer. La partie qui demandera au Tribunal de trancher les demandes qui précèdent est tenue de signifier et de déposer un avis à cet effet au plus tard dans les 90 jours qui suivent la date de la présente décision.

[12] Les deux parties ont déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision sur les réparations devant la Cour fédérale.

Avis de requête de mai 2019

[13] Le 24 mai 2019, le plaignant a déposé un avis de requête (l’« avis de requête de mai 2019 »). Il a déclaré qu’il déposait cette requête conformément au paragraphe 408 de la décision sur les réparations et que la requête visait à ce que le [traduction] « Tribunal statue sur la quantification et la mise en œuvre des mesures de réparation ordonnées dans la [décision sur les réparations] » (avis de requête de mai 2019, au par. 1). À l’appui de cette requête, le plaignant a précisé que plusieurs questions étaient toujours en suspens : [traduction] « a) restitution des crédits de congé de maladie; b) rétablissement des crédits de congés annuels; c) autres crédits de congé; d) indemnité de départ; e) salaire perdu; f) montant de majoration du droit à pension; g) tout autre motif de réparation invoqué par l’avocat et admis par le Tribunal ».

[14] Le plaignant a proposé que les parties tiennent une conférence téléphonique préparatoire pour déterminer comment traiter l’avis de requête de mai 2019 puisqu’il serait probablement nécessaire de déposer d’autres éléments de preuve [traduction] « […] pour quantifier les mesures de réparation n’ayant pas encore été exécutées ».

[15] Le 17 juillet 2019, le Tribunal et les parties ont participé à une conférence téléphonique préparatoire portant sur le processus relatif à l’avis de requête de mai 2019. Le plaignant n’était pas présent, mais son avocat l’était, tout comme les avocats de l’intimé et de la Commission.

[16] L’avocat du plaignant a déclaré que l’intimé n’avait pas donné suite à un certain nombre de mesures de réparation et que l’ordonnance d’intégration n’avait pas été respectée. J’ai fait remarquer qu’il n’était pas question de l’intégration à un poste dans l’avis de requête de mai 2019, ce qu’a reconnu l’avocat du plaignant. J’ai donc précisé que ce point devait être ajouté aux documents de la requête.

[17] L’avocat de l’intimé a souligné que l’ordonnance d’intégration était conditionnelle à l’obtention de la cote de sécurité requise et que le plaignant ne l’avait pas obtenue parce qu’il n’avait pas retourné les formulaires nécessaires à l’intimé. J’ai alors dit que je n’avais pas besoin d’en savoir plus.

[18] L’avocat de l’intimé a ajouté que ce dernier souhaitait obtenir de la part du Tribunal des précisions sur la question de savoir lequel des paragraphes 408 ou 409 de la décision sur les réparations s’appliquait à certaines des questions soulevées dans l’avis de requête de mai 2019. Il a indiqué que l’intimé ne contestait pas le fait que l’avis de requête de mai 2019 avait eu pour effet de déclencher le processus, et ce, dans le délai d’un an imparti au paragraphe 408. Cependant, si le délai de trois mois prévu au paragraphe 409 s’appliquait aussi, la compétence du Tribunal se trouvait alors limitée sur certaines de ces questions. Comme je n’allais pas trancher la question de la compétence pendant la conférence téléphonique préparatoire, j’ai informé les parties qu’elles devaient l’ajouter à leurs documents.

[19] L’intimé a accepté que la requête soit instruite par écrit seulement. Les parties ont convenu que l’avocat du plaignant consulterait ce dernier et qu’il lui demanderait de préciser s’il souhaitait procéder par voie d’audience ou par écrit. Dans le cas où le plaignant déciderait de procéder par écrit, son avocat consulterait ensuite l’avocat de l’intimé afin que les deux conviennent d’une proposition de calendrier pour le dépôt des documents qui seraient nécessaires soit pour étayer l’avis de requête de mai 2019, soit pour y répondre ou y répliquer, sous réserve de l’approbation du Tribunal.

Ajournements

[20] Le 31 juillet 2019, la Cour fédérale a rendu la décision Hughes c. Canada (Procureur général), 2019 CF 1026 (CanLII) [Hughes CF 1], dans laquelle le juge LeBlanc a accueilli en partie la demande de contrôle judiciaire du plaignant et a renvoyé l’affaire à un membre instructeur différent du Tribunal pour qu’il détermine à nouveau la date de fin de la période d’indemnisation pour perte de salaire et d’avantages sociaux. Le président a chargé la membre Harrington de le faire.

[21] Le 1er août 2019, l’avocat du plaignant a alors demandé que l’avis de requête soit mis en suspens jusqu’à ce qu’un autre membre du Tribunal détermine la date de fin de la période d’indemnisation.

[22] Dans sa lettre de réponse du 22 août 2019, l’intimé a fait savoir qu’il n’avait aucune objection à ce que l’avis de requête de mai 2019 soit suspendu jusqu’à ce qu’un autre membre du Tribunal détermine la date de fin de la période d’indemnisation. Cependant, l’intimé a réitéré sa position sur la compétence. Il a fait valoir que le plaignant avait dépassé le délai de 90 jours fixé au paragraphe 409 de la décision sur les réparations et qu’il ne pouvait pas donc demander l’aide du Tribunal à cet égard. L’intimé a aussi confirmé qu’il avait indemnisé le plaignant conformément à la décision sur les réparations, mais qu’il [traduction] « attendait [toujours] le retour des formulaires d’enquête de sécurité dûment remplis ».

[23] L’intimé a interjeté appel de la décision Hughes CF 1 devant la Cour d’appel fédérale et lui a demandé de rétablir la date de fin de la période d’indemnisation qui avait été fixée dans la décision sur les réparations pour perte de salaire et d’avantages sociaux. À la date de la présente décision sur requête, le Tribunal n’avait reçu aucun avis l’informant que la Cour d’appel fédérale avait publié son jugement.

[24] La membre Harrington avait fixé une audience d’une journée en avril 2020 afin de déterminer la date de fin de la période d’indemnisation pour perte de salaire et d’avantages sociaux. Le plaignant a déposé une requête en vue de faire ajourner cette audience. En juillet 2020, la membre Harrington a fait droit à cette demande et a ajourné l’audience jusqu’à ce que la Cour d’appel fédérale rende son jugement dans le cadre de l’appel interjeté contre la décision Hughes CF 1 (Hughes c. Transports Canada, 2020 TCDP 21 (CanLII), au par. 34).

III. Requête du plaignant datée de décembre 2020

[25] Dans sa requête datée du 7 décembre 2020, le plaignant demande au Tribunal de rendre une ordonnance portant :

i. que l’intimé, [traduction] « plutôt que de l’intégrer au poste [d’analyste du renseignement] PM-04, peut intégrer le [plaignant] à un poste PM-04 similaire qui requiert une cote de sécurité de base, étant donné que l’intimé a tardé à se conformer à la [décision sur les réparations], ce qui a causé un préjudice irréparable à la solvabilité [du plaignant] »;

ii. que, subsidiairement au point (i), l’intimé se conforme à [traduction] « l’article 18 de la Loi sur l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement et permette au plaignant d’être muté à un poste PM-04 nécessitant une cote de sécurité inférieure si ce dernier se voit refuser la cote de sécurité « Très secret »;

iii. que l’intimé accorde immédiatement au plaignant un congé payé ou qu’il commence immédiatement à lui verser un montant mensuel équivalent à son salaire mensuel, plus 15 pour cent au titre des régimes de soins de santé et de soins dentaires;

iv. que [traduction] « tous les avantages connexes » tiennent compte des diverses politiques du Conseil du Trésor relatives à la mise à niveau de la sécurité, aux droits acquis en ce qui concerne les cotes de sécurité et à d’autres droits, dont le « […] droit d’être nommé à un poste correspondant à l’offre d’emploi originale »;

v. que le Tribunal conserve sa compétence pour assurer la mise en œuvre de la décision sur les réparations et la mise en œuvre définitive de l’ordonnance de réparation portant sur l’intégration à un poste et la perte de salaire;

vi. que l’intimé divulgue tous les dossiers liés à la dotation des postes PM-04 dans la région du Pacifique à Transports Canada, entre janvier 2018 et aujourd’hui.

[26] Le 8 décembre 2020, l’avocat de l’intimé a accusé réception de la requête du plaignant datée du 7 décembre 2020 et a indiqué que, selon ce dernier, le Tribunal n’avait pas compétence pour statuer sur les questions qui y étaient soulevées.

[27] Le 16 décembre 2020, le président Thomas a demandé au plaignant de présenter des observations sur la question de la compétence, plus précisément en ce qui concerne :

a) la raison pour laquelle le plaignant a affirmé que tout membre du Tribunal avait compétence pour instruire la requête;

b) la raison pour laquelle plaignant croyait que la doctrine du functus officio ne faisait pas obstacle à sa requête.

L’intimé a aussi présenté ses observations.

IV. Positions des parties

Plaignant

[28] Le plaignant soutient que le Tribunal a compétence pour traiter sa requête datée du 7 décembre 2020, pour les motifs exposés ci-après.

[29] Le plaignant affirme qu’il ne demande pas le réexamen de l’ordonnance de réparation du Tribunal. Il prétend plutôt que sa demande relève de la compétence que le Tribunal a conservée dans la décision sur les réparations, c’est-à-dire qu’elle se rapporte à la mise en œuvre de l’ordonnance de réparation.

[30] Au paragraphe 408 de la décision sur les réparations, le tribunal a déclaré qu’il conservait sa compétence pour un an à compter du 1er juin 2018. Le 24 mai 2019, le plaignant a déposé l’avis de requête de mai 2019, dans lequel il demandait l’aide du Tribunal pour la mise en œuvre et la quantification des réparations. Dans cet avis de requête, le plaignant a énuméré les réparations qu’il cherchait à obtenir et a inscrit à la fin de la liste, plus précisément à l’alinéa 1g), [traduction] « tout autre motif de réparation invoqué par l’avocat et admis par le Tribunal ». Le plaignant soutient donc que ce type de phrase « fourre-tout » englobe les réparations qu’il demande dans la requête du 7 décembre 2020. Autrement dit, cette requête du 7 décembre 2020 ne serait qu’un simple « suivi » à l’avis de requête de mai 2019, de sorte qu’il pourrait modifier les réparations qu’il avait initialement demandées dans l’avis de requête et en ajouter de nouvelles.

[31] À l’appui de sa prétention selon laquelle il demanderait au Tribunal de terminer son mandat, et non de procéder à une nouvelle instruction, le plaignant invoque des décisions comme Canada (Attorney General) c. La commission canadienne des droits de la personne, 2013 CF 921 [Berberi CF 1], qui selon lui, étayent la thèse selon laquelle le Tribunal peut, à tout moment, s’assurer que ses ordonnances de réparation soient mises en œuvre.

[32] Le plaignant soutient également que l’intimé devrait lui offrir un poste de groupe et de niveau équivalents à ceux du poste d’analyste du renseignement PM-04. Il prétend que l’intimé devrait lui envoyer une lettre d’offre pour ce nouveau poste avant qu’il ne soit invité à remplir les formulaires de demande pour obtenir la cote de sécurité requise. Le plaignant estime que l’intimé a manqué aux obligations que lui imposait la décision sur les réparations et que, pour cette raison, il n’a pas demandé la cote de sécurité. Par exemple, il soutient que l’intimé a effectué certains paiements en retard, au détriment de sa cote de solvabilité. Le plaignant craint que cela nuise à ses chances d’obtenir la cote de sécurité requise pour le poste d’analyste du renseignement PM-04.

Intimé

[33] L’intimé soutient que le Tribunal n’a pas compétence pour instruire la requête du plaignant datée du 7 décembre 2020, pour les motifs exposés ci-après.

[34] Premièrement, l’intimé prétend que la requête du plaignant datée du 7 décembre 2020 n’est pas liée à la mise en œuvre de l’ordonnance d’intégration rendue dans le cadre de la décision sur les réparations, ni à des précisions à apporter à cette ordonnance. Il affirme qu’en fait, le plaignant cherche plutôt à obtenir une nouvelle décision ou un réexamen de l’ordonnance, alors qu’il n’y a pas droit.

[35] L’intimé convient que l’avis de requête de mai 2019 a été déposé durant la période d’un an pendant laquelle le Tribunal avait conservé sa compétence, comme il est indiqué au paragraphe 408 de la décision sur les réparations. Cependant, par cet avis, le plaignant demandait au Tribunal de trancher et de quantifier les réparations ordonnées. Il ne contestait pas l’ordonnance d’intégration. En fait, quand il a demandé le contrôle judiciaire de la décision sur les réparations, il n’avait pas officiellement contesté l’ordonnance d’intégration. L’intimé soutient que cette ordonnance aurait dû être contestée à ce moment-là, et que la Cour fédérale l’a confirmée à maintes reprises depuis.

[36] Deuxièmement, l’intimé soutient que les décisions invoquées par le plaignant dans le cadre de sa requête du 7 décembre 2020 se distinguent de la présente espèce. Par exemple, dans l’affaire Berberi CF 1, l’entente conclue en vue d’intégrer Mme Berberi à un poste ne faisait pas partie de l’ordonnance du Tribunal. L’espèce est différente puisque l’ordonnance rendue par le Tribunal en vue d’intégrer M. Hughes à un poste était claire et explicite.

[37] Troisièmement, l’intimé affirme s’être conformé à l’ordonnance de réintégration autant qu’il le pouvait. Le plaignant doit obtenir la cote de sécurité requise pour pouvoir être intégré au poste d’analyste du renseignement PM-04. La Cour fédérale a aussi confirmé que l’obtention ou non de la cote de sécurité nécessaire pour le poste restait une « question purement hypothétique » (Hughes c. Canada (Transports), 2020 CF 843 (CanLII), aux par. 13–18; et Hughes c. Canada (Commission des droits de la personne), 2020 CF 986 (CanLII), aux par. 78–98). Par conséquent, le plaignant ne peut pas sauter cette étape s’il souhaite être intégré au poste.

V. Question en litige

[38] La question à trancher en l’espèce est celle de savoir si le Tribunal a compétence pour examiner la requête du plaignant datée du 7 décembre 2020, ou s’il est functus officio et ne peut par conséquent examiner les questions soulevées dans la requête.

VI. Analyse et motifs

Functus Officio

[39] L’expression latine « functus officio », suivant le Black’s Law Dictionary,, se définit comme suit :

[traduction]

[Locution latine signifiant « s’étant acquitté de sa fonction »] (se dit d’un agent ou d’un organisme officiel) qui n’a plus d’autorité ou de compétence juridique parce qu’il s’est pleinement acquitté de ses fonctions. La forme abrégée « functus » est parfois utilisée, comme dans « la cour était functus ».

(Bryan A Gardner, éd., Black’s Law Dictionary, 11e éd. (Thomson Reuters, 2019).

[40] Au Canada, l’arrêt de principe sur la doctrine du functus officio applicable aux tribunaux administratifs est l’arrêt de la Cour suprême du Canada Chandler c. Alberta Association of Architects, 1989 CanLII 41 (CSC), [1989] 2 RCS 848 [Chandler], qui portait sur une décision rendue par l’une des commissions administratives régissant les architectes de l’Alberta. En résumé, il a été établi que la commission avait prononcé à l’encontre d’architectes des ordonnances qui ne relevaient pas de sa compétence et que, par ailleurs, elle n’avait pas statué sur les questions dont elle était saisie conformément à sa loi habilitante. La question consistait à savoir si la commission pouvait revenir sur une question après avoir rendu sa décision ou si elle n’avait pas la compétence pour le faire.

[41] La Cour suprême a conclu que le principe du functus officio s’appliquait aussi bien aux tribunaux administratifs qu’aux cours de justice et a précisé qu’un tribunal administratif ne pouvait pas revenir sur une décision définitive qu’il avait rendue simplement parce qu’il avait changé d’avis, parce qu’il avait commis une erreur dans le cadre de sa compétence ou parce que les circonstances avaient changé (Chandler, p. 861). Le principe du functus officio a aussi été confirmé dans des décisions subséquentes (Stanley v. Office of the Independent Police Review Director, 2020 ONCA 252 (CanLII), p. 46; Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 (CanLII), aux par. 113–117). Dans l’arrêt Chandler, la Cour a aussi expliqué qu’un tribunal devrait pouvoir compléter « la tâche que lui confie la loi » s’il ne l’a pas fait (Chandler, p. 862); par exemple, s’il a omis de trancher une question qui avait été soulevée à bon droit dans les procédures et qu’il a le pouvoir de trancher en vertu de sa loi habilitante. Selon la Cour, les circonstances de l’arrêt Chandler revenaient à dire que la commission n’avait pas statué sur la question dont elle était saisie « conformément à sa loi habilitante » (Chandler, p. 862).

[42] La Cour a toutefois déclaré que le principe du functus officio s’applique dès que le tribunal administratif statue définitivement sur une question dont il est saisi conformément à sa loi habilitante et qu’il ne peut modifier sa décision ou revenir sur elle que dans les circonstances suivantes :

  • a) sa loi habilitante le lui permet;

  • b) on a commis un lapsus ou une erreur en rédigeant la décision;

  • c) s’il y a eu une erreur dans l’expression de l’intention manifeste du tribunal. (Chandler, p. 861.)

Décisions invoquées par le plaignant

[43] Le plaignant invoque plusieurs décisions pour étayer sa thèse selon laquelle le Tribunal a compétence pour instruire la présente requête. La prochaine section traite des affaires pertinentes aux fins de la présente décision.

  • A) Berberi

[44] Dans la décision Berberi c. Canada (Procureur général), 2009 TCDP 21 (CanLII) [Berberi TCDP 1], l’intimée (la GRC) avait admis sa responsabilité relativement à l’acte discriminatoire fondé sur le motif illicite de la déficience et avait offert un emploi à la plaignante, Mme Berberi, à condition qu’elle obtienne une cote de sécurité « Très secret ». Cette dernière a accepté. L’audience portait uniquement sur la question des réparations qu’il convenait d’accorder, et le Tribunal a ordonné des mesures de réparation bien précises. Cependant, le Tribunal n’a pas rendu d’ordonnance relativement à l’entente de travail puisque les parties ont convenu qu’il était inutile que le Tribunal rende une telle ordonnance (Berberi CF 1, au par. 33).

[45] La GRC n’a pas respecté l’entente de travail. Mme Berberi a demandé un contrôle judiciaire à la Cour fédérale, qui a rejeté sa demande au motif que le Tribunal s’était acquitté de ses responsabilités dès qu’il avait statué sur les questions de l’indemnisation (Berberi c. Tribunal canadien des droits de la personne, 2011 CF 485 (CanLII), au par. 64, 65 [Berberi CF 2]). La Cour fédérale a déclaré que Mme Berberi pouvait solliciter une ordonnance du Tribunal « en ce qui concernait la mise en œuvre de ces réparations » (Berberi CF 2, au par. 65).

[46] Mme Berberi est retournée devant le Tribunal pour solliciter cette ordonnance et d’autres mesures de réparation (Berberi c. Procureur général du Canada, 2011 TCDP 23 (CanLII), aux par. 9 et 10 [Berberi TCDP 2]). L’intimé et la Commission ont fait valoir que le Tribunal était functus officio puisqu’il avait déjà rendu une ordonnance définitive. Cependant, ils ont tous les deux convenu que l’offre d’emploi de la GRC faisait partie de la décision du Tribunal.

[47] Vu les circonstances uniques, le Tribunal a décidé qu’il avait compétence « pour rouvrir l’affaire afin de traiter des questions liées à l’application de l’offre de réparation » (Berberi TCDP 2, par. 23). Dans le cadre du contrôle judiciaire, la Cour fédérale a abondé dans le même sens et a déclaré qu’il s’agissait d’une « situation unique » (Berberi CF 1, au par. 44).

[48] Bien que la Cour fédérale ait conclu que la situation observée dans la décision Berberi ne relevait pas d’une des exceptions à la doctrine du functus officio, elle a rappelé aux parties que, dans l’arrêt Chandler, la Cour suprême du Canada avait demandé aux tribunaux administratifs d’appliquer la doctrine avec souplesse (Berberi CF 1, au par. 43). La Cour fédérale a conclu que, dans la décision Berberi TCDP 1, le Tribunal avait omis de rendre l’entente conclue par les parties [l’offre d’emploi de la GRC et l’acceptation de celle-ci par Mme Berberi] exécutoire, même si la décision « se fond[ait] manifestement » sur cette entente (Berberi CF 1, au par. 44). La Cour fédérale a conclu qu’il s’agissait d’une situation dans laquelle il était raisonnable de rouvrir l’affaire (Berberi CF 1, au par. 44).

[49] Le plaignant s’appuie largement sur la décision rendue par la Cour fédérale dans l’affaire Berberi CF 1. Cependant, à plusieurs égards importants, la situation de l’espèce se distingue de celle observée dans l’affaire Berberi. Tout d’abord, dans l’affaire Berberi, le Tribunal n’avait pas intégré à son ordonnance une entente de travail fondamentale et incontestée intervenue entre les parties. Par conséquent, Mme Berberi n’avait pas pu faire respecter l’offre d’emploi qu’elle avait acceptée, ce qui était contraire à l’objet réparateur de la Loi. En d’autres termes, le Tribunal avait privé la victime de l’acte discriminatoire de la possibilité de faire appliquer la réparation (Berberi CF 1, au par. 44).

[50] En revanche, en l’espèce, il ne manque rien de fondamental qui puisse rendre l’ordonnance du Tribunal inexécutoire, car la décision sur les réparations comprend une ordonnance d’intégration à un poste en particulier, sous réserve de certaines conditions, notamment l’obtention de la cote de sécurité requise pour le poste (décision sur les réparations, au par. 272, et partie XVI, au par. 1). En demandant au Tribunal d’ordonner à l’intimé de l’intégrer à un autre poste que celui qui avait été précisé dans la décision sur les réparations, le plaignant demande en fait au Tribunal de modifier son ordonnance d’intégration.

[51] Dans l’affaire Berberi, la plaignante ne demandait pas au Tribunal de modifier l’ordonnance sur les réparations, mais lui demandait plutôt l’occasion de plaider en faveur de la « mise en œuvre efficace d’une partie de la décision sur les réparations » (Berberi CF 1, au par. 14). Toujours dans l’affaire Berberi, le fait de rouvrir la question de l’offre d’emploi ne créait aucune nouvelle obligation; il s’agissait plutôt d’amener la défenderesse à tenir sa promesse initiale (Berberi CF 1, au par. 44). C’est le fait que le Tribunal ait fondé sa décision sur une entente conclue par les parties, mais qu’il ait omis de rendre l’entente exécutoire en l’intégrant dans son ordonnance, qui lui a permis de conserver sa compétence sur l’affaire.

  • B) McKinnon

[52] Le plaignant cite l’affaire McKinnon de l’Ontario pour étayer sa thèse selon laquelle le Tribunal a compétence pour instruire la présente requête. En bref, dans la décision McKinnon, la Commission d’enquête de l’Ontario, le prédécesseur du Tribunal des droits de la personne de l’Ontario, avait conclu que les personnes physiques défenderesses et le ministère défendeur avaient fait preuve de discrimination à l’égard de M. McKinnon, notamment parce que le ministère avait laissé régner un climat de travail [traduction] « empoisonné » par le racisme et la discrimination systémiques (McKinnon v. Ontario (Ministry of Correctional Services) (No.3), 1998 CanLII 29849 (Tribunal des droits de la personne de l’Ontario), au par. 349 [McKinnon 1]). La Commission d’enquête a rendu au total 12 ordonnances, compensatoires et autres. Dans la 12e ordonnance, la Commission d’enquête a ordonné au ministère défendeur d’offrir à son personnel une formation sur les droits de la personne dans les six mois suivant la décision et de prendre d’autres mesures pour remédier au milieu de travail discriminatoire (McKinnon 1, au par. 353, no 12).

[53] La Commission d’enquête de l’Ontario a conservé sa compétence :

[traduction]

Jusqu’à ce que les ordonnances aient été pleinement respectées, je conserve la compétence afin de pouvoir examiner et trancher tout litige pouvant survenir à l’égard de la mise en œuvre de quelconque aspect de celles-ci […]. (McKinnon, au par. 354)

[54] M. McKinnon a par la suite renvoyé la plainte à la Commission d’enquête de l’Ontario au motif qu’il faisait toujours l’objet de harcèlement, qu’il subissait des représailles et que le climat de travail était toujours empreint de racisme (McKinnon v. Ontario (Ministry of Correctional Services) (No. 4), 1999 CanLII 35204 (Tribunal des droits de la personne de l’Ontario), au par. 3 [McKinnon 2]). Dans cette autre décision, le même arbitre a tenu une audience complète et a affirmé que l’un des principaux objectifs de l’ordonnance visant à offrir au personnel une formation sur les droits de la personne consistait à enrayer le racisme systémique et à remédier au climat de travail empoisonné (McKinnon 2, par. 21). Il a confirmé qu’il conservait sa compétence et qu’il demeurait saisi de l’affaire jusqu’à ce que toutes les ordonnances aient été pleinement respectées (McKinnon 2, au par. 2; McKinnon 1, au par. 354).

[55] Les faits de l’affaire McKinnon sont sensiblement différents des faits de l’espèce. Dans la décision McKinnon 1, la Commission d’enquête de l’Ontario avait réservé sa compétence de manière indéfinie, tant sur le plan de la durée — il n’y avait aucune limite de temps — que sur le plan du libellé. Elle avait conservé sa compétence jusqu’à ce que toutes les ordonnances aient été pleinement respectées. Contrairement à cette affaire, il est indiqué, au paragraphe 408 de la décision sur les réparations en l’espèce, que le Tribunal conservera sa compétence pour une période d’un an à compter du 1er juin 2018; et, comme je l’ai déjà mentionné, l’ordonnance d’intégration est précise et explicite. Il a été ordonné à l’intimé d’intégrer le plaignant, sous réserve de la cote de sécurité requise et à la première occasion raisonnable, au poste d’analyste du renseignement au groupe et au niveau PM‑04.

  • A) Grover

[56] Le plaignant renvoie aux décisions rendues par le Tribunal dans l’affaire Grover pour étayer sa thèse selon laquelle le Tribunal a compétence pour instruire la présente requête. Plusieurs décisions ont découlé de la plainte déposée dans l’affaire Grover. En résumé, le Tribunal a conclu que le plaignant, M. Grover, avait été victime de discrimination et a déclaré qu’une possibilité d’avancement — un poste de chef de section ou d’équipe — devait lui être offerte à la première occasion raisonnable. Plus précisément, le Tribunal a ordonné que « [p]our le cas où l’intimé opposerait une résistance à la présente ordonnance quant à l’avancement, le [T]ribunal réserve sa compétence afin d’entendre d’autres témoins sur cette question » (Grover c. Conseil national de recherches Canada, 1992 CanLII 629 (TCDP), à la page 56, alinéa d) [Grover 1]). L’intimé a fini par nommer M. Grover à un poste de « chef de groupe », mais M. Grover estimait que ce poste ne respectait pas l’ordonnance quant à l’avancement. Comme les parties n’avaient pas réussi à résoudre les questions qui demeuraient en suspens au sujet de l’ordonnance relative à l’avancement, elles ont consenti à ce que le Tribunal entende des témoignages quant à ce qui s’était passé après le prononcé de cette ordonnance.

[57] À l’audience, l’intimé a fait valoir que le Tribunal était functus officio et que, par conséquent, il ne pouvait pas revenir sur l’ordonnance relative à l’avancement puisque l’intimé avait respecté cette ordonnance en nommant M. Grover à un poste de « chef de groupe » (Grover c. Canada (Conseil national de recherches), 1994 CanLII 189 (TCDP), p. 7 [Grover 2]). Pour plusieurs raisons, le Tribunal a décidé qu’il avait compétence pour entendre d’autres témoignages sur le caractère approprié du poste de « chef de groupe ». Premièrement, les circonstances commandaient au Tribunal de donner d’autres éclaircissements sur la question de savoir ce qu’était un poste approprié pour M. Grover (Grover 2, aux pages 24 et 25). Par exemple, des changements importants étaient apportés à l’infrastructure de l’intimé et bon nombre des titres de postes ne reflétaient pas leurs véritables responsabilités. Deuxièmement, le Tribunal a noté qu’on ne lui demandait pas de modifier sa décision ni de mettre en œuvre une mesure de réparation différente (Grover 2, aux pages 12 et 13).

[58] J’estime que les faits de l’affaire Grover se distinguent nettement des faits de la présente affaire. Dans Grover, le maintien de la compétence n’était pas limité dans le temps (Grover 1, à la page 66, alinéa d)). Il était également indiqué, dans l’ordonnance relative à l’avancement, que l’intimé devait promouvoir M. Grover à un « poste approprié », ce qui pouvait donner lieu à d’autres interprétations et nécessitait des éclaircissements de la part du Tribunal quant à ce qu’était un poste « approprié ». En l’espèce, comme je l’ai déjà expliqué, l’ordonnance d’intégration à un poste prononcée dans le cadre de la décision sur les réparations prévoyait non seulement que le Tribunal conserve sa compétence pour une période d’un an — contrairement à la décision Grover 1 où il la conservait pour une période indéfinie — mais elle précisait également le poste auquel l’intimé devait intégrer le plaignant, ainsi que les conditions nécessaires à cette intégration. L’ordonnance d’intégration n’était pas rédigée en des termes généraux qui laissaient place à d’autres interprétations ou nécessitent des éclaircissements.

Le Tribunal est functus officio

[59] À la simple lecture du paragraphe 408 de la décision sur les réparations, il est clair que le délai d’un an dont disposait le plaignant pour demander l’aide du Tribunal dans la mise en œuvre et la quantification des réparations ordonnées était écoulé au moment où il a déposé la présente requête.

[60] Comme je l’ai déjà mentionné, le plaignant soutient que la phrase figurant à l’alinéa 1g) de l’avis de requête de mai 2019 a pour effet de proroger ce délai d’un an. Cependant, l’inclusion de cette phrase ne confère pas au plaignant la possibilité d’ajouter indéfiniment des requêtes. Le fait que le plaignant ait ajouté [traduction] « tout autre motif de réparation invoqué par l’avocat et admis par le Tribunal » à la liste des mesures de réparation demandées dans son avis de requête de mai 2019 ne lui donne pas le droit de proroger unilatéralement le délai énoncé au paragraphe 408 de la décision sur les réparations. Par ailleurs, l’inclusion de cette phrase dans ses observations ne lui a pas implicitement accordé une prorogation de délai. En d’autres termes, le plaignant ne peut pas utiliser cette phrase générale pour soulever de nouvelles questions après l’expiration du délai d’un an. Un tel procédé va non seulement à l’encontre de l’intérêt que présente le caractère définitif des décisions, mais néglige également le fait que les parties n’ont pas le pouvoir de proroger ni de modifier la période pendant laquelle le Tribunal conserve sa compétence.

[61] Le Tribunal a conservé sa compétence pour surveiller la mise en œuvre des réparations pendant un an. L’ordonnance d’intégration était définitive et sans appel. Les parties doivent pouvoir compter sur le caractère définitif des décisions. Si les cours de justice et les tribunaux pouvaient continuellement revenir sur leurs décisions et les modifier, l’administration de la justice en serait desservie, et les parties en subiraient des iniquités sur le plan procédural. Si une partie est insatisfaite d’une décision rendue par le Tribunal, elle peut présenter une demande de contrôle judiciaire à la Cour fédérale.

[62] Ce n’est que dans des situations bien précises qu’une cour de justice ou un tribunal a le pouvoir de réviser ou de modifier une ordonnance ou une décision. Les exceptions à la doctrine du functus officio ne s’appliquent pas en l’espèce. L’ordonnance d’intégration énonçait avec précision et exactitude l’intention manifeste du Tribunal; il n’y a aucune erreur d’écriture ou matérielle, ni aucun lapsus. Et la loi habilitante du Tribunal ne lui confère pas non plus le droit de revenir sur ses décisions. Le Tribunal n’a pas davantage une compétence inhérente pour modifier ou réviser sa décision une fois qu’elle est rendue en définitive. De plus, comme je l’ai déjà expliqué, les affaires sur lesquelles se fonde le plaignant mettaient en cause des faits particuliers nettement différents de ceux de l’espèce.

[63] Le Tribunal s’est acquitté du mandat que lui prescrit la loi — il a accompli sa tâche en rendant l’ordonnance d’intégration —, et il ne lui reste plus rien à faire pour réaliser l’objet de l’ordonnance. Dans les circonstances, le Tribunal n’a pas le pouvoir de réviser ou de modifier sa décision définitive en ce qui concerne l’ordonnance d’intégration.

Conclusion

[64] Le Tribunal est functus officio en ce qui concerne la requête du plaignant datée du 7 décembre 2020, et, par conséquent, il n’a pas compétence pour la trancher.

VII. Ordonnance

[65] Pour les motifs qui précèdent, le Tribunal rejette la requête du plaignant datée du 7 décembre 2020.

Signée par

Olga Luftig

Membre du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 28 septembre 2021

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T165601111

Intitulé de la cause : Chris Hughes c. Transports Canada

Date de la décision du tribunal : Le 28 septembre 2021

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par :

Chris Hughes , pour lui même

Malcolm Palmer , pour l'intimé

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