Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Titre : Les armoiries du Tribunal - Description : Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2017 TCDP 30

Date : le 3 octobre 2017

Numéro du dossier : T2139/1316

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Sandra Temple

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Horizon International Distributors

l'intimée

Décision

Membre : Gabriel Gaudreault

 



I.  Mise en contexte

[1]  La Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) reçoit, le 4  février 2015, une plainte de Mme Sandra Temple (la plaignante) à l’encontre de la compagnie Horizon International Distributors (la compagnie, l’intimée ou Horizon) affirmant avoir été l’objet de discrimination fondée sur son sexe ainsi que sa déficience. Ce basant sur ces deux motifs, elle allègue avoir été défavorisée au cours de son emploi et que la compagnie a refusé de continuer de l’employer, en violation de l’article 7 de la Loi canadienne des droits de la personne (LCDP ou la Loi).

[2]  Le 26 février 2016, la Commission a référé la plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) afin que celui-ci instruise la plainte en vertu de l’article 44(3)(a) de la LCDP.

[3]  Le 22 décembre 2016, le vice-président du Tribunal, Susheel Gupta, a rendu une décision sur requête quant au lieu de l’audition. Il a été décidé que l’audition aurait lieu à deux endroits différents soit à Calgary (du 23 au 25 mai 2017), pour les témoins appelés par la plaignante et à Winnipeg (du 6 au 9 juin 2017) pour les témoins appelés par l’intimée. Lors des trois premiers jours d’audition à Calgary, la plaignante était présente et accompagnée de son fils, Jonathan Temple. Étaient aussi présents l’avocate de l’intimée, Me Terra Welsh, et un représentant de la compagnie, Luc Dubé. Deux autres représentants de la compagnie, Gilbert Dubé et sa conjointe, ont assisté à l’audience par visioconférence de Winnipeg. Lors des quatre jours d’audition suivants à Winnipeg, les représentants de l’intimée étaient tous présents et assistés de leur avocate. Mme Temple a participé à l’audition via visioconférence, de Calgary, toujours accompagnée de son fils.

[4]  Considérant l’utilisation continue de la visioconférence lors de cette audition de sept jours incluant certains témoignages, le Tribunal a fait preuve d’une grande proactivité afin d’encadrer les parties tout au long de l’audition notamment sur la gestion de la documentation et des témoignages. Le Tribunal s’est également assuré que les parties étaient en mesure de bien suivre et comprendre le déroulement de l’audition, même si celles-ci étaient à distance. Le Tribunal a demandé aux parties et a réitéré, à de très nombreuses reprises, de l’informer notamment s’il y avait quelconques difficultés technologiques. Les parties n’ont pas hésité à informer le Tribunal dans ces situations et des mesures ont été prises afin de corriger la situation.

[5]  À Calgary, Mme Temple a témoigné la première. Elle a ensuite appelé trois témoins : M. Paul Murray, camionneur et ami, M. Yves Carriere, camionneur de la compagnie et ancien collègue de travail, ainsi que Jonathan Temple, son fils. À Winnipeg, l’intimée a appelé six témoins : Gilbert Dubé, président de la compagnie, Luc Dubé, directeur général de la compagnie, Sheldon Savage, superviseur de la maintenance, Terry Matthews et Verne Wyatt, répartiteurs, ainsi que David Yach, ancien camionneur de la compagnie.

[6]  Après avoir entendu les différents témoignages et sauf à quelques exceptions près qui seront traitées ultérieurement dans la présente décision, rien ne m’indique que les témoins n’ont pas été francs et crédibles dans leur témoignage. De plus, le Tribunal reconnait la persévérance de Mme Temple et son respect envers le processus quasi judiciaire. Le Tribunal reconnait également le bon travail de Me Welsh. Les parties ont bien collaboré et un sentiment de collégialité était palpable tout au long de l’audition.

[7]  Ceci étant dit, je dois rendre une décision basée sur la preuve qui m’a été présentée. Pour les raisons qui suivent, je conclus que la plainte de Mme Temple n’est pas fondée. Mme Temple n’a pas rencontré le fardeau de preuve d’un cas prima facie de discrimination plus précisément que la ou les caractéristique(s) protégée(s) par la LCDP a (ou ont) constitué un (ou des) facteur(s) dans la manifestation de l’effet préjudiciable.

II.  Les dispositions pertinentes de la Loi

[8]  Dans le présent dossier, les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes : 2 et 3(1), 7(a) et (b), 15(1)(a), 15(2), 53(1), 53(2), 53(3) et 53(4).

[9]  Ces dispositions de la Loi énoncent ce qui suit :

2 La présente loi a pour objet de compléter la législation canadienne en donnant effet, dans le champ de compétence du Parlement du Canada, au principe suivant : le droit de tous les individus, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesures visant à la satisfaction de leurs besoins, indépendamment des considérations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, la déficience ou l’état de personne graciée.

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

7 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, par des moyens directs ou indirects :

a) de refuser d’employer ou de continuer d’employer un individu;

b) de le défavoriser en cours d’emploi.

15 (1) Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l’employeur qui démontre qu’ils découlent d’exigences professionnelles justifiées;

[…]

15 (2) Les faits prévus à l’alinéa (1)a) sont des exigences professionnelles justifiées ou un motif justifiable, au sens de l’alinéa (1)g), s’il est démontré que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité.

53 (1) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur rejette la plainte qu’il juge non fondée.

53(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1);

ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l’article 17;

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

c) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des pertes de salaire et des dépenses entraînées par l’acte;

d) d’indemniser la victime de la totalité, ou de la fraction des frais supplémentaires occasionnés par le recours à d’autres biens, services, installations ou moyens d’hébergement, et des dépenses entraînées par l’acte;

e) d’indemniser jusqu’à concurrence de 20 000 $ la victime qui a souffert un préjudice moral.

53 (3) Outre les pouvoirs que lui confère le paragraphe (2), le membre instructeur peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $, s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

53 (4) Sous réserve des règles visées à l’article 48.9, le membre instructeur peut accorder des intérêts sur l’indemnité au taux et pour la période qu’il estime justifiés.

III.  Contexte factuel

[10]  Dans un souci de concision et d’une bonne compréhension du dossier, le Tribunal en résume les aspects généraux et ce, en se basant sur la documentation soumise par les parties ainsi que sur les différents témoignages présentés à l’audience. Le Tribunal estime qu’il est nécessaire d’établir ces faits afin de saisir l’essence du dossier et de l’industrie du camionnage.

A.  Horizon International Distributors et le domaine du camionnage

[11]  Horizon est une compagnie manitobaine de camionnage fondée en 1988 par M. Gilbert Dubé dont le siège social est situé à Winnipeg (Manitoba). Les activités de la compagnie s’étendent à travers tout le territoire canadien et se concentrent davantage dans le transport de denrées périssables et des aliments réfrigérés. Aux dates d’audition, les opérations de la compagnie sont administrées par un peu plus d’une dizaine d’employés. Elle détient également une flotte d’environ 32 camions et un entrepôt dans la région de Montréal (Québec). Horizon engage deux types d’opérateurs de camion afin de livrer ses frets : (1) des opérateurs de camion, employés, conduisant les camions appartenant à la compagnie (« employés-opérateurs » de camion) et (2) des opérateurs de camion, employés contractuels, qui sont propriétaires de leur propre poids lourd (« propriétaire-opérateur » de camion). Fait important, à la date de la plainte, Mme Temple était la seule femme propriétaire-opératrice de camion chez Horizon.

[12]  Les propriétaires-opérateurs sont payés au kilométrage effectué : plus ils effectuent de kilomètres, plus la rémunération est grande. De plus, il gagne un montant fixe minimal pour chaque livraison effectuée. Les camions détenus par la compagnie sont administrés et entretenus par la compagnie elle-même tandis que les propriétaires-opérateurs sont responsables de leur propre poids lourd et des dépenses qui y sont liées. Horizon est le type de compagnie de camionnage qui ne fournit pas d’horaire spécifique de ramassage de frets. Elle ne garantit également pas une zone ou un trajet particulier aux opérateurs de camions. Cependant, les conducteurs de camion lui fournissent leurs disponibilités et leurs préférences de zones ou trajets et la compagnie répartit les livraisons aux opérateurs disponibles. Horizon tente d’accommoder les camionneurs selon leurs préférences, si possible. Il faut préciser que les chargements des opérateurs de camion ne vont pas nécessairement tous chez le même client. Ainsi, un opérateur peut retrouver, dans sa remorque, plusieurs frets à livrer et ce, chez différents clients.

[13]  Horizon permet aux propriétaires-opérateurs de facturer leurs dépenses notamment les réparations, essence, assurances, licences et autres, sur ses comptes. Elle peut également avancer aux propriétaires-opérateurs une somme au milieu du mois afin de leur permettre de subvenir à leurs besoins courants. Finalement, la compagnie émet un relevé à la fin du mois comptabilisant les revenus et les dépenses des propriétaires-opérateurs. Leur revenu peut être résumé comme suit : la somme attribuée pour le kilométrage effectué et les livraisons, moins les frais d’essence, moins les avances, moins les réparations et les frais d’entretien, moins les assurances, licences et les autres dépenses.

[14]  Sans entrer dans tous les détails du fonctionnement de la compagnie, lorsque des marchandises doivent être livrées chez des clients, c’est un répartiteur qui s’occupe d’organiser la logistique autour de ces livraisons. Sans limiter les tâches du répartiteur, nous pouvons comprendre qu’il attribue, entre autres, les frets aux opérateurs de camion, organise les horaires de livraison avec les clients, travaille en étroite collaboration avec les opérateurs de camion, prévoit des solutions de rechanges en cas de problèmes, contacte les clients si nécessaire, etc. Le répartiteur est le lien entre la compagnie, les clients et les opérateurs de camion. Chez Horizon, les répartiteurs se divisent les tâches en deux sections : l’Est et l’Ouest du Canada. Un répartiteur est attitré pour chaque section.

[15]  Les opérateurs de camion, quant à eux, doivent livrer la marchandise telle que prévu. Ils doivent évidemment suivre les horaires de livraison. Certains clients sont moins flexibles quant aux horaires et il faut parfois modifier et planifier de nouveau les livraisons. Ceci n’est pas peu rare. Les opérateurs de camion doivent également respecter des réglementations strictes en matière de transport et sont soumis à des exigences particulières notamment quant aux heures de service. Encore une fois, sans entrer dans tous les détails de la réglementation en matière de transport de poids lourd, le Tribunal retient que les opérateurs de camion doivent se soumettre à l’un ou l’autre des cycles prévus : un cycle de 7 jours ou un cycle de 14 jours. Pour chaque cycle, des restrictions spécifiques s’appliquent. Par exemple, dans le cycle de 7 jours, l’opérateur de camion ne peut conduire plus de 70 heures. À la suite de cette période de 70 heures, un congé de 36 heures est obligatoire. Le Tribunal comprend également que les opérateurs de camion, sur une période de 24 heures, ne peuvent conduire plus de 13 heures par jour. Ils ont droit à 2 heures de pause et 1 heure de service pour notamment inspecter le camion et faire le plein d’essence, à l’exclusion de conduire. Finalement, ils ont l’obligation de prendre 8 heures de repos consécutives. Le Tribunal comprend également que les opérateurs de camion peuvent permuter d’un cycle à l’autre, mais doivent respecter, encore une fois, certaines règles. Le Tribunal n’a certainement pas la prétention de reprendre toutes les exigences réglementaires en matière de transport de poids lourd.

[16]  Les opérateurs de camion ont également l’obligation de maintenir un carnet de route, communément appelé « log book ». Le carnet de route permet à l’opérateur de camion de tenir un registre de ses activités, pour chaque période de 24 heures. Cette période de 24 heures est subdivisée en plage de 15 minutes. L’opérateur doit donc tenir un registre de ses déplacements et de son temps de conduite, de la durée de ses repos et pauses et de son temps hors service. Lorsque Mme Temple travaillait pour Horizon, son carnet de bord était manuscrit et non électronique.

B.  Mme Sandra Temple

[17]  Sandra Temple est une opératrice de camion depuis une vingtaine d’année. Elle demeurait dans la ville de Salmon Arm (Colombie-Britannique), mais demeure actuellement dans les environs de Calgary (Alberta). Se retrouvent également à Calgary son fils, Jonathan Temple et sa mère, dont elle prend soin. Mme Temple a commencé à travailler pour la compagnie à l’hiver 2011. Elle remplaçait un camionneur malade, Peter Cox, et conduisait donc son camion. Ce remplacement aurait normalement dû être de courte durée, mais se prolongea jusqu’à l’été 2012. À la suite de cette période, une entente intervient entre la compagnie et Mme Temple afin qu’elle devienne propriétaire-opératrice de camion pour la compagnie. Elle se joint donc officiellement à l’équipe avec son propre camion en août 2012. Horizon mettra fin à son contrat de travail le 18  décembre 2014. Mme Temple avait préférait effectuer des livraisons dans l’ouest du pays. Elle effectuait donc ses livraisons entre les provinces du Manitoba (point de départ et d’arrivée) et de la Colombie-Britannique.

C.  L’accident du 14 octobre 2014 et la suite des événements

[18]  Le 14 octobre 2014, un autre camion entre en collision avec celui de Mme Temple alors qu’elle effectuait le plein de gaz à Kelowna (Colombie-Britannique). Mme Temple s’est blessée à la main, plus précisément à son pouce. Cependant, il n’y a pas eu nécessité de contacter les premiers soins ou les policiers et l’accident a été capté par les caméras de la station d’essence. Le camion et sa remorque ont été endommagés de manière importante, mais le chargement n’est pas touché. Mme Temple effectue ses livraisons comme prévu.

[19]  Sans entrer dans les détails et puisque les événements seront précisés subséquemment, ce genre d’événement impliquant un camionneur donne ouverture à la possibilité d’effectuer deux types de réclamation parallèlement : (1) une réclamation à la WorkSafeBC (WBC) pour perte de salaire et (2), une réclamation à la Société d’assurance publique du Manitoba (MPI) pour les dommages sur le véhicule. Dans le cas de Mme Temple, les deux réclamations sont effectuées puisque le poids lourds a été endommagé et elle a dû arrêter de travailler pendant une période donnée. Le Tribunal comprend que la réclamation de Mme Temple pour la WBC n’a été complétée qu’en décembre 2014. Cette question sera abordée ultérieurement. Ce faisant, Mme Temple n’aura ses versements de la WBC qu’en mars 2015 et ce, rétroactivement au moment de son accident et de son arrêt de travail. Quant à la MPI, la réclamation a été faite et le déductible n’a été remboursé qu’en juillet 2016.

[20]  La plaignante cesse de travailler entre le 14 octobre 2014, date de son accident, et le début du mois de décembre 2014. Le camion est endommagé et doit être réparé. Certaines communications ont lieu entre Mme Temple et la compagnie notamment sur la réclamation à la MPI. Au début décembre 2014, des discussions sont entamées pour un éventuel retour au travail. Le camion est prêt à reprendre la route et Mme Temple, qui est toujours en Colombie-Britannique, revient à Winnipeg pour récupérer des chargements. Elle effectue ses livraisons telles que prévu. Rappelons que la plaignante n’a pas travaillé depuis près de deux mois. Horizon réussit donc à lui trouver des chargements tout juste avant le temps des fêtes, période tranquille de l’année dans l’industrie du camionnage. Mme Temple prend donc la route jusqu’en Colombie-Britannique et doit revenir à Winnipeg pour le dimanche, 14 décembre 2014. Le même jour, elle informe la compagnie qu’elle a un rendez-vous à l’hôpital de Chilliwack (Colombie-Britannique) pour un CT scan le 18 décembre 2014. Le 17 décembre 2014, Horizon informe la plaignante qu’elle a un chargement à prendre le 18  décembre 2014, à Richmond (Colombie-Britannique). Mme Temple lui rappelle qu’elle à un CT scan le même jour, entre midi et 18h00, et doit aussi faire vérifier son camion pour un voyant lumineux indiquant un problème avec le moteur. Le 18 décembre 2014, Mme Temple ne peut prendre le chargement tel que demandé par l’intimée puisqu’elle doit se rendre à l’hôpital pour son rendez-vous et les problèmes avec son camion sont plus importants qu’envisagés : le camion ne peut prendre la route sans réparations. Horizon tente de trouver une alternative, mais à ce moment de l’année, trouver un camion est difficile. La compagnie n’est pas en mesure de remplir son engagement envers le client. Le jour même, Horizon met fin au contrat de travail de Mme Temple. 

IV.  Le cadre juridique applicable à la présente affaire

[21]  Je rappelle que l’objet de la Loi est prévu à son article 2 et permet, à tous les individus, de jouir du droit, dans la mesure compatible avec leurs devoirs et obligations au sein de la société, à l’égalité des chances d’épanouissement et à la prise de mesure visant à la satisfaction de leurs besoins et ce, indépendamment des quelconques considérations et motifs de distinction protégés par la Loi.

[22]  Rappelons tout d’abord que dans l’adjudication des plaintes en matière des droits de la personne, la plaignante a le fardeau d’établir un cas prima facie de discrimination. Comme décrit dans la décision Commission ontarienne des droits de la personne c. Simpsons-Sears, 1985, CanLII 18 (SCC) au paragraphe 28, une preuve prima facie est « […] celle qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur de la plaignante, en l’absence de réplique de l’employeur intimé ».

[23]  Dans le cas particulier de Mme Temple, elle doit donc démontrer, conformément à l’article 7 de la Loi :

(1)  Qu’elle a ou avait un ou des motifs de distinction illicite protégés par la Loi (sexe et déficience, en l’occurrence);

(2)  Qu’elle a été défavorisée en cours d’emploi ou que l’intimée a refusé de continuer de l’employer;

(3)  Qu’il existe un lien entre les motifs de distinction illicite et le traitement défavorable en cours d’emploi ou le refus de continuer d’être employée.

[24]  Comme il l’a été récemment confirmé dans l’arrêt Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39 (Bombardier), la preuve prima facie est soumise au fardeau de la prépondérance des probabilités. Conséquemment, la plaignante doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, de l’existence de ces trois éléments constitutifs d’un acte discriminatoire. Il n’est pas nécessaire de démontrer que le motif de distinction illicite protégé par la Loi est le seul et unique facteur ayant mené à l’acte discriminatoire : le motif ne peut être qu’un des multiples facteurs (voir Bombardier, précité, aux paragraphes 44 à 52). Inversement, si le motif de distinction n’a pas influencé les agissements de l’intimée, la plainte doit être rejetée.

[25]  De plus, il est important de rappeler que la discrimination n’est habituellement pas exercée de manière directe, ouverte ou intentionnelle. Comme établi dans l’arrêt Basi c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP) (Basi), une preuve directe de discrimination n’est pas nécessaire de même qu’il n’est pas nécessaire de démontrer une intention de discriminer (Voir également Bombardier, précité, aux paragraphes 40 et 41). Le Tribunal doit donc analyser les circonstances de l’affaire afin de déterminer s’il existe de subtiles odeurs de discrimination. Dans le cas de preuve circonstancielle, la discrimination peut être inférée lorsque la preuve présentée au soutien des allégations de discrimination rend une telle inférence plus probable que les autres inférences ou hypothèses possible (voir Basi, précité. Voir également Chopra c. Canada (Ministère de la Santé nationale et du bien-être social), 2001 CanLII 8492 (TCDP)).

[26]  Si la plaignante s’acquitte de son fardeau de preuve, il appartient à l’intimée de présenter ses propres éléments de preuve afin de réfuter les allégations de discrimination de la plaignante. L’intimée peut, s’il y a un cas prima facie de discrimination, faire la preuve que la présumée discrimination ne s’est pas déroulée de la manière alléguée par la plaignante ou qu’il ne s’agissait pas d’un acte discriminatoire au sens de la Loi (voir Maillet c. Canada (Procureur général), 2005 TCDP 48, au paragraphe 4). L’intimée peut, au surplus, invoquer un moyen de défense prévu par la Loi notamment prévu à l’article 15 de la Loi. Enfin, la plaignante aura le fardeau de démontrer que les justifications de l’intimée ne sont que purs prétextes et que les agissements sont effectivement empreints de discrimination  (voir notamment arrêts Basi, précité, et Israeli c. Canada (Commission canadien des droits de la personne), 1983 CanLII 6 (TCDP)).

[27]  Dans le cas en l’espèce, Horizon n’a pas invoqué d’exception prévu à l’article 15 de la Loi afin de justifier les présumés actes discriminatoires. Par contre, elle a présenté ses propres éléments afin de réfuter les allégations de la plaignante quant à l’existence même d’actes discriminatoires. Ceci étant dit et, à défaut pour l’intimée d’avoir invoqué un moyen de défense prévu par la Loi, le Tribunal se concentrera uniquement sur l’analyse de la preuve testimoniale et documentaire soumise par les parties afin de déterminer s’il y a, ou non, un cas prima facie de discrimination.

V.  Remarques préliminaires

A.  Témoin David Yach

[28]  Le Tribunal se retrouve dans une situation particulière quant au témoignage de cet individu. Selon l’intimée, M. Yach aurait été payé par Mme Temple afin d’effectuer de fausses déclarations à la Commission. Horizon a donc appelé M. Yach comme témoin afin qu’il vienne expliquer la situation au Tribunal. Mme Temple nie catégoriquement ces allégations.

[29]  J’aimerais d’abord mentionner que le témoignage de M. Yach soulève beaucoup de questions. M. Yach, sous serment, avoue avoir menti et fait de fausses déclarations aux enquêteurs de la Commission. Lorsque le Tribunal évalue son témoignage, M. Yach répond succinctement aux questions d’ordre général et ce, même en interrogatoire principal. Cependant, lorsque Me Welsh aborde la question des fausses déclarations, le témoin devient rapidement hésitant dans ses réponses et balbutie. M. Gilbert Dubé a également témoigné que M. Yach travaillait pour la compagnie par le passé. M. Yach aurait facturé des accessoires sophistiqués pour son camion sur les comptes de la compagnie. Le Tribunal comprend que cette pratique n’était pas autorisée. De plus, le camion de M. Yach était en déficit. Ainsi, une entente est survenue entre Horizon et lui : la compagnie devait récupérer son camion afin de couvrir les frais engagés. Cependant, il a retiré les accessoires sophistiqués avant la remise du camion à la compagnie et ce, en contravention de son engagement. Horizon a donc résilié son contrat de travail et la relation se termine en mauvais termes.

[30]  Ces événements sont survenus il y a de cela plusieurs années. Malgré tout, le Tribunal se questionne sur la crédibilité de M. Yach. De plus, aucune preuve corroborant le témoignage de M. Yach n’a été mis en preuve à l’audition : il s’agit de sa parole contre celle de Mme Temple qui nie formellement les allégations. J’estime également que bien que l’intimée tente d’attaquer la crédibilité de Mme Temple, cette dernière a appuyé plusieurs éléments de son témoignage avec de la documentation, des échanges courriel et des discussions via messagerie texte. Le Tribunal n’a pas de raisons de remettre en question la crédibilité de Mme Temple à cette étape-ci. Je me permets également de mentionner qu’outre la question de crédibilité, le témoignage de M. Yach n’était pas utile et nécessaire pour rendre une décision.

[31]  Après avoir pris ces éléments en considération, le Tribunal a donc décidé de ne pas tenir compte du témoignage de M. Yach.

B.  Objection prise en délibérée

[32]  Au dernier jour de l’audition, Mme Temple a demandé la permission au Tribunal afin de déposé un document émanant d’une personne prénommée Avi, travaillant chez Rigmaster Truck & Trailer Repairs Inc. Ce document n’a pas été inclus dans les documents transmis à l’intimée ni au Tribunal. Selon Mme Temple, il s’agit d’un autre exemple où elle aurait été forcée de prendre la route alors que son camion était en réparation. Elle affirme que le document aurait dû faire partie de ses documents devant être déposé au Tribunal. Mme Temple n’est pas à l’aise avec la technologie plus particulièrement avec les ordinateurs. Elle a donc eu besoin d’assistance tout au long du processus quasi judiciaire notamment dans le dépôt de sa documentation et de la création de ses cartables. Rappelons également que la plaignante n’était pas représentée et n’a pas pu bénéficier de l’assistance d’un avocat.

[33]  Me Welsh, quant à elle, s’est fortement objectée au dépôt de ce document. D’une part, elle a mentionné au Tribunal que la procédure sur les dépôts des pièces a été expliquée à de maintes reprises à la plaignante. Selon elle, les instructions ont été claires tout au long du processus. Elle a ajouté que le document n’a pas été authentifié, qu’il n’a pas été daté et que le nom de famille de l’auteur est absent.  Finalement, elle a affirmé que le préjudice d’admettre un tel document à ce stade était élevé pour l’intimée et que cela ne serait pas équitable d’admettre son contenu sans avoir eu l’opportunité de faire une défense pleine et entière sur le sujet.

[34]  Comme la demande de Mme Temple a été faite le dernier jour de l’audition, tout juste avant les arguments, que la preuve était close et que tous les témoins avaient rendu témoignage, j’ai donc demandé aux parties si elles consentaient à ce que je puisse prendre connaissance du document afin de trancher l’objection. Les parties ont acquiescé à cette demande. Le Tribunal a pris en note les représentations des parties et a pris sa décision en délibéré.

[35]  Les règles et l’admissibilité de la preuve devant le Tribunal sont moins formalistes que celles prévues devant un tribunal judiciaire. Le Tribunal peut donc recevoir des déclarations écrites par tout autre moyen qu’il estime indiqué, conformément à l’article 50(3)(c) de la Loi. La procédure afin de déposer des documents au Tribunal est prévue à la Règle 6 des Règles de procédure du Tribunal (Règles). Tel que le prévoit la Règle 9, à la demande d’une partie, le membre instructeur peut autoriser le dépôt de certains documents qui ne respecte pas la procédure de dépôt prévue à la Règle 6. Cependant, cette autorisation doit respecter les fins qui sont énoncées au paragraphe 1(1) des Règles et plus particulièrement le droit d’être entendu pleinement et entièrement.

[36]  Le Tribunal a une large discrétion dans l’admission de la preuve conformément à l’article 50(3)(c) de la LCDP. Le ouï-dire peut être admis et l’authentification de documents n’est pas toujours nécessaire. Cependant, le Tribunal est également guidé par les principes de justice naturelle et l’équité. Je suis sensible aux arguments de la plaignante. Néanmoins, je considère que l’admission d’un tel document est hautement préjudiciable pour l’intimée et compte tenu de son dépôt très tardif, aucun moyen ne pouvait être pris afin d’atténuer ce préjudice.

[37]  Conséquemment, je rejette la demande de la plaignante quant au dépôt du document. Nonobstant cette décision, je tiens à souligner que même si ce document avait été déposé au Tribunal, son contenu n’aurait pas eu d’impact majeur sur ma décision.

VI.  Analyse et position des parties

A.  Motifs de distinction illicite

[38]  Comme mentionné précédemment, les motifs de distinction illicite invoqués par Mme Temple sont le sexe et la déficience. Ces deux motifs n’ont pas été contestés par les parties.

[39]  La définition de « déficience » se retrouve à l’article 25 de la Loi qui définit « déficience physique ou mentale, qu’elle soit présente ou passée […] ». Cette définition a été interprétée et approfondie par le Tribunal dans l’arrêt Audet c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, 2005 TCDP 25, au paragraphe 39. Essentiellement, cet arrêt reprend l’interprétation de la notion de déficience dans l’arrêt Desormeaux c. La Corporation de la Ville d'Ottawa, 2005 CAF 3 (CanLII), 2005 CAF3 11, au paragraphe 15, qui définit la déficience comme « […] tout handicap physique ou mental qui occasionne une limitation fonctionnelle ou qui est associé à la perception d'un handicap ».

[40]  Il est clair pour le Tribunal que la blessure de Mme Temple s’inscrit dans cette interprétation de la déficience.

B.  Traitement défavorable et refus de continuer d’employer

[41]  Mme Temple a présenté au Tribunal plusieurs événements qui, selon elle, sont la manifestation d’actes discriminatoires de la part de l’intimée. Dans son exposé des faits, Mme Temple avait déjà fait un exercice de concision et a catégorisé ces événements en différentes catégories. Me Welsh, pour l’intimée, avait également effectué le même travail. Ainsi, je repasserai en revue ces différentes catégories et éléments afin de déterminer s’il y a un cas prima facie de discrimination. J’aborderai, le cas échéant, la question du lien entre le motif de distinction illicite et l’effet préjudiciable dans la section subséquente.

(i)  Péages

[42]  Tout d’abord, Mme Temple allègue avoir été défavorisée en cours d’emploi quant aux frais de péage du pont Port Mann (Colombie-Britannique). Elle soutient que les opérateurs de camion de sexe masculin ne se font pas facturer les frais de péage alors qu’Horizon lui déduit ces dits montants de ses revenus. Elle se compare notamment à deux opérateurs de camion, M. Yves Carriere et M. Pat Nicholas. L’intimée, quant à elle, affirme que M. Carriere n’emprunte pas ce pont et donc, n’engage pas de frais et que M. Nicholas est un employé-opérateur de la compagnie et ce faisant, les frais et dépenses sont assumées par la compagnie. De plus, elle soutient que la plaignante s’est vue remboursée lesdites sommes. Finalement, elle prétend qu’elle a commis une erreur administrative dans la gestion des frais de péage, erreur qui a été corrigée par la suite.

[43]  La preuve révèle que le pont Port Mann, dans la région de Vancouver (Colombie-Britannique) est muni d’un péage. Le système électronique nommé TReO enregistre les informations des véhicules empruntant le pont et les conducteurs doivent ensuite acquitter les frais de péage. Dans le cas de Mme Temple, les frais sont facturés au compte de la compagnie. Entre le 22 décembre 2012 et le 9 octobre 2013, la plaignante encoure des frais de péage de 523.90$. Ainsi, la compagnie lui facture le 31 octobre 2013 une portion de la somme soit 300.00$. Elle lui facture également des sommes de 69.80$ et 36.30$ sur son relevé du 30 novembre 2013, pour de nouveaux frais de péage. Le grand total des frais facturés s’élève à 406.00$.

[44]  Mme Temple a discuté avec M. Carriere et M. Nicholas afin de vérifier s’ils se faisaient également débiter leurs frais de péage, ce à quoi ils répondent par la négative. Conséquemment, elle demande une clarification à M. Luc Dubé des raisons pour lesquelles elle se voit facturer ces sommes. M. Luc Dubé doit discuter de la situation avec le président d’Horizon, M. Gilbert Dubé, qui est à ce moment hors de la province. Quelques semaines s’écoulent et la compagnie rembourse finalement la somme de 406.00$ à la plaignante, le 28 février 2014. M. Luc Dubé a indiqué au Tribunal que les frais de péage TReO de la Colombie-Britannique étaient une situation relativement nouvelle pour Horizon. M. Gilbert Dubé, quant à lui, ne se souvient pas d’avoir déjà reçu ce type de frais de cette province auparavant. Ce dernier a également expliqué que les dépenses encourues par les propriétaires-opérateurs sont habituellement à leur frais incluant les péages. Le Tribunal constate que c’est effectivement ce que prévoit le contrat de travail. M. Gilbert Dubé a tout de même décidé de payer les frais et de les assumer à l’avenir. La preuve établit qu’il s’agit là d’une décision d’affaires de la compagnie.

[45]  De plus, M. Carriere, qui effectue les mêmes trajets que la plaignante entre le Manitoba et la Colombie-Britannique, a témoigné qu’il ne prend que rarement ce pont. Il utilise plutôt un itinéraire alternatif, sans péage et sans frais. Quant à M. Nicholas, il a été démontré qu’il est un employé-opérateur de camion pour Horizon. Conséquemment, il n’assume pas ce type de frais. M. Gilbert Dubé a également informé le Tribunal que si l’un de ses employés-opérateurs engageait un frais de péage, la compagnie assumerait cette somme tel que prévu.

[46]  Mme Temple a indiqué qu’Horizon a tenu mordicus au fait qu’aucun autre opérateur de camion n’emprunte le pont Port Mann et donc, n’engage pas ce type de frais. Elle s’est donc référée à l’historique de frais TReO de la compagnie qui, effectivement, montre clairement qu’un autre conducteur a emprunté ce pont entre janvier et mars 2013. Cela s’inscrit dans la même période dans laquelle elle a accumulé une somme de 523.90$ en frais de péage. Il a été démontré qu’une erreur administrative est survenue dans la gestion des frais de péage. M. Gilbert Dubé a avoué avoir pris pour acquis que les frais de péage avaient tous été encourues par la plaignante, sans réellement porter attention aux numéros de plaque associés au frais. Ainsi, Mme Temple s’est fait débiter un montant de 69.80$ alors que la somme n’a pas été encoure par elle. La somme, en plus des autres montants débités, ont été remboursés et aucun autre frais de péage ne lui a été facturés dans le futur. Le fait que le remboursement de 406.00$ a été fait quatre mois plus tard et que l’autre opérateur ne s’est pas vu débiter les frais, en raison de l’erreur, ne constitue pas en soi un traitement défavorable.

[47]  Donc, quant au péage de la Colombie-Britannique, je conclus que la preuve n’est pas prépondérante et que la plaignante n’a pas été défavorisée par la compagnie.

(ii)  Travailler plus fort que les opérateurs de sexe masculin

[48]  Mme Temple allègue qu’elle a dû travailler plus fort que ses collègues de sexe masculin afin de gagner les mêmes revenus. Horizon a respectueusement plaidé au Tribunal qu’aucune preuve n’a été présenté en ce sens. Après avoir consulté la preuve, je conclus effectivement que la plaignante n’a pas rempli son fardeau. Je rappelle, comme il a été expliqué dans le contexte factuel, comment les revenus des propriétaires-opérateurs de camions sont ventilés. Plusieurs éléments interviennent dans ce calcul notamment le nombre de chargements et livraisons effectués, la distance parcourue, les montants des réparations et des entretiens, l’essence et son prix, les assurances, licences, etc. Je rappelle également que la compagnie ne peut garantir de trajet, ni de chargements et de livraisons. D’autres aspects devraient également être pris en considération notamment l’efficacité ou même les opportunités d’affaires. Sans une preuve prépondérante à cet effet et démontrant clairement qu’il est plus probable que Mme Temple devait travailler plus fort pour gagner les mêmes revenus que les autres opérateurs de sexe masculin, je ne peux tirer une telle conclusion.

[49]  Je considère donc que la plaignante n’a pas été défavorisée en cours d’emploi par la compagnie quant à cet aspect.

(iii)  Forcée de livrer et prendre la route

[50]  Mme Temple allègue que contrairement aux autres opérateurs de camion de sexe masculin, la compagnie l’a forcée à livrer des marchandises alors qu’elle était dans l’impossibilité de le faire. Encore une fois, l’intimée a tenté de réfuter ces allégations. Certains témoins ont expliqué au Tribunal leur compréhension de l’expression « forcer à livrer », dans leurs propres mots. Généralement, ils s’entendent tous pour dire que « forcer à livrer » de la marchandise réfère au fait que la compagnie forcerait un opérateur de camion à prendre la route alors qu’il est dans l’impossibilité de conduire ou que la compagnie met l’opérateur dans une situation où ce dernier sent qu’il n’a pas d’autre choix que de prendre la route. Quant à l’impossibilité de conduire, elle peut se manifester de différente façon par exemple lorsque l’opérateur est dans sa période obligatoire de repos ou de congés ou qu’il est trop fatigué pour conduire. Mme Temple a tenté de démontrer au Tribunal plusieurs situations où elle aurait été forcée à livrer de la marchandise par Horizon. Dans un souci de concision, je ne repasserai pas en revue toutes ces situations. Elle a, de plus, expliqué qu’elle craignait perdre son emploi si elle refusait de prendre la route alors qu’elle ne pouvait le faire.

[51]  Il est clair pour moi que la plaignante acceptait généralement de prendre la route lorsque la compagnie le lui demandait et ce, même si elle était dans l’impossibilité de le faire. Mme Temple a effectivement témoigné à plusieurs reprises sur le sujet et reprend souvent la même expression. Dans ses mots, elle ne voulait pas « créer de vagues » et prenait la route comme demandé. M. Luc Dubé a également témoigné dans ce sens, en qualifiant la plaignante de personne non contestatrice. Le collègue de la plaignante, M. Carriere, dont le témoignage est tout à fait crédible, a également expliqué au Tribunal qu’il avait du mal à comprendre pourquoi elle acceptait tous les chargements qu’Horizon lui donnait. Il a expliqué qu’il avait déjà refusé des chargements de la compagnie et que le président, Gilbert Dubé, l’a aussi déjà contacté puisqu’il avait refusé un chargement. Lorsqu’il s’est fait poser la question quant à savoir s’il s’est déjà fait menacer de congédiement par Horizon s’il n’acceptait pas un chargement ou de prendre la route, M. Carriere répond clairement par la négative. Enfin, M. Carriere a témoigné du fait qu’il aurait refusé plusieurs chargements que Mme Temple, quant à elle, acceptait.

[52]  Ceci étant dit, deux situations attirent l’attention du Tribunal quant au fait d’être forcé à livrer ou de se sentir contraint de prendre la route. La première est celle des 21 et 22 juillet 2014. Mme Temple, qui est en Colombie-Britannique, informe son superviseur M. Luc Dubé, le dimanche 21 juillet 2014, qu’elle a un problème mécanique avec son camion. D’ores et déjà, elle lui indique qu’elle prendra sa période de congé obligatoire de 36 heures le mardi, 23 juillet 2014, et donc réinitialisera ses heures d’opération. Le lundi 22 juillet 2014, M. Luc Dubé l’informe qu’elle doit prendre la route et récupérer trois chargements dont certains chargements prévus pour mercredi le 24 juillet 2014. La plaignante informe M. Luc Dubé que cela ne lui permet pas de faire sa réinitialisation de 36 heures. Elle accepte malgré tout le chargement, mais cela l’oblige à transférer du cycle de 70 heures pour celui de 120 heures. L’avocate de l’intimée prétend que Mme Temple était légale dans ses heures et pouvait transférer de cycle. Je considère que la preuve n’est pas aussi claire que ce que prétend Me Welsh. Il est clair que la plaignante a informé son superviseur par messagerie texte qu’elle était illégale dans ses heures et qu’elle pourrait tenter de s’organiser afin de prendre le chargement tel que demandé. Rien dans la preuve ne me permet de remettre en question les paroles de la plaignante dans cette situation. Ceci étant dit, le chargement est maintenu tant par Mme Temple que la compagnie.

[53]  L’intimée fait valoir à plusieurs reprises que l’obligation de s’assurer d’être légal dans les heures de conduite repose sur les épaules des opérateurs de camion. Le Tribunal comprend cette idée qu’un opérateur ne devrait pas prendre la route s’il est illégal dans ses heures de service. Par contre, le Tribunal a également de la difficulté à comprendre comment la compagnie peut attribuer des chargements à un opérateur alors que ce dernier l’informe qu’il doit tomber en repos ou en congé et manifeste à plus d’une reprise qu’il est illégal dans ses heures. La compagnie était déjà au courant, le jour précédent, que Mme Temple devait tomber en réinitialisation de cycle. J’ajoute que Mme Temple a pris le temps d’expliquer à son superviseur, M. Luc Dubé, qu’elle sentait que la compagnie doutait de son travail et de son efficacité. Aurait-elle dû dire non au chargement? Probablement. Avait-elle l’impression de ne pas avoir le choix que de prendre le chargement? Pour plusieurs raisons, il en est fort possible. Lorsque la plaignante explique au Tribunal qu’elle se sentait contrainte de prendre la route, dans les circonstances, cela ne semble pas déraisonnable comme propos.

[54]  Dans la même veine, l’autre incident survient quelques semaines après cet événement, soit le 26 septembre 2014. Mme Temple doit prendre un chargement à Winnipeg et c’est le président de la compagnie, M. Gilbert Dubé, qui doit charger le camion. Une nouvelle livraison doit être faite en Alberta, par Mme Temple, sur son trajet vers l’ouest. La preuve révèle que la plaignante s’est fait menacer par M. Gilbert Dubé via messagerie texte d’être renvoyée si elle ne prenait pas le chargement tel que demandé. Le Tribunal peut comprendre que pour plusieurs raisons, M. Gilbert Dubé était irrité par la situation notamment en raison des tensions déjà existantes entre eux. Ce qui est clair, c’est que Mme Temple a pris le chargement tout en ayant une contrainte de se faire renvoyer si elle en décidait autrement. Dans une vision plus globale de la situation, cet événement s’inscrit dans la suite de l’événement des 21 et 22 juillet 2014. Mme Temple sentait qu’elle était sous la contrainte et devait prendre les chargements sous peine de conséquences.

[55]  Le Tribunal comprend qu’Horizon est une petite compagnie familiale et que ses dirigeants ont le souci d’offrir un excellent service à ses clients. Cependant, cela ne peut justifier un tel traitement. L’intimée a invoqué le fait que Mme Temple ne refusait jamais un chargement. Effectivement, elle a répété à quelques reprises qu’elle désirait faire de l’argent et qu’elle ne voulait pas refuser de chargements offerts par la compagnie. Ces arguments ne supplantent pas le fait qu’elle a déjà été menacée par l’intimée si elle ne prenait pas la route. Même s’ils existent plusieurs raisons pour lesquelles elle a accepté la plupart des chargements offerts, la contrainte demeure l’un des multiples facteurs à considérer.

[56]  Horizon a également affirmé que Mme Temple n’a jamais fait de plainte écrite à ce sujet. Je trouve que cet argument est sans fondement puisque nulle part dans la preuve il n’a été question d’une quelconque obligation de faire une plainte écrite à l’employeur. J’ajouterai qu’il est évident que le 22 juillet 2014, Mme Temple a décrit à son superviseur, M. Luc Dubé, comment elle se sentait contrainte d’accepter des chargements, qu’elle sentait que la compagnie doutait de son travail et de son efficacité. La compagnie est donc bien au fait des sentiments de la plaignante.

[57]  Bien que M. Gilbert Dubé ait témoigné sur le fait qu’il surveille tous ses opérateurs, de la même manière, et les supervise au besoin, qu’il peut employer parfois un langage grossier avec eux, rien dans la preuve ne permet de conclure qu’il menace les autres conducteurs de congédiement s’ils ne prennent pas de chargements. Au contraire, la preuve révèle que M. Carriere refuse des frets et ne se fait pas menacer de congédiement. La crainte de se faire congédier n’est pas plus présente. Il s’agit là d’un traitement défavorable.

[58]  J’aimerais ajouter qu’il est clair pour moi que la relation entre la plaignante et l’intimée s’est considérablement détériorée avec le temps. Le Tribunal comprend que des frustrations se sont accumulées de part et d’autre. De plus, la preuve révèle que Mme Temple demande plus de supervision que certains autres opérateurs. Néanmoins, je réitère que cela ne justifie pas en soi le fait qu’Horizon l’ait menacé de la congédier si elle ne prend pas des frets alors qu’elle ne le fait pas avec les autres opérateurs de camion. Il n’est pas suffisant pour l’intimée d’expliquer au Tribunal que la plaignante aurait tout simplement dû dire « non » et refuser les chargements.

[59]  En me basant sur la règle de la prépondérance de la preuve, je conclus la compagnie a traité la plaignante défavorablement en cours d’emploi. La question du lien entre le motif de distinction illicite et le traitement défavorable sera traitée ultérieurement.

(iv)  Moins de temps alloués

[60]  Mme Temple a affirmé qu’Horizon lui attribue moins de temps pour effectuer ses trajets que ses collègues opérateurs de camion de sexe masculin. L’intimée, quant à elle, dément ses allégations et soutient qu’aucune preuve prépondérante n’a été mis de l’avant par la plaignante afin d’appuyer ces propos. La seule preuve à cet effet est le court témoignage de Jonathan Temple ayant affirmé que sa mère n’avait plus autant de temps pour s’arrêter à Calgary dans ses derniers mois de travail. Cet élément seul ne permet pas de s’acquitter le fardeau de la preuve prépondérante. Ainsi, la preuve est insuffisante afin de conclure que Mme Temple a été défavorisée en cours d’emploi par la compagnie quant à cet aspect.

(v)  Ajouts de chargements

[61]  La plaignante soutient qu’elle a été traitée défavorablement puisque la compagnie lui donnait de nouveaux chargements et livraisons et ce, pendant qu’elle effectuait son trajet initialement prévu. L’intimée confirme qu’Horizon adopte ce genre de pratique dans le but de rendre les voyages efficaces. Elle indique qu’elle ne peut attendre qu’un opérateur revienne à Winnipeg pour lui donner de nouveaux frets : l’objectif est la rentabilité. Mme Temple n’a pas été précise quant aux situations spécifiques qu’elle reproche à Horizon. Elle a abordé ce sujet d’une manière générale lors de son témoignage. Je comprends que l’industrie du camion est constamment en mouvement, que les chargements et livraisons peuvent changer ou s’ajouter rapidement. Le fait que des chargements ou livraisons s’ajoutent à ceux déjà prévus ne constitue pas en soi un acte discriminatoire.

[62]  Il faudrait plutôt s’attarder aux effets que créent de tels ajouts pour la plaignante et si cela la défavorisait en cours d’emploi. Malheureusement, Mme Temple n’a pas été en mesure de démontrer que l’ajout de chargements en cours de trajet l’avait défavorisée. Le Tribunal considère que la preuve n’est pas prépondérante quant à cet aspect.

(vi)  Différence dans les privilèges (dettes et location de camion)

[63]  Un autre traitement défavorable invoqué par la plaignante est le fait qu’elle n’a pas joui des mêmes privilèges que les autres opérateurs de camions de sexe masculin. Plus précisément, elle fait notamment référence à la gestion de sa dette financière à l’égard de la compagnie, de la location d’un camion de rechange et du financement d’un prêt personnel. J’aborderai ces trois privilèges distinctement. 

[64]  D’abord, la compagnie accepte que les propriétaires-opérateurs de camion facturent certaines dépenses sur les comptes de la compagnie. La compagnie déduit ensuite ces sommes des revenus des propriétaires-opérateurs à la fin du mois. La preuve démontre qu’à la fin septembre 2014, la plaignante doit 78.16$ à Horizon et, à la fin octobre, sa somme due est de 0$. Mme Temple a son accident le 14 octobre 2014 et cesse de travailler jusqu’au début décembre 2014. Conséquemment, les sommes engagées pour réparer le camion commencent à s’accumuler sur les comptes de l’intimée. À la fin novembre 2014, la dette de la plaignante est de 5 835.91$. Elle recommence à travailler vers la mi-décembre 2014 et effectue quelques livraisons. Toutefois, le 17 décembre 2014, la plaignante apporte son camion au garage pour effectuer plus de réparations. Ces réparations sont plus importantes que prévues et de nouvelles sommes devront être engagées. La compagnie met fin à son contrat le 18 décembre 2014. Ainsi, au 31 décembre 2014, la dette de Mme Temple s’élève à 10 264.40$.

[65]  Mme Temple a expliqué au Tribunal que la compagnie l’a congédiée et défavorisée en cours d’emploi prétextant que le montant de sa dette était élevé et qu’elle était dans l’incapacité de la rembourser. Elle soutient cependant que les autres propriétaires-opérateurs de camion de sexe masculin incluant M. Carriere ont, eux aussi, engagé des dettes avec la compagnie, mais n’ont pas été pour autant congédiés ou traités défavorablement. D’abord, je rappelle que M. Carriere est dans la même situation que la plaignante : il est un propriétaire-opérateur de camion et facture des sommes sur les comptes de la compagnie. Certains de ses relevés d’équipement ont été déposés en preuve au Tribunal notamment ceux des mois d’octobre, novembre et décembre 2014.  M. Carriere a également eu un accident à la mi-octobre 2014, tout comme Mme Temple et a cessé de travailler jusqu’au 22 novembre 2014. Sa dette envers Horizon, en octobre 2014, s’élève à 7 381.48$. En novembre, elle est de 24 653.26$. Cependant, M. Carriere recommence à travailler en fin novembre. En décembre 2014, il réussit à diminuer sa dette à 15 917.55$ et ne prend pas d’avance durant ce mois.

[66]  M. Gilbert Dubé a témoigné sur cet aspect à l’audience. Il a expliqué que lorsque M. Carriere a engagé cette somme de plus de 12 000.00$ en novembre 2014, il n’était pas au courant que la somme allait être aussi importante. Il a expliqué que la compagnie n’a pas assumé ces coûts de réparation. M. Gilbert Dubé aurait demandé à M. Carriere de contracter un prêt personnel pour assumer ces frais et lui aurait suggéré de consulter une connaissance travaillant pour une institution financière. Il y a contradiction dans les témoignages. M. Carriere a plutôt témoigné que lorsqu’il effectue des réparations importantes sur son camion, il demande l’autorisation de la compagnie avant d’engager ces frais. Il a ensuite confirmé que la compagnie avait assumé cette réparation de près de 13 000.00$. C’est effectivement ce qu’il appert de son relevé d’équipements du 30 novembre 2014. Comme mentionné précédemment, à cette date, sa dette s’élève donc à 24 653.26$. En contre-interrogatoire, M. Gilbert Dubé se ravise et confirme que la compagnie semble avoir effectivement payé ces réparations et il tente finalement d’expliquer la situation. Il renchérit en mentionnant que M. Carriere avait la capacité de rembourser, qu’il détenait une maison et qu’il était propriétaire de son camion. Or, M. Carriere a confirmé au Tribunal que son camion était financé via une institution financière. De plus, lorsque le Tribunal consulte le relevé d’équipements de M. Carriere du mois de décembre 2014, rien n’indique que celui-ci ait remboursé à la compagnie un important montant sur sa dette notamment via un prêt personnel qu’il aurait pu contracter et ce, tel que l’aurait demandé M. Gilbert Dubé. Dans les circonstances, j’estime que la version de M. Carriere est plus cohérente au regard de la preuve qui m’a été présentée à l’audience.

[67]  Encore une fois, le Tribunal est sensible au fait qu’Horizon est une petite entreprise familiale. Tel que mentionné par M. Gilbert Dubé et corroboré par M. Luc Dubé, la compagnie assume plusieurs frais des propriétaires-opérateurs de camion et ne se voit rembourser ces sommes qu’à la fin de chaque mois et ce, si les revenus des propriétaires-opérateurs sont suffisants. Autrement, elle assume le solde de la dette le temps que ces derniers en remboursent la totalité. Par contre, je me demande comment l’intimée peut prétendre que la plaignante n’a pas la capacité de rembourser sa dette alors qu’elle travaille chez Horizon depuis plus de deux ans et que la preuve révèle clairement qu’elle a toujours remboursé ses dettes à la compagnie. Au surplus, en date du 31 octobre 2014, sa dette envers la compagnie est tout simplement inexistante.

[68]  En raison de l’accident et des réparations sur le camion, il est évident que des sommes allaient être facturées sur les comptes de la compagnie. Lorsque M. Gilbert Dubé a contacté le garage le 17 décembre 2014 afin de voir ce qu’il pouvait être fait afin de réparer le camion le plus rapidement possible, il apprend que des nouveaux frais supplémentaires de 5 000$ à 10 000$ devront être engagés. Il est évident que M. Gilbert Dubé a pris une décision d’affaires en ne laissant pas la situation s’enliser davantage. Néanmoins, la compagnie a accepté de prendre le risque avec M. Carriere, mais pas avec Mme Temple. L’intimée ajoute que M. Carriere a refusé de prendre des avances de fond de la compagnie en décembre 2014 et qu’il a gagné d’excellents revenus dans le même mois afin de rembourser sa dette plus rapidement. En effet, la preuve révèle effectivement que M. Carriere rembourse près de 9 000$ sur sa dette en décembre 2014. Ceci étant dit, Horizon n’a pas donné à la plaignante cette opportunité de rembourser sa dette puisque son contrat de travail a été résilié.

[69]  Conséquemment, je conclus, par la prépondérance de la preuve, que la plaignante a subi un traitement défavorable par l’intimée quant à la gestion de sa dette.

[70]  La plaignante soutient que la compagnie a aidé et cautionné M. Carriere à effectuer une demande de financement personnel afin de rembourser sa dette et qu’elle n’a pas eu le droit à ce type de privilège. L’intimée réfute ces allégations. Il semble y avoir une certaine confusion quant à cet aspect. Il n’est pas clair si Mme Temple dénonce le fait qu’Horizon aurait suggéré à M. Carriere de consulter un de ses contacts dans une institution financière ou qu’Horizon aurait cautionné M. Carriere dans sa demande de financement. La preuve révèle que l’intimée n’a pas cautionné celui-ci dans sa demande : M. Gilbert Dubé a proposé à M. Carriere d’aller rencontrer un agent qu’il connaissait dans une institution financière. De plus, entre octobre 2014 et le 18 décembre 2014 et en vérifiant les relevés d’équipements de M. Carriere, le Tribunal ne peut conclure qu’une demande de financement a permis à ce dernier de rembourser sa dette envers la compagnie.

[71]  La preuve n’est pas prépondérante quant à cette question et je conclus qu’il n’y a pas eu de traitement défavorable par la compagnie.

[72]  Enfin, Mme Temple a témoigné que la compagnie ne l’a pas soutenue dans la location d’un camion alors qu’elle l’a fait pour M. Carriere. Elle fait référence à une situation où M. Luc Dubé aurait effectué les démarches afin de louer un camion de location pour M. Carriere. La compagnie a tenté de réfuter ces propos et indique qu’il n’y a pas eu de traitement défavorable. La preuve révèle que le 7 août 2014, le camion de la plaignante brise et, de ce fait, n’est pas en état pour récupérer des frets prévus. M. Gilbert Dubé réussit à repousser l’heure du chargement le temps que le camion se fasse réparer. Cependant, le garage ne peut le faire rapidement puisqu’il ne possède pas la pièce nécessaire pour la réparation. Mme Temple propose donc une solution soit la location d’un camion. Avec ce camion loué, elle pourra effectuer les chargements prévus. Cependant, un malentendu survient entre elle et M. Gilbert Dubé : alors qu’elle croyait qu’il effectuerait la location, celui-ci avait compris l’inverse.

[73]  Mme Temple affirme qu’elle a été traitée défavorablement puisque M. Luc Dubé avait déjà fait la location d’un camion pour M. Carriere alors que M. Gilbert Dubé ne l’a pas fait pour elle. La preuve révèle que M. Luc Dubé était au bureau lorsque cette situation est survenue avec M. Carriere. Il a donc pu facilement effectuer les démarches. Lors de cet événement du 7 août 2014, il appert que M. Luc Dubé était absent du bureau. De plus, M. Gilbert Dubé n’était pas physiquement présent au bureau cette journée-là et le répartiteur, M. Savage, était en vacances. L’intimée a ainsi indiqué au Tribunal que la plaignante se retrouvait dans une meilleure position afin d’effectuer les démarches de location elle-même. Au final, Mme Temple a effectué elle-même sa location et a payé les frais qui y sont afférents. M. Carriere a également assumé les frais de sa location. Est-ce que cet événement a fait en sorte que Mme Temple a été défavorisé en cour d’emploi? Le Tribunal croit qu’il s’agissait là d’un simple concours de circonstances.

[74]  Je conclus ainsi que cette situation ne constitue pas un traitement défavorable de la part d’Horizon à l’égard de la plaignante.

(vii)  Réclamation à la MPI

[75]  Mme Temple prétend avoir été traité défavorablement par la compagnie dans la gestion de ses réclamations de la MPI et de la WBC. Elle soutient que les retards sont dus à la compagnie qui n’a pas agi rapidement et qu’elle en a assumé les effets négatifs. Elle prend comme exemple les réclamations de M. Carriere qui, selon elle, ont été gérées avec célérité par Horizon. L’intimée, quant à elle, réfute ses allégations.

[76]  Dans un premier temps, j’aborderai la réclamation à la MPI. Comme expliqué précédemment, lorsqu’un opérateur de camion a un accident, la MPI peut couvrir certains dommages au camion, à la remorque et aux frets touchés. L’accident survient le 14 octobre 2014. La preuve révèle que la plaignante et l’intimée sont rapidement en contact afin de discuter de la situation. Mme Temple n’a pas besoin d’ambulance, ni des services de police. Elle se sent capable de compléter ses livraisons, ce qu’elle fait. Le 16 octobre 2014, elle et la compagnie discutent notamment de l’estimation des dommages sur le camion. Elle informe M. Luc Dubé, par le fait même, qu’elle a besoin de consulter un docteur pour son pouce. Ce dernier demande de lui faire un suivi lorsqu’elle en aura un. Le 17 octobre 2014, elle informe M. Luc Dubé que le docteur lui demande de passer des rayons X. M. Luc Dubé confirme alors que Mme Temple sera en congé pour la fin de semaine. Il l’informe de nouveau qu’il a besoin d’un estimé des dommages sur le camion. Lundi, le 20 octobre 2014, M. Luc Dubé demande à nouveau à la plaignante de lui fournir les informations nécessaires quant à l’accident. Mme Temple lui donne quelques informations et lui indique qu’elle enverra d’autres informations sous peu. Le 22 octobre 2014, M. Luc Dubé sollicite la plaignante, encore une fois, puisqu’il est toujours en attente des informations. Elle lui répond qu’elle a reçu la vidéo de l’accident et qu’elle a donné son adresse courriel au garage qui effectue l’estimé des dommages. Le 23 octobre 2014, Mme Temple confirme avec M. Luc Dubé que les documents et informations demandées ont bien été reçus, ce qu’il répond par l’affirmative. Néanmoins, le 3 novembre 2014, la demande à la MPI n’est toujours pas complétée. La preuve révèle que des erreurs de communication sont survenues entre les différentes personnes impliquées dans la réclamation incluant à la MPI. Le 4 novembre 2014, la réclamation est finalement complétée. M. Luc Dubé a témoigné qu’il a agi aussi rapidement qu’il l’a pu, dès qu’il a reçu toutes les informations pour compléter la réclamation. Le Tribunal ne remet pas en question la crédibilité de M. Luc Dubé. En effet, il y a eu un délai dans le traitement de la réclamation de la plaignante. Cependant, ce délai est notamment dû au temps nécessaire à la cueillette de l’information, sa transmission ainsi qu’aux problèmes de communication entre les différents intervenants. Ce délai n’est pas uniquement attribuable à l’intimée.

[77]  Rien dans la preuve ne permet de conclure que la compagnie a traité la demande de Mme Temple défavorablement. Ce faisant, je conclus que la plaignante ne s’est pas acquittée de son fardeau de preuve quant à cette question.

[78]  Mme Temple affirme que l’intimée aurait dû demander à la MPI le remboursement de certaines autres dépenses lors de la réclamation, ce qui n’a pas été fait. Horizon dément ces allégations. Les parties ont expliqué au Tribunal que lorsque l’employeur complète une réclamation auprès de la MPI, il y a création d’une subrogation : la MPI se subroge à l’employeur dans la réclamation. L’intimée soutient donc qu’elle n’avait plus les pouvoirs de réclamer le remboursement de dépenses supplémentaires par la MPI puisque cette dernière la subrogeait dans ses droits. Le Tribunal a écouté les parties se lancer dans une interprétation libre de la notion de subrogation. Aucun représentant de la MPI n’a été appelé comme témoin afin d’expliquer les subtilités du processus. Aucune loi, règlement, politiques, procédures ou autres documents encadrant ou régissant la MPI et son fonctionnement n’ont été déposés à l’audition. Il est donc difficile pour le Tribunal de se positionner sur cette notion de subrogation et ce que la compagnie aurait dû ou pu faire et ce, sans une preuve concrète à cet effet.

[79]  J’estime que Mme Temple n’a pas établi, selon la prépondérance de la preuve, qu’elle a été défavorisée par la compagnie quant à cet aspect.

(viii)  Réclamation à la WBC

[80]  Dans un deuxième temps, la plaignante soutient qu’Horizon l’a traité défavorablement en n’effectuant pas sa réclamation à la WBC avant le mois de décembre 2014. La compagnie fait valoir que Mme Temple ne l’a pas avisé de la gravité de sa blessure. Les représentants de la compagnie croyaient que sa blessure était mineure et ne nécessitait donc pas de réclamation. Je rappelle que l’accident est survenu le 14 octobre 2014. La preuve révèle que la compagnie a demandé à Mme Temple si les services d’urgence étaient nécessaires, ce qui n’a pas été le cas. Cependant, la plaignante informe M. Luc Dubé, le 16 octobre 2014, qu’elle a réellement besoin de consulter un médecin et ce, rapidement. M. Luc Dubé répond de l’informer des développements. Le 17 octobre 2014, elle l’informe que le docteur lui demande de passer des rayons X. M. Luc Dubé lui répond qu’elle est donc en congé assurément pour la fin de semaine, ce qu’il avait déjà envisagé. Il a été démontré que la réclamation à la WBC n’a été faite que le 18 décembre 2014.

[81]  M. Gilbert Dubé a témoigné sur la réclamation à la WBC. Il a indiqué au Tribunal qu’il ne savait pas que Mme Temple s’était blessée lors de l’accident du 14 octobre 2014 et qu’aucun rapport d’incident pour la WBC ne lui a été transmis. De plus, il n’avait pas envisagé que la blessure était si importante et nécessitait un arrêt de travail. Il a finalement expliqué au Tribunal qu’il a reçu une lettre de la WBC en décembre 2014 lui demandant un rapport d’incident. C’est à ce moment qu’il a contacté la plaignante pour avoir plus d’informations. M. Luc Dubé, quant à lui, a mentionné que c’est lui qui gère ce genre de réclamations dans l’entreprise. Selon lui, c’est l’employé blessé qui doit initier la réclamation en l’informant (ou M. Gilbert Dubé) qu’il est blessé et qu’il entend demander compensation. Il a ensuite expliqué qu’il n’est pas dans sa pratique de demander à ses employés s’ils réclameront compensation pour l’accident. Il justifie cette pratique en invoquant le fait qu’il ne veut pas s’immiscer dans la vie privée de ses employés et si ces derniers ne veulent divulguer leurs blessures, il n’a pas de contrôle à ce sujet. La preuve démontre également que le 4 décembre 2014, Mme Temple a envoyé un courriel à M. Luc Dubé et lui demande son numéro de réclamation à la WBC. Ce dernier a témoigné qu’il ne savait pas, à cette date, qu’une telle réclamation avait été entamée par Mme Temple. Il a indiqué avoir lu rapidement le message et pris pour acquis qu’elle demandait son numéro à la MPI.

[82]  Ceci étant dit, et même si j’adhère au fait que le président de la compagnie, M. Gilbert Dubé, n’était pas au courant que la plaignante s’était blessée durant son accident du 14 octobre 2014, il est évident pour moi que son fils, M. Luc Dubé, directeur général chez Horizon, avait connaissance de la blessure. Mme Temple a mentionné, à quelques reprises, qu’elle devait consulter un médecin pour son pouce, qu’il y avait possiblement dislocation et qu’elle devait passer des rayons X. Le Tribunal peut concevoir que Mme Temple n’a peut-être pas insisté précisément sur le fait que la blessure était majeure ou qu’elle voulait faire une réclamation à la WBC, mais je considère qu’Horizon n’a pas non plus démontrée une grande proactivité dans la gestion de cette blessure au travail. M. Luc Dubé a témoigné que pour des raisons de vie privée à l’égard de ses employés, il ne pose pas de questions sur leurs blessures. Je me permets de dire que cette pratique est discutable. Mme Temple a déposé un document émanant du site internet de la WBC. Il est clairement mentionné que l’employeur a la responsabilité, si un de ses employés se blesse au travail ou devient malade, de le transporter à un endroit où il recevra des soins médicaux. Ces coûts doivent être assumés par l’employeur. De plus, celui-ci doit faire rapport de la blessure dans les trois jours suivants l’incident. De plus, sur le formulaire de la WBC permettant de signaler une blessure au travail par l’employeur, il est clairement inscrit au tout début du formulaire cette même obligation de signaler l’incident et ce, qu’il soit ou non en accord avec la blessure. Il y est également indiqué qu’en transmettant le rapport dans les délais prescrits, l’employeur évitera de devoir payer des pénalités.

[83]  De ce fait, l’employeur a tout intérêt à déclarer la blessure d’un de ses employés le plus rapidement possible, que la blessure soit grande ou petite, qu’il soit d’accord ou non avec la réclamation. J’ajoute que le rapport d’incident que l’employeur doit transmettre est très court. La plupart des questions sont à choix multiples et se répondent avec un simple crochet. L’autre partie des questions est d’ordre nominatif et concerne des informations de base. La section permettant de décrire la blessure en question et l’incident est petite comparativement au reste des informations. Conséquemment, la description ne peut être que sommaire. Lorsque je consulte le formulaire rempli par Horizon le 18 décembre 2014, je constate en effet que la description de l’incident fait tout au plus quatre lignes et quelques mots. Horizon peut bien demander des rapports écrits de la part de ses employés sur leur blessure si elle le désire, mais je ne crois pas que cela soit une obligation afin d’entamer une réclamation. Rien dans la preuve ne me permet de tirer une telle conclusion. Au surplus, la description de la blessure qu’a faite Horizon à la WBC ne contient pas plus d’informations que ce que M. Luc Dubé détenait au mois d’octobre 2014. Il est difficile pour le Tribunal de comprendre comment la compagnie peut prétendre qu’elle n’avait pas assez d’informations sur l’accident et avait besoin d’un rapport écrit alors qu’elle connaissait déjà l’essentiel de l’incident.

[84]  La preuve révèle que la réclamation de M. Carriere a été complétée avec célérité et sans embûche. Horizon affirme que ce dernier lui a donné un rapport écrit de sa blessure rapidement et c’est la raison pour laquelle la réclamation a été complétée immédiatement. La preuve ne révèle pas si M. Carriere a clairement demandé à la compagnie qu’il entendait demander une compensation pour ses blessures. Ceci étant dit, le fait est que tout comme Mme Temple, il a eu un accident dans la même période, qu’il a été blessé, que le camion devait être réparé et qu’il ne pouvait travailler. Sa situation, sur tous ces points, est identique à celle de la plaignante. Mais la façon dont la réclamation a été traitée est disproportionnée. 

[85]  Notamment pour ces raisons, je conclus donc que Mme Temple a subi un traitement défavorable par la compagnie dans la gestion de sa réclamation à la WBC.

(ix)  Temps refusé afin d’effectuer des réparations

[86]  La plaignante a invoqué le fait qu’elle a été traité défavorablement puisqu’Horizon ne lui a pas alloué le temps nécessaire afin d’effectuer les réparations sur son camion. Selon elle, les opérateurs de camion de sexe masculin ne rencontraient pas ce type de problèmes. Horizon a tenté de réfuter ces allégations. Selon elle, la responsabilité de s’assurer que les réparations sont adéquatement effectuées sur les camions appartient aux propriétaires-opérateurs et non à la compagnie. Ce faisant, elle affirme que la plaignante aurait dû refuser de prendre les chargements pour faire réparer adéquatement ses équipements. Mme Temple a fait référence à une situation lors de laquelle son camion a pris en feu après avoir manqué d’huile. Des réparations ont été nécessaires. Selon elle, l’intimée aurait prévu un chargement alors que le diagnostic n’avait pas encore été fait sur le camion. Elle indique qu’elle ne voulait pas « créer de vagues » et accepta le chargement malgré les réparations non complétées sur son poids lourd. Cet événement serait survenu en février ou mars 2014. J’estime que la preuve n’est pas exhaustive à ce sujet et il est difficile de conclure que la compagnie a traité Mme Temple défavorablement quant à cet aspect. Je rappelle que la plaignante doit s’acquitter de son fardeau de la preuve selon la prépondérance des probabilités.

[87]  J’ai tenté de recenser dans la preuve d’autres événements à ce sujet. Un autre événement est survenu le 17 décembre 2014 alors que Mme Temple annonce à M. Luc Dubé qu’elle apporte son camion au garage afin de faire vérifier le voyant lumineux du moteur. Le lendemain, 18 décembre 2014, le contrat de Mme Temple a été résilié. Il est donc impossible pour le Tribunal de conclure que la compagnie ne lui a pas alloué le temps nécessaire afin d’effectuer les réparations sur son poids lourd. De plus, entre l’accident du 14 octobre 2014 et la mi-décembre 2014, rien dans la preuve ne me permet de déterminer que la plaignante n’a pas eu le temps nécessaire pour ses réparations.

[88]  Pour ces événements, je considère que Mme Temple n’a pas été traité défavorablement par l’intimée.

[89]  Enfin, le dernier événement recensé est celui des 21 et 22 juillet 2014 alors que Mme Temple indique à M. Luc Dubé qu’elle prend son congé de 36 heures et fera réparer son camion. J’ai déjà traité de cet événement dans une section précédente. J’ai déjà déterminé que Mme Temple s’est sentie contrainte de prendre le chargement et qu’elle a donc été traitée défavorablement par la compagnie. L’événement est le même, mais examiné sous un angle différent soit celui des réparations. La compagnie n’a pas directement refusé à la plaignante d’effectuer les réparations sur son camion. Cependant, l’effet indirect est que Mme Temple n’a pas pu effectuer lesdites réparations. Le traitement est donc défavorable. 

[90]  Quant à cet événement en particulier, je considère que l’intimée a défavorablement traité la plaignante en cours d’emploi.

(x)  Traitement défavorable et maltraitance par les répartiteurs

[91]  La plaignante a également déclaré que certains employés de la compagnie l’ont traité défavorablement ou incorrectement. Elle fait référence aux deux répartiteurs de la compagnie, M. Wyatt et M. Boulanger. Selon elle, ces répartiteurs ne transmettaient qu’une portion des informations au président de la compagnie. L’intimée réfute ces allégations. Il est incontestable pour le Tribunal que des problèmes de communication étaient présents entre Horizon, Mme Temple et les employés. La preuve révèle également que l’utilisation de la messagerie texte semble être un outil très utilisé entre eux et je constate que cela n’a pas simplifié les échanges, bien au contraire. Dans plusieurs situations, un simple appel aurait pu effacer toute ambiguïté. D’autre part, Mme Temple a soutenu que les répartiteurs la maltraitaient. M. Boulanger n’a pas été appelé comme témoin. Le simple témoignage de Mme Temple sur le sujet n’a pas convaincu le Tribunal. Quant à M. Wyatt, la seule preuve au dossier à ce sujet est un échange de message du 3 octobre 2014 entre lui et Mme Temple. Il lui transmet les informations pour un nouveau chargement et lui demande si elle peut l’effectuer ou non. Mme Temple prend plus d’une heure à confirmer la prise en charge du chargement et M. Wyatt semble perdre patience. Il lui indique d’ores et déjà qu’il croit qu’elle va, comme toujours, bousiller les plans. Il ajoute que cela ne vaut plus la peine de lui donner des chargements puisque la compagnie a l’air d’une idiote à l’égard des clients en ne remplissant pas ses obligations.

[92]  M. Wyatt et un autre répartiteur, M. Matthews, ont témoigné à l’audience. Ils ont indiqué au Tribunal qu’ils ont pris chacun la décision de ne plus être les répartiteurs pour Mme Temple considérant qu’elle demandait trop de supervision et à cause du camion qui était souvent brisé. Ils ont ajouté que ce n’était pas la première fois qu’ils refusaient de travailler avec des opérateurs de camion pour les mêmes raisons. C’est la raison pour laquelle M. Luc Dubé et surtout, M. Gilbert Dubé, étaient impliqués dans la supervision de Mme Temple et de ses trajets. La compréhension du Tribunal est que Mme Temple était satisfaite de ne plus faire affaires avec les répartiteurs. À l’inverse, elle a également affirmé être micro-gérée par M. Gilbert Dubé. Le Tribunal conçoit qu’aucune situation n’est parfaite. Cependant, c’est la solution qui a été mise en place par la compagnie afin de régler la situation.

[93]  Encore une fois, il est indéniable pour le Tribunal que des frustrations sont présentes chez les membres d’Horizon incluant les répartiteurs et qu’en octobre 2014, ces sentiments semblent être bien encrés. Certains échanges sont moins cordiaux que d’autres. Est-ce que cela constitue en soi un traitement défavorable? Je ne peux conclure en ce sens. Quant à la transmission partielle des informations, la preuve n’est pas prépondérante à cet effet. Pour ces raisons, je conclus qu’il n’y a également pas de traitement défavorable par la compagnie.

(xi)  Temps refusé pour les rendez-vous médicaux

[94]  Finalement, la dernière allégation de discrimination invoquée par Mme Temple concerne le fait que la compagnie ne lui accordait pas le temps nécessaire relativement à ses rendez-vous médicaux. Horizon réfute ses allégations. En évaluant la preuve, le Tribunal recense deux événements spécifiques en lien avec ses rendez-vous médicaux.

[95]  La première situation est celle des 26 et 27 août 2014. La plaignante est à Langley (Colombie-Britannique). M. Luc Dubé l’informe qu’il la contactera le 27 août 2014 au matin afin de l’informer s’il a un nouveau chargement pour elle ou non. Elle acquiesce et lui indique qu’elle restera à Langley. De plus, elle lui demande de l’informer le plus tôt possible puisqu’autrement, elle prendra la journée de congé. M. Luc Dubé répond par l’affirmative. Le 27 août 2014 au matin, la plaignante demande à M. Luc Dubé s’il a une livraison pour elle. Il répond que ce n’est pas le cas pour le moment. Plus tard, M. Luc Dubé l’interpelle puisqu’un chargement doit finalement être récupéré. Il lui donne alors les informations sur le chargement. Mme Temple lui répond qu’elle est chez le docteur, sur la liste d’attente. Elle mentionne donc au Tribunal que la compagnie ne lui a pas alloué le temps pour son rendez-vous médical. Mme Temple et M. Luc Dubé ont chacun témoigné sur le sujet. La plaignante a mentionné que pour elle, il était clair que l’entente était qu’elle prenait un congé si, tôt le matin, aucun chargement n’était prévu. M. Luc Dubé a plutôt indiqué au Tribunal que lorsque Mme Temple lui a écrit le 27 août 2014 afin de vérifier s’il avait un chargement pour elle, cela démontrait qu’elle voulait et demandait un chargement. Il lui a donc donné un chargement lorsque confirmé par le client. Encore une fois, il existe un problème de communication et de compréhension entre la plaignante et l’intimée. De plus, le Tribunal se demande pourquoi Mme Temple n’a pas averti M. Dubé qu’elle allait chez le docteur dès qu’elle a pris la décision de s’y rendre? N’aurait-t-il pas été plus simple de clarifier la situation? Encore une fois, la messagerie texte et les problèmes de communication sont la base de malentendus. Ceci ne constitue pas en soi un traitement défavorable.

[96]  Je conclus donc que Mme Temple n’a pas été traité défavorablement pas la compagnie quant à cet événement.

[97]  L’autre situation est celle du 18 décembre 2014 alors que Mme Temple se rend à l’hôpital de Chilliwack pour son CT scan. Le Tribunal a déjà revu ses faits dans une section précédente et il n’est pas nécessaire de les répéter à cette étape-ci. Cependant, j’ai déjà conclu que Mme Temple avait été traité défavorablement par la compagnie quant à cet événement.

C.  Lien entre le motif et l’effet préjudiciable

[98]  Je passerai en revue les traitements défavorables qu’a subis la plaignante afin de déterminer si le sexe ou la déficience ont été un des multiples facteurs des actes reprochés et de la manifestation de leurs effets préjudiciables. Je rappelle qu’un « lien de causalité » n’est pas nécessaire : le lien entre le motif prohibé de discrimination et l’acte reproché n’a pas à être exclusif (Voir l’arrêt Bombardier, précité, aux paragraphes 44 à 52). La démonstration, selon la prépondérance des probabilités, d’un simple « lien » ou « facteur » suffit. Pour des fins de concisions et afin d’éviter la redondance, le Tribunal ne reprendra pas tous les faits exposés dans la section précédente et se limitera à déterminer si la plaignante a démontré ce lien entre le motif et l’effet préjudiciable.

[99]  Tout d’abord, j’ai déterminé que la plaignante a été défavorisée en cours d’emploi par la compagnie quant au fait d’être forcé de livrer ou prendre la route. J’ai également conclu qu’elle se sentait sous la contrainte de prendre les chargements sous peine d’être congédiée. Est-ce que la plaignante a démontré que ce traitement défavorable est lié à son sexe ou sa déficience selon la prépondérance de la preuve? Je ne peux conclure que Mme Temple a démontré le lien entre l’un de ces motifs et l’acte reproché. La preuve révèle que la compagnie avait de multiples raisons d’agir ainsi notamment les frustrations accumulés, le faible rendement et la fiabilité, les problèmes de performance et de communication, pour ne nommer que celles-ci. J’ajoute cependant que certaines de ces raisons sont discutables et ne justifient pas les menaces de congédiement. Cependant, est-ce que le fait que Mme Temple est une femme ou qu’elle est déficiente a été un facteur dans le traitement? La preuve ne permet pas de répondre par l’affirmative.

[100]  J’ai également déterminé que Mme Temple a été traité défavorablement dans la gestion de sa dette envers la compagnie. Encore une fois, je dois déterminer si ce traitement est lié aux motifs de distinction illicite. Je considère que la plaignante n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que son sexe ou sa déficience ont été un facteur dans l’acte reproché à la compagnie. Il est clair pour le Tribunal qu’en octobre 2014, la relation entre la plaignante et l’intimée s’est considérablement détériorée. Cette relation se rompt le 18 décembre 2014 en raison de plusieurs facteurs. Une partie de ces facteurs ont été énumérés précédemment. Le sexe et la déficience ne font pas partie de ces facteurs quant à la gestion de la dette.

[101]  Je dois maintenant déterminer s’il y a un lien entre le sexe ou la déficience de Mme Temple et la manière dont a été traitée lors sa réclamation à la WBC. J’ai déjà mentionné qu’à mon avis, Horizon avait suffisamment d’informations afin d’entamer une réclamation et que le Tribunal a de la difficulté à comprendre pourquoi cela n’a pas été fait avec célérité. Néanmoins, ceci n’est pas déterminant en matière de discrimination. La question est de savoir si le sexe ou la déficience ont été un facteur dans le traitement de la réclamation à la WBC par la compagnie. La preuve ne me permet pas de déterminer que ces facteurs ont joué un rôle dans le traitement de la réclamation. Le retard dans le traitement est attribuable à plusieurs causes notamment le fait que la compagnie désirait respecter la vie privée de ses employés, l’exigence du dépôt d’un rapport écrit et la perception quant à la gravité de la blessure. Que ces justifications soient bien fondées ou non, là n’est pas la question. Il est clair pour le Tribunal que le sexe ou la déficience de Mme Temple n’ont pas été un facteur dans l’acte reproché et ce faisant, je conclus donc qu’il n’existe pas de lien entre eux.

[102]  Quant à l’événement des 21 et 22 juillet 2014 et l’impossibilité pour Mme Temple de faire réparer son camion, je dois également décider si celle-ci a démontré que son sexe ou sa déficience ont été un facteur dans les agissements de M. Luc Dubé. Tout comme décidé quant au fait que la compagnie aurait forcé la plaignante à prendre des chargements parce qu’elle est une femme ou qu’elle était déficiente, je ne peux conclure qu’il existe un lien entre les motifs et les actes reprochés.

[103]  J’ai décidé que Mme Temple a été traitée défavorablement le 18 décembre 2014 par la compagnie alors qu’elle avait un rendez-vous médical pour un CT scan. De plus, Mme Temple a cessé d’être employée par la compagnie le 18 décembre 2014. La question est de savoir si le refus de continuer d’employer la plaignante et le traitement défavorable sont liés à son sexe ou sa déficience?

[104]  En résumé, Mme Temple a été congédiée le 18 décembre 2014 par M. Gilbert Dubé alors qu’elle était à son rendez-vous médical. Elle avait déjà averti M. Luc Dubé de ce rendez-vous plusieurs jours à l’avance et à quelques reprises. Le Tribunal rappelle également que Mme Temple a dû amener son camion au garage le 17 décembre 2014, en fin d’après-midi, afin de faire vérifier un voyant lumineux du moteur. La preuve révèle que le problème est plus sérieux que prévu et que le camion ne peut reprendre la route. Mme Temple prend la décision de ne pas contacter la compagnie le 17 décembre considérant l’heure et le décalage horaire. Elle informe la compagnie le 18 décembre 2014, au matin, que son camion est en réparation. Le chargement ne peut être récupéré et M. Gilbert Dubé décide de mettre fin au contrat de travail de Mme Temple. Je dois déterminer si, selon la prépondérance de la preuve, le sexe de Mme Temple ou si sa déficience ont été un des multiples facteurs dans le traitement défavorable. Je ne peux arriver à une telle conclusion. La plaignante n’a pas été en mesure de démontrer le lien entre l’un des motifs et le traitement défavorable. J’estime qu’il y a un traitement défavorable. La compagnie a certainement mis Mme Temple dans une situation très délicate. Elle prenait le risque, en toute connaissance de cause, que le chargement ne pourrait peut-être pas être récupéré. Mais est-ce qu’Horizon a commis cet acte parce que la plaignante est une femme ou qu’elle a une blessure au pouce? La preuve n’est pas prépondérante à cet effet.

[105]  Quant au congédiement, encore une fois, le Tribunal doit se demander si le fait que Mme Temple est une femme ou qu’elle était blessée au pouce a été un facteur dans le refus de continuer de l’employer. Le moment choisi par M. Gilbert Dubé afin de congédier Mme Temple n’est pas idéal considérant qu’elle doit se rendre à son rendez-vous médical. Et ceci dit, le Tribunal doit analyser la preuve déposée afin de déterminer s’il y a de subtiles odeurs de discrimination dans le congédiement. J’aimerais rappeler que le camion de Mme Temple a dû être réparé le 17 décembre 2014. Ainsi, le 18 décembre 2014, le camion ne pouvait prendre la route et le chargement n’aurait pu être récupéré avec le camion. Est-ce que M. Gilbert Dubé a congédié Mme Temple parce qu’elle était à l’hôpital ou qu’elle était blessée au pouce? Est-ce que M. Gilbert Dubé l’a congédiée parce qu’elle était une femme? La preuve ne me permet pas de répondre à l’affirmative. Le fait que Mme Temple était à l’hôpital n’a pas eu d’impact quant à la décision de la compagnie de la congédier.  La plaignante aurait pu avoir, par exemple, des funérailles, un rendez-vous familial, une activité avec son fils, : le résultat aurait été le même. Le 18 décembre 2014 est le point de rupture et de non-retour dans la relation professionnelle entre les parties. La compagnie a décidé de rompre ce lien pour une multitude de raisons notamment la performance, les retards, le manque de communication, les problèmes relationnels, etc. Le sexe et la déficience ne font pas partie de ces facteurs.

VII.  Plainte jugée non fondée

[106]  Le Tribunal comprend que Mme Temple pouvait ressentir de la pression de la part de la compagnie, qu’elle craignait d’être congédiée, entrainant stress et anxiété dans son travail quotidien. Les frustrations accumulées, les malentendus et les problèmes de communication, n’ont fait qu’aggraver la situation. Ces éléments ont nécessairement contribué aux sentiments de la plaignante d’être traitée défavorablement par la compagnie et ses membres. Le Tribunal est également sensible au fait qu’elle était la seule femme opératrice de camion chez Horizon au moment des évènements. Il est vrai que Mme Temple fait carrière dans un domaine traditionnellement masculin. La discrimination est rarement directe ou intentionnelle. Le Tribunal doit donc rechercher ces subtiles odeurs de discrimination et évaluer les circonstances entourant ces actes reprochés. Ceci étant dit, le Tribunal est également lié par la preuve au dossier et la décision doit être prise selon la règle de la prépondérance des probabilités. Je ne crois pas que le sexe ou la déficience de Mme Temple ont joué un rôle dans les actes reprochés à Horizon.

VIII.  Décision

[107]  Pour ces motifs, je conclus que la plainte de Madame Sandra Temple est non fondée.

Signée par

Gabriel Gaudreault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 3 octobre 2017

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2139/1316

Intitulé de la cause : Sandra Temple c. Horizon International Distributors

Date de la décision du tribunal : Le 3 octobre 2017

Date et lieu de l’audition :  Du 23 au 25 mai 2017

Du 6 au 9 juin 2017

Calgary (Alberta)

Winnipeg (Manitoba)

Comparutions :

Sandra Temple, pour elle même

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Terra Welsh, pour l'intimée

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