Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2020 TCDP 30

Date : le 2 octobre 2020

Numéro du dossier : T2207/2917

 

Entre :

Cecilia Constantinescu

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Service correctionnel Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I. Contexte de la décision

[1] Cette décision du Tribunal canadien des droits de la personne (Tribunal) concerne le caviardage des notes manuscrites de deux enquêteurs, Mme Josée Brunelle et M. Sandro Bartucci, en lien avec une enquête disciplinaire visant Reno Ouellet.

[2] Plus particulièrement, cette décision concerne une partie manquante des notes de Mme Brunelle. À cet effet, et à des fins de bonne compréhension, il suffit de préciser que le Tribunal a déjà rendu une première décision concernant le caviardage des notes de ces deux enquêteurs. La décision a été rendue le 16 avril 2020 (voir Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 8 (ci-après décision 2020 TCDP 8)).

[3] Dans un souci de concision et de célérité, il n’est pas nécessaire, à cette étape-ci, de répéter l’historique de cette première décision du 16 avril 2020. Le Tribunal invite les lecteurs à consulter deux décisions, soit Constantinescu c. Service correctionnel Canada, 2020 TCDP 4 et la décision 2020 TCDP 8, afin de comprendre les motifs du Tribunal entourant le caviardage des notes manuscrites de M. Bartucci et de Mme Brunelle.

[4] Cela dit, après la distribution de la décision du Tribunal du 16 avril 2020 (2020 TCDP 8), l’intimé a informé le Tribunal et les autres parties, le 7 mai 2020, que les notes de Mme Brunelle qui avaient été acheminées au Tribunal afin qu’il rende sa décision étaient incomplètes.

[5] Autrement dit, lorsque le Tribunal a rendu sa décision du 16 avril 2020, des notes de Mme Brunelle étaient alors manquantes. Les avocats de l’intimé ont soulevé l’irrégularité au moment de sa découverte. À la suite d’une téléconférence avec les parties afin où la situation a été abordée, force fut de constater que la décision 2020 TCDP 8 ne prenait pas en considération l’entièreté des notes de Mme Brunelle.

[6] Ainsi, le Tribunal doit donc se pencher sur le caviardage de la partie manquante des notes de Mme Brunelle, puisque le Tribunal n’avait pas accès à cette partie lorsqu’il a rendu sa décision 2020 TCDP 8.

[7] La partie manquante des notes de Mme Brunelle a pu être acheminée au Tribunal au début du mois d’août 2020, lorsque les avocats de l’intimé ont eu l’occasion de se déplacer à leur bureau, ce qui était impossible avant ce moment en raison des restrictions entourant la crise sanitaire de la COVID-19. L’intimé a fait parvenir, comme ordonné, deux versions de la partie manquante des notes de Mme Brunelle : une caviardée et l’autre, non caviardée.

[8] Maintenant que j’ai la partie manquante des notes de Mme Brunelle, je peux trancher la question du caviardage. Pour les motifs qui suivent, j’ordonne que certains éléments spécifiques soient divulgués.

II. Le droit

[9] Très rapidement, je rependrai les mêmes principes en matière de divulgation que j’ai déjà énoncés dans la décision 2020 TCDP 8, au paragraphe 8.

[10] Les principes en matière de divulgation ont été résumés dans Malenfant c. Vidéotron s.e.n.c., 2017 TCDP 11, aux paras. 25 à 29 et 36 :

[25] Chaque partie a le droit à une audition pleine et entière. À cet effet, la LCDP prévoit au para. 50(1) que :

50(1) Le membre instructeur, après avis conforme à la Commission, aux parties et, à son appréciation, à tout intéressé, instruit la plainte pour laquelle il a été désigné; il donne à ceux-ci la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat, des éléments de preuve ainsi que leurs observations. [Le Tribunal souligne]

[26] Ce droit inclut la divulgation des éléments pertinents dont les autres parties ont en leur possession ou sous leur contrôle (Guay c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 34, para. 40). Les Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (les Règles) prescrivent à la règle 6(1) et plus précisément aux paras. (d) et (e) que :

6(1) Chaque partie doit signifier et déposer dans le délai fixé par le membre instructeur un exposé des précisions indiquant :

[...]

d) les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels aucun privilège de non-divulgation n’est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

e) les divers documents qu’elle a en sa possession – pour lesquels un privilège de non-divulgation est invoqué – et qui sont pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée en l’occurrence, y compris les faits, les questions et les formes de redressement mentionnés par d’autres parties en vertu de cette règle;

[...]

[Le Tribunal souligne]

[27] En matière de divulgation, le Tribunal a déjà statué à plusieurs reprises que le principe directeur est celui de la pertinence probable ou possible (Bushey c. Sharma, 2003 TCDP 5 et Hughes c. Transport Canada, 2012 TCDP 26. Voir subsidiairement Guay, précitée; Day c. Ministère de la défense nationale et Hortie, 2002 CanLII 61833 ; Warman c. Bahr, 2006 TDCP 18; Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18). Le Tribunal rappelle que les parties ont l’obligation de divulguer les documents potentiellement pertinents qu’elles ont en leur possession (Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42, para. 17).

[28] Afin de démontrer que des documents ou informations sont pertinents, le requérant doit démontrer l’existence d’un lien rationnel entre ceux-ci et les questions soulevés en l’occurrence (Warman, précitée, para. 6. Voir notamment Guay, précitée, para. 42; Hughes, précitée, para. 28; Seeley, précitée, para. 6). La pertinence s’évalue au cas par cas, en tenant compte des questions soulevées dans chaque situation (Warman, précitée, para. 9. Voir aussi Seeley, précitée, para. 6). Le Tribunal rappelle que le seuil de la pertinence potentielle est peu élevé et la tendance actuelle se veut à plus de divulgation que moins (Warman, précitée, para. 6. Voir également Rai c. Gendarmerie Royale du Canada, 2013 TCDP 36 para. 18). Bien entendu, la divulgation ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une partie de pêche (Guay, précitée, para. 43).

[29] Le Tribunal rappelle que le stade de la production des documents est différent du stade de leur admissibilité en preuve à l’audition. Par le fait même, la pertinence est une notion distincte. Comme l’indique le Membre Michel Doucet, dans la décision Association des employé(e)s des télécommunications du Manitoba Inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28 (ci-après AETM), au para. 4 :

[4] ...La production de documents est assujettie au critère de la pertinence potentielle, qui n'est pas un critère très exigeant. Il doit y avoir une certaine pertinence entre le document ou les renseignements demandés et la question en litige. Il ne fait aucun doute qu'il est dans l'intérêt public de veiller à ce que tous les éléments de preuve pertinents soient disponibles dans le cadre d'une affaire comme celle en l'espèce. Une partie a le droit d'obtenir les renseignements ou les documents qui sont pertinents quant à l'affaire ou qui pourraient l'être. Cela ne veut pas dire que ces documents ou renseignements seront admis en preuve ou qu'on leur accordera une importance significative.

[…]

[36] Finalement, je rappelle aux parties que l’obligation de divulguer les documents concerne les documents qu’elles ont en leur possession. Conséquemment, l’obligation ne s’étend pas à la création de documents à des fins de divulgation (Gaucher, précité, para. 17). […]

III. Analyse

[11] L’intimé a divulgué aux parties sa pièce 91, qui est constituée des notes manuscrites de deux enquêteurs, Mme Josée Brunelle et M. Sandro Bartucci. Certains passages des notes ont été caviardés par l’intimé. La plaignante avait demandé que la pièce lui soit divulguée sans le caviardage.

[12] Comme rappelé précédemment, le Tribunal a déjà abordé cette question du caviardage des notes manuscrites dans deux décisions (2020 TCDP 4 et 2020 TCDP 8). Comme les notes de Mme Brunelle étaient incomplètes, le Tribunal doit maintenant les consulter et déterminer si certains éléments de ces notes, et qui ont été caviardés, doivent être divulgués.

[13] Le critère qui doit être appliqué en matière de divulgation au Tribunal est celui de la pertinence potentielle. Le Tribunal doit déterminer si les éléments qui ont été caviardés par l’intimé sont potentiellement pertinents au litige, autrement dit, s’ils sont potentiellement pertinents à un fait, une question de droit, ou un redressement (voir règle 6(1)(d) Règles).

A. Pages 1 à 33

[14] Les pages 1 à 33 des notes manuscrites de Mme Brunelle ont été entièrement caviardées par l’intimé. Comme je suis en mesure de consulter la version non caviardée transmise par l’intimé, il m’est ainsi possible de déterminer si les éléments contenus dans lesdites notes ont un lien avec la plainte de Mme Constantinescu, et si elles sont donc potentiellement pertinentes à un fait, une question de droit ou un redressement.

(i) Pages 1 à 8

[15] Après avoir consulté les éléments contenus dans lesdites notes aux pages 1 à 8, je considère effectivement qu’ils n’ont aucun lien avec la plainte dont le Tribunal est saisi, et ne sont donc pas potentiellement pertinents au litige. Ce faisant, le caviardage est maintenu.

(ii) Pages 9 à 14

[16] Les pages 9 à 14 concernent une entrevue avec un individu qui n’est pas impliqué dans la plainte devant le Tribunal. Les notes n’ont aucune pertinence potentielle et n’ont aucun lien avec la plainte dont le Tribunal est saisi. Le caviardage de ces pages est donc maintenu.

(iii) Pages 15 à 17

[17] Les pages 15 à 17 contiennent les notes de Mme Brunelle lors d’une entrevue avec un individu qui n’est pas impliqué dans la plainte étudiée par le Tribunal. Les éléments contenus dans ces notes ne sont pas potentiellement pertinents au litige et n’ont pas de lien avec la plainte dont le Tribunal est saisi. Le caviardage est maintenu.

(iv) Pages 18 à 22

[18] Les pages 18 à 22 contiennent les notes que Mme Brunelle a prises lors d’une entrevue avec un autre individu qui n’est pas impliqué dans la plainte de Mme Constantinescu. Les éléments qui ont été caviardés n’ont aucun lien avec la plainte et ne sont pas potentiellement pertinents à un fait, une question de droit ou un redressement. Conséquemment, le caviardage est maintenu.

(v) Pages 23 à 29

[19] Encore une fois, les pages 23 à 29 concernent une deuxième entrevue avec un individu qui n’est pas impliqué dans la plainte devant le Tribunal. Les éléments caviardés n’ont aucun lien avec la plainte et ne sont donc pas potentiellement pertinents au litige. Ainsi, le caviardage est maintenu.

(vi) Pages 30 à 33

[20] Les pages 30 à 33 concernent une entrevue avec un autre individu qui n’est pas impliqué dans la plainte dont le Tribunal est saisi. Les notes n’ont aucun lien avec la plainte de la plaignante et elles n’ont donc aucune pertinence potentielle pour le litige. Le caviardage est donc maintenu.

B. Pages 34 à 41

[21] Les pages 34 à 41 des notes de Mme Brunelle ont été partiellement caviardées par l’intimé. Je peux maintenant déterminer si les passages caviardés sont potentiellement pertinents au litige.

(i) Pages 34 et 35 – Daniel Parent

[22] Les pages 34 et 35 contiennent les notes prises par Mme Brunelle lors d’une entrevue faite avec M. Daniel Parent.

[23] À la page 34, l’intimé a caviardé la quasi-entièreté de la page, incluant le titre, à l’exception d’une toute petite section au centre de la page.

[24] Je suis d’accord avec le caviardage de l’intimé, en ce sens que les éléments qui sont contenus à la page 34, outre ce qui n’a pas été caviardé, ne sont pas potentiellement pertinents au litige.

[25] Le titre, au haut de la page 35, a également été caviardé.

[26] Cela dit, les titres des pages 34 et 35 sont, en eux-mêmes, pertinents, en ce qu’ils permettent au lecteur d’avoir un contexte, de mettre en perspective les autres éléments qui n’ont pas été caviardés dans les notes.

[27] Ainsi, j’ordonne à l’intimé la divulgation du titre, à la page 34 et 35, respectivement :

« Daniel Parent (2) 14.11.14 » (page 34)

« Parent » (page 35)

[28] À la page 35, l’intimé a divulgué la majorité des notes concernant M. Parent. Après avoir révisé les autres éléments caviardés, je conclus qu’effectivement, ceux-ci ne sont pas potentiellement pertinents au litige.

(ii) Pages 36 à 41 – Reno Ouellet

[29] Les pages 36 à 41 contiennent les notes manuscrites de Mme Brunelle prises lors d’une entrevue avec M. Reno Ouellet.

[30] Après avoir consulté l’entièreté des notes non caviardées de Mme Brunelle, je considère que tous les éléments qui ont été caviardés par l’intimé ne sont pas potentiellement pertinents au litige et n’ont pas de lien avec la plainte de Mme Constantinescu. En conséquence, le caviardage est maintenu.

IV. Décision

[31] Pour les motifs précédents, j’accorde partiellement la demande de la plaignante et j’ordonne à l’intimé de divulguer certains éléments de la pièce 91.

[32] Plus précisément, je lui ordonne de se conformer à l’ordonnance en retirant le caviardage des portions décrites au paragraphe 27 de la présente décision.

[33] J’ordonne que l’intimé transmette aux autres parties les documents modifiés au plus tard le 16 octobre 2020.

 

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 2 octobre 2020

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2207/2917

Intitulé de la cause : Cecilia Constantinescu c. Service correctionnel Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 2 octobre 2020

 

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Cecilia Constantinescu, pour elle même

Paul Deschênes et Nadia Hudon, pour l'intimé

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