Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Titre : Les armoiries du Tribunal - Description : Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2017 TCDP 18

Date : le 19 juin 2017

Numéros des dossiers : T1683/3811, T1684/3911

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Entre :

Grand Chef Stan Louttit en sa qualité de représentant des Premières Nations du Conseil Mushkegowuk et Grand Chef Stan Louttit en sa qualité personnelle

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada

l'intimé

Décision sur requête

Membre : Sophie Marchildon

Table des matières

I. Requête en divulgation et paiement des frais juridiques  1

II. Analyse  2

A. Questions préliminaires : preuve relative à la requête  2

B. Demandes de divulgation  3

(i) Courriels et autres dossiers de membres clés du personnel de SPC  4

(ii) Documents décrivant le processus d’établissement des niveaux de dotation et de financement dans les collectivités éloignées ou isolées desservies par la GRC  7

(iii) Documents se rapportant au processus de détermination du budget global pour le Programme des services de police des Premières Nations et au processus d’établissement des niveaux de dotation et de financement pour les services de police des Premières Nations  10

(iv) Documents se rapportant à la négociation de l’accord tripartite concernant le SPNA  13

(v) Les modalités de la Politique sur la police des Premières nations et des Programmes des services de police des Premières Nations  14

(vi) Autres documents à l’égard desquels le privilège relatif au secret du Cabinet est invoqué  14

(vii) Documents décrivant les normes applicables à la GRC  15

(viii) Documents illisibles, pages manquantes et renseignements supplémentaires  17

(ix) Documents concernant les mesures prises par le Canada relativement aux recommandations issues de l’enquête Kashechewan  18

(x) Documents se rapportant aux logements des agents dans la collectivité de Norman Wells (Territoires du Nord-Ouest)  18

C. Paiement des frais juridiques  19

III. Décision  22


I.  Requête en divulgation et paiement des frais juridiques

[1]  Il s’agit de la troisième décision rendue par le Tribunal concernant la divulgation dans la présente affaire (voir 2013 TCDP 3 [Louttit 1], et 2013 TCDP 27 [Louttit 2]). Les plaignants soutiennent par voie de requête que le procureur général (PG) doit encore divulguer une série complète de documents pertinents et demandent qu’il fasse des divulgations supplémentaires et de meilleure qualité. Ils demandent également qu’il soit ordonné au PG de leur rembourser les frais juridiques découlant de l’inobservation présumée des ordonnances de divulgation précédentes rendues par le Tribunal dans les décisions sur requête Louttit 1 et Louttit 2.

[2]  Ces questions de divulgation découlent d’une plainte prétendant que les plaignants reçoivent des services de maintien de l’ordre de qualité inférieure aux services qui sont fournis aux collectivités non autochtones au Canada, ce qui constituerait une discrimination fondée sur la race au titre de l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la Loi).

[3]  Le Tribunal a tenu une audience relativement à la requête des plaignants. Deux témoins ont été appelés : M. Raymond Levesque, conseiller principal, Division de lutte contre la criminalité, Direction des programmes de gestion des urgences, Sécurité publique Canada (SPC), et M. Scott Merrithew, directeur général, Direction des accords de services de police et stratégiques, Gendarmerie royale du Canada (GRC).

[4]  Après l’audience, le PG a effectué d’autres recherches pour trouver les documents mentionnés par M. Levesque et M. Merrithew. Le 15 avril 2016, le PG a fourni une mise à jour, qui comprenait une description des catégories de documents subséquemment présentés aux plaignants. Le PG estime avoir ainsi répondu à leurs demandes de divulgation.

[5]  Les plaignants prétendent toutefois que le PG doit encore divulguer certains documents. D’après eux, les catégories de documents divulgués ne correspondent pas à celles qui faisaient l’objet de leur requête, et la réponse du PG n’expliquait pas en quoi sa divulgation supplémentaire se rapportait aux catégories de documents demandés. Outre les modalités de la Politique sur la police des Premières nations et du Programme des services de police des Premières Nations, les plaignants attendent encore la divulgation des documents suivants : des courriels et autres dossiers de membres clés du personnel de SPC; des documents décrivant le processus d’établissement des niveaux de dotation et de financement dans les collectivités éloignées ou isolées servies par la GRC; des documents se rapportant au processus d’établissement des niveaux de dotation et de financement pour les services de police des Premières Nations; des documents se rapportant à la négociation de l’Accord tripartite sur le Service de police Nishnawbe-Aski (SPNA); d’autres documents à l’égard desquels le privilège relatif au secret du Cabinet est invoqué; des documents décrivant les normes applicables à la GRC; des documents caviardés auxquels manquent des pages et des extraits; des documents concernant les mesures prises par le Canada relativement aux recommandations issues de l’enquête Kashechewan; ainsi que des documents concernant les logements des agents de police dans la collectivité de Norman Wells (Territoires du Nord-Ouest).

[6]  Après que le Tribunal a transmis d’autres directives le 16 décembre 2016 et que des documents supplémentaires ont été subséquemment communiqués, les parties ont pu résoudre certaines des requêtes en divulgation susmentionnées.

[7]  La Commission a participé à l’audition de la requête en divulgation et a souscrit aux observations des plaignants. Elle a elle-même demandé que le PG divulgue des documents supplémentaires, ce qui est maintenant chose faite.

II.  Analyse

A.  Questions préliminaires : preuve relative à la requête

[8]  À l’audience, les parties ne s’entendaient pas sur la question du rôle de certains documents qui figuraient dans le recueil de documents des plaignants, mais qui n’avaient pas été précisément mentionnés à l’audience ni présentés aux témoins. Le PG fait valoir que ces documents devraient être retirés du recueil car, selon lui, les plaignants ont eu pleinement l’occasion d’interroger les témoins au sujet des documents qui s’y trouvaient. Par conséquent, il serait injuste d’autoriser les plaignants à se fonder sur des documents qui n’ont pas été présentés aux témoins durant l’audience.

[9]  Les plaignants ne croient pas que les documents devraient être retirés de leur recueil. D’après eux, les requêtes sont habituellement tranchées sur le fondement de la preuve écrite puisqu’elles ont souvent trait à des questions procédurales. En outre, il n’est pas nécessaire que les témoins établissent l’authenticité des documents lorsque la requête concerne le caractère adéquat de la divulgation elle‑même. La pertinence des documents peut simplement consister à établir devant le tribunal les éléments qui ont été produits ou non.

[10]  Le Tribunal a demandé aux parties de préciser les documents qu’elles estimaient faire partie du dossier de requête, et celles-ci ont présenté des observations au sujet des documents litigieux. Elles ont fourni subséquemment des renseignements supplémentaires et ont désormais indiqué que cette question était résolue. Par conséquent, j’examinerai l’ensemble des documents déposés par les parties dans le cadre de la requête.

B.  Demandes de divulgation

[11]  Conformément à l’article 50(1) de la Loi, les parties qui comparaissent devant le Tribunal doivent avoir la possibilité pleine et entière de présenter leurs arguments. Le Tribunal doit également mener l’instance sans formalisme et de façon expéditive, dans le respect des principes de justice naturelle et des règles de pratique (voir art. 48.9(1) de la Loi).

[12]  Afin de remplir ces obligations, le Tribunal exige notamment que les parties se communiquent les renseignements potentiellement pertinents avant l’audition de l’affaire. En plus des faits et des questions que les parties soulèvent, la divulgation des renseignements permet à chacune d’elles de connaître les arguments auxquels elle devra répondre, et donc de se préparer adéquatement à l’audience. C’est pourquoi, s’il existe un lien rationnel entre un document et les faits, questions ou formes de redressement invoqués par les parties, le document doit être divulgué conformément aux alinéas 6(1)d) et 6(1)e) des Règles de procédure du Tribunal (03‑05‑04) (voir Guay c. Canada (Gendarmerie royale du Canada), 2004 TCDP 34, au par. 42).

[13]  Bien que le Tribunal exige que les renseignements potentiellement pertinents soient divulgués avant l’audience, cela ne signifie pas que ceux-ci seront admis en preuve ou qu’on leur accordera beaucoup de poids dans le processus décisionnel (voir Association des employé(e)s de télécommunications du Manitoba Inc. c. Manitoba Telecom Services, 2007 TCDP 28, au par. 4). En fait, il s’agit plutôt d’aider les parties à se préparer à l’audience et d’éviter ainsi des retards [voir alinéa 9(3)c) des Règles de procédure du Tribunal (03‑05‑04)].

[14]  C’est en gardant ces principes à l’esprit que j’examinerai maintenant chacune des demandes de divulgation des plaignants.

(i)  Courriels et autres dossiers de membres clés du personnel de SPC

[15]  M. Levesque a déclaré durant son témoignage que des recherches avaient été effectuées dans les comptes de courriel de quatre membres du personnel de SPC. Cependant, d’après les plaignants, il a mentionné d’autres employés ayant pris part à des activités visées par la présente plainte, mais dont les courriels et les documents n’ont pas été examinés. Ces employés sont notamment des analystes des politiques, divers gestionnaires régionaux affectés à l’Ontario, des gestionnaires de l’unité de soutien des programmes ainsi que des négociateurs des accords du SPNA.

[16]  En outre, les plaignants indiquent que 525 courriels provenant du compte de M. Levesque ont été divulgués pour la période de 2001 à 2005, alors que cinq courriels seulement, sur l’ensemble des comptes des employés, ont été communiqués relativement à la période de 2006 à 2007. Les plaignants soulignent également que, même si des courriels d’anciens employés peuvent avoir été divulgués à l’issue d’une recherche dans les courriels de M. Levesque et de trois autres employés, rien n’indique que les comptes de courriel de ces anciens employés ont été eux-mêmes examinés. Selon les plaignants, cela démontre que la recherche concernant les courriels et les documents des membres clés du personnel était insuffisante en l’espèce. Les plaignants craignent d’ailleurs que le PG ait enfreint l’ordonnance du Tribunal et les règles générales de l’équité en omettant d’informer ce dernier et les parties que, depuis le dépôt de la plainte, il avait effacé les comptes de courriel de nombreux employés de SPC lorsqu’ils ont quitté le ministère.

[17]  D’après le PG, M. Levesque a indiqué durant son témoignage qu’une recherche exhaustive avait été effectuée pour retrouver tous les documents se rapportant à la plainte, y compris les copies papier et électroniques des dossiers des quatre membres clés du personnel de la Direction générale de la police des Autochtones. Par ailleurs, le PG affirme que de nombreux courriels d’anciens employés du bureau régional de l’Ontario ont été divulgués, ce qui comprend un grand nombre de courriels remontant à l’année 2000.

[18]  Le PG reconnaît s’être rendu compte, durant le témoignage de M. Levesque, que la divulgation des courriels des employés de la division des politiques de la Direction générale de la police des Autochtones ainsi que des gestionnaires de l’unité de soutien des programmes était peut-être incomplète. Il a pris les dispositions nécessaires pour obtenir tous les autres courriels pertinents, lesquels ont été produits selon ses dires.

[19]  D’après les plaignants, les courriels supplémentaires produits par le PG n’ont pas été classés en fonction de la teneur de leur requête et sont organisés de manière confuse. À ce titre, ils n’ont pas été en mesure d’établir si les documents supplémentaires répondent effectivement à leur demande de divulgation.

[20]  Dans la décision Louttit 1, j’ai indiqué que même si les Règles de procédure du Tribunal (03‑05‑04) ne précisent pas la manière ou la forme que doit prendre la divulgation, leur objet et, plus généralement, les principes d’équité exigent que la divulgation et la production des documents soient suffisantes pour que chaque partie ait la possibilité pleine et entière de se faire entendre. J’ai conclu en l’occurrence que la production par le PG d’un CD dont le contenu n’était pas structuré, qui ne comportait pas de table des matières et renfermait des documents non classés, ne permettait pas aux plaignants de bien connaître les éléments de preuve que le PG estimait pertinents en l’espèce, ou d’y répondre. J’ai ordonné que tous les documents divulgués soient clairement intitulés ou étiquetés de manière à ce que la partie adverse puisse facilement les identifier et les consulter (voir Louttit 1, aux par. 12 à 15).

[21]  De même, dans Louttit 2, le PG avait produit des documents supplémentaires en réponse à une demande de divulgation des plaignants et à une ordonnance rendue subséquemment par le Tribunal. Il n’avait pas indiqué en quoi ces documents répondaient aux différentes demandes ou ordonnances de divulgation, et ne les avait pas produits d’une manière qui permette aux plaignants de déterminer s’il avait respecté l’ordonnance en question. Il lui a été ordonné d’indiquer par écrit en quoi il s’était conformé à l’ordonnance de divulgation du Tribunal, et de montrer précisément en quoi la divulgation de documents supplémentaires répondait aux demandes des plaignants (voir Louttit 2, aux par. 22 à 27).

[22]  Dans cette troisième décision concernant la divulgation, je dois là encore me pencher sur une situation où le PG n’a pas produit les documents d’une manière qui permette aux plaignants de déterminer si sa divulgation est complète. Suivant les principes énoncés dans les décisions Louttit 1 et Louttit 2, j’ai ordonné au PG, dans une lettre du 16 décembre 2016, d’indiquer par écrit au Tribunal et d’expliquer aux autres parties en quoi il s’était conformé à la demande de divulgation des [traduction] « courriels et autres dossiers des membres clés du personnel de SPC » présentée par les plaignants. Plus précisément, il devait répondre par écrit aux paragraphes 7 à 12 des observations des plaignants datées du 30 janvier 2015. Le PG devait expliquer en quoi les documents supplémentaires répondaient à ces demandes ou, inversement, attester qu’il n’existait aucun autre document susceptible d’y répondre.

[23]  Après quelques prorogations, le PG a déposé sa réponse le 19 mai 2017. Le 31 mai suivant, les plaignants ont confirmé qu’à leur sens, la dernière réponse du PG épuisait les questions que le Tribunal avait enjoint aux parties de traiter le 16 décembre 2016. Désormais, les principes énoncés dans les décisions Louttit 1 et Louttit 2 guideront les parties lorsqu’il s’agira de répondre à des demandes ou à des ordonnances de divulgation.

[24]  Enfin, les plaignants pensent qu’un nombre important de courriels potentiellement pertinents peuvent avoir été effacés par SPC après le dépôt de la plainte. Il s’agit d’une allégation grave et la correspondance la plus récente des parties ne permet pas d’établir clairement si elle est encore en jeu. Les parties seront invitées à aborder cette question lors de la prochaine téléconférence de gestion de l’instance.

(ii)  Documents décrivant le processus d’établissement des niveaux de dotation et de financement dans les collectivités éloignées ou isolées desservies par la GRC

[25]  Dans la décision Louttit 1, j’ai estimé que la requête des plaignants visant à obtenir des documents de politique générale se rapportant au processus d’établissement par la GRC des niveaux de dotation et de financement dans les collectivités isolées était potentiellement pertinente quant à la présente affaire et que les documents visés devaient être divulgués (au par. 26). En réponse à cette décision, le PG a divulgué trois documents. D’après les plaignants, ces documents n’expliquent pas de manière assez détaillée comment les niveaux de dotation et de financement sont établis dans les collectivités isolées ou éloignées desservies par la GRC.

[26]  À l’audition de la présente requête, les plaignants ont fait valoir que M. Merrithew avait reconnu que la GRC se servait d’un modèle d’estimation des ressources policières (MERP) pour déterminer les besoins généraux en dotation d’un détachement. Cependant, les plaignants avancent que le MERP et le manuel d’instructions correspondant n’ont pas été divulgués. D’autre part, une présentation divulguée par le PG énumère sept autres modèles utilisés par la GRC pour déterminer les besoins en dotation, lesquels n’ont pas été divulgués non plus. Si la GRC s’est servie de ces sept modèles pour évaluer les besoins en dotation, ils sont pertinents pour déterminer les niveaux de dotation nécessaires pour les Premières Nations Mushkegowuk, soutiennent les plaignants.

[27]  Le PG affirme que le MERP a été divulgué, ainsi qu’un modèle appliqué à une collectivité de Premières Nations isolée et éloignée des Territoires du Nord-Ouest : la collectivité de Norman Wells. Quant au manuel d’instructions relatif au MERP, le PG fait valoir qu’il peut être divulgué au moyen d’une ordonnance de confidentialité.

[28]  Pour ce qui est des autres modèles visés par la requête des plaignants, le PG soutient qu’ils ont été élaborés par divers entrepreneurs du secteur privé, qu’ils ne sont pas nécessairement propres à la GRC, et qu’ils n’ont pas été appliqués de manière uniforme par ses services. En fait, l’élaboration du MERP résulte directement du recensement des lacunes de ces autres modèles. Par conséquent, d’après le PG, ceux-ci ne sont pas pertinents aux fins de la présente plainte. Subsidiairement, il soutient qu’il n’existe aucun document décrivant le mode d’établissement précis des niveaux de ressources par la GRC dans les collectivités éloignées ou isolées. D’après le PG, M. Merrithew a déclaré plutôt que les niveaux de dotation sont établis en fonction du détachement, sur le fondement d’un dialogue entre la GRC et l’administration contractante, cette dernière ayant le dernier mot sur le niveau de ressources nécessaires.

[29]  L’affidavit de M. Merrithew indique d’ailleurs que [traduction] « [l]a détermination des ressources en matière de services policiers s’effectue en collaboration entre l’administration contractante et la GRC » et que [traduction] « [c]ette détermination relève d’un processus continu propre à chaque administration contractante » (au par. 7). Le paragraphe 8 de son affidavit précise que de nombreux facteurs entrent en compte dans l’établissement des niveaux de ressources de maintien de l’ordre, notamment les exigences opérationnelles, la sécurité des agents, les priorités provinciales et municipales en matière de maintien de l’ordre ainsi que les moyens financiers.

[30]  Cependant, M. Merrithew a également désigné certains articles normalisés figurant dans les ententes sur les services de police. L’article 5 concerne le niveau de maintien de l’ordre dans les collectivités desservies par la GRC. D’après le paragraphe 9 de son affidavit, [traduction] « [c]ette disposition prévoit que le niveau de maintien de l’ordre, déterminé par la GRC et l’administration contractante, devra satisfaire aux exigences minimales requises pour assurer la sécurité du public ou des agents ».

[31]  En outre, l’article 18 de l’Entente sur les services de police prévoit que la GRC soumettra chaque année à l’examen de l’administration contractante un plan financier pluriannuel. M. Merrithew indique aussi au paragraphe 11 de son affidavit qu’[traduction] « [a]u minimum, le plan pluriannuel traitera du nombre de postes requis pour le service de police, des considérations budgétaires, des plans concernant l’infrastructure et l’équipement, des écarts budgétaires de l’année précédente et d’autres renseignements convenus par les parties ». Ce plan est présenté à l’administration contractante au plus tard le 1er juin de chaque année.

[32]  Le 15 juin suivant, l’administration contractante remet à la GRC le budget annuel prévu du service de police pour l’exercice financier suivant, et toutes ses mises à jour dès qu’elles sont disponibles. Comme le précise M. Merrithew au paragraphe 13 de son affidavit : [traduction] [c]e processus continu, qui se déroule à l’échelle locale, est essentiel à l’établissement des exigences en matière de ressources dans les diverses administrations contractantes et il est propre à chacune d’elles ».

[33]  Par conséquent, si je comprends bien, la GRC et l’administration contractante ont de nombreux échanges avant que les accords et les budgets soient adoptés. Cette négociation à double sens ne se fait pas seulement par voie orale : divers documents sont échangés durant le processus.

[34]  Ainsi, même s’il n’existe pas de document qui décrive ou explique en détail le processus par lequel la GRC et une administration contractante ont conclu une entente sur les services de police, il existe toutefois, comme l’indique l’affidavit de M. Merrithew, des documents potentiellement pertinents liés à ce processus et susceptibles d’être divulgués, comme les ententes sur les services de police et les plans financiers pluriannuels. Cela dit, si j’en crois la demande des plaignants, les ententes sur les services de police et les plans financiers pluriannuels ne seront pas tous potentiellement pertinents quant à la présente plainte. Seuls ceux qui concernent des collectivités ou des administrations comparables au Service de police Nishnawbe-Aski ou, comme le disent les plaignants, [traduction] « des collectivités éloignées ou isolées », le seront. Par conséquent, le PG divulguera toutes les ententes sur les services de police, tous les plans financiers pluriannuels et tous les documents connexes concernant les collectivités éloignées et isolées desservies par la GRC.

[35]  S’agissant du manuel d’instructions relatif au MERP, le PG le divulguera sous réserve des restrictions suivantes : 1) il ne le divulguera qu’à l’avocat des plaignants et à la Commission; 2) l’avocat des plaignants et la Commission ne s’en serviront que pour se préparer à l’audition de la présente affaire et pour communiquer avec leurs clients afin d’obtenir les instructions nécessaires; 3) l’avocat des plaignants et la Commission ne le divulgueront à personne d’autre sans l’autorisation préalable du Tribunal et sans notification au PG; 4) l’avocat des plaignants et la Commission ne s’en serviront à aucune autre fin que la présente instance. Si le manuel d’instructions relatif au MERP devait être utilisé pendant l’audition de la présente affaire, ces mesures de confidentialité pourront être réexaminées en vertu de l’article 52 de la Loi.

(iii)  Documents se rapportant au processus de détermination du budget global pour le Programme des services de police des Premières Nations et au processus d’établissement des niveaux de dotation et de financement pour les services de police des Premières Nations

[36]  Dans la décision Louttit 1, j’ai conclu que les documents de politique générale demandés par les plaignants et concernant le processus d’établissement des niveaux de dotation et de financement des services de police des Premières Nations, au titre de la Politique sur la police des Premières nations administrée par SPC, étaient potentiellement pertinents au regard de la présente affaire et devaient être divulgués (par. 26). Les plaignants affirment que le PG n’a divulgué qu’un seul document en réponse à cette décision; ils croient qu’il existe d’autres documents relevant de cette catégorie, potentiellement pertinents à la présente affaire et qui devraient être communiqués par le PG.

[37]  D’après les plaignants, M. Levesque a cité de nombreux cas où le processus d’établissement du budget d’un service de police des Premières Nations entraînerait la production de documents potentiellement pertinents, mais que le PG n’a pas divulgués :

·  Les budgets préliminaires sont préparés par des analystes de la division des politiques.

·  Les budgets préparés par les analystes sont basés sur les consultations menées auprès des homologues provinciaux et territoriaux, des partenaires financiers, des agents financiers et des cadres ministériels.

·  Les versions préliminaires des budgets préparés par les analystes sont examinées par le directeur du secteur des dépenses, par la Direction générale de la gestion ministérielle et par les agents financiers.

·  Les besoins liés au programme sont communiqués aux analystes du secteur des dépenses par les agents du secteur des programmes par le biais de divers documents, tels que des courriels et des tableaux de ventilation.

·  L’un des documents transmis par le secteur des programmes au secteur des dépenses est un tableau de ventilation énumérant les diverses forces de police des Premières Nations et les fonds à attribuer à chacune d’elles sur une période d’à peu près cinq ans.

·  Au sein du secteur des programmes, les gestionnaires régionaux fournissent une estimation initiale des besoins en matière de maintien de l’ordre pour les Premières Nations au(x) gestionnaire(s) de soutien des programmes par le biais de divers documents tels que des tableaux de ventilation. Le(s) gestionnaire(s) de soutien des programmes « résume(nt) » les renseignements des gestionnaires régionaux qui seront communiqués à l’analyste politique du secteur des politiques.

[38]  Le PG maintient que tous les documents pertinents se rapportant à la dotation et au financement ont été divulgués, et que M. Levesque l’a confirmé dans son témoignage. Pour ce qui est des budgets préparés par les analystes, il fait valoir que M. Levesque a indiqué qu’ils faisaient partie des documents visés par le privilège relatif au secret du Cabinet (évoqué plus loin). Subsidiairement, M. Levesque a confirmé que des dossiers de documents papier avaient fait l’objet de recherches. Le PG ajoute que le témoignage de M. Levesque lui a permis de se rendre compte que certains documents préparatoires relatifs au budget de 2013 n’avaient peut-être pas été divulgués, que des courriels et des dossiers papier d’employés concernés ont fait l’objet de recherches, puis que des documents supplémentaires ont été retrouvés et divulgués.

[39]  Les plaignants reconnaissent en réponse que 12 nouveaux documents ont été divulgués et décrits comme [traduction] « se rapportant au budget de 2013 ». Au moins la moitié de ces documents semblent avoir un caractère médiatique, comme des communiqués de presse ou des descriptions détaillées d’infocapsules. Apparemment, aucun d’eux ne correspond au type de documents concernant l’établissement des niveaux de financement et de dotation qui ont été demandés et qui existent d’après le témoignage de M. Levesque. Les plaignants soulignent par ailleurs que les observations du PG concernent uniquement les budgets préparés par les analystes politiques et pas les autres documents d’établissement du budget n’ayant pas été divulgués, comme les tableaux de ventilation produits par le personnel du secteur des programmes.

[40]  S’agissant des budgets dont le PG affirme qu’ils font partie des documents visés par le privilège relatif au secret du Cabinet, les plaignants font valoir que celui-ci leur a fourni une liste de documents soumis à l’examen du Bureau du Conseil privé. Les budgets préparés par les analystes n’y figurent pas. Par conséquent, les plaignants soutiennent que l’affirmation du PG est fausse ou que d’autres documents contenant des renseignements confidentiels du Cabinet doivent être divulgués.

[41]  Là encore, même s’il n’existe peut-être aucun document qui décrive ou explique en détail le processus d’établissement des niveaux de dotation et de financement pour des services de police des Premières Nations, il ressort clairement du témoignage de M. Levesque qu’il existe des documents potentiellement pertinents ayant trait à ce processus et visés par la divulgation, y compris les ébauches de budgets et leurs versions préliminaires, les tableaux de ventilation justificatifs et les communications connexes, comme les courriels, qui attestent la contribution des divers intéressés à ces budgets et tableaux de ventilation. Comme l’indiquent également les plaignants, leur demande vise d’autres documents d’établissement du budget créés par le personnel du secteur des programmes, comme les projections budgétaires pour l’ensemble du Programme des services de police des Premières Nations, et d’autres estimations initiales, par les gestionnaires régionaux, des besoins en matière de maintien de l’ordre pour les Premières Nations. Les plaignants soutiennent que cette demande est fondamentale au regard de leur plainte, et qu’il pourrait leur être préjudiciable de poursuivre sans disposer de ces éléments de preuve. Par conséquent, il est ordonné au PG de divulguer ces documents lorsqu’ils ne sont pas visés par le secret du Cabinet. S’il invoque le secret du Cabinet, il devra clairement identifier les documents en cause dans sa liste de documents.

 

(iv)  Documents se rapportant à la négociation de l’accord tripartite concernant le SPNA

[42]  Selon les plaignants, le PG a produit une lettre dans laquelle le SPNA demande des fonds supplémentaires et un ensemble de communications du gouvernement fédéral répondant à certaines de ces demandes. Cependant, les plaignants affirment qu’il manque à cette divulgation des documents internes du gouvernement fédéral ayant pour objet d’évaluer les demandes et les propositions de financement, ainsi que les réponses auxquelles elles ont donné lieu, les documents visant à formuler des positions de négociation budgétaire, qu’il s’agisse de justifier les budgets proposés ou de refuser une augmentation des ressources, ou d’autres documents concernant l’analyse des ressources dont le service de police a réellement besoin. Les plaignants estiment que ces documents se trouveraient probablement dans les courriels ou dossiers des gestionnaires régionaux qui n’entraient pas tout à fait dans le champ de la recherche documentaire initiale effectuée par le PG, comme nous l’avons vu plus haut. Les plaignants citent également le témoignage de M. Levesque suivant lequel il y aurait eu des échanges de courriel entre les négociateurs provinciaux et fédéraux, ainsi que des comptes rendus formels ou informels des réunions.

[43]  Les plaignants indiquent qu’un certain nombre de nouveaux documents ont été divulgués sous cette catégorie après l’audition de leur requête. Cependant, ils font valoir que ces nouveaux documents ne semblent pas se rapporter aux négociations de l’accord concernant le SPNA, ou au SPNA en général. Ils soutiennent donc qu’il manque encore des documents dans cette catégorie.

[44]  Une demande détaillée de financement adressée par le SPNA au gouvernement fédéral figure à l’onglet 6 du recueil de documents des plaignants. Cependant, comme l’indiquent ces derniers, aucun document ayant trait à l’évaluation de cette proposition par le gouvernement, ou à sa réponse, n’a été divulgué. Conformément au témoignage de M. Levesque, j’accepte l’affirmation des plaignants selon laquelle il existe probablement des notes de service, des comptes rendus, des courriels ou d’autres documents potentiellement pertinents traitant de l’examen et de l’analyse de cette proposition par le gouvernement, et de la négociation de l’accord tripartite concernant le SPNA en général. Il est ordonné au PG de divulguer et de produire tous les documents potentiellement pertinents quant à cette demande, en accordant une attention particulière aux types de documents mentionnés par M. Levesque et dont la date va jusqu’au 31 décembre 2013, comme l’ont précisé les plaignants. Il devra divulguer et produire ces documents à l’intention des plaignants et de la Commission.

(v)  Les modalités de la Politique sur la police des Premières nations et des Programmes des services de police des Premières Nations

[45]  Le PG a divulgué les modalités de la Politique sur la police des Premières nations et des Programmes des services de police des Premières Nations ayant pris fin le 31 mars 2014, et ceux prenant fin le 31 mars 2018. Cependant, les plaignants avaient également demandé la divulgation de versions plus anciennes, y compris celles qui étaient en vigueur durant la période visée par la plainte et à la date du dépôt de celle‑ci.

[46]  Le 2 mai 2016, les plaignants ont indiqué que les documents de cette catégorie avaient été divulgués.

(vi)  Autres documents à l’égard desquels le privilège relatif au secret du Cabinet est invoqué

[47]  En vertu de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, des documents ne peuvent être soustraits à la divulgation au motif qu’ils sont visés par le privilège relatif au secret du Cabinet à moins que le greffier du Conseil privé atteste par écrit que le renseignement constitue un renseignement confidentiel du Cabinet. Le PG a refusé de divulguer certains documents en application de cette disposition, mais n’a pas produit d’attestation écrite du greffier du Conseil privé. Cela dit, les parties se sont entendues sur un processus de remplacement en vertu duquel le PG a communiqué aux plaignants la décision du greffier du Conseil privé à l’égard de 138 documents dont il a estimé qu’ils contenaient potentiellement des renseignements confidentiels du Cabinet, en indiquant le fondement législatif de chaque décision et en incluant une brève description de chaque document. Cinq documents expurgés ont été divulgués aux plaignants.

[48]  Le PG estime par conséquent que cette question est résolue. Cependant, comme je l’ai indiqué plus haut, les plaignants sont préoccupés de voir le PG affirmer que les budgets liés au Programme des services de police des Premières Nations préparés par les analystes constituent des mémoires adressés au Cabinet et qu’ils ont été soumis au Bureau du Conseil privé. D’après eux, ces budgets ne figuraient pas auparavant sur la liste des documents du BCP fournie par le PG. Les autres catégories de documents à l’égard desquels le privilège relatif au secret du Cabinet est invoqué incluent ceux qui concernent l’examen global du Programme des services de police des Premières Nations, y compris les options politiques envisagées à l’issue de l’examen, ainsi que des documents du Conseil du Trésor portant sur la qualité des services de police dans les Premières Nations Mushkegowuk ou dans les Premières Nations en général.

[49]  Comme l’ont indiqué les plaignants, et comme je l’ai mentionné plus haut au paragraphe 38, une incertitude demeure quant à certains documents à l’égard desquels le secret du Cabinet est invoqué. À ce titre, je reporte ma décision sur ce point jusqu’à ce que la divulgation ordonnée en l’espèce soit complète.

[50]  Cependant, tous les documents à l’égard desquels le secret du Cabinet est invoqué devraient être clairement identifiés dans la liste récapitulative des documents du PG. Les plaignants devront indiquer lors de la prochaine téléconférence de gestion de l’instance si la question de ces documents est encore en jeu.

(vii)  Documents décrivant les normes applicables à la GRC

[51]  Dans la décision Louttit 1, le Tribunal a ordonné au PG de divulguer tous les documents décrivant les normes adoptées par la GRC en matière de niveaux de service, d’installations, d’équipement, de salaires, d’avantages sociaux et d’indemnités d’éloignement, et toute norme relative au maintien de l’ordre dans les collectivités éloignées ou isolées.

[52]  Le PG s’inquiète du volume des documents que cherchent à obtenir les plaignants en l’espèce. D’après lui, M. Merrithew a évoqué durant son témoignage le caractère abondant et interdépendant des divers manuels contenant les procédures d’exploitation et les normes nationales de la GRC. C’est pourquoi il affirme que la divulgation complète des normes de la GRC demandée par les plaignants entraînerait un flux interminable de production de documents qui exigerait plusieurs mois.

[53]  Le PG n’est pas convaincu de la valeur probante d’une divulgation si globale et soutient que si tous les documents de la GRC concernant les normes étaient divulgués, il faudrait les compter par dizaines de milliers et la vaste majorité serait sans intérêt. Il affirme que cela équivaut à une recherche à l’aveuglette. Il a donc produit une copie de la table des matières des manuels opérationnels, administratifs et auxiliaires de la GRC, invitant ainsi les plaignants à y rechercher les normes spécifiques qu’ils estiment être pertinentes au regard de la plainte.

[54]  Les plaignants font valoir que les arguments avancés par le PG pour avoir soustrait les documents de cette catégorie à la divulgation sont invalides, puisque le Tribunal a déjà ordonné qu’ils soient divulgués. Ils soutiennent que le volume des documents peut être pris en charge par voie de communication électronique, et ajoutent qu’ils sont disposés à signer un engagement de non‑divulgation et à collaborer avec le PG à toute autre mesure qui permettrait une divulgation plus efficace et plus rapide de ces pièces. Sous réserve de la décision du Tribunal quant au procédé le plus opportun en ce qui concerne ces documents, les plaignants indiquent qu’ils chercheraient peut-être maintenant à obtenir des documents spécifiques énumérés dans la table des matières fournie.

[55]  Une lettre datée du 16 décembre 2016 enjoignait aux plaignants d’examiner l’index et de préciser au PG quels documents il faudrait divulguer, ce qu’ils ont fait le 10 janvier 2017. Le 30 mai suivant, le PG a indiqué qu’il avait fourni les documents demandés. Le 31 mai, les plaignants ont fait savoir qu’en ce qui les concernait, la dernière réponse du PG avait épuisé les questions que le Tribunal avait demandé aux parties de traiter le 16 décembre 2016. Par conséquent, je crois comprendre que cette demande de divulgation est désormais résolue et je n’ai plus à statuer sur la question.

(viii)  Documents illisibles, pages manquantes et renseignements supplémentaires

[56]  Les plaignants affirment que certains documents divulgués sont illisibles ou qu’il y manque des pages. Ils cherchent également à obtenir plus de renseignements concernant un document censé décrire les lacunes du SPNA (auteur, pages de couverture, courriels connexes). Les plaignants soutiennent que M. Levesque a reconnu qu’il était possible de découvrir d’autres détails sur ce document. À la suite de l’audition de la requête, les plaignants ont indiqué qu’aucun nouveau document n’avait été fourni relativement à cette catégorie.

[57]  Le PG affirme qu’il a déjà effectué d’autres recherches regardant les documents identifiés par les plaignants et qu’il a fourni une réponse concernant chacun d’eux. Quant aux commentaires de M. Levesque, le PG soutient qu’il ignorait au moment de son témoignage qu’un complément de recherche avait déjà eu lieu afin de révéler des renseignements manquants sur le document en question et d’autres pièces. À ce titre, il fait valoir qu’il n’y a aucun autre document de cette catégorie à divulguer.

[58]  Dans la mesure où il peut corriger les documents illisibles ou qui manquent de pages, le PG est tenu de le faire au titre de son obligation de divulgation (voir les par. 20 à 23 précédents). Cela dit, j’accepte sa déclaration selon laquelle il a effectué d’autres recherches au sujet des documents identifiés par les plaignants et qu’il a fourni une réponse concernant chacun d’eux. Cependant, nous rappellerons au PG qu’il est soumis à une obligation continue de divulgation et de production en vertu du paragraphe 6(5) des Règles de procédure du Tribunal (03‑05‑04). S’il est subséquemment établi qu’il n’a pas divulgué les documents, le Tribunal a le pouvoir d’assigner les témoins à comparaître et de les contraindre à produire les documents (voir l’al. 50(3)a) de la Loi).

(ix)  Documents concernant les mesures prises par le Canada relativement aux recommandations issues de l’enquête Kashechewan

[59]  L’enquête Kashechewan concernait le décès de deux jeunes hommes des Premières Nations dans l’incendie d’un poste de police de l’une des collectivités Mushkegowuk. D’après les plaignants, les recommandations issues de cette enquête prévoyaient notamment l’allocation de ressources en vue d’assurer la qualité des services de maintien de l’ordre, ainsi que l’amélioration du SPNA. Les plaignants sollicitent les documents concernant les mesures prises par le Canada relativement auxdites recommandations.  Ils affirment que le PG n’a fourni à ce jour qu’un seul document pour répondre à cette demande et ils estiment qu’il est très improbable qu’il n’y ait qu’un seul document pertinent en cette matière. Les plaignants prétendent que M. Levesque a reconnu qu’il existerait normalement des comptes rendus de réunions entre les fonctionnaires fédéraux au sujet des recommandations issues de l’enquête, ainsi que des documents relatifs aux appels, aux réunions et à la correspondance avec les partenaires provinciaux concernant certaines recommandations clés. Cependant, ces documents n’ont pas été divulgués.

[60]  Le PG a indiqué qu’il a cherché à retrouver tout document supplémentaire pertinent ayant trait à l’enquête Kashechewan, mais sans succès.

[61]  Compte tenu du témoignage de M. Levesque, il me paraît également difficile à croire qu’il n’existe aucun autre document concernant cette question. Il est ordonné au PG de divulguer tous les documents potentiellement pertinents à cette demande, en accordant une attention particulière aux types de documents mentionnés par M. Levesque. Il lui est ordonné de divulguer et de produire ces documents à l’intention des plaignants et de la Commission.

(x)  Documents se rapportant aux logements des agents dans la collectivité de Norman Wells (Territoires du Nord-Ouest)

[62]  D’après les plaignants, Norman Wells est une collectivité en grande majorité non autochtone des Territoires du Nord-Ouest, sans accès routier, et dont le maintien de l’ordre est assuré par la GRC. Ils croient possible d’utiliser cette collectivité pour comparer les services de maintien de l’ordre offerts aux collectivités autochtones et non autochtones. Bien que le PG ait divulgué un certain nombre de documents concernant Norman Wells, les plaignants exigent des documents additionnels relatifs aux logements des agents dans la collectivité. Plus spécifiquement, ils veulent savoir si les renseignements déjà fournis traitent de toutes les unités louées par la GRC pour ses agents à Norman Wells, et demandent à connaître les coûts de construction des trois propriétés utilisées par la GRC dans cette collectivité.

[63]  Le PG fait valoir que les trois propriétés utilisées par la GRC à Norman Wells ont été achetées en 1977. La construction des unités daterait des années 1970, et le PG affirme que tous les documents relatifs aux coûts de construction ont disparu. Il n’existe non plus aucun renseignement regardant l’évaluation actuelle des propriétés sur le marché.

[64]  J’accepte les observations du PG concernant les coûts de construction des trois propriétés utilisées par la GRC à Norman Wells.

[65]  Je note que le PG n’a pas répondu à la question de savoir si les renseignements déjà fournis traitent de toutes les unités louées par la GRC pour ses agents à Norman Wells, que lui posaient les plaignants. Le PG devra y répondre. Encore une fois, nous rappelons au PG qu’il est soumis à une obligation continue de divulgation et de production en vertu du paragraphe 6(5) des Règles de procédure du Tribunal (03‑05‑04). S’il est subséquemment établi qu’il n’a pas divulgué les documents, le Tribunal a le pouvoir d’assigner les témoins à comparaître et de les contraindre à produire des documents (voir l’art. 50(3)a) de la Loi).

C.  Paiement des frais juridiques

[66]  Les plaignants demandent également qu’il soit ordonné au PG de leur rembourser les frais découlant de l’inobservation de l’ordonnance de divulgation du Tribunal du 21 décembre 2012 (voir la décision Louttit 1, au par. 8), qui a entraîné selon eux des coûts et des retards injustifiés dans la présente affaire. En outre, ils font valoir que l’adjudication des frais juridiques en leur faveur permettra d’assurer l’équité procédurale en l’espèce. La Commission appuie leurs observations, mais ne sollicite pas le remboursement de ses dépens.

[67]  Les plaignants invoquent l’arrêt Tipple c. Canada (Procureur général), 2012 CAF 158 [Tipple], et soutiennent que les tribunaux administratifs ont compétence pour adjuger les dépens afin de contrôler leur propre procédure. Il s’agit à leur avis d’un pouvoir distinct de celui d’octroyer les dépens à la partie ayant gain de cause, pouvoir que ne détient pas le Tribunal ainsi que l’a conclu la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 53 (Mowat).

[68]  L’ordonnance de divulgation rendue par le Tribunal le 21 décembre 2012 exigeait la divulgation de 11 catégories de documents. Les plaignants avancent qu’une seule catégorie de documents a été fournie à la date fixée par le Tribunal. Ils précisent que : trois catégories de documents ont été fournies après le délai et seulement parce qu’ils ont insisté pour les obtenir; une catégorie de documents n’a jamais été fournie, mais ils ont réussi à trouver les renseignements par d’autres moyens; et six catégories de documents sont visées par la présente requête. Les plaignants notent par ailleurs que le Tribunal a dû rendre en l’espèce une deuxième décision concernant la divulgation, Louttit 2, pour obliger le PG à indiquer en quoi il s’était conformé à l’ordonnance de divulgation initiale rendue dans la décision Louttit 1. À cet égard, ils ajoutent que le Tribunal avait estimé que la position du PG à l’égard de cette requête « n’[était] pas compatible avec l’intention de l’ordonnance du Tribunal ou avec la divulgation en général » (Louttit 2, au par. 24).

[69]  Les plaignants avancent que le défaut du PG de se conformer en temps voulu aux ordonnances de divulgation a entraîné des coûts et des retards injustifiés. En effet, il s’agit de la troisième requête en divulgation visant à obtenir des documents demandés il y a plus de deux ans; les avocats des plaignants ont rédigé beaucoup de lettres concernant la divulgation et ont eu à examiner et à comparer de multiples trousses de documents; enfin, de nombreuses téléconférences de gestion de l’instance ont eu lieu relativement à la divulgation. De l’avis des plaignants, aucune de ces mesures additionnelles n’était nécessaire.

[70]  Enfin, les plaignants font valoir que l’octroi des frais juridiques permettrait d’assurer l’équité procédurale en l’espèce. Si le Tribunal n’intervient pas, les plaignants soutiennent que les parties disposant de ressources et de fonds juridiques plus importants peuvent avoir raison de la partie adverse à l’usure. En refusant de divulguer des documents, en retardant la procédure, en ne répondant pas à la correspondance, en soulevant des objections répétées et en refusant de se conformer aux ordonnances du Tribunal, la partie la plus forte peut contraindre l’autre à engager des frais juridiques jusqu’à ce qu’elle ne puisse plus plaider sa cause. Par conséquent, les plaignants estiment que l’octroi des dépens est un moyen pour le Tribunal de contrôler ses procédures, d’assurer la conformité à ses ordonnances et de garantir des procédures équitables.

[71]  Le PG fait valoir que le Tribunal n’a pas compétence pour adjuger les dépens. Ni la LCDP ni les Règles de procédure du Tribunal (03‑05‑04) ne contiennent la moindre disposition l’autorisant à imposer la pénalité demandée par les plaignants. Il rappelle que dans l’arrêt Mowat, la Cour suprême du Canada a déterminé que le Tribunal n’avait pas le pouvoir d’adjuger les « dépens ». Le PG ajoute que le Tribunal n’a pas la compétence requise pour faire exécuter directement ses ordonnances. Cette question relève plutôt de la compétence de la Cour fédérale.

[72]  En outre, même si le Tribunal était compétent pour adjuger les dépens, le PG soutient que les circonstances de l’espèce ne justifient pas qu’il le fasse. Il soutient que dans l’arrêt Tipple, des circonstances rares et exceptionnelles avaient justifié un octroi de dommages-intérêts pour cause d’obstruction des procédures. En l’espèce, le PG soutient qu’il n’a pas fait obstruction et qu’il a produit avec diligence et constance les documents pertinents qui étaient en sa possession. D’après lui, il est inévitable que dans une affaire de cette ampleur et de cette complexité, faisant intervenir des milliers de pages de documents et de multiples ministères clients se trouvant à différents endroits, certains documents soient oubliés. Pour corriger les lacunes imputées à sa divulgation, le PG rappelle qu’il a fourni les affidavits et facilité le contre-interrogatoire de ses témoins sur la question de la divulgation, alors que le Tribunal n’avait pas exigé ces mesures. À son avis, ce niveau de transparence dans la divulgation dément l’affirmation des plaignants selon laquelle il y aurait eu obstruction.

[73]  Comme la présente affaire soulève encore des questions de divulgation, j’estime qu’il est préférable d’examiner la requête des plaignants concernant le paiement des frais juridiques après l’audition de l’affaire sur le fond. Les parties et le Tribunal auront alors une image plus complète de l’impact des questions de divulgation sur la présente instance, en incluant les préoccupations susmentionnées des plaignants et toute question additionnelle susceptible d’être soulevée au terme de cette instruction. À cet égard, je souligne que les plaignants ont fait valoir tout au long de cette requête que le PG avait encore, à leur avis, d’autres documents potentiellement pertinents à divulguer. Même si j’ai accepté certaines des déclarations du PG concernant le caractère suffisant de sa divulgation à ce stade, les motifs de la requête concernant le paiement des frais juridiques pourraient changer si ces déclarations s’avèrent inexactes. Par conséquent, aux termes de l’alinéa 3(2)c) des Règles de procédure du Tribunal (03‑05‑04), tout argument ou élément de preuve se rapportant à la requête des plaignants en paiement des frais juridiques peut être soumis durant l’audition de la plainte sur le fond.

III.  Décision

[74]  Le PG doit terminer la divulgation ordonnée en l’espèce d’ici le 21 août 2017 et fournir une liste récapitulative à jour des documents au Tribunal et aux autres parties. À cette même date, il devra indiquer au Tribunal et aux autres parties par écrit quelles mesures il a prises pour se conformer à la présente décision, et nommer tous les nouveaux documents divulgués en conséquence. Si aucun nouveau document n’est divulgué en réponse à une ordonnance particulière, le PG devra aussi clairement l’indiquer. Les observations écrites du PG devront être accompagnées d’un affidavit justificatif. Sur demande, le PG fera en sorte que le ou les auteurs d’affidavits puissent être contre-interrogés. De plus, le ou les auteurs d’affidavits répondront aux demandes d’éclaircissement du Tribunal, le cas échéant.

[75]  Une téléconférence de gestion de l’instance sera fixée lorsque le PG aura terminé la divulgation et présenté ses observations écrites pour discuter de toute question qui en découle et pour examiner certaines autres questions abordées en l’espèce. En travaillant avec les parties par téléconférence, j’espère éviter d’avoir à rendre une quatrième décision concernant la divulgation et passer à l’audition de cette affaire aussi rapidement que possible.

Signée par

Sophie Marchildon

Juge administrative

 

Ottawa (Ontario)

Le 19 juin 2017

Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1683/3811, T1684/3911

Intitulé de la cause : Grand Chef Stan Louttit en sa qualité de représentant des Premières Nations du Conseil Mushkegowuk et Grand Chef Stan Louttit en sa qualité personnelle c. Procureur général du Canada

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 19 juin 2017

Date et lieu de l’audience : Ottawa ON

Le 12 décembre 2014

Requête traitée par écrit sans comparutions des parties

Représentations écrites par:

Kent Elson, avocat pour les plaignants

Daniel Poulin , avocat pour la Commission canadienne des droits de la personne

Sean Gaudet and Victoria Yankou, avocats pour l'intimé

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