Tribunal canadien des droits de la personne

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Tribunal canadien
des droits de la personne

Titre : Les armoiries du Tribunal - Description : Les armoiries du Tribunal

Canadian Human
Rights Tribunal

Référence : 2017 TCDP 4

Date : le 17 février 2017

Numéro du dossier : T2111/2715

Entre :

Nahame O’Bomsawin

la plaignante

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Conseil des Abénakis d’Odanak

l'intimé

Décision

Membre : Anie Perrault

 



I.  Introduction

[1]  Madame Nahame O’Bomsawin a déposé une plainte contre le Conseil des Abénakis d’Odanak (« le Conseil ») auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (« la Commission ») le 15 avril 2013. Après l’enquête, la Commission a référé cette plainte au Tribunal canadien des droits de la personne (« le Tribunal ») pour instruction le 15 septembre 2015.

[2]  Selon l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP), Mme O’Bomsawin prétend qu’elle a subi une discrimination fondée sur la situation de famille dans le cadre d’un processus d’embauche. Elle affirme qu’elle s’est vue refuser le poste pour lequel elle postulait — un poste de contractuel — Chargée de projet (Coordonnatrice en agrément) au Centre de santé d’Odanak. Mme O’Bomsawin prétend que le Conseil aurait choisi de mettre de côté sa candidature car elle est la fille du directeur de ce centre de santé. Le Conseil prétend que la candidate retenue était plus motivée que Mme O’Bomsawin pour l’emploi et que ce facteur était déterminant dans leur choix.

[3]  Une audience a eu lieu du 20 au 21 décembre 2016 à Sorel-Tracy, Québec. La plaignante et l’intimé étaient représentés par avocats à l’audience. La Commission a choisi de ne pas comparaître à l’audience.

[4]  Après avoir entendu et considéré la preuve et les arguments des parties, je juge que la plainte de Mme O’Bomsawin est fondée pour les raisons qui suivent.

II.  Les faits

A.  Les Abénakis d’Odanak

[5]  Mme O’Bomsawin est membre de la nation des Abénakis du territoire autochtone d’Odanak. Née à Montréal, elle a grandi au sein de la communauté d’Odanak. Elle a quitté la communauté vers l’âge de 18 ans pour compléter des études à Montréal mais y retournait régulièrement. Ses parents habitent toujours dans la communauté.

[6]  La communauté d’Odanak se situe sur la rive est de la rivière Saint-François, à 32 km à l’est de Sorel, dans la municipalité régionale de comté de Nicolet-Yamaska dans la région administrative du Centre-du-Québec.

[7]  De nombreux membres de la communauté d’Odanak portent les mêmes noms de famille sans qu’il n’y ait de lien de parenté entre eux. En l’espèce Mme O’Bomsawin et le chef actuel du Conseil, M. Rick O’Bomsawin, portent le même nom de famille mais ne sont pas liés entre eux.

B.  Les qualifications de Mme O’Bomsawin

[8]  Mme O’Bomsawin est la fille du directeur du Centre de santé d’Odanak, M. Deny O’Bomsawin. Elle a commencé à travailler au Centre de santé d’Odanak en 2004, en tant que responsable d’un projet d’organisation de colloque. Elle avait alors 18 ans – il s’agissait d’un emploi étudiant. Mme O’Bomsawin semble s’être bien acquittée de ses tâches. Il n’y a pas eu de plaintes et elle a terminé son mandat.

[9]  De 2005 à 2008, elle a complété ses études à l’Université de Montréal et y a obtenu son baccalauréat en science de la communication. De 2008 à 2009, Mme O’Bomsawin a complété un diplôme d’étude spécialisée en gestion.

[10]  En août 2009, elle applique et obtient le poste de Coordonnatrice du programme national de formation des contrôleurs communautaires de la qualité de l’eau au Centre de santé d’Odanak. Elle obtient ce poste sans avoir fait d’entrevue. Le mandat débute en août 2009 et se termine en janvier 2011 avec la fin du financement du programme. Il n’y a pas eu de plaintes au cours de ce mandat.

[11]  En février 2011, Mme O’Bomsawin applique et obtient le poste d’Organisatrice communautaire au Programme Services à l’Enfance et à la famille (SEFPN) au Grand Conseil de la Nation Wabanaki. Elle a passé une entrevue pour obtenir ce poste.

[12]  En octobre 2011, Mme O’Bomsawin démissionne de son poste au Grand Conseil de Wabanaki. En interrogatoire et en contre-interrogatoire, elle explique qu’elle n’est pas heureuse dans ce poste et qu’elle pense avoir d’autres possibilités d’emplois, à Montréal ou au Conseil.

[13]  En février 2012, elle obtient un mandat de trois mois à titre de Chargée de projet – programme de sécurité alimentaire au Centre de santé d’Odanak. Mme O’Bomsawin obtient ce mandat après avoir envoyé son CV et sans avoir à passer d’entrevue. Le mandat se termine en mai 2012.

C.  Le Poste contractuel – Chargé(e) de projet (Coordonnateur (trice) en agrément)

[14]  Le 9 juillet 2012, le Conseil vote une résolution et mandate le Centre de santé d’Odanak de procéder avec le processus d’agrément du Centre de Santé. Le directeur du Centre de santé rédige alors un avis de concours pour le poste de coordonnateur en agrément et procède à son affichage. Mme O’Bomsawin, après avoir vu l’avis de concours affiché au Centre de santé d’Odanak, applique le 16 juillet 2012 pour le Poste contractuel – Chargé(e) de projet (Coordonnateur (trice) en agrément) (« Poste »).

[15]  Il est ressorti lors de l’audience que l’avis de concours a été affiché deux fois. La deuxième fois, la date de clôture du concours était différente que la première fois. Il n’a pas été démontré au Tribunal quelle était la première date de clôture – elle était plus tard que la date finalement affichée — mais les parties s’entendent pour conclure que la date officielle de clôture du concours fut le 26 juillet 2012.

[16]  La description de tâches du Poste et les exigences requises sont demeurées les mêmes sur les deux avis de concours. Selon l’avis de concours, les principales responsabilités de ce poste consistaient à élaborer un cadre conceptuel, superviser le processus d’agrément, assurer la liaison entre le personnel et Agrément Canada, coordonner et favoriser l’auto-évaluation, s’occuper des détails logistiques des visites d’agrément et participer aux rencontres de réseautage régionales et de formation en vue de préparer la visite d’agrément.

[17]  Les exigences requises se lisaient comme suit :

  1. Formation universitaire complétée en gestion de projet ou en gestion

  2. Expérience comme chargée de projet

  3. Aptitudes en communications interpersonnelles

  4. Habiletés à bien travailler sous pression

  5. Excellentes aptitudes à communiquer oralement ou par écrit

  6. Expérience avec les organismes gouvernementaux

  7. Connaissance du milieu

  8. Bilingue (français – anglais)

[18]  Le poste affiché était financé par Santé Canada, de qui relevait le certificat d’agrément recherché par le Centre de santé d’Odanak. Santé Canada n’avait émis aucune exigence particulière quant à ce poste.

D.  Le comité de sélection

[19]  Au début du mois d’août 2012, quelques jours après la fin du concours, le chef du Conseil, de qui relève le Centre de santé d’Odanak, demande au consultant en ressources humaines Robert St-Ours, qui travaille pour le Conseil, de s’occuper du processus quant à cet avis de concours. Il ne semble pas satisfait du processus déjà mis en place par le directeur du Centre, M. Deny O’Bomsawin, père de la plaignante.

[20]  M. St-Ours rencontre alors M. Deny O’Bomsawin, directeur du Centre de santé et lui propose de mettre en place un processus avec entrevues. Ce dernier est d’accord. Un comité de sélection est mis en place. C’est ce comité qui procédera aux entrevues.

[21]  Le comité est formé de M. St-Ours, alors consultant en ressources humaines pour le Conseil et de M. Daniel G. Nolett, directeur général du Conseil. Le directeur du Centre de santé d’Odanak, M. Deny O’Bomsawin, ne siège pas au comité de sélection. Le chef de bande, Rick O’Bomsawin, non plus.

E.  L’évaluation des candidats

[22]  En août 2012, après la date de clôture de l’avis de concours, trois personnes ont appliqué pour le poste, soit Mme O’Bomsawin et deux autres candidats. Les entrevues pour le poste auront lieu début octobre, et pour Mme O’Bomsawin plus précisément le 1er octobre 2012. À ce moment-là, un des candidats s’est désisté. Il n’y a plus que deux candidates en liste : Mme O’Bomsawin et l’autre candidate.

[23]  Il s’est donc passé plus de deux mois entre la fin de l’avis de concours (26 juillet 2012) et le début des entrevues (1er octobre 2012). Pendant ce temps, aucune modification n’est apportée au concours et aucun réaffichage du poste avec de nouvelles descriptions de tâches, responsabilités ou expériences requises n’est publié.

[24]  Les membres du comité de sélection ont une grille d’évaluation pour procéder aux entrevues. Cette grille contient les éléments suivants d’évaluation avec la pondération suivante :

  1. Formation – 25 points

  2. Expérience en gestion de projets – 20 points

  3. Qualité des réponses – 15 points

  4. Connaissance des programmes – 10 points

  5. Anglais – 10 points

  6. Évaluation générale – 10 points

  7. Maturité (enthousiasme, motivation et expérience de vie) – 10 points

Total : 100 points

[25]  Mme O’Bomsawin passe en entrevue le 1er octobre 2012. L’entrevue dure environ quarante-cinq minutes. Selon elle, l’entrevue s’est déroulée normalement. Mme O’Bomsawin indique qu’elle s’est fait poser des questions standard. Il s’agit de la deuxième entrevue de travail pour elle. Sur ses aptitudes de communications, Mme O’Bomsawin n’a pas eu à donner des exemples d’écrits.

[26]  MM St-Ours et Nolett, selon leur témoignage, indiquent également que Mme O’Bomsawin a eu une entrevue correcte mais qu’elle semblait manquer de motivation. La grille d’évaluation est déposée lors de l’audience et indique que Mme O’Bomsawin a reçu un pointage de 78 de la part de M. Nolett et de 83 de la part de M. St‑Ours. L’autre candidate a quant à elle reçu un pointage de 74 de la part de M. Nollett et de 77 de la part de M. St-Ours.

[27]  Malgré le fait que l’avis de concours indique qu’une formation universitaire soit nécessaire et que cet avis n’ait pas été modifié, il est octroyé 25 et 23 points aux deux candidates par les deux membres du comité de sélection à ce critère. Les pointages sont identiques et pourtant seule Mme O’Bomsawin a une formation universitaire au niveau baccalauréat complétée.

[28]  Les membres du comité de sélection ont informé le Tribunal, lors de leur témoignage, qu’une telle formation était à leur avis non nécessaire. Selon eux, leurs avis étaient basés sur des informations transmises par Santé Canada qu’une formation de niveau collégial et une expérience professionnelle pertinente à titre de chargé de projet étaient suffisantes pour le poste. C’est pourquoi ils ont mis le même pointage aux deux candidates, même s’il appert des CV déposés que l’une avait clairement une formation universitaire complétée et l’autre pas.

[29]  Il n’a pas été démontré que cette opinion de la part des membres du comité de sélection était basée sur une exigence de Santé Canada, qui finançait ce projet. De toute façon, malgré qu’il se soit écoulé plus de deux mois entre la date de clôture de l’avis de concours et le début des entrevues, l’avis de concours n’a jamais été modifié pour refléter l’opinion des membres du comité de sélection et ainsi indiquer à tout candidat potentiel la réelle formation requise pour ce poste selon les membres du comité de sélection.

[30]  Un réaffichage du poste avec des qualifications différentes aurait peut-être permis d’avoir plus de candidats pour le poste en question. Ainsi, à la date des entrevues, les candidates qui avaient postulé l’avaient fait en fonction d’un avis de concours qui indiquait qu’une formation universitaire était requise.

[31]  De plus, il a été démontré que l’expérience en gestion de projets de la plaignante était nettement plus élevée que celle de l’autre candidate, le tout tel que la grille d’évaluation elle-même le reflète avec un pointage de 15 pour Mme O’Bomsawin et de 5 pour l’autre candidate.

[32]  Mme O’Bomsawin a aussi obtenu un pointage plus élevé pour ses connaissances des programmes. M. Nolett lui a donné un pointage de 9 sur 10 et M. St-Ours de 5 sur 10. L’autre candidate a obtenu 3 et 2 sur 10 respectivement.

[33]  À la lecture des grilles d’évaluation déposées, l’autre candidate a réussi à surpasser Mme O’Bomsawin dans la qualité de ses réponses et sa motivation. L’autre candidate a eu 15 sur 15 des deux membres du comité pour la qualité de ces réponses, comparé à un pointage de 12 et 13 pour Mme O’Bomsawin. Quant à la motivation, l’autre candidate a réussi un score parfait de 10 sur 10 des deux membres du comité, mais Mme O’Bomsawin a seulement eu 4 et 5 respectivement. 

F.  La décision du Conseil

[34]  Le 29 octobre 2012, le Conseil se réunit pour prendre une décision sur le Poste. Lors de la réunion du Conseil, les grilles d’évaluation ne sont pas déposées. M. St-Ours informe verbalement les membres du Conseil des pointages et fait une recommandation. Malgré un pointage plus bas de la part des deux membres du comité de sélection, il recommande l’autre candidate.

[35]  Lors de leurs témoignages MM St-Ours et Nolett indiquent que leur recommandation conjointe pour retenir l’autre candidate, malgré un pointage dans la grille d’évaluation plus élevée pour Mme O’Bomsawin, tient au fait que cette dernière semblait plus motivée par le poste. Il est résolu par le Conseil d’engager l’autre candidate pour le Poste.

[36]  Il est très rare que le Conseil ait à choisir le candidat pour des emplois de ce genre. Habituellement ce genre de décision est pris par la direction générale, sans l’intervention du Conseil. 

[37]  Le directeur général du Conseil, M. Nolett, confirme dans son témoignage que cette situation est rare et unique. Son unicité tient dans le fait, selon les témoignages entendus, que l’une des candidates est la fille du directeur du Centre de santé.

[38]  Mme Claire O’Bomsawin, membre du Conseil depuis de nombreuses années, qui a aussi témoigné lors de l’audience, indique également que cette procédure est inhabituelle et que l’on a procédé ainsi parce que « Nahame est la fille de Deny ».

[39]  Mme O’Bomsawin est informée le 31 octobre de la décision du Conseil et demande une rencontre avec MM St-Ours et Nolett. Quelques jours plus tard, le 2 novembre 2012, elle rencontre les deux membres du comité de sélection. MM St-Ours et Nolett répètent à Mme O’Bomsawin qu’il s’agit du choix du Conseil. M. St-Ours lors de cette rencontre confirme avoir mentionné à Mme O’Bomsawin que les « décisions du Conseil peuvent parfois faire des victimes… ».

[40]  M. Nolett confirme dans son témoignage que lors de cette rencontre, il a dit à Mme O’Bomsawin que ça faisait « trois contrats qu’elle avait au Centre de santé sans entrevue et que ça faisait jaser dans la communauté… ». Les deux membres du comité confirment également lors de leur témoignage, de même que Mme O’Bomsawin, que le critère de motivation soulevé par le Conseil comme étant un critère important pour le choix du candidat, n’a pas du tout été abordé lors de cette rencontre.

III.  Le cadre juridique

[41]  Au sens de l’article 7 de la LCDP, le refus d’employer un individu fondé sur un motif de distinction illicite constitue un acte discriminatoire. La situation de famille constitue un motif de distinction illicite en vertu de l’article 3 de la même loi.

[42]  Il a été maintes fois décidé par les différents Tribunaux et par ce Tribunal en particulier qu’il incombe au plaignant d’établir une preuve prima facie de discrimination. Selon l’arrêt de la Cour Suprême du Canada, Ontario (Commission ontarienne des droits de la personne) c. Simpson-Sears Ltd., 1985 CanLII 18 (CSC), paragraphe 28, la preuve prima facie est la preuve suffisante jusqu’à preuve du contraire qui porte sur les allégations qui ont été faites et qui, si on leur ajoute foi, est complète et suffisante pour justifier un verdict en faveur du plaignant, en l’absence de réplique de l’intimé.

[43]  Dans le contexte de la présente plainte, Mme O’Bomsawin doit, selon l’article 7 de la LCDP, démontrer sur preuve fondée sur la prépondérance des probabilités : (1) qu’elle possède une caractéristique protégée contre la discrimination; (2) que le Conseil a refusé de l’employer; (3) que la caractéristique protégée constitue un facteur qui a joué dans le refus de l’employer (Moore c. British Columbia (Éducation), 2012 CSC 61, par. 33 (« Moore »); Québec (Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse) c. Bombardier Inc. (Bombardier Aéronautique Centre de formation), 2015 CSC 39, par. 56 et 64 [« Bombardier »]).

[44]  C’est ainsi que les juges de la Cour suprême s’exprimaient dans l’arrêt Bombardier précité :

[63]  Enfin, dans l’arrêt plus récent Moore, la juge Abella, au nom de notre Cour, s’est exprimée en ces termes :

. . . pour établir à première vue l’existence de discrimination, les plaignants doivent démontrer qu’ils possèdent une caractéristique protégée par le Code contre la discrimination, qu’ils ont subi un effet préjudiciable relativement au service concerné et que la caractéristique protégée a constitué un facteur dans la manifestation de l’effet préjudiciable.  Une fois la discrimination établie à première vue, l’intimé a alors le fardeau de justifier la conduite ou la pratique suivant le régime d’exemptions prévu par les lois sur les droits de la personne.  Si la conduite ou pratique ne peut être justifiée, le tribunal conclura à l’existence de la discrimination. [Nous soulignons; par. 33.]

[45]  Dans le cas qui nous préoccupe, la discrimination alléguée a trait à l’emploi. La plaignante allègue en effet s’être vu refuser un emploi sur la base d’un motif de discrimination, soit celui de situation de famille.

[46]  En matière d’embauche, il semble y avoir un consensus entre les parties aux présentes que les critères établis dans la décision Shakes c Rex Pak Ltd., (1982), 3 C.H.R.R. D/1001, paragraphe 8918 (commission d’enquête de l’Ontario) (« Shakes ») s’appliquent.

[47]  Ces critères sont qu’une preuve prima facie est établie lorsque:

  1. La plaignante avait les compétences requises pour l’emploi;

  2. La plaignante n’a pas été embauchée;

  3. Une personne qui n’était pas mieux qualifiée, mais qui ne possédait pas le trait distinctif à l’origine de la plainte, a subséquemment obtenu le poste.

[48]  Quoique les parties semblent s’entendre sur ces critères, le Tribunal désire ici ajouter que les critères élaborés dans Shakes servent uniquement de guide et que ces critères ne doivent pas être appliqués d’une manière rigide ou arbitraire. Ainsi les circonstances dans chaque cas doivent être examinées afin de déterminer si l’application de l’un ou l’autre de ces critères, en tout ou en partie, est opportune (voir Lincoln c. Bay Ferries Ltd., 2004 CAF 204, par. 18; Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (Procureur général), 2005 CAF 154, par. 25-30).  Bressette c Conseil de bande de la Première nation de Kettle et de Stony Point, 2004, TCDP 40 (« Bressette »), ainsi que Premakumar c. Air Canada, (2002), C.H.R.D., paragraphe 77 (T.C.D.P.) (QL).

[49]  Je suis d’avis que dans la situation qui nous préoccupe, les critères établis tant dans Shakes que dans Moore peuvent s’appliquer. Plus précisément, les critères énoncés dans l’arrêt Shakes aident à déterminer si le motif de distinction illicite était un facteur dans le traitement défavorable allégué.

[50]  En réponse à une plainte, un intimé peut soumettre une preuve pour montrer que ses actions n’étaient pas discriminatoires ou se prévaloir d’un moyen de défense prévu par la LCDP qui justifie la discrimination. En l’espèce, le Conseil a tenté de démontrer que ses actions n’étaient pas discriminatoires et que l’embauche d’une autre candidate reposait plutôt sur les compétences de cette autre candidate. Il incombe alors à Mme O’Bomsawin de démontrer que l’explication du Conseil n’est qu’un prétexte de discrimination (voir Bressette précité, par. 34).

[51]  De plus, il est important d’ajouter qu’il est rarement possible de démontrer par une preuve directe qu’il y a eu discrimination. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de présenter des éléments de preuve directs de discrimination ou de l’intention de discriminer pour établir l’existence d’un acte discriminatoire au sens de la LCDP (voir Bombardier, par. 40-41). La tâche du Tribunal consiste donc «à tenir compte de toutes les circonstances et de tous les éléments de preuve afin de déterminer s’il est possible de détecter de “subtiles odeurs de discrimination” » (voir Basi c. Cie des chemins de fer nationaux du Canada, 1988 CanLII 108 (TCDP) (« Basi »); Tabor c. La Première nation Millbrook, 2015 TDCP 9, par. 14).

[52]  De plus, tel qu’il a été souligné par la Cour d’appel fédérale dans Holden c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, (1991) 14 C.H.R.R. D/12 (CAF) (« Holden »), paragraphe 7, il n’est pas nécessaire que les considérations discriminatoires soient le seul motif des actes reprochés pour que la plainte soit jugée fondée. Il suffit que le motif de distinction illicite ait été l’un des facteurs ayant contribué à la décision de l’employeur (voir Bombardier, par. 44-52).

IV.  L’analyse

A.  La preuve prima facie

[53]  Mme O’Bomsawin prétend qu’elle était qualifiée pour le poste, qu’elle n’a pas été embauchée et que la personne embauchée a obtenu le poste même si elle n’était pas plus qualifiée et parce qu’elle n’avait pas le motif de distinction illicite alléguée.

[54]  Je suis d’accord que la preuve prima facie de ces éléments a été faite.

[55]  En l’espèce, les deux premiers éléments de l’arrêt Moore ne sont pas disputés. Premièrement, Mme O’Bomsawin est la fille du directeur du Centre de santé d’Odanak. La caractéristique de situation de famille est présente car le terme « situation de famille » inclut l’identité d’un membre de la famille en particulier (voir B. c. Ontario (Commission des droits de la personne), 2002 CSC 66, par. 39-41). Et dans une communauté autochtone tissée serrée comme celle d’Odanak, elle est encore plus ressentie. Deuxièmement, il n’y a pas de question que Mme O’Bomsawin s’est vue refuser le Poste avec le Centre de santé d’Odanak.

[56]  En ce qui a trait au troisième élément de l’arrêt Moore, je suis convaincue sur preuve fondée sur la prépondérance des probabilités que la caractéristique de la situation de la famille ait constitué un facteur dans le refus d’employer Mme O’Bomsawin. Elle possédait les qualifications requises, soit une formation universitaire de niveau baccalauréat complétée au moment de l’entrevue. Elle avait de l’expérience en gestion de projets et détenait également une formation universitaire à cet effet. Mme O’Bomsawin avait une certaine connaissance des programmes puisqu’elle avait déjà travaillé au Centre de santé d’Odanak. M. St-Ours lors de son témoignage a même reconnu « qu’elle avait une connaissance des programmes de Santé Canada et qu’elle avait une qualification particulière, plus que l’autre candidate ». M. St-Ours, un peu plus loin dans son témoignage va même jusqu’à admettre que Mme O’Bomsawin état « surqualifiée » pour le poste.

[57]  Ses emplois précédents avaient été accomplis sans qu’il n’y ait de plainte. Les témoins entendus ont même confirmé durant leur témoignage qu’ils n’avaient pas de reproches à faire à Mme O’Bomsawin quant au travail effectué dans le passé.

[58]  M. Nolett a même reconnu lui avoir fait parvenir une lettre de recommandation en mai 2012.

[59]  Mme O’Bomsawin n’a pas été retenue pour le poste et celle qui l’a été n’était pas mieux qualifiée (je dirais même moins — elle ne possédait pas une formation universitaire de niveau baccalauréat complétée au moment de l’entrevue et n’avait aucune expérience de gestion de projets) et ne possédait pas, en effet, le trait distinctif à l’origine de la plainte.

[60]  M. Nolett a indiqué au Tribunal qu’il était important de juger les candidats sur l’ensemble de leurs compétences. Pourtant, il semblerait que la candidate choisie ait été retenue sur l’unique base du critère de motivation et non dans son ensemble, tel qu’il appert des grilles de pointage soumises et des résultats pour les deux candidates, soit un résultat combiné plus élevé pour Mme O’Bomsawin que pour la candidate retenue, et de l’aveu même des témoins au Tribunal.

[61]  Mme O’Bomsawin s’est vue refuser un emploi et la situation de famille a constitué un facteur dans le choix effectué par le Conseil. Il n’est pas nécessaire que la situation de famille ait constitué le seul et unique facteur dans ce choix pour qu’il y ait eu discrimination, il suffit que ce soit un des facteurs (arrêt Holden, précité).

[62]  Une « subtile odeur de discrimination » (arrêt Basi, précité) a été présente tout au cours de l’audience. Les témoins ont fait référence au fait que dans le passé Mme O’Bomsawin avait eu des emplois parce qu’elle était la fille du directeur du Centre. Si dans le passé ce fut le cas, ce n’est pas le passé qui est devant le Tribunal. Le fait qu’il y ait peut-être eu discrimination dans le passé et que Mme O’Bomsawin ait obtenu des emplois parce qu’elle était la fille du directeur du Centre – et je ne prends pas position ici car cela n’était pas devant moi – ne donne pas la permission au Conseil de faire de la discrimination également, mais en sens inverse.

[63]  Au cours des différents témoignages, à plusieurs reprises il a été fait mention que « ça jasait beaucoup dans la communauté… ». Ça jasait de quoi? Du fait que Mme O’Bomsawin était la fille de Deny O’Bomsawin. Est-ce que ça jasait de ses compétences? Non fut la réponse de M. St-Ours à cette question.

[64]  M. Nolett et Mme Claire O’Bomsawin ont également témoigné à l’effet qu’il était rare que le Conseil ait à trancher sur de tels contrats d’emplois. À la question « est-ce la première fois que l’on procédait ainsi? », Mme Claire O’Bomsawin, membre du Conseil depuis de nombreuses années, a répondu tout de go « oui, parce que c’était la fille de Deny! ».

[65]  Finalement, lors de la rencontre de Mme O’Bomsawin le 2 novembre 2012 avec les membres du comité de sélection, pour discuter de la décision prise par le Conseil quelques jours auparavant, il n’est nullement question de l’élément de motivation. Ni M. St-Ours ni M. Nolett ne mentionnent à la plaignante que le facteur de motivation a été décisif dans la recommandation faite au Conseil et la décision prise par celui-ci. Au contraire, lors de cette rencontre, on fait plutôt allusion, à mots couverts, au fait que Mme O’Bomsawin étant la fille du directeur du Centre, cela a pu avoir une incidence.

[66]  M. St-Ours reconnait dans son témoignage avoir mentionné à Mme O’Bomsawin que « parfois les décisions du Conseil peuvent faire des victimes… ». M. St-Ours ne parle pas du critère de motivation à la plaignante lors de cette rencontre.

[67]  Quant à M. Nolett, il reconnait également dans son témoignage que l’explication de la motivation n’a pas été fournie à Mme O’Bomsawin lors de cette rencontre port-mortem. Il reconnait aussi avoir dit quelque chose comme « 1, 2, 3 contrats sans entrevue, ça commençait à jaser dans la communauté… ».

[68]  Pour ces motifs, je conclus que la plaignante a établi une preuve prima facie de discrimination au sens de l’article 7 de la LCDP, pour le motif de situation de famille.

B.  L’explication du Conseil

[69]  En l’espèce, le Conseil a tenté de démontrer que ses actions n’étaient pas discriminatoires et que l’embauche d’une autre candidate reposait plutôt sur les compétences de cette autre candidate.

[70]  Ainsi, l’intimé a prétendu que la candidate retenue était plus motivée que la plaignante pour l’emploi et que ce facteur était déterminant dans le choix qui devait être fait.

[71]  Pourtant à la lumière de la grille d’évaluation utilisée par le Conseil pour procéder aux entrevues, le critère de motivation ne vaut que 10 points sur 100 et inclus également « expérience de vie ». Plus de deux mois se sont écoulés entre la date de clôture du concours et les entrevues, et pourtant aucun changement à la grille d’évaluation n’a été fait pour refléter le critère important que semble être la motivation selon les propos des témoins du Conseil. En fait, le Conseil de façon très subjective et sans respecter sa propre grille d’évaluation a décidé de faire du critère de motivation le seul critère en l’espèce, de lui donner plus de poids que sa propre grille d’évaluation lui en donnait, le tout afin de justifier une décision qui clairement était discriminatoire à l’égard de Mme O’Bomsawin.

[72]  Le Conseil a de plus, à plusieurs reprises plaidé le fait que l’avis de concours ne reflétait pas les réels prérequis pour le poste qui était affiché. Que la formation scolaire et les expériences préalables n’étaient pas aussi importantes que celles décrites dans l’avis de concours. Pourtant, au moment de cette constatation en août 2012, le Conseil préfère ne pas réafficher le poste avec une nouvelle description. Ce faisant, il ne peut aujourd’hui plaider son propre manquement pour justifier le choix qu’il a fait.

[73]  En toute transparence pour les candidats qui avaient appliqué pour le poste selon l’avis publié, il aurait à tout le moins fallu les informer que les critères avaient été modifiés.

[74]  Dans son exposé des précisions, le Conseil a aussi argumenté que le refus d’embaucher Mme O’Bomsawin reposait sur une exigence professionnelle justifiée, à savoir l’aptitude à entretenir et à développer des relations interpersonnelles. De l’avis du Conseil, cette aptitude doit être considérée en l’espèce comme une exigence professionnelle justifiée, et considérant que la requérante n’a pas manifesté ou autrement démontré qu’elle la détenait, cela constitue à elle seule une raison de refuser de l’embaucher.

[75]  À part de promouvoir cet argument, l’intimé n’a démontré aucune preuve pour établir une exigence professionnelle justifiée. Notamment, pour établir une exigence professionnelle justifiée, l’article 15 (2) de la LCDP prévoit que l’intimé doit démontrer que les mesures destinées à répondre aux besoins d’une personne ou d’une catégorie de personnes visées constituent, pour la personne qui doit les prendre, une contrainte excessive en matière de coûts, de santé et de sécurité. Encore, aucune preuve de contrainte excessive n’a été faite par le Conseil.

[76]  Pour toutes ces raisons, j’estime que la preuve du Conseil n’est pas convaincante et ne constitue qu’un prétexte.

V.  Plainte jugée fondée

[77]  Sur la prépondérance des probabilités, je conclus donc que le Conseil a commis un acte discriminatoire selon l’article 7 a) de la LCDP, fondée sur le motif de situation de famille, en refusant d’employer la plaignante, Nahame O’Bomsawin.

VI.  Le redressement

[78]  Lorsque le Tribunal juge une plainte fondée, ce dernier a le pouvoir de rendre des ordonnances en fonction de l’article 53 de la LCDP. Dans le cas qui nous préoccupe, Mme O’Bomsawin demande au Tribunal d’ordonner au Conseil de l’indemniser pour des pertes de salaire, le préjudice moral, l’acte discriminatoire délibéré ou inconsidéré, et d’accorder des intérêts sur ses indemnités. Ce sont les articles 53 (2) c), 53 (2) e), 53 (3) et 53 (4) qui s’appliquent. Nous allons les analyser un après l’autre en fonction de la preuve qui a été présentée.

A.  La perte de salaire (art. 53(2) c))

[79]  L’alinéa 53 (2) c) de la LCDP prévoit que le Tribunal peut ordonner à l’intimé qui a été trouvé responsable de discrimination d’indemniser la victime pour perte de salaires et de dépenses entraînées par l’acte discriminatoire.

[80]  Certaines règles doivent être respectées dans l’application de cet article. Tout d’abord, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Chopra c. Canada (Procureur général), 2007 CAF 268, paragraphe 37 (« Chopra »), a bien précisé qu’il doit exister un lien de causalité entre l’acte discriminatoire dont a été trouvé responsable l’intimé et la perte de salaire alléguée.

[81]  De plus, la LCDP précise clairement que le Tribunal peut indemniser la victime de la totalité ou de la fraction des pertes de salaire. Encore, la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Chopra, paragraphe 40, est venue clarifier ce pouvoir discrétionnaire du Tribunal en faisant reposer l’application de cette règle sur une prémisse importante, soit celle de l’atténuation des dommages :

La société a intérêt à encourager l’efficience économique en exigeant que les personnes qui ont subi des pertes prennent des mesures pour minimiser leur perte, puisqu’il n’est pas dans l’intérêt public de permettre que des membres de la société maximisent leur perte au détriment d’autres personnes, même ci cellesci sont responsables de la perte…

[82]  Mme O’Bomsawin a appliqué sur l’emploi de coordonnatrice en agrément du Centre de santé d’Odanak alors qu’elle n’avait pas d’emploi. Seules deux personnes ont eu des entrevues pour ce poste. Malgré que l’intimé ait eu le temps de réafficher le poste entre le mois d’août et le mois d’octobre 2012, et ainsi peut-être avoir plus d’applications pour le poste, le Conseil a préféré de son plein gré poursuivre le processus avec seulement deux candidates, dont Mme O’Bomsawin. J’ai déjà conclu sur la base de la preuve qui m’a été présentée que Mme O’Bomsawin a été victime de discrimination. Sans cette discrimination, je suis convaincue qu’elle aurait eu l’emploi car elle avait, dans son ensemble, plus de compétences et d’expérience demandées que l’autre candidate pour pouvoir faire le travail pour lequel elle avait appliqué.

[83]  Le Tribunal a pleinement compétence pour dédommager la victime de discrimination même si celle-ci n’a pas perdu un emploi mais la possibilité d’en avoir un. La Cour fédérale a en effet, dans l’affaire Canada (Procureur Général) c. Singh, 2000 CanLII 15208 (CF), aux paragraphes 86-89, affirmé la décision du Tribunal d’indemniser la perte salariale découlant d’une perte de possibilité d’emploi, « même si la chose n’était pas garantie ».

[84]  Mme O’Bomsawin prétend qu’elle a droit à un dédommagement de 50 138.43 $ pour perte de salaire, ce qui représente la différence entre ce qu’elle aurait supposément gagné en trois ans si elle avait obtenu le contrat, moins le salaire qu’elle a réellement gagné pendant ces trois années.

[85]  Elle a mitigé ses dommages puisqu’elle a en effet obtenu un autre emploi. Cet emploi, selon les avis de cotisation déposés en preuve lui a permis de gagner un salaire de 78 823.95 $. Puisque ce travail a été effectué hors du territoire autochtone, il était imposable et un total de 14 302.38 $ a été payé en impôts selon ces mêmes avis de cotisation.  Elle a donc gagné un salaire net de 64 521.57$.

[86]  Si Mme O’Bomsawin avait eu l’emploi de coordonnatrice en agrément, elle n’aurait pas eu à payer d’impôt sur son salaire puisque le travail aurait été effectué sur le territoire autochtone.

[87]  Là où je suis en désaccord avec Mme O’Bomsawin c’est sur le montant qu’elle prétend qu’elle aurait gagné si elle avait eu l’emploi. En effet, rien ne nous indique que le salaire qui aurait été versé aurait été celui prétendu par elle, soit 35 $ de l’heure pour 21 heures par semaine.

[88]  Tout d’abord, l’avis de concours ne publicisait aucun salaire. Le salaire était à discuter avec la personne ayant eu l’emploi, en fonction de ses compétences et expériences passées. Mme O’Bomsawin n’a pas fait la preuve qu’elle aurait eu un salaire de 35 $ de l’heure. Par contre, selon les témoignages entendus, les emplois passés de Mme O’Bomsawin au Centre de santé d’Odanak lui auraient permis de gagner des salaires horaires allant de 26 $ de l’heure à 35 $ de l’heure.

[89]  De plus, il est ressorti de la preuve lors de l’audience que le Conseil était soucieux d’octroyer un salaire respectueux des grilles de salaires élaborés par le Conseil et que les salaires de Mme O’Bomsawin par le passé n’avaient pas toujours respecté ces grilles. La personne qui a eu le poste de coordonnatrice en agrément et qui a effectué le mandat de trois ans à quant à elle obtenu un salaire de 21 $ de l’heure.

[90]  Compte tenu de tout ce qui précède, et parce que la plaignante avait clairement au moment des entrevues plus de compétences et d’expériences que l’autre candidate, et parce qu’il s’agissait d’un mandat de trois ans, soit le plus long mandat que Mme O’Bomsawin aurait obtenu du Centre de santé d’Odanak, il m’apparait juste de conclure que le salaire horaire sur lequel sera basée la perte de salaire sera de 26 $ de l’heure, soit le salaire que Mme O’Bomsawin recevait lorsqu’elle a fait son mandat de trois mois pour le poste de chargé de projet en sécurité alimentaire.

[91]  Ainsi sur la base d’un contrat de trois ans à raison de 21 h par semaine à 26 $ de l’heure, le salaire total qui aurait été versé à Mme O’Bomsawin aurait été de 85 176 $, non imposable.

[92]  Si on soustrait le salaire gagné par Mme O’Bomsawin pendant ces mêmes années (principe d’atténuation des dommages) moins l’impôt qu’elle a payé sur ce salaire, soit 64 521.57 $ selon les avis de cotisation déposés, on arrive à une perte nette de 20 654.43 $.

[93]  Mme O’Bomsawin plaide également qu’elle a dû travailler 35 h par semaine pour obtenir un salaire moindre que ce qu’elle aurait obtenu si elle avait travaillé uniquement 21 h par semaine pour le Centre de santé d’Odanak et demande un dédommagement pour la différence. Elle soumet qu’elle aurait pu occuper un autre emploi ou générer des revenus en travaillant 21 h par semaine via une semaine de trois jours.

[94]  Je ne crois pas que Mme O’Bomsawin ait droit à une indemnité compensatoire liée aux nombres d’heures travaillées par semaine. La preuve n’a pas démontré que si la plaignante avait eu le contrat de coordonnatrice en agrément elle aurait utilisé les heures qui lui restaient dans la semaine pour se trouver un autre emploi. La plaignante elle-même a été vague sur cette question, alléguant qu’elle aurait plutôt priorisé sa qualité de vie. 

[95]  Pour ces raisons, j’ordonne à l’intimé de verser à la plaignante la somme de 20 654.43 $ à titre de perte de salaire.

B.  Indemnité pour préjudice moral (art. 53 (2) e))

[96]  En vertu de l’article 53 (2) e) de la LCDP, la plaignante réclame une somme de 20 000 $ pour le préjudice moral qu’elle prétend avoir subi. La plaignante prétend avoir vécu un stress très important depuis l’annonce publique par le Conseil qu’elle n’a pas eu l’emploi pour lequel elle avait appliqué. Elle prétend avoir subi une forme de trahison, que la décision qui a été prise l’a forcé en quelque sorte a quitté la communauté et à s’éloigner de sa famille. Elle a dû voir un médecin et s’est fait prescrire des médicaments pour l’aider à se remettre des événements. Par contre, la plaignante n’a apporté aucune preuve d’experts quant au lien existant entre sa situation médicale et la perte d’opportunité d’emploi qu’elle a subie. Il n’y a eu aucune preuve d’expert dans ce dossier.

[97]  Cela ne veut pas dire par contre que Mme O’Bomsawin n’a pas subi de stress lié à cette situation. La communauté d’Odanak est une petite communauté et le sentiment de trahison au sein de la communauté ne peut être nié, particulièrement au sein d’une communauté autochtone. Mme O’Bomsawin, malgré ses compétences, n’a pas eu l’emploi et celle qui l’a obtenu n’avait pas de compétences additionnelles à Mme O’Bomsawin, au contraire. On a voulu lui envoyer un message et cette dernière a compris qu’elle n’était pas jugée sur la base de ses compétences mais uniquement parce qu’elle était la fille de quelqu’un. Le sentiment d’injustice était réel.

[98]  Cependant 20 000 $ est le montant maximal selon la loi qui peut être accordée et le Tribunal l’accorde habituellement pour les cas les plus graves : lorsque la portée et la durée de la souffrance du plaignant découlant de l’acte discriminatoire justifient le montant complet.

[99]  Compte tenu de la preuve, et parce que je considère que Mme O’Bomsawin a en effet subi un préjudice d’avoir été traitée de cette façon, j’ordonne au Conseil de lui payer une somme de 10 000 $ pour le préjudice moral qu’elle a subi.

C.  Indemnité spéciale (art. 53 (3))

[100]  Mme O’Bomsawin demande que le Conseil lui verse un montant de 7 500 $ à titre d’indemnité spéciale en vertu de l’article 53 (3) de la LCDP. Cet article de la LCDP prévoit que le Tribunal peut ordonner à l’auteur d’un acte discriminatoire de payer à la victime une indemnité maximale de 20 000 $ s’il en vient à la conclusion que l’acte a été délibéré ou inconsidéré.

[101]  Selon l’arrêt Canada (Procureur général) c. Johnstone, 2013 CF 113, paragraphe 155 (varié sur autres motifs, 2014 FCA 110), l’article 53 (3) est une disposition punitive visant à dissuader ou à décourager ceux qui se livrent de façon délibérée à des actes discriminatoires. Il y a un acte discriminatoire délibéré lorsque l’acte discriminatoire et l’atteinte aux droits de la personne ont été intentionnels. Un acte inconsidéré est celui d’un mépris ou d’une indifférence quant aux conséquences et d’une manière d’agir téméraire ou insouciante.

[102]  Tout comme pour l’article 53 (2) e), le montant maximal est uniquement alloué dans les cas les plus graves.

[103]  Les faits ont démontré lors de la preuve que le Conseil était préoccupé par le fait que ça « jasait beaucoup dans la communauté », et que l’on jasait surtout du fait que Mme O’Bomsawin était la fille du directeur du Centre de santé d’Odanak. Les témoins ont confirmé que le processus mis en place et plus particulièrement le fait que la décision ait été prise par le Conseil était « unique » du fait que Mme O’Bomsawin était la fille du directeur.

[104]  MM St-Ours et Nolett ont fait preuve d’un comportement dénué de prudence à mon avis lorsqu’ils ont décidé de mettre de côté l’ensemble des compétences des candidates et de porter leur choix sur l’autre candidate uniquement sur le critère de motivation, un critère qui pourtant selon leur propre grille d’évaluation ne valait que 10 points sur 100.

[105]  Leurs explications lors de l’audience tenaient clairement plus à un prétexte qu’à une explication juste et raisonnable. Ces explications mitigées de la part du Conseil combinées à la preuve lors de l’audience que « ça jasait beaucoup dans la communauté » et que le Conseil semblait préoccupé par ces commérages m’ont convaincu qu’ils ont agi en sachant fort bien qu’ils ne traitaient pas Mme O’Bomsawin de façon équitable. Le Conseil a eu un comportement dénué de prudence et semble clairement ne pas s’être préoccupé des conséquences. L’objectif pour l’intimé était que Mme O’Bomsawin n’obtienne pas ce poste.

[106]  Pour ces raisons, j’ordonne que le Conseil paye à Mme O’Bomsawin une indemnité de 7 500 $ pour avoir posé un acte discriminatoire inconsidéré.

D.  Les intérêts (art. 53 (4))

[107]  En vertu de l’article 53(4) de la LCDP et le règle 9 (12) des Règles de procédure (03-05-04) du Tribunal, j’ordonne que soit versé les intérêts sur tous les montants à être payés à Mme O’Bomsawin. L’intérêt sera calculé à taux simple sur une base annuelle en se fondant sur le taux officiel d’escompte fixé par la Banque du Canada (données de fréquence mensuelle). Il courra de la date de la décision prise par le Conseil de ne pas embaucher la plaignante, soit le 29 octobre 2012, jusqu’à la date du versement de l’indemnité.

VII.  Ordonnance

[108]  La plainte de Nahame O’Bomsawin est jugée fondée et il est ordonné que le Conseil des Adénakis d’Odanak :

  1. Indemnise la victime 20 654.43 $ à titre de perte de salaire.

  2. Indemnise la victime 10 000 $ pour le préjudice moral qu’elle a subi.

  3. Indemnise la victime 7 500 $ pour avoir posé un acte discriminatoire délibéré.

  4. Verse des intérêts sur les indemnisations ci-dessus conformément aux conditions énoncées au paragraphe 107 de la présente décision.

Signée par

Anie Perrault

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 17 février 2017

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2111/2715

Intitulé de la cause : Nahame O’Bomsawin c. Conseil des Abénakis d’Odanak

Date de la décision du tribunal : Le 17 février 2017

Date et lieu de l’audience : Du 20 au 21 décembre 2016

Sorel-Tracy, Québec

Comparutions :

Jérémie John Martin, pour la plaignante

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Kathleen Rouillard, pour l'intimé

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