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Canadian Human |
Référence : 2019 TCDP
Date : le 31 janvier 2019
Numéro du dossier :
Entre :
la plaignante
Commission canadienne des droits de la personne
l’intimée
Décision sur requête
Membre :
B. Les dossiers médicaux demandés par Air Canada
(ii) La position de la plaignante
(iii) La position de la Commission
(i) Les dossiers médicaux antérieurs à la période visée par la plainte
(ii) Les dossiers médicaux antérieurs au départ
(iii) Les dossiers médicaux postérieurs au congé
(iv) Les résumés relatifs aux soins de santé
B. La protection de la confidentialité des documents médicaux de Mme Clegg
I.
Résumé
[1]
Air Canada demande une divulgation supplémentaire des dossiers médicaux de la plaignante qui sont pertinents en ce qui concerne la présente plainte. Même si j’ai conclu que la demande de l’intimée a une portée trop large, je suis convaincue que certains des dossiers médicaux demandés par l’intimée sont possiblement pertinents quant aux questions soulevées et aux mesures de redressement demandées dans la présente plainte, et qu’ils devraient être communiqués aux parties à la présente demande.
[3]
Le Tribunal reconnaît les efforts de collaboration qui ont été déployés par toutes les parties pour veiller à ce que les dossiers confidentiels et/ou de nature délicate soient traités avec soin, compassion et de manière respectueuse et proactive. De plus, j’espère que cette approche continuera d’être appliquée.
[4]
En examinant la présente requête, le Tribunal doit soupeser la nécessité de traiter les renseignements médicaux personnels avec soin et compassion au regard des exigences d’équité procédurale et du droit de toutes les parties d’être au fait de la nature de l’instance. Il ne s’agit pas d’une tâche facile.
[5]
La requête visant à obtenir la divulgation des dossiers médicaux de la plaignante déposée par l’intimée est accueillie en partie. Certains des documents demandés répondent au critère de la pertinence plausible et ces renseignements devraient donc être divulgués. Plus précisément, je conclus qu’il existe un lien rationnel entre certains des documents demandés et les faits, les questions soulevées et les mesures de redressement sollicitées dans la plainte, tel qu’ils sont décrits dans la présente. Même si d’autres aspects de la requête vont au-delà de ce que je suis disposée à ordonner, pour l’essentiel, la demande ne peut pas être qualifiée de partie de pêche puisque les documents demandés donneraient à l’intimée la possibilité pleine et entière de présenter toute sa preuve.
II.
Le contexte
[8]
La Commission a enquêté sur la plainte et a publié un rapport recommandant que la plainte soit instruite par le Tribunal canadien des droits de la personne (le TCDP ou le Tribunal). Le 15 juin 2016, le Tribunal a été saisi de la plainte.
[11]
En octobre 2017, après avoir tranché un certain nombre de questions préliminaires, le Tribunal a commencé à entendre la preuve. Air Canada a demandé et obtenu (en janvier 2018) le consentement de la plaignante à la divulgation du dossier complet de la Dre Heney de juillet 2009 jusqu’à la date de la demande et, après cette date, jusqu’à la fin de la durée de l’audience de la présente plainte.
[13]
Le 26 avril 2018, la plaignante a cité la Dre Heney à témoigner. Entre autres, la Dre Heney a témoigné au sujet de l’état de la santé mentale de la plaignante pendant la période visée par la plainte.
[15]
Plus particulièrement, en contre‑interrogatoire, la Dre Heney a affirmé qu’au cours de son traitement de la plaignante, elle avait examiné une série de dossiers médicaux émanant du Peterborough Regional Health Centre qui étaient liés à la plainte. Ces dossiers n’avaient pas été communiqués à l’intimée en réponse à sa demande de communication du dossier de la Dre Heney.
[18]
Le Tribunal est conscient du fait que, sur consentement, certains documents médicaux supplémentaires du dossier de la Dre Heney ont été communiqués à l’intimée à l’audience. Toutefois, il est devenu évident que d’autres dossiers médicaux possiblement pertinents peuvent exister et qui n’ont pas été produits.
- le dossier médical complet de la plaignante du 1er janvier 2008 à aujourd’hui et par la suite, qu’il s’agisse de dossiers électroniques ou autres, y compris, sans toutefois s’y limiter, toutes les notes et tous les dossiers cliniques;
- une liste de tous les médecins, les professionnels de la santé et les hôpitaux que la plaignante a consultés depuis le 1er janvier 2008 (une « liste des fournisseurs de soins de santé »);
- un résumé provenant de l’Assurance‑santé de l’Ontario en ce qui concerne l’historique de ses réclamations personnelles et qui mentionne les noms de tous les médecins, de tous les professionnels de la santé et de tous les hôpitaux que la plaignante a consultés depuis le 1er janvier 2008 (un « résumé de l’Assurance‑santé de l’Ontario »).
(les « documents médicaux demandés »)
[22]
Le 17 août 2018, l’intimée a déposé une réponse.
A.
La plainte
[25]
La plainte soulève une question de portée plus large concernant les réponses d’Air Canada aux plaintes pour harcèlement sexiste dont sont victimes les femmes pilotes à Air Canada. Mme Clegg soutient que le harcèlement sexiste constitue un problème fréquemment vécu par les femmes pilotes d’Air Canada et qu’[traduction] « Air Canada fait systématiquement preuve d’ambivalence à l’égard du harcèlement ».
B.
Les dossiers médicaux demandés par Air Canada
- Avant juillet 2009 : les dossiers médicaux relatifs à la période antérieure aux événements allégués dans la plainte (les « dossiers médicaux antérieurs à la période visée par la plainte »).
- De juillet 2009 au début du congé de maladie de la plaignante en 2012 : les dossiers médicaux relatifs à la période allant du premier événement allégué dans la plainte jusqu’à la date à laquelle la plaignante a pris son congé (les « dossiers médicaux antérieurs au départ »).
- Le début du congé de maladie de la plaignante en 2012 jusqu’à aujourd’hui (et jusqu’à la conclusion de l’audience de la présente plainte) : les dossiers médicaux relatifs à la période allant de la date à laquelle la plaignante a pris son congé et par la suite (les « dossiers médicaux postérieurs au départ »).
III.
Les questions en litige
- Les dossiers médicaux demandés en l’espèce sont‑ils protégés contre la divulgation en raison du privilège de non‑divulgation?
- La totalité ou un certain nombre des dossiers médicaux antérieurs à la période visée par la plainte sont‑ils possiblement pertinents quant aux questions soulevées dans la plainte?
- La totalité ou un certain nombre des dossiers médicaux antérieurs au départ sont‑ils possiblement pertinents quant aux questions soulevées dans la plainte?
- La totalité ou un certain nombre des dossiers médicaux postérieurs au dépôt de la plainte sont‑ils possiblement pertinents quant aux questions soulevées dans la plainte?
- La plaignante devrait‑elle être contrainte de communiquer une liste des fournisseurs de soins de santé?
- La plaignante devrait‑elle être contrainte de communiquer un résumé émanant de l’Assurance‑santé de l’Ontario?
- Si les dossiers médicaux font l’objet d’une ordonnance de divulgation, quelles mesures de confidentialité (le cas échéant) devraient être mises en place à ce moment‑ci pour protéger les renseignements personnels de la plaignante?
A.
Le droit applicable
[…]
[…]
(5) Une partie doit divulguer et produire les documents supplémentaires nécessaires
[…]
[32]
Il est bien établi par la jurisprudence, et cela n’est pas contesté dans la présente requête, que la norme applicable à la divulgation de documents, en vertu de l’alinéa 6(1)d) et du paragraphe (5) des Règles, est que les documents doivent être possiblement pertinents à un fait, une question ou une forme de redressement demandée, y compris les faits, les questions ou les formes de redressement mentionnés par l’une ou l’autre des parties. Pour qu’un document soit possiblement pertinent, il doit y avoir un lien rationnel entre le document dont on demande la divulgation et une question ou un fait soulevé, ou une forme de redressement demandée, par les parties (Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18 (Seeley), au paragraphe 6).
[33]
Les obligations de divulgation qui découlent de ces Règles prévoient la divulgation aux autres parties de dossiers possiblement pertinents. Ce ne sont pas seulement ceux qui pourraient tendre à prouver l’allégation de fait soulevée par la plaignante, mais également ceux qui pourraient tendre à la réfuter.
[34]
Une demande de divulgation « […] ne doit pas être spéculative ou équivaloir à une “partie de pêche” » (Guay c. Gendarmerie royale du Canada, 2004 TCDP 34 (Guay), au paragraphe 43), mais le critère est peu exigeant en ce qui concerne la production de documents possiblement pertinents et actuellement on tend à favoriser une divulgation plus vaste à l’étape de la production (Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, au paragraphe 6; voir aussi Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42, au paragraphe 11 (Gaucher)).
[…] La production de documents est assujettie au critère de la pertinence potentielle, qui n’est pas un critère très exigeant. Il doit y avoir une certaine pertinence entre le document ou les renseignements demandés et la question en litige. Il ne fait aucun doute qu’il est dans l’intérêt public de veiller à ce que tous les éléments de preuve pertinents soient disponibles dans le cadre d’une affaire comme celle en l’espèce. Une partie a le droit d’obtenir les renseignements ou les documents qui sont pertinents quant à l’affaire ou qui pourraient l’être. Cela ne veut pas dire que ces documents ou renseignements seront admis en preuve ou qu’on leur accordera une importance significative.
B.
Les positions des parties
(i)
La position de l’intimée
[37]
L’intimée soutient qu’il existe un lien clair et direct entre les dossiers médicaux demandés et la plainte. En fait, l’intimée soutient que c’est la plaignante qui a elle‑même invoqué son état de santé et son bien‑être, et donc ses antécédents médicaux.
- la question de savoir s’il existe des problèmes dans le milieu de travail qui ont eu comme conséquence directe que la plaignante a mis fin à son emploi, comme il est allégué :
- la question de savoir si le milieu de travail à Air Canada a eu un effet préjudiciable sur la santé et le bien‑être de la plaignante, tel qu’il est allégué;
- le préjudice que la plaignante allègue avoir subi, y compris la perte de salaire du 3 avril 2013 jusqu’à aujourd’hui qui a été occasionnée par sa démission, et la capacité de la plaignante à travailler et/ou à atténuer son préjudice en cherchant un autre emploi pendant ces périodes.
[43]
Dans sa réponse, l’intimée soutient que, nonobstant tout privilège de non‑divulgation qui pourrait être invoqué concernant les dossiers médicaux d’un patient en général, lorsqu’une partie à une plainte a expressément invoqué son état de santé, elle renonce implicitement à ce privilège de non‑divulgation. À cet égard, l’intimée invoque la décision du Tribunal dans Guay, précitée, qui mentionne ce qui suit au paragraphe 45 :
[…] L’intimée a établi qu’il existait un lien entre les documents demandés et les questions en litiges notamment en ce qui concerne les redressements sollicités. Dans des procédures en matière de droits de la personne, la plaignante, lorsqu’elle réclame une indemnisation pour des préjudices physiques et moraux, accepte implicitement que l’intimée puisse avoir accès à ses dossiers médicaux ou, de façon générale, à des renseignements personnels sur sa santé. Le droit à la confidentialité des dossiers médicaux cesse alors d’exister. En l’espèce, la plaignante demande une compensation financière pour préjudices physiques et moraux. Le droit à la confidentialité est alors éclipsé par le droit du défendeur de connaître les motifs et la portée de la plainte dont il fait l’objet. La justice, dans des procédures en matière de droits de la personne, exige que l’on permette à la partie intimée de présenter une défense pleine et entière à l’argumentation de la partie plaignante. Si la plaignante plaide sa cause en se fondant sur son état de santé, l’intimée a le droit d’obtenir les renseignements de santé pertinents qui peuvent avoir trait à la réclamation.
(ii)
La position de la plaignante
[45]
La plaignante fait valoir que les dossiers médicaux sont considérés comme confidentiels et qu’ils ne devraient pas être communiqués sans le consentement du patient. Elle fait valoir, en outre, que la divulgation ne devrait être ordonnée que s’il existe une preuve claire et manifeste démontrant que les dossiers médicaux auraient une valeur probante et que leur production ne causera aucun préjudice à la personne à qui la divulgation est demandée.
[47]
Par ailleurs, la plaignante fait valoir que pour maintenir sa licence de pilote, elle devait se soumette à des évaluations médicales régulières afin de déterminer son aptitude à piloter. La plaignante soutient que le fait qu’elle a été déclarée apte à piloter en 2009, en 2010, en 2011 et en 2013 a atténué l’obligation de produire des dossiers médicaux dans le cadre de la présente instance.
(iii)
La position de la Commission
[49]
La Commission soutient que l’intimée n’a pas établi que tout dossier médical relatif à la période antérieure aux événements décrits dans la plainte est potentiellement pertinent dans la présente instance. En outre, elle fait valoir que le Tribunal ne devrait pas ordonner la divulgation de tout dossier relatif à la période précédant la démission de la plaignante en 2012.
[50]
La Commission souligne l’importance, en général, du caractère confidentiel des communications entre le patient et son médecin. Elle souligne qu’il existe, en common law, un privilège visant à empêcher les divulgations indues de dossiers médicaux.
IV.
Analyse
A.
Les dossiers médicaux
[52]
Le Tribunal a reconnu qu’un plaignant a droit au respect de sa vie privée et à la confidentialité de ses dossiers médicaux (voir Beaudry c. Canada (Procureur général), 2002 CanLII 61851 (TCDP), au paragraphe 7 (Beaudry); McAvinn c. Strait Crossing Bridge Ltd., 2001 CanLII 38296 (TCDP), au paragraphe 3 (McAvinn)). Toutefois, ce droit peut cesser d’exister quand cette personne invoque son état de santé (voir McAvinn, au paragraphe 4 (TCDP), Guay, au paragraphe 45, et Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier et Femmes‑Action c. Bell Canada, 2005 TCDP 9, aux paragraphes 11 à 13; voir aussi Frenette c. Métropolitaine (La), cie d’assurance‑vie, [1992] 1 RCS 647 (Frenette); et M. (A.) c. Ryan, [1997] 1 RCS 157, au paragraphe 38).
[53]
Dans l’arrêt Ryan, la Cour suprême a clairement indiqué que le droit en matière de privilèges doit refléter les valeurs consacrées par la Charte qui sont pertinentes (dans cette affaire, les valeurs énoncées aux articles 8 et 15). Même si, en l’espèce, la plaignante invoque l’article 7 de la Charte, elle n’a pas indiqué la façon dont cette disposition constitutionnelle devrait modifier l’analyse exposée par la majorité dans l’arrêt Ryan. De plus, même si l’interprétation du droit en matière de privilèges doit respecter les valeurs consacrées par la Charte, elles ne peuvent pas éclipser les principes de l’équité fondamentale, qui exigent que les parties divulguent les renseignements possiblement pertinents quant à leur plainte, qu’ils appuient ou non la position adoptée dans le cadre du litige.
[57]
Enfin, si la plainte est fondée, les mesures de redressement sollicitées comprennent, par exemple, une indemnité pour préjudice moral, ainsi que pour la perte de salaires (ce qui soulève la question de la mesure dans laquelle la plaignante aurait pu limiter ces pertes au moyen d’un autre emploi). Pour trancher cette demande de mesures de redressement, le Tribunal devra possiblement déterminer les répercussions des événements allégués dans la plainte, dont il a été prouvé qu’ils ont eu lieu, sur l’état de santé et le bien‑être de la plaignante, ainsi que la façon dont ces répercussions peuvent avoir limité sa capacité à trouver ou à occuper un autre emploi, et la mesure dans laquelle elles ont limité cette capacité.
[60]
Je conclus que, à certains égards, la revendication de privilège faite par la plaignante ne peut pas être accueillie puisque le droit à la communication de l’intimée, c’est‑à‑dire le droit à ce que le litige soit réglé convenablement, l’emporte sur les droits de la plaignante à la protection de ses renseignements personnels. En d’autres termes, dans la mesure où la plaignante cherche à invoquer en l’espèce son état de santé et son bien‑être, elle ne peut pas revendiquer de privilège afin de se protéger contre la divulgation des dossiers médicaux qui permettraient à l’intimée de vérifier ses allégations et qui permettraient au Tribunal de statuer sur la véracité de celles‑ci.
L’autorisation médicale de piloter
Privilège prévu dans la Loi sur l’aéronautique
Quels dossiers doivent être communiqués ?
(i)
Les dossiers médicaux antérieurs à la période visée par la plainte
(ii)
Les dossiers médicaux antérieurs au départ
·
l’état d’esprit de la plaignante,
·
la santé physique de la plaignante dans la mesure où cela a contribué à son congé de maladie,
et visant la période allant de juillet 2009 jusqu’à la date de congé de maladie de la plaignante sont possiblement pertinents en ce qui concerne la plainte.
[71]
Je suis convaincue que la demande de l’intimée à cet égard n’est pas de la nature d’une partie de pêche, puisqu’elle est fondée sur des documents qui lui ont déjà été communiqués par la plaignante et sur des éléments de preuve déposés auprès du Tribunal. Aussi, les événements allégués dans la plainte sont censés avoir eu une incidence sur la santé physique ou mentale de la plaignante et, par conséquent, l’existence ou l’absence d’un lien entre ces deux éléments devra être examinée dans le contexte de l’état de santé antérieur de la plaignante, afin de donner à l’intimée la possibilité pleine et entière de présenter toute sa preuve.
(iii)
Les dossiers médicaux postérieurs au congé
[73]
Dans la plainte et l’exposé des précisions de la plaignante, celle-ci fait mention de questions et de mesures de redressement relatives à sa santé et à son bien‑être. Plus particulièrement, l’instruction de la présente plainte pourrait nécessiter que le Tribunal tranche : a) la question de savoir si les problèmes dans le milieu de travail sont la raison pour laquelle la plaignante a mis fin à son emploi et, dans l’affirmative, dans quelle mesure; b) la question de savoir si les difficultés vécues par la plaignante à Air Canada ont nui à sa santé et à son bien‑être et, dans l’affirmative, dans quelle mesure ce préjudice pourrait être indemnisé; et c) la question de savoir si la plaignante aurait pu atténuer ses pertes en cherchant un autre emploi pendant cette période et, dans l’affirmative, dans quelle mesure.
[75]
Même s’il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un aspect difficile du processus contradictoire, l’intimée doit être autorisée à vérifier les affirmations de la plaignante en ayant accès à toute la preuve documentaire qui est possiblement pertinente. En ce qui concerne les affirmations de la plaignante portant sur son état de santé et son bien-être, l’intimée doit avoir la capacité d’évaluer les allégations de la plaignante à la lumière de l’ensemble des documents pertinents de son dossier médical afin de vérifier les affirmations de la plaignante sur ces points.
[78]
Je sais que la plaignante est très préoccupée par l’idée de devoir divulguer des dossiers médicaux qui ne sont pas possiblement pertinents en ce qui concerne la plainte. Toutefois, en l’absence d’observations plus précises de la part de la plaignante en ce qui concerne tout dossier médical postérieur au congé qui ne serait pas possiblement pertinent en ce qui concerne la plainte, il est difficile pour le Tribunal de restreindre davantage la portée de son ordonnance.
(iv)
Les résumés relatifs aux soins de santé
[82]
En ce qui concerne la liste des fournisseurs de soins de santé, je conclus que ce document n’existe pas actuellement et que la plaignante n’est aucunement tenue de créer des nouveaux dossiers afin de se conformer à ses obligations de communication (voir Gaucher, au paragraphe 17). En conséquence, je rejette la demande de l’intimée pour une divulgation d’une liste des fournisseurs de soins de santé.
[85]
Toutefois, le paragraphe 1(2) des Règles du Tribunal énonce que les règles doivent être « […] appliquées de façon libérale par le membre instructeur dans l’affaire dont il a été saisi, afin de favoriser les fins énoncées au paragraphe 1(1) ». Entre autres, les règles ont pour objectif de permettre : « que l’argumentation et la preuve soient présentées en temps opportun et de façon efficace » (alinéa 1(1)b) des Règles), et « que toutes les affaires dont le Tribunal est saisi soient instruites de la façon la moins formaliste et la plus rapide possible » (alinéa 1(1)c) des Règles). De cette façon, l’alinéa 1(1)c) des Règles traduit bien le paragraphe 48.9(1) de la Loi.
[86]
Dans les circonstances de la présente affaire, le fait d’interpréter le terme « possession », tel qu’il figure à l’alinéa 6(1)d) des Règles en vue d’inclure les documents auxquels la plaignante a accès et dont elle a le contrôle, et d’obliger la plaignante à obtenir des dossiers médicaux possiblement pertinents qu’elle seule a le droit d’obtenir permettra d’atteindre l’objectif visé par les Règles du Tribunal. Cette interprétation étend à bon droit l’obligation de divulgation aux documents qui ne sont peut-être pas actuellement en la possession physique d’une partie, mais que celle-ci a le droit d’obtenir de leur détenteur.
[87]
De plus, la plaignante a accès à certains aspects de son dossier médical et, dans le cadre de l’audience, elle a tenté de les invoquer. Il serait injuste de permettre à la plaignante de choisir et de divulguer uniquement les aspects de son dossier médical qui étayent sa preuve, sans donner à l’intimée la possibilité d’examiner la preuve et de proposer que le Tribunal rende une autre décision, laquelle serait fondée sur une compréhension complète de la preuve médicale de la plaignante.
[88]
En conséquence, ordonner à la plaignante d’obtenir et de communiquer ses dossiers médicaux constitue la façon la moins formaliste et la plus rapide possible d’obtenir ces documents possiblement pertinents. Cela implique que la plaignante obtienne les documents auxquels elle a déjà un droit unique d’accès. Hormis le coût possible lié à l’obtention de ces dossiers, il ne semble pas que la plaignante subira un préjudice si l’on procède de cette manière.
B.
La protection de la confidentialité des documents médicaux de Mme Clegg
[94]
Comme le Tribunal l’a déjà statué, « le besoin de découvrir la vérité et d’éviter une injustice n’écarte pas automatiquement la possibilité d’une protection contre une divulgation complète » (Yaffa, au paragraphe 12, citant M. (A), au paragraphe 33). Dans les cas où le Tribunal a ordonné la divulgation de dossiers médicaux, il a parfois imposé des conditions en vue de protéger la confidentialité des renseignements (voir, par exemple, Guay, au paragraphe 48; voir également McAvinn, au paragraphe 20; Beaudry, au paragraphe 9; et Palm c. International Longshore and Warehouse Union, Local 500 et al., 2012 TCDP 11, au paragraphe 19(3)).
[96]
L’article 52 de la Loi dispose :
52(1) L’instruction est publique, mais le membre instructeur peut, sur demande en ce sens, prendre toute mesure ou rendre toute ordonnance pour assurer la confidentialité de l’instruction s’il est convaincu que, selon le cas :
a) il y a un risque sérieux de divulgation de questions touchant la sécurité publique;
b) il y a un risque sérieux d’atteinte au droit à une instruction équitable de sorte que la nécessité d’empêcher la divulgation de renseignements l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique;
c) il y a un risque sérieux de divulgation de questions personnelles ou autres de sorte que la nécessité d’empêcher leur divulgation dans l’intérêt des personnes concernées ou dans l’intérêt public l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’instruction soit publique;
d) il y a une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne puisse être mise en danger par la publicité des débats.
[97]
Compte tenu des observations formulées par la plaignante dans le cadre de la présente requête et compte tenu des commentaires qu’elle a formulés à l’audience concernant la question de la divulgation de ses renseignements médicaux personnels, je conclus que la divulgation publique de ses renseignements médicaux personnels est susceptible de causer une véritable angoisse à Mme Clegg. Cela étant dit, l’équité procédurale exige que l’intimée connaisse la preuve qu’elle doit réfuter.
[99]
Il peut exister un risque réel et important que la divulgation de renseignements personnels, dans le cadre public d’une audience, puisse causer un préjudice indu à Mme Clegg. Même si je ne suis pas tenue de rendre une telle décision à cette étape, le Tribunal, comme l’exige la Loi et conformément à celle‑ci, demeure disposé à rendre d’autres ordonnances relativement à la confidentialité des dossiers médicaux demandés.
[100]
Je suis convaincue qu’il convient, à ce stade, dans les circonstances de la présente plainte, d’imposer certaines mesures de confidentialité (comme des limites à l’accès aux dossiers médicaux demandés décrits aux présentes et à leur utilisation) afin de protéger la confidentialité des dossiers médicaux de Mme Clegg. En conséquence, les dossiers dont la divulgation est ordonnée ci‑après ne seront communiqués qu’à l’avocat de l’intimée et à l’avocat de la Commission.
[104]
Il convient de préciser que la présente décision porte sur la question de la divulgation de documents médicaux. Toute question concernant l’admissibilité en preuve de ces documents ou les mesures de confidentialité qui en découlent peut être tranchée à l’audience.
V.
Ordonnance
A.
Communication
·
l’état mental de la plaignante; et (ou)
- La plaignante obtiendra et divulguera les dossiers médicaux postérieurs au départ, sous réserve de toute exemption accordée en l’espèce par le Tribunal.
- La plaignante présentera une demande d’accès à ses renseignements personnels sur sa santé en ce qui a trait à l’historique de ses réclamations personnelles auprès du ministère de la Santé et des soins de longue durée, et elle communiquera aux parties le résumé émanant de l’Assurance‑santé de l’Ontario.
B.
Confidentialité
- Les documents dont la divulgation est ordonnée par les présentes ne seront divulgués qu’à l’avocat de l’intimée et à l’avocat de la Commission.
- l’intimée et la Commission peuvent désigner chacune un représentant (la « personne désignée ») qui examinera les dossiers médicaux dont la divulgation a été ordonnée par les présentes, à la seule fin de donner des directives aux avocats.
- Les parties communiqueront par écrit au Tribunal le nom de la personne désignée.
- Les documents dont la divulgation est ordonnée par les présentes ne pourront être transmis par l’intimée ou la Commission à qui que ce soit d’autre, ou à d’autres entités, sans avoir obtenu au préalable l’autorisation du Tribunal.
- Les documents dont la divulgation est ordonnée par les présentes ne pourront servir qu’aux fins de la présente enquête.
- Les documents dont la divulgation est ordonnée par les présentes devront être retournés à la plaignante à la conclusion de l’enquête.
Le 31 janvier 2019
Tribunal canadien des droits de la personne
Dossier du Tribunal :
Intitulé : Jane Clegg c. Air Canada
Date de la décision du Tribunal : Le 31 janvier 2019
Requête jugée sur dossier sans comparution des parties
Karen M. Sargeant et Rachel Younan, pour l’intimée