Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Titre : Les armoiries du Tribunal - Description : Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2017 TCDP 34

Date : le 26 octobre 2017

Numéro du dossier : T2101/1715

Entre :

Tracy Polhill

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

la Première Nation Keeseekowenin

l'intimée

Décision sur requête

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I.  Contexte

[1]  Le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal ») est saisi d’une demande effectuée par Mme Tracy Polhill (la « plaignante ») ayant pour objectif de modifier sa plainte ainsi que son exposé des faits initial déposé en décembre 2015. Avant d’aborder cette demande, le Tribunal estime qu’il est nécessaire de faire un court résumé du contexte menant à ladite demande.

[2]  Le 28 avril 2014, la plaignante a déposé une plainte à la Commission canadienne des droits de la personne (la « Commission ») au motif que la Première Nation Keeseekowenin (« intimée », « Nation » ou « KFN ») a commis des actes discriminatoires fondés sur la race, l’origine national ou ethnique en violation de l’article 5 de la Loi canadienne des droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6 (« LCDP » ou « la Loi »).

[3]  Le 24 juin 2015, la Commission a saisi le Tribunal de la plainte en vertu de l’article 44(3)(a) de la LCDP. La Commission participe à l’audience.

[4]  La plaignante et la Commission ont déposé leur documentation respective au mois de décembre 2015 incluant leur exposé des faits. Quant à l’intimée, elle ne s’est manifestée à aucune des étapes des procédures. Entre le 24 janvier 2016 et le 6 avril 2017, le Tribunal a envoyé à l’intimée 22 correspondances avec accusé-réception. Cette dernière n’a répondu à aucune de ces correspondances.

[5]  Ceci étant dit, l’audience a tout de même été fixée pour une durée de 4 jours, du 25 au 28 avril 2017, à Onanole (Manitoba). Sans aviser le Tribunal ni le greffier, l’intimée s’est présentée à la première journée d’audience, représentée par avocat. L’avocat a demandé au Tribunal un court ajournement afin que les parties puissent discuter d’une possible entente. À défaut d’entente, il demandera un ajournement de l’audience afin que l’intimée puisse déposer ses représentations. Les parties ont informé le Tribunal qu’un procès-verbal de règlement avait été signé. Ce règlement devait par contre être entériné par le conseil de bande de la Nation. Considérant les représentations des parties, le Tribunal a ajourné l’audience.  

[6]  Le 9 mai 2017, la Commission a formellement informé le Tribunal que l’entente ne s’est finalement pas conclue. Le Tribunal a ainsi demandé aux parties de lui fournir leurs disponibilités dans les prochains mois afin de reprendre l’audience le plus rapidement possible. Le 12 juin 2017, la plaignante envoie aux parties ainsi qu’au Tribunal un courriel indiquant son intention de modifier sa plainte ainsi que son exposé des faits de décembre 2015.

[7]  Le 13 juin 2017, une conférence téléphonique eut lieu et la plaignante a formellement informé le Tribunal de son intention de modifier sa plainte et son exposé des faits. Le Tribunal a donc convenu avec les parties de la marche à suivre. La plaignante devait clairement souligner ou surligner ses modifications ou ajouts dans son exposé des faits. De plus, elle devait fournir les raisons pour lesquelles elle demandait de tels changements notamment en déposant une simple lettre de présentation. Évidemment, l’intimée et la Commission conservaient leur droit de répondre à ces modifications ou ajouts. Le 24 juillet 2017, le Tribunal a reçu les modifications de la plaignante. L’intimée répondit le 10 août 2017 et la Commission, le 11 août 2017.

[8]  Ceci étant dit, le Tribunal doit trancher sur la demande de modification effectuée par la plaignante.

II.  Position des parties

[9]  Par souci de concision et d’efficacité, le Tribunal ne reprend pas tous les arguments des parties, mais en résume les principaux de la manière suivante.

A.  La plaignante

[10]  Dans son exposé modifié des faits, la plaignante apporte des changements relativement importants à sa plainte initiale ainsi qu’à son exposé des faits. Le Tribunal considère que ces modifications sont de quatre ordres.

·  Dans un premier temps, la plaignante présente trois nouvelles allégations de violation de la LCDP par l’intimée et plus particulièrement des articles 6(b), 14 et 14.1 de la LCDP.

o  Elle estime que la résolution du conseil de bande contre elle l’a privée de sources de revenus et l’a poussée à devoir quitter la communauté et la maison de son conjoint. Ainsi, elle s’est vue défavorisée par l’intimée à l’occasion de la fourniture de logement au titre de l’article 6(b) de la LCDP.

o  Au titre de l’article 14 de la LCDP en matière de harcèlement, la plaignante soutient avoir fait l’objet de harcèlement de multiples façons de la part de l’intimée, de l’un de ses représentants ou des membres de la communauté qui lui sont liés. Elle attribue la cause de ce harcèlement aux agissements de l’intimée.

o  La plaignante soutient enfin que l’intimée a commis des actes de représailles contre elle, sa fille et son conjoint (et témoin à l’audience), M. Wes Bone, au titre de l’article 14.1 de la LCDP. Dans un souci de concision, le Tribunal ne reprendra pas tous les détails fournis par la plaignante, elle soutient notamment ce qui suit :

§  L’intimée aurait intimidé sa fille déficiente et commis des manœuvres afin de nuire à sa situation financière;

§  L’intimée, l’un de ses représentants ou des membres de la communauté qui lui sont liés aurait intimidé et commis des actes de représailles et de diffamation contre son conjoint sur Facebook et par courriel;

§  L’intimée aurait commis des représailles contre elle et son partenaire dans la gestion d’une inondation du sous-sol de leur maison et dans la gestion de la coupe des foins autour de leur maison et du « sweat lodge fire »;

§  L’intimée aurait commis des actes de représailles en intervenant auprès de la Gendarmerie Royale du Canada (GRC) quant à la gestion de ses chevaux et ce, dans le but de lui nuire;

§  Quelques jours après l’audience, la GRC s’est présentée chez la plaignante afin de l’informer qu’elle était accusée de fraude. Elle soutient que quelqu’un a fait de fausses déclarations à son sujet et attribue la responsabilité de cette situation à l’intimée et ses agissements.

·  Dans un deuxième temps, elle demande de nouveaux redressements en vertu de l’article 53 de la LCDP pour les nouveaux actes discriminatoires notamment 20 000$ pour chaque violation de l’article 14.1 et 20 000$ pour la violation de l’article 6(b) de la LCDP. Elle demande également une somme de 20 000$ en vertu de l’article 3(1) de la LCDP.

·  Dans un troisième temps, elle présente une multitude de faits nouveaux au soutien de sa plainte. La grande majorité de ces faits sont d’ordre général et viennent mettre en contexte les bases de sa plainte. Ces faits sont résumés de la manière suivante :  

o  Les détails sur la santé et la situation financière de sa fille;

o  Les détails de sa relation avec son conjoint, M. Bone, leur mode de vie et leur relation avec la communauté;

o  Les détails sur l’ex-conjointe de M. Bone, Mme Dianne Blackbird, et ses agissements contre Mme Polhill et les autres ex-partenaires de M. Bone;

o  L’adoption de la résolution du conseil de bande à la demande de Mme Blackbird avec l’aide de Mme Karen Blackbird et leurs tentatives de divulguer à la communauté le contenu de ladite résolution;

o  Les remarques discriminatoires contre la plaignante effectuées publiquement par Mmes Blackbird.

·  Enfin, elle effectue deux autres modifications dans son exposé des faits concernant de nouvelles demandes d’assignation et la modification du résumé de témoignage de M. Wes Bone;

o  La plaignante demande au Tribunal d’assigner la compagnie Facebook ou l’un de ses départements afin de dévoiler la véritable identité de la personne ayant frauduleusement ouvert un compte au nom de son conjoint;

o  La plaignante demande au Tribunal d’assigner Google (gmail) ou l’un de ses départements afin de dévoiler la véritable identité de M. Brian Sharpe, personne envoyant des courriels d’intimidation et de représailles à son conjoint;

o  La plaignante demande au Tribunal de s’enquérir de l’identité de la personne ayant fait, à l’encontre de sa fille, de fausses déclarations en avril 2017 à la « BC Employment and Assistance Office » à Abbotsford (Colombie-Britannique);

o  Quant aux modifications apportées au témoignage de M. Wes Bone, elle ajoute que ce dernier témoignera également sur la résolution du conseil de bande, sur Mme Dianne Blackbird, leur relation et ses antécédents, sur l’intimidation et les représailles vécues sur Facebook et via courriel, sur la gestion de la coupe des foins autour de leur maison et du « sweat lodge fire », ainsi que sur les méthodes traditionnelles utilisées afin d’aider et réconforter la plaignante.

B.  L’intimée

[11]  Dans sa réponse, l’intimée s’oppose à toute modification (ou ajout) demandée par la plaignante. Le Tribunal peut résumer ses représentations de la manière suivante :

·  L’intimée soutient que la plaignante n’a pas respecté les directives et les exigences du Tribunal notamment en ne surlignant pas toutes les modifications effectuées et surtout, en ne justifiant pas leur ajout;

·  L’intimée soutient que les propos de la plaignante varient avec le temps;

·  L’intimée soutient que la plaignante n’a pas fourni de liste de documents au soutien de sa demande et n’a pas transmis les documents en sa possession;

·  Quant aux allégations de représailles, l’intimée estime que l’ajout demandé par la plaignante est frivole et ne remplit pas les critères juridiques applicables en la matière;

·  L’intimée soutient que la plaignante n’a pas présenté au Tribunal de preuves solides et tangibles justifiant la modification de la plainte par l’inclusion d’actes de représailles;

·  L’intimée affirme qu’il n’y a pas de lien entre les faits nouveaux et la plainte d’origine;

·  L’intimée indique que certains faits nouveaux s’inscrivent dans la même période que la plainte d’origine. Cependant, elle fait valoir qu’il faut plus qu’une coïncidence en matière de représailles;

·  Quant à l’ajout de l’article 6(b) de la LCDP, l’intimée s’y oppose également, affirmant qu’elle n’a pas fourni à la plaignante de logement et que rien dans sa plainte ne permet de justifier un tel ajout.

C.  La Commission

[12]  J’aimerais tout d’abord mentionner que la Commission a fait un bon travail de concision dans sa réponse au Tribunal. Ceci étant dit, la position de la Commission est divisée selon l’aspect en question. Sa position peut être résumée ainsi :

·  La Commission précise qu’il n’est pas nécessaire de modifier l’exposé des faits pour demander des assignations ou fournir un nouveau résumé de témoignage. Elle propose de revisiter ces éléments ultérieurement;

·  Quant aux nouvelles violations de la LCDP et redressements recherchés, la Commission se dissocie de la demande effectuée par la plaignante et ne demande pas que les procédures soient modifiées tel que proposé;

·  La Commission a informé le Tribunal qu’elle se concentrera davantage sur les éléments invoqués dans la plainte initiale et plus particulièrement les actes relatifs à l’article 5 de la LCDP;

·  Quant aux faits nouveaux proposés par la plainte, la Commission ne prend aucune position quant aux ajouts factuels proposés. Elle indique que ces faits sont plutôt relatifs au contexte factuel du dossier. Ce faisant, et au cas où le Tribunal n’autoriserait pas les modifications dans l’exposé des faits de la plaignante, le Tribunal pourrait autoriser la plaignante à faire référence à ces informations lors de son témoignage à l’audience (comme autorisé dans l’arrêt Serge Lafrenière c. Via Rail Canada Inc., 2017 TCDP 12);

·  La Commission a également donné au Tribunal un aperçu  du cadre juridique entourant les modifications d’une plainte, d’un exposé des faits et en matière de représailles;

·  La Commission met l’emphase sur le fait qu’à ce stade-ci des procédures, l’intimée n’a toujours pas déposé son exposé des faits, sa liste de documents et sa liste de témoins. Dans ces circonstances, les questions entourant le préjudice ou l’équité ne se posent pas réellement puisque l’intimée aura la pleine et entière possibilité de répondre aux allégations;

·  La Commission rappelle au Tribunal que si celui-ci accepte l’ajout des actes discriminatoires en vertu des articles 6(b) et 14.1 de la LCDP, il devrait donner l’opportunité à la plaignante de modifier les redressements en conséquence;

·  La Commission fait valoir également que si l’article 3(1) LCDP énonce les motifs illicites de discrimination, il n’autorise pas en soi un redressement.


 

III.  Droit applicable

[13]  Il faut se rappeler que la plainte originale ne tient pas lieu de plaidoirie (Casler c. La Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2017 TCDP 6, par. 9  [Casler]; voir aussi Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 1, par. 10 [Gaucher]). De plus, comme il a été expliqué dans l’arrêt Casler  :

[8] […] il faut garder à l’esprit que le dépôt d’une plainte constitue la première étape du processus de résolution des plaintes en vertu de la Loi. …. Comme l’a affirmé le Tribunal au paragraphe 11 de la décision Gaucher, « [i]l est inévitable que de nouveaux faits et de nouvelles circonstances soient souvent révélés au cours de l’enquête. Il s’ensuit que les plaintes sont susceptibles d’être précisées. »

[14]  Le Tribunal jouit d’une grande discrétion dans l’instruction de la plainte conformément aux articles 48.9(1), 48.9(2), 49 et 50 de la LCDP. Il a été confirmé à de multiples reprises que le Tribunal détient les pouvoirs de modifier la plainte d’origine dont il a été saisi par la Commission (Canada (Procureur général) c. Parent, 2006 CF 1313 aux paragraphes 30, 41, 43).

[15]  L’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Assoc. canadienne des employés de téléphone, 2002 CFPI 776, vient également établir les principes généraux guidant le Tribunal relativement aux demandes de modification :

En règle générale, une demande d’amendement déposé devant le Tribunal devrait être autorisée à tout stade de l'action aux fins de déterminer les véritables questions litigieuses entre les parties, pourvu, notamment, que cette autorisation ne cause pas d'injustice à l'autre partie que des dépens ne pourraient réparer, et qu'elle serve les intérêts de la justice (Commission des droits de la personne) c. Assoc. canadienne des employés de téléphone, 2002 CFPI 776 au para. 31, en se référant à Canderel Ltd. c. Canada, 1993 CanLII 2990 (CAF), [1994] 1 C.F. 3 (C.A.F.)).

(voir aussi Attaran c. Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (anciennement Citoyenneté et Immigration Canada), 2017 TCDP 21, par. 16 [Attaran]; Société du musée canadien des civilisations c. Alliance de la fonction publique du Canada (section locale 70396), 2006 CF 704, par. 40, 50 [Société du musée]; Gaucher, par. 10).

[16]  Par ailleurs, les modifications proposées ne peuvent constituer en elles-mêmes une toute nouvelle plainte qui n’a pas été initialement déférée par la Commission (Société du musée, par. 40, 50. Ces modifications doivent nécessairement être liées en fait ou en droit à la plainte d’origine : c’est ce qu’on appelle l’existence d’un nexus (voir Blodgett v. GE-Hitachi Nuclear Energy Canada Inc., 2013 CHRT 24, par. 16-17; voir également Tran c. l’Agence du revenu du Canada, 2010 TCDP 31, par. 17).

[17]  L’ajout d’allégations de représailles s’appuie sur les mêmes guides précédemment énoncés tant dans l’ajout de motifs de distinction illicite que d’actes discriminatoires. Il a été confirmé à plusieurs reprise qu’il « serait difficile au plan pratique, inefficace et injuste d’exiger que les personnes présentent des allégations de représailles seulement dans le cadre d’une procédure distincte » (voir notamment Kavanagh c. S.C.C. (31 Mai 1999), T505/2298 (T.C.D.P.); Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada c. Procureur général du Canada (Représentant le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2012 TCDP 24, par. 14). Le Tribunal devrait généralement autoriser une modification afin d’y ajouter une allégation de représailles, à moins qu’il soit manifeste et évident qu’une telle demande ne saurait être jugée fondée (voir Virk c. Bell Canada, 2004 TCDP 10, par. 7 [Virk]; voir également Palm c. ILWU Local 500 et al., 2015 TCDP 23, par. 12; Saviye c. Afroglobal Network Inc. et Michael Daramola, 2016 TCDP 18, par. 15 [Saviye]). Le Tribunal doit également veiller à ce que l’intimée ait un préavis suffisant lui permettant de se défendre convenablement et ainsi, éviter de lui causer préjudice (voir notamment Virk, précité, au paragrahpe 8 ; voir également Saviye, précité, au paragraphe 17).

[18]  Enfin, lorsque le Tribunal doit analyser une demande de modification de la plainte, il ne devrait pas s’engager dans une analyse en profondeur du bien-fondé de ces modifications (voir Bressette c. Conseil de bande de la première nation de Kettle et Stony Point, 2004 TCDP 2, par. 6  [Bressette]). C’est à l’audience que le Tribunal évalue le bien-fondé des allégations et ce, lorsque toutes les parties ont eu l’opportunité pleine et entière de produire leurs éléments de preuve (voir Saviye au paragraphe 19 en se référant à Bressette au paragraphe 8). Leur ajout ne constitue pas en soi une violation de la LCDP : encore faut-il que la plaignante s’acquitte du fardeau de la preuve selon la balance des probabilités.  

IV.  Analyse

A.  Non-respect des directives du Tribunal

[19]  Les procédures devant le Tribunal se veulent être expéditives et le moins formalistes possibles (article 48.9 de la LCDP et règle 1(1)c) des Règles de procédure du Tribunal canadien des droits de la personne (03-05-04) (« Règles »). Le 23 juillet 2017, la plaignante transmet aux parties et au Tribunal un courriel incluant en pièces jointes sa lettre de présentation et ses modifications proposées. Elle indique dans ce message qu’elle a inclus les raisons expliquant ces modifications. Suite à la réponse de l’intimée, la plaignante transmet le 18 août 2017 une réplique dans laquelle elle réitère les raisons pour lesquelles elle demande les modifications.

[20]  L’intimée soutient que la plaignante n’a pas respecté les directives du Tribunal, n’ayant pas précisé les raisons de la non-inclusion des modifications dans l’exposé des faits initial. Je rappelle que la plaignante est non représentée et j’estime que celle-ci a respecté au mieux de ses capacités les demandes du Tribunal. Les procédures judiciaires et quasi judicaires peuvent être complexes. Les justiciables ne sont que rarement impliqués dans ce type de procédures au courant de leur vie. On ne peut, tout à coup, s’attendre à ce que ceux-ci agissent comme des officiers de justice et effectuent un travail de même calibre. Le Tribunal saisit l’idée générale sous-tendant les modifications sollicitées par la plaignante. Je suis satisfait de sa demande et de ses explications. Je ne donnerai donc pas suite à l’objection de l’intimée en la matière et j’aborderai en détails les aspects des modifications proposées.

B.  Préjudice à l’intimée

[21]  Dans un premier temps, j’aborderai la notion de préjudice contre l’intimée puisque je juge que cette question peut être traitée rapidement. Comme je l’ai déjà indiqué, les modifications devraient généralement être permises pourvu qu’elles ne débordent pas le cadre de la plainte initiale et qu’elles ne causent pas un préjudice à l’intimée. S’il y a préjudice, comment pouvons-nous le limiter ou le réparer?

[22]  Dans le cas en l’espèce, je souscris à l’affirmation de la Commission selon laquelle les modifications sollicitées par la plaignante ne portent pas préjudice à l’intimée. En effet, j’estime que la demande de la plaignante tombe au bon moment : l’intimée n’a pas encore déposé son exposé des faits ni sa liste de documents et de témoins. Elle aura donc toutes les opportunités et la latitude pour réfuter les allégations initiales ou modifiées avec les moyens de défense prévus par la Loi, le cas échéant. La Commission aura l’opportunité de modifier également son exposé des faits initial et la plaignante pourra déposer une réplique, si elle le désire. Je juge que cela respecte nettement les principes de justice naturelle et d’équité.

[23]  Comme j’ai décidé qu’il n’y a pas de préjudice pour l’intimée, j’aborderai plutôt les modifications sous l’angle du nexus avec la plainte d’origine. Quant aux représailles, je jugerai également si la demande est défendable ou soutenable selon les indications contenues dans l’arrêt Virk, précité.

C.  Article 6(b) de la LCDP – Traitement défavorable dans la fourniture de logement

[24]  Dans sa plainte d’origine, la plaignante affirme ne pas avoir reçu les prestations de nourriture et d’abri auxquelles elle avait droit. De plus, elle indique qu’une résolution a été adoptée par le conseil de bande et déclarant qu’elle n’a pas le droit de demeurer sur le territoire de l’intimée. Dans son exposé des faits, elle indique également avoir été contrainte de quitter le territoire ainsi que la maison qu’elle partage avec son conjoint pour plusieurs raisons attribuables à l’intimée notamment à cause de la résolution du conseil, des problèmes de prestations, du harcèlement, de la pression, etc.

[25]  À cette étape-ci, je rappelle le Tribunal ne doit pas s’engager dans une analyse en profondeur du bien-fondé des modifications et des faits. Puisque la question du préjudice a déjà été abordée, je dois simplement déterminer s’il existe un lien entre ces modifications et la plainte initiale. J’estime qu’il existe effectivement un nexus. Les problèmes avec les prestations d’abri, la résolution interdisant à la plaignante de demeurer sur la réserve, le harcèlement et la pression, etc., ont pu pousser la plaignante à quitter sa résidence. Conséquemment, j’autorise l’ajout d’une allégation d’acte discriminatoire à la plainte, au titre de l’article 6(b) de la LCDP.

[26]  J’attire cependant l’attention sur le fait que la référence à l’article 6(b) de la LCDP du fait de l’ajout d’allégation ne constitue pas en soi une violation de la LCDP. Il ne s'agit pas pour moi d’évaluer la preuve selon la balance des probabilités. Ceci sera fait à l’audience à la lumière de la preuve déposée. La plaignante doit encore démontrer au Tribunal qu’il y a une violation selon de le fardeau de la balance des probabilités. L’intimée aura l’opportunité de réfuter ces allégations ou fournir un moyen de défense prévu par la Loi.

D.  Article 14 de la LCDP – Harcèlement

[27]  La plaignante affirme, depuis le dépôt de sa plainte originale, avoir fait l’objet d’intimidation et de harcèlement sur Facebook, dans la communauté, dans les bureaux de l’intimée, etc., et elle attribue la cause de ces actes à l’intimée, ses représentants ou ses affiliés.

[28]  La notion de harcèlement n’est pas définie dans la LCDP. La jurisprudence nous éclaire cependant et plus particulièrement l’arrêt Siddoo c. Syndicat international des débardeurs et magasiniers, section locale 502, 2015 TCDP 21, par. 45-47. Ce ne sont pas tous les gestes insensibles, inintelligents, impertinents ou grossiers, qui donnent lieu à une plainte en vertu de l’article 14 de la LCDP. Le harcèlement doit être évalué au cas par cas et sous l’angle de la personne raisonnable dans les circonstances. Cette analyse doit se faire à la lumière des faits et de la preuve présentés à l’audience. Cependant, ce n’est pas à ce stade-ci que je dois évaluer le bien-fondé des gestes et de la violation.

[29]  Depuis le début du dossier, la plaignante affirme avoir été intimidée et harcelée par le conseil, ses membres ou des gens qui lui sont liés. S’agissant de harcèlement, l’article 14 de la LCDP n’est qu’une suite logique de ces allégations. En conséquence, j’estime qu’il existe un lien entre l’ajout d’allégation au titre de l’article 14 LCDP et la plainte originale.

[30]  Au risque de me répéter, la plaignante doit encore s’acquitter du fardeau de la preuve selon la balance des probabilités quant à cet aspect et l’intimée aura, encore une fois, l’opportunité de réfuter les allégations ou de présenter une défense prévue par la Loi.

E.  Article 14.1 de la LCDP – Représailles

[31]  En matière de représailles, le Tribunal doit non seulement évaluer s’il existe un nexus entre les allégations et la plainte d’origine, mais également déterminer si la demande est défendable ou soutenable. Il faut se rappeler que dans la procédure en l’espèce la plainte est déposée contre la Nation elle-même. Donc, la plaignante a le fardeau de démontrer un lien entre les actes de représailles allégués et les actions prises par la Nation ou les agents de celle-ci.

[32]  L’article 14.1 de la LCDP concerne la victime des représailles ou celle qui agit en son nom. Le Tribunal a révisé la plainte initiale et l’exposé des faits de la plaignante et de la Commission. Il est clair pour moi que la victime de la plainte est Mme Polhill personnellement : sa fille ou son conjoint ne sont pas visés comme victimes par la plainte d’origine. Cependant, le Tribunal est d’avis qu’on ne peut pas déterminer clairement si l’instruction devrait se terminer ici. De tout temps, le Tribunal a abordé la question des représailles dans la mesure où elles visent directement la personne qui a déposé une plainte ou la victime présumée (voir Warman c. Winnicki, 2006 TCDP 20, par. 113). Sans se prononcer sur le fond de la question dans la présente décision, le Tribunal estime qu’on peut soutenir qu’un acte commis contre une tierce personne, comme l’époux ou la fille de la plaignante, peut être considéré comme des représailles contre la plaignante elle-même. Sur ce point, le Tribunal voudrait attirer l’attention des parties sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Singh (Re), [1989] 1 C.F. 430, page 442, dans laquelle la Cour a déclaré ce qui suit :

La question est de savoir qui est la « victime » de l’acte discriminatoire reproché est presque une question de fait. La législation sur les droits de la personne ne tient pas tant compte de l’intention à l’origine des actes discriminatoires que de leur effet. L’effet n’est d’aucune façon limitée à la « cible » présumée de l’acte discriminatoire et il est tout à fait concevable qu’un acte discriminatoire puisse avoir des conséquences qui sont suffisamment directes et immédiates pour justifier qu’on qualifie de « victimes » des personnes qui n’ont jamais été visées par l’auteur des actes en question.

Compte tenu de ce qui précède, le Tribunal n’est pas convaincu que les allégations de représailles se rapportant à des actes commis contre M. Bone ou la fille de la plaignante n’ont aucune chance raisonnable de succès sur le fond. Le Tribunal accueille donc les modifications que la plaignante a proposé d’apporter à son exposé des précisions en ce qui concerne la fausse page Facebook de Wes Bone, les courriels provenant de Brian Sharpe et les prestations perdues par la fille de la plaignante. Le Tribunal attend avec intérêt de recevoir les observations des parties sur cette question à l’audience.

[33]  La plaignante aborde également d’autres situations de représailles présumées qui la touchent personnellement notamment cette situation concernant l’inondation dans le sous-sol, la coupe des foins autour de la maison et l’histoire des chevaux. Quant à la première situation, le Tribunal croit comprendre que la plaignante soutient que l’intimée n’a pas agi correctement ou rapidement, ce qui constitue selon elle des représailles. Dans la seconde, elle affirme que le chef du conseil est intervenu dans une entente contractuelle qu’elle aurait pu avoir avec une tierce personne quant à la coupe des foins. Dans la troisième situation, elle soutient que le chef a tenté de lui nuire en l’informant que ces chevaux s’étaient vraisemblablement enfuis de leur enclos. Ces événements se sont produits après le dépôt de la plainte en avril 2014. Je réaffirme que je ne peux me prononcer sur le bien-fondé de ces allégations. Cependant, je dois déterminer si ces dernières sont défendables. Est-il « […] manifeste et évident que les allégations faisant l’objet de la demande de modification ne sauraient être jugées fondées » (voir Bressette, précité, au paragraphe 6)? Sans avoir la possibilité d’entendre toute la preuve quant à ces allégations, il n’est pas aussi manifeste et évident que celles-ci sauraient être jugées non fondées. J’autoriserai donc l’ajout de ces modifications.  Néanmoins, encore faut-il que la plaignante puisse faire la preuve de ces éléments selon la balance des probabilités. L’intimée aura l’opportunité de réfuter les allégations ou présenter sa défense.

[34]  Enfin, la plaignante prétend qu’un autre acte de représailles a été commis récemment. Une personne aurait effectué de fausses déclarations à la GRC. Un agent  se serait présenté au domicile de la plaignante afin de l’aviser qu’elle est accusée de fraude. La plaignante attribue cette situation aux agissements de l’intimée, mais ne peut identifier la personne à l’origine de ces déclarations. Dans le cas des autres allégations, la plaignante explique de façon assez claire l’implication de l’intimée ou de ses représentants. Dans la situation impliquant la GRC, il est très difficile pour le Tribunal de faire le lien entre la personne qui aurait fait de fausses déclarations et l’intimée et ce, malgré analyse sommaire des circonstances et des inférences qui peuvent être tirées. Dans cette situation, j’estime que les allégations ne sont pas soutenables et pour ces raisons, je n’autoriserai pas les modifications quant à cet aspect précis.

[35]  Le Tribunal rappelle aux parties qu’il revient à la plaignante d’établir à première vue l’existence de représailles à son encontre. Autrement dit, pour chaque allégation, la plaignante doit montrer (i) qu’elle a subi, par suite du dépôt de sa plainte, un traitement préjudiciable de la part de l’intimée ou d’une personne agissant en son nom; et (ii) que la plainte a constitué un facteur à l’origine du traitement préjudiciable (voir Tabor c. La Première nation Millbrook, 2015 TCDP 18, par. 6).

F.  Autres modifications

[36]  La plaignante effectue également d’autres modifications dans son exposé des faits. À mon avis, ces modifications relèvent généralement du contexte factuel déjà établi initialement. La plaignante précise certaines situations ou corrige certaines erreurs comme l’année 2014 au lieu de 2013. Comme l’indiquent les arrêts Gaucher et Casler, précités, la plainte déposée à la Commission n’est que sommaire : elle se précise nécessairement en cours de processus. C’est dans l’exposé des faits que les conditions de l’audience se précisent. Comme les modifications ne changent pas substantiellement l’essence du dossier et comme j’ai déjà déterminé que le préjudice pour l’intimée est inexistant, j’autoriserai les diverses modifications. La plaignante a le fardeau de prouver ses allégations à l’audience.


 

G.  Redressements

[37]  J’ai autorisé la plaignante à modifier sa plainte d’origine afin d’y ajouter les actes discriminatoires, avec certaines restrictions, en vertu des articles 6(b), 14 et 14.1 de la LCDP. Parallèlement, la plaignante devrait avoir l’opportunité de modifier les redressements en conséquence. Comme le précisent les membres Marchildon et Lustig dans l’arrêt Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 TCDP 2, par. 469 :

[469] Il est également important de rappeler que la LCDP consacre des droits qui revêtent une importance primordiale. Ces droits doivent être pleinement reconnus et mis en œuvre par le biais de la Loi. Lorsqu’il s’agit d’élaborer des réparations sous le régime de la LCDP, il convient d’interpréter les pouvoirs qui sont conférés au Tribunal en vertu du paragraphe 53(2) de la façon juste, large et libérale la plus propre à assurer la réalisation des objets de la Loi. Lorsqu’on applique une méthode d’interprétation téléologique, les réparations prévues par la LCDP devraient promouvoir efficacement le droit à protéger et défendre utilement les droits et libertés de la victime de l’acte discriminatoire (CN c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1987] 1 RCS 1114, p. 1134; et Doucet‑Boudreau, par. 25 et 55).

Lorsque le Tribunal déclare qu’il y a eu violation de la LCDP et qu’un acte discriminatoire a été commis, la Loi prévoit les réparations qui peuvent être ordonnées afin de corriger la situation. Sans redressement, l’objet de la Loi ne peut être atteint.  

[38]  Ceci étant dit, il n’est pas clair pour moi quels sont précisément les redressements que la plaignante demande. En effet, elle réclame 20 000$ pour chacune des violations des articles 3(1), 6(b) et 14.1 de la LCDP. Je rappelle d’abord que l’article 3(1) de la LCDP n’entraîne pas en soi un redressement puisqu’il s’agit de l’article qui énonce les motifs de distinction illicites. Il ne s’agit pas d’une pratique discriminatoire donnant lieu à un redressement en vertu de l’article 53(2) de la LCDP. Conséquemment, je n’autoriserai pas cette modification. Quant aux deux autres réclamations de 20 000$ au titre des articles 6(b) et 14.1 de la LCDP, la plaignante n’a pas indiqué si elle réclamait ces montants en vertu de l’article 53(2)e) de la LCDP pour le préjudice moral qu’elle aurait subi ou en vertu de l’article 53(3) de la LCDP pour un présumé acte délibéré ou inconsidéré.

[39]  Je considère que ces omissions ne sont pas graves à cette étape du processus, mais il faudra que la plaignante précise ses intentions et ce, avant que l’intimée se lance dans son exposé des faits. L’intimée a le droit de comprendre clairement les faits qui lui sont reprochés et les redressements qui sont demandés. Je précise qu’il y a une différence entre les dommages pour préjudice moral et les dommages pour des actes délibérés ou inconsidérés. La preuve que soumettra l’intimée sera adaptée en conséquence. Cette question devra être clarifiée dans une conférence téléphonique suivant la publication de ce jugement mais avant que l’intimée prépare son exposé des faits.  

H.  Résumé du témoignage de M. Bone

[40]  Le résumé de témoignage que fournissent les parties ne sont qu’une ébauche sommaire des faits sur lesquels le témoin viendra témoigner à l’audience (voir article 6(1)(f) des Règles). La plaignante a tout de même décidé de préciser le témoignage de M. Bone dans son exposé des faits modifié et a demandé au Tribunal de modifier le résumé de celui-ci. La plaignante fait état de nouveaux faits et de nouveaux actes discriminatoires et elle informe les parties que M. Bone témoignera sur le sujet à l’audience. Étant donné la requête de la plaignante à cette étape-ci, j’autoriserai cette modification. Comme l’intimée n’a pas déposé son exposé des faits, il lui sera loisible de répondre à de telles allégations, produire ses documents et assigner ses témoins en conséquence.

I.  Assignations

[41]  Conformément à l’article 50(3)a) de la Loi, le membre instructeur a le pouvoir discrétionnaire de délivrer une assignation s’il l’estime nécessaire à l’examen complet de la plainte (Association canadienne des employés de téléphone c. Bell Canada, 2000 CanLII 20416 [Bell Canada]; voir également Schecter c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2005 TCDP 35, par. 20 [Schecter]). De façon générale, l’assignation vise à contraindre une tierce personne à témoigner sous serment, oralement ou par écrit ou à produire des documents et des pièces en sa possession. Pour rendre sa décision, le Tribunal évalue les facteurs en se demandant notamment, s’il existe un lien rationnel entre les renseignements demandés et les faits, les questions et les formes de redressement mentionnées dans les observations des parties, si la demande équivaut à une recherche à l’aveuglette et si la demande est oppressive, en ce sens qu’elle oblige un individu étranger au litige à se soumettre à une recherche onéreuse et fort étendue de documentation (voir Bell Canada).

[42]  Il est évident que l’identité de l’auteur de la page Facebook et du compte Gmail engage la responsabilité de l’intimée ou de l’un de ses agents. Cependant, il n’est pas évident au Tribunal que la page Facebook ou le compte Gmail contiennent les renseignements demandés par la plaignante. Par exemple, si la personne peut seulement être identifiée par son adresse IP, la coopération du fournisseur de service Internet sera requise. La plaignante devra peut-être demander au fournisseur Internet de révéler l’identité ou l’adresse de la personne. D’autres assignations pourraient être nécessaires.

[43]  Le Tribunal ne sait pas si la plaignante a déjà fait des démarches pour communiquer avec ces tierces personnes ni si elle a déjà identifié une personne ou un service en particulier aux fins de la signification des assignations. Le Tribunal ne délivrera pas une assignation pour contraindre un témoin à comparaître ou à produire un document ou des éléments matériels dans une instance sans d’abord recevoir davantage de précisions. Vu l’absence de données précises, le Tribunal estime qu’il n’est pas en mesure de se prononcer sur la nécessité d’une assignation à l’encontre de Facebook ou de Google pour le moment. Cette question pourra être discutée entre les parties et le Tribunal à la prochaine conférence téléphonique de gestion de l’instance. 

[44]   Dans le même esprit, le Tribunal a de la difficulté à conclure à la nécessité de délivrer une assignation à l’encontre du « BC Employment and Assistance Office » pour le moment puisqu’il n’est pas évident que le bureau a en sa possession les renseignements demandés. Premièrement, la plaignante n’a pas identifié l’employée qui a reçu l’appel anonyme. Deuxièmement, il n’est pas évident que l’employée devrait se fier seulement à sa mémoire pour identifier la voix de l’auteur de l’appel anonyme ou qu’un enregistrement de la conversation présumée pourrait être produit. Étant donné que le Tribunal n’a pas obtenu les précisions requises pour décider si l’assignation est nécessaire à ce stade, il ne délivrera pas d’assignation pour le moment. Encore une fois, cette question pourra être discutée entre les parties et le Tribunal à la prochaine conférence téléphonique de gestion de l’instance.

[45]  Le Tribunal rappelle aux parties que, conformément à l’article 50(6) de la Loi, « les témoins assignés à comparaître en vertu du présent article peuvent, à l’appréciation du membre instructeur, recevoir les frais et indemnités accordés aux témoins assignés devant la Cour fédérale » (voir Day c. Canada (Défense nationale), 2003 TCDP 7 aux paragraphes 2 et 3). Par conséquent, en application des Règles 41 et 42 et du tarif A des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, chaque témoin convoqué pour déposer a droit à une indemnité de 20 $ par jour plus les frais de déplacement raisonnables engagés par la partie qui a assigné le témoin à comparaître. 

J.  Divulgation des documents par la plaignante

[46]  L’intimée soutient que la plaignante n’a pas transmis aux parties la liste des documents qu’elle a en sa possession et qui sont potentiellement pertinents au litige. L’intimée demande que la plaignante transmette lesdits documents ainsi qu’une liste.

[47]  Effectivement, en examinant le dossier, je constate que la Commission a déposé sa liste de documents le 13 novembre 2015 ainsi qu’une liste de documents supplémentaires en date du 26 octobre 2016. La plaignante n’a pas déposé de telle liste. Le Tribunal n’est pas au fait non plus des divers aspects de la divulgation entre les parties. C’est à ce stade-ci qu’une des parties me fait une telle demande.

[48]  Brièvement, je rappelle aux parties l’article 50(1) de la LCDP qui énonce notamment que les parties ont le droit à une audience pleine, entière et peuvent soumettre des éléments de preuve et des observations. Ce droit inclut également la divulgation de la preuve : les parties ont l’obligation de divulguer les éléments de preuve qu’elles ont en leur possession ou sous leur contrôle (Guay c. Canada (Gendarmerie royale), 2004 TCDP 34, par. 40 [Guay]). C’est également ce que prévoient les articles  6(1)d) et 6(1)e) des Règles. Tous les documents qui sont potentiellement pertinents au litige doivent être divulgués (Bushey c. Sharma, 2003 TCDP 5, par. 4; Hughes c. Transport Canada, 2012 TCDP 26, par. 20, 25-26; voir subsidiairement Guay au paragraphe 40, précité; Day c. Ministère de la défense nationale et Hortie, décision no 3, 2002/12/06; Warman c. Bahr, 2006 TCDP 18, par. 7 [Warman]; Seeley c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2013 TCDP 18, par. 6; Gaucher c. Forces armées canadiennes, 2005 TCDP 42, par. 10-11). Je précise que ce seuil de la pertinence alléguée est très peu élevé (Warman, précité, par. 6).

[49]  La plaignante doit donc divulguer à l’intimée et à la Commission tous les documents à pertinence alléguée en sa possession. Elle devra également effectuer une liste de ces documents, accompagnée d’une très courte description des documents. Les documents pour lesquels la plaignante réclame un privilège (par exemple le privilège de médiation, d’entente ou de litige) devront faire l’objet d’une liste différente, accompagnée elle aussi d’une courte description. Je rappelle que ces documents ne doivent pas être divulgués puisqu’un privilège est réclamé. Je renvoie la plaignante aux listes de la Commission datées des 13 novembre 2015 et 26 octobre 2016 à titre de bon exemple de listes à transmettre aux parties.

[50]  Le délai de dépôt de telles listes et celui de divulgation des documents par la plaignante seront déterminés lors d’une conférence téléphonique, après la distribution de la présente décision.

V.  Remarques supplémentaires

[51]  Je me permets de rappeler aux parties que les droits et libertés fondamentaux sont intrinsèques à tout individu en tant qu’être humain. Garantir ces droits inhérents est d’une importance capitale dans une société démocratique, égalitaire et juste. Ces garanties permettent de préserver la dignité humaine. Comme la Cour Suprême du Canada l’a décrit dans l’arrêt Law c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1999] 1 RCS 497, 1999 CanLII 675 (CSC) au paragraphe 53 :

[53] […] La dignité humaine signifie qu’une personne ou un groupe ressent du respect et de l’estime de soi.  Elle relève de l’intégrité physique et psychologique et de la prise en main personnelle.  La dignité humaine est bafouée par le traitement injuste fondé sur des caractéristiques ou la situation personnelles qui n’ont rien à voir avec les besoins, les capacités ou les mérites de la personne.  Elle est rehaussée par des lois qui sont sensibles aux besoins, aux capacités et aux mérites de différentes personnes et qui tiennent compte du contexte sous‑jacent à leurs différences.  La dignité humaine est bafouée lorsque des personnes et des groupes sont marginalisés, mis de côté et dévalorisés, et elle est rehaussée lorsque les lois reconnaissent le rôle à part entière joué par tous dans la société canadienne.  Au sens de la garantie d’égalité, la dignité humaine n’a rien à voir avec le statut ou la position d’une personne dans la société en soi, mais elle a plutôt trait à la façon dont il est raisonnable qu’une personne se sente face à une loi donnée.

[52]  Le Tribunal est l’un des quelques corps permettant aux personnes de faire valoir leur droit « dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligatoires au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins» et ce, indépendamment de toutes considérations, caractéristiques ou situations personnelles (article 2 de la LCDP). Les sujets abordés par les plaignants devant le Tribunal touchent leur dignité, leur estime de soi et peuvent être profondément sensibles.

[53]  Chaque partie a le droit d’être entendue pleinement et entièrement par le Tribunal. Ce dernier est guidé par des principes de justice naturelle et d’équité. Les parties en défense ont le droit de ne pas être en accord avec les plaignants et peuvent répondre aux allégations avancées. Comme je l’ai mentionné précédemment, les sujets abordés en matière des droits et libertés de la personne sont délicats et concernent des individus. En conséquence, les soumissions des parties doivent faire preuve de retenues et de délicatesse. J’invite donc les parties à faire preuve de retenue dans l’utilisation de certaines expressions.

[54]  Enfin, j’ajouterai que je ne souscris pas aux propos de l’intimée selon lesquels la demande de la plaignante est d’une futilité telle qu’elle confine au gaspillage des ressources du Tribunal. Je rappelle que l’intimée, sur une période de plus d’une année et demie, n’a pas participé au processus quasi judicaire du Tribunal. Ce dernier lui a envoyé 22 correspondances avec accusé de réception en plus de lui signifier l’avis d’audience par huissier de justice. Enfin, le Tribunal, son greffier et la Commission se sont déplacés au lieu de l’audience afin d’instruire la plainte, mais l’audience en question a été reportée. Ce faisant, toutes les ressources du Tribunal ont été engagées afin de garantir les droits des uns et des autres – qu’il s’agisse de l’intimée, de la plaignante, ou de la Commission dont l’objectif est de protéger les intérêts de la société canadienne.

VI.  Ordonnances

[55]  Pour ces motifs, j’autorise les modifications  suivantes :

·  Dans la section « Introduction » :

o  Toutes les modifications entre « I, Tracy M. M. Polhill have filed …» jusqu’à « […] in April 2017 as my only witness»;

·  Dans la section « Personal Impact »:

o  Toutes les modifications incluses dans cette section, plus précisément entre « When I met Wes Bone […] » à « […] fall fire hazard, 61A is our home »;

·  Dans la section « Remedies sought »:

o  L’ajout des sections (iv) et (v).

[56]  Je n’autorise pas les modifications suivantes :

·  Dans la section « Remedies Sought »:

o  L’ajout de la section (vi).

[57]  J’autorise les modifications du « will say statement » de M. Wes Bone.

[58]  Je n’émettrai pas les assignations demandées par la plaignante à cette étape-ci du processus.

[59]  Le Tribunal contactera les parties à la suite de la publication de sa décision afin de discuter des précisions relatives aux redressements et assignations demandés par la plaignante ainsi que de la divulgation des documents par la plaignante.  

 

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 26 octobre 2017

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2101/1715

Intitulé de la cause : Tracy Polhill c. la Première Nation Keeseekoowenin

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 26 octobre 2017

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Tracy Polhill, pour elle même

Brian Smith , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Norman Boudreau, pour l'intimée

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