Tribunal canadien des droits de la personne

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Tribunal canadien des droits de la personne

Entre :

Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada

- et -

Assemblée des Premières Nations

les plaignantes

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

la Commission

- et -

Procureur général du Canada (Représentant le ministre des Affaires indienne et du Nord canadien)

l'intimé

- et –

Chefs de l’Ontario

- et –

Amnistie Internationale

les parties intéressées

Décision sur requête

Membres : Sophie Marchildon , Réjean Bélanger et Edward P. Lustig

Date : Le 12 octobre 2012

Référence : 2012 TCDP 23


I. Le contexte

  • [1] Les plaignantes ont déposé une plainte relative aux droits de la personne, alléguant que le financement inéquitable des services de bien-être à l’enfance fournis dans les réserves des Premières Nations était assimilable à de la discrimination fondée sur la race et l’origine nationale ou ethnique, ce qui est contraire à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6 (la Loi). Vu le caractère singulier et l’importance de la présente affaire, ainsi que l’intérêt de la collectivité autochtone à pouvoir observer les débats, l’Aboriginal Peoples Television Network (APTN) (le Réseau de télévision des peuples autochtones) a demandé au Tribunal, dans une lettre datée du 22 octobre 2009, l’autorisation de filmer l’audition de la plainte, ce qui inclut les déclarations préliminaires et finales, les dépositions des témoins, les questions posées, les objections formulées et les arguments invoqués. Dans une décision datée du 28 mai 2010 (2010 TCDP 16), le Tribunal a rejeté cette demande au motif que le fait d’autoriser la présence de caméras serait préjudiciable à l’équité de l’audition et que cela pouvait miner l’intégrité des débats. L’APTN a par la suite déposé une demande de contrôle judiciaire concernant cette décision. Le 14 mars 2011, le Tribunal a rendu une décision (2011 TCDP 4) faisant droit à une requête présentée par l’intimé en vue de faire rejeter la plainte au motif que les questions qui y étaient soulevées excédaient sa compétence (la requête relative à la compétence). Cette décision a elle aussi été plus tard l’objet d’une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale.

  • [2] Le 3 juin 2011, la Cour fédérale a rendu sa décision au sujet de la demande de l’APTN concernant la présence de caméras aux audiences du Tribunal (2011 CF 810). La Cour a conclu que le Tribunal avait rendu la décision 2010 TCDP 16 sans tenir compte des documents qui lui avaient été soumis et que le résultat auquel il était arrivé était déraisonnable si on l’évaluait par rapport au dossier disponible. Elle a conclu que la décision ne satisfaisait pas au critère de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité qu’exige l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190,2008 CSC 9, et elle a fait droit à la demande de contrôle judiciaire de l’APTN. Cependant, à la lumière de la décision 2011 TCDP 4 du Tribunal, où il a été conclu que ce dernier n’avait pas compétence pour examiner la plainte sous-jacente, la question du réexamen de la décision de ne pas faire droit à la présence de caméras a été reportée jusqu’à ce que la requête relative à la compétence soit judiciairement réglée.

  • [3] Le 18 avril 2012, la Cour fédérale a rendu sa décision, sous la référence 2012 CF 445; elle a annulé la décision 2011 TCDP 4 du Tribunal et renvoyé l’affaire à un membre instructeur différent du Tribunal pour nouvelle décision, conformément à ses motifs. Le 10 juillet 2012, M. Gupta, vice-président et président par intérim, a désigné une formation de trois membres instructeurs pour instruire la plainte.

  • [4] Le 24 août 2012, suite à la décision 2012 CF 445 par laquelle la Cour fédérale a tranché la question de la requête relative à la compétence, le Tribunal a entrepris de réexaminer la requête visant à autoriser la présence de caméras, conformément aux motifs énoncés par la Cour fédérale dans la décision 2011 CF 810. Dans sa décision, qui est publiée sous la référence 2012 TCDP 18, le Tribunal a statué qu’il y avait lieu d’autoriser la présence de caméras lors des audiences, conformément à des directives d’exécution qu’il restait encore à définir.

  • [5] Les directives d’exécution proposées que l’APTN avait soumises dans sa demande initiale de 2009 ont été analysées lors d’une conférence de gestion d’instance tenue avec les parties et l’APTN le 26 septembre 2012. Lors de cette conférence, la proposition de l’intimé d’ajouter le paragraphe « q) » aux directives d’exécution a suscité un différend. La modification proposée était la suivante :

[traduction]
q) Aucun témoignage ne sera enregistré ou diffusé, et cela s’applique aux questions posées et aux réponses données lors d’un interrogatoire principal, lors d’un contre-interrogatoire ou lors de n’importe quelle autre participation du témoin au sein de la salle d’audience;

  • [6] Après avoir reçu la modification proposée, les membres instructeurs ont demandé que les parties fassent part au Tribunal de leur point de vue sur l’ajout de la directive « q) » dans l’espoir d’en arriver à un consensus. Malheureusement, les parties et l’APTN n’ont pas pu s’entendre sur les modalités de cette directive et, à la suite de brèves délibérations, le Tribunal a fait part de vive voix aux parties de la présente décision sur requête.

  • [7] Dans sa décision, publiée sous la référence 2011 CF 810, le juge Lutfy s’est prononcé sur la question soulevée par le procureur général à propos de la preuve selon laquelle certains des témoins de l’intimé avaient fait part de leurs préoccupations à l’égard de l’enregistrement et de la diffusion de leur témoignage à cause du risque d’un montage sélectif, ainsi que de l’effet sur d’éventuelles ordonnances d’exclusion et de l’effet sur des témoins. Le juge de la Cour fédérale a décrété que le Tribunal avait omis d’examiner si ces préoccupations au sujet de la présence de caméras avaient été analysées dans la jurisprudence, soit R. c. Pilarinos, 2001 BCSC 1332, R. c. Fleet, (1994), 137 NSR (2d) 156 (CS), et Andreen c. Dairy Producers Co-operative Ltd. (No 2), (1994), 22 CHRR D/80, et si ces décisions s’appliquaient aux faits de l’espèce. Le juge a indiqué, à titre d’exemple de cela, qu’il n’y avait aucune preuve que des ordonnances d’exclusion avaient été rendues ou étaient envisagées, ou qu’il était impossible de régler ce problème si jamais il se présentait.

  • [8] En examinant si ces décisions s’appliquaient bel et bien à l’espèce, le juge de la Cour fédérale a déclaré :

II. L’Analyse

[…] [A]ucune preuve n’a été soumise au tribunal pour indiquer que les droits à la protection de la vie privée qui étaient en jeu en l’espèce étaient semblables à ceux qui l’étaient dans les affaires Pilarinos, Fleet et Andreen. Dans cette dernière affaire, la préoccupation relative à la protection de la vie privée a été formulée comme suit : [traduction] « [I]l y a une différence entre, d’une part, le fait de dévoiler des détails potentiellement intimes sur la vie d’une personne dans une salle d’audience où le public est présent et, d’autre part, celui de diffuser ces détails dans l’ensemble de la province, et peut-être dans l’ensemble du pays, par l’entremise d’un réseau de télévision […] » (Paragraphe 14.) [Non souligné dans l’original.]

D’après la preuve soumise au tribunal, la plainte en matière de droits de la personne n’obligerait pas à dévoiler des renseignements personnels sur un plaignant ou un intimé. Aucun des témoins proposés n’était une ancienne victime du système de bien-être à l’enfance. Aucune personne n’était nommée à titre d’intimée dans la plainte. Les témoins du gouvernement traiteraient des politiques établies et des décisions prises au sujet de la prestation des services de bien-être à l’enfance. Les renseignements sur ces politiques et ces décisions sont déjà publiquement disponibles dans le cadre de plusieurs rapports, dont une National Policy Review (2000) (Revue des politiques nationales), établie par l’Assemblée des Premières nations et des représentants d’organismes de services aux familles et aux enfants des Premières nations, en partenariat avec le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien, un rapport de la vérificatrice générale du Canada daté de 2008, un rapport du Comité permanent des comptes publics daté de 2009, ainsi que l’Étude canadienne sur l’incidence des signalements de cas de violence et de négligence envers les enfants, qui est datée de 2008. Selon la preuve soumise au tribunal, les témoignages et les observations porteraient principalement sur des politiques publiques bien connues.

  • [9] Après avoir pris en considération les motifs du juge de la Cour fédérale, les observations des parties sur la question, ainsi que les directives que l’APTN a proposées, le Tribunal est d’avis que la proposition d’exclure de façon générale l’enregistrement et la diffusion de tous les témoignages des témoins est inutile et contraire à la décision que la Cour fédérale a rendue en 2011. De l’avis du Tribunal, les directives, dans leur libellé actuel, répondent aux préoccupations de l’intimé au sujet des témoignages des témoins. Le paragraphe l) des directives répond à la question de la diffusion et de l’exclusion des témoins :

[traduction] En cas d’exclusion d’un témoin, le témoignage du témoin exclu et des personnes présentes dans la salle d’audience peut être enregistré mais il ne pourra pas être diffusé avant que l’on ait entendu le témoignage du dernier de ces témoins.

  • [10] Par ailleurs, tenant compte des préoccupations des témoins quant au fait qu’ils pouvaient être tenus de divulguer des informations de nature personnelle qui seraient par la suite diffusées à la télévision nationale, le Tribunal a remplacé le paragraphe « q) » proposé par l’intimé par la directive suivante :

[traduction] Il sera interdit de diffuser le témoignage d’un témoin qui s’est objecté à la diffusion de son témoignage parce qu’il contient des informations de nature personnelle une fois que le Tribunal aura examiné le témoignage en question et confirmé cette objection.

  • [11] En appliquant cette directive, le Tribunal autorisera l’enregistrement du témoignage du témoin et, par la suite, décidera si ce témoignage contenait des informations de nature personnelle qui justifient que l’on confirme l’objection formulée et l’interdiction de diffusion. Pour établir s’il convient de confirmer l’objection, le Tribunal déterminera si les informations divulguées sont des « renseignements personnels » au sens de l’article 3 de la Loi sur la protection des renseignements personnels et il mettra en balance le droit à la protection des renseignements personnels et le droit d’accès du public, de même que l’objet sous-jacent de la Loi canadienne sur les droits de la personne, soit la promotion des droits de la personne. La question des objections relatives à la diffusion de témoignages sera, de cette façon, réglée si jamais elle se présente au cours des débats.

  • [12] Le Tribunal n’ajoutera pas le paragraphe « q) » que l’intimé a proposé aux directives concernant la présence de caméras. Le paragraphe « q) » des directives sera plutôt formulé comme suit :

III. La décision sur requête

[traduction] Il sera interdit de diffuser le témoignage d’un témoin qui s’est objecté à la diffusion de son témoignage parce qu’il contient des informations de nature personnelle une fois que le Tribunal aura examiné le témoignage en question et confirmé cette objection.

Signée par

Sophie Marchildon

Présidente de la formation collégiale

 

Réjean Bélanger

Membre instructeur

 

Edward P. Lustig

Membre instructeur

Ottawa (Ontario)

Le 12 octobre 2012


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T1340/7008

Intitulé de la cause : Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada et al. c. Procureur général du Canada (pour le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien)

Date de la décision sur requête du tribunal : Le 12 octobre 2012

Comparutions :

Paul Champ , pour la Société de soutien à l’enfance et à la famille des Premières Nations du Canada, la plaignante

David Nahwegahbow et Stuart Wuttke, pour l’Assemblée des Premières Nations, la plaignante

Daniel Poulin et Samar Musallam, pour la Commission canadienne des droits de la personne

Jonathan Tarlton, Melissa Chan et Edward Bumburs , pour l'intimé

Michael Sherry, pour les Chefs de l’Ontario, partie intéressée

Justin Safayeni, pour Amnistie Internationale, partie intéressée


Demande de l’APTN concernant la présence de caméras SSEFPNC et APN c. AINC

Projet de directives modifiées en matière de couverture Dossier : T1340/7008

12 octobre 2012

Directives en matière de couverture

 

  1. Le demandeur s’engage à respecter les directives suivantes ainsi que toute ordonnance du Tribunal qui pourrait compléter ces directives dans la présente affaire :

 

  • a) Une seule caméra sera utilisée à la fois.

 

  • b) La caméra et le personnel responsable de son fonctionnement (le « personnel ») seront en place au moins dix minutes avant l’heure prévue du début ou de la reprise de l’audience.

 

  • c) L’équipement et le personnel seront placés à un endroit convenu par le Tribunal et l’APTN et devront rester en place pendant que le Tribunal siège. L’endroit désigné assurera un accès raisonnable pour la couverture de l’audience.

 

  • d) La caméra et le matériel d’enregistrement sonore seront discrets et ne causeront pas de distraction. Le son sera au minimum, les lumières seront discrètes et le matériel sera utilisé de manière à ce que les gens ne puissent pas savoir si un enregistrement est en cours. Avec l’assentiment du Tribunal ou de ses représentants désignés, des modifications ou des ajouts pourront être apportés aux sources d’éclairage de la salle, pourvu que les modifications ou les ajouts n’entraînent pas de dépenses publiques importantes en matière d’installation ou d’entretien.

 

  • e) Tout matériel autre que la caméra restera à l’extérieur de la salle d’audience et n’entravera pas l’accès ou la circulation du public.

 

  • f) Le personnel présent dans la salle d’audience sera vêtu et se comportera d’une manière qui respecte le décorum.

 

  • g) Il sera interdit de filmer le public présent à l’audience. La caméra sera positionnée à la droite du banc du commissaire et la tribune du public n’apparaîtra dans aucun des plans filmés durant l’audience. La caméra sera éteinte à l’heure du dîner et pendant les pauses.

 

  • h) Il sera interdit de filmer les gens présents dans l’immeuble du Tribunal ou les événements qui s’y déroulent lors d’une suspension ou d’un ajournement.

 

  • i) La caméra ne focalisera ni sur les documents qui se trouvent sur la table des avocats ou celle des membres instructeurs ou qui se trouvent en la possession des avocats ou des membres instructeurs, ni sur tout autre document utilisé lors de l’interrogatoire d’un témoin qui n’a pas été admis en preuve. Il sera interdit d’enregistrer ou de diffuser les conférences qui ont lieu en privé ou à huis clos dans les locaux du Tribunal entre les avocats et leurs clients, entre les avocats d’un client, entre les avocats et le Tribunal ou entre les membres du Tribunal.

 

  • j) Il n’y aura pas de plans plus rapprochés que ceux qui incluraient au moins la tête et les épaules de la personne filmée.

 

  • k) Il n’y aura pas de diffusion en direct.

 

  • l) En cas d’exclusion d’un témoin, le témoignage du témoin exclu et des personnes présentes dans la salle d’audience pourra être enregistré, mais il ne pourra pas être diffusé avant que le témoignage du dernier de ces témoins n’ait été entendu.

 

  • m) Tout enregistrement autorisé ne sera utilisé qu’aux fins autorisées et que durant la période visée par l’autorisation, s’il y a lieu. Pour utiliser l’enregistrement à toute autre fin ou durant toute autre période, le demandeur doit obtenir le consentement du Tribunal et présenter une demande distincte au Tribunal en vue d’obtenir une ordonnance conformément aux présentes dispositions.

 

  • n) L’APTN devra conserver en lieu sûr tous les enregistrements autorisés des audiences du Tribunal pendant une période d’au moins trois ans. Durant cette période, l’APTN fournira les enregistrements au Tribunal si celui-ci en fait la demande.

 

  • o) L’APTN possède le matériel nécessaire pour transmettre l’audience en direct à un maximum de six entités médiatiques. Cette transmission sera gratuite. Il s’agira d’une transmission en direct; aucune bande d’archives ne sera fournie.

 

  • p) Aucun film, aucune bande vidéo, aucune photo ou aucune reproduction audio obtenu dans le cadre de la couverture d’une audience du Tribunal ne sera admissible en preuve dans la procédure visée, dans une procédure future ou une procédure connexe, ou lors d’un nouveau procès ou d’un appel lié à ces procédures. La présente directive ne s’applique pas à une procédure introduite afin d’examiner la conduite de l’APTN durant l’enregistrement et la diffusion de la procédure visée ou afin de vérifier si l’APTN respecte les directives du Tribunal.

 

  • q) Il sera interdit de diffuser le témoignage d’un témoin qui s’est opposé à la diffusion de son témoignage parce qu’il contient des renseignements de nature personnelle une fois que le Tribunal aura examiné le témoignage en question et confirmé cette objection.

 

  • r) Compte tenu du fait que le Tribunal se trouve en terrain inconnu en adoptant les présentes directives et qu’il souhaite les mettre en œuvre adéquatement, le Tribunal se réserve le droit, à la suite d’observations présentées par les parties, de modifier les présentes directives, au besoin, pour s’assurer du bon déroulement de l’instance. Sans restreindre la généralité de ce qui précède, en cas de non-respect des présentes directives, le Tribunal se réserve le droit de restreindre ou d’interdire l’accès aux caméras pendant une audience.

 

  • s) En tout temps, le Tribunal a compétence pour traiter les questions qui pourraient être soulevées à l’égard de l’enregistrement et de la diffusion des audiences, et pour émettre des directives s’il y a lieu.

 

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