Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Titre : Tribunal's coat of arms - Description : Tribunal's coat of arms

Canadian Human
Rights Tribunal

 

Référence : 2017 TCDP 32

Date : le 19 octobre 2017

Numéro du dossier : T1981/6113  

 

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Arthur Lee Keith

le plaignant

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Forces armées canadiennes

l'intimée

Décision

Membre instructeur : Ronald Sydney Williams

 



I.  La plainte

[1]  La plainte est déposée à l’encontre des Forces armées canadiennes (les FAC ou l’intimée) au motif que c’est une pratique discriminatoire de la part des FAC que d’appliquer une politique selon laquelle les psychiatres employés par les FAC doivent être des spécialistes agréés par le Collège royal des médecins et chirurgiens du Canada (le CRMCC). S’appuyant sur l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6. (la Loi ou la LCDP), le plaignant, le Dr Arthur Keith, a formulé une allégation selon laquelle il aurait été victime de discrimination fondée sur son origine nationale.

[2]  Le plaignant, un médecin né aux États‑Unis, a reçu toute sa formation en médecine et sa formation spécialisée en psychiatrie aux États‑Unis d’Amérique (É.‑U.).

[3]  Le plaignant affirme que cette politique d’embauche des FAC empêche la candidature de spécialistes pleinement qualifiés d’origine étrangère d’être prise en considération et le met en situation de victime d’exclusion discriminatoire de concours ouvrant droit à des possibilités d’emploi, situation préjudiciable en ce qui le concerne.

[4]  L’intimée estime qu’en adoptant la norme du CRMCC, les FAC s’assurent que ses psychiatres répondent à une norme de compétence en psychiatrie reconnue dans tout le pays et que cette norme constitue donc une exigence professionnelle justifiée. Elle nie que cette exigence soit discriminatoire.

[5]  Le plaignant fait valoir que les FAC ont adopté une norme d’embauche (titre d’associé du CRMCC) qui entraîne une discrimination au sens de la LCDP.

[6]  En cas d’absence de preuve prima facie de discrimination directe ou par suite d’un effet préjudiciable de la part de l’employeur régi par le gouvernement fédéral, il ne sera pas nécessaire d’examiner l’affaire plus avant [1] . 

II.  Les faits

[7]  Le plaignant, le Dr Arthur Keith, est un citoyen américain ayant reçu sa formation en médecine aux É.‑U., d’abord comme praticien général et ensuite comme psychiatre qualifié aux É.‑U., après avoir terminé son programme de résidence en 1983 [2] .

[8]  Le Dr Keith, né en 1950, a eu une carrière impressionnante dans l’armée américaine en servant comme membre des U.S. Army Special Forces. Ensuite, il a fréquenté l’école de médecine grâce à la bourse d’études en médecine qu’il a reçue de l’U.S. Air Force (l’USAF).

[9]  Il a été médecin au sein de l’USAF dans diverses organisations de 1979 à 1986, après avoir terminé sa résidence en psychiatrie en 1983. Il a obtenu volontairement l’accréditation de spécialiste en psychiatrie en 1987 auprès de l’American Board of Psychiatry and Neurology (l’ABPN) [3] .

[10]  Pendant qu’il résidait aux É.‑U., en 1989, le Dr Keith a demandé d’être reconnu au Canada comme spécialiste en psychiatrie auprès du CRMCC.

[11]  Au moment de solliciter cette reconnaissance auprès du CRMCC, il s’était pas encore installé au Canada, pas plus qu’il n’avait postulé un emploi au sein des FAC.

[12]  Après avoir examiné les titres de compétence du plaignant et reconnu la majeure partie de sa formation américaine, le CRMCC a décidé de reconnaître sa spécialité, pourvu que le Dr Keith réussisse à un examen écrit, suive un programme de résidence de six mois en psychiatrie infantile et réussisse à un examen oral en psychiatrie.

[13]  Dans son témoignage, le plaignant a affirmé que les processus d’accréditation de l’ABPN et du CRMCC étaient semblables, consistant en un examen écrit et un examen oral [traduction] « pratiquement identiques, ne comportant aucune différence notable ».

[14]  En 1990, le Dr Keith a passé l’examen écrit du CRMCC, mais sans succès. Il a réussi à cet examen par la suite, en 1992. Toutefois, il n’a jamais réussi à l’examen oral, qu’il a subi à trois reprises, dont la dernière remonte à 1993. Après la troisième tentative infructueuse, il n’était plus admissible à passer l’examen.

[15]  Pour passer l’examen oral une autre fois, le Dr Keith devait présenter une demande auprès du Comité des titres du CRMCC afin d’être de nouveau admissible aux examens, ce qu’il a refusé de faire.

[16]  Au moment où le Dr Keith a formulé sa plainte, tous les médecins, quelles que soient leur origine nationale ou leur formation, devaient passer les examens normalisés du CRMCC pour obtenir l’accréditation de spécialiste.

[17]  Le Dr Keith, s’étant installé en Ontario en 2004, a présenté une demande de reconnaissance à l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario (l’OMCO), qui délivrait à l’époque un certificat attestant la qualité de spécialiste à ceux qui étaient qualifiés par l’OMCO, mais qui n’avaient pas reçu l’accréditation du CRMCC. Bien que l’attestation de l’OMCO fût reconnue dans bon nombre de provinces, elle n’était pas reconnue uniformément au Canada, contrairement à l’accréditation du CRMCC. En 2007, l’OMCO a reconnu le Dr Keith comme spécialiste en psychiatrie.

[18]  Le statut de spécialiste auprès de l’OMCO n’équivaut pas au titre d’associé du CRMCC. Le registre de l’OMCO fournit des renseignements à propos des médecins de l’Ontario, notamment si le médecin est un spécialiste et l’organisme ayant accrédité la spécialité du médecin.

[19]  Pendant toute la période pertinente, les services de soins de santé pour les FAC (MDN) étaient fournis par Calian Ltd., qui, à titre de tiers indépendant, faisait de la publicité pour recruter des médecins à divers postes et à divers endroits, comme l’exigeaient les FAC.

[20]  Les normes de compétence des candidats embauchés par Calian Ltd. étaient fixées par les FAC.

[21]  Comme l’exigeaient les FAC, Calian Ltd. faisait de la publicité pour attirer des psychiatres aux bases des FAC à Cold Lake, en Alberta, et à Petawawa, en Ontario. L’entreprise indiquait dans sa publicité que l’exigence obligatoire pour occuper un poste était l’accréditation du CRMCC.

[22]  En 2008, malgré le fait qu’il était au courant de l’exigence de l’accréditation du CRMCC, le plaignant s’est porté candidat auprès de Calian Ltd. aux postes de psychiatre dans ces localités et a postulé officiellement au poste de Petawawa.

[23]  Comme Calian Ltd. a été par la suite informée par les FAC que l’accréditation du CRMCC était une exigence pour l’admission aux postes de psychiatre sur les bases des FAC, la demande du plaignant n’a pas été traitée.

[24]  En 2005, l’OMCO a mis en œuvre un processus visant à reconnaître les spécialistes selon une [traduction] « évaluation fondée sur la pratique » (la voie d’évaluation) pour les spécialistes formés à l’étranger et qui ont pratiqué leur spécialité pendant un certain nombre d’années. Cette méthode de reconnaissance des spécialistes en Ontario n’est pas normalisée dans toutes les dix provinces du Canada.

[25]  Bien que le CRMCC ait adopté la voie d’évaluation par la pratique en 2011 comme méthode de rechange à la voie d’examen, ladite voie d’évaluation ne débouchait pas sur l’accréditation du CRMCC lorsque le Dr Keith a postulé; il ne restait que la voie d’examen.

III.  Les observations

[26]  La plainte est fondée sur l’article 7b) de la LCDP, libellé comme suit :

7.  Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

[27]  L’article 3(1) de la LCDP dispose que l’origine nationale ou ethnique constitue un motif de distinction illicite. Comme il est né et a étudié aux É.‑U., le plaignant assimile son lieu de formation à son origine nationale.

[28]  Le Dr Keith affirme avoir été victime de discrimination au sens de la LCDP, au motif que les FAC ont refusé d’évaluer sa candidature aux deux postes de psychiatre à Petawawa et/ou à Cold Lake, en Alberta, parce qu’elles exigent que les candidats soient accrédités par le CRMCC. Cette exigence désavantage les médecins formés à l’étranger où l’éducation est souvent considérée comme une extension de l’origine nationale. Bitonti v. College of Physicians & Surgeons of British Columbia [1999] B.C.H.R.T.D. No. 60 (Bitonti).

[29]  Se fondant sur les décisions où il a été conclu que le lieu d’éducation équivalait au lieu d’origine ou constituait une extension du lieu d’origine, le Dr Keith affirme qu’une preuve prima facie de discrimination a été établie.

[30]  L’intimée se fonde sur l’article 15(1)a) de la LCDP pour justifier que l’accréditation du CRMCC est une exigence professionnelle justifiée des FAC; aux termes de l’article 15(2), répondre aux besoins du Dr Keith constitue une contrainte excessive pour les FAC, puisqu’elles n’ont pas compétence pour déterminer l’équivalence de l’accréditation de l’OMCO avec celle du CRMCC.

[31]  Le plaignant et l’intimée ont invoqué l’arrêt de principe Moore c. Colombie‑Britannique (Éducation), 2012 CSC 61 (Moore) pour établir le critère de discrimination prima facie.

[32]  Au paragraphe 33 de l’arrêt Moore, la Cour suprême a indiqué que, pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par la LCDP et :

[33] […] qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable. Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne. Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination.

[33]  Le plaignant affirme que le fait d’être né aux É.‑U. et d’avoir obtenu son diplôme en médecine et sa spécialisation en psychiatrie aux É.‑U. répond au premier volet du critère pour établir à première vue l’existence de discrimination, se fondant sur l’affaire Bitonti, précitée.

[34]  La thèse de l’intimée selon laquelle le lieu de formation peut être un indicateur du « lieu d’origine » peut être invoquée uniquement dans des cas où des exigences plus sévères en matière d’accréditation ou de permis sont imposées en raison d’hypothèses négatives sur le lieu d’origine de la personne, conformément à la décision Fazil v. National Dental Examining Board of Canada, 2014 TDPO 1326 (Fazil), aux paragraphes 39 et 40.

[35]  Selon l’intimée, la décision Bitonti doit être interprétée en parallèle avec l’arrêt Gould c. Yukon Order of Pioneers, [1996] 1 RCS 571 (Gould). L’interprétation selon laquelle le lieu d’origine inclut le lieu de formation est trop libérale. La Cour a affirmé qu’une telle interprétation large reviendrait à réécrire la Loi.

[36]  Le Dr Keith fait valoir que les médecins formés aux É.‑U. sont désavantagés dans les examens du CRMCC et que comme les médecins formés aux É.‑U. sont pour la plupart nés aux É.‑U., la discrimination résulte de l’origine nationale.

[37]  L’intimée fait valoir que [traduction] « le bon sens veut également que le lieu de formation ne puisse automatiquement équivaloir à l’“origine nationale” ». L’intimée pose une question : si le plaignant avait choisi de suivre ses études de médecine au Canada, son « origine nationale » serait‑elle devenue « canadienne »? Le lieu de formation ne peut automatiquement être un indicateur de l’origine nationale.

[38]  Le plaignant fait valoir que ses titres de compétence américains l’ont désavantagé et qu’il a donc été victime de discrimination. Dans le cadre de son contre‑interrogatoire par l’avocat du plaignant, le directeur général du CRMCC a affirmé que fréquenter une école de médecine canadienne était [traduction] « l’une des meilleures façons » de se préparer aux examens du CRMCC. Mais cela ne diminue pas implicitement la valeur de la formation américaine du plaignant.

[39]  L’intimée fait valoir que les études aux É.‑U. du Dr Keith ne l’ont pas désavantagé par rapport aux médecins formés au Canada, s’appuyant sur la décision Keith v. College of Physicians and Surgeons of Ontario [2013], OHRTD No. 1646 (Keith-OMCO), où le plaignant a contesté sans succès la distinction établie par l’OMCO sur son site Web entre un spécialiste de l’OMCO et un spécialiste du CRMCC, au motif qu’elle constituait de la discrimination fondée sur le lieu d’origine, puisque la plupart des spécialistes de l’OMCO sont nés à l’étranger. Le Tribunal des droits de la personne de l’Ontario (le TDPO) a conclu que l’on accordait parfois une plus grande valeur aux titres de compétence américains, sinon une valeur égale aux titres canadiens.

[40]  L’intimée a présenté des éléments de preuve démontrant que plus de 90 p. 100 des spécialistes en Ontario sont accrédités par le CRMCC, même s’ils sont nés ou formés à l’étranger.

IV.  La décision

[41]  Comme l’exige la LCDP, le plaignant doit d’abord établir à première vue l’existence de discrimination fondée sur les motifs énumérés dans la Loi pour démontrer que l’exigence des FAC relative à l’accréditation du CRMCC est une preuve prima facie de discrimination par suite d’un effet préjudiciable.

[42]  Le paragraphe 73 de la décision récente Mihaly v. The Association of Professional Engineers, Geologists and Geophysicists of Alberta, 2016 ABQB 61 (Mihaly), énonce ce qui suit :

[traduction]

Selon le critère de l’arrêt Moore, pour établir à première vue l’existence de discrimination par suite d’un effet préjudiciable, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée, qu’ils ont subi un effet préjudiciable et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

[43]  Comme le Dr Keith est un Américain né à l’extérieur du Canada, il pourrait invoquer que son lieu d’origine est un motif de distinction illicite. La discrimination fondée sur le lieu d’origine est interdite par la LCDP. Le Dr Keith fait valoir que sa formation en médecine aux É.‑U. est une extension acceptée de son « lieu d’origine ».

[44]  Je suis d’accord pour dire que le lieu d’origine d’une personne peut bien servir de motif pour conclure à l’existence de discrimination envers les travailleurs et envers la société en général, et que cette discrimination est interdite par la LCDP. Toutefois, je ne souscris pas à la théorie selon laquelle le seul fait d’être né et d’avoir étudié à l’extérieur du Canada entraîne une discrimination par suite d’un effet préjudiciable et est donc automatiquement protégé par la LCDP.

[45]  Bien que l’extension du « lieu d’origine » consistant à inclure le lieu de formation à l’étranger puisse convenir dans certains cas, comme lorsqu’il y a lieu de reconnaître un diplôme provenant d’une université du tiers monde, je conviens que l’extension automatique de la définition de « lieu d’origine » n’était pas l’intention de la décision Bitonti, et la conclusion exprimée dans la décision Fazil est l’interprétation qu’il convient d’adopter. Le Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) ne disposait d’aucune preuve indiquant que le processus d’accréditation du CRMCC était plus sévère simplement parce que le Dr Keith est né et a étudié aux É.‑U.

[46]  Je souscris à l’opinion exprimée dans la décision Grover v. Alberta (Human Rights Commission), [1996] AJ No. 667 (C.B.R. Alb.), et confirmée dans l’arrêt [1968] AJ No 924 (C.A. Alb.). À la question de savoir si le lieu d’éducation constitue une extension du « lieu d’origine », la Cour a déclaré aux paragraphes 47 et 48 que [traduction] « l’expression “lieu d’origine” doit recevoir une interprétation juste et libérale, mais fidèle. Cette expression – lieu d’origine d’une personne – ne peut être élargie pour inclure le lieu où la personne a reçu son doctorat. »

[47]  Je ne puis convenir que la politique des FAC exigeant l’accréditation du CRMCC était fondée sur des suppositions discriminatoires, et le Tribunal ne dispose d’aucune preuve que l’accréditation obtenue par le Dr Keith auprès de l’ABPN était inférieure à celle du CRMCC, ce qui aurait par conséquent créé l’extension du « lieu d’origine » pour y inclure le « lieu de formation ». Le Dr Keith a affirmé que les examens de l’ABPN et du CRMCC étaient essentiellement similaires.

[48]  En outre, si le lieu de formation peut être utilisé comme indicateur du lieu d’origine, il faudrait donc mettre l’accent sur le lieu de formation pour élargir la définition de « lieu d’origine » pour pouvoir y inclure le lieu de formation. Le plaignant n’a présenté aucune preuve pour démontrer que les médecins formés aux É.‑U. sont pour la plupart d’origine américaine, ce qui signifierait que les médecins formés aux É.‑U. sont soit d’origine américaine, soit formés à l’étranger.

[49]  J’estime que l’affaire Mihaly est la plus utile en l’espèce. M. Mihaly est né et a étudié dans l’ancienne Tchécoslovaquie. Il a obtenu une maîtrise en science avec spécialisation en technologie des combustibles et de l’énergie thermique de l’Université technique slovaque, à Bratislava, ainsi qu’un certificat en génie de la corrosion de l’Institut de technologie chimique à Prague, en 1981 (Mihaly, au paragraphe 40).

[50]  Après être venu s’installer au Canada, M. Mihaly a présenté une demande pour être membre de l’Association of Professional Engineers, Geologists and Geophysicists of Alberta (l’APEGA) et, malgré son degré de scolarité élevé, il a été contraint de passer le National Professional Practice Exam (le NPPE). Tout comme le Dr Keith, il a échoué aux examens à trois reprises et a déposé une plainte auprès de la Commission des droits de la personne de l’Alberta, au titre de l’Alberta Human Rights Act, RSA 299, c A-35.5, dans laquelle il prétendait que l’APEGA avait fait preuve de discrimination fondée sur son lieu d’origine lorsqu’elle lui avait refusé le statut d’ingénieur professionnel.

[51]  Les FAC ont obligé tous les postulants en médecine à passer les examens du CRMCC et à obtenir l’accréditation du CRMCC. Comme dans l’affaire Mihaly, le plaignant n’a fourni aucune preuve convaincante démontrant que le désavantage qu’il aurait pu avoir dans l’obtention de son accréditation du CRMCC était attribuable à son origine nationale.

[52]  Dans la décision Mihaly, la Cour a déclaré ce qui suit, au paragraphe 106 :

[traduction]

La Cour n’a pas conclu, et rien ne lui permettait de conclure, que l’exigence de passer le NPPE constituait de la discrimination par suite d’un effet préjudiciable. Tous les postulants sont tenus de passer le NPPE, peu importe l’endroit où ils ont fait leurs études. Bien que la preuve indique que M. Mihaly a échoué à cet examen à trois reprises, rien ne démontre que cet échec était d’une quelconque façon liée à son lieu d’origine. Par exemple, rien n’indique que l’exigence de passer le NPPE empêche de manière disproportionnée les diplômés étrangers en génie d’être membres de l’APEGA.

[53]  Les FAC exigent que tous les médecins, qu’ils soient nés au Canada ou à l’étranger, soient accrédités par le CRMCC. À mon sens, l’avocat de l’intimée a eu raison d’affirmer que rien ne démontrait que l’exigence d’obtenir l’accréditation du CRMCC était d’une quelconque façon liée au lieu d’origine du plaignant. Que ce dernier eût été Canadien, Américain ou autre, les FAC aurait exigé la même qualification.

[54]  Je ne dispose d’aucune preuve convaincante indiquant que le Dr Keith a été traité différemment de toute autre partie en raison de ses qualifications scolaires et du fait qu’il était Américain. Je ne crois pas que son lieu d’origine a eu un effet préjudiciable sur sa capacité à passer les examens du CRMCC.

[55]  Aucun motif convaincant ne me permet de conclure que l’exigence de passer les examens du CRMCC constituait une discrimination par suite d’un effet préjudiciable de la part des FAC. Comme dans l’affaire Mihaly, au paragraphe 106, [traduction] « [b]ien que la preuve indique que M. Mihaly a échoué [au NPPE] à trois reprises, rien ne démontre que cet échec était d’une quelconque façon liée à son lieu d’origine ».

[56]  Le Dr Jeffrey Reitz, témoin expert pour le compte du plaignant, a témoigné au sujet du traitement différentiel que subissent les immigrants et les minorités ethniques. Toutefois, sa recherche était fondée sur les minorités visibles et ne fournissait aucune donnée probante quant à l’enseignement et au lieu d’origine des médecins blancs nés et formés aux É.‑U. Son témoignage selon lequel les immigrants possédant des titres de compétence à l’étranger sont souvent défavorisés par rapport aux demandeurs formés au Canada a été accepté.

[57]  Selon son propre témoignage, le Dr Keith avait un degré scolaire élevé en médecine et était accompli dans ses autres activités. De son propre aveu, il estimait que son accréditation américaine était égale, voire supérieure, aux diplômes canadiens en médecine.

[58]  J’estime que le témoignage du Dr Reitz n’était pas suffisamment convaincant pour corroborer l’allégation du plaignant selon laquelle il aurait été victime de discrimination fondée sur sa naissance à l’étranger et, par extension, sur son enseignement. On ne peut pas toujours appliquer automatiquement le principe selon lequel la formation à l’étranger est une extension de la naissance à l’étranger. Ce principe n’est pas absolu; autrement, le lieu de formation constituerait également un motif de distinction illicite à part entière au sens de la LCDP. Bien que le Tribunal ait un large pouvoir discrétionnaire quant à l’interprétation, il est habilité à limiter ce qui pourrait autrement s’appliquer dans une affaire où les faits sont différents de l’espèce.

[59]  Le plaignant n’a pas réussi à établir que l’exigence des FAC relative à l’accréditation du CRMCC était discriminatoire envers les médecins nés et formés à l’étranger. J’accepte la preuve de l’intimée provenant du Sondage national des médecins géré par l’Association médicale canadienne, qui indique que la plupart des spécialistes en Ontario sont accrédités par le CRMCC, dans la mesure où 99,2 p. 100 des spécialistes ontariens qui sont nés à l’extérieur du Canada sont accrédités par le CRMCC.

[60]  De même, je ne saurais convenir que l’exigence des FAC quant à l’accréditation du CRMCC est discriminatoire, puisqu’elle est équivalente aux titres de l’OMCO. J’accepte le témoignage de M. Dan Faulkner et du Dr Harris, dans la mesure où le CRMCC et l’OMCO perçoivent les titres différemment. Le CRMCC est reconnu comme norme nationale partout au Canada.

[61]  L’exigence des FAC relative à l’accréditation du CRMCC entraîne une norme sur laquelle elles peuvent se fonder partout au Canada. Le plaignant fait valoir que l’accréditation de l’OMCO est équivalente. Aucune preuve crédible n’a été présentée à cet égard. Bien que l’accréditation de l’OMCO soit acceptée dans certaines provinces canadiennes, mais pas toutes, aucune preuve n’indique qu’elle est acceptée par la province de l’Alberta. Le Dr Ken Harris, directeur général du CRMCC, a affirmé que l’accréditation de la spécialité est une norme nationale applicable dans toutes les provinces et également acceptée par tous les collèges provinciaux comme une norme qui répond aux exigences de l’attestation de la spécialité.

[62]  Le TDPO a conclu que l’accréditation de l’OMCO et celle du CRMCC n’étaient pas équivalentes, puisque le CRMCC élaborait des normes nationales et que l’OMCO gérait les permis permettant de pratiquer la médecine en Ontario : Keith-OMCO, précitée, aux paragraphes 46, 49 et 50.

[63]  Je conviens également que l’accréditation du CRMCC est une exigence professionnelle justifiée. L’intimée a renvoyé au critère à trois volets établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Colombie‑Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, 1999 CanLII 652 (CSC), [1999] 3 R.C.S. 3 (Meiorin), au paragraphe 54, pour démontrer qu’une exigence professionnelle est justifiée :

[…]

(1) [que l’employeur] a adopté la norme dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause;

(2) qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail;

(3) que la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but légitime lié au travail.  Pour prouver que la norme est raisonnablement nécessaire, il faut démontrer qu’il est impossible de composer avec les employés qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que l’employeur subisse une contrainte excessive.

[64]  Je conviens que les FAC subiraient une contrainte excessive si elles étaient tenues de déterminer les qualifications de tous ses praticiens en médecine. J’accepte l’explication du colonel MacKay lorsqu’il a affirmé ce qui suit :

[traduction]

Avant 2009, ce ne sont pas toutes les provinces de ce pays qui reconnaissaient le permis et l’accréditation d’une province à une autre. Si toutes les provinces ne peuvent s’entendre sur le processus d’accréditation suivi dans chacune de ces provinces, quel niveau de confiance puis‑je avoir dans le processus qui a été suivi pour leur accorder l’accréditation dans cette province? L’accréditation du Collège royal des médecins du Canada a été reconnue par chaque province et constitue donc aujourd’hui une norme acceptable pour assurer la qualité supérieure des soins offerts par les fournisseurs de soins de santé.

[65]  Je conclus que les FAC n’ont pas fait preuve de discrimination envers le Dr Keith au sens de la LCDP, puisqu’elles ont répondu au critère établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Meiorin, et affirmer le contraire poserait une contrainte excessive aux FAC et compromettrait la santé et les niveaux de ses employés.

[66]  Comme je conclus également que le plaignant n’a pas établi qu’il avait été victime de discrimination au sens de la LCDP, il m’est inutile d’examiner sa demande d’indemnisation.

[67]  Pour ces motifs, je conclus que la plainte n’est pas fondée.

Signée par

Ronald Sydney Williams

Membre instructeur du Tribunal

Ottawa (Ontario)

Le 19 octobre 2017

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du Tribunal : T1981/6113

Intitulé de la cause : Arthur Lee Keith c. Forces armées canadiennes

Date de la décision du Tribunal : Le 19 octobre 2017

Date et lieu de l’audition : Du 13 au 17 avril 2015

Du 24 au 26 août 2015

Toronto (Ontario)

Les observations écrites finales ont été reçues le 29 décembre 2015

Comparutions :

David Baker , pour le plaignant

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Victoria Yankou et Jacqueline Wilson , pour l’intimée



[1] Paragraphe 57 du CTFA du plaignant, vol. 1, onglet 1.

[2] Preuve documentaire du plaignant, vol. 3, onglets 66 et 67.

[3] Ibid, onglet 67.

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