Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Titre : Les armoiries du Tribunal - Description : Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2017 TCDP 22

Date : le 4 juillet 2017

Numéros des dossiers : T1438/6409; T1516/6210 to T1607/5310; T1630/17610 to T1645/17610; T1646/0111 to T1649/0411; T1664/01911 to T1681/03611; T1707/6211 to T1722/7711; T1723/7811 & T1724/7911; T1755/11011 to T1768/12311; T1780/1012 & T1781/1012; T1793/2312 & T1794/2412; T1801/3112 to T1806/3612; T1801/3112 & T802/3212

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

William Charles Bailie, Richard Galashan, Robert G. Williams, Robert Harrison, Alvin Gerrard, Sheldon K. Cullen, Garth Vickery, Arthur Randolph Gouge, Warren Young, Gary Nedelec, Jorg Bertram, Lloyd Fraser, Colin Jordan, Mervyn Andrew, Alexander Samanek, Michael S. Sheppard, Robert Harrold Mitchell, Francis J.R. Jeffs, Douglas Goldie, Stephen Ritchie St. Pierre, James Stanley Caldwell, Brian Scott Hope, Trevor Alexander Nicol, James Dow, David R. Lance, Gary Bedbrook, Marcel Duschesne, John Burridge, Chris Evans, John Bell, Tim Ockenden, Kent Jeffrey Benson, David R. England, Pierre Garneau, Jacques Couture, Dave Lineker, William C. Nickerson, Larry James Laidman, John Stephen Gibbs, Robert Bruce Macdonald, Gordon A.F. Lehman, Michael Dell, Dennis Smith, James F. Dietrich, Ralph Tweten, Eric William Rogers, John D. Hargreaves, Peter J.G. Stirling, David Malcom Macdonald, Robert William James, Camil Geoffroy, Brian Campbell, Trevor David Allison, Robert Ferguson, Kenneth David Douglas, Benoit Gauthier, Bruce Lyn Fanning, Marc Carpentier, Mark Irving Davis, Allan Brian Cary, Richard Dale Purvis, Raymond Calvin Scott Jackson, John Bart Anderson, James Shawn Cornell, Raymond D. Hall, Michael Stanley Bellinger, Donald Clifford Eddie, Peter Douglas Keefe, Robin Patrick Mclean Barr, David Leonard Mehain, Jacques Robillard, Errold Dale Smith, Glenn Donald Torrie, David Alexander Findlay, Warren Stanley Davey, Raymond Robert Cook, Keith Wylie Hannan, Michael Edward Ronan, Gilles Desrochers, William Lance Frank Dann, Robert Francis Walsh, Alban Ernest Maclellan, John Andrew Clarke, Bradley James Ellis, Michael Ennis, Stanley Edward Johns, Thomas Frederick Noakes, William Charles Ronan, Barrett Ralph Thornton, Robert James McBride, John Charles Pinheiro, David Allan Ramsay, Harold George Edward Thomas, Murray James Kidd, William Ayre, Stephen Norman Collier, William Ronald Clark

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Air Canada

l’Association des pilotes d’Air Canada

les intimées

Décision sur requête

Membre : David L. Thomas



I.  Demande en rejet

[1]  Il s’agit d’une décision portant sur la requête présentée le 15 mars 2016 par un des intimés, l’Association des pilotes d’Air Canada (« APAC ») en vue d’obtenir une ordonnance rejetant les plaintes.  L’APAC expose plusieurs motifs pour lesquels les plaintes devraient être rejetées à cette étape préliminaire, avant le début de l’audience. L’autre intimé, Air Canada, a appuyé la requête en adoptant les observations de l’APAC et en y ajoutant d’autres motifs.

[2]  Ces plaintes font partie d’une affaire complexe concernant la retraite obligatoire des pilotes d’Air Canada à 60 ans.  Le Tribunal canadien des droits de la personne (le « Tribunal » ou le « TCDP ») est saisi de la question depuis plus de 10 ans.  Pour les motifs énoncés plus bas, je fais droit à la requête de l’APAC et rejette les plaintes des plaignants qui ont atteint l’âge de 60 ans avant le 31 décembre 2009.  Pour les autres plaignants qui ont atteint l’âge de 60 ans le 1er janvier 2010 ou plus tard, la requête est rejetée, et j’accorderai une audience.

II.  Contexte

[3]  Cette affaire porte sur les plaintes de pilotes retraités d’Air Canada, qui soutiennent qu’Air Canada a agi de façon discriminatoire et appliqué une politique discriminatoire en les obligeant à prendre leur retraite à l’âge de 60 ans.  La retraite obligatoire était conforme à la convention collective négociée entre Air Canada et l’agent négociateur, l’APAC, et conforme au régime de pension des pilotes.  Par conséquent, ces pilotes retraités ont déposé un grand nombre de plaintes en matière de droit de la personne contre Air Canada et l’APAC, et, dans ce cas, les 97 pilotes ont été regroupés en une seule audience devant le Tribunal, ci-après appelée l’affaire « Bailie ».  Les pilotes soutiennent que l’obligation de prendre leur retraite à l’âge de 60 ans contrevient aux articles 7, 9 et 10 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985, ch. H-6, version modifiée (la « LCDP »).

[4]  Avant le groupe de plaignants de l’affaire Bailie, il y a eu devant le Tribunal deux groupes similaires de plaignants composés de pilotes retraités d’Air Canada.  Le Tribunal a également regroupé ces plaignants dans le cadre d’audiences distinctes.  Le premier sera ci-après appelé l’affaire Vilven/Kelly, et le deuxième groupe, l’affaire Thwaites/Adamson.

[5]  L’affaire Bailie a été entendue par le membre Garfield, dont le mandat au sein du Tribunal a expiré depuis.  En 2011, l’APAC a présenté une requête en vue de faire ajourner l’affaire Bailie à la lumière des appels en cours dans les affaires Vilven/Kelly et Thwaites/Adamson.  Ces affaires allaient se rendre à la Cour fédérale et à la Cour d’appel fédérale (la « CAF »).  Le membre Garfield a fait droit à la requête en février 2012 (2012 TCDP 6).  Il était d’avis que les questions de droit dans les affaires Vilven/Kelly, Thwaites/Adamson et Bailie étaient essentiellement les mêmes.  En outre, il ressortait de l’historique des instances des affaires Vilven/Kelly et Thwaites/Adamson que chacune des décisions importantes du Tribunal avait fait l’objet d’un contrôle judiciaire de la part d’une partie ou plus.  Par conséquent, le membre Garfield a conclu qu’un ajournement assorti de certaines conditions était une option préférable et moins intrusive que le fait de trancher sur certains éléments de la plainte pour cause de chose jugée, de préclusion liée à une question en litige ou d’abus de procédure, comme certaines parties l’ont mentionné.  Après l’ajournement, les plaintes dont il est question dans l’affaire Bailie sont demeurées intactes aux fins de décision, une fois que l’on a eu les éclaircissements judiciaires dans les autres cas.  Par conséquent, le membre Garfield a ajourné l’instance.

[6]  L’ajournement de l’affaire Bailie a duré quatre ans, jusqu’à ce que la Cour suprême du Canada (la « CSC ») rejette la demande d’autorisation d’appel du jugement de la CAF dans l’affaire Thwaites/Adamson (la demande d’autorisation d’appel a été rejetée le 10 mars 2016, voir Robert Adamson, et al. c. Air Canada, et al., 2016 CanLII 12161).

[7]  Dans l’affaire Bailie, il y a 97 plaignants, et la majorité est représentée par un avocat, Me Raymond Hall, qui est également un pilote d’Air Canada et un des plaignants en l’espèce.  Les plaignants représentés par Me Hall sont désignés comme la « coalition de plaignants ».  Les dates de retraite des plaignants de l’affaire Bailie vont de juin 2004 à février 2012.  Au total, 52 pilotes ont eu 60 ans avant 2010, et les 45 autres ont pris leur retraite à divers moments après le 31 décembre 2009 jusqu’en février 2012.  L’importance de distinguer ces deux groupes sera établie dans ces motifs.

[8]  L’APAC a présenté une demande en rejet pour les plaintes de l’affaire Bailie, laquelle demande est datée du 15 mars 2016.  Dans une correspondance datée du 16 mars 2016, l’avocat de la coalition de plaignants a indiqué qu’il avait besoin de beaucoup de temps pour communiquer avec ses clients, les consulter et recevoir des directives concernant la requête et un certain nombre de questions importantes, vu les années qui se sont écoulées depuis l’ajournement de l’instance et le nombre de décisions de la cour.  L’avocat de la coalition de plaignants a fait valoir que toutes les parties devraient réaffirmer leur position compte tenu des changements d’ordre juridique et des faits depuis la présentation des exposés des précisions (« EDP »).

[9]  L’APAC a répondu en faisant valoir que les parties ne devraient pas modifier leurs EDP avant une requête en rejet.  L’APAC a plutôt suggéré que la coalition de plaignants soulève tout nouveau fait ou tout changement du cadre juridique en réponse à la requête visant à faire rejeter les plaintes.

[10]  Le 4 avril 2016, le membre Garfield a ordonné aux parties de signifier et de présenter les documents de la requête à des dates précises.  Il a poursuivi en disant que [TRADUCTION] « le Tribunal peut décider de tenir une conférence téléphonique pour entendre les observations de vive voix, ou toute partie peut en faire la demande ». Toutes les observations écrites sur la requête en rejet ont été reçues, et j’ai entendu les observations de vive voix par conférence téléphonique le 19 septembre 2016.

III.  Historique judiciaire des plaintes similaires dans les affaires Vilven/Kelly et Thwaites/Adamson

[11]  L’affaire Vilven/Kelly a été la première instance concernant les règles de retraite obligatoire et les pilotes qui ont été forcés de prendre leur retraite d’Air Canada à l’âge de 60 ans.  Trois plaintes de deux plaignants, M. Vilven et M. Kelly, tous deux représentés par Me Hall, ont été regroupées pour l’instance.  La période évaluée dans le cadre de l’instance relative à l’affaire Vilven/Kelly concernait les pilotes qui ont pris leur retraite de 2003 à 2005.

[12]  La question principale de cette affaire était de savoir si la règle de retraite obligatoire sous le régime de l’article 15(1)c) de la LCDP était constitutionnelle. L’article 15(1)c) (abrogé depuis) permettait la cessation d’emploi fondée sur l’âge, s’il s’agissait de « l’âge de la retraite en vigueur pour ce genre d’emploi ».  Si l’article 15(1)c) est appliqué, alors quel était l’âge de la retraite en vigueur pour les pilotes occupant ce genre de poste au Canada et comment serait‑il déterminé?

[13]  Les plaignants dans l’affaire Vilven/Kelly ont contesté la constitutionnalité de l’article 15(1)c).  Cette question a finalement été tranchée dans une décision de la CAF (2012 CAF 209) confirmant la validité de l’article 15(1)c) sur le plan constitutionnel (la demande d’autorisation d’appel devant la CSC a été rejetée (2013 CanLII 15565)).  Compte tenu du jugement antérieur de la Cour fédérale dans l’affaire Vilven c. Air Canada (Vilven CF) (2009 CF 367), maintenant la conclusion du Tribunal selon laquelle 60 ans était l’âge de la retraite en vigueur des pilotes et selon laquelle M. Kelly et M. Vilven étaient visés par l’article 15(1)c), la CAF a confirmé que les plaintes devraient être rejetées. (Voir la décision Vilven/Kelly c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada, 2007 TCDP 36, dans laquelle le Tribunal établit l’âge de la retraite en vigueur).

[14]  Il est à noter que le législateur a abrogé l’article 15(1)c) de la LCDP en décembre 2012, et que les intimés ont par la suite cessé d’exiger que les pilotes prennent leur retraite à l’âge de 60 ans.

[15]  L’affaire Thwaites/Adamson était la deuxième instance concernant les règles de retraite obligatoire et les pilotes d’Air Canada qui ont été forcés de prendre leur retraite à l’âge de 60 ans.  Il y avait 70 pilotes dans ce groupe, et les dates de retraite allaient de 2005 à 2009.  La majorité des plaignants étaient représentés par Me Hall.

[16]  La décision du Tribunal dans l’affaire Thwaites/Adamson a été examinée par la CAF, qui a expliqué que la décision de la Cour fédérale dans l’affaire Vilven CF, rendue par la juge Mactavish, ne lie pas nécessairement le Tribunal compte tenu de la situation factuelle.  La CAF a indiqué que cette décision devrait avoir pour rôle d’éclairer le contexte dans lequel le Tribunal rend sa décision et devrait restreindre la gamme des options raisonnables offertes au Tribunal dans l’établissement du groupe de comparaison aux fins de l’article 15(1)c). (Voir les paragraphes 31 et 60 de l’affaire Adamson c. Canada (Commission des droits de la personne), 2015 CAF 153).

[17]  Dans l’affaire Thwaites/Adamson, la CAF a également conclu que les facteurs du groupe de comparaison déterminés dans la décision Vilven CF ne sont pas un « critère », mais plutôt des « facteurs » qui doivent être appliqués par le Tribunal. Il faut examiner les activités des autres pilotes de transporteurs aériens canadiens en fonction des facteurs recensés dans la décision de la CF dans l’affaire basé sur les facteurs identifiés dans Vilven CF, mais pas nécessairement les appliquer de manière rigide comme un critère. Les facteurs suivants ont été déterminés :

1.  piloter vers des destinations intérieures;

2.  piloter vers des destinations internationales;

3.  transporter des voyageurs;

4.  piloter des aéronefs de tailles diverses;

5.  piloter des aéronefs de types divers.

(Voir le paragraphe 41 de l’affaire Adamson c. Canada (Commission des droits de la personne), 2015 CAF 153).

[18]  Dans l’affaire Thwaites/Adamson, les parties étaient en désaccord quant aux facteurs primordiaux de la décision Vilven CF dans l’affaire et, plus important encore, quant à savoir s’il fallait interpréter les facteurs de manière conjonctive par le Tribunal, ou de manière disjonctive, comme en a décidé la Cour fédérale dans l’affaire Thwaites/Adamson.

[19]  La CAF a expliqué dans la décision Thwaites/Adamson que le Tribunal n’était pas tenu d’appliquer les facteurs de la décision Vilven CF de la manière avancée par la juge Mactavish dans l’affaire Vilven/Kelly, mais disposait plutôt d’une plus grande marge de manœuvre pour décider de leur mode d’emploi.  Par conséquent, il était plus loisible au Tribunal, en appliquant les facteurs consacrés par la décision Vilven CF, d’opter pour une interprétation conjointe.

[20]  La CAF a conclu, au final, que le critère requis aux fins de la révision judiciaire n’était pas rempli.  Le juge de la CAF ne pouvait pas annuler la décision du Tribunal relative à la question de l’âge de la retraite en vigueur, car il y avait au dossier des éléments de preuve allant dans le sens des conclusions du Tribunal (voir les paragraphes 82 et 83 de la décision de la CAF dans l’affaire Thwaites/Adamson).  La CAF a expliqué ce qui suit :

[82] En l’espèce, le Tribunal a entendu une preuve abondante sur le choix des groupes de comparaison. Au final, le Tribunal s’est fondé sur le témoignage du capitaine Duke, un témoin d’Air Canada, en vue d’établir le groupe de comparaison pour les années 2005 à 2008 (décision du Tribunal, au paragraphe 173). Quant à l’année 2009, le Tribunal s’est fondé sur les témoignages de deux témoins, le capitaine Paul Prentice, un témoin des plaignants, et Harlan Clark, un témoin d’Air Canada.

[83]  Il y avait au dossier des éléments de preuve allant dans le sens des conclusions du Tribunal. Je conclus qu’il n’y a aucune raison d’intervenir.

[21]  Par conséquent, la CAF a accepté, dans l’affaire Thwaites/Adamson, la conclusion du Tribunal selon laquelle « […] pour chacune des années de la période de 2005 à 2009, la majorité des pilotes œuvrant pour les compagnies aériennes canadiennes, y compris Air Canada, dans des postes similaires à ceux des plaignants, ont pris leur retraite à l’âge de 60 ans » (voir le paragraphe 181 de la décision du Tribunal dans l’affaire Thwaites/Adamson (2011 TCDP 11)).

IV.  Conclusions de la CAF

[22]  Dans les affaires Vilven/Kelly et Thwaites/Adamson, les conclusions de la CAF se présentent comme suit :

1.  L’article 15(1)c) de la LCDP est constitutionnellement valide (maintenant abrogé);

2.  Le Tribunal devrait appliquer les facteurs énoncés dans la décision Vilven CF lorsqu’il s’agit de déterminer le groupe de comparaison conformément à l’article 15(1)c) de la LCDP pour les plaintes relatives à la retraite des pilotes;

3.  Le Tribunal a le pouvoir discrétionnaire relativement à la façon dont il désire appliquer les facteurs en s’inspirant des décisions antérieures;

4.  Soixante ans était l’âge de la retraite en vigueur des pilotes occupant un poste similaire à celui occupé par M. Vilven et M. Kelly au cours de la période de 2003 à 2005;

5.  Soixante ans était l’âge de la retraite en vigueur pour les pilotes de compagnies aériennes canadiennes occupant un poste similaire à celui des plaignants au cours des années 2005 à 2009 (voir le paragraphe 181 de la décision rendue par le Tribunal dans l’affaire Thwaites/Adamson (2011 TCDP 11)).

V.  Droit

A.  Pouvoir discrétionnaire du Tribunal de rejeter une plainte sans tenir d’audience

[23]  Dans la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2012 CF 445 (« Premières Nations »), la Cour fédérale a confirmé le pouvoir du Tribunal de rejeter une plainte dans le cadre d’une requête préliminaire. La juge Mactavish a expliqué qu’une décision antérieure de la Cour fédérale, citée ci‑dessous, avait déjà confirmé ce pouvoir discrétionnaire ainsi :

[137] Après avoir examiné quelques‑unes des dispositions législatives susmentionnées, le juge von Finckenstein a indiqué qu’il était « difficile de voir » pourquoi il serait dans l’intérêt de quiconque que le Tribunal tienne une audience qui équivaudrait à un abus de procédure : paragraphe 18. Il a conclu qu’aucune interdiction légale ou jurisprudentielle n’empêchait le Tribunal de rejeter une plainte pour abus de procédure à l’issue d’une requête préliminaire « à supposer dans tous les cas qu’il existe des motifs valables d’agir ainsi » : paragraphe 19. Sa décision a été confirmée par la Cour d’appel fédérale : 2004 CAF 363 (CanLII), 329 N.R. 95.

Voir également la décision Canada (Commission des droits de la personne) c. Société canadienne des postes, 2004 CF 81 (« Cremasco »), confirmée dans la décision Commission canadienne des droits de la personne c. Société canadienne des postes, 2004 CAF 363.

[24]  La compétence du Tribunal pour rejeter une plainte en matière de droits de la personne à une étape préliminaire « ne devrait être exercée qu’avec prudence, et seulement dans les cas les plus clairs […] » (voir le paragraphe 140 de la décision Premières Nations, supra).  Dans les cas où il peut y avoir de graves questions de crédibilité ou que les questions de fait et de droit sont complexes et entremêlées, il serait peut-être préférable, pour des raisons d’efficacité, d’attendre la tenue d’une instruction complète avant de trancher la question préliminaire.  Toutefois, la juge Mactavish a ajouté ce qui suit :

[143] Cela dit, il est possible que dans certains cas il ne soit pas nécessairement requis de tenir une instruction complète comportant l’audition de témoins. Comme l’a souligné le Tribunal, il pourrait s’agir de cas où les faits ne sont pas contestés, ou lorsque l’enjeu repose sur une pure question de droit.

  […]

[148] [] Dans chaque cas, le Tribunal doit examiner les faits et les questions qui lui ont été présentés et déterminer la procédure qu’il convient de suivre dans le but de garantir un processus d’audience aussi informel et rapide que le respect des principes de justice naturelle et des règles de procédure le permet.

[149] Le processus retenu par le Tribunal doit cependant être équitable et il doit en toutes circonstances donner à chacune des parties « la possibilité pleine et entière de comparaître, […] de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations » en ce qui concerne la question en litige.

[25]  En conséquence, le Tribunal a la compétence de rejeter une plainte pour abus de procédure à l’issue d’une requête préliminaire. Toutefois, si le Tribunal rejette une plainte à l’issue d’une requête préliminaire, le processus adopté doit respecter les exigences de la justice naturelle et de l’équité procédurale et devrait seulement être exécuté dans les cas les plus clairs.

B.  Abus de procédure par réouverture de litiges

[26]  La décision de la CSC dans Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 (« S.C.F.P. ») demeure un arrêt faisant jurisprudence concernant l’abus de procédure.  La doctrine de l’abus de procédure empêche la réouverture de litiges dans des circonstances où les exigences strictes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée (généralement les exigences de lien de droit et de réciprocité) n’étaient pas remplies, mais où la réouverture aurait néanmoins porté atteinte aux principes d’économie, de cohérence, de caractère définitif des instances et d’intégrité de l’administration de la justice (voir le paragraphe 37 de l’arrêt S.C.F.P., voir également la décision Cremasco).

[27]  La décision de savoir si la remise en cause de questions et de faits importants constitue un abus de procédure en raison de la réouverture de litiges est une question discrétionnaire (voir le paragraphe 35 de l’arrêt S.C.F.P.). Dans l’arrêt S.C.F.P., la CSC a examiné les justifications qui sous-tendent la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et l’abus de procédure en expliquant que la doctrine fait intervenir « le pouvoir inhérent du tribunal d’empêcher que ses procédures soient utilisées abusivement, d’une manière […] qui aurait [...] pour effet de discréditer l’administration de la justice » et qu’elle a été appliquée lorsque le tribunal est convaincu que le litige a essentiellement pour but de rouvrir une question qu’il a déjà tranchée (voir le paragraphe 37 de l’arrêt S.C.F.P., voir également le paragraphe 56 de la décision Canam Enterprises Inc. c. Coles, 2000 CanLII 8514, approuvée avec dissidence par la CSC (2002 CSC 63)).

[28]  La doctrine de l’abus de procédure vise essentiellement à préserver l’intégrité du processus juridictionnel.  Dans l’arrêt S.C.F.P., la CSC fait trois observations préliminaires lorsqu’elle évalue ce processus :

1.  on ne peut présumer que la remise en cause produira un résultat plus exact que l’instance originale;

2.  si l’instance subséquente donne lieu à une conclusion similaire, la remise en cause aura-t-elle été un gaspillage de ressources supplémentaires et une source de dépenses inutiles pour les parties?

3.  si le résultat de la seconde instance diffère de la conclusion formulée à l’égard de la même question dans la première, l’incohérence, en soi, ébranlera-t-elle la crédibilité de tout le processus judiciaire et en affaiblira-t-elle ainsi l’autorité, la crédibilité et la vocation à l’irrévocabilité?

(Voir le paragraphe 51 de l’arrêt S.C.F.P.)

[29]  La remise en cause s’accompagne de graves effets préjudiciables et il faut s’en garder, à moins que des circonstances n’établissent qu’elle est, dans les faits, nécessaire à la crédibilité et à l’efficacité du processus juridictionnel dans son ensemble.  La CSC reconnaît les situations suivantes où la remise en cause peut être nécessaire :

1.  lorsque la première instance est entachée de fraude ou de malhonnêteté;

2.  lorsque de nouveaux éléments de preuve, qui n’avaient pu être présentés auparavant, jettent de façon probante un doute sur le résultat initial;

3.  lorsque l’équité exige que le résultat initial n’ait pas force obligatoire dans le nouveau contexte.

(Voir le paragraphe 52 de l’arrêt S.C.F.P.)

[30]  Même si aucune des parties à la requête n’ont mentionné les arrêts de la CSC dans les affaires Colombie-Britannique (Workers’ Compensation Board) c. Figliola, 2011 CSC 52) (« Figliola ») et Penner c. Niagara (Commission régionale de services policiers), 2013 CSC 19 (« Penner »), il s’agit de deux arrêts importants de la CSC dans lesquels la cour a récemment examiné la doctrine du caractère définitif.

[31]  Dans l’arrêt Penner, la CSC s’est penchée sur l’application discrétionnaire de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et le besoin de souplesse et d’équité. Bien que la décision Penner n’évoque pas la doctrine de l’abus de procédure, comme la cour l’a expliqué dans l’arrêt S.C.F.P., les facteurs discrétionnaires relatifs à l’équité, qui visent à empêcher que la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ne produise des effets injustes, jouent également en matière d’abus de procédure pour éviter de pareils résultats indésirables (voir le paragraphe 53 de l’arrêt S.C.F.P.).

[32]  Dans l’arrêt Penner, la CSC a reconfirmé une de ses décisions antérieures, soit Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, dans laquelle elle a établi une liste de facteurs pour indiquer certaines circonstances susceptibles d’être pertinentes dans un cas particulier pour déterminer si, dans l’ensemble, il est équitable d’appliquer la préclusion découlant d’une question déjà tranchée.  Au paragraphe 39, la CSC a expliqué la façon dont les facteurs ont été déterminés et dont ils peuvent être examinés :

De manière générale, les facteurs relevés dans la jurisprudence montrent que l’iniquité peut se manifester de deux façons principales qui se chevauchent et ne s’excluent pas l’une l’autre. Premièrement, l’iniquité de l’application de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée peut résulter de l’iniquité de l’instance antérieure. Deuxièmement, même si l’instance antérieure s’est déroulée de manière juste et régulière, eu égard à son objet, il pourrait néanmoins se révéler injuste d’opposer la décision en résultant à toute action ultérieure.

[Soulignement ajouté]

[33]  La liste de facteurs n’est pas exhaustive, et la CSC précise qu’elle ne doit pas être appliquée de manière mécanique (voir les paragraphes 37 et 38 de l’arrêt Penner).  Les facteurs proviennent d’une décision antérieure de la CSC et sont appelés « facteurs Danyluk ».  Les facteurs dont on pourrait tenir compte au moment d’exercer un pouvoir discrétionnaire sont les suivants :

a.  le libellé du texte de loi;

b.  l’objet de la loi;

c.  l’existence d’un droit d’appel;

d.  les garanties procédurales;

e.  l’expertise du décideur administratif;

f.  les circonstances entraînant la décision initiale;

g.  le risque d’injustice qui peut découler de l’application ou de la non-application de la doctrine.

(Voir les paragraphes 66 à 80 de l’arrêt Danyluk, supra)

[34]  Bien que les faits dans l’arrêt Figliola soient différents de ceux de l’espèce, la CSC a fourni, au paragraphe 34, un bon résumé des principes sous-jacents communs de la doctrine du caractère définitif, qui vise à empêcher « les recours abusifs » :

·  La capacité de se fier au caractère définitif d’une décision sert l’intérêt public et celui des parties (Danyluk, par. 18; Boucher, par. 35).

·  Le respect du caractère définitif d’une décision judiciaire ou administrative renforce l’équité et l’intégrité des tribunaux judiciaires et administratifs ainsi que de l’administration de la justice; à l’opposé, la remise en cause de questions déjà tranchées par un forum compétent peut miner la confiance envers l’équité et l’intégrité du système en créant de l’incohérence et en suscitant des recours faisant inutilement double emploi (Toronto (Ville), par. 38 et 51).

·  La contestation de la validité ou du bien‑fondé d’une décision judiciaire ou administrative se fait au moyen de la procédure d’appel ou de contrôle judiciaire prévue par le législateur (Boucher, par. 35; Danyluk, par. 74).

·  Les parties ne doivent pas éluder le mécanisme de révision prévu en s’adressant à un autre forum pour contester une décision judiciaire ou administrative (TeleZone, par. 61; Boucher, par. 35; Garland, par. 72).

·  En évitant les remises en cause inutiles, on évite le gaspillage de ressources (Toronto (Ville), par. 37 et 51).

[Soulignement ajouté]

[35]  Les principes ci-dessus sont très utiles pour guider le tribunal dans l’analyse nécessaire relativement à la requête en l’espèce.  En général, l’application de la doctrine de l’abus de procédure est discrétionnaire, et divers facteurs sont examinés pour déterminer s’il s’agit d’une réouverture de litiges, ce qui aurait pour effet de jeter le discrédit sur l’administration de la justice. Enfin, je dois également examiner l’équité et vérifier s’il y a des motifs qui justifient de ne pas appliquer la doctrine du caractère définitif.

VI.  Positions des parties relativement à la requête

[36]  Les plaintes dont il est question dans l’affaire Bailie et les plaintes des prédécesseurs sont inhabituelles et établissent un précédent parce que les questions juridiques et la plupart des questions factuelles sont les mêmes dans toutes les affaires connexes, à l’exception des plaignants et de leur date de naissance.  En outre, l’âge normal de retraite devrait s’appliquer à tous les plaignants de manière égale dans une période donnée.  Cependant, il demeure possible que l’âge normal de retraite lui-même ait changé au fil des ans en raison de changements dans l’industrie.

A.  Position de l’APAC relativement à la requête

[37]  L’APAC s’appuie sur l’arrêt Cremasco pour confirmer la compétence du Tribunal de rejeter l’affaire au moyen d’une requête préliminaire au motif de l’abus de sa procédure, attendu que le Tribunal est « maître chez lui ».  Il ne s’agit pas d’une question de droit contestée.  Le Tribunal possède cette compétence, mais, comme l’a expliqué la CF dans sa décision Premières Nations, elle doit seulement être appliquée dans les « cas les plus clairs ».

[38]  L’APAC soutient que la décision S.C.F.P. s’applique directement à l’affaire Bailie.  L’APAC s’appuie sur la décision Thwaites/Adamson pour expliquer que le traitement des plaintes dont il est question dans l’affaire Bailie serait un abus de la procédure du Tribunal et la remise en cause d’une affaire qui a déjà été tranchée. L’APAC cite abondamment la décision Thwaites/Adamson de la CAF, en s’appuyant particulièrement sur le paragraphe 16 :

Au vu du dossier, il était raisonnable pour le Tribunal de conclure, au paragraphe 181 de sa décision, que « […] pour chacune des années de la période de 2005 à 2009, la majorité des pilotes œuvrant pour les compagnies aériennes canadiennes, y compris Air Canada, dans des postes similaires à ceux des plaignants, ont pris leur retraite à l’âge de 60 ans ».

[39]  L’APAC fait valoir qu’il ne reste simplement plus aucune question à débattre.  Malheureusement, l’APAC n’a pas abordé le fait que la décision de la cour relativement à l’âge de la retraite en vigueur ne visait que la période de 2005 à 2009. L’APAC n’a établi aucune distinction relativement aux 45 pilotes de l’affaire Bailie qui ont eu 60 ans après le 31 décembre 2009.

[40]  L’APAC soutient qu’en cas de réouverture de litiges, les éléments de preuve examinés au cours des audiences antérieures seront les seuls éléments de preuve dont sera saisi le Tribunal dans l’affaire Bailie.  La coalition de plaignants a précisément admis dans ses EDP qu’elle s’appuierait sur les éléments de preuve des affaires Vilven/Kelly et Thwaites/Adamson. En fait, la coalition de plaignants a même fait valoir que ce serait un abus de procédure que de les obliger à présenter des éléments de preuve. Dans ses observations relatives à la requête, l’APAC a fourni des exemples tirés des  EDP de la coalition de plaignants et des avis de requête antérieurs dans l’affaire Bailie.

[41]  L’APAC soutient également que le rejet des affaires favoriserait l’économie des ressources judiciaires, car il y avait une quantité considérable d’éléments de preuve présentés à l’audience de l’affaire Thwaites/Adamson.  En outre, comme les plaignants ont admis qu’ils s’appuieraient sur les mêmes éléments de preuve, il n’y a aucun fondement factuel à l’égard du règlement de leurs requêtes.  L’APAC estime que le Tribunal a reçu des éclaircissements judiciaires des décisions de la CAF et il devrait éviter les instances faisant double emploi.

B.  Réplique de l’APAC

[42]  La réplique de l’APAC aux réponses de la coalition de plaignants et des autres plaignants qui se représentent eux-mêmes souligne que la coalition de plaignants n’a rien fourni d’autre qu’une affirmation appuyant sa position selon laquelle l’âge de la retraite en vigueur peut être différent dans l’affaire Bailie.  Bien que la coalition de plaignants affirme que des faits importants qui toucheraient l’âge normal de retraite sont différents de ceux en cause dans les instances des affaires Vilven/Kelly et Thwaites/Adamson, aucun détail n’a été fourni.

[43]  L’APAC affirme que les autres aspects de la position de la coalition de plaignants concernant l’inapplicabilité des décisions précédentes ne sont rien de plus qu’une répétition des positions présentées sans succès devant la CAF et dans le cadre de sa demande d’autorisation d’appel à la CSC.

C.  Position d’Air Canada relativement à la requête

[44]  Air Canada s’appuie sur les observations relatives à la requête de l’APAC. En outre, aux paragraphes 8 et 9 de ses observations, Air Canada mentionne que certains pilotes ont pris leur retraite après la période précisément abordée dans l’instance de l’affaire Thwaites/Adamson :

[TRADUCTION]

8. Un abus de procédure similaire est soulevé concernant les plaignants qui ont pris leur retraite peu après les derniers plaignants de l’affaire Thwaites. Les plaignants qui ont pris leur retraite après la période analysée dans l’affaire Thwaites, l’ont fait peu après cette période. En outre, les éléments de preuve présentés dans l’affaire Thwaites concernaient l’âge de la retraite de milliers de pilotes au Canada (voir le paragraphe 176 de la décision Thwaites, 2011 TCDP 11, dans les documents de l’APAC).

9. Compte tenu de la stabilité de l’âge normal de retraite dans la période examinée dans l’affaire Thwaites, ainsi, d’ailleurs, que l’affaire Vilven c. Air Canada, et compte tenu du fait qu’il a été établi dans les deux cas qu’il y a des milliers de pilotes dans le groupe de comparaison, il est très improbable qu’il y ait eu un changement important de l’âge de la retraite en vigueur pendant la courte période entre la retraite des plaignants de l’affaire Thwaites et de celle de ces plaignants (Ibid. et Vilven c. Air Canada, 2007 TCDP 36, (« Vilven »), joint comme onglet 1).

[45]  Air Canada soulève également la question des coûts en affirmant que le Tribunal doit être vigilant pour éviter un abus de procédure.  Les intimés en l’espèce ont déjà consacré beaucoup de temps et d’efforts à défendre les plaintes dans le cadre des affaires Vilven/Kelly et Thwaites/Adamson.  Aucun d’entre eux ne devrait avoir à reprendre le processus étant donné que les plaintes ont aussi peu de chances d’être maintenues qu’en l’espèce.  En outre, Air Canada soutient que la remise en cause ajoute à l’iniquité parce que les intimés n’ont pas la possibilité d’être indemnisés pour les dépenses liées à l’audience conformément à l’arrêt Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 (« Mowat ») de la CSC.

D.  Position de la coalition de plaignants relativement à la requête

[46]  Au total, 89 pilotes sont représentés par Me Hall, et 8 autres plaignants se représentent eux-mêmes pour un total de 97 plaignants dans l’affaire Bailie.  Quatre des plaignants qui se représentent eux-mêmes ont présenté des observations relativement à la requête.  Malheureusement, je considère qu’ils n’abordent pas les questions juridiques, mais qu’ils réaffirment plutôt leur plainte générale, en vue de faire entendre « leur » plainte « individuelle ».

[47]  Voici un bref aperçu des arguments de la coalition de plaignants. Je n’ai conservé que les arguments que je crois être pertinents en l’occurrence.  Le premier argument de la coalition de plaignants est fondé sur la connexité d’intérêts. Elle fait valoir qu’aucun des plaignants de l’affaire Bailie ne participait aux instances précédentes.  Dans la mesure où chaque plaignant est unique, chaque plainte devrait être entendue séparément.  Aucun des plaignants de l’affaire Bailie n’a eu l’occasion de participer aux deux procédures antérieures, ni le droit de présenter des observations au Tribunal concernant les questions soulevées, ni d’être informé des questions en litige dans ces instances.

[48]  Dans la plupart des observations relatives à la requête de la coalition de plaignants, il est affirmé qu’elle veut rouvrir l’affaire parce qu’elle croit que le Tribunal devrait appliquer les facteurs du groupe de comparaison différemment dans l’affaire Bailie par rapport à ce qui a été fait dans le cadre des instances des affaires Vilven/Kelly et Thwaites/Adamson.  La coalition de plaignants fait valoir que, même lorsqu’une cour d’appel a jugé une interprétation raisonnable, la décision ne liera pas nécessairement ultérieurement un tribunal administratif.  À proprement parler, un tribunal administratif n’est pas lié par ses décisions antérieures ni par les décisions de ses prédécesseurs (voir la décision Altus Group Limited c. Calgary (Ville), 2015 ABCA 85, au paragraphe 16).

[49]  La coalition de plaignants s’appuie sur la décision Morel c. Canada, 2008 CAF 53 (« Morel ») rendue par la CAF pour aborder la mise en balance d’intérêts entre les droits des personnes qui doivent être entendues et les intérêts relatifs à la finalité, à l’équité, à l’efficacité et à l’autorité des décisions judiciaires concernant la doctrine de l’abus de procédure.  Elle s’appuie sur la décision Morel pour affirmer son droit d’être entendue par rapport à la gravité que revêt le fait de mettre en doute les instances précédentes. Plus précisément, elle affirme que les droits quasi constitutionnels d’une partie à une audience impartiale doivent l’emporter sur l’irrévocabilité et sur la possibilité de résultats contradictoires.

VII.  Analyse

[50]  J’ai examiné tous les arguments des parties, mais je ne les aborderai pas tous en l’espèce.  J’aborde ceux qui, selon moi, sont nécessaires en l’occurrence et en rapport avec ma décision.

A  Observations générales

[51]  La coalition de plaignants se trouve dans une position quelque peu délicate : elle présente des arguments contre une partie de sa position prise dans le cadre de son EDP du 18 mars 2011 et de ses répliques à Air Canada et à l’APAC datées du 11 et du 12 avril 2011, respectivement.  Au paragraphe 13 de son EDP, elle affirme ce qui suit : [TRADUCTION] « En ce qui a trait à la composante « responsabilité civile » de l’audience, les plaignants s’attendent à se fonder sur la preuve et l’argument présentés tant dans l’audition de l’affaire VilvenKelly que dans celle de l’affaire Thwaites/Adamson. » Seuls un ou deux témoins auraient à présenter à nouveau ces éléments de preuve à l’audience.  Autrement dit, on soutenait que les nouveaux éléments de preuve concernant la responsabilité ne seraient pas nécessaires dans l’affaire Bailie.

[52]  La coalition de plaignants, au paragraphe 16 de sa réplique à Air Canada, datée du 11 avril 2011, a confirmé la question de l’âge obligatoire qui a été tranchée :

[TRADUCTION]

16. La question de déterminer si la mise à la retraite obligatoire de ses pilotes par Air Canada respecte les exigences de l’article 15(1)c) de la LCDP a été examinée à fond par toutes les parties au cours de l’audience de l’affaire Thwaites.

[53]  La coalition de plaignants, aux paragraphes 9 et 10 de sa réplique à l’exposé des précisions de l’APAC, datée du 12 avril 2011, a affirmé ce qui suit :

[TRADUCTION]

9. L’instance représente le troisième litige portant sur la même question, mettant en cause les mêmes dispositions relatives à la retraite obligatoire de la convention collective et du régime de retraite d’Air Canada – APAC, par les quatre mêmes parties (mais avec un ensemble différent de plaintes de la coalition de plaignants ayant connexité d’intérêts). Bien que les caractéristiques et les comportements propres à chaque plaignant puissent être en rapport avec les questions liées au recours, y compris les dommages-intérêts, aucune des caractéristiques propres aux plaignants ne permet de faire une distinction entre la question de la responsabilité qui nous occupe et la question qui a été instruite deux fois et tranchée par le Tribunal et la Cour fédérale. Ces plaignants, comme tous ceux des deux instances antérieures, sont devant le Tribunal uniquement parce que leur emploi a pris fin conformément aux dispositions de la convention collective et du régime de retraite d’Air Canada – APAC, étant donné qu’ils avaient atteint l’âge de 60 ans. Par conséquent, l’ensemble de l’audience proposée concernant la responsabilité n’est rien d’autre qu’une remise en cause des mêmes questions qui ont déjà fait l’objet d’une décision définitive par le Tribunal et la Cour fédérale.

10. À la lumière des observations présentées par l’APAC dans le présent exposé des précisions, les plaignants, d’entrée de jeu, s’opposent à la remise en cause des questions qui ont déjà été tranchées de façon définitive par le Tribunal et la Cour fédérale dans les affaires Vilven-Kelly et/ou Thwaites. Les plaignants soutiennent avec respect que la remise en cause de la plupart des questions soulevées dans les exposés des précisions de l’APAC, voire toutes, peuvent et devraient être tranchées par le Tribunal selon les principes de courtoisie judiciaire, de stare decisis, de préclusion découlant d’une question déjà tranchée et/ou d’abus de procédure.

(Gras et soulignement ajoutés.)

[54]  Comme il a déjà été noté, la coalition de plaignants avait exprimé son désir de modifier ses  EDP à la suite de la communication des décisions rendues par la CAF dans les affaires Vilven/Kelly et Thwaites/Adamson.  Les intimés ont adopté la position selon laquelle la coalition de plaignants pouvait soulever n’importe lequel des nouveaux faits importants en réponse à la requête en rejet.

[55]  Dans ses observations relatives à la présente requête en rejet, la coalition de plaignants a adopté un point de vue différent de celui de ses  EDP de 2011 et a indiqué que [TRADUCTION] « […] les faits importants concernant l’âge normal de la retraite dans l’industrie, comme les dates de cessation d’emploi respectives, sont différentes de celles des plaignants de l’affaire Thwaites/Adamson » (paragraphe 4).  Toutefois, les observations n’expliquent pas du tout ce qui est différent. Quels sont les faits importants qui sont différents de ceux du groupe de plaignants de l’affaire Bailie?  Les observations écrites n’en parlent pas du tout.

[56]  Lorsque les parties ont formulé leurs observations de vive voix, j’ai profité de l’occasion pour poser certaines questions afin d’essayer de déterminer ce qui avait changé.  L’avocat de la coalition de plaignants ne m’a pas donné de réponses satisfaisantes, et la possibilité offerte aux plaignants qui se représentent eux-mêmes n’a permis d’obtenir aucune information convaincante concernant les éléments de preuve qui pourraient être présentés lors d’une audience ou être invoqués au moment de la plaidoirie.  Même si les plaignants ont d’emblée affirmé que l’âge de la retraite en vigueur serait différent pour eux, ils n’ont pas parlé des éléments de preuve qu’ils avaient l’intention de présenter à l’audience pour appuyer cette affirmation.

VIII.  Principes applicables à l’abus de procédure

[57]  Dans l’analyse suivante des principes applicables à la décision d’abus de procédure, les plaignants sont séparés en deux groupes selon leur âge.  On a tiré des conclusions différentes pour chaque groupe.

A.  Économie des ressources judiciaires

[58]  Air Canada soutient que le Tribunal doit être plus vigilant concernant la possibilité d’abus de procédure, vu notre incapacité à attribuer les dépens.  Au paragraphe 13 des observations d’Air Canada, la compagnie décrit le fardeau qui lui incombe déjà en raison de ces cas :

[TRADUCTION]

13. Ce qui suit fournit une illustration convaincante de la raison pour laquelle c’est le cas : les plaintes soulèvent essentiellement les mêmes questions, sauf pour ce qui est de l’identité des plaignants, qui ont été soulevées dans Vilven, plus haut, où le plaignant principal a pris sa retraite en 2003. Environ 13 ans plus tard et selon les calculs de l’avocat, après 50 jours d’audience sur le bien-fondé devant le Tribunal, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale, et en dépit du fait que la Cour d’appel fédérale a entendu deux fois ces questions et que l’avocat du plaignant a demandé deux fois l’autorisation que ces questions soient entendues par la Cour suprême du Canada, le même avocat du plaignant demande de poursuivre ce litige.

[59]  Bien que je sois sensible à son argument, la jurisprudence tend à expliquer l’économie des ressources judiciaires dans le contexte de l’abus de procédure comme relevant des ressources d’une cour ou d’un tribunal administratif.  Cela dit, une quantité importante d’éléments de preuve ont été présentés par les parties au cours des instances précédentes, et la décision de 77 pages rendue par le Tribunal dans l’affaire Thwaites/Adamson contenait 30 pages d’éléments de preuve.  En outre, l’EDP de la coalition de plaignants et les documents antérieurs relatifs à la requête montrent que la coalition n’a pas de nouveaux éléments de preuve et que ses cas sont essentiellement identiques à ceux dont il est question dans les affaires Thwaites/Adamson et Vilven/Kelly.  Les plaignants, dans l’affaire Bailie, dont la date de la retraite est antérieure au 31 décembre 2009 se retrouveraient directement dans cette période.  En conséquence, je juge que ce serait dommageable à l’économie des ressources judiciaires que de remettre en cause et de recevoir des éléments de preuve qui ont déjà été présentés devant le Tribunal concernant la même question, le même scénario factuel et la même période.

[60]  Les intimés ont présenté un argument convaincant selon lequel, de 2003 jusqu’au 31 décembre 2009, des éléments de preuve dont disposait le présent Tribunal montraient que l’âge de la retraite en vigueur des pilotes était de 60 ans.  Vu le nombre d’années et les éléments de preuve présentés, ils ont fait valoir que sans nouveaux faits ou éléments de preuve, l’âge de la retraite en vigueur pour les pilotes demeure 60 ans pour tous les plaignants en l’espèce.  La coalition de plaignants n’a pas abordé l’argument de l’économie des ressources judiciaires ni n’a présenté de nouveaux éléments de preuve pour soutenir son argument selon lequel il existe de nouveaux faits qui ont changé l’âge de la retraite en vigueur, malgré mes questions directes au cours des observations de vive voix.

[61]  L’argument de l’économie des ressources judiciaires est moins convaincant dans le contexte du groupe de plaignants plus jeunes. Le Tribunal ne dispose pas de faits importants relativement à la période dont tient compte le groupe de plaignants plus jeunes. Cela ne devrait pas empêcher les plaignants qui ont eu 60 ans après le 31 décembre 2009 d’avoir la possibilité de présenter leur argumentation.

B.  Cohérence

[62]  Les plaintes dans l’affaire Bailie suivent deux décisions de la CAF (demande d’autorisation d’appel devant la CSC rejetée), lesquelles portent sur les mêmes questions juridiques, sauf pour des périodes différentes.  Dans la décision Morel, la CAF explique que, lorsque la juge Arbour a appliqué la doctrine de l’abus de procédure aux faits en appel dans l’affaire S.C.F.P., « elle était surtout préoccupée par le maintien de l’intégrité du système judiciaire, en particulier au regard de la possibilité que des décisions contradictoires déconsidèrent l’administration de la justice » (voir le paragraphe 38 de la décision Morel).

[63]  Je crois que cela créerait une incohérence judiciaire si le Tribunal rendait une nouvelle décision sur le bien-fondé qui ferait en sorte qu’un pilote qui a pris sa retraite le 1er février 2009 et qui faisait partie du groupe Thwaites/Adamson reçoive un résultat différent d’un pilote du groupe Bailie, qui a pris sa retraite à la même date, ou même plus tôt.  Le fait d’obtenir un résultat incohérent remettrait en question l’autorité et le caractère définitif d’une décision judiciaire rendue par l’un des plus hauts tribunaux du Canada, la CAF (demande d’autorisation d’appel devant la CSC rejetée).  Je conclus que le Tribunal risquerait de créer une incohérence judiciaire s’il permettait au groupe de pilotes plus âgés, qui ont eu 60 ans avant le 31 décembre 2009, de rouvrir ce litige.

[64]  Pour les pilotes qui ont eu 60 ans après le 31 décembre 2009, aucune incohérence judiciaire ne serait créée si leurs plaintes étaient instruites.  Le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve relativement à l’âge de la retraite en vigueur pour cette période.  Par conséquent, il est impossible d’affirmer qu’il y aurait une incohérence judiciaire au sens propre si une conclusion différente était tirée.

C.  Caractère définitif

[65]  Il est important de répéter la première partie d’un des principes sous-jacents à la doctrine du caractère définitif, principes qui ont été résumés au paragraphe 34 de l’arrêt Figliola : « Le respect du caractère définitif d’une décision judiciaire ou administrative renforce l’équité et l’intégrité des tribunaux judiciaires et administratifs ainsi que de l’administration de la justice […] » (voir également les paragraphes 38 et 51 de l’arrêt S.C.F.P.).

[66]  Dans l’ensemble, Me Hall a utilisé sa plaidoirie pour critiquer l’approche antérieure utilisée par le Tribunal au cours des affaires précédentes afin de déterminer le groupe de comparaison.  Me Hall a déclaré que le groupe de comparaison choisi par le Tribunal dans l’affaire Thwaites/Adamson mène à [TRADUCTION] « une absurdité profonde » (voir le paragraphe 26 des observations de la coalition de plaignants).

[67]  La réplique à cette déclaration effectuée par l’avocat de l’APAC, avec laquelle j’ai tendance à être d’accord, a été fournie au paragraphe 12 de la réplique de l’APAC :

[TRADUCTION]

12. L’énoncé, au paragraphe 26 de la réplique, selon lequel le groupe de comparaison choisi dans le cadre de l’affaire Thwaites mène à une absurdité profonde est précisément la position rejetée par la Cour d’appel fédérale. S’il avait été question d’une absurdité profonde, la Cour d’appel n’aurait pas conclu que la décision du Tribunal était raisonnable.

[68]  Il me semble que l’objectif principal de la coalition de plaignants est de tenter de remettre en question les groupes de comparaison qui ont été établis lors des instances précédentes et qui ont été examinés ultérieurement par la Cour fédérale et la CAF.  Le Tribunal n’est pas nécessairement lié par ces décisions.  Cependant, il doit y avoir un certain caractère définitif aux décisions judiciaires, particulièrement celles des cours supérieures.  À mon avis, le fait de permettre la remise en cause de cette question serait en effet un abus de procédure.  Il ne serait pas juste d’exiger des intimés qu’ils recommencent le processus.  En outre, l’intégrité de la présente instance serait remise en question si j’ordonnais cette reprise.

[69]  Pour les pilotes qui ont eu 60 ans après le 31 décembre 2009, il est impossible d’affirmer que leur affaire a déjà été tranchée de manière définitive.  Comme il a été mentionné, le Tribunal ne dispose d’aucun élément de preuve concernant l’âge de la retraite en vigueur pour la période après 2009.  En outre, les intimés ne m’ont pas présenté d’arguments convaincants, mis à part l’hypothèse selon laquelle l’âge de la retraite pour les pilotes qui ont eu 60 ans après le 31 décembre 2009 n’a pas changé. La période touchant les plaignants plus jeunes ne fait l’objet d’aucune décision définitive.

D.  Intégrité de l’administration de la justice

[70]  Comme il est indiqué dans la décision Thwaites/Adamson de la CAF, le Tribunal avait le pouvoir discrétionnaire d’appliquer les facteurs énoncés dans la décision Vilven CF qu’il jugeait appropriés compte tenu des faits.  Aucune partie n’a fourni de nouveaux éléments de preuve qui permettraient au Tribunal de conclure que la remise en cause des retraités de 2003 à 2009 donnerait lieu à un meilleur résultat que celui de l’instance initiale.  On a utilisé beaucoup de temps et de ressources judiciaires pour les deux premières instances.  La réouverture du litige par les parties donnerait lieu à un gaspillage au chapitre des ressources judiciaires et des dépenses. Enfin, si, pour une raison ou une autre, le Tribunal devait en arriver à un résultat différent de celui de l’instance précédente, je crois que l’incohérence, en soi, ébranlerait la crédibilité de l’ensemble du processus judiciaire, entraînerait des résultats contradictoires et jetterait le discrédit sur l’intégrité de l’administration de la justice.

[71]  Comme il a déjà été mentionné, pour les personnes qui ont pris leur retraite après le 31 décembre 2009, la tenue d’une audience ne jetterait pas le discrédit sur l’administration de la justice, car le Tribunal ne s’est pas penché sur cette période.

E.  Équité

[72]  Les plaignants n’ont pas présenté d’éléments de preuve selon lesquels les conclusions antérieures du Tribunal étaient entachées de fraude ou de malhonnêteté.  Ils n’ont pas affirmé qu’il y avait de nouveaux éléments de preuve dont ne disposait pas le Tribunal dans les affaires Thwaites/Adamson et Vilven/Kelly.  Le fait que les plaignants n’aiment pas les conclusions des affaires antérieures n’est pas un argument suffisant au chapitre de l’équité.

[73]  Toutefois, pour ce qui est des pilotes qui ont eu 60 ans après le 31 décembre 2009, un argument différent relativement à l’équité se pose.  Ces pilotes n’étaient pas au courant des affaires antérieures dont était saisi le Tribunal.  Les faits des plaignants sont différents en ce sens qu’ils ont été forcés de prendre leur retraite au cours d’une période sur laquelle le Tribunal ne s’est pas penché dans le cadre des autres plaintes.

[74]  En réalité, le Tribunal ne dispose d’aucun fait de l’espèce ni d’aucune donnée probante concernant l’âge de la retraite en vigueur de 2010 à 2012.  Un plaignant qui se représente lui-même, M. Collier, qui a eu 60 ans en septembre 2011, a demandé au Tribunal de réévaluer l’âge de la retraite obligatoire, en 2011, car il croyait qu’il y avait eu des changements dans l’industrie.

[75]  L’article 50(1) de la LCDP exige que je« […] donne [aux parties] la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter […] des éléments de preuve ainsi que leurs observations ».  Pour des plaignants comme M. Collier, qui a eu 60 ans après le 31 décembre 2009, la LCDP est claire, à mon avis : on doit lui donner la possibilité d’être entendu.  La doctrine de l’équité est convaincante dans le cas de plaignants comme M. Collier.

IX.  Décision Gregg et al c. Association des pilotes d’Air Canada et Air Canada, 2017 CF 506 (« Gregg »), rendue récemment par la Cour fédérale

[76]  Après la fin de la présentation d’observations relatives à la présente requête, mais avant la communication de ma décision, la Cour fédérale a rendu le jugement susmentionné, dans lequel les arguments des intimés sont en rapport avec la présente requête.  La décision Gregg est un contrôle judiciaire de la décision de la Commission des droits de la personne (la « Commission »), depuis 2013, de ne pas renvoyer des plaintes similaires de pilotes d’Air Canada au Tribunal parce qu’il est [TRADUCTION] « manifeste et évident que les plaintes sont vouées à l’échec ».  La Cour fédérale a maintenu la décision de la Commission de ne pas renvoyer les pilotes au Tribunal.

[77]  En mai 2017, les parties ont été invitées à fournir des observations écrites supplémentaires concernant la décision Gregg.  L’APAC a soutenu que la [TRADUCTION] « décision Gregg est directement applicable à la requête en rejet en instance et renforce les arguments avancés dans la requête ».  Air Canada affirme qu’une décision différente de celle rendue dans l’affaire Gregg amènerait les observateurs à conclure que la [TRADUCTION] « forme l’emporte sur le fond ou que la décision relative à la requête était entachée d’arguments sur des détails techniques ».

[78]  L’avocat de la coalition de plaignants souligne la distinction entre la tâche de la cour et celle du Tribunal.  Dans la décision Gregg, la cour a examiné le caractère raisonnable de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Commission au moment d’évaluer le bien-fondé préliminaire des plaintes.  En revanche, le Tribunal, dans la présente requête dont il est saisi, évalue l’abus de procédure afin de déterminer si les plaintes devraient être rejetées de manière préliminaire.  Néanmoins, Me Hall décrit la décision Gregg comme comportant de [TRADUCTION] « graves lacunes » et a depuis donné un avis d’appel à la CAF.

[79]  De prime abord, ces deux décisions peuvent sembler très similaires. Cependant, la tâche du Tribunal est en fait différente de celle de la Commission.  Selon la LCDP, la Commission peut rejeter sommairement une plainte conformément aux dispositions de l’article 41(1).  Toutefois, la LCDP n’offre aucune possibilité légale au Tribunal concernant le rejet préliminaire d’une plainte.  Le seul fondement sur lequel le Tribunal peut rejeter une plainte avant une audience est prévu sous le régime de la common law.

[80]  La décision de la Commission de ne pas renvoyer les plaintes de la décision Gregg au Tribunal était fondée sur l’article 41(1)d) de la LCDP :

 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle-ci irrecevable pour un des motifs suivants :

[]

(d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

[]

[Soulignement ajouté.]

Les cours ont établi une jurisprudence importante donnant une orientation concernant cette disposition. Dans la décision Gregg, la Cour fédérale a conclu que les mesures prises par la Commission étaient raisonnables et, par conséquent, ne pouvaient pas être examinées.

[81]  La décision doit être fondée sur la common law et la doctrine d’abus de procédure mentionnée plus haut.  Les pouvoirs et les fonctions du Tribunal sous le régime de la LCDP sont différents de ceux de la Commission.  La Commission joue un rôle de sélection préliminaire et d’enquête et agit comme protecteur du processus d’instruction, ce qui comprend la prise en considération de l’intérêt public.  Le Tribunal, par ailleurs, possède les pouvoirs décisionnels, en vertu de la LCDP, de tenir une nouvelle enquête quasi judiciaire complète.

[82]  Cela ne signifie pas que le Tribunal n’a pas le pouvoir de refuser à l’étape préliminaire une plainte qui lui a été renvoyée.  Mais le Tribunal ne peut pas le faire en s’appuyant sur le pouvoir légal dont la Commission est investie au titre de l’article 41(1) de la LCDP, comme cela s’est produit dans l’affaire Gregg. Le Tribunal doit plutôt appliquer la doctrine du caractère définitif de la common law, en l’espèce, l’abus de procédure par réouverture de litiges.  Le rejet d’une plainte renvoyée au Tribunal à l’étape préliminaire, dans le cas présent à la lumière d’une conclusion d’abus de procédure par réouverture de litiges, n’est pas identique au critère applicable au titre de l’article 41(1)d) de la LCDP.  Par conséquent, bien que la décision Gregg guide certainement le Tribunal, elle ne le lie dans le cadre de la présente décision.

[83]  Je n’oublie pas que la présente décision a la possibilité de créer une apparente incohérence judiciaire pour les plaignants plus jeunes par rapport aux plaignants dans l’affaire Gregg.  Toutefois, comme il a été souligné plus haut, le Tribunal joue un rôle différent de celui de la Commission.  À cette étape, le Tribunal n’a pas effectué d’appréciation des faits ni n’a rendu de décision finale.  Le Tribunal ne tire pas avantage de la sélection préliminaire que la Commission a mise en place.  Quoi qu’il en soit, il est possible qu’aucune incohérence judiciaire ne se produise après que le Tribunal aura rendu une décision.  Le résultat de l’appel de l’affaire Gregg devant la CAF n’est pas certain non plus.  La question de l’incertitude judiciaire n’est qu’un élément du critère de l’abus de procédure par réouverture de litiges.  En l’espèce, je ne crois pas que cet élément l’emporte sur les autres motifs qui permettent aux plaignants plus jeunes de poursuivre leur démarche devant le Tribunal, comme je l’ai décrit plus haut.

X.  Conclusion

[84]  Dans sa requête en rejet, l’APAC réitère, au paragraphe 20, la position antérieure de la coalition de plaignants, selon laquelle : [TRADUCTION] « il n’y a aucun fait nouveau qui minerait les conclusions rendues par le Tribunal dans l’affaire Thwaites/Adamson.  En fait, les plaignants ont affirmé que, s’ils devaient présenter de nouveaux éléments de preuve, il s’agirait d’un abus de procédure. »

[85]  Dans ses observations relatives à la requête en rejet, Air Canada soutient, au paragraphe 9, qu’il [TRADUCTION] « […] est très improbable qu’un changement concret de l’âge de la retraite en vigueur ait pu se produire au cours de la courte période entre le départ à la retraite des plaignants dans l’affaire Thwaites/Adamson et celui des plaignants. »

[86]  Les premières objections de la coalition de plaignants concernant la remise en cause de l’âge de la retraite en vigueur ont été faites en mars et en avril 2011, avant que le Tribunal rejette la demande des plaignants dans l’affaire Thwaites/Adamson.  Environ 15 mois après la dernière période prise en considération dans l’affaire Thwaites/Adamson, les plaignants n’ont pas avancé d’arguments selon lesquels des [TRADUCTION] « faits importants » avaient changé dans l’industrie, ce qui remettrait en question la conclusion antérieure.  Le dernier plaignant dans l’affaire Bailie a eu 60 ans en février 2012.

[87]  Dans les intérêts de l’économie des ressources judiciaires, de la cohérence et du caractère définitif, pour protéger l’intégrité du Tribunal et par souci d’équité pour les intimés, je ne ferai pas droit à la réouverture de litiges du groupe de comparaison pour les pilotes plus âgés dans le groupe de plaignants en l’espèce.  Je suis convaincu que l’âge de la retraite en vigueur pour les pilotes de transporteurs aériens canadiens, pour les périodes prises en considération dans les affaires Vilven/Kelly et Thwaites/Adamson, à savoir jusqu’au 31 décembre 2009, était de 60 ans.

[88]  Bien que je sois sensible aux arguments des intimés selon lesquels il est [TRADUCTION] « très improbable » qu’un changement concret relatif aux faits importants touchant l’âge de la retraite en vigueur se soit produit durant la courte période allant du 31 décembre 2009 jusqu’à ce que le dernier plaignant de l’affaire Bailie ait 60 ans, en février 2012, je n’ai pas reçu d’information satisfaisante selon laquelle aucun changement ne s’est produit dans l’industrie.

[89]  Je reconnais les difficultés des intimés après tout ce temps.  Cependant, la juge Mactavish, dans la décision Premières Nations, supra, précise clairement que la compétence du Tribunal pour rejeter une plainte en matière de droits de la personne à une étape préliminaire « ne devrait être exercée qu’avec prudence, et seulement dans les cas les plus clairs […] » (paragraphe 140).  Air Canada utilise les mots [TRADUCTION] « très improbable » pour décrire la probabilité d’une conclusion différente en l’espèce.  Dans la décision Gregg, le juge Annis décrit l’existence d’une preuve concluante montrant une conclusion différente comme étant [TRADUCTION] « très peu probable ». Cependant, il incombe au Tribunal d’examiner les éléments de preuve qui lui sont réellement présentés.  Même si la Commission doit nécessairement évaluer la probabilité de l’existence d’éléments de preuve lorsqu’elle s’acquitte de son mandat conformément à l’article 41, ce n’est pas le rôle du Tribunal d’émettre des hypothèses à savoir si certains éléments de preuve peuvent ou non exister.  Le Tribunal ne possède pas de pouvoirs d’enquête ni ne dispose d’éléments de preuve importants concernant les plaignants plus jeunes.  Les parties ont le droit et l’obligation de présenter ces éléments de preuve au Tribunal dans le cadre d’une instance quasi judiciaire. Au stade de l’audience devant le Tribunal, un rejet sommaire ne devrait se produire que dans les cas où il s’agit clairement du moyen le plus approprié pour qu’une plainte soit tranchée conformément à l’équité procédurale.  Pour les plaignants plus jeunes, il ne s’agit pas d’un de ces cas.  Le Tribunal ne devrait pas rejeter sommairement une plainte en se fondant uniquement sur des probabilités ou des hypothèses.

[90]  S’agissant d’une requête en rejet, il incombe à la partie requérante de convaincre le Tribunal qu’il n’y a pas d’autres éléments de preuve à présenter.  L’avocat de l’APAC a affirmé que le fardeau de la preuve devrait passer aux plaignants afin qu’ils montrent qu’il y avait de nouveaux facteurs touchant l’âge de la retraite en 2010, en 2011 et en 2012.  Toutefois, je ne crois pas que ce soit exact. Comme l’a conclu la juge McTavish dans la décision Premières Nations, supra, les parties devraient avoir droit à une audience complète sauf dans les cas les plus clairs, ce qui soutient le droit présumé à une audience.  Cela est cohérent avec l’article 50(1) de la LCDP, qui prévoit que le Tribunal doit donner aux parties la possibilité pleine et entière de présenter des éléments de preuve ainsi que leurs observations.  Il s’ensuit que, dans une requête en rejet pour abus de procédure, c’est la partie requérante qui doit convaincre le Tribunal qu’il s’agit du cas le plus clair où la plainte devrait être rejetée.

[91]  Le Tribunal ne dispose d’aucun fait de l’espèce ni d’aucune donnée probante concernant l’âge de la retraite en vigueur de 2010 à 2012.  L’article 50(1) de la LCDP exige que le Tribunal « donne [aux parties] la possibilité pleine et entière de comparaître et de présenter, […] des éléments de preuve ainsi que leurs observations ».  Pour les plaignants en l’espèce qui ont eu 60 ans après le 31 décembre 2009, la LCDP nous oblige à leur donner la possibilité d’être entendus.

[92]  Bien que dans la présente décision il soit stipulé que nous tiendrons une audience pour les plaignants plus jeunes, je compatis à la situation des intimés en l’espèce.  Ils se sont battus pendant plus de 10 ans, ont déployé des efforts considérables et assumé des dépens importants; en citant la décision Mowat, supra, ils affirment qu’il s’agit de dépens qu’ils ne peuvent pas recouvrer.  La durée et les dépens des instances se déroulant devant le Tribunal canadien des droits de la personne ont été critiqués par le passé.

[93]  Bien que le Tribunal soit décrit comme un « tribunal administratif », la nature quasi constitutionnelle de notre sujet fait en sorte que les parties devant nous désirent en général défendre leur position dans toute la mesure que le prévoit la loi, car c’est leur droit.  Les blessures peuvent être profondes, et les réputations sont défendues vigoureusement.  Même si le législateur a établi une attente relativement à une instruction « expéditive », selon la formulation de la loi applicable, cette attente est atténuée par les exigences de justice naturelle et les droits procéduraux prévus aux articles 48.9(1) et 50(1) de la LCDP.  Par conséquent, les audiences du TCDP se déroulent rarement aussi rapidement que ce que l’on pourrait s’attendre d’un processus « administratif ».

[94]  En conclusion, il est fait droit à la requête en rejet des plaintes pour les plaignants en l’espèce qui ont atteint l’âge de 60 ans le 31 décembre 2009 ou avant, pour les motifs susmentionnés.

[95]  Pour les 45 autres plaignants qui ont atteint l’âge de 60 ans le 1er janvier 2010 ou après, la requête est rejetée sous réserve du droit des intimés de présenter à nouveau une requête en rejet plus tard.

Signée par

David L. Thomas

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 4 juillet 2017

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1438/6409; T1516/6210 à T1607/5310; T1630/17610 à T1645/17610; T1646/0111 à T1649/0411; T1664/01911 à T1681/03611; T1707/6211 à T1722/7711; T1723/7811 et T1724/7911; T1755/11011 à T1768/12311; T1780/1012 et T1781/1012; T1793/2312 et T1794/2412; T1801/3112 à T1806/3612; T1801/3112 et T802/3212

Intitulé de la cause : Mehain et autres c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Bailie et autres c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Hargreaves autres c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Ferguson et Douglas c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Gauthier autres c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Findlay autres c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Alban Ernest MacLellan c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Noakes autres c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Robert McBride c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

John Pinheiro c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Ramsay et autres c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

William Ayre c. Air Canada and Air Canada Pilots Association

Collier et Clark c. Air Canada et l’Association des pilotes d’Air Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 4 juillet 2017

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Raymond D. Hall, pour les plaignants (sauf MM. Ayre, Clark, Collier, McBride, Pinheiro, Smith, Rogers et Walsh)

William Clark, pour lui même

Stephen Collier, pour lui même

Robert McBride, pour lui même

Eric Rogers, pour lui même

Pas d’observations déposées par MM. Ayre, Pinheiro, Smith et Walsh

Daniel Poulin , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Fred Headon, pour Air Canada

Bruce Laughton, c.r., pour l’Association des pilotes d’Air Canada

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