Tribunal canadien des droits de la personne

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Canadian Human Rights Tribunal

Titre : Tribunal's coat of arms

Tribunal canadien des droits de la personne

Référence : 2016 TCDP 5

Date : le 24 février 2016

Numéros des dossiers : T2055/5614, T2056/5714 & T2057/5814

Entre :

Bruce Beattie, Joyce Beattie, Jenelle Brewer

et la succession de James Louie

les plaignants

- et -

Commission canadienne des droits de la personne

Commission

- et -

Affaires autochtones et du Nord Canada

l'intimé

Décision

Membre : Edward P. Lustig

 



I.  Contexte

[1]  La présente affaire vise trois plaintes datées du 30 mars 2012 que M. Bruce Beattie a déposées auprès de la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission) le 4 avril 2012. La Commission a demandé au Tribunal canadien des droits de la personne (le Tribunal) d’instruire les plaintes sur une base consolidée le 1er octobre 2013, en application de l’alinéa 44(3)a) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (la LCDP).

[2]  M. Beattie a déposé les plaintes pour le compte de Mme Joyce Beattie, de Mme Jenelle Brewer et de M. James Louie qui, selon les plaintes, auraient été victimes de discrimination de la part de l’intimé du fait de leur race, origine nationale ou ethnique, parce que l’intimé a refusé d’enregistrer certains documents relatifs à des terres dans le Registre des terres de réserve (le registre) établi en vertu de l’article 21 de la Loi sur les Indiens (la Loi), contrairement à l’article 5 de la LCDP. En vertu de lettres datées du 30 et du 31 août 2012, Mme Beattie, Mme Brewer et M. ont autorisé M. Beattie à les représenter aux fins des plaintes déposées.

[3]  M. Louie, qui est décédé le 28 mars 2015, était un membre de la Bande indienne d’Okanagan et un Indien inscrit en vertu de la Loi. Mme Brewer est également une Indienne inscrite en vertu de la Loi et membre de la Bande indienne d’Okanagan. Mme Beattie, l’épouse de M. Beattie, est également une Indienne inscrite en vertu de la Loi, mais n’est pas membre de la Bande indienne d’Okanagan.

[4]  M. Beattie, qui n’est pas un Indien, a également allégué qu’il était un plaignant dans la présente affaire, en plus d’agir en qualité de mandataire ou représentant de M. Louie et de sa succession, de Mme Brewer et de Mme Beattie. Les plaintes ne précisent pas le fondement de la discrimination alléguée qu’il aurait subie.

[5]  Dans une lettre datée du 8 mai 2015, la Commission a informé le Tribunal et les parties qu’elle ne participerait pas à l’affaire ni ne comparaîtrait à l’audience après sa participation initiale.

[6]  Mme Beattie a assisté à l’audience, mais n’a pas été appelée comme témoin. Mme Brewer n’a pas assisté à l’audience. Aucun membre de la famille de M. Louie n’a assisté à l’audience. M. Beattie a assisté à l’audience en qualité de représentant des plaignants et a aussi comparu comme témoin pour les plaignants. Aucune preuve écrite n’a été fournie au Tribunal pour confirmer le pouvoir de M. Beattie de représenter la succession de M. Louie.

[7]  Le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle confère au Canada un pouvoir législatif exclusif concernant « [l]es Indiens et les terres réservées pour les Indiens ». L’intimé (connu sous Affaires indiennes et du Nord Canada avant mai 2011 et sous Affaires autochtones et Nord Canada depuis novembre 2015) est le ministère du gouvernement du Canada responsable de l’administration de la Loi, y compris le régime des terres de réserve en vertu des dispositions de la Loi sur la gestion des terres. MSheila Craig, gestionnaire, Modernisation des terres, Terres et développement économique au bureau régional de la Colombie-Britannique, a comparu comme témoin pour l’intimé.

II.  Dispositions législatives applicables

[8]  Les dispositions législatives suivantes sont pertinentes pour la présente affaire et sont reproduites ci-après, à savoir le paragraphe 3(1) et l’article 5 de la LCDP et l’alinéa 2(1)a), les paragraphes 18(1), 20(1) et (2), les articles 21, 24, les paragraphes 28(1) et (2) et le paragraphe 58(3) de la Loi.

Loi canadienne sur les droits de la personne

Motifs de distinction illicite

3(1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial, la situation de famille, l’état de personne graciée ou la déficience.

Refus de biens, de services, d’installations ou d’hébergement

5 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

a) d’en priver un individu;

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

Loi sur les Indiens

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

ministre Le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien. (Minister)

réserve Parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu’elle a mise de côté à l’usage et au profit d’une bande; 

Les réserves sont détenues à l’usage et au profit des Indiens

18 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, Sa Majesté détient des réserves à l’usage et au profit des bandes respectives pour lesquelles elles furent mises de côté; sous réserve des autres dispositions de la présente loi et des stipulations de tout traité ou cession, le gouverneur en conseil peut décider si tout objet, pour lequel des terres dans une réserve sont ou doivent être utilisées, se trouve à l’usage et au profit de la bande.

Possession de terres dans une réserve

20 (1) Un Indien n’est légalement en possession d’une terre dans une réserve que si, avec l’approbation du ministre, possession de la terre lui a été accordée par le conseil de la bande.

Certificat de possession

(2) Le ministre peut délivrer à un Indien légalement en possession d’une terre dans une réserve un certificat, appelé certificat de possession, attestant son droit de posséder la terre y décrite.

Registre

21 Il doit être tenu au ministère un registre, connu sous le nom de Registre des terres de réserve, où sont inscrits les détails concernant les certificats de possession et certificats d’occupation et les autres opérations relatives aux terres situées dans une réserve.

Transfert de possession

24 Un Indien qui est légalement en possession d’une terre dans une réserve peut transférer à la bande, ou à un autre membre de celle-ci, le droit à la possession de la terre, mais aucun transfert ou accord en vue du transfert du droit à la possession de terres dans une réserve n’est valable tant qu’il n’est pas approuvé par le ministre.

Nullité d’octrois, etc. de terre de réserve

28 (1) Sous réserve du paragraphe (2), est nul un acte, bail, contrat, instrument, document ou accord de toute nature, écrit ou oral, par lequel une bande ou un membre d’une bande est censé permettre à une personne, autre qu’un membre de cette bande, d’occuper ou utiliser une réserve ou de résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

Le ministre peut émettre des permis

(2) Le ministre peut, au moyen d’un permis par écrit, autoriser toute personne, pour une période maximale d’un an, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour toute période plus longue, à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

Location à la demande de l’occupant

58(3) Le ministre peut louer au profit de tout Indien, à la demande de celui-ci, la terre dont ce dernier est en possession légitime sans que celle-ci soit désignée.

III.  Les faits

A.  Chronologie

[9]  Les terres visées par la présente affaire sont situées dans la réserve indienne d’Okanagan à proximité de Vernon (Colombie-Britannique) et incluent deux parcelles décrites comme étant le lot 170‑1 et le lot 175, bloc 4, plan 93082 AATC sur la réserve indienne no 1. Le conseil de la réserve indienne no 1 a attribué ces terres à M. Louie et le ministre de l’intimé a approuvé l’attribution comme le démontrent les certificats de possession (CP) enregistrés dans le registre en vertu de l’article 20 de la Loi.

[10]  En juin 2007, M. Louie et Mme Beattie ont présenté une demande de bail ministériel en vertu du paragraphe 58(3) de la Loi à l’égard du lot 170‑1. En janvier 2008, ils ont présenté une demande de bail ministériel en vertu du paragraphe 58(3) de la Loi à l’égard du lot 175. L’intimé a refusé ces demandes en se fondant sur diverses interprétations qu’il a données à des exigences auxquelles, selon lui, les demandes ne répondaient pas. Parmi les exigences qui n’étaient pas remplies selon l’interprétation de l’intimé, il y avait les suivantes : celle selon laquelle un bail devait être accordé à la juste valeur marchande, sinon le titulaire d’un intérêt individuel devait fournir une justification à l’intimé; celle selon laquelle le titulaire d’un intérêt individuel ne pouvait louer son propre terrain qu’il détenait en vertu d’un certificat de possession, sans se constituer en société; celle qui reconnaissait les enfants adoptés légalement, mais non les enfants adoptés selon la coutume.

[11]  Le rejet de ces demandes a donné lieu à des plaintes en vertu de la LCDP en 2008 et en 2010 et dans lesquelles M. Beattie a agi comme mandataire des plaignants. Après des audiences devant le Tribunal, toutes ces plaintes ont été déclarées justifiées sur le fond, même si une demande de contrôle judiciaire présentée par l’intimé concernant la mise en œuvre d’une des décisions a été accueillie. Finalement, toutes ces décisions portant sur des baux ministériels ont été maintenues, au fond, puisque le Tribunal a conclu qu’il y avait eu discrimination. Les décisions du Tribunal relatives aux affaires concernant les plaintes de 2008 ont été rendues par l’ancien membre Craig en 2011, 2012 et 2013 (Beattie et Louie c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2011 TCDP 2, 2012 TCDP 2, 2013 TCDP 17). J’ai moi-même rendu en 2014 les décisions du Tribunal relatives aux affaires concernant les plaintes de 2010 (Beattie c. Affaires autochtones et du Nord Canada, 2014 TCDP 1 et Beattie et Louie c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2014 TCDP 7). Bien que les lots en cause dans ces affaires fussent les mêmes lots qu’en l’espèce, les affaires antérieures visaient toutes des baux ministériels en vertu du paragraphe 58(3), contrairement à l’espèce qui vise des baux privés, sans que la Couronne y soit partie. Parmi les interprétations qui ont donné lieu aux plaintes, aucune ne se rapportait expressément aux exigences prévues par la loi.

[12]  Par suite de ces décisions antérieures, l’intimé a infirmé certaines interprétations et révisé des pratiques internes concernant l’octroi de baux ministériels. En outre, à compter de juillet 2013, les politiques et les pratiques de l’intimé relativement aux terres ont été révisées et modifiées pour veiller, selon l’intimé, à ce que la Politique et Directive sur les baux de titulaires d’un intérêt individuel offre un processus permettant aux titulaires d’un intérêt individuel de louer leurs terres. Les modifications n’ont toutefois pas éliminé l’exigence selon laquelle la Couronne doit être une partie au bail. Elles n’ont pas non plus exigé de changement à la pratique de l’intimé exigeant le consentement de la Couronne avant qu’un preneur puisse sous-louer ou céder un bail. Néanmoins, au cours de l’été de 2011, il y a eu une importante correspondance entre l’intimé et M. Beattie et plusieurs ébauches de baux ministériels ont été échangées. Les parties n’ont toutefois pas été en mesure de s’entendre à propos d’un bail ministériel en vertu du paragraphe 58(3). Ainsi, dans la deuxième moitié de 2011, pendant que le Tribunal entendait les plaintes antérieures, M. Beattie a, pour le compte des plaignants, modifié son approche et mis de côté les baux ministériels pour conclure des baux en faveur de baux privés sans la Couronne.

[13]  M. Beattie a présenté au registraire deux demandes d’enregistrement datées du 25 juillet 2011. Les demandes ont été reçues le 27 juillet 2011. Chaque demande était accompagnée d’un bail. Un bail, concernant le lot 170-1, désignait M. Louie comme bailleur et Mme Beattie comme preneuse. L’autre bail, concernant le lot 175, désignait M. Louie comme bailleur et Mme Brewer comme preneuse. Les deux baux étaient datés du 25 juillet et entraient en vigueur le 1er août 2011.

[14]  Dans une lettre datée du 26 juillet 2011, M. Beattie a écrit à M. Sidney Restall, conseiller juridique auprès du ministère de la Justice et l’a informé que les plaignants avaient désigné le titulaire d’un intérêt particulier comme bailleur, au lieu de la Couronne, dans le bail visant le lot 170‑1.

[15]  Dans une lettre datée du 29 juillet 2011, M. Restall a indiqué à M. Beattie qu’il n’était pas au courant d’une exigence prévoyant l’enregistrement du bail conclu entre M. Louie et Mme Beattie et qui accompagnait la lettre de M. Beattie datée du 27 juillet 2011. M. Restall a écrit ce qui suit : [traduction] « Je ne connais pas d’exigence selon laquelle un tel bail doit être enregistré par le ministre d’AANC. » Il a conclu en écrivant ce qui suit : [traduction] « Étant donné l’initiative que vous avez prise à l’égard du bail, je comprends qu’aucune autre participation de la Couronne n’est nécessaire. »

[16]  Dans une autre lettre datée du 29 juillet 2011, M. Restall a indiqué à M. Beattie qu’en ce qui concernait le lot 175, [traduction] « [l]e bail que vous avez fourni désigne une partie différente de la demande originale. La Couronne devra examiner la situation. La demande d’enregistrement jointe est vraisemblablement prématurée ».

[17]  M. Beattie a présenté une demande d’enregistrement de cession de bail, signée le 1er mars 2012, au Registre des terres indiennes. Dans le document, Mme Brewer était identifiée comme étant la cédante et Mme Beattie était identifiée comme étant la cessionnaire et M. Louie a signé le document pour indiquer son consentement. La demande indique que la cession de bail avait pour but de céder le bail entre M. Louie et Mme Brewer concernant le lot 175 et elle a été reçue le 7 mars 2012 ou aux environs de cette date.

[18]  La cession de bail contenait trois conditions. La condition A était rédigée comme suit :

[traduction]
A. Conformément à la Loi sur les Indiens, les lieux sont des terres réservées à l’usage et au profit de la Bande indienne d’Okanagan (ci‑après appelée « la bande ») dont la cédante est membre et la présente cession de bail n’a aucun effet sur la qualité de terres de réserve des lieux. De plus, la présente cession de bail ne doit pas être interprétée comme diminuant ou touchant autrement le pouvoir légal de la bande de réglementer ou d’autrement régir l’utilisation et l’occupation des lieux.

[19]  La condition C de la cession indiquait ce qui suit : [traduction] « […] Les parties présenteront la présente cession de bail pour son enregistrement dans le Registre des terres indiennes au plus tard à la date d’entrée en vigueur de la présente cession de bail. »

[20]  M. Beattie a transmis une lettre datée du 7 mars 2012 à Mme Fiona McFarlane, conseillère juridique auprès du ministère de la Justice. Il affirme qu’il avait obtenu ce matin-là la confirmation que le Registre des terres indiennes à Ottawa avait reçu la demande d’enregistrement de la cession et demandait une réponse le même jour donnant l’assurance que l’avocate n’avait pas donné au Registre des terres indiennes de directives visant la suspension ou le report de l’examen de la demande.

[21]  Mme McFarlane a répondu à M. Beattie le 9 mars 2012. Elle a affirmé que les plaignants seraient informés à une date ultérieure des décisions de l’intimé concernant le bail visant le lot 170-1, le bail visant le lot 175 et la cession du bail visant le lot 175. Mme McFarlane a noté que l’intimé disposait de deux baux concernant le lot 175 et dans lesquels le titulaire d’un intérêt particulier était différent, soit un bail ministériel conclu entre le ministre et M. Louie daté du 1er juin 2011 et un bail privé, sans mention du ministre, conclu entre M. Louie et Mme Brewer, daté du 1er août 2011. Mme McFarlane a demandé à M. Beattie des éclaircissements sur ce qu’il souhaitait faire à propos du lot 175.

[22]  M. Beattie a répondu à Mme McFarlane le 9 mars 2012. Il a confirmé que toutes les demandes antérieures (c’est-à-dire les baux ministériels) présentées en vertu du paragraphe 58(3) de la Loi avaient été soit remplacées par les requérants ou rejetées par l’intimé et que les baux avaient été retournés aux plaignants. M. Beattie a également affirmé que le seul bail acceptable pour M. Louie concernant le lot 175 était le bail daté du 25 juillet/1er août 2011 (c’est-à-dire un bail privé) et cédé à Mme Brewer et dont la date d’entrée en vigueur était le 1er mars 2012. Il a de plus affirmé que le seul bail acceptable pour M. Louie à l’égard du lot 170‑1 était le bail daté du 25 juillet/1er août 2011 (c’est-à-dire un bail privé également). Dans une lettre datée du 27 mars 2012, M. Beattie a écrit à Mme McFarlane qu’il n’existait aucun bail en vertu du paragraphe 58(3) à l’égard du lot 170-1 depuis le 11 avril 2011 et qu’aucun bail en vertu du paragraphe 58(3) n’était prévu pour le futur.

[23]  Dans la présente affaire, les trois plaintes datées du 30 mars 2012 ont été présentées à la Commission le 4 avril 2012. Les plaintes alléguaient que l’intimé avait fait preuve de discrimination à l’encontre de M. Louie, de Mme Brewer et de Mme Beattie du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique (à titre d’Indiens inscrits), en raison du refus de fournir un service habituellement destiné au public, contrairement à l’article 5 de la LCDP, par suite du refus de l’intimé d’enregistrer leurs baux privés et la cession en vertu de l’article 21 de la Loi.

[24]  Par une lettre datée du 30 septembre 2013, M. Daryl Hargitt, registraire des terres, Gestion des terres et de l’environnement de l’intimé, a informé M. Beattie que les demandes d’enregistrement visant les baux privés (et la cession de bail) ne pouvaient être enregistrées dans le registre parce que les baux n’indiquaient pas Sa Majesté la Reine du chef du Canada comme bailleur, n’indiquaient pas la Couronne à titre de partie et que l’approbation du ministre n’avait pas été fournie. M. Hargitt a noté qu’il pouvait uniquement trouver la demande d’enregistrement de la cession de bail de mars 2012, mais non la cession elle-même enregistrée au registre. Il a de plus soutenu que le bail privé conclu entre M. Louie et Mme Beattie n’était pas acceptable pour l’enregistrement et que la cession ultérieure ne pourrait pas non plus être enregistrée.

[25]  M. Beattie a écrit à M. Hargitt le 16 octobre 2013 demandant l’annulation des demandes d’enregistrement et l’assurance que les demandes d’enregistrement seraient effectuées lorsque les documents d’enregistrement seraient présentés de nouveau. Il a de plus précisé que chacune des opérations avait une [traduction] « valeur commercialisable de 200 000 $ » et que cette valeur serait réclamée au Canada si les enregistrements n’étaient pas effectués.

[26]  L’intimé a reçu les baux privés et la cession de bail au moment où le Guide du Registre des terres indiennes de 2006 était en vigueur, mais le refus d’enregistrer les documents a eu lieu lorsque le Guide de 2013 était entré en vigueur. En vertu du Guide de 2013, les Autochtones ne sont plus tenus d’inclure leur identification raciale, nationale ou ethnique (c’est-à-dire la Loi sur les Indiens) dans les nouvelles demandes d’enregistrement.

B.  Le système de gestion des terres

[27]  La Loi régit toutes les transactions qui concernent les terres indiennes pour les Premières nations qui exercent leurs activités en vertu des dispositions de la Loi sur la gestion des terres. Certaines Premières nations ont assumé la responsabilité de l’administration de leurs propres terres de réserve en vertu de la Loi sur la gestion des terres des premières nations ou d’autres arrangements conclus avec le Canada. Toutefois, la réserve indienne d’Okanagan où cette affaire s’est déroulée est administrée par le Canada en vertu de la Loi.

[28]  En vertu de la Loi, l’intimé est responsable de divers aspects de la gestion des terres de réserve indiennes et de l’enregistrement des intérêts à l’égard des terres de réserve. Dans le cadre de cette responsabilité, il administre le Système d’enregistrement des terres indiennes (SETI) et il a mis au point le Guide pour aider les membres de son personnel dans le processus d’enregistrement des documents des opérations relatives aux terres sur les réserves. Le Guide actuel a remplacé la version de 2006 en juillet 2013. Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’article 21 de la Loi prévoit ce qui suit : « Il doit être tenu au ministère un registre, connu sous le nom de Registre des terres de réserve, où sont inscrits les détails concernant les certificats de possession et certificats d’occupation et les autres opérations relatives aux terres situées dans une réserve. » Selon le Guide, « le registre sert à consigner les documents relatifs aux terres attribuées aux membres des bandes individuelles (bandes occupantes) et d’autres opérations ». Le registraire des terres indiennes (le registraire) est le titre de la personne désignée pour recevoir, traiter et consigner et enregistrer les documents.

[29]  Le Guide fournit les directives suivantes à propos du SETI (et du registre) :

  • a) De manière générale,

i)  « On a créé le SETI pour obtenir un registre fiable, informatisé et consultable sur Internet des intérêts enregistrés à l’égard des terres de réserve au Canada. »

ii)  « Le SETI est un dépôt de documents — il ne vise pas à garantir le titre de propriété ou l’exactitude des documents qu’il renferme, et il ne donne pas priorité à des intérêts en particulier […] »

iii)  « Le SETI sert à consigner les renseignements sur les intérêts enregistrés à l’égard des terres de réserve » tandis que « [l] e registre des terres dresse la liste des opérations qui ont une incidence sur une parcelle de terre et indique la nature de l’opération et la portée de l’intérêt » et « [...] [u]ne fois enregistrée, une opération ne peut être supprimée; elle demeure donc dans l’historique de la réserve ou de la parcelle, même si elle est acquittée ou venue à échéance ».

iv)  Le SETI « est guidé par une série de procédures interdépendantes qui régissent l’enregistrement des droits ou intérêts, des revendications d’intérêt et des avis d’intérêt à l’égard d’une terre de réserve ».

v)  « La plupart des systèmes provinciaux servent à enregistrer le titre de propriété d’une terre. Mais le SETI, lui, sert à enregistrer les opérations foncières, puisque le titre appartient à la Couronne. »

  • b) Définition du SETI

Base de données sur les actes enregistrés dans le SETI relativement à des terres de réserve et à des terres de la Couronne. Le SETI génère des numéros d’enregistrement et des numéros de preuve de titre (PDT), et il constitue la source attitrée en ce qui a trait aux noms des réserves. Les usagers du SETI peuvent effectuer des recherches et produire des rapports portant sur les données saisies dans le système. Ils peuvent également consulter et imprimer des images électroniques des actes enregistrés dans le SETI.

c)  Description de la raison d’être du SETI

  • remplir les obligations énoncées dans la Loi sur les Indiens;

  • enregistrer les intérêts approuvés et présentés aux fins d’enregistrement à l’égard d’une terre indienne de réserve, désignée ou cédée;

  • protéger les intérêts qui ont été enregistrés;

  • fournir à la clientèle des renseignements fiables, en temps utile;

  • conserver en lieu sûr les originaux des actes et documents présentés aux fins d’enregistrement.

d)  Définition d’enregistrement

Processus de consignation au registre des transactions et des documents d’appui se rapportant à chaque parcelle visée. L’enregistrement des transactions constitue une publication publique de la nature des intérêts détenus à l’égard d’une parcelle et permet aux personnes intéressées de déterminer les droits respectifs des parties détenant un intérêt à l’égard de telle parcelle.

e)  Définition de bail

Toute personne qui loue à bail une terre d’une autre personne acquiert un droit de tenure à bail dans ladite terre, tel intérêt étant communément appelé un « bail ». Le possesseur de cet intérêt est le « locateur », en l’occurrence la Couronne fédérale, alors que la personne ayant acquis cet intérêt s’appelle le « locataire ». Un droit de tenure à bail doit prévoir une durée définie, une échéance, ou encore une période susceptible d’être établie. La durée du bail comprend toutes les dispositions sur le renouvellement ou la reconduction (prorogation) du droit ou de l’intérêt. Le titulaire du droit de tenure à bail jouit du droit exclusif d’utiliser et d’occuper la terre. À l’expiration du bail, la terre revient au locateur.

f)  Description des fonctions essentielles du système d’enregistrement

  1. aviser le public de tous les documents enregistrés relativement à une parcelle de terre de réserve;

  2. fournir le registre historique des intérêts enregistrés;

  3. présenter les intérêts qui ont une incidence sur une terre de réserve.

g)  Le Guide décrit « ... la procédure [administrative] à suivre pour rédiger, présenter et enregistrer des documents dans le Système d’enregistrement des terres indiennes (SETI), conformément aux exigences énoncées dans les politiques à l’appui des dispositions sur la gestion des terres de la Loi sur les Indiens ». Le Guide fournit les directives, entre autres, sur la manière de rédiger les documents aux fins d’enregistrement, les documents exigés, de même que les exigences applicables aux demandes d’enregistrement et à leur contenu.

h)  Le Guide décrit comme suit l’« intérêt » à l’égard d’une terre et les exigences relatives à un « document juridique » :

Dans le cours normal des activités de gestion des terres de réserve, une foule d’opérations peuvent avoir une incidence sur les droits ou les intérêts à l’égard d’une terre. L’opération peut faire intervenir une Première Nation, un ou plusieurs membres d’une bande ou des non-membres d’une bande. Les opérations sont décrites dans un « acte », un document juridique qui exécute l’opération et décrit la parcelle de terre, les parties à l’opération, ainsi que toutes les précisions et les dispositions juridiques s’y rapportant.

i)  Le Guide contient des directives sur les motifs de refus d’enregistrement des documents présentés, notamment lorsque « [l]'intérêt accordé par l’acte chevauche un intérêt déjà enregistré ou est incompatible avec celui-ci ». Il peut s’agir d’un cas où « [l]'acte vise à accorder un intérêt à bail, mais ne constitue pas l’autorité compétente précisée dans la Loi sur les Indiens ».

j)  Le Guide prévoit que la Couronne doit être le bailleur dans le cas de baux de titulaires d’un intérêt individuel.

[30]  Le témoignage non contredit de Mme Craig à l’audience a étayé plusieurs faits qui précèdent concernant le SETI. Elle a déclaré ce qui suit :

-  Le Guide est un document qui décrit la procédure à suivre pour rédiger, présenter et enregistrer des documents dans le SETI. La procédure à suivre vise à régir l’enregistrement des droits ou intérêts, des revendications d’intérêt et des avis d’intérêt à l’égard d’une terre de réserve.

-  Le Guide prévoit que les fonctions essentielles du SETI consistent à aviser le public de tous les documents enregistrés relativement à une parcelle de terre de réserve, de fournir le registre historique des intérêts enregistrés et de présenter les intérêts qui ont une incidence sur une terre de réserve.

-  Les principaux buts du SETI consistent à remplir les obligations énoncées dans la Loi, à protéger les intérêts qui ont été enregistrés et à fournir au public, aux bandes et à d’autres des renseignements fiables, en temps utile.

-  Les documents présentés aux fins d’enregistrement doivent tout d’abord être examinés et vérifiés pour veiller à ce qu’ils répondent aux exigences énoncées dans le Guide, la Loi, les conseils juridiques, la jurisprudence et les autres politiques pertinentes. Une fois que les documents sont examinés et vérifiés, l’agent consigne les renseignements concernant les documents dans le SETI conformément aux lignes directrices relatives aux inscriptions dans le Registre des terres indiennes (les lignes directrices).

-  Un document peut être enregistré dans les cas suivants : il confère ou revendique un droit à l’égard d’une terre de réserve; il cède, grève ou affecte une terre de réserve, une terre désignée ou une terre cédée; il est présenté au SETI conformément à la Loi et au Guide.

-  Un requérant aux fins d’un enregistrement ou son mandataire présente les documents suivants au bureau régional pertinent de l’intimé :

a.  l’acte (le chapitre 3 du Guide contient des précisions sur la préparation d’un acte);

b.  l’affidavit du témoin (le chapitre 4 du Guide contient des précisions sur la préparation de l’affidavit);

c.  la demande d’enregistrement (le chapitre 5 du Guide contient des précisions sur la préparation de la demande);

d.  la description légale de la terre (le chapitre 6 du Guide contient des précisions sur la préparation de la description légale des terres);

e.  tous les autres documents d’appui (le chapitre 7 du Guide contient des précisions sur la préparation des documents d’appui les plus courants).

-  Pour qu’un document soit enregistré, il doit répondre à certains critères techniques énoncés dans le Guide (par exemple, il doit être signé, identifier les parties et identifier la nature de l’intérêt à enregistrer) et, dans le cas d’actes comme un bail ou un permis, l’approbation ou le consentement du ministre (le ministre de l’intimé pour le compte de Sa Majesté) est exigé.

-  Une fois que le document est présenté aux fins d’enregistrement, le registraire (c’est-à-dire le bureau régional) :

a.  attribue un numéro d’enregistrement, qui est utilisé tout au long du processus et qui indique l’année, le mois et l’heure de l’enregistrement dans le SETI.

b.  détermine si le document n’est pas acceptable pour l’enregistrement en appliquant les critères énumérés à l’article 9 du Guide. Si le document n’est pas acceptable pour l’enregistrement, le bureau régional retourne l’acte, la demande et tous les documents d’appui présentés avec l’acte;

c.  vérifie que les documents requis ont été présentés;

d.  vérifie que l’acte répond aux critères énoncés à l’article 8.4 du Guide, notamment qu’il est signé par la personne investie des pouvoirs délégués pertinents, conformément au paragraphe 8.4.1(10);

e.  dans le cas d’un titulaire d’un intérêt, il s’assure que les critères propres aux titulaires d’un intérêt énoncés à l’article 8.4.5 du Guide sont respectés;

f.  dans le cas d’un bail, il s’assure que les critères propres aux baux énoncés à l’article 8.4.7 sont respectés.

-  Le chapitre 9 du Guide fournit des directives aux membres du personnel d’enregistrement concernant les motifs de refus d’un enregistrement. Il prévoit que le bureau régional ne doit pas enregistrer un acte si, selon l’agent des terres qui examine la demande et les documents connexes, des critères ne sont pas respectés. Dans un tel cas, les principaux motifs de refus d’enregistrement d’une demande sont les suivants : l’acte présenté à l’enregistrement ne répond pas aux exigences énoncées dans le Manuel et l’approbation du ministre n’est pas fournie. Ces exigences apparaissaient tant dans l’ancienne version que dans la version actuelle du Guide.

-  Le SETI est un dépôt de documents. Il ne garantit pas le titre de propriété ou l’exactitude des documents déposés dans le registre. L’enregistrement ne donne pas priorité à des intérêts en particulier (à l’exception des cas portant sur la cession d’un intérêt).

-  Si le titulaire d’un intérêt individuel souhaite louer son titre de possession, il peut le faire conformément à la Politique sur les baux de titulaires d’un intérêt individuel de 2013. En vertu de cette politique, les titulaires d’un intérêt individuel peuvent demander que le ministre de l’intimé conclue un bail en vertu du paragraphe 58(3) de la Loi avec un éventail de personnes, notamment des sociétés, d’autres Indiens ou le titulaire d’un intérêt individuel lui‑même et qu’un tel droit de tenure à bail puisse être alors hypothéqué pour fournir du financement en vue du développement de la terre.

-  L’intimé a répondu aux exigences de l’article 21 de la Loi en créant le SETI et en mettant sur pied un processus pour consigner les précisions relatives à l’attribution de la possession légale et à d’autres opérations concernant les terres de réserve. Dans le cas de l’attribution d’une terre de réserve, l’intimé consigne la résolution du conseil de bande attribuant la possession légale à un membre de la bande, ce qui a pour effet de créer un numéro à l’égard de cet intérêt. Les transactions ultérieures concernant cet intérêt, comme un bail en vertu du paragraphe 58(3) à l’égard de cet intérêt, sont enregistrées sous le même numéro. À la page 34 des lignes directrices relatives aux inscriptions dans le Registre des terres indiennes, les fonctionnaires du ministère sont tenus d’enregistrer la résolution du conseil de bande attribuant la terre et de déclarer que le consentement du ministre est exigé avant qu’un tel intérêt ne soit enregistré. La page 43 des lignes directrices énumère les quatre types de baux qui sont enregistrés dans le registre des terres indiennes, soit les baux à l’égard de terres désignées en vertu du paragraphe 53(1), les baux de titulaires d’un intérêt individuel en vertu de l’alinéa 58(1)b) à l’égard de terres agricoles, les baux de bandes en vertu de l’alinéa 58(1)c) à l’égard de terres agricoles et les baux de titulaires d’un intérêt individuel en vertu du paragraphe 58(3) à des fins non agricoles.

IV.  Question préliminaire – Les plaintes constituent-elles uniquement une contestation ou une contestation incidente d’un texte de loi et rien d’autre et, par conséquent, échappent-elles à la compétence du Tribunal, selon la série de décisions Murphy, Matson et Andrews?

[31]  Dans leurs observations à l’audience, les deux parties ont identifié cette question comme étant une question préliminaire (« threshold issue » selon la description des plaignants, et « preliminary issue » selon la description de l’intimé). Je suis d’accord.

[32]  Murphy (Murphy c. Agence du revenu du Canada, 2010 TCDP 9) est une affaire qui visait une plainte en vertu de la LCDP concernant la manière dont l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) effectuait, en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (la LIR) certains calculs d’allégement fiscal à l’égard de paiements forfaitaires rétroactifs concernant le revenu d’un groupe de femmes dans une situation d’équité salariale. L’ancien vice‑président du Tribunal Hadjis a conclu que la plainte n’avait pas été établie. Aux paragraphes 57 et 58 de sa décision, il a écrit ce qui suit :

[57] En somme, la source de la pratique discriminatoire alléguée n’est pas, en tout ou en partie, les activités de l’ARC, qu’il s’agisse d’un service destiné au public ou non, mais plutôt exclusivement la loi elle-même. Dans la décision Wignall c. Canada (Ministère du Revenu national (Impôt), 2003 CF 1280, au paragraphe 30, la Cour fédérale a noté que le comportement de Revenu Canada ne pouvait pas être qualifié de discriminatoire au sens de la LCDP, alors qu’il s’agissait plutôt de la contestation d’une disposition de la LIR.

[58] Par conséquent, si l’acte discriminatoire allégué, comme c’est le cas en espèce, découle seulement du libellé de la LIR et non pas des activités de l’ARC, il ne découle pas de la fourniture de services de la part de l’ARC, au sens de l’article 5 de la LCDP. Par conséquent, une preuve prima facie de discrimination au sens de cet article ne peut pas être établie.

[33]  La Cour fédérale a rejeté une demande de contrôle judiciaire de la décision Murphy dans Alliance de la fonction publique du Canada c. Agence du revenu du Canada, 2011 CF 207 et la Cour d’appel fédérale a maintenu la décision de la Cour fédérale dans 2012 CAF 7. Une demande ultérieure d’autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada a été rejetée (dossier no 34706). En maintenant la décision de la Cour fédérale, la Cour d’appel fédérale a statué comme suit au paragraphe 6 :

[6] Il s’agit là d’une attaque directe à l’encontre des articles 110.2 et 120.31 de la LIR, fondée sur des considérations entièrement extrinsèques à celle‑ci. Or, ainsi qu’il a été conclu aux paragraphes 37 et 38 de la décision Forward c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 TCDP 5, à propos d’une plainte analogue mettant en cause des dispositions précises de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C‑29, les contestations de cette nature échappent au champ d’application de la LCDP, parce qu’elles visent les dispositions législatives en soi et rien d’autre. Dans le même ordre d’idées, la Cour fédérale a fait observer en obiter dans Wignall c. Canada (Ministre du Revenu national), 2003 CF 1280, que l’opposition en vertu de la LCDP à l’application de l’alinéa 56(1)n) de la LIR était vouée à l’échec si elle se fondait seulement sur ses conséquences supposées discriminatoires pour le plaignant : seule une contestation de la constitutionnalité de cette disposition offrait des chances de succès. Nous souscrivons à l’opinion exprimée dans ces décisions, étant donné que la LCDP ne prévoit pas la possibilité de déposer de plaintes contre une loi fédérale (voir son paragraphe 40(1), qui autorise le dépôt de plaintes, et ses articles 5 à 14.1, qui définissent les « actes discriminatoires » pouvant faire l’objet de celles‑ci).

[34]  J’ai rendu la décision dans Matson (Matson et al c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2013 TCDP 13). Dans Andrews (Andrews et al c. Affaires indiennes et du Nord Canada, 2013 TCDP 21), la membre Marchildon a rendu la décision. Ces affaires portaient toutes deux sur des plaintes en vertu de la LCDP relativement à l’inscription du statut d’Indien en vertu de l’article 6 de la Loi. La membre Marchildon et moi-même avons tous deux rejeté les plaintes. Nos deux décisions ont suivi l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Murphy en concluant que les plaintes étaient exclusivement une contestation d’un texte de loi, à savoir l’article 6 de la Loi, et rien d’autre.

[35]  Dans Matson, j’ai écrit ce qui suit aux paragraphes 57 à 60 inclusivement :

[57]  Comme le précisent la définition d’un « Indien » et le paragraphe 5(5) de la Loi sur les Indiens, le droit et l’inscription sont deux choses distinctes. Le droit est déterminé au préalable par la Loi sur les Indiens, indépendamment de l’inscription; tandis que l’inscription au registre des Indiens est le résultat d’un processus de demande auprès du registraire/ministère.

[58]  L’intimé n’offre pas au public l’avantage d’un droit à l’inscription en vertu de l’article 6 de la Loi sur les Indiens, ni les avantages tangibles et intangibles correspondants dont un tel droit peut être assorti. C’est la Loi sur les Indiens elle-même qui offre l’avantage du droit à l’inscription et c’est le législateur qui a appliqué au public les dispositions de la Loi sur les Indiens en matière de droit, pas l’intimé. Ce que ce dernier peut offrir en tant qu’avantage ou service au public est le traitement des demandes d’inscription en vue de déterminer si une personne doit être ajoutée au registre des Indiens, conformément à la Loi sur les Indiens. Pour ce faire, le registraire des Indiens reçoit les demandes d’inscription, passe en revue les renseignements inscrits dans les demandes en vue de déterminer s’ils sont complets et exacts, et évalue ensuite les demandes afin de décider si le requérant satisfait aux dispositions de l’article 6 de la Loi sur les Indiens en matière de droit d’inscription. Les plaignants ne se plaignent pas de discrimination dans le cadre de l’exécution, par l’intimé, de l’une quelconque de ces fonctions. Comme il a été mentionné, le résultat de ce processus est le suivant : soit le requérant est ajouté au registre des Indiens comme ayant droit au statut d’Indien sous le régime de la Loi sur les Indiens, soit il ne l’est pas. Le traitement d’une demande par le registraire, de la manière décrite ci-dessus, est peut-être un service, mais pas le statut, ou l’absence de statut, qui en résulte.

[59]  Comme l’indiquent clairement les observations des plaignants, ce n’est pas la manière dont l’intimé traite les demandes des plaignants que l’on conteste en l’espèce. C’est plutôt le droit des plaignants à l’inscription, conformément à l’article 6 de la Loi sur les Indiens, qui est à l’origine de la présente plainte. L’unique source de la discrimination alléguée en l’espèce est le libellé de l’article 6 de la Loi sur les Indiens. En passant en revue les demandes d’inscriptions des plaignants, les agents de l’intimé n’ont rien fait de plus qu’appliquer des critères législatifs catégoriques à des faits non contestés. Toute contestation relative au processus d’examen des demandes est en fait une contestation qui vise l’article 6 de la Loi sur les Indiens.

[60]  Pour les motifs qui précèdent, je répondrais donc à la première question par l’affirmative, et je conclus que la plainte dont il est question en l’espèce est une contestation d’un texte de loi, soit l’article 6 de la Loi sur les Indiens, et rien d’autre.

[36]  Dans Andrews, la membre Marchildon a écrit ce qui suit aux paragraphes 110 et 111 :

[110]  Bien que mon raisonnement n’entraîne pas une décision en faveur du plaignant, je ne veux pas diminuer la souffrance que sa famille et lui ont subie en raison des politiques d’émancipation du gouvernement. Même si les plaignants ne peuvent pas contester les articles visés de la Loi sur les Indiens au titre de la Loi, ils peuvent choisir de le faire au titre de la Charte, au sens de l’arrêt Murphy. Cela a été fait avec succès dans l’affaire McIvor, par exemple, au sujet des alinéas 6(1)a) et 6(1)c) de la Loi sur les Indiens. Le Tribunal n’est cependant pas l’instance appropriée pour instruire la contestation en l’espèce.

[111]  Je répondrai donc ainsi aux questions A et B :

A.  Les plaintes portent-elles sur la prestation de services destinés au public au sens de l’article 5 de la Loi, ou sont-elles uniquement une contestation d’une loi?

Réponse : Les plaintes sont uniquement une contestation d’une loi.

B.  Si les plaintes sont uniquement une contestation d’une loi, la Loi permet-elle l’instruction de telles plaintes?

Réponse : Non.

Compte tenu de ces réponses, je n’ai pas à trancher les questions C et D :

C.  Le plaignant a-t-il établi l’existence d’une preuve prima facie de discrimination?

D.  Le cas échéant, l’intimé a-t-il démontré que la discrimination prima facie n’a pas eu lieu tel qu’il est allégué ou que l’acte était justifiable au sens de la Loi?

[37]  Ces deux décisions ont fait, ensemble, l’objet d’un contrôle judiciaire par la Cour fédérale dans Commission canadienne des droits de la personne c. Canada (Procureur général), 2015 CF 398 [en anglais seulement]. En rejetant la demande de contrôle judiciaire, la Cour fédérale a conclu comme suit aux paragraphes 59 à 62 inclusivement :

[traduction]
[59]  Une contestation de la manière selon laquelle cette formule est appliquée est une contestation de la loi elle‑même. En l’espèce, les plaignants allèguent que les dispositions de la Loi sur les Indiens portant sur l’admissibilité sont discriminatoires. Par conséquent, l’application des dispositions impératives de la Loi sur les Indiens en matière d’admissibilité constitue une mesure d’exécution de la loi, même si le texte de loi prévoit un avantage. C’est le texte de loi qui refuse l’accès à l’avantage, non l’organisme gouvernemental.

[60]  À mon avis, les conclusions énoncées dans Forward sont tout aussi applicables en l’espèce. Au paragraphe 54, se reportant à la décision Forward, le Tribunal a conclu que la citoyenneté en vertu de la Loi sur la citoyenneté n’était pas un service parce que l’unique source de la discrimination alléguée était le libellé législatif de la Loi sur la citoyenneté. La décision Forward a adopté la remarque incidente dans McKenna selon laquelle Druken était une décision erronée (Forward, aux paragraphes 32 à 34).

[61]  De plus, le fait que Matson et Andrews sont des décisions analogues à l’arrêt Murphy est étayé par le fait que la Cour d’appel fédérale dans Murphy a expressément mentionné Druken. À mon avis, il est clair que la Cour d’appel fédérale avait l’intention que ses conclusions visent des cas où le gouvernement applique les dispositions impératives d’un texte de loi, plus particulièrement à la lecture des observations de la Cour au paragraphe 7, comme je l’ai décrit ci-dessus. Il est possible de soutenir que les situations dans Matson et Andrews sont analogues à celle dans Murphy. Dans les deux cas, le législateur a mis au point un régime ou une formule qu’un organisme gouvernemental applique sans aucun pouvoir discrétionnaire.

[62]  J’estime que l’analyse détaillée du Tribunal est raisonnable et je conclus que le fait que le Tribunal s’est fondé sur Murphy était raisonnable. Murphy était un arrêt d’une cour supérieure selon lequel un texte de loi n’était pas un « service » au sens de l’article 5. L’interprétation de l’article 5 faite dans Murphy était compatible avec le libellé de l’article 5 de la Loi sur les Indiens. En outre, Murphy a également examiné la jurisprudence contradictoire de Druken.

[38]  Avant l’audience de la présente affaire, M. Beattie a présenté une requête sollicitant la radiation de parties de l’exposé des précisions de l’intimé qui invoquaient l’application du principe énoncé dans Murphy, Matson et Andrews à la présente plainte. Dans la décision que j’ai rendue à l’égard de la requête (Beattie c. Affaires autochtones et du Nord Canada, 2015 TCDP 16), j’ai résumé comme suit la position des parties à l’égard de cette question (qui a été en grande partie répétée dans leur plaidoirie à l’audience), m’appuyant sur les des documents déposés à l’égard de la requête, aux paragraphes 10 et 11 :

[10]  Concernant la requête, le plaignant et l’intimé ont tous deux présenté des observations axées sur le principe énoncé dans Murphy, Matson et Andrews selon lequel un texte de loi ne peut être contesté directement en vertu de la LCDP. Selon le plaignant, l’article 21 de la Loi est un service destiné au public qui doit être fourni sans établir de distinctions et qui rend obligatoire l’inscription des documents constatant des opérations relatives aux terres intervenues entre des Indiens inscrits, sans renvoi à d’autres conditions ou dispositions de la Loi. Le plaignant soutient que, suivant le sens ordinaire du libellé de l’article 21, le registraire des terres indiennes avait l’obligation d’inscrire les documents soumis en l’espèce, sans s’interroger quant à savoir si les opérations décrites dans ces documents étaient [traduction] « valides en droit » en raison d’autres dispositions de la Loi qui, selon l’interprétation de l’intimé, ne sont pas mentionnées à l’article 21. Pour le plaignant, le fait que l’intimé invoque le principe dégagé dans les décisions Murphy, Matson et Andrews comme moyen de défense est dépourvu de pertinence et outrepasse la compétence du Tribunal, car sa cause se rapporte à l’application, et non à une contestation, d’un texte de loi obligatoire – à savoir l’article 21. En conséquence, le plaignant prie le Tribunal de radier de l’exposé des précisions de l’intimé les paragraphes qui, selon lui, invoquent ce principe.

[11]  Selon l’intimé, l’article 21 de la Loi fait partie d’un régime législatif qui ne peut être interprété indépendamment des autres dispositions de la Loi. Pour bien interpréter l’article 21, il faut le lire avec les autres dispositions de la Loi, y compris le paragraphe 58(3). Le service offert au public est le processus d’inscription complet qui comprend l’étape d’inscription détaillée prévue à l’article 21. Ce service ne se limite pas à la seule étape de l’inscription. L’intimé soutient que ce processus est prévu par une loi d’application obligatoire à laquelle le registraire des terres indiennes ne peut se soustraire. S’il inscrivait, en vertu de l’article 21, des documents dont la validité est entachée par l’application d’autres dispositions de la Loi, le registraire enfreindrait la loi. Par conséquent, l’intimé est d’avis que les plaintes visent à contester un texte de loi obligatoire et rien d’autre; il invoque à l’appui le principe dégagé dans les décisions Murphy, Matson et Andrews comme moyen de défense principal et légitime. La thèse selon laquelle interpréter l’article 21 sans tenir compte des autres dispositions de la Loi sur les Indiens est une erreur ne constitue pas une contestation d’un texte de loi. L’intimé soutient que, contrairement à l’argument du plaignant, le principe dégagé dans Murphy, Matson et Andrews ne s’applique pas à cet égard. L’intimé soutient de plus que, compte tenu de ce principe, si le plaignant souhaite contester le processus législatif, en invoquant un motif discriminatoire, il doit le faire devant une cour de justice dans le cadre d’une contestation fondée sur la Charte canadienne des droits et libertés, puisque le texte de loi en question est obligatoire et ne peut être changé que par une modification législative, et non par une décision du Tribunal.

[39]  J’ai rejeté la requête au motif qu’il était à ce moment-là prématuré de se prononcer sur la question et d’accorder le redressement demandé par M. Beattie, au paragraphe 17 comme suit :

[17]  Il apparaît clairement que le plaignant et l’intimé ont adopté des positions diamétralement opposées dans leurs observations présentées au sujet d’une question fondamentale dans le cadre de la présente requête. Le fait que les parties ont toutes les deux présenté des arguments sur le fond de cette question, au lieu de la requête en radiation, indique bien la nécessité de procéder à un débat oral sur ce point. Le plaignant ne m’a pas convaincu qu’il serait juste, à l’étape préliminaire, sans la tenue d’une audience, de radier les paragraphes de l’exposé des précisions de l’intimé qui sont visés par la requête : ils constituent un moyen de défense important en l’espèce qu’il vaudrait la peine d’entendre. Radier les paragraphes en question priverait, à mon avis, l’intimé de son droit de bénéficier d’une possibilité pleine et entière de présenter des éléments de preuve et des observations sur les questions soulevées dans la plainte.

[40]  Compte tenu de la preuve présentée à l’audience, dont une grande partie est mentionnée à la partie III de la présente décision, et des plaidoiries présentées à la fin de l’audience, qui étaient essentiellement les mêmes que celles à l’égard de la requête en radiation, je suis maintenant en mesure de me prononcer sur le fond de la présente question.

V.  Analyse

[41]  Le témoignage très crédible de Mme Craig, mentionné dans la partie III de la présente décision, n’a pas été contredit ni contesté de quelque façon importante au cours de l’audience. En résumé, elle a fourni une description d’un régime législatif comportant des règles interreliées et interdépendantes qui forment un processus ou un système qui s’applique à la gestion des terres en vertu de la Loi, dont l’enregistrement fait partie. Ce système exige que la Couronne, à titre de propriétaire ou de locateur, soit une partie aux baux des terres visées pour que le registraire, sans aucun pouvoir discrétionnaire, soit autorisé à les enregistrer (consigner) comme baux ministériels (non comme baux privés) en vertu de l’article 21 de la Loi.

[42]  En vertu des paragraphes 2(1) et 18(1) de la Loi, le régime législatif confère les terres en cause et le titre qui s’y rapporte (qui sont situées dans une réserve indienne que le Canada continue d’administrer en vertu de la Loi) à la Couronne pour l’usage et le profit de la bande indienne pour laquelle elles ont été mises de côté (la Bande indienne d’Okanagan), selon que le détermine le gouverneur en conseil.

[43]  L’article 20 de la Loi prévoit que le conseil de bande, avec l’approbation du ministre, peut accorder la possession légale de cette terre de réserve à un membre de la bande en lui délivrant un certificat de possession (CP). Un CP ne confère toutefois pas un droit de propriété, n’étant pas un acte de transfert (Tyendinaga Mohawk Council v. Brant, 2014 ONCA 565 aux paragraphes 21 et 80 à 84). Voilà l’intérêt que M. Louie avait dans les terres en cause et les CP qui visaient ce droit à l’égard des terres en cause étaient enregistrés à son nom dans le registre.

[44]  Selon l’article 24 de la Loi, seul le transfert du droit de possession des terres dans la réserve à la bande ou à un autre membre de la bande peut être effectué par une personne légalement en possession des terres, et ce, uniquement avec l’approbation du ministre.

[45]  Selon le paragraphe 28(1) de la Loi, est réputé nul un bail conclu par un membre d’une bande relativement à des terres de réserve avec toute autre personne qu’un membre de cette bande, sous réserve du paragraphe 2. Le paragraphe 28(2) permet au ministre d’autoriser par écrit toute personne pour une période maximale d’un an, ou, avec le consentement du conseil de la bande, pour toute période plus longue, à occuper ou utiliser une réserve, ou à résider ou autrement exercer des droits sur une réserve.

[46]  Le paragraphe 58(3) de la Loi prévoit que le ministre peut louer au profit de tout Indien, à la demande de celui-ci, la terre dont ce dernier est en possession légitime.

[47]  En vertu de l’article 21 de la Loi, l’intimé est tenu de tenir un registre où sont inscrits (enregistrés) les détails concernant les CP et certificats d’occupation et les autres opérations relatives aux terres situées dans une réserve.

[48]  L’intimé soutient que conformément à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Celgene Corp c. Canada (Procureur général), 2011 CSC 1 (Celgene), au paragraphe 21, l’interprétation des lois consiste à examiner le sens ordinaire des mots et le contexte législatif dans lequel ils s’inscrivent. À ce titre, l’intimé fait valoir que le contexte des articles 20 et 24 éclaire l’interprétation juste du paragraphe 58(3) de la Loi selon laquelle les mots « [l]e ministre peut louer » exigent que le ministre soit le locateur désigné. Sinon, il soutient que l’objet de l’article 24 et du paragraphe 28(1) est redondant. Cette exigence prévue par la Loi se reflète dans l’article 10.1.12 du Guide, qui prévoit expressément que le locateur doit être la Couronne fédérale.

[49]  En outre, citant de nouveau l’arrêt Celgene, l’intimé soutient qu’en l’absence de jurisprudence concernant l’article 21 de la Loi, mais en se fondant sur son libellé et le contexte législatif, les « autres opérations » incluraient les baux en vertu du paragraphe 58(3).

[50]  Le témoignage de M. Beattie à l’audience n’a pas contredit le témoignage de Mme Craig à propos de la façon dont le SETI, le Guide et la Loi interagissent et sont interdépendants. Le témoignage de M. Beattie et ses arguments sont en grande partie fondés sur ses opinions selon lesquelles : 1) la Loi elle-même est à l’heure actuelle anachronique, paternaliste et discriminatoire envers les Indiens à plusieurs égards; 2) la Couronne n’est pas la véritable propriétaire des terres en cause, mais M. Louie en était le propriétaire et sa succession l’est maintenant; 3) en vertu de l’article 21 de la Loi, le registraire est obligé, en raison des mots « sont inscrits » qui s’y trouvent et parce qu’aucun autre article n’est mentionné, d’enregistrer tous les baux, y compris les baux privés, sans prendre en compte les autres articles de la Loi qui prévoient que la Couronne est la propriétaire des terres en cause et exigent que le ministre soit partie aux baux; 4) en refusant d’enregistrer les baux privés (qui sont aussi communément appelés « baux au noir » (« buckshee » leases)) entre Indiens inscrits en vertu de la Loi, l’intimé a violé l’article 5 de la LCDP en privant les plaignants d’un service (c’est-à-dire l’enregistrement de documents) destiné au public.

[51]  J’accepte le témoignage de Mme Craig comme je l’ai mentionné au paragraphe 40 et les prétentions de l’intimé sur cette question, tels que décrits dans les paragraphes 38, 48 et 49 de la présente décision. À mon avis, contrairement aux prétentions de M. Beattie, l’article 21 de la Loi, qui est au cœur du présent litige, ne peut être pris isolément. Il fait plutôt partie d’un ensemble de dispositions interdépendantes et interreliées. L’interprétation juste de l’article 21 est qu’il fait partie d’un régime législatif et qu’il est éclairé en le lisant avec d’autres articles, y compris le paragraphe 58(3), exigeant que le ministre, du chef de la Couronne, soit le bailleur des baux de titulaires d’un intérêt individuel puisque la Couronne est la propriétaire des terres.

[52]  Pour interpréter un texte de loi comme l’article 21, il est nécessaire d’analyser l’économie d’une loi. Comme le souligne R. Sullivan, dans Sullivan on the Construction of Statutes, (6e éd. 2014), au paragraphe 13.12 :

[traduction] Dans son analyse de l’économie d’une loi, le tribunal tente de découvrir de quelle façon les dispositions ou les parties de la loi interagissent pour mettre à exécution un plan plausible et cohérent. Il examine ensuite comment la disposition à interpréter peut se comprendre eu égard à ce plan. Le juge Greschuk décrit le raisonnement du tribunal dans Melnychuk c. Heard :

[traduction] Le tribunal doit tenir compte non pas uniquement d’un seul article, mais de tous les articles d’une loi, y compris la relation d’un article avec les autres, la relation d’un article avec l’objet général que vise la loi en cause, l’importance de l’article, la portée entière de la loi et l’intention véritable de l’autorité qui l’a adoptée.

La Cour fédérale a souscrit à l’extrait tiré de Melnychuk dans De Silva c. Canada (Citoyenneté et immigration), 2014 CF 790 au paragraphe 42.

[53]  Je ne crois pas que l’intention du législateur au regard de la Loi et du SETI était de prévoir, d’une part, que la Couronne soit propriétaire des terres en question et d’exiger que le ministre consente à tous les baux de ces terres en vertu des articles de la Loi mentionnés dans les paragraphes 42 à 46 de la présente décision et du Guide et, d’autre part, permettre au registraire d’enregistrer des baux en vertu de l’article 21 qui ne répondent pas à ces exigences. Non seulement cela ne constituerait pas un plan plausible et cohérent, mais cela serait également contraire à l’ordre public en ce qui concerne qui informer les membres du public de façon appropriée et ne pas les induire en erreur lorsqu’ils souhaitent utiliser le registre en raison de son efficacité.

[54]  Les mots « sont inscrits » et « autres documents » comme ils sont utilisés dans l’article 21 de la Loi doivent être interprétés dans le contexte de l’ensemble du régime de gestion des terres comme étant éclairés par les autres articles de la Loi mentionnés ci‑dessus. À mon avis, l’article 21 de la Loi oblige donc le registraire, sans aucun pouvoir discrétionnaire, à refuser d’enregistrer les baux privés et la cession en l’espèce parce qu’ils sont des documents non valides suivant le régime de gestion des terres prévu par la Loi. Son refus d’enregistrer les baux privés et la cession en l’espèce n’est par conséquent pas une violation de l’article 5 de la LCDP. Bien que l’ensemble du processus d’examen et d’enregistrement éventuel de documents valides ou du non‑enregistrement de documents invalides puisse être un service, les critères législatifs pour ce faire ne le sont pas. Les présentes plaintes contestent le régime de gestion des terres obligatoire prévu par la Loi et non un service fourni par l’intimé.

[55]  Pour les motifs qui précèdent, je suis tenu de suivre les motifs énoncés dans Murhpy, Matson et Andrews et de conclure que les plaintes en l’espèce sont exclusivement une contestation ou une contestation indirecte d’un texte de loi et rien d’autre, qui va au-delà de la compétence du Tribunal.

[56]  Comme je l’ai noté dans le paragraphe 50, à mon avis, M. Beattie conteste essentiellement un texte de loi (la Loi) qu’il estime, à plusieurs égards, anachronique, paternaliste et discriminatoire envers les Indiens. Son opinion à cet égard peut très bien correspondre à l’opinion selon laquelle les Premières nations devraient être traitées de nation à nation avec le Canada, plutôt que comme ses pupilles dans un système de gestion des terres qui font des Premières nations des subordonnées plutôt que des égales. Pour que cette relation change, il faudra apporter des modifications aux politiques du gouvernement du Canada et aux lois. Subsidiairement, M. Beattie peut tenter de contester le texte de loi devant un tribunal en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés.

VI.  Ordonnance

[57]  Pour les motifs qui précèdent, les plaintes sont rejetées.

Signée par

Edward P. Lustig

Membre du Tribunal

Ottawa, Ontario

Le 24 février 2016

 


Tribunal canadien des droits de la personne

Parties au dossier

Dossier du tribunal : T2055/5614, T2056/5714, T2057/5814

Intitulé de la cause :  Bruce Beattie, Joyce Beattie, Jenelle Brewer and the estate of James Louie v. Affaires autochtones et du Nord Canada

Date de la décision du tribunal : Le 24 février 2016

Date et lieu de l’audience : Le 14, 16, 17 septembre 2015

Cranbrook, Columbie Britannique

Comparutions :

Bruce Beattie, pour les plaignants

Aucune comparution , pour la Commission canadienne des droits de la personne

Ainslie Harvey et Marnie Munro, pour l'intimée

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